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38_Huber89nov2008

Coram  HUBER

 Crainte

 Tribunal régional de Sicile (Italie) – 19 novembre 2008

P.N. 19.799

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LA CRAINTE RÉVÉRENTIELLE
  2. Le caractère « extrinsèque » n’existe pratiquement pas

2 La mesure de la gravité de la crainte

  1. Le lien de causalité entre la crainte et la décision du mariage
  1. LA PREUVE DE LA CRAINTE
  2. Les objets de la preuve
  3. Les moyens de la preuve
  4. Aversion pour le mariage avec une personne déterminée
  5. Les personnes à interroger
  6. Les circonstances
  7. La nécessaire liberté et la crainte refoulée

__________

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 Au mois d’août 1984, Agata E. fait la connaissance de Carmelo, avocat, de 9 ans plus âgé qu’elle. Au mois de novembre de la même année elle rencontre Fabio, qui lui plaît davantage, tant sous l’aspect de l’âge que sous l’aspect physique. Lorsque les parents d’Agatha font eux aussi la connaissance de Carmelo au début de l’année 1985, ils en sont heureux et s’efforcent d’amener leur fille à se rapprocher de lui. La mère d’Agata vante les qualités et le statut économique de Carmelo et elle a avec sa fille des discussions houleuses où elle lui représente le réconfort que son union apporterait à son père très malade.

 

Le mariage est célébré le 19 septembre 1987. Agata a 23 ans et Carmelo 32 ans. La vie conjugale n’est pas heureuse et la naissance d’une fille, en octobre 1988, ne permet pas aux époux de pacifier leurs rapports. Le 31 août 1990, Carmelo quitte le domicile conjugal et le divorce est prononcé le 28 décembre 1995.

 

Le 9 octobre 2000, Agata, désireuse de retrouver sa pleine liberté, adresse un libelle au Tribunal ecclésiastique de Sicile, accusant son mariage de nullité pour violence et crainte subies par elle-même. Le 11 avril 2003, le Tribunal rend une sentence négative, infirmée le 15 septembre 2005 par le Tribunal d’appel de Campanie.

 

En 3° instance à la Rote, le doute est concordé, le 1° décembre 2007, sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour crainte infligée à l’épouse ?

EN DROIT

 

  1. Les Auditeurs soussignés estiment recevable et prouvé ce qu’exposent (dans leur IN JURE) les deux sentences précédentes. Ce n’est que pour la clarté et pour un certain complément qu’ils entendent ajouter quelques remarques.

 

Pour déclarer la nullité du mariage pour crainte, le c. 1103 requiert que la crainte provienne « de l’extérieur », qu’elle soit « grave » et qu’elle soit telle que « quelqu’un, pour s’en libérer, est forcé de choisir le mariage ».

 

  1. LA CRAINTE RÉVÉRENTIELLE

 

Ces caractéristiques sont également postulées dans la crainte révérentielle, qui se distingue de la crainte commune en raison de la sujétion affective entre l’auteur de la crainte et la victime de la crainte, en raison de l’objet, qui est une indignation prolongée, et en raison des moyens.

 

  1. Le caractère « extrinsèque » n’existe pratiquement pas

 

Avant tout il apparaît clairement que, dans ce genre de crainte, le caractère « extrinsèque » n’existe pratiquement pas. La crainte tout entière est fondée sur la sujétion affective de celui qui subit la crainte vis-à-vis de ses parents ou de personnes analogues, comme l’enseigne Saint Alphonse : « La crainte révérentielle est celle par laquelle quelqu’un hésite à résister à une personne à qui il est soumis, comme le père, la mère, le grand-père, le beau-père, le mari, le Roi, le Maître, le Prélat, le tuteur, le curateur, comme l’enseignent les docteurs avec Sanchez »[1].

 

Dans ce genre de crainte il n’y a, de la part de l’auteur de la crainte, ni menaces, ni graves faits comminatoires. Il y a des prières inopportunes et très insistantes, des reproches, des vexations, des lamentations, des invitations, des désirs, des conseils, des persuasions. Tout le monde voit que l’extrinséité est réduite au minimum et que les limites entre crainte « de l’extérieur » et crainte « de l’intérieur » s’estompent presque entièrement. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux docteurs désirent la suppression des termes « ab extrinseco », alors que le mot « injuste » (« de façon injuste ») a déjà été supprimé du canon.

 

  1. La mesure de la gravité de la crainte

 

Si quelqu’un est un familier de la Jurisprudence Rotale, il sait que la gravité de la crainte doit être mesurée presque uniquement à l’aune de la personnalité de celui qui la subit. On lit à ce sujet : « Cependant le mal doit être évalué non seulement sous son aspect objectif, mais aussi et surtout sous son aspect subjectif ; quelle que soit la force morale qui cause la crainte, celle-ci consiste toujours en un ‘trouble de l’âme’ ; c’est pourquoi l’état de l’âme doit toujours être examiné pour qu’on juge si le contractant a véritablement considéré ou non le péril envisagé comme véritablement sérieux. Cette recherche psychologique revêt une importance particulière par exemple dans le cas de ce qu’on appelle ‘la crainte révérentielle’, qui, de soi, est légère puisqu’elle consiste dans une sujétion naturelle qui nous lie la plupart du temps, de façon générale, aux parents ou aux supérieurs, mais qui peut parvenir au niveau d’une véritable crainte grave si elle est caractérisée par des prières instantes, déplaisantes, ou brutales, qui arrivent à persuader le sujet que la grave indignation des parents ou des supérieurs va durer longtemps »[2]. Nous sommes ainsi avertis que ce n’est plus un critère absolu qui est à considérer, mais un critère relatif, c’est-à-dire relatif à une personne déterminée. Le juge doit voir dans chaque cas si, pour telle personne, le mal est grave, s’il est léger pour d’autres.

 

  1. Le lien de causalité entre la crainte et la décision du mariage

 

Le sujet qui est victime de la crainte est placé entre deux extrêmes : ou le mariage à célébrer, ou le mal à subir. Si la victime de la crainte se décide pour se libérer du mal, la crainte est considérée comme suffisamment grave pour invalider le mariage. Dans ce cas il y a un lien de causalité entre la crainte et la décision du mariage. Le mariage est conclu véritablement « à cause » de la crainte, et non « avec » la crainte, parce que la cause du mariage est attribuée à la crainte qui existe dans l’esprit de celui qui en est la victime.

 

  1. LA PREUVE DE LA CRAINTE

 

  1. En ce qui concerne la preuve, il faut bien distinguer les objets de la preuve et les moyens de la preuve ».

 

  1. Les objets de la preuve

 

Parmi les objets de la preuve on recense : le fait extérieur de la coaction, le fait interne de la crainte, le lien de causalité entre la décision et la célébration du mariage.

 

  1. Les moyens de la preuve

 

Quant aux moyens de la preuve, il est utile de rappeler ceci :

 

  1. Aversion pour le mariage avec une personne déterminée

L’axe central de la preuve est constitué par l’aversion pour le mariage à contracter avec une personne déterminée. Il n’est pas requis une aversion initiale. Il peut arriver en effet qu’une partie, au début des fréquentations, ressente de l’amour pour son partenaire. Au cours du temps, la partie connaît mieux le caractère et la nature de l’autre partie. Il n’est pas rare que la partie change d’avis avant le mariage et qu’elle passe de l’amour à l’aversion. C’est pourquoi, à l’approche du mariage, il existe une aversion grandissante et finale, qui ne peut pratiquement pas être surmontée sans une coaction externe.

 

  1. Les personnes à interroger

Il faut entendre en premier la victime de la crainte, qui peut révéler au juge pourquoi elle s’est sentie contrainte à se marier et pourquoi elle a fait ce qu’elle ne voulait faire en aucune façon. Selon la jurisprudence établie de Notre For, dans les causes portant sur la crainte la déclaration de celui qui a subi la crainte est à prendre en grande considération. Il sait en effet s’il a célébré son mariage consciemment et librement, ou non.

 

Il faut ensuite interroger l’auteur de la crainte, qui connaît les faits qu’il a commis. Qu’il dise pourquoi et comment il a infligé de la crainte à la partie.

 

Viennent après cela les dépositions de ceux qui ont constaté directement la coaction et qui ont appris quelque chose soit de la part de la victime de la crainte soit de la part de l’auteur de cette crainte. Il ne faut pas compter les témoins. Il faut rechercher si ceux-ci sont capables de considérer attentivement les circonstances et de les rapporter au juge avec diligence. Ce qui importe donc, c’est la qualité des témoins, non leur quantité.

 

  1. Les circonstances

Enfin il faut considérer toutes les circonstances : antécédentes, concomitantes et subséquentes.

 

Peuvent apporter une grande lumière pour un jugement correct : l’âge, le sexe, l’éducation, le caractère tant de la victime de la crainte que de l’auteur de la crainte, l’évolution des fréquentations avant le mariage, le jour du mariage, la consommation du mariage, la génération d’enfants, la vie commune, la fidélité conjugale, les causes de la rupture de la vie conjugale, la séparation personnelle des conjoints, la demande du divorce, le remariage.

 

  1. La nécessaire liberté et la crainte refoulée

 

Il n’est pas permis d’oublier, en terminant, que c’est la liberté dans la décision de contracter mariage qui est à rechercher, et non la liberté dans la prestation du consentement. Il faut être très attentif aussi à la crainte refoulée. Il peut arriver en effet que la partie qui a été contrainte se décide à remplir les obligations qui sont nées de son consentement donné par crainte. Si la victime de la crainte mène une vie conjugale pendant plusieurs années, a des enfants et ne rompt pas la vie commune de sa propre volonté, on ne doit pas conclure aussitôt à un véritable consentement. Cette façon d’agir en effet peut s’expliquer par beaucoup de raisons, surtout par la conscience subjective que le mariage est valide, par un manque de la connaissance requise et par l’absence de conseils opportuns. Pour contracter un mariage valide, il ne suffit pas d’une persuasion subjective, mais il est demandé en outre la liberté, à laquelle personne ne peut renoncer en se mariant.

 

 

EN FAIT (résumé)

 

  1. Remarques préliminaires

 

Bien que le mari, partie appelée, ait écrit au Tribunal d’appel que les allégations de l’épouse sont des mensonges, il est difficile de ne pas faire confiance à la demanderesse et aux témoins, en raison des nombreux faits et documents qui plaident en faveur de l’épouse.

 

Il ne s’agit pas, dans le cas présent, d’une crainte commune mais d’une crainte révérentielle. Les témoins, qui ignorent cette distinction, parlent comme si tout ne concernait que la crainte commune, par exemple : « Je confirme que la demanderesse a délibérément choisi de se marier sans subir de coercition et de violence ». En général ils semblent plus nier les menaces que la crainte révérentielle.

 

2 L’aversion de l’épouse pour le mari et pour le mariage avec lui

 

Dans son libelle, Agata reconnaît avoir été attirée par Carmelo, dont la situation d’avocat lui « assurerait une meilleure insertion sociale », mais lorsqu’elle fait en novembre 1984 la connaissance de Fabio elle en tombe éperdument amoureuse. Toutefois le jeune homme ne répond pas à son amour, ce qui affecte beaucoup Agata.

 

Fin janvier 1985, Carmelo commence à venir régulièrement chez les parents d’Agata et les relations entre les deux jeunes gens s’orientent vers le mariage. « Toutefois, déclare Agata, à l’approche du mariage je n’étais pas heureuse parce que je pensais encore à Fabio mais parce qu’en même temps j’avais peur de déplaire à mes parents et d’aggraver l’état de santé de mon père si je ne me mariais pas avec Carmelo ». Agata confirmera en seconde instance cette déposition.

Les témoins confirment tous l’aversion d’Agata pour Carmelo : la mère de l’épouse : « Ma fille se disputait continuellement avec moi et me répétait qu’elle en avait assez de Carmelo […]. Elle me disait que Carmelo ne lui plaisait pas, elle pleurait […]. Cela a continué jusqu’au mariage ». Disent la même chose Francesco, le Père S., Anna, Giuseppe, le P. Angeli, qui connaissait bien Carmelo et qui déclare : « Il souffrait de se voir rejeté par Agata ». « Tout de suite après le voyage de noces, déclare le curé d’Agata, elle me disait qu’elle ne voulait pas l’épouser, qu’elle n’éprouvait aucun sentiment pour lui ».

 

Notre conclusion est que, dans le cas présent, l’aversion grandissante et finale de l’épouse, tant vis-à-vis du mari que vis-à-vis du mariage, ressort pleinement des actes.

 

  1. La crainte grave

 

Non seulement Agata s’est mariée contre son gré, mais sous l’effet d’une contrainte grave. Les déclarations de l’épouse sont très claires dans ses deux dépositions, et elles sont confirmées par des témoins de poids.

 

La mère d’Agata, en effet, reconnaît qu’elle a fait pression sur sa fille, en lui disant qu’un refus de sa part d’épouser Carmelo risquait d’aggraver la maladie de son père, et elle ajoute : « Ma fille est substantiellement liée à nous et donc elle a dû suivre nos indications […]. Mon erreur a été de poursuivre ma route à sa place, sans tenir compte de ses sentiments profonds et de sa volonté ».

 

Un ami du mari, Giuseppe, raconte avoir été témoin de discussions entre Agata et sa mère : « La fille disait à sa mère : ‘C’est vous qui m’avez forcée à épouser Carmelo’ ». Ce dernier témoignage, même s’il se rapporte à la période post-matrimoniale, est important car Giuseppe a entendu « plusieurs fois », et à une époque non-suspecte, ces reproches d’Agata qui attribuait la cause du mariage non pas à elle-même, mais à ses parents et surtout à sa mère.

 

Plusieurs témoins attestent des pressions et des contraintes subies par Agata, en particulier un prêtre qui a mis l’épouse en relation avec un juge du Vicariat de Rome : « Ce prêtre a entrevu la nullité du mariage et l’a dit expressément à l’épouse en ma présence ».

 

4 Les circonstances qui soutiennent la crainte révérentielle

 

Tout d’abord sont à noter la dépendance, la sujétion affective et l’obéissance d’Agata par rapport à ses parents.

 

Ensuite se trouve le caractère « très fort, impulsif et énergique » de la mère d’Agata, que reconnaît l’intéressée et dont parle de nombreux témoins ainsi que Carmelo, le mari partie appelée.

 

Le jour du mariage, Agata s’est montrée triste, signalent plusieurs témoins. Le voyage de noces a été malheureux, rapporte le curé d’Agata.

 

Enfin le mari accuse sa femme d’avoir continué, une fois mariée, à vivre en compagnie de ses parents, en négligeant son foyer, et il estime que son mariage est nul, mais pour un autre motif que la contrainte, à savoir « les qualités essentielles pour être femme, épouse et mère ».

 

  1. Les juges de première instance ont rejeté le chef de crainte, parce qu’à leurs yeux « la cause ne semble d’aucune façon se réduire à une crainte au moment du consentement, mais plutôt à un comportement de la demanderesse dans sa vie de couple ». Les juges d’appel ont évalué plus profondément la vie conjugale d’Agata : « La vie conjugale, malgré la naissance d’une fille, est la démonstration que la demanderesse avait épousé un homme qu’elle n’aimait pas ».

 

 

Constat de nullité

pour crainte infligée à l’épouse

 

Josef HUBER, ponent

Giovanni-Baptista DEFILIPPI

Robert SABLE

 

 

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[1] SAINT ALPHONSE DE LIGORI, Theologia moralis, éd. 1837, t. III, lib. VI, Tract. VI, n. 1056

[2] C. CIVILI, 27 mai 1998, SRRDec, vol. XC, p. 404, n. 10

38_FerreiraPena_19juin2009

Coram  FERREIRA  PENA

 Grave défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Rio de Janeiro (Brésil) – 19 juin 2009

P.N. 17.613

Constat de nullité

pour incapacité d’assumer

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LA DISCRETIO JUDICII
  2. Le consentement matrimonial requiert une discretio judicii proportionnée
  3. Le défaut de discretio judicii et l’immaturité
  1. L’IMMATURITÉ PSYCHO-AFFECTIVE
  2. Nature de l’immaturité psycho-affective
  3. Quelques sources de l’immaturité psycho-affective
  4. Quelques manifestations de l’immaturité psycho-affective
  5. Conséquences de l’immaturité psycho-affective sur le mariage
  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
  2. « Acte humain » du contractant et « consentement matrimonial »
  3. Immaturité psycho-affective et incapacité d’assumer
  1. LA PREUVE DE L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 Le 2 juillet 1983, Vera D.P., née le 16 septembre 1958, architecte, catholique, épouse Samuel D.S., né le 1° février 1953, négociant, presbytérien. Les époux s’étaient connus en 1979 et s’étaient fiancés avec le consentement des deux familles.

 Dès le début de la vie commune, des difficultés apparaissent dans le foyer et elles s’aggravent de jour en jour, surtout après la naissance d’une fille, en juillet 1984, causées particulièrement par la négligence du mari dans son devoir de subvenir aux besoins de sa famille et dans son activité professionnelle. Samuel quitte sa femme et sa fille, divorce en 1991 et se remarie. La vie conjugale n’avait duré que quatre ans et demi.

 Persuadée de la nullité de son union, Vera, (qui, devant la lenteur du procès se remariera elle aussi), présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Rio de Janeiro, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour défaut de discretio judicii et incapacité d’assumer les obligations conjugales essentielles, de la part du mari, ainsi que pour erreur déterminant la volonté, toujours de la part du mari, au sujet de l’unité, l’indissolubilité et la dignité sacramentelle du mariage. Au cours de l’instruction une expertise sur les actes est effectuée. Le 17 mai 1996, le Tribunal rend une sentence négative sur tous les chefs.

 

En appel au Tribunal de Sao Paulo, a lieu une nouvelle expertise, de nouveau sur les actes. Le 2 septembre 1997, les Juges reconnaissent la nullité du mariage pour défaut de discretio judicii du mari, ainsi que pour incapacité d’assumer les obligations conjugale de sa part, mais rejettent le chef d’exclusion du bien de la fidélité en ce qui le concerne.

 

En troisième instance à la Rote, le doute est concordé le 22 octobre 2004 sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour grave défaut de discretio judicii concernant les charges essentielles du mariage de la part du mari partie appelée, selon le c. 1095, 2°, et/ou pour incapacité d’assumer les obligations conjugales pour des causes de nature psychique, de la part du mari partie appelée, selon le c. 1095, 3°.

 

Les Pères, le 21 avril 2006, ordonnent un complément d’instruction, qui se révèle difficile en raison de la mort de la mère adoptive du mari, dont la déposition était attendue, et en raison également du refus du mari de se soumettre à une expertise, qu’il estimait offensante, et de faire une nouvelle déposition, comme s’il était un « malade mental ». Une nouvelle expertise sur les actes est effectuée. Il Nous faut aujourd’hui répondre au doute concordé.

 

EN  DROIT

 

  1. LA DISCRETIO JUDICII

 

  1. Le c. 1057 statue :

« § 1. C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine.

  • 2. Le consentement matrimonial est l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage. »

 

  1. Le consentement matrimonial requiert une discretio judicii proportionnée

 

De la lettre de la loi on peut déjà saisir l’importance existentielle de l’acte – qui consiste dans la mutuelle donation-acceptation des personnes – et, par relation, la maturité requise pour le poser. De là et à juste titre vient l’opinion ancienne selon laquelle pour contracter mariage il suffirait d’avoir la discretio judicii qui suffit pour pécher mortellement. Le Docteur Angélique, cependant, faisait remarquer que pour le consentement conjugal – par lequel, selon l’expression traditionnelle, est instituée une certaine servitude perpétuelle – est requise une discretio plus grande que pour un péché mortel, qui présuppose en vérité un simple consentement pour le présent.[1]

 

Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui où, sous la conduite du magistère du Concile Vatican II, on s’efforce de regarder le mariage dans la plénitude des significations, charges et biens dont il est doté de par l’ordonnancement du Créateur, et où l’on explore plus clairement les justes limites de la maturité nécessaire pour se marier validement.

 

Le texte de référence reste la nome du c. 1095, qui déclare en son 2° : « Sont incapables de contracter mariage les personnes […] qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ».

 

  1. Le défaut de discretio judicii et l’immaturité

 

Parfois cette discretio judicii, proportionnée au mariage, que peut-être a acquise celui qui se marie, peut être déficiente en raison de la survenance de conditions psychiques maladives, qui vicient la coopération correcte des facultés supérieures de la personne, ou bien en raison d’états mentaux même transitoires, résultant par exemple d’un grave traumatisme ou de pressions externes violentes, qui restreignent tellement l’espace de la libre décision délibérée et convenable que le sujet ne peut plus être dit « auteur et acteur » de son consentement matrimonial.

 

Il arrive parfois – hélas assez souvent de nos jours – que celui qui se marie, bien qu’ayant atteint l’âge où la loi présume l’acquisition de la capacité physique et psychique (cf. c. 1083), ne soit pas encore doué de cette maturité humaine dont l’absence fait que la volonté nuptiale, quasiment dépourvue de fondement, ne peut pas produire un lien valide.

 

« On ne doit pas oublier enfin que l’équilibre de l’évolution humaine non seulement est compromis en raison d’un début inapproprié ou d’un arrêt mais qu’il peut s’inverser par une véritable régression à des stades précédents et donc encore moins adéquats »[2].

 

  1. L’IMMATURITÉ PSYCHO-AFFECTIVE

 

  1. Nature de l’immaturité psycho-affective

 

  1. Dans le domaine matrimonial canonique on parle habituellement de l’immaturité psycho-affective pour indiquer le défaut de l’évolution de la personnalité chez celui qui, sous l’aspect strictement intellectif-cognitif, se montre doué d’une vivacité intacte et peut-être subtile, mais qui manque de la capacité de dominer les pulsions des passions et des affects, et donc est empêché de réaliser une évaluation adéquate des motifs qui s’opposent entre eux, ou de prendre une décision délibérée libre d’impulsions internes. En un mot, il est empêché de consentir validement au mariage.

 

  1. Quelques sources de l’immaturité psycho-affective

 

Cette immaturité a plusieurs sources, de genres différents, comme l’enseigne la Jurispru-dence de Notre For, puisqu’elle peut provenir :

« a. de l’immaturité connexe à l’adolescence, qui se distingue cependant de l’immaturité inscrite dans la structure de la personnalité, parce qu’elle a un caractère transitoire et qu’elle est plutôt considérée comme une carence de l’expérience de la vie que comme un défaut radical de la personnalité ou du caractère ;

  1. de traits d’immaturité du caractère lui-même, qui persistent même à l’âge adulte bien que la personne ait atteint l’âge adulte chronologique, et qui marquent d’une certaine faiblesse la capacité de vouloir, d’instabilité et d’inconstance les opinions et certitudes personnelles, d’infantilisme la propre façon d’agir, d’insuffisance la modération des émotions, même s’il n’y a pas nécessairement des signes de désorganisation de la personnalité ;
  2. de la désorganisation de la personnalité dont le principal symptôme est précisément l’immaturité affective, qui se rencontre avant tout dans la personnalité hystérique, paranoïaque, inadaptée, instable dans ses émotions, irresponsable et superficielle sous l’aspect émotionnel ou sociopathique[3], ainsi que dépendante[4]. Elle se distingue des autres immaturités par les signes suivants : instabilité et superficialité de l’affectivité, sensibilité et hostilité exacerbées, carence du sens des responsabilités et de la réalité, et ainsi de suite ;
  3. du contexte d’un retard mental qui montre l’immaturité et qui est multiforme : fixation exagérée sur l’image des parents, besoin d’une très forte protection, grave manque d’autonomie, narcissisme et égoïsme, inaptitude à surmonter les conflits ainsi qu’à établir une profonde relation intersubjective[5]».[6]

 

  1. Quelques manifestations de l’immaturité psycho-affective

 

  1. Dans les écrits de l’éminent psychiatre De Caro on trouve une description claire de certaines manifestations où se reconnaît, surtout sous l’aspect affectif-émotif, l’immaturité de la personne :

– une incapacité d’avoir en son pouvoir les pulsions des affects et des passions, qui non seulement exercent une influence sur la manière d’agir de celui qui se marie, mais ont une incidence sur sa sphère noétique, en changeant en quelque sorte sa faculté critique et estimative ;

– une trop grande sujétion aux excitations hédonistes ou érotiques, qui agressent l’individu de façon imprévue et irrésistible, en se soustrayant à la domination de la volonté et de la raison ;

– un sentiment d’incertitude dans les choix, une tendance à rester dans les schémas affectifs propres à l’enfance, par exemple avec la nécessité prépondérante d’adhésion à l’un ou l’autre de ses parents, le plus communément à sa mère ;

– une difficulté à instaurer des relations interpersonnelles et sociales valides, même dans le domaine du travail, à laquelle le sujet préfère une vie inepte et dépourvue de sens, ou mêlée à de dangereuses expériences érotiques ;

– une incapacité à affronter de nouvelles circonstances qui comportent des efforts d’organisation, et à s’y adapter. Ces nouveautés engendrent anxiété et désordres émotifs ;

– une incapacité ou une non-disponibilité à assumer le mariage comme un lien stable et irrévocable, fondé sur une véritable communauté de vie et une pleine et mutuelle oblativité ;

– une difficulté à transférer ses propres forces émotives de la sphère privée-égoïste (et peut-être narcissique) à la sphère publique-sociale.[7]

 

  1. Les conséquences de l’immaturité psycho-affective sur le mariage

 

Cela dit, il n’y a pas de raison que nous nous attardions sur les attitudes de la personnalité immature dans la décision du mariage. En effet, « dans l’immaturité affective, où l’intelligence reste normale, ce qui est en cause, ce n’est pas le jugement théorique, mais le jugement pratico-pratique, et cela est dû à l’arrêt ou à la régression du développement de la personnalité, par rapport à l’affectivité […]. Le processus délibératif antérieur exige l’oblativité et la responsabilité de l’adulte […]. L’immature affectif, fixé ou retourné à un stade de développement inférieur, célébrera  le mariage avec la motivation d’un adolescent ou d’un enfant »[8].

 

Sans qu’on passe sous silence la coercition de la liberté intérieure qu’éprouve le sujet immature en raison du violent conflit de ses instincts et de ses affects, dont la maîtrise excède totalement ses forces.

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. Selon la norme du c. 1095, 3°, sont incapables de contracter mariage ceux qui sont atteints d’une incapacité d’assumer, pour des causes de nature psychique, les obligations essentielles du mariage.

 

  1. « Acte humain » du contractant et « consentement matrimonial»

 

Dans ce cas, celui qui se marie, qui jouit de l’usage de la raison et peut-être de discretio judicii, peut émettre un « acte humain », qui toutefois ne peut pas être reconnu comme un authentique « consentement matrimonial », puisqu’un consentement valide présuppose et requiert, de la part du sujet, la capacité de mettre à exécution ces obligations qu’il a assumées en exprimant sa volonté de se marier.

 

« A coup sûr, il n’est pas facile de déterminer a priori toutes et chacune de ces obligations. Cependant le critère semble plausible, selon lequel il faut faire appel aux fins du mariage (le bien des conjoints et le bien des enfants) et aux propriétés essentielles du mariage (le bien du sacrement et le bien de la fidélité), tous éléments qu’il est plus facile de déterminer en relation avec un cas concret »[9].

 

Doit donc être déclaré incapable de contracter validement un mariage celui qui, pour des causes psychiques, ne peut construire une relation duelle et paritaire ordonnée au progrès mutuel des époux, à obtenir dans une conjonction perpétuelle et fidèle, ainsi qu’à l’accueil et à l’éducation d’enfants.

 

  1. Immaturité psycho-affective et incapacité d’assumer

 

En raison de ce qui précède, il apparaît à chacun que l’immaturité psycho-affective, bien qu’elle n’atteigne pas une telle vigueur qu’elle enlève chez celui qui se marie la capacité de réaliser un acte humain, peut le rendre cependant incapable, lorsqu’elle est d’un niveau notable, d’assumer et de remplir les obligations essentielles du mariage.

 

En effet, puisque « l’affectivité est un des éléments essentiels de la personnalité humaine », les sujets qui souffrent d’une grave diminution de maturité psycho-affective sont radicalement incapables de porter les charges du mariage : « Il s’agit en effet d’individus qui ne peuvent dominer leurs passions et leurs impulsions, et qui sont incapables d’une véritable donation ; chez eux, l’évolution des instincts, des sentiments, des impulsions, n’atteint absolument pas la maturation. De ce fait, le consentement matrimonial qu’ils donnent est à considérer comme invalide, puisqu’ils sont incapables d’assumer et de remplir les devoirs essentiels du mariage »[10].

 

  1. « Une certaine exception dans la généralité législative de la rédaction du c. 1095 – fait remarquer justement la Jurisprudence de Notre For – se trouve dans la détermination de la cause d’incapacité d’assumer les obligations conjugales (« pour des causes de nature psychique », c. 1095, 3°). Cette indication cependant semble très utile dans l’application de cette norme, parce qu’elle exige du juge qu’il évalue le véritable lien de causalité pour lequel l’incapacité d’assumer est dite exister, de telle sorte que soit mis davantage en lumière s’il s’agit d’une véritable incapacité ou non. Il ne suffit pas en effet d’une simple constatation, même si elle est bien prouvée, du non-accomplissement des obligations conjugales. Cet état de choses peut en effet avoir parfois une tout autre raison, comme par exemple des défauts du caractère, ou, directement, la volonté du conjoint de ne pas remplir ces obligations (en tout ou en partie), en commençant surtout à partir d’une certaine période de la vie commune »[11].

 

L’enseignement du Pape Jean-Paul II ne doit jamais sortir de notre esprit : « Pour le canoniste, le principe doit rester clair que seule l’incapacité, et non pas la difficulté, à donner le consentement et à réaliser une vraie communauté de vie et d’amour, rend nul le mariage […]. On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en présence d’une forme sérieuse d’anomalie qui, de quelque façon qu’on la définisse, doit entamer de manière substantielle les capacités de comprendre et/ou de vouloir de celui qui contracte »[12].

 

  1. LA PREUVE DE L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. Dans la preuve de l’incapacité on doit procéder, de manière habituelle, en commençant par les déclarations des parties et des témoins dignes de foi, qui peuvent décrire l’état mental de l’incapable présumé au moment du mariage, et rapporter de façon précise des signes peut-être évidents de l’évolution inachevée de sa personnalité.

 

« Pour que l’affaire soit davantage débrouillée, vraiment plus subtilement, pour reconnaître le sérieux d’un défaut de discernement ou les causes psychiques d’une incapacité, il faut utiliser les services d’un expert selon le critère du juge (c. 1574 et 1680).

 

Il revient à l’expert d’accomplir sa charge selon les principes d’une saine anthropologie chrétienne, absolument étrangère au matérialisme qui réduit à néant l’esprit de l’être humain, et au déterminisme qui exténue la liberté, des principes qui exigent que l’on accède au psychisme de l’être humain selon la vérité à la lumière de la science.

 

Ensuite, le diagnostic établi par l’expert ne doit pas être accepté immédiatement et sans critique par le juge canonique et encore moins appliqué immédiatement à la nullité du mariage »[13].

 

D’ailleurs il n’appartient pas à l’expert de porter un jugement sur la suffisance – ou l’insuffisance – de la discretio, ou sur l’existence – ou l’absence – de la capacité d’assumer les obligations du mariage : la réponse à ces questions est du domaine exclusif du juge, qui sera aidé par l’expertise dans l’évaluation de la condition psychique du contractant à l’époque où il a émis son consentement, ainsi que dans la mesure de la gravité, de l’origine et de l’influence de l’anomalie par laquelle le sujet est dit privé de la capacité de porter les obligations conjugales.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. Rappel de la biographie du mari partie appelée

 

La mère de Samuel est morte en le mettant au monde et son père l’a abandonné pour se remarier et se consacrer à sa nouvelle famille. L’enfant a été confié à sa tante maternelle qui, avec son mari, l’a élevé. Samuel a été choyé par eux, qui, par ailleurs n’avaient pas de problèmes d’argent. Cette vie facile n’a pas permis le développement de son sens des responsabilités : pour Samuel, tout lui était dû et il se mettait en colère s’il ne pouvait pas avoir ce qu’il souhaitait.

Il a eu plusieurs problèmes de santé. Adolescent il a été soigné pour une dysrythmie et il a pris du Gardénal, qu’on donne pour lutter contre l’épilepsie.

 

Même si avant le mariage il n’a montré aucun signe de maladie psychique, il s’est révélé, dès le début de sa vie conjugale, incapable de remplir les obligations matrimoniales essentielles, et il a fait preuve d’une grave immaturité dans sa conduite. Il a été incapable de subvenir aux besoins de son foyer, sans cesse commençant un travail et l’abandonnant très vite, et il a dû recourir à l’aide matérielle et financière de son beau-père.

 

  1. La personnalité du mari, selon les actes

 

La demanderesse met en lumière le caractère difficile et inconstant de son mari. Elle rapporte un certain nombre de faits relatifs à son enfance, recueillis auprès de la mère adoptive de Samuel, dont une menace de son patron de le licencier en raison de sa désobéissance, son impatience devant les difficultés, et elle n’oublie pas ses infidélités conjugales.

 

La mère de l’épouse parle de l’instabilité émotive de Samuel, de ses changements d’humeur, de sa négligence dans les charges du foyer. D’autres témoins, comme l’oncle de la demanderesse, qui est médecin, ou le frère de Vera, confirment l’instabilité de tempérament du mari, et certains mettent en cause à ce sujet le manque d’éducation dont il a souffert dans sa famille d’adoption.

 

Samuel rejette, pour sa part, toute infirmité psychique, mais il ne présente aucun témoin et sa mère adoptive est morte sans avoir pu être entendue par le tribunal. Toutefois les certificats de crédibilité de la demanderesse et des témoins permettent d’accorder foi à leurs dépositions.

 

  1. Les experts

 

L’expert du 1° degré, le docteur A., reconnaît chez Samuel un trouble de la personnalité avec prédominance de manifestations sociopathiques ou asociales, auquel s’ajoute une immaturité. L’expert semble insister plutôt sur les séquelles de cette immaturité sur la capacité de discernement et de décision délibérée du mari.

 

L’expert de 2° instance, le docteur C., confirme le diagnostic de son confrère, tant en ce qui concerne son désordre de personnalité que son immaturité, et il justifie son jugement en rappelant des événements caractéristiques de la vie de Samuel.

 

En troisième instance, le professeur P.C., effectuant son expertise sur les actes puisqu’il n’a pas pu rencontrer l’intéressé, estime qu’« on ne peut pas, avec une certitude scientifique, affirmer que le mari partie appelée avait un trouble de la personnalité. L’hypothèse alternative est qu’il était simplement oisif, qu’il avait d’autres valeurs que sa femme, qu’il affrontait la vie de façon suffisante : ce style de vie n’est pas nécessairement à associer à un trouble de personnalité antisociale ».

 

Toutefois, l’expert est formel : « il y avait chez lui, de façon sûre, une immaturité psycho-affective », et il confirme sur ce point les analyses des deux psychiatres précédents, après avoir examiné avec soin la biographie du mari.

 

  1. Conclusion

 

De ces trois expertises les Juges tirent la conclusion que l’immaturité du mari partie appelée n’était pas telle qu’elle lui aurait enlevé la possibilité de réaliser un acte proprement humain, c’est-à-dire qu’elle n’a pas causé chez lui un grave défaut de discretio judicii. Toutefois cette immaturité a été la cause de nature psychique en raison de laquelle le mari n’a pas pu mettre à exécution le bien des conjoints et celui des enfants, et respecter l’exclusivité et l’indissolubilité du mariage.

 

L’impossibilité d’évaluer l’état présent de la maturité du mari, en raison de sa contumace obstinée, amène à mettre un vetitum à un nouveau mariage de sa part.

 

 

Constat de nullité

seulement pour incapacité d’assumer

les obligations essentielles du mariage

pour des causes de nature psychique

 

 

Vetitum pour le mari

 

 

Jair FERREIRA PENA, ponent

Giovanni Baptista DEFILIPPI

Robert M. SABLE

 

__________

 

[1] SAINT THOMAS, In IV Sent., dist. XXVII, q. 2,

[2] C. SERRANO, 24 juin 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 360, n. 6

[3] Cf. J.M. AREAVEY, Emotional Immaturity, p. 93 et suiv.

[4] Cf. G.E. VAILLANT-J.ch. PERRY, Personnality Disorders, dans Comprehensive Textbook of Psychiatry, vol. I, Baltimor-Londres, 1985, p. 982 et suiv.

[5] Cf. H. EY-P. BERNARD-Ch. BRISSET, Manuel de Psychiatrie, trad. Ital., 1979, p. 670-671

[6] C. STANKIEWICZ, 11 juillet 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 357, n° 6

[7] Cf. D. DE CARO, L’immaturità psico-affettiva nel matrimonio canonico, dans l’ouvrage collectif L’immaturità psico-affettiva nelle giurisprudenza della Rota Romana, Cité du Vatican, 1990, p. 6

[8] J.M. PINTO GOMEZ, L’immaturità affettiva nella giurisprudenza rotale, dans L’immaturità psico-affettiva nella giurisprudenza della Rota Romana, cité, p. 46-47

[9] C. ERLEBACH, 29 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 680, n. 6

[10] C. BRUNO, 16 décembre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 748, n. 6

[11] C. ERLEBACH, 1° avril 1998, SRRDec, vol. XC, p. 305, n. 9

[12] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, n. 7

[13] C. SERRANO, 9 novembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 724, n. 7

38_Erlebach_4juin2009

Coram  ERLEBACH

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal régional du Latium (Italie) – 4 juin 2009

P.N. 19.794

Constat de nullité

pour défaut de discretio judicii

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. La présomption de capacité consensuelle
  2. Remarques sur la discretio judicii
  3. Remarques sur l’incapacité d’assumer
  4. Les relations entre les n° 1, 2, 3 du c. 1095
  5. Le rôle nécessaire des experts

__________

EXPOSÉ  DES  FAITS (résumé)

 Giuseppe B., né le 9 mars 1932, demandeur, et Francesca C., née le 3 février 1943, partie appelée, ont fait connaissance lorsque celle-ci a épousé le cousin de Giuseppe.

 Francesca est devenue veuve par la suite et la femme de Giuseppe est morte en 1991.

 Les deux parties divergent sur le début de leurs fréquentations. Francesca rendait service dans le soin de la maison de Giuseppe, surtout après la mort de l’épouse de ce dernier. Toujours est-il que, veufs tous les deux, ils se sont mariés le 26 août 1993. La vie conjugale n’a pas été heureuse et, deux mois après leur mariage, Giuseppe et Francesca se sont séparés.

 Désireux de retrouver son entière liberté, Giuseppe, le 7 octobre 1996, s’est adressé au Tribunal régional du Latium, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour exclusion, de sa part, de l’indissolubilité du mariage. Le Tribunal a procédé à l’instruction habituelle, mais alors que le décret de conclusion de la cause avait été prononcé, l’avocate de Giuseppe a demandé l’adjonction de nouveaux chefs de nullité, à savoir le manque de discretio judicii et l’incapacité d’assumer de la part du mari demandeur, ce qu’a admis le Tribunal, en mettant en premier lieu dans le doute concordé les 2 chefs relevant du c. 1095, et de façon subordonnée l’exclusion du bien du sacrement. Un complément d’instruction a donc été fait, au cours duquel une expertise psychologique-psychiatrique sur le mari demandeur a été réalisée.

 Le 22 mai 2001, le Tribunal a rendu une sentence affirmative sur le défaut de discretio judicii et l’incapacité d’assumer.

 L’épouse partie appelée a fait appel à la Rote où le Tour coram Ciani a admis la cause à l’examen ordinaire du second degré et, le 19 octobre 2005, a rendu une sentence négative sur les deux chefs que le Tribunal de 1° instance avait estimé prouvés. Le demandeur a fait appel. En 3° instance, Nous avons à répondre au doute concordé en ces termes : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et/ou pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part du mari demandeur ?». Une nouvelle expertise psychologique-psychiatrique a été exécutée, par examen direct du mari demandeur.

 

EN  DROIT

 

  1. La présomption de capacité consensuelle

 

  1. Les personnes d’âge mûr sont censées être dotées de la capacité nécessaire pour contracter mariage, ce qui est encore plus à présumer chez ceux qui ont connu pendant des années une vie matrimoniale heureuse et qui, devenus veufs, se sont remariés. Toutefois cette présomption n’exclut pas la preuve contraire.

 

La cause efficiente unique du mariage est le consentement des parties (cf. c. 1057 § 1). La doctrine de l’Eglise est très ferme sur le fait que l’institution du mariage est fondée sur la volonté du Créateur, et que le Christ Seigneur « vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement du mariage »[1]. Cependant le mariage n’existe dans le concret que par la volonté des contractants correctement manifestée, pourvu que ceux-ci soient capables. Il n’y a donc pas de sacrement de mariage si manque un consentement juridiquement efficace.

 

Lorsque la validité du mariage est attaquée en raison d’une forme d’incapacité consensuelle, comme dans la cause présente, il faut que soit perçue la capacité des parties au moment de la célébration du mariage controversé. La présomption dont il a été question plus haut, par conséquent, admet la preuve du contraire, et donc c’est au demandeur qu’incombe la charge de prouver l’incapacité actuelle, c’est-à-dire celle qui existait au moment du mariage. Cela, bien que difficile, n’est pas a priori impossible, parce qu’on ne peut pas exclure qu’une personne capable de se marier puisse perdre sa capacité au cours du temps en raison d’une anomalie survenue à une certaine époque, ou en raison d’autres facteurs.

 

  1. Selon la déclaration du Législateur, sont incapables de contracter mariage non seulement ceux qui manquent de l’usage suffisant de la raison, mais encore « ceux qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement » (c. 1095, 2°), et « ceux qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage » (c. 1095, 3°).

 

Les principes du droit et de la jurisprudence sur ces deux figures d’incapacité consensuelle ont été abondamment étudiés. Il n’est donc pas nécessaire de les répéter. Il suffira seulement de faire quelques remarques de grande importance au sujet de l’affaire présente.

 

  1. Remarques sur la discretio judicii

 

La discretio judicii proportionnée au mariage indique non seulement la faculté d’évaluer dans l’abstrait les droits et les devoirs essentiels du mariage, mais encore elle marque la nécessité pour le contractant d’avoir la faculté de porter un jugement pratico-pratique sur le mariage à célébrer ici et maintenant avec une personne déterminée. Toutefois, même si les termes de « discretio judicii » visent plutôt la seule fonction de discernement, ou d’évaluation, qui appartient avant tout mais pas exclusivement à la faculté intellective, la notion de discretio judicii comprend aussi la faculté de faire des choix ou, en d’autres termes, de se déterminer soi-même, par un acte véritablement humain, au mariage qui est proposé. Ce dernier élément relève surtout de la sphère de la volonté et présuppose une suffisante liberté interne.

 

  1. Remarques sur l’incapacité d’assumer

 

Puisque l’incapacité née d’un grave défaut de discretio judicii empêche le sujet de pouvoir émettre un consentement juridiquement valide, même si de fait a lieu la cérémonie du mariage, l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage regarde l’impossibilité du sujet de remplir par la suite les obligations conjugales essentielles. Mais il n’y a incapacité que si quelqu’un, au moment du consentement, n’est pas capable de remplir au moins l’une des obligations vraiment essentielles du mariage. Il est très difficile d’établir le catalogue de toutes et chacune des obligations essentielles. On admet cependant ordinairement qu’il s’agit des obligations qui regardent les fins institutionnelles du mariage, comme le sont le bien des conjoints et le bien des enfants, et celles qui touchent directement les propriétés essentielles du mariage, c’est-à-dire les biens de la fidélité et du sacrement. Il faut toutefois dans chaque cas bien voir si l’obligation, que le contractant, au moment de l’émission de son consentement, n’a pas été capable de mener à bien, doit être considérée comme véritablement essentielle, ou si elle appartient plutôt au mieux-être de la vie conjugale.

 

  1. Les relations entre les n° 1, 2, 3 du c. 1095

 

  1. Fréquemment les docteurs et les juges au for canonique pensent qu’il y a presque une gradation parmi les formes d’incapacité de telle sorte que la première forme énumérée au c. 1095 comporte également une forme ou des formes indiquées dans la suite du canon. Sans aucun doute cela est vrai en ce qui concerne la relation entre le défaut d’usage suffisant de la raison et le défaut de discretio judicii : une personne qui n’a pas l’usage suffisant de la raison ne peut pas, a fortiori, jouir d’une discretio judicii suffisante.

 

Un doute s’applique cependant à la relation entre le défaut d’usage suffisant de la raison et l’incapacité d’assumer, et plus encore à la relation entre le défaut de discretio judicii et l’incapacité d’assumer. Plutôt que de débattre dans l’abstrait, il faut voir la question dans le cas concret, en examinant et les causes de chacune de ces formes d’incapacité, et l’obligation matrimoniale essentielle qui ne peut pas être remplie. Il est vrai que souvent la même cause d’ordre psychique peut donner lieu à l’une ou l’autre des formes d’incapacité, mais il est également vrai qu’il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi dans tous les cas, surtout s’il s’agit d’un effet purement transitoire (comme dans le cas d’une grave intoxication), ou très spécifique (comme dans le cas de l’incapacité hypothétique de réaliser un acte psychologique apte de consentement, en raison d’une imposition faite dans ce qu’on appelle le ‘transhypnotique’). On doit donc voir dans chaque cas si, étant prouvée une incapacité selon le c. 1095, 1° ou 2°, on a également une preuve suffisante d’une incapacité d’assumer (si elle se rapporte à l’objet légitime du jugement). La première ne comporte pas la seconde nécessairement, ou, en d’autres termes, ipso facto.

 

On ne peut pas exclure non plus l’hypothèse de plusieurs causes de nullité, dont une seule rend la personne incapable de réaliser un acte psychologique apte de consentement, tandis qu’en raison d’une autre cause la même personne est incapable d’assumer les obligations essentielles du mariage. Dans ce cas il y a concomitance de deux formes d’incapacité, mais non dépendance de la seconde par rapport à la première.

 

  1. Le rôle nécessaire des experts

 

  1. Comme dans les causes d’incapacité il est très important de déterminer si le contractant avait été affecté, à l’époque du consentement, d’une anomalie d’ordre psychique, et, si oui, quels en avaient été les effets sur les facultés de ce contractant, les expertises, outre les déclarations des parties et des témoins, sont très importantes : « Le juge examinera ces expertises de façon critique, lui à qui revient de se former une certitude morale sur l’incapacité, ou non, d’émettre un consentement valide, puisque, assurément, l’expertise est très utile pour diagnostiquer l’existence, l’origine, la gravité, mieux l’importance, de l’anomalie tant en ce qui concerne le sujet […], qu’en ce qui regarde la construction des relations conjugales, et surtout pour établir son influence, ou non, sur le choix délibéré du mariage »[2]. Pour que soit admise toutefois la conclusion de l’expertise, il est nécessaire qu’il soit « prouvé qu’elle s’accorde avec les actes du procès, qu’elle soit conçue selon une méthode scientifique correcte, qu’elle soit informée d’une saine anthropologie chrétienne et qu’elle n’obéisse à aucun concept matérialiste ni à aucun déterminisme de la personne humaine »[3].

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. La version des faits selon le mari demandeur

 

Les parties en cause ont des positions opposées sur les motifs qui les ont poussées au mariage et celles qui ont conduit à la fin de leur vie commune.

 

Giuseppe déclare avoir mieux connu Francesca au moment de la maladie de sa femme, parce qu’elle venait rendre visite à celle-ci et qu’elle aidait aux tâches ménagères. Comme elle prenait cependant trop de place dans la vie de la maison, Giuseppe, en janvier 1993, mit fin à ses venues.

 

Le 30 avril suivant, la femme de Giuseppe meurt, laissant son mari dans de grandes difficultés matérielles et morales. C’est alors, dit-il, que Francesca a repris ses visites chez lui. Elle était très gentille, mais de temps en temps lui demandait de l’argent. Toujours selon Giuseppe, Francesca, brusquement, lui a proposé de l’épouser, ce qu’il a d’abord trouvé prématuré, d’autant qu’il n’avait aucun sentiment affectif pour elle, mais Francesca a tellement insisté qu’il a accepté le mariage, qui a eu lieu le 26 août 1993.

 

Toutefois, rapporte Giuseppe, des difficultés sont arrivées en raison des exigences financières de Francesca, qui voulait une voiture, un manteau de fourrure etc… parce qu’elle « devait assurer son avenir au cas où je mourrais ». Les prétentions exagérées de Francesca amenèrent Giuseppe à demander qu’elle retourne chez elle.

 

  1. La version des faits selon l’épouse partie appelée

 

La version de Francesca est différente. Elle a connu Giuseppe en 1981, lorsqu’elle a épousé son cousin. Il l’a courtisée mais « j’ai toujours refusé ses attentions ». Arrive la grave maladie de l’épouse de Giuseppe. Selon Francesca, celui-ci lui demande de venir l’aider chez lui, et cette demande se fait très insistante après le décès de sa femme.

 

Francesca ne parle pas de la raison pour laquelle son mariage avec Giuseppe a eu lieu si rapidement après la mort de son épouse, et en ce qui concerne les motifs de leur séparation, elle fait part de sa découverte d’un homme possessif, avare au-delà de toute limite, désagréable dans son comportement avec elle.

 

Qui faut-il croire ? Il semble malgré tout que Giuseppe soit plus crédible que Francesca.

 

  1. L’incapacité consensuelle du mari demandeur

 

Des éléments importants à ce sujet se trouvent dans les actes de la première instruction, lorsque l’objet du jugement était seulement l’exclusion par le demandeur du bien du sacrement.

 

Giuseppe, on l’a dit, a connu de grosses difficultés psychologiques après la mort de sa femme. De nombreux témoins confirment l’abattement moral du demandeur et l’un d’eux déclare : « Je ne crois pas que Giuseppe soit arrivé au mariage avec l’état d’esprit de quelqu’un qui pense former une véritable famille pour toujours. Il était tellement effondré que pour lui tout était bon pour ne pas rester seul ».

 

On voit que l’état psychique du demandeur après la mort de sa femme et juste avant son mariage était perturbé.

 

De plus, ce que raconte Giuseppe sur les manœuvres de Francesca pour qu’il l’épouse et sur son absence totale de réaction à ces agissements laisse un doute sur sa capacité consensuelle, surtout en ce qui concerne la discretio judicii. Il faut donc écouter ce que disent les experts.

 

  1. Les experts

 

  1. En première instance, le professeur B. a examiné le demandeur et a consulté les actes du dossier. Pour l’expert, « le demandeur présentait, au moment de son mariage, un grave état dépressif avec des manifestations psychotiques. Il y avait en outre quelques traits de trouble dépendant de personnalité, […] avec une incapacité d’assumer les décisions quotidiennes et peur d’être abandonné […]. Il n’était pas en mesure, au moment de son mariage, d’exprimer un consentement libre, plénier et responsable ».

 

L’expert souligne les conséquences de l’anomalie du demandeur sur sa capacité d’assumer : « il n’était pas en mesure d’instaurer un rapport interpersonnel authentique, tourné vers la mutuelle donation-acceptation matrimoniale ».

 

On peut se dire que l’expert empiète sur le terrain canonique, mais en fait il répond à la question posée par les juges : « Les parties étaient-elles en mesure d’instaurer un rapport interpersonnel authentique, en réalisant ce qui est prévu aux c. 1055 et suivants », question tout à fait inopportune qui pousse l’expert à entrer dans le domaine canonique.

 

  1. En troisième instance à la Rote, le professeur T. a lui aussi étudié le dossier et examiné personnellement le demandeur. Il serait trop long de reprendre ici tous les éléments de l’expertise, d’autant que le professeur T. confirme substantiellement le rapport de son confrère de 1° instance. Toutefois la seconde expertise montre bien que l’anomalie du demandeur l’a surtout rendu incapable de réaliser un acte de consentement qui soit valide sous l’aspect psychologique, et cela a des conséquences juridico-canoniques sous la forme d’un grave défaut de discretio judicii. On ne peut pas exclure la nullité du mariage pour incapacité d’assumer les obligations matrimoniales essentielles, mais l’expert ne retient pas cette hypothèse et donc il faut s’en tenir au seul défaut de discretio judicii, ce que n’ont pas fait les juges de la 1° instance.

 

  1. A propos de la sentence négative de seconde instance

 

Les Juges de la seconde instance, quant à eux, ont rendu une sentence négative en raison des contradictions entre les déclarations du demandeur et celles de la partie appelée. Certes des objections de ce genre sont fondées, mais si la preuve de la nullité alléguée n’est pas rapportée, il n’est pas requis une certitude morale pour prononcer une sentence en faveur du lien. Toutefois, pour ne pas mettre en péril le salut des âmes, il faut voir s’il y a un espoir raisonnable d’évacuer les difficultés – dans ce cas, on peut toujours faire un complément d’instruction -, mais si cet espoir n’existe pas, il faut trancher en faveur du lien.

 

En cette 3° instance il y a certaines ombres, mais elles ne touchent pas la substance de la cause. Le Tribunal n’a pas à écarter tous et chacun des doutes qui regardent des faits secondaires, c’est-à-dire non juridiques, s’il existe une certitude morale de la preuve d’au moins un chef de nullité.

 

Constat de nullité

seulement pour défaut de discretio judicii

de la part du mari demandeur

 

Vetitum pour le mari demandeur

 

Gregor ERLEBACH, ponent

Jair FERREIRA PEÑA

Giuseppe SCIACCA

 

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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48, § 2

[2] C. SCIACCA, 17 décembre 2004, A. 137/04, n. 12

[3] C. FERREIRA PEÑA, 14 mai 2004, A. 52/01, n. 8

38_DeFilippi_23avril2009

Coram  DEFILIPPI

 Incapacité  d’assumer

 San Diego (Californie/USA) – 23 avril 2009

P.N. 18.892

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LA CAPACITÉ MATRIMONIALE
  2. Caractéristiques du consentement matrimonial
  3. Capacité et incapacité matrimoniale
  4. Note sur l’application du c. 1095 actuel au mariage en cause
  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER DU C. 1095, 3°
  1. UNE VÉRITABLE INCAPACITÉ
  2. « Difficulté » et «incapacité morale »
  3. Capacité « minimale » et capacité « pleine »
  1. L’INCAPACITÉ DU C. 1095, 3° REGARDE LES OBLIGATIONS ESSENTIELLES DU MARIAGE
  2. Les obligations institutionnelles ou intersubjectives
  3. L’obligation de tendre à une mutuelle perfection est-elle une obligation essen-
    tielle ?
  1. L’INCAPACITÉ DU C. 1095, 3° PROVIENT DE CAUSES DE NATURE PSYCHIQUE
  2. Le principe
  3. Deux Troubles de la Personnalité
  4. Ne sont pas des causes de nature psychique…

III. LA PREUVE DE L’INCAPACITÉ

  1. Les principes
  2. Le rôle des experts

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 Gail S. et Matthew C. se rencontrent en 1978 dans une abbaye bénédictine où ils séjour-naient pendant un an comme membres laïcs d’une communauté charismatique. A l’automne 1979, ils quittent l’abbaye et se marient le 17 mai 1980.

 

La communauté conjugale, où naissent trois enfants, se détériore. Après une séparation temporaire en 1992, les époux se quittent définitivement en juin 2001 et ils divorcent.

 

Le 19 août 2001 Gail s’adresse au Tribunal diocésain de San Diego pour obtenir la déclara-tion de nullité de son mariage. Selon le c. 1425 § 4 CIC, le vicaire judiciaire se saisit de la cause en tant que juge unique et définit le doute, qui porte sur l’incapacité du mari d’assumer les obligations essentielles du mariage. Les parties et des témoins sont entendus et un expert commis d’office présente un rapport. La sentence du 14 août 2002 est affirmative.

 

Le mari partie appelée fait appel à la Rote. Le Tour constitué le 31 janvier 2003 admet, le 5 février 2004, la cause à l’examen ordinaire du second degré et reprend le doute défini en 1° instance. La demanderesse est à nouveau entendue et deux expertises sur dossier sont effectuées. Aujourd’hui la cause est à juger au second degré d’instance.

 

EN  DROIT

 

  1. LA CAPACITÉ MATRIMONIALE

 

  1. Caractéristiques du consentement matrimonial

 

  1. Le mariage in facto esse (le mariage – état de vie) naît du consentement des époux comme d’une cause absolument nécessaire et à laquelle on ne peut en aucune façon déroger : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » (c. 1057 § 1).

 

Ce consentement est « l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage » (c. 1057 § 2), c’est-à-dire pour constituer cette institution qui a sa structure objective particulière. En effet, la communauté conjugale « est ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants » (c. 1055 § 1), elle est revêtue des propriétés essentielles de l’unité et de l’indissolubilité (c. 1056), et elle engendre entre les conjoints « un lien de par sa nature perpétuel et exclusif » (c. 1134), en vertu duquel ils s’obligent à des droits et des devoirs égaux et particuliers, qui durent toute la vie, puisqu’il s’agit d’une mutuelle donation, pleine et irrrévocable.[1]

 

  1. Capacité et incapacité matrimoniale

 

Précisément parce qu’il est la cause unique, suffisante et absolument nécessaire du mariage, le consentement des époux, pour être apte à faire naître ces graves effets, ne peut être manifesté qu’entre des personnes qui sont dotées d’une capacité adéquate requise par le droit naturel et le droit positif. En d’autres termes, « il est requis une capacité spécifique des contractants, qui indirectement est affirmée ou se déduit de la triple norme du c. 1095, statuant que sont incapables de contracter mariage les personnes : 1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ; 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage »[2].

 

  1. Note sur l’application du c. 1095 actuel au mariage en cause

 

Bien que le c. 1095 qu’on vient de citer ne se trouve pas dans le Code de 1917 (sous le régime duquel a été célébré le mariage dont la nullité est en cause), le recours au Code actuellement en vigueur est toutefois légitime. En effet, « la norme de l’incapacité consen-suelle reçue dans le c. 1095 explicite les principes du droit naturel qui doivent être consi-dérés comme inclus implicitement dans l’ancien Code »[3], en tant qu’ils étaient extraits de ce principe général : « C’est le consentement qui fait le mariage », et que la Jurisprudence affermie de Notre For les adoptait déjà dans ses jugements, comme on le sait par le Discours à la Rote du Souverain Pontife du 23 janvier 1992 : « La Jurisprudence de ce Tribunal, tout en statuant à l’intérieur des limites infranchissables de la loi divine-naturelle, a su prévenir et anticiper des décisions canoniques […] qui ont été définitivement consacrées dans le Code actuel. Cela n’aurait pas été possible si la recherche, l’attention, la sensibilité portées à la réalité de l’ ‘homme’ n’avaient pas guidé et éclairé le travail jurisprudentiel de la Rote, avec l’aide bien entendu, et l’influence réciproque, de la science canonique et des disciplines humaines fondées sur une anthropologie philosophique et théologique correcte »[4].

 

Comme il est clair, dans notre cas, il faut traiter de la 3° forme d’incapacité sanctionnée dans le canon cité, c’est-à-dire de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage.

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER DU C. 1095, 3°

 

  1. UNE VÉRITABLE INCAPACITÉ

 

  1. Comme on peut le lire dans notre décret du 5 février 2004, il faut remarquer tout d’abord que l’incapacité du c. 1095, 3° affecte les personnes « qui, bien qu’elles soient peut-être dotées d’une discretio judicii adéquate, sont, en raison de leur état psychique, incapables d’assumer ou de remplir les obligations essentielles du mariage. Dans ce cas en effet se vérifie le principe déjà donné dans la très célèbre règle du Droit romain : ‘A l’impossible, nulle obligation’[5], et qui a été repris dans le Droit de l’Eglise : ‘Personne ne peut être contraint à des choses impossibles’ [6]».[7]

 

  1. « Difficulté » et « incapacité morale»

 

  1. « Pour que l’incapacité de contracter mariage existe selon la norme du c. 1095, 3° CIC, il faut d’abord rappeler qu’il doit s’agir d’un état en raison duquel celui qui se marie, au moment de la célébration de son mariage, est réellement moralement incapable d’assumer les obligations matrimoniales essentielles. C’est pourquoi il faut avoir à l’esprit une distinction appropriée entre la ‘simple difficulté’ et ‘l’incapacité morale’, comme l’a enseigné opportunément le Souverain Pontife dans son Discours à la Rote du 5 février 1997 : ‘Pour le canoniste, le principe doit rester clair que seule l’incapacité, et non pas la difficulté, à donner le consentement et à réaliser une vraie communauté de vie et d’amour, rend nul le mariage’ [8]».[9]

 

Il peut arriver en effet que les parties, « après le naufrage de leur mariage, revendiquant leur propre liberté, se forgent, sous l’effet d’une mémoire sélective, de prétendus motifs de nullité, qu’ils appellent ‘incapacités’, mais qui sont plutôt à compter comme ‘difficultés’ »[10].

 

En termes clairs, il doit s’agir d’une véritable incapacité morale « pratique », par laquelle le contractant ne peut pas mettre en pratique une obligation conjugale essentielle, bien qu’il célèbre son mariage avec une intention droite et qu’il veuille remplir les obligations qui en découlent.

 

  1. Capacité « minimale » et capacité « pleine»

 

En outre il faut bien distinguer d’une part la capacité « minimale », qui est requise pour contracter validement le mariage et qui peut coexister avec quelques défauts du caractère et quelques manières de se conduire qui se trouvent presque inévitablement chez ceux qui vivent dans le monde présent, et d’autre part la capacité « pleine », qui est peut-être demandée pour une communauté conjugale tout à fait heureuse, mais qui n’est pas exigée pour la validité du consentement matrimonial.

 

Comme il est juste, il n’y a aucun doute que cette incapacité doit exister, au moins de façon latente, au moment où le mariage est célébré, puisque le mariage in facto esse naît, ou ne naît pas, quand le consentement matrimonial est échangé entre les contractants.

 

  1. L’INCAPACITÉ DU C. 1095, 3° REGARDE LES OBLIGATIONS ESSENTIELLES DU
    MARIAGE

 

  1. En outre l’incapacité doit concerner les obligations essentielles du mariage. Cela signifie : « On doit faire une distinction entre les obligations qui sont assurément essentielles, et les autres qui constituent seulement un complément ou un élément accidentel dans l’alliance conjugale, c’est-à-dire qui n’appartiennent pas à l’être du mariage, mais plutôt à son bien-être »[11].

 

  1. Les obligations institutionnelles ou intersubjectives

 

En conséquence, il s’agit d’obligations seulement institutionnelles ou intersubjectives, qui, en tant qu’obligations de justice, ont un caractère juridique et sont inhérentes aux biens et fins essentiels du mariage, c’est-à-dire aux ordonnancements du mariage[12]. Prises isolément, « ce sont les obligations qui dérivent des trois biens augustiniens – fidélité, procréation, indissolubilité – qui ont toujours été tenus pour caractériser le mariage, puisque le mariage ne peut venir à l’existence sans l’acceptation par le contractant de ce qui est nécessairement impliqué dans ces biens ou sans l’habilité à les vivre »[13]. De même des obligations essentielles du mariage ont leur source dans le bien des conjoints, qui, selon certains canonistes, implique la capacité psychique intrapersonnelle d’instaurer avec le partenaire une relation interpersonnelle au moins tolérable, et « comprend la réception et l’accomplissement de toutes les obligations qui réalisent concrètement l’intime conjonction et intégration des personnes dans l’aide à s’apporter mutuellement dans l’ordre spirituel, matériel et social pour que s’instaure et se déroule pacifiquement et de mieux en mieux une véritable vie conjugale[14] ».[15]

 

  1. L’obligation de tendre à une mutuelle perfection est-elle une obligation
    essentielle ?

 

Un certain nombre d’auteurs toutefois n’acceptent pas de compter, parmi les obligations essentielles qui découlent du bien des conjoints, l’obligation de tendre à une mutuelle perfection spirituelle et affective, c’est-à-dire à l’intégration interpersonnelle des volontés et des affections, parce qu’assurément celle-ci ne présente pas un caractère juridique ou de justice, du fait que « les actes internes et les états de la volonté et de l’affectivité – qui sont également internes – ne sont pas capables d’établir un droit ni un devoir juridique »[16]. De toute façon il faut admettre parmi ces obligations la capacité d’instaurer une relation interpersonnelle au moins tolérable avec son conjoint pour satisfaire l’état de vie conjugale.

 

  1. L’INCAPACITE DU C. 1095, 3° PROVIENT DE CAUSES DE NATURE PSYCHIQUE

 

  1. Le principe

 

  1. Enfin il est requis que l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage provienne d’une cause de nature psychique. En effet, selon le Discours du Souverain Pontife à la Rote, du 5 février 1987 : « On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en présence d’une sérieuse forme d’anomalie »[17].

 

Bref, il faut affirmer que « la cause de nature psychique, requise par la loi pour constituer l’incapacité d’assumer les charges conjugales, se trouve non seulement dans une condition pathologique du contractant, mais également dans toute cause déterminée par les psychologues et les psychiatres dans le domaine de leur science, qui rend le contractant incapable de constituer le noyau de la communauté de vie et d’amour, nonobstant la bonne volonté de la partie »[18].

 

  1. Deux Troubles de la Personnalité

 

Selon la Jurisprudence de Notre For, parmi les causes de nature psychique qui, compte tenu de la nature des indices de ces perturbations (qui sont recensées dans le DSM-V, F 60.5 – 301.4 et F 60.1 – 301.20), peuvent rendre le contractant incapable, surtout en ce qui concerne la prise en charge du bien des conjoints, on range le Trouble obsessif-compulsif de la Personnalité et le Trouble Schizoïde de la Personnalité.

 

Comme il est clair, il revient aux experts en psychiatrie ou en psychologie de définir, dans chaque cas concret, quelles sont ces « anomalies de nature psychique ». En tout cas les Juges de la Rote sont d’accord pour demander la gravité de l’« anomalie psychique » ou de la « perturbation de la personnalité » alléguée.

 

  1. Ne sont pas des causes de nature psychique…

 

« Au contraire, puisqu’elles ne sont pas par elles-mêmes de nature psychique, on ne peut recenser, comme causes d’incapacité de contracter mariage, soit un manque d’éducation, soit une préparation insuffisante au mariage, soit la témérité et l’imprudence dans le choix du conjoint, soit le manque de réflexion et la négligence dans la décision du mariage à contracter et dans la réalisation des charges conjugales »[19].

 

III. LA PREUVE DE L’INCAPACITÉ

 

  1. Les principes

 

  1. Pour que puisse être déclarée la nullité du mariage pour le chef avancé, « il est requis chez le juge la certitude morale au sujet de l’affaire à trancher par la sentence » (c. 1608 § 1) ; « le juge doit tirer cette certitude des actes et des preuves » (c. 1608 § 2), c’est-à-dire par « des preuves de toute nature » qui sont produites comme « utiles pour instruire la cause […] et licites » (c. 1527 § 1).

Comme dans ce genre de causes la vérité ne se découvre que par la voie « inductive », il faut surtout, pour prouver soit la conduite concrète peut-être incongrue du sujet, soit la connexion de cette conduite incongrue avec une anomalie psychique, évaluer les indices qui ressortent des dépositions des parties et des témoins, sans négliger le jugement sur la crédibilité de ceux-ci. De même, s’ils sont apportés, il faut scruter les documents, surtout ceux des médecins, qui se rapportent à l’affaire.

 

  1. Le rôle des experts

 

En outre, « le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts, à moins qu’en raison des circonstances cela ne s’avère manifestement inutile » (c. 1680 CIC et Instruction Dignitas Connubii, art. 203 § 1), puisque l’intervention d’un expert est nécessaire pour diagnostiquer la véritable condition psychique de la partie dont on allègue l’incapacité.[20]

 

Les experts en effet, en étudiant tous les actes de la cause et, si possible, en examinant directement la personne concernée, « doivent découvrir […], selon les règles propres de leur science ou de leur art, et de leur compétence, l’existence de la psychopathologie ou de l’anomalie psychique chez le contractant au moment de la célébration du mariage, son origine, sa nature et sa gravité, et présenter un pronostic »[21].

 

En outre ils doivent mettre à jour, dans le domaine de leur science, sous quel aspect et par rapport à quelles obligations matrimoniales à recevoir ou à remplir, les anomalies découvertes ont affecté le contractant. L’anomalie découverte, en effet, n’est pas par elle-même « cause de la nullité du mariage », mais elle est à l’origine de l’incapacité alléguée de contracter mariage, en raison de laquelle la nullité du mariage est en jeu.

 

C’est pourquoi l’Instruction Dignitas Connubii apporte au juge des indications pour qu’il puisse efficacement profiter du travail des experts : « Le juge ne doit pas omettre de demander à l’expert si l’une ou les deux parties souffraient d’une anomalie particulière habituelle ou transitoire au moment des noces ; quelle était sa gravité ; quand, pour quel motif et dans quelles circonstances elle prit son origine et se manifesta ». En outre, spécialement, « dans les causes pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, l’expert doit rechercher quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage » (art. 209 § 1, et § 2, n. 3).

 

Sans aucun doute « le rôle de l’expert n’est pas de porter un jugement canonique » ; d’autre part « le rôle du juge n’est pas de faire une expertise psychiatrique ». Toutefois le juge « ne doit pas recevoir passivement les conclusions de l’expert »[22]. Le juge en effet, avant d’admettre le rapport d’expertise dans le domaine canonique, doit vérifier si l’expert fonde ses conclusions sur les actes et les éléments de preuve, s’il a réalisé son expertise selon les règles de son art, s’il adhère à l’anthropologie chrétienne, s’il a outrepassé les limites de sa fonction en émettant un jugement, qui ne revient en propre qu’au juge.

 

C’est pourquoi le c. 1579 édicte opportunément : « § 1 . Le juge appréciera attentivement, non seulement les conclusions, mêmes concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause. § 2. En donnant les motifs de sa décision, il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts ».

 

 

EN FAIT (résumé)

 

La cause a été admise à l’examen ordinaire du second degré en raison de difficultés que la nouvelle instruction a permis de lever. Il convient donc de présenter ce qui ressort des dépositions à propos du tempérament du mari et de sa conduite avant et surtout après le mariage, et d’examiner les rapports des experts pour définir quelle a été, au moment du mariage, la condition psychique du mari partie appelée et quelles conséquences en sont résultées.

 

  1. Le tempérament du mari partie appelée

 

Matthew parle de ses parents comme de personnes difficiles à vivre et peu communicatives.

 

Etant enfant, il a développé une maladie qui lui a fait perdre l’œil gauche, ce qui l’a contraint à restreindre ses activités sportives et l’a amené à préférer fréquenter des petits groupes de personnes.

 

Les actes de la cause ne montrent pas qu’il ait été soigné pour des troubles psychiques, mais un certain nombre d’éléments permettent de décrire sa personnalité : introverti, antisocial, enclin à la dépression : à l’époque où il était au séminaire, lorsqu’il était dans une abbaye, plusieurs fois pendant la vie conjugale. Ces dépressions pouvaient durer une semaine, pendant lesquelles « il ne lisait pas, ne parlait pas, ne se rasait pas » (témoignage de la demanderesse).

 

Matthew était très instable dans le choix d’un état de vie : il est allé au séminaire en vue du presbytérat, puis il a séjourné dans une abbaye, puis il a décidé de se marier avec Gail qu’il avait connue dans cette abbaye. Durant son mariage, il a eu une période d’agnosticisme, puis il est retourné vers l’Eglise catholique, mais il a cessé d’aller à la messe lors d’une séparation temporaire d’avec sa femme et maintenant il a le projet d’être bénédictin.

 

Matthew était également très instable dans son travail, selon la demanderesse et les témoins : changeant de métiers, souvent au chômage mais ne faisant rien pour en sortir et retrouver un emploi, et incapable de travailler avec d’autres.

 

Dans sa vie conjugale, Matthew reconnaît lui-même avoir rencontré des difficultés. Son chômage récurrent y jouait un rôle. Il prétendait aussi qu’il ne cherchait pas à avoir un emploi pour pouvoir s’occuper de ses enfants, dont en fait il se désintéressait.

 

Il était très obstiné dans ses opinions. Même en ce qui concerne son mariage, où il admet avoir commis des erreurs, il ne se pose aucune question sur son éventuelle nullité, fort de la doctrine de l’Eglise catholique sur l’indissolubilité du mariage et donc de la nécessité de garder l’unité de la famille, mais ne changeant en rien sa conduite. Autre exemple de cette obstination, il n’a jamais fait un effort pour soigner son fils atteint d’un déficit d’attention de type psychiatrique, car il n’acceptait pas le diagnostic des médecins. Comme le dit un témoin, « Pour Matthew tout était blanc ou noir. Rien n’était gris ».

 

Finalement il ne se préoccupait que de lui-même.

 

Dans les actes se trouvent plusieurs déclarations de psychologues qui, bien que ne traitant pas directement de la condition psychique de Matthew, comportent des éléments « indirects », se rapportant à une époque non-suspecte, puisque ces psychologues sont intervenus pour tenter de résoudre les difficultés surgies entre les époux. L’un d’eux déclare qu’alors que la mère de l’enfant malade s’occupait beaucoup de la thérapie suivie par celui-ci, « Matthew ne s’y intéressait pas et ne supportait pas les soins donnés à son fils ».

 

Un autre psychologue rapporte que Gail avait beaucoup de difficultés avec son mari, en raison du caractère rigide de celui-ci, « spécialement dans l’interprétation de la loi de l’Eglise », de son inconstance dans son travail et de ses dépressions.

 

Comme on le voit, de nombreux éléments décrivent le tempérament et la conduite du mari partie appelée. Il faut demander à des experts de nous éclairer à ce sujet.

 

  1. Les trois expertises « ex officio»

 

Le premier expert (1° instance) voit chez Mattew « outre des épisodes récurrents de Dépression aiguë, des Troubles de la Personnalité II, c’est-à-dire un Trouble de la Personnalité obsessif-compulsif et un Trouble de la Personnalité schizoïde ». Les Juges du Tour Rotal font remarquer que l’expert a fait son examen uniquement sur les actes, c’est-à-dire à partir des dépositions de l’épouse et des témoins, et qu’il a refusé d’examiner directement le mari parce que « les réponses au questionnaire montraient si peu la conduite du mari et sa responsabilité dans l’échec du mariage qu’il était inutile d’interroger celui-ci ».

 

De plus cet expert n’est pas moralement certain que les Troubles de la Personnalité II aient été présents au moment du mariage.

 

Le second expert, à la Rote, a examiné directement le mari partie appelée. Il ne décèle pas chez lui une véritable perturbation psychique, mais seulement des indices ou des « traits de personnalité », qui ne peuvent pas être assimilés à de graves troubles de la personnalité. En conséquence, il ne confirme pas le diagnostic du premier expert.

 

C’est pourquoi il a été nécessaire de consulter un troisième expert.

 

Le troisième expert a examiné les actes de la cause (libelle, dépositions des parties et des témoins ainsi que les deux expertises précédentes et les lettres envoyées par le mari à Notre Tribunal et à la demanderesse). Il estime que le mari souffrait d’un Trouble obsessif-compulsif de Personnalité et d’un Trouble schizoïde de Personnalité, en ajoutant d’autres arguments pour confirmer le diagnostic de la première expertise.

 

Selon ce troisième expert, la perturbation existait avant le mariage et elle est grave, si l’on considère le comportement de Matthew pendant toute la vie conjugale, surtout vis-à-vis de la demanderesse et de ses enfants. « Il était incapable d’accepter la diversité de la personne avec laquelle il se proposait de vivre une existence d’amour et de communion », il était incapable d’assumer le bien des conjoints parce qu’il était « incapable, du point de vue du rapport interpersonnel duel et paritaire avec son épouse, de mener à bien le contenu du contrat matrimonial canonique ». Il en allait de même pour ses rapports avec ses enfants.

 

Lors de la session pour la reconnaissance de l’expertise, l’expert a pleinement confirmé ce qu’il avait écrit sur la perturbation psychique du mari, son antécédence et sa gravité.

 

Le rapport du troisième expert doit être et est pleinement accepté pour la définition judiciaire de la cause présente.

 

Constat de nullité

pour incapacité du mari partie appelée

d’assumer les obligations essentielles du mariage

 

Vetitum pour le mari

 

Giovanni Baptista DEFILIPPI, ponent

Robert M SABLE

Egidio TURNATURI

 

__________

 

[1] Cf. GAUDIUM ET SPES, n. 48 ; Exhortation Apostolique Familiaris Consortio, n. 20

[2] C. TURNATURI, 13 avril 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 348, n. 6

[3] C. SABLE, 22 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 343, n. 4

[4] AAS 85, 1993, p. 143, n. 5

[5] CELSE, D. 50, 17, 185

[6] Regula Juris in VI, 5, 12, 5

[7] Décret d’admission à l’examen ordinaire du second degré, par le Tour Rotal, n. 4, a

[8] AAS, LXXIX, 1987, p. 1457

[9] Décret du Tour, n. 4, b

[10] C. SABLE, 13 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 7, n. 10

[11] C. DORAN, 18 mars 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 176, n. 5

[12] Cf. J. HERVADA, Obligaciones esenciales del matrimonio, dans l’ouvrage collectif Incapacidad consensual para las obligaciones matrimoniales, Pampelune 1991, p. 24

[13] C. BURKE, 13 juin 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 413, n. 5

[14] C. BRUNO, 17 mai 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 390, n. 6 ; cf. c. BOCCAFOLA, 1° décembre 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 739, n. 6

[15] C. STANKIEWICZ, 27 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 105, n. 6

[16] J. HERVADA, ouvrage cité, p. 34

[17] AAS 79, 1987, n. 1457

[18] C. HUBER, 7 novembre 2001, n. 7

[19] Décret du Tour, n. 4

[20] Cf. c. SABLE, 13 décembre 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 655, n. 13

[21] C. TURNATURI, 13 novembre 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 794, n . 12

[22] C. SABLE, 15 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 859, n. 10

38DeFilippi_10juillet2008

Coram  DEFILIPPI

 Exclusion du bien des enfants

Exclusion du bien de la fidélité

 Katowice (Pologne) – 10 juillet 2008

  1. N. 20.029

Constat pour l’exclusion du bien des enfants

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE VÉRITABLE MARIAGE
  1. Action de Dieu
  2. Action de l’homme
  3. La présomption de validité du mariage
  1. LA SIMULATION
  1. Définition
  2. Simulation totale ou partielle
  3. L’acte positif de volonté dans la simulation

III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

  1. Le bien des enfants est un élément essentiel du mariage
  2. Droit aux enfants ou droit aux actes ordonnés à la procréation
  3. Exclusion du droit-devoir ou exclusion de l’exercice du droit-devoir
  4. Les critères de la jurisprudence sur ces deux exclusions
  1. L’EXCLUSION DU BIEN DE LA FIDÉLITÉ
  1. Unité et fidélité, deux notions distinctes
  2. La Doctrine
  3. La Jurisprudence
  4. Exclusion du droit-devoir ou exclusion de l’exercice du droit-devoir

 

  1. LA PREUVE DE L’EXCLUSION
  1. Les critères de preuve
  2. La nécessaire pondération des actes

__________

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 Stéphane P. et Barbara R. font connaissance en 1982. Peu de temps après, Barbara, qui souhaitait avoir une maison confortable, demande à Stéphane de l’épouser. Le mariage civil a lieu le 12 mars 1983 et, sur les instances du mari, le mariage religieux est célébré quelques mois après, le 27 août 1983. Stéphane avait 27 ans et Barbara 26.

 

La vie commune, sans enfant, n’est pas heureuse et connaît l’échec, dont le mari, devant la Justice, rend sa femme responsable pour violation de la fidélité conjugale dès le début de leur union, et pour refus d’avoir des enfants. De fait la vie conjugale est définitivement rompue 11 ans après la célébration du mariage et le divorce est prononcé en novembre 1994.

 

Désireux de retrouver un état normal devant l’Eglise, Stéphane présente le 10 février 1995 un libelle auprès du Tribunal métropolitain de Katowice, accusant son mariage de nullité pour exclusion du bien des enfants et du bien de la fidélité de la part de son épouse. Barbara s’oppose fermement à cette demande, mais refuse de comparaître devant le juge ecclésiastique, ce qui entraîne pour elle une déclaration d’absence du jugement. La sentence du 2 avril 1997 est négative sur les deux chefs allégués et elle est confirmée par le Tribunal métropolitain de seconde instance de Cracovie.

 

Stéphane présente le 24 mars 1998 un recours à la Rote pour obtenir une nouvelle proposition de la cause, qui est acceptée le 12 novembre 1999. Le 25 novembre 2002 le doute est formulé de la manière suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien des enfants et/ou pour exclusion du bien de la fidélité de la part de l’épouse, selon le c. 1101 § 2 CIC ?

 

Il n’y a pas de supplément d’instruction. Le Tour Rotal, le 26 janvier 2007, déclare la nullité du mariage pour les deux chefs allégués, avec un vetitum pour l’épouse.

 

La cause, conformément au c. 1682 § 1, est transmise au Tour Supérieur, c’est-à-dire le nôtre, constitué le 28 mars 2007. Le doute est formulé comme pour l’instance précédente et porte donc sur l’exclusion du bien des enfants et/ou sur l’exclusion du bien de la fidélité de la part de l’épouse partie appelée.

 

EN  DROIT

 

  1. LE VÉRITABLE MARIAGE

 

  1. Action de Dieu

 

  1. Le mariage in facto esse (le mariage-état de vie) a sa propre structure objective particulière, qui le distingue de toute autre institution. Bien plus, le mariage, en ce qui concerne sa constitution objective, « échappe à la fantaisie de l’homme », « car Dieu lui-même est l’auteur du mariage, qui possède en propre des valeurs et des fins diverses »[1]. Cela était déjà solennellement déclaré dans l’Encyclique Casti Connubii : « Rappelons d’abord ce fondement qui doit rester intact et inviolable : le mariage n’a pas été institué ni restauré par les hommes, mais par Dieu ; ce n’est point par les hommes, mais par l’auteur même de la nature et par le restaurateur de la nature, le Christ Notre-Seigneur, que le mariage a été muni de ses lois, confirmé, élevé ; par suite, ces lois ne sauraient dépendre en rien des volontés humaines, ni d’aucune convention contraire des époux eux-mêmes »[2].

 

  1. Action de l’homme

 

  1. D’autre part toutefois, il faut proclamer que le consentement personnel de ceux qui se marient est l’unique, adéquate, absolument nécessaire et sans dérogation, cause efficiente du mariage in facto esse. Car ce principe : « C’est le consentement qui fait le mariage », énoncé par les Romains[3], reçu dans toute la doctrine canonique et théologique et proposé par le Magistère de l’Eglise, est repris dans le c. 1057 § 1 du Code en vigueur : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine ».

 

Le consentement matrimonial est défini pour sa part comme « l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage » (c. 1057 § 2).

 

En conséquence, comme le déclare une sentence c. Sable du 24 février 1995, « d’une part la volonté du Créateur a dès le début circonscrit l’institution du mariage et a défini cette relation spécifique entre l’homme et la femme et l’a distinguée de toutes les autres relations. D’autre part […] la volonté du contractant doit confluer vers le seul et même mariage constitué par Dieu créateur, autrement la volonté se porte sur quelque chose d’autre que le mariage[4] ».[5]

 

C’est pourquoi, bien que ce soit uniquement de la libre décision des époux que dépendent la décision de l’état de vie conjugale, le choix du partenaire avec qui on entend réaliser l’état conjugal, et la manifestation du consentement par lequel le mariage est constitué, toutefois « la nature du mariage est absolument soustraite à la liberté de l’homme, en sorte que quiconque l’a une fois contracté se trouve du même coup soumis à ses lois divines et à ses exigences essentielles »[6]. En d’autres termes, comme Nous l’a rappelé le Souverain Pontife Paul VI dans son Discours à la Rote du 9 février 1976 : « Lorsque les époux échangent leurs libres consentements, ils ne font qu’entrer et s’inscrire dans un ordre objectif, dans une ‘institution’ qui les dépasse et qui ne dépend pas d’eux, ni dans son être, ni dans ses lois propres »[7].

 

Il n’est toutefois pas requis pour constituer le mariage que celui qui se marie examine directement et explicitement tous et chacun des éléments objectifs essentiels et des propriétés du mariage. Il suffit qu’au moins implicitement il les regroupe dans la volonté de contracter mariage avec une intention droite, sans exclure aucun élément essentiel constitutif du mariage ni aucune de ses propriétés essentielles.

 

  1. La présomption de validité du mariage

 

  1. Comme la plupart du temps dans les relations humaines il faut ajouter foi aux paroles et aux signes dont l’homme se sert pour manifester ce qu’il a dans l’esprit, surtout lorsqu’il s’agit de choses de très grande importance comme le mariage, qui engendre de graves effets qui durent toute la vie, le Législateur Suprême de l’Eglise déclare fort opportunément, outre les principes généraux de la présomption de validité de tout acte juridique correctement posé (c. 124 § 2) et de la faveur du droit dont jouit le mariage (c. 1060), et plus spécialement à propos de notre affaire, cette présomption du droit : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1).
  2. LA SIMULATION

 

  1. Définition

 

Cependant, si dans un cas le consentement nuptial qui, en tant qu’unique et absolument nécessaire cause efficiente du mariage, « ne peut être suppléé par aucune puissance humaine », se trouve réellement déficient, le même Législateur Suprême Canonique, comme la conformité entre la condition juridique et la vérité objective sur le statut des personnes apporte beaucoup au salut des âmes, « qui doit toujours être dans l’Eglise la loi suprême » (c. 1752), a statué également en conséquence : « Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2). Dans ce cas il y a simulation du consentement, ou, en d’autres termes, « une dissension entre la volonté interne et sa manifestation externe, c’est-à-dire lorsque ‘autre chose est de faire, et autre chose est de faire semblant de faire’[8] ».[9]

 

  1. Simulation totale ou partielle

 

Cette simulation, comme il ressort du texte cité du c. 1101 § 2, peut être totale ou partielle : « Celui qui simule totalement n’a aucune intention de contracter mariage ; par contre celui qui exclut un bien veut, au contraire, contracter mariage, mais il l’entend comme conçu et établi par lui-même, c’est-à-dire que l’objet du mariage est quelque chose d’autre que l’objet vers lequel, de par sa nature, doit se porter le consentement matrimonial ».[10]

 

  1. L’acte positif de volonté, dans la simulation

 

Selon le c. cité 1101 § 2 CIC, la simulation partielle du consentement n’a lieu que lorsque l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle entre efficacement, en le limitant, dans l’objet même du consentement conjugal, de telle sorte que ce consentement se porte sur un objet substantiellement falsifié. C’est-à-dire, comme Nous l’a rappelé le Pape Jean-Paul II dans son Discours à la Rote du 21 janvier 2000 : « La tradition canonique et la Jurisprudence Rotale, pour affirmer l’exclusion d’une propriété essentielle ou la négation d’une finalité essentielle du mariage, ont toujours requis que celles-ci soient réalisées par un acte positif de la volonté »[11].

 

C’est pourquoi cette « exclusion », pour comporter une force irritante, doit se faire par un acte de la volonté, c’est-à-dire par un acte qui soit : a) « humain », ou, en d’autres termes, qui procède délibérément de l’intelligence et de la volonté ; b) « positif », ou en d’autres termes, qui est posé de façon actuelle ou au moins virtuelle au moment de la célébration du mariage, et donc efficacement connexe au consentement matrimonial, dont il détermine substantiellement l’objet ; c) « ferme », de telle sorte que le mariage soit contracté réellement selon cette détermination de celui qui se marie, et pas autrement.

 

Bref, « dans l’esprit du contractant, pour qu’il y ait simulation […] il faut qu’il y ait, non pas une absence de la volonté de se marier, mais la présence d’une volonté positive d’exclure »[12].

 

Par conséquent il n’y a pas lieu à simulation dans des formes psychologiques qui en réalité ne réalisent pas cet acte positif de volonté, ainsi, par exemple, les simples idées erronées sur le mariage, l’intention purement habituelle, la volonté purement interprétative, une velléité générique, une inclination contraire etc.

 

Comme dans notre cas présent il est question de la nullité du mariage pour double simulation partielle du consentement : exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse partie appelée, et exclusion du bien de la fidélité de la part de cette même épouse, il faut rappeler au moins les principes majeurs du droit qui regardent spécifiquement chacune des deux formes de simulation du consentement.

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

 

  1. Le bien des enfants est un élément essentiel du mariage

 

  1. En ce qui concerne l’exclusion du bien des enfants, il faut remarquer que dans ce cas la simulation du consentement a lieu en raison de l’exclusion de l’un des éléments essentiels du mariage, puisqu’est exclue une de ses fins essentielles. Le mariage est en effet défini dans le Code comme « l’alliance matrimoniale par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints, ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants » (c. 1055 § 1 ; cf. aussi c. 1061 § 1 ; c. 1096 § 1) Le Concile Vatican II enseigne en effet : « C’est par sa nature même que l’institution du mariage et l’amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l’éducation qui, tel un sommet, en constituent le couronnement […]. Un amour conjugal vrai et bien compris, comme toute la structure de la vie familiale qui en découle, tendent, sans sous-estimer pour autant les autres fins du mariage, à rendre les époux disponibles pour coopérer courageusement à l’amour du Créateur et du Sauveur qui, par eux, veut sans cesse agrandir et enrichir sa propre famille »[13].

 

Cette vérité, le Souverain Pontife nous l’a redite récemment : « La possibilité de procréer une nouvelle vie humaine est incluse dans la donation intégrale des époux. Si en effet, toute forme d’amour tend à répandre la plénitude dont il vit, l’amour conjugal a un mode propre de se communiquer : engendrer des enfants. Ainsi non seulement il ressemble mais il participe à l’amour de Dieu qui veut se communiquer en appelant à la vie les personnes humaines »[14].

 

  1. Droit aux enfants ou droit aux actes ordonnés à la procréation

 

  1. Cependant l’ordonnancement du mariage au bien des enfants, en tant que finalité institutionnelle du mariage et donc un de ses éléments essentiels, dont l’exclusion par un acte positif de volonté détermine la nullité du mariage, doit être exposé, au moins brièvement.

 

  1. Tout d’abord il faut déclarer que personne ne peut s’attribuer un droit à avoir des enfants. En effet, « l’enfant n’est pas un , mais un don. Le ‘don le plus excellent du mariage’ est une personne humaine. L’enfant ne peut être considéré comme un objet de propriété, ce à quoi conduirait la reconnaissance d’un prétendu ‘droit à l’enfant’. En ce domaine, seul l’enfant possède de véritables droits : celui ‘d’être le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents, et aussi le droit d’être respecté comme personne dès le moment de sa conception’[15]»[16].

 

Au contraire, « Le mariage ‘donne seulement aux conjoints le droit de poser les actes conjugaux qui sont ordonnés par eux-mêmes à la procréation’[17].[…] Le principe récemment cité nous apporte la certitude la plus grande de la position doctrinale selon laquelle la question du bien des enfants doit toujours être qualifiée et mesurée avec les actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants, c’est-à-dire avec l’acte conjugal »[18].

 

En d’autres termes, « il faut dire qu’il n’est pas nécessaire à l’essence du mariage qu’il y ait une génération d’enfants, mais seulement que les actes conjugaux soient ordonnés à la génération d’enfants »[19].

 

Toutefois, si l’on examine en particulier ce qui est dit soit au c. 1061 § 1, selon lequel le mariage « est ordonné par sa nature » « à l’acte conjugal apte de soi à la génération, » soit au c. 1055 § 1, selon lequel « l’alliance matrimoniale […] est ordonnée par son caractère naturel […] à la génération et à l’éducation des enfants », il faut déclarer aussi que « le bien des enfants embrasse également les effets qui découlent naturellement du droit aux actes conjugaux, c’est-à-dire le droit-devoir à la naissance et à la conservation dans la vie des enfants éventuellement engendrés »[20].

 

  1. Exclusion du droit-devoir ou exclusion de l’exercice du droit-devoir

 

  1. En outre il faut avec soin distinguer d’une part l’exclusion du « droit-devoir » aux actes conjugaux à réaliser « de manière humaine », qui sont ordonnés par eux-mêmes à la procréation, et d’autre part la dénégation de l’« exercice-accomplissement » de ce droit-devoir. Quand en effet le mariage est célébré, il est question des droits-devoirs à donner et à recevoir mutuellement, mais non de leur exercice-accomplissement. C’est pourquoi a une force irritante l’acte positif de volonté qui atteint le droit-devoir, mais pas l’acte de volonté qui regarde simplement l’exercice-accomplissement du droit concédé ou de l’obligation reçue. En effet, « comme l’être d’une chose ne dépend pas de son usage », « le droit et l’obligation aux actes conjugaux peuvent exister bien que l’usage du droit et l’accomplissement de l’obligation, dans le cas concret, soient inexistants […]. Autre chose est en effet de ne pas donner le droit au bien des enfants dans ses principes, et autre chose est de donner ce droit au partenaire avec l’intention de violer ou de ne pas exécuter l’obligation reçue, soit pour un temps déterminé, soit pour un temps indéterminé »[21]. En d’autres termes, « ce qui rend nul le mariage, ce n’est pas le simple défaut d’enfant, mais l’exclusion des enfants ‘dans ses principes’[22], du fait que ‘ne répugne pas à la substance du mariage le non-usage, mais l’impossibilité de l’usage’[23]»[24].

 

  1. Les critères de la jurisprudence sur ces deux exclusions

 

  1. Bien que les principes juridiques soient clairs, il n’est pas facile dans chaque cas de voir s’il s’agit de l’exclusion du droit-devoir, ou seulement de l’exclusion du simple exercice-accomplissement. Quelques critères ont cependant été élaborés par la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique.

 

 

 

Tout d’abord, « de l’exclusion absolue des enfants se conjecture l’exclusion du droit aux actes conjugaux et en conséquence la nullité du mariage […]. Comme on le sait, le contractant qui ne veut le mariage que sans enfant ne peut pas en même temps assumer les obligations substantielles du bien des enfants »[25].

 

Il peut arriver en outre que le simulant allégué, bien que, dès l’époque de la célébration du mariage, il exclue réellement et absolument les enfants, n’informe pas clairement de son intention l’autre partie et les témoins. Dans ce cas cependant on pourra déduire de l’étude des motifs pris tous ensemble et de la conduite constante de cette personne qu’elle a exclu les enfants dès l’époque du mariage et de façon absolue.

 

Quand il s’agit de l’exclusion hypothétique ou temporaire des enfants, il faut faire des distinctions adéquates, parce qu’une telle exclusion peut irriter le mariage si elle atteint le droit, qui « doit être donné et reçu non seulement mutuellement, mais pour toujours »[26].

 

En effet, « même si par eux-mêmes les actes pour la génération d’enfants peuvent admettre une interruption, le droit aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants n’admet d’aucune façon une interruption. C’est-à-dire : le contractant, en donnant son consentement, concède dès lors à l’autre partie la faculté de demander l’acte à accomplir de façon humaine pour exercer ce droit, et cette demande peut être faite sans aucune limite. Le droit, donné dans le consentement, ne peut admettre aucune limitation de la part du contractant, même temporaire »[27]. Par conséquent, « la Jurisprudence Rotale, pacifiquement et constamment, a reconnu et admis que le refus temporaire des enfants, s’il se ramène à une diminution ou une limitation du droit, entraîne la nullité du mariage, puisqu’on a la preuve que le contractant, en raison de sa façon de penser, a rejeté le don du droit et a restreint l’objet du consentement, au moins si et dans la mesure où surviennent certaines circonstances »[28].

 

Semble rejeter le droit celui qui exclut les enfants pour un temps absolument indéterminé, en le liant à l’arrivée d’un événement futur et complètement incertain. « Dans cette hypothèse, lit-on dans une sentence c. de Lanversin du 5 avril 1995, la validité du mariage est anéantie, comme le tient la Jurisprudence de Notre For, à savoir que ‘celui qui, en contractant, se réserve le don du droit si et dans la mesure où se produisent dans l’avenir certaines circonstances, ne donne pas, sans le moindre doute, le droit lors de l’acte de célébration du mariage, et donc restreint l’objet du consentement’[29] ».[30]

 

Au contraire l’exclusion temporaire des enfants, la plupart du temps, si elle montre un simple report à plus tard, à une époque peut-être plus propice, ou à des conditions économiques plus favorables, de travail ou de logement, peut s’accorder avec un don-acceptation correct du droit conjugal. Car « l’exclusion temporaire, selon la Jurisprudence constante de Notre Tribunal Apostolique, fait présumer que les conjoints, par le report à plus tard de la génération, ont entendu repousser seulement l’exercice du droit concédé, qui par lui-même, comme il ressort de la doctrine de la paternité responsable, ne peut infecter le consentement matrimonial »[31].

 

 

 

  1. L’EXCLUSION DU BIEN DE LA FIDÉLITÉ

 

  1. Unité et fidélité ; deux notions distinctes

 

  1. En ce qui concerne l’exclusion du bien de la fidélité, on comprend par là, en pratique, soit l’exclusion de la propriété essentielle de l’« unité » (cf. c. 1056), soit l’exclusion de cet élément essentiel du mariage, qui s’appelle « foi » ou « fidélité ». En effet, comme l’enseigne l’encyclique Casti Connubii, le « bonum fidei » est « la fidélité mutuelle des époux à observer le contrat de mariage, en vertu de laquelle ce qui, à raison du contrat sanctionné par la loi divine, revient uniquement au conjoint ne lui sera point refusé ni se sera accordé à une tierce personne ; et au conjoint lui-même il ne sera pas concédé ce qui, étant contraire aux lois et aux droits divins et absolument inconciliable avec la fidélité matrimoniale, ne peut jamais être concédé. C’est pourquoi cette fidélité requiert tout d’abord l’absolue unité conjugale […]. En outre la fidélité conjugale requiert que l’homme et la femme soient unis par un amour particulier, par un sain et pur amour ; ils ne doivent pas s’aimer à la façon des adultères, mais comme le Christ a aimé l’Eglise »[32].

 

Cependant l’« unité » et la « fidélité » sont proprement des notions absolument distinctes.

 

  1. La Doctrine

 

En effet, « la propriété de l’unité ne coïncide pas avec le ‘bonum fidei’, en tant que l’unité exclut seulement la polygamie simultanée, alors que le ‘bonum fidei’ exclut aussi l’adultère. Techniquement il serait souhaitable […] que les rares cas de nullité qui se vérifient par l’exclusion de l’unité ne rentrent pas dans les cas d’exclusion du bonum fidei, mais soient reçus spécifiquement comme cas de nullité pour exclusion de la propriété essentielle de l’unité »[33]. En d’autres termes, « en raison de l’exclusion de la propriété de l’unité contracte invalidement seulement celui qui se réserve le droit d’avoir plus d’une femme (ou d’un mari), au sens strict de la polygamie […]. Celui qui entend n’avoir qu’une seule femme, si cependant il se réserve le droit de commettre l’adultère ou s’il exclut l’obligation de la fidélité conjugale, contracte invalidement, mais pas pour exclusion de la propriété de l’unité, qu’en réalité il n’exclut pas »[34]

 

  1. La Jurisprudence

 

En ce qui concerne la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique, certes, comme l’écrit avec justesse R. Funghini, jusqu’au « début des annés 60, on prétendait à une certaine égalité entre ‘fidélité’ et ‘unité’. Cette égalité avait entraîné l’affirmation constante qu’il fallait considérer que le bonum fidei n’était exclu que lorsque le contractant, en manifestant son consentement, avait eu l’intention de donner le droit au corps propre aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants, non seulement à son conjoint mais aussi à une tierce personne ou à d’autres personnes, ou, pour le moins, s’était réservé le droit d’avoir des rapports avec une autre personne, en refusant l’obligation d’en avoir seulement avec son conjoint »[35].

 

La Jurisprudence récente de Notre Tribunal Apostolique, cependant, en accord avec la doctrine canonique, après avoir affirmé la distinction entre « unité » et « fidélité », « a mis en lumière, en ce qui concerne l’objet du bonum fidei, l’importance du fait de refuser à l’autre conjoint le droit exclusif, ainsi que celle du fait de concéder un tel droit à une tierce personne. La même chose est dite naturellement pour ce qui concerne l’intention de ne pas accepter le droit exclusif que l’autre personne entend concéder »[36].

 

En somme, « le bonum fidei essentiel, comprend, outre l’unité du lien, le droit et l’obligation mutuelle des conjoints tant à la demande et à l’accomplissement du devoir conjugal, qu’à l’exclusivité de faire les actes propres de la vie conjugale. Ceci s’entend d’une autre façon que dans le bien des enfants, c’est-à-dire non pas comme le droit et l’obligation aux actes conjugaux nécessaires pour propager la vie et donc engendrer les enfants, mais plutôt comme le droit et l’obligation à user de la sexualité de façon exclusive entre les conjoints »[37].

 

C’est pourquoi la Jurisprudence récente a cessé « d’exiger dans l’exclusion du bonum fidei, l’intention de pratiquer une certaine polygamie, puisqu’il suffit pour entraîner la nullité qu’il y ait l’intention, soit de ne pas donner au conjoint ou de ne pas accepter de lui le droit exclusif, soit de rejeter l’obligation de garder la fidélité, soit de limiter le consentement par une restriction qui soit contraire au devoir de garder la fidélité […]. Une telle intention en effet retire quelque chose d’essentiel à l’exclusivité du droit, active ou passive[38], ainsi qu’à l’obligation corrélative, et pose une limite au consentement par rapport à son objet formel essentiel »[39].

 

  1. Exclusion du droit-devoir ou exclusion de l’exercice du droit-devoir

 

  1. Toutefois, quand la nullité du mariage est en jeu pour exclusion du bonum fidei, il faut affirmer nettement qu’il y a une distinction entre l’exclusion de la « fides » comme celle du « droit-devoir » et l’exclusion de la « fides » comme celle de « l’exercice » de ce droit-devoir. Saint Thomas en effet nous avertit clairement que la « fides » peut être considérée de deux façons : l’une, en elle-même, et ainsi elle appartient à l’usage du mariage par lequel le pacte conjugal est gardé, l’autre, dans son principe, et alors pour « fides » on voit le devoir de garder la fidélité. Dans le premier cas, le mariage existe parfois sans fidélité, parce que l’être d’une chose ne dépend pas de son exercice ; dans le second cas, le mariage ne peut pas exister sans fidélité, parce que ce devoir dans le mariage est causé par le pacte conjugal lui-même, de telle sorte que si quelque chose de contraire est exprimé dans le consentement, il n’y a pas de véritable mariage.[40]

 

C’est pourquoi, pour provoquer la nullité du mariage, il est requis que la fides soit exclue « dans ses principes », c’est-à-dire que soient exclus soit le « droit » lui-même, soit l’« obligation » elle-même, et non pas seulement l’« exercice » du droit ou l’« accomplis-sement » de l’obligation. C’est ce que fait non seulement le contractant qui, « dans le domaine de l’acte véritablement marital »[41], donne à une tierce personne quelque droit sur son propre corps, mais aussi celui qui entend donner le droit à son conjoint, mais un droit qui n’est pas exclusif, ou encore celui qui décide de ne donner le droit lui-même à personne, ni à son partenaire, ni à une autre ou plusieurs autres personnes.[42]

 

En conséquence, « le bien de la fidélité n’exclut pas le simple propos de commettre l’adultère, le cas échéant, mais ce qui exclut le bien de la fidélité, c’est le refus ferme et déterminé de faire une donation totale de soi, ou la réserve faite par un acte positif de volonté d’avoir aussi des rapports avec d’autres personnes, selon son propre gré, ou le propos obstiné, en se mariant, de donner pouvoir sur son propre corps à son amant ou sa maîtresse, avec qui le contractant avait noué des relations avant le mariage […]. ‘En effet, lit-on dans une sentence c. Brennan, il y a entrave au bien de la fidélité lorsque les parties se réservent le droit (si l’on peut ainsi parler) de commettre l’adultère. Cela, bien sûr, ne doit pas être compris comme si on donnait un ‘droit’ au délit, mais le ‘droit à l’adultère’ montre plutôt l’intensité de la volonté par laquelle quelqu’un veut, de la même façon, avoir des rapports avec une personne et adhérer pareillement à une autre’[43] ».[44]

 

  1. LA PREUVE DE L’EXCLUSION

 

  1. Les critères de preuve

 

  1. La preuve de cette simulation du consentement (et donc également de l’exclusion des biens des enfants et de la fidélité) est, par nature, difficile. Il s’agit en effet d’un acte interne connu de Dieu seul, et contraire à l’acte manifesté de façon externe quand le mariage a été célébré, alors que dans le Code de Droit Canonique il est déclaré à plusieurs reprises qu’il existe une présomption de validité du mariage (cf. c. 124 § 2, c. 1060 et c. 1101 § 1). Cette preuve cependant, selon les critères reçus et la jurisprudence traditionnelle, est possible si trois éléments se rencontrent et s’unissent : « la confession du simulant, judiciaire et surtout extra-judiciaire, faite à une époque non suspecte à des témoins dignes de foi ; une cause grave et proportionnée de simulation qui, de nature bien distincte de la cause qui a poussé au mariage, prévale de fait sur elle ; des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui rendent la simulation perpétrée non seulement possible, mais probable et bien crédible »[45]

 

Ce schéma cependant doit être adapté au cas sur lequel il faut porter un jugement, parce qu’il s’agit principalement d’une question de « fait », et chaque « fait » a en propre son histoire, sa dialectique, ses personnes et ses circonstances particulières. Cela signifie que le cas est à examiner selon la condition concrète et existentielle dans laquelle se trouvait, au moment du mariage, celui à qui est attribuée judiciairement la simulation du consentement.

 

En outre, dans ce genre de causes qui « en général reposent sur des indices »[46], il faut remarquer que la vérité ne doit pas être tirée de l’un ou l’autre des éléments, mais de l’ensemble des moyens de preuve recueillis, considérés ensemble, qui ne peuvent être interprétés logiquement que si l’on admet la simulation alléguée du consentement.

 

Les moyens de preuve doivent conduire à ce que, « à partir des actes et des preuves », naisse « dans l’esprit du juge la certitude morale au sujet de l’affaire à trancher par la sentence » (c. 1608 § 1 et 2), soit, dans notre cas, au sujet de « l’exclusion du bien des enfants et/ou de l’exclusion du bien de la fidélité de la part de l’épouse partie appelée ».

 

Il revient au juge, principalement, après avoir apprécié tous les moyens de preuve « selon sa conscience » (c. 1608 § 3), de conclure que dans le cas la nullité du mariage est, avec une « certitude morale », prouvée pour les chefs allégués.

 

Cette preuve de la simulation du consentement est sans aucun doute plus difficile si la partie appelée ou bien refuse de comparaître devant le juge ecclésiastique ou rejette ce qu’allègue la partie demanderesse, mais elle n’est pas impossible. Car dans ce genre de cas, « le devoir du juge est d’établir, à partir de l’examen interne des actes, à qui doit être accordée la plus grande crédibilité. Il faut avoir présents à l’esprit, s’ils existent, les témoignages de crédibilité rédigés par des curés ou des prêtres, les dépositions de témoins dignes de foi, ainsi que les faits, circonstances et présomptions qui peuvent être recueillis à partir des fermes moyens de preuve apportés »[47].

 

  1. La nécessaire pondération des actes

 

De toute façon il faut agir avec une pondération diligente sans a priori, pour respecter également l’esprit du Code actuellement en vigueur, qui « peut être considéré comme plus humain, c’est-à-dire tendant à un plus grand respect pour l’homme et sa dignité ». En effet, « les normes codifiées dans le Code de 1983 reflètent une tendance vers un plus grand respect pour la personne dans son ensemble, un plus grand respect de l’humanité profonde de la personne. Le développement représente un respect fondé sur l’authentique ‘charité’ »[48]. Et donc « nous sommes certainement bien loin du précepte de l’art. 117 de l’Instruction Provida Mater : ‘La déposition judiciaire des conjoints n’est pas idoine à constituer une preuve contre la validité du mariage’ »[49]. D’ailleurs ceux qui s’adressent au Tribunal ecclésiastique, « mus exclusivement par des raisons de conscience, savent bien que ne leur apporterait rien une décision judiciaire d’un tribunal de l’Eglise basée ou fondée sur des assertions ne correspondant pas à la vérité »[50].

 

C’est proprement pourquoi, « afin que soit exclu tout différend – autant que faire se peut – entre la vérité accessible dans un procès et la vérité objective, connue par la conscience droite »[51], dans le Code de Droit Canonique, s’il est statué de façon générale à propos des jugements contentieux ordinaires : « dans les causes qui concernent le bien public, l’aveu judiciaire et les déclarations des parties qui ne sont pas des aveux peuvent avoir valeur de preuve ; le juge devra les apprécier en relation avec les autres éléments de la cause ; mais une valeur probante plénière ne peut leur être reconnue à moins qu’il n’y ait d’autres éléments qui les corroborent pleinement » (c. 1536 § 2), il est édicté plus loin, en ce qui concerne proprement les causes de nullité de mariage : « A moins que les preuves n’aient par ailleurs pleine valeur probante, le juge, pour apprécier les dépositions des parties selon le c. 1536, fera appel, si c’est possible, en plus des autres indices et éléments probants, à des témoins sur la crédibilité des parties elles-mêmes » (c. 1679).

 

Cette diligence et cette équité du juge, le « salut des âmes, dont parle le c. 1752 CIC, les demande à coup sûr, mieux il les impose ». En effet « le principe suprême de Notre For postule que ‘la mission du juge dans ce genre de causes est sans aucun doute très difficile. Il serait toutefois injuste que le juge, dont on invoque la science, la prudence et l’équité dans l’administration de la justice, fuît sa responsabilité de juge et, par peur de se tromper, se retourne facilement vers le c. 1060 CIC. D’ailleurs, pour le prononcé d’une sentence, il n’est pas exigé une certitude absolue ou mathématique, il suffit d’une certitude morale, qui, si d’une part elle se distingue de la simple probabilité, parce qu’elle n’admet pas un doute positif et prudent, d’autre part n’exclut pas une crainte prudente de se tromper’[52] ».[53]

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES  GÉNÉRALES

 

Comme il est question dans la cause présente d’une double forme de simulation : par exclusion du bien des enfants et/ou par exclusion du bien de la fidélité, nous pouvons faire des réflexions préliminaires qui concernent à la fois ces deux chefs de simulation du consentement.

 

Tout d’abord l’épouse partie appelée n’a jamais répondu aux demandes du juge pour une déposition et n’a jamais cité de témoins. Par contre le demandeur a avec persévérance, malgré les sentences négatives des deux premières instances, tenté de prouver la nullité de son mariage et il a agi de la sorte pour la paix de sa conscience, puisque le divorce civil avait réglé tous les problèmes matériels. De plus il est présenté par les témoins comme un homme religieux et pleinement crédible.

 

Si l’on regarde le fond de la cause, on voit sans peine, à la lecture des actes, que l’épouse partie appelée était dans une situation favorable à une double simulation. Elle n’était pas pratiquante et, peu de temps après avoir fait la connaissance de son futur mari, elle était, aux dires des témoins, pressée de se marier pour pouvoir avoir une maison plus grande. Elle ne souhaitait d’ailleurs qu’un mariage civil et elle n’a accepté le mariage religieux que pour ne pas déplaire à sa famille et éviter les réflexions des habitants de son village. Des témoins affirment que pour elle le mariage religieux n’avait aucune importance, ils déclarent également qu’elle était une fille facile.

 

Tout ceci montre que la cause éloignée de la simulation est un manque de formation religieuse et morale, et donc un manque de considération pour le sacrement de mariage.

 

Quant à la cause qui a conduit au mariage, c’est le désir d’avoir un certain niveau de vie, avec une maison plus grande, alors que la future épouse n’éprouvait aucun amour pour son mari.

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

Dans la procédure du divorce, l’épouse partie appelée a déclaré au juge civil qu’elle ne voulait absolument pas d’enfant, contrairement à son mari, et que cela avait eu une influence sur la désagrégation de leur vie matrimoniale. Toutefois, cette intention d’exclure les enfants était-elle antérieure ou postérieure au mariage ?

 

Dans sa lettre du 17 février 1995 au Tribunal ecclésiastique de 1° instance, l’épouse semble affirmer qu’elle avait, avant son mariage, constaté que le comportement de son futur mari ne lui donnait pas une garantie de sécurité au cas où elle aurait un enfant, mais elle n’explicite pas en quoi ce comportement l’amenait à une telle opinion. Il reste au moins sa déclaration au juge civil pour le divorce, où l’épouse avait affirmé que, pendant la vie conjugale, elle n’avait absolument pas voulu d’enfant.

Le mari demandeur, de son côté, a dit clairement, au juge civil et au juge ecclésiastique, que sa femme ne voulait pas d’enfant, mais devant chacun des juges il n’a pas précisé si l’intention de son épouse contre le bien des enfants existait avant le mariage ou ne s’était manifesté qu’après le mariage. Les détails très réalistes qu’il cite concernant ses relations conjugales et les moyens qu’y prenait son épouse pour éviter d’être enceinte n’apprennent rien sur l’époque où celle-ci aurait décidé de ne jamais procréer.

 

Les témoins n’ont appris le refus absolu de l’épouse d’avoir des enfants qu’après le mariage. Toutefois ils ont compris, pour l’avoir entendu soit de l’épouse elle-même, soit du mari demandeur, qu’il ne s’agissait pas d’un simple report à plus tard de la génération, mais d’une exclusion absolue de celle-ci. La mère, le père, l’oncle du demandeur sont très nets sur ce point, comme deux autres témoins.

 

Le problème reste entier : l’intention de l’épouse contraire au mariage est-elle une intention prématrimoniale, ou postmatrimoniale ?

 

L’épouse elle-même a montré que son intention était fondée sur sa mentalité personnelle : sa carrière professionnelle, le soin de son corps, le travail causé par l’éducation et le soin des enfants, le désir d’une vie sans souci superflu, et donc que ses raisons n’étaient pas apparues après son mariage, mais qu’elles étaient dans son esprit avant le mariage. La cause de la simulation n’est pas affaiblie par la cause qui a poussé au mariage puisque l’épouse n’éprouvait pas d’amour pour son mari, mais souhaitait arriver à ses propres fins.

 

Bien que la vie conjugale ait duré presque onze ans, et bien que son mari ait souhaité avoir des enfants, l’épouse n’a jamais renoncé à son intention d’exclure absolument toute naissance et ce ferme refus, comme elle l’a déclaré devant le juge civil, a eu une influence sur la désagrégation de sa vie matrimoniale. Bref, par son obstination à refuser des enfants, l’épouse a montré qu’elle préférait ruiner son mariage plutôt que d’accéder aux désirs de son mari.

 

De l’ensemble des éléments de preuve, les Pères Auditeurs soussignés déclarent prouvée la nullité du mariage pour exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse partie appelée.

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DE  LA  FIDÉLITÉ

 

Les témoignages sur ce chef de nullité ne suffisent pas à prouver l’exclusion de la fidélité conjugale « dans ses principes » qu’aurait réalisée l’épouse au moment de son mariage :

 

– Personne n’a jamais entendu l’épouse parler explicitement contre l’obligation de la fidélité conjugale.

– Bien que l’épouse ait été une fille facile avant son mariage, personne ne l’accuse de libertinage après son mariage.

– Les époux ont vécu chastement avant leur mariage et ils n’ont eu de rapports conjugaux qu’après leur mariage.

– Certes certains témoins parlent d’un certain Monsieur M., que connaissait l’épouse avant son mariage et qu’elle aurait continué à fréquenter après son mariage, mais rien ne prouve qu’ils aient été amants.

– Les témoins ne prouvent pas l’infidélité de l’épouse après son mariage.

 

Bref, la preuve de l’exclusion du bien de la fidélité par l’épouse partie appelée n’est pas rapportée.

 

 

Constat de nullité

seulement pour exclusion du bien des enfants

de la part de l’épouse partie appelée

 

 

Vetitum pour l’épouse

 

 

Giovanni Baptista DEFILIPPI, ponent

Robert M. SABLE

Egidio TURNATURI

 

__________

[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 § 1

[2] 31 décembre 1930, AAS 22, 1930, p. 541

[3] D. 35, 1, 15 ; D. 50, 17, 30

[4] Cf. DE LUGO, De justitia et jure, disput. XXII, n. 361

[5] C. SABLE, 24 février 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 166, n. 2

[6] Encyclique Casti Connubii, AAS 22, 1930, p. 541

[7] AAS 68, 1976, p. 207

[8] ULPIEN, D. 14, 9

[9] C. TURNATURI, 1° mars 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 170, n. 9

[10] C. TURNATURI, 14 décembre 2006, 166/06, n. 10

[11] AAS 92, 2000, p. 352, n. 4

[12] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1968, p. 92

[13] GAUDIUM et SPES, n. 48 et 50

[14] Message au Congrès international pour le 40° anniversaire de l’encyclique Humanae Vitae, Osservatore Romano, 4 octobre 2008, p. 1

[15] Instr. Donum vitae, 2, 8, AAS 80, 1988, p. 97

[16] Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2378

[17] Instr. Donum vitae, n. 1

[18] C. POMPEDDA, 3 juillet 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 583, n. 3

[19] C. SABLE, 29 mai 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 443, n. 7

[20] C. HUBER, 1° juillet 1998, Sent. 71/98, n. 5

[21] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 300, n. 19

[22] S. THOMAS, Suppl., q. 49, art. 3

[23] BENOÎT XVI, De Synodo diocesana, XIII, 22, 11

[24] C. FUNGHINI, 22 février 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 132, n. 4

[25] C. POMPEDDA, 19 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 495, n. 5-7

[26] C. FUNGHINI, 15 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 282, n. 4

[27] C. SABLE, 14 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 595, n. 8

[28] C. TURNATURI, 20 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 57, n. 9

[29] C. BRENNAN, 14 octobre 1966, SRRDec, vol. LVIII, p. 724, n. 3

[30] C. de LANVERSIN, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 255, n. 8

[31] C. BRUNO, 1° février 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 68, n. 5

[32] AAS 22, 1930, p. 546 et 548

[33] U. NAVARRETE, I beni del matrimonio : elementi e proprietà essenziali, dans l’ouvrage collectif La nuova legislazione matrimoniale canonica, Cité du Vatican, 1986, p. 94

[34] U. NAVARRETE, De jure ad vitae communionem, Periodica LXVI, 1977, p. 250

[35] R. FUNGHINI, L’esclusione del bonum fidei, dans l’ouvrage collectif La simulazione del consenso matrimoniale, Cité du Vatican 1990, p. 139 sq.

[36] M.F. POMPEDDA, Il consenso matrimoniale, dans l’ouvrage collectif Il matrimonio nel nuovo Codice di Diritto Canonico, Padoue 1984, p. 77

[37] C. FUNGHINI, 25 novembre 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 686, n. 3

[38] Cf. c. de JORIO, 26 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 205, n. 4

[39] C. STANKIEWICZ, 26 mars 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 145, n. 7

[40] Cf. SAINT THOMAS, III, Suppl., q. XLIX, art. III

[41] C. POMPEDDA, 26 novembre 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 719, n. 6

[42] Cf. c. COLAGIOVANNI, 16 octobre 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 536, n. 8

[43] C. BRENNAN, 28 juin 1954, SRRdec, vol. XLVI, p. 521, n. 3

[44] C. FUNGHINI, 24 mai 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 315, n. 6

[45] C. TURNATURI, 20 octobre 2005, sent. 104/05, n. 16

[46] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 297, n. 7

[47] C. BRUNO, 19 décembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 734, n. 6

[48] M.F. POMPEDDA, Decisione-sentenza nei processi matrimoniali, dans Studi di diritto processuale canonico, Giuffré, Milan 1995, p. 184

[49] M.F. POMPEDDA, Verità e giustizia nella doppio sentenza conforme, dans l’ouvrage collectif La doppio sentenza conforme nel processo matrimoniale, Cité du Vatican 2003, p. 15

[50] Même endroit

[51] Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur l’admission à l’Eucharistie des divorcés-remariés, 14 septembre 1994, AAS 86, 1994, p. 492, n. 9

[52] C. BRUNO, 30 mai 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 356, n. 9

[53] C. SABLE, 2 avril 1998, SRRDec, vol. XC, p. 315, n. 7 ; cf. aussi c. TURNATURI, 1° mars 1966, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 176, n. 17

Verginelli 14/12/2009

Coram  VERGINELLI

 Défaut de liberté interne

 Porto-Rico – 14 décembre 2009

P.N. 16.639

Non Constat

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. Note sur la nature du libre arbitre
  2. Le consentement matrimonial et les facultés supérieures de l’homme
  3. Le défaut de discretio judicii
  4. Le défaut de liberté interne et le canon 1095, 2°
  5. Les juges et leur examen du consentement des contractants

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

En 1956, Gloria R., âgée de 15 ans, fait la connaissance de José V., de 3 ans son aîné. Les jeunes gens sympathisent, se fréquentent, se fiancent et ils se marient le 1° février 1964. Le mariage est heureux au début, puis rencontre des difficultés, qui aboutissent au divorce, prononcé en 1977.

 

Le 2 août 1990, Gloria demande au Tribunal Métropolitain de Porto-Rico de déclarer la nullité de son mariage pour manque de liberté interne de sa part. Le mari s’oppose fermement à cette cause, qui aboutit à une sentence négative le 28 août 1991.

 

En appel, le Tribunal Supérieur, le 10 septembre 1993, rend une sentence affirmative. Les deux sentences n’étant pas conformes, la cause est transmise à la Rote où les retards s’accumulent, faute d’intervention de la demanderesse. Finalement le Tour décide de mettre un terme à cette négligence de l’épouse et de son avocat, et prend, le 14 décembre 2009, la décision suivante sur le chef de manque de liberté interne de la part de la demanderesse. Une expertise avait été réalisée.

 

*     *     *

 

EN  DROIT

 

  1. Note sur la nature du libre arbitre

 

  1. La liberté d’agir pour chaque personne est un don inestimable, comme tous le reconnaissent, du fait que la contrainte interne ou externe rend nul l’acte de la volonté.

 

Le don du libre arbitre, ou faculté de la liberté, est quelque chose en l’homme qui le distingue des bêtes et qui l’assure pour accomplir un acte, tandis que le défaut de liberté, du fait de la contrainte, contrarie un jugement serein chez la personne en ce qui concerne ses facultés supérieures, dans la réalisation d’un acte véritablement humain.

Ceci peut se produire dans une famille, pour les enfants et pour les personnes soumises à des supérieurs légitimes.

 

L’homme – la personne – considéré dans ses fonctions sociales dans lesquelles il est ontologiquement imbriqué est, en raison de ses facultés psychologiques intellectives, par lesquelles il accomplit, surtout à l’âge de la maturité, des actes juridiques psycho-physiologiques comportant une certaine gravité, une créature qui, dans le monde physique actuellement connu, a la capacité maximale de prendre des engagements.

 

La personne, donc, manifeste les facultés supérieures de son esprit par l’exercice de l’intelligence et de la volonté.

 

  1. Le consentement matrimonial et les facultés supérieures de l’homme

 

  1. Dans l’Eglise quelqu’un devient une personne avec tous ses droits et ses devoirs par le baptême, et c’est pourquoi il peut recevoir le don du sacrement du mariage, à moins que, appartenant à une autre religion, il soit dispensé, c’est-à-dire admis à émettre un consentement, et, après avoir pris des engagements, qu’il soit apte à assumer les obligations conjugales avec la partie catholique pour contracter mariage.

 

Dans le cas du mariage, donc, le lien sacré est le centre de la communauté nuptiale qui dépend de l’habilité des personnes de sexe différent qui contractent.

 

Il reste certain que sans les personnes le lien, et donc le mariage, ne peut pas se constituer, mais au centre du mariage il y a toujours le lien qui provient, se constitue et surgit – ou non – du consentement valide émis simultanément par les contractants.

 

En cas de consentement invalide, en effet, le mariage ne peut pas exister.

 

Toutefois les facultés supérieures peuvent également être viciées chez l’homme par des anormalités entraînant des désordres, dans la mesure où celles-ci ne permettent pas aux facultés de la personne de s’acquitter de leurs missions et de remplir leurs rôles, et même de mettre en œuvre la liberté.

 

Ces éléments, s’ils sont sains, servent à garder l’ordre correct en ce qui concerne l’émission du consentement nuptial.

 

  1. Le défaut de discretio judicii

 

  1. C’est pourquoi il y a incapacité de consentement matrimonial chez la personne de l’un et l’autre sexe quand est insuffisant l’usage de la raison, que la discretio judicii pré-requise pour la perception des obligations essentielles du mariage est atteinte psychiquement, et aussi que la prise en charge des devoirs conjugaux essentiels ne peut être faite par la personne qui contracte (c. 1095 CIC).

 

Il est certain que, lorsque cette anomalie psychique n’est pas détectée, et que la raison de la nullité du consentement et de là celle de la nullité du contrat nuptial ne sont pas découvertes, le lien sacré demeure inchangé.

 

Si l’anomalie est détectée, il revient au juge d’estimer sa gravité afin de parvenir à sanctionner la validité ou la nullité du lien du mariage accusé de nullité.

 

D’ailleurs certaines impulsions, par elles-mêmes – comme les fausses convictions invétérées de la loi morale, les institutions, les caractères, les éléments touchant la vie de la personne individuelle et ses actions particulières – ne peuvent pas entraver la façon d’agir et de se déterminer de la personne, et donc on peut douter que ces impulsions, sans qu’on ait trouvé une anomalie psychique certaine, aient pu vicier purement et simplement l’acte du consentement.

 

La liberté interne, surtout, ne se laisse pas non plus vaincre facilement par des impulsions, qui la plupart du temps touchent des aspects secondaires de la décision, à moins que ne fasse obstacle une désorganisation psychique grave qui obscurcit la discretio judicii fermement requise et adéquate, en relation aux obligations essentielles du mariage.

 

Peut-être personne ne faisait-il attention – sauf par des indices existant parfois dans la jurisprudence rotale et qui provenaient d’une évaluation soigneuse du droit naturel – à la distinction, sauf de façon confuse, entre les fonctions de l’intelligence et de la volonté vers les années 60 du siècle dernier.

 

  1. Le défaut de liberté interne et le canon 1095, 2°

 

  1. On a longtemps débattu sur la question de savoir si les mariages ou les liens contractés avant la promulgation du nouveau code pouvaient, en ce qui concernait leur éventuelle nullité, être traités selon la norme du c. 1095 CIC. La coutume prévalut ensuite que cet examen était licite et valide sous l’aspect de ce canon, du fait qu’il s’agissait plutôt de la loi naturelle que de la loi positive, et que la loi positive du canon indiquait clairement la loi naturelle.

 

Le nouveau code de droit canonique a marqué une très grande distinction entre les fonctions de l’intelligence et de la volonté (c. 1095 CIC) en relation au consentement matrimonial.

 

En effet, le défaut de liberté interne chez le contactant est lié au c. 1095, 2° CIC, de telle sorte que quelqu’un qui, au cas où la détermination de son esprit ne s’est pas faite entre plusieurs indices lors de sa décision de célébrer ou non le mariage avec une personne déterminée, demeure indécis et choisit cette personne en raison d’une propension interne sous la pression de personnes ou de circonstances – étant admise une anomalie psychique chez la personne qui décide – peut contracter mariage invalidement.

 

L’intelligence en effet met en lumière dans ses qualités particulières l’autre personne qui contracte le mariage, et sauf si cette intelligence se forme un jugement synthétique, elle ne parvient jamais au choix de cette personne pour le mariage. La faculté intellective, donc, qui est privée de la fonction synthétique par une grave anomalie psychique, porte en elle-même un défaut de discretio judicii ou de liberté interne en raison d’un défaut de la faculté délibérative synthétique.

 

Il y a en effet des cas où les célibataires ou les nubiles ne parviennent jamais à choisir des personnes qui leur soient adaptées pour contracter mariage – certains choisissent très tard, même en dépit de leurs propres désirs – du fait que leur jugement s’attarde seulement sur l’estimation des qualités des personnes avec lesquelles ils n’ont noué aucune amitié et pour lesquelles ils n’ont ressenti aucun amour.

 

  1. La jurisprudence au cours des temps s’est efforcée de placer des bornes dans la grave lésion de la faculté intellective dans son propre exercice de pondération, lésion provenant d’une perturbation psychique au moment de la célébration du mariage.

 

Ce n’est dont pas le lien à contracter que lèse le consentement en raison de la charge difficile qui lui est propre – parce que le lien conjugal ne peut pas admettre une anomalie psychique, ce qui serait ridicule – mais c’est la personne qui contracte affectée d’une anomalie psychique qui lèse le consentement dirigé vers la constitution d’un lien conjugal.

 

Ceux qui vont se marier doivent, au milieu de circonstances variées, se déterminer à faire une alliance. S’ils ne peuvent pas se déterminer entre divers choix, c’est qu’ils sont réellement affectés par une anomalie psychique, la plupart du temps quand, même sous une légère pression des parents, ils devraient choisir entre plusieurs genres de pacte. En effet le concubinage des époux est un pacte entre eux, même s’il n’est pas légal, c’est-à-dire n’engendre pas un lien matrimonial.

 

  1. Les juges et leur examen du consentement des contractants

 

  1. Les Juges ecclésiastiques, en ce qui concerne le mariage, ne regardent pas la chose sacrée, sinon indirectement, du fait qu’ils considèrent le pacte en lui-même sous l’aspect du consentement en relation aux personnes des contractants.

 

Les personnes des contractants sont examinées sous l’aspect du lien qui naîtra et de l’existence ou validité de l’alliance matrimoniale. C’est quelque chose de central en ce qui concerne les attitudes personnelles, même si l’on pourrait prétendre que sans habilité dans les personnes le lien de l’alliance ne pourrait pas être créé.

 

Et le fait que les facultés supérieures chez les personnes qui contractent le lien doivent être saines se déduit objectivement, et non subjectivement, des conclusions des expertises, qui se fondent sur l’examen des personnes, même réalisé par des tests, et par des témoignages recueillis sur la jeunesse de la personne frappée par une anomalie.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

 

Dès leur adolescence, Gloria et José se connaissaient et ils se fréquentaient sous l’œil vigilant du père de Gloria qui, selon elle, « était autoritaire et sévère, et chassait tous (mes) prétendants ». Ces fréquentations ont duré 8 ans, sans que la famille de José hâte les fiançailles.

 

On peut comprendre que le père de Gloria ait veillé sérieusement sur ses filles, car selon Gloria, il ne lui reconnaissait « aucun atome d’intelligence » et il la considérait comme « incapable » devant la vie. Il est certain que les parents de Gloria ne l’ont pas poussée à se marier et il est possible que cette attitude ait suscité une révolte de Gloria et donc un manque de liberté interne.

 

Le père de Gloria l’a mise en garde lorsque celle-ci est partie en Suisse pour ses études et cependant il ne s’est pas opposé à ses intentions relatives à José. Gloria ayant ensuite séjourné en Amérique, elle n’a pas subi de pressions de la part de son père, puis, ayant pris de l’âge, elle s’est émancipée de la volonté de celui-ci, surtout en ce qui concerne sa décision d’épouser José.

 

Le mari partie appelée a déclaré devant le Tribunal d’appel que les deux familles étaient d’accord pour sa relation avec Gloria, qu’ils se sont mariés religieusement parce qu’ils croyaient au mariage religieux, qu’ils se sont mariés librement, en connaissance des devoirs du mariage, avec la ferme détermination de faire une union pour toute la vie, et de fonder un foyer et une famille.

De son côté Gloria a déclaré en seconde instance : « Je me suis mariée librement, sans pression de la part de mon père », ce qui est étrange puisque son père n’a pas fait pression pour qu’elle se marie, mais plutôt pour qu’elle ne se marie pas. La sentence de la seconde instance se met alors en contradiction avec la demanderesse lorsqu’elle déclare que Gloria manquait de discretio judicii et qu’elle n’avait pas la liberté interne nécessaire pour émettre son consentement matrimonial. Certes, dit la sentence de seconde instance, il n’y avait pas de coaction externe, mais une « pression émotionnelle ».

 

Cette « pression émotionnelle » avait été décrite par les experts : « Gloria ne se sentait pas aimée dans sa famille et elle n’était pas acceptée parce qu’elle n’était pas un garçon […]. Elle n’avait pas confiance en elle […]. Elle n’a jamais pu se libérer de sa dépendance vis-à-vis de son père et de l’ingérence de celui-ci dans sa vie […]. Elle n’a jamais eu la possibilité d’évaluer d’autres alternatives et elle s’est libérée du problème par le mariage ».

 

Les experts toutefois, remarquent les Juges du Tour Rotal, n’ont pas décelé de véritables et graves anomalies ou désordres psychiques chez la demanderesse.

 

En conclusion on ne peut admettre un manque de liberté interne chez l’épouse ni des pressions de son père relatives au mariage qui lui auraient fait perdre sa liberté interne.

 

 

Non constat de nullité

pour défaut de liberté interne

chez l’épouse

 

 

Giovanni VERGINELLI, ponent

Josef HUBER

Jair FERREIRA PENA

 

__________

 

Turnaturi 25/02/2010

Coram  TURNATURI

 Condition

 Tribunal régional du Latium (Italie)

25 février 2010

P.N. 20.846

Constat de nullité

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

 

  1. POSITION DU PROBLÈME
  1. Opposition au mariage sous condition
  2. Mais la réalité oblige à tenir compte de la condition dans le mariage

 

  1. ÉTUDE DE LA CONDITION

 

  1. NATURE DE LA CONDITION
    1. La condition dans la volonté du contractant
    2. Le mécanisme du consentement conditionnel
    3. La circonstance prévalente dans la condition potestative

 

  1. LA CONDITION POTESTATIVE : CONDITION DE FUTURO OU DE PRAESENTI ?
    1. Partisans de la conversion de la condition de futuro en condition de praesenti
  1. Ferraro
  2. Gugliemi
  3. Massimi
  4. Mattioli
    1. Opposants à la conversion
  1. Moneta
  2. Canals
  3. Parillo
    1. Condition potestative de futuro et promesse
  1. De Jorio
  2. Serrano
  3. Pompedda
  4. Moneta

 

III. LE NOUVEAU CODE ET LA CONDITION DE FUTURO

 

  1. LA PREUVE DE LA CONDITION

 

__________

Note du traducteur

 

La définition des diverses conditions, dans la Doctrine et la Jurisprudence canoniques, étant parfois imprécises, il a semblé utile de citer celles données dans Jus Gentium, par Gabriel Seignalet, sous le titre : Les clauses « de condition » dans un contrat : suspensive, résolutoire (voir adresse Internet au bas de la page 1 de Seignalet).

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS

 

            Enrico R. (appelé Arrigo), né le 24 mai 1941, fait en 1975 la connaissance d’Adriana F., née le 7 mars 1945. Après deux ans de fiançailles, qui semblent avoir été heureuses, ils se marient le 24 septembre 1977.

 

            Après un voyage de noces au Mexique, les époux s’installent à Rome. Un enfant vient au monde. La vie conjugale se détériore, d’une part à cause de problèmes économiques, et d’autre part en raison de la conduite du mari qui, selon son épouse, avait de longues absences à l’étranger, à cause de son travail, et en plus se désintéressait totalement de l’achat et de l’aménagement d’une maison conjugale stable alors qu’il s’y était engagé avant le mariage.

 

            Ce désintéressement devient si pénible pour l’épouse que celle-ci demande (8 juillet 1987) et obtient (6 juin 1994) du Tribunal Civil de Rome la séparation d’avec son mari, avec une pension alimentaire à verser par celui-ci à sa femme et à son fils, et une réglementation de son droit de visite à ce dernier.

 

            Pendant le procès civil, le mari présente au Tribunal ecclésiastique du Latium un libelle demandant la déclaration de nullité de son mariage pour un double chef, à savoir une condition mise par son épouse et non vérifiée ainsi que l’exclusion du bien du sacrement de sa propre part. Le libelle est admis le 4 février 1995.

 

            La sentence du 29 septembre 1997 reconnaît la nullité du mariage pour les deux chefs présentés. En appel à la Rote, le Tour, le 26 novembre 1998, ne confirme pas la sentence de 1° instance et admet la cause à l’examen ordinaire du second degré, pour la raison que « l’exposition des motifs par la sentence en appel prend en compte davantage la position du demandeur que l’évaluation objective et équitable des preuves ». Après une nouvelle audition de l’épouse, le Tour Rotal, le 13 décembre 2001, rend une sentence contraire aux souhaits du mari, tant en ce qui concerne la condition apposée par l’épouse partie appelée qu’en ce qui regarde l’exclusion de l’indissolubilité de la part du demandeur.

 

            Celui-ci fait appel au Tour rotal suivant, qui admet la renonciation au chef de condition et rend le 3 octobre 2007 une sentence négative pour le chef d’exclusion du bien du sacrement.

 

            Le mari n’accepte pas cette décision et bien qu’il y ait donc une double sentence négative sur l’exclusion du bien du sacrement, il présente avec nouvelle instance, le 23 septembre 2009, où il insiste pour la ré-introduction du chef de condition, deux fois examiné mais tranché par deux décisions contraires (celle de 1° instance et celle du 1° Tour Rotal).

 

            Il Nous revient de répondre au doute concordé le 26 novembre 2009, à savoir : « La sentence rotale du 13 décembre 2001 doit-elle être confirmée ou infirmée ? C’est-à-dire : la preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour condition mise par l’épouse ? »

EN  DROIT

 

  1. POSITION DU PROBLEME

 

  1. Opposition au mariage sous condition

 

  1. Très souvent tant la Doctrine que la Jurisprudence ont traité de l’opportunité ou de la pertinence de contracter le mariage sans la moindre apposition d’une condition.

 

La sainteté du mariage chrétien en effet exige que les contractants ne mettent pas en péril la dignité du sacrement par une condition, c’est-à-dire par une circonstance future et incertaine dont dépend la valeur du mariage.

 

Comme l’écrit le cardinal Gasparri, « le mariage, en raison du respect dû au sacrement et pour éviter de très nombreux inconvénients, doit être contracté purement et simplement, c’est-à-dire sans aucune limitation dans le consentement », c’est pourquoi « un curé ne peut jamais permettre que quelque chose de ce genre soit ajouté dans l’expression du consentement »[1].

 

« Il est hautement souhaitable que le mariage, qui est un sacrement important, soit célébré sans aucune condition »[2].

 

De toute façon, il est vrai aussi que « l’Eglise ne permet pas régulièrement l’apposition d’une condition dans la célébration du mariage, mais il est également vrai qu’elle n’interdit pas qu’on fasse la preuve de l’existence d’une condition, si celle-ci a été apposée par un contractant, puisque en cas de non-résiliation de la condition, c’est le consentement matrimonial lui-même qui ne se réalise pas et donc le mariage est nul »[3].

 

  1. « Le phénomène de la condition, écrit P. Moneta, se concilie mal avec le mariage. Le mariage requiert une adhésion totale, sans réserve, effectuée, au moins de façon tendancielle, avec élan et enthousiasme. La personne que quelqu’un a décidé d’épouser doit être acceptée dans son intégralité, avec ses qualités et ses défauts, ses lumières et ses ombres, les aspects positifs et négatifs de sa personnalité ou de l’ambiance dans laquelle elle vie. L’existence qu’on entend partager avec cette personne doit être une communauté de toute la vie, une pleine participation à la vie de l’autre, une donation réciproque de soi. Subordonner cette adhésion intégrale à une quelconque circonstance, y mettre une réserve qui peut parfaitement arriver à la ruiner complètement – comme cela arrive justement en apposant une condition au consentement matrimonial – semble contredire la nature spécifique de cette adhésion, la dégrader et la rendre indigne d’un véritable mariage[4].

 

  1. « Le Législateur, sensible au sens des chrétiens qui réclamait pour le mariage la restauration de la dignité sacramentelle dès le premier moment de sa naissance, pouvait apparemment ne prendre que deux voies : ou bien considérer la condition comme non apposée et, dans cette hypothèse, il aurait effectivement substitué à celle des contractants sa propre détermination à l’accomplissement de l’acte ; ou bien, et c’est la voie qui a été choisie, décider l’incompatibilité du consentement matrimonial conditionné, en statuant que le moment constitutif du mariage, pour avoir un effet valide, doit se dérouler de façon absolue,

c’est-à-dire pure, ou encore sans attache avec la réalisation d’événements futurs et incertains »[5].

 

  1. Mais la réalité oblige à tenir compte de la condition dans le mariage

 

Attendu ainsi qu’« existe le phénomène de celui qui veut le mariage mais seulement à certaines conditions, dans le constant réalisme qui accompagne l’Eglise dans son contact avec l’humanité en marche, son ordonnancement ne pouvait pas ne pas en tenir compte, en en régulant pour cette raison les conséquences dans son droit »[6].

 

  1. C’est pourquoi, selon le droit qui régissait et régit encore le mariage, le consentement pouvait et peut être soumis à une condition, que d’Annibale définit : une circonstance ajoutée à l’acte et de laquelle cet autre acte dépend.[7]

 

La condition, comme chacun le sait, est « une circonstance ajoutée à l’acte de l’extérieur, et de laquelle (de sa nature même) dépend cet acte »[8].

 

C’est pourquoi celui qui se marie jouit du pouvoir de consentir au mariage purement et simplement ou encore d’y consentir sous telle ou telle condition : on parle alors de consentement conditionné.

 

Parce que dans cette hypothèse ou dans ces éléments ajoutés il s’agit d’une circonstance extrinsèque et étrangère à l’objet matériel et formel du consentement, c’est-à-dire à la mutuelle donation-acceptation des personnes qui se marient pour constituer une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints et à la génération-éducation des enfants (cf. c. 1055 § 1 ; 1057 § 2), certains tiennent ou estiment que le consentement conditionné est atypique, anormal et étranger « à ce type idéal du consentement que l’Eglise enseigne et qui doit être présent dans l’action de donner vie au lien matrimonial »[9].

 

  1. ÉTUDE DE LA CONDITION

 

  1. NATURE DE LA CONDITION

 

  1. La condition dans la volonté du contractant

 

  1. Dans le contexte matrimonial, ce consentement limité ou conditionné existe « lorsque quelqu’un met une relation si étroite entre une certaine circonstance et le mariage, que celui-ci, en ce qui concerne sa validité, dépend entièrement de celle-là »[10].

 

Dans ces cas-là, « il y a une véritable volonté matrimoniale, mais le contractant la veut subordonnée à la vérification d’un ‘quelque chose’ dont l’existence, étant future ou ignorée, est incertaine bien qu’indispensable : le sujet ne veut pas être marié sauf à la condition qu’existe ce ‘quelque chose’, et la condition est la garantie par le moyen de laquelle, malgré le consentement, il s’assure qu’il ne restera pas marié sauf en cas d’existence effective de ce ‘quelque chose’ »[11].

 

 

Ou bien comme l’écrit encore O. Giacchi, « quand le sujet, en fait, met une condition au mariage qu’il entend conclure, dans le sens qu’il fait dépendre d’un événement futur et incertain (condition proprement dite) ou d’une circonstance déjà vérifiée ou qui est en cours de vérification (condition improprement dite), la valeur du mariage lui-même, il veut ce mariage seulement si cet événement se vérifie plus tard ou si cette circonstance existe »[12].

 

Ainsi celui qui se marie « ne décide pas purement et simplement de se marier, mais il décide plutôt de se marier seulement avec une personne dotée de telle qualité, ou seulement si telle circonstance se vérifie. C’est pourquoi, entre le mariage et la qualité ou la circonstance, s’établit une relation par laquelle qualité ou circonstance priment le mariage selon l’évaluation du contractant »[13].

 

Si la qualité souhaitée existe ou si la circonstance a existé ou se vérifie, le consentement est valable et donc aussi le mariage. Si qualité et circonstance manquent, le consentement doit être tenu pour sans valeur et le mariage nul.

 

  1. Le mécanisme du consentement conditionnel

 

  1. « En ce qui concerne le mécanisme du consentement conditionnel – fait remarquer très justement une sentence c. Ferraro du 8 mars 1977 – il est bon de noter […] que celui qui se marie ne réalise pas deux actes successifs, mais un seul, par lequel il dirige sa volonté vers un objet qui est double : le mariage et une circonstance externe et incertaine, dont il choisit le premier en dépendance de la seconde, qu’il estime davantage.

 

C’est pourquoi dans un tel acte, contrairement à ce que pensent de façon erronée un certain nombre d’auteurs, dépendent d’un événement incertain non pas seulement l’objet, mais le consentement en même temps que son objet ; non pas seulement les effets juridiques de l’acte, mais la validité et l’existence de l’acte lui-même ; car le mariage se réalise par le consentement des parties et seulement par lui, à l’exclusion de toute puissance humaine (c. 1081 § 1).

 

Ce n’est certainement pas sans raison que le contractant préfère manifester un consen-tement de ce genre et le lier à un événement externe et incertain[14] »[15].

 

« Il arrive dans ce cas que le contractant, par un acte positif de volonté, veut le mariage, mais il le soumet à l’existence d’une circonstance déterminée. Cependant, il n’y a pas deux actes de volonté, l’un par lequel le contractant décide le mariage et l’autre par lequel il le soumet à une condition, mais c’est par le même acte positif de volonté qu’il veut le mariage et sous telle condition »[16].

 

  1. En conséquence la validité du même consentement dépend plutôt de la circonstance apposée au consentement que de la conscience de la volonté qui appose une circonstance. Dans ce cas, si quelqu’un décidait qu’il serait libre du lien matrimonial si la circonstance souhaitée ne se vérifiait pas, alors un tel consentement de la personne qui se marie serait nul et le consentement également nul pour exclusion de l’indissolubilité du lien, que soit vérifiée ou non la circonstance apposée par cette personne.

 

 

 

  1. La circonstance prévalente dans la condition potestative

 

En ce qui concerne la circonstance prévalente, lorsqu’il s’agit d’une véritable condition potestative, on peut y distinguer un double objet, matériel et formel.

 

L’objet matériel d’une telle condition, si elle est affirmative, consiste dans une obligation à remplir dans la vie conjugale.

 

L’objet formel, lui, peut être l’accomplissement de cette obligation dans la vie conjugale, ou la promesse, faite du fond du cœur, de remplir cette obligation.

 

Que l’objet de la condition soit l’accomplissement de l’obligation ou la promesse de cet accomplissement, la condition vraiment potestative de futuro ne peut se réduire automati-quement à une simple promesse de praesenti, alors qu’il faut dire plutôt qu’outre la promesse sera exigée la véritable exécution de la promesse.

 

  1. LA CONDITION POTESTATIVE : CONDITION DE FUTURO OU DE PRAESENTI ?

 

  1. Partisans de la conversion de la condition de futuro en condition de praesenti

 

  1. Ferrero

 

  1. Comme on le déduit succinctement de la sentence ci-dessus citée c. Ferraro, « dans la condition potestative il ne faut pas avoir recours à cette fiction du droit, constamment gardée par la jurisprudence de la Rote, par laquelle les conditions portant sur le futur, incertain et mal défini, se réduisent, pour qu’il n’y ait pas l’absurdité d’un mariage perpétuellement en suspens, à des conditions de praesenti : c’est-à-dire que le consentement, soumis à la condition, ne reste jamais en suspens, mais immédiatement il réalise ou non le mariage selon qu’est reçue véritablement ou fictivement l’obligation sur l’objet, à accomplir sous condition par l’autre partie, même si par la suite cette obligation n’est pas remplie. Il est clair cependant pour tout le monde à quel point cette conversion est subtile et combien elle recèle le danger de pervertir la volonté du contractant : celui-ci en effet désire et cherche généralement un fait qu’il fait entrer dans son consentement, alors qu’il n’exige et ne reçoit la promesse que pour avoir pour lui-même une caution et déjà presque la vision du fait désiré »[17].

 

  1. Gugliemi

 

  1. Une sentence c. Gugliemi du 20 février 1929 avait soutenu cette conversion de la condition potestative de futuro en condition de praesenti, à savoir quand la condition « en ce qui regarde son exécution dépend de la volonté du partenaire et dont l’objet de la condition est quelque chose à faire tout le temps. Or dans ces cas-là, pour éviter de négliger la disposition de la volonté et pour ne pas tomber dans l’absurdité que la valeur du mariage, dont dépend l’usage honnête de celui-ci, reste perpétuellement incertaine, il faut estimer, en raison de la substance de la chose, que ce qui est soumis à condition c’est, ainsi que l’a plus d’une fois soutenu la Rote, la promesse de la charge qui doit être réalisée du fond du cœur par le conjoint et non l’accomplissement futur de la promesse […]. C’est pourquoi, si l’obligation est sincèrement acceptée par le conjoint, le mariage est valide, mais si par la suite l’obligation n’est pas remplie, ce n’est pas pour autant que le mariage peut être dit invalide. La promesse étant faite, elle est présumée faite du fond du cœur, sauf si le contraire, évidemment, est prouvé »[18].

 

  1. Massimi

 

Çà et là et presque constamment on trouve dans la jurisprudence rotale ou sa pratique la conversion de la condition de futuro en condition de praesenti, cette dernière devant être comprise comme une condition portant sur la sincérité ou non de celui qui promet, au moment où la condition est apposée.[19]

 

  1. Mattioli

 

Ou encore, selon une sentence c. Mattioli, « la condition de futuro, chaque fois que l’objet d’une telle condition ne consiste pas dans un événement certain, qui doit se vérifier à un certain jour particulier (par exemple, si ton père te constitue son légataire universel ; ou bien : si tu obtiens ta maîtrise à la première session d’examens etc.), mais plutôt dans une chose à donner de façon continue et qui dépend de la libre volonté ; alors là nous disons : la condition de futuro est comme une condition de praesenti. Cela, la Rote l’a déclaré à de nombreuses reprises, pour que ne s’ensuive pas l’absurdité de la valeur du mariage, qui est suspendue à perpétuité jusqu’à la fin de la vie : ce que personne, d’esprit sain, n’est présumé pouvoir vouloir. Donc, dans des cas semblables, seul est pris en compte le propos, c’est-à-dire l’acceptation de l’obligation, propos formé gravement et sincèrement, portant sur l’exécution de la chose, qui est exigée par le conjoint sous une condition sine qua non »[20].

 

Cette conversion de la condition potestative de futuro en une condition de praesenti, la promesse sincère étant déjà acquise, est pleinement soutenue par la sentence en appel : cette conversion arrive « plutôt par une fiction juridique, en ce que, dans ce cas, ‘la condition semble, par le droit lui-même, être remplie’[21] » et cette conversion « ne constitue pas, comme parfois cela est contesté, ‘une perversion de la notion même de condition’ ou ‘un danger de pervertir la volonté de celui qui se marie’[22] ». Toutefois il ne manque pas de personnes qui récusent ce type de raisonnement.

 

  1. Opposants à la conversion

 

  1. Moneta

 

  1. « Cette constante, fait remarquer à bon droit P. Moneta, n’est pourtant pas acceptable parce qu’elle se base sur une interprétation autoritaire de la volonté du contractant qui ne correspond pas à la véritable substance de celle-ci, et l’on arrive par cette voie à violer ce principe fondamental qui ne consent à aucune puissance humaine (pour autant qu’elle soit dotée d’autorité) de placer sa propre volonté au-dessus de celle du contractant lui-même par rapport à la constitution du mariage. En effet, au moins dans la normalité des cas, celui qui se marie exige que l’autre s’engage à avoir un certain comportement en cette phase préliminaire à la prestation du consentement matrimonial qui conduit à la décision de s’épouser. L’engagement, en termes plus techniques, est fait objet d’un postulat ou d’une cause poussant au mariage, mais non d’une condition. Celle-ci surgit lorsque celui qui se marie ne se fie pas à l’engagement assumé par l’autre ou, toutefois, à sa capacité d’y faire effectivement face, et découvre en conséquence l’exigence de se prémunir sur ce point. Placer l’engagement en lui-même comme une condition au consentement n’aurait donc aucun sens. Ce dont le contractant veut s’assurer est que l’engagement soit concrètement honoré une fois le mariage conclu, que soit effectivement tenu ce comportement qu’il retient pour avoir une importance essentielle et indérogeable pour la vie conjugale. Et c’est donc précisément ce comportement qu’il met comme objet de condition »[23].

 

  1. Canals

 

Une sentence c. Canals, du 16 juin 1971, avait déjà remarqué cela : « Il n’échappe cependant à personne de constater à quel point cette conversion est subtile et combien s’y trouve le danger de pervertir la volonté du contractant : celui-ci en général désire et recherche un fait qu’il introduit dans le consentement, tandis que la promesse qu’il doit recevoir, il ne l’exige et ne la reçoit que comme une caution et presque comme une prévision du fait en question »[24].

 

  1. Parillo

 

  1. La sentence cité c. Gugliemi[25] est venue en appel devant un Tour rotal dont Mgr Parillo était le ponent. Celui-ci fait remarquer : « Il est utile de rappeler les principes du droit pour voir s’il faut appliquer dans le jugement la théorie, complètement ignorée des auteurs tant anciens que modernes, en vertu de laquelle une condition de futuro par nature doit être considérée comme une condition de praesenti, pour que la valeur du mariage ne reste pas incertaine à jamais et voir par conséquent, si en raison de la pression de la substance de la chose, il faut déclarer que sous une telle condition ne se dissimule pas l’accomplissement futur de la promesse, mais la promesse elle-même de l’engagement à faire du fond du cœur par le conjoint, de telle sorte qu’en cas de découverte que la promesse a été simulée, le mariage serait ruiné par une condition de praesenti non réalisée ». Mgr Parillo ajoute: « Le caractère de la condition est déterminé par son objet, c’est-à-dire par son dénouement. On parle de condition de praeterito, de praesenti ou de futuro selon que l’objet concerne une chose passée, ou une chose présente ou une chose future. La condition potestative, dont le dénouement dépend de la volonté d’une partie, doit toujours être liée à une promesse préalable de faire ou d’omettre quelque chose de la part de celui qui se constitue débiteur. La condition en effet qui est placée dans le pur arbitraire d’une partie, comme par exemple ‘je te donnerai si je le veux à ce moment-là’, n’a aucun effet […]. L’engagement donc et l’obligation ne peuvent pas constituer l’objet de la condition attachée au mariage, mais seulement le fondement et, par là, la cause pour laquelle celui qui se constitue créditeur en vue d’exiger l’obligation de la part de l’autre partie, se détermine à contracter le mariage.

 

Au contraire l’objet de la condition potestative (quand celle-ci est liée au consentement matrimonial) est le fait ou l’omission du fait qui doit être accompli après le mariage, fait qui, puisqu’il regarde le futur, ne peut être considéré que comme suspensif ou résolutif de l’acte. Accepter la fiction que dans ces cas-là la condition soit de praesenti, circonscrite à la promesse – et à la promesse sincère – du conjoint, reviendrait à pervertir la nature de la condition et la volonté elle-même de l’agent, qui n’a pas pu vouloir autre chose que l’accomplissement de l’obligation promise, l’engagement n’étant pris que comme un moyen, et qui n’a certainement pas pu vouloir lier son consentement à la sincérité, existant au moment du mariage, de la promesse qui lui a été faite. Et cela, si on peut parfois le déduire de la volonté interprétative de celui qui lutte pour la nullité de son mariage, est absolument inacceptable étant donné la force de la substance de la chose »[26].

 

 

 

 

 

  1. Condition potestative de futuro et promesse

 

  1. Ces conditions potestatives de futuro, la plupart du temps, n’entrent pas dans le consentement matrimonial, mais elle le précèdent et donc ne l’irritent pas, également parce qu’elles en constituent le mode ou la cause.[27]

 

  1. De Jorio

 

« Mais, note justement une sentence c. De Jorio, du 13 juillet 1977, il ne manque pas d’hommes (ou de femmes) qui font un tel cas d’une promesse (de faire quelque chose ou de ne pas le faire) que, si cette promesse est récusée ou n’est pas respectée, ou bien ils ne contractent pas le lien conjugal, ou bien ils estiment que le contrat est dissous. Si donc la pensée d’une telle personne est mise en lumière, on doit conclure que la condition qu’elle a apposée a pénétré le consentement et donc, si elle n’est pas acceptée ou pas tenue, que le consentement au mariage exprimé par des paroles perd toute sa force.

 

Certes la plupart de ceux qui se marient se contentent d’une promesse sincère, qui parfois n’est pas tenue en raison d’événements qui se produisent après la célébration du mariage. C’est pourquoi, en cas de promesse sincère, le lien du mariage est formé et persiste même si la promesse n’est pas tenue par le conjoint en raison de son inconstance ou d’événements qui ne pouvaient pas être prévus ou ne l’ont pas été. En d’autres termes, la plupart du temps le manque d’exécution ne vicie pas le consentement, pourvu que la promesse ait été faite de bonne foi ou que se soit vérifiée la condition que des canonistes – suivis par des juges – appellent improprement une condition de praesenti.

 

On ne peut cependant pas nier qu’il se trouve certains hommes qui mettent toutes leurs pensées dans l’exécution de la promesse, parce qu’elle leur est nécessaire pour atteindre le but qu’ils se sont fixé et auquel ils ne veulent pas ou ne peuvent pas renoncer […]. C’est pourquoi, quand ils donnent leur consentement à un mariage déterminé ils prennent la décision de rompre le lien qu’ils vont nouer, s’ils sont empêchés, en raison de l’inexécution de la promesse par leur conjoint, d’obtenir ce qu’ils attendent. Et c’est pourquoi leur consentement matrimonial est nul formellement en raison de la non-vérification d’une condition potestative de futuro, mais dans la réalité il est nul pour exclusion du bien du sacrement, ou, en d’autres termes, de l’indissolubilité »[28].

 

  1. Serrano

 

  1. Ce point de vue est approuvé dans une sentence c. Serrano : « Notre Jurisprudence a parfois reconnu que n’apparaît pas toujours ce lien étroit entre l’intention de celui qui se marie sous une condition potestative, et l’existence d’une promesse sincère, sans que l’intention n’atteigne l’objet ou la qualité, avec en plus le danger d’une alliance nulle et peut-être aussi avec le détournement des lois de l’argumentation : ‘Si l’objet de la condition est […] une chose qui dépende de la volonté libre de l’homme, mais que cette chose doive être donnée dans un futur proche, et qu’il s’agisse en même temps d’un objet bien défini et déterminé, la condition est considérée comme une condition de futuro suspensive, sauf s’il est prouvé que la partie a voulu que le contrat matrimonial ait tout de suite sa valeur, et en même temps a mis sous condition l’accomplissement lui-même de la promesse. Dans ce cas en effet il s’agirait d’une condition résolutive de futuro, qui rejaillirait en simulation du consentement en raison de l’exclusion de l’indissolubilité’[29]»[30].

En conséquence, estime Mgr Serrano : « Appartiennent aux éléments essentiels d’un mariage déterminé l’objet de la condition, immédiatement, et non pas seulement la sincérité de la promesse, et cela comme ‘un élément essentiel’ venu de la volonté constituante du contractant, auquel tout le reste est subordonné. Et alors le mariage concret, c’est-à-dire entendu dans l’ordre de l’existence selon l’esprit du contractant, sera valide ou non selon que cet élément attaché au mariage qu’est l’objet de la condition est réellement donné ou vient à manquer, et cela en raison de la notion substantielle elle-même du mariage visé de fait »[31].

 

  1. Pompedda

 

« C’est pourquoi – note justement et à propos une décision c. Pompedda du 6 juin 1997 – dans chacune des causes à trancher il n’est pas toujours légitime de recourir à cette fiction du droit, presque constamment respectée par Notre Jurisprudence, selon laquelle les conditions de futuro, portant sur un avenir incertain et mal défini, se ramènent, pour éviter l’absurdité d’un mariage perpétuellement en suspens, à des conditions de praesenti, c’est-à-dire que le consentement soumis à condition ne reste jamais en suspens, mais qu’il réalise ou non le mariage immédiatement, selon qu’est reçue réellement ou fictivement l’obligation portant sur la chose à accomplir sous condition par l’autre partie, ‘même si par la suite cette condition n’est pas remplie’[32] »[33].

 

  1. Moneta

 

  1. Assurément, comme le note encore P. Moneta, « aujourd’hui celui qui met une condition à son consentement matrimonial n’entend certainement pas repousser à plus tard l’instauration de la vie conjugale, en prolongeant jusqu’à la vérification de l’événement souhaité son état de fiancé. Il entend célébrer un mariage avec tous ses effets et donc avec un commencement normal de la vie conjugale, mais avec la réserve que l’éventuel manquement de la vérification de la condition réduira à rien le mariage lui-même, privera d’efficacité tout engagement qu’il a assumé avec la célébration nuptiale, en le rendant libre du lien conjugal. La condition, au lieu de valeur suspensive des effets du contrat, comme cela arrivait traditionnellement, en vient à avoir valeur de résolution du contrat à qui avait été donné une pleine exécution » – « La seconde considération qui légitime la nullité de tout mariage soumis à condition est qu’une telle condition en vient nécessairement à comporter une exclusion de l’indissolubilité du lien conjugal et à se dissoudre dans une figure de simulation partielle telle qu’elle comporte la nullité du mariage sur la base du c. 1101. Si en fait nous avons présent à l’esprit ce que nous avons tout d’abord observé sur la dynamique concrète qu’assume aujourd’hui le mariage conditionné, nous pouvons constater que celui qui célèbre sous condition entend donner concrètement vie au mariage à partir de la célébration nuptiale, en se réservant de le dissoudre, de ne plus le considérer comme un lien qui demeure et donc de reprendre sa propre liberté au cas où fait défaut la vérification de la condition.

 

C’est en vérité un certain manque de confiance du comportement subjectif, si on fait la comparaison avec la figure typique de la simulation par exclusion du bien du sacrement. Ici celui qui se marie entend célébrer un mariage différent, dans une de ses composantes essentielles (dans le cas présent, l’indissolubilité), de celui que l’Eglise considère comme l’unique véritable mariage. Le sujet peut même ne pas être conscient d’une telle diversité, mais de fait sa volonté se dirige vers un type de mariage (caractérisé par la dissolubilité) qui ne correspond pas au mariage prescrit par l’Eglise. Dans le cas de la condition, celui qui se marie accepte au contraire le mariage avec toutes ses composantes essentielles, mais seulement à partir du moment où la condition sera vérifiée. Mais puisqu’il entend, comme on l’a précisé, rendre immédiatement opérant le lien matrimonial, dans une première phase de la vie matrimoniale, jusqu’à la vérification de la condition, il a indubitablement la prospective de sa dissolution. Indépendamment du modèle théorique auquel il croit adhérer, il se propose donc, concrètement, de se libérer d’un lien auquel il a déjà donné une existence, au moins jusqu’au moment où il n’aura pas pu certifier la présence substantielle de l’événement donné en condition. Et cela est suffisant pour former une intention contre le bien du sacrement, parce qu’en réalité il ne veut pas un mariage qui, dès le début et pour toujours, le lie de façon indissoluble à la personne de l’autre contractant »[34].

 

  1. Cela vaut aussi pour la condition potestative en ce que « comme toutes les conditions de futuro, elle en vient donc à compromettre l’intégrité du consentement matrimonial sous le double profil que nous avons déjà mis en évidence : soit parce qu’elle insère un élément de limitation dans la volonté de celui qui se marie, qui ne se concilie pas avec cette totale adhésion que requiert le mariage, soit parce que, au moins dans son opérativité concrète, elle constitue une condition résolutive du lien qui se veut déjà immédiatement efficace et donc, en substance, une exclusion de son indissolubilité »[35].

 

Comme nous l’avons écrit dans une sentence du 15 décembre 2005, « dans ces cas-là, soit qu’on parle de condition de futuro ou soit qu’on parle d’exclusion de l’indissolubilité, le non-accomplissement envisagé de la circonstance par l’autre partie peut entraîner la nullité du consentement pour condition et le non-accomplissement de cette circonstance ou son acceptation sans sincérité par l’autre partie jettent un doute sur l’indissolubilité du lien, et il y a déjà une exclusion du bien du sacrement, au moins hypothétique »[36].

 

III. LE NOUVEAU CODE ET LA CONDITION DE FUTURO

 

  1. A l’heure actuelle le nouveau Code en vigueur entraîne un autre discours sur la condition de futuro parce que, selon le c. 1102 § 1, « le mariage assorti d’une condition portant sur le futur ne peut être contracté validement ».

 

« Cette interdiction cependant – note avec perspicacité la sentence c. Stankiewicz du 13 décembre 2001 rendue dans la cause actuellement étudiée – non seulement menace de nullité la clause conditionnelle, comme certains le pensent, c’est-à-dire reconnaît l’invalidité de toute condition de futuro[37] mais encore rend nulle la déclaration elle-même de la volonté conditionnelle, c’est-à-dire le consentement conditionné à un événement futur et incertain ainsi que le mariage conclu sous une condition de futuro. Ainsi en effet pensent en parfait accord la doctrine et la jurisprudence »[38].

 

Mgr Stankiewicz ajoute : « Actuellement donc, c’est-à-dire sous le nouveau Code en vigueur, chaque fois qu’est apposée au consentement une condition de futuro, le mariage ainsi célébré est totalement vicié par le droit lui-même, c’est-à-dire qu’il est nul, indépendamment de la vérification de la condition. Cette nullité en effet est produite par le simple fait de l’ajout d’une condition de futuro, comme cela arrivait pour les actes légitimes dans l’expérience juridique romaine[39] ».[40]

 

« Comme la règle du c. 1102 § 1 examine la condition de futuro de manière générale, en n’y faisant aucune distinction ultérieure, c’est donc à bon droit que l’on peut admettre que la nouvelle formulation de la loi embrasse également la condition potestative de futuro, positive ou négative, qui invalide le mariage avec le même effet[41] ».[42]

 

« C’est pourquoi – déclare une décision c. Defilippi du 5 juin 2008 – s’il est prouvé, dans le cas, qu’a été apposée une condition de futuro, il faut déclarer la nullité du mariage, sans se préoccuper de savoir s’il s’agit d’une condition de futuro nécessaire, ou impossible, ou honteuse, ou contre la substance du mariage, ou licite, toutes questions abordées dans le c. 1092, n. 1-3 du Code de 1917, bien que nous ne puissions négliger que dans la condition de futuro résolutive il y ait en réalité la simulation du consentement pour exclusion de l’indissolubilité »[43].

 

  1. LA PREUVE DE LA CONDITION

 

  1. En ce qui concerne la preuve, par la confession judiciaire et extrajudiciaire des parties confirmée par des témoins dignes de foi, il faut qu’il soit prouvé que la condition a été ajoutée au consentement par le contractant au moment de la célébration du mariage et qu’elle n’a été ni révoquée, ni remplie, c’est-à-dire vérifiée.

 

Indirectement l’apposition de la condition se reconnaît par deux critères bien connus, dont le premier se rapporte à l’évaluation de l’événement ou de la circonstance que le contractant a eue avant le mariage et à l’existence de quoi il a lié son consentement et la valeur de son mariage, et dont le second concerne l’attitude que le contractant a eue après le mariage, dès qu’il a su que la condition apposée n’était pas remplie. Plus en effet le contractant a eu de considération, avant le mariage, pour l’événement futur mis comme condition, et plus, une fois le mariage célébré, après avoir découvert que la condition n’était pas remplie, il s’est hâté de rompre la communauté conjugale, plus facilement alors s’ouvre la voie pour la reconnaissance de l’apposition d’une condition.[44]

 

Çà et là on invoque des critères de ce genre, parce qu’ils facilitent la preuve, mais il peut y avoir des raisons d’ordre supérieur, par exemple la nécessité de veiller à l’éducation des enfants ou l’espoir d’obtenir la chose souhaitée, qui, nonobstant l’absence de la circonstance, rendent l’auteur éventuel d’une condition incertain et hésitant à interrompre le mariage tout de suite ou peu après celui-ci.

 

« Il faut pareillement remarquer qu’il est exigé une antipathie, après la découverte que la condition n’est pas remplie, qui, tous les éléments étant pris en compte, aura pu exister dans ce cas. C’est pourquoi il n’est pas étonnant, et ce n’est pas contre une condition véritablement apposée, que la partie, pour un motif grave, continue à vivre avec le conjoint qui l’a déçue : soit parce qu’il y a eu peut-être une naissance qui exige les soins des deux parents, soit parce que la partie déçue n’a pas où aller et ne peut donc pas vivre décemment. On peut ajouter que quelques conditions, celles surtout qui ne sont remplies que si l’on tient ses promesses, exigent un certain temps avant qu’on ait la certitude convenable qu’elles ont été remplies […]. Concédons que la vie économique est une cause importante si les époux connaissent des difficultés, à savoir si la partie déçue rejette son conjoint comme non-légitime. Mais s’il en est ainsi, il ne faut pas nécessairement exclure la condition. Nombreux en effet sont ceux qui, mêmes s’ils savent qu’ils n’ont pas voulu contracter ce mariage (la condition n’étant pas remplie), ignorent les conséquences juridiques et l’apposition d’une condition. Ils peuvent donc penser qu’il leur faut rester dans cet état jusqu’à ce qu’apparaisse une voie possible de libération. Mais cette ignorance, même celle qui est comme un acquiescement, ne s’oppose pas par elle-même à l’apposition d’une condition qui, si elle est prouvée par d’autres arguments valides, doit absolument être prise en considération »[45].

 

  1. Enfin « ce qu’a été la véritable volonté positive (qui, dans les conditions, obtient toujours la première place), ne doit pas être tiré de l’écorce des mots employés, mais il faut plutôt examiner la substance de la déposition et la mentalité de celui qui dépose […]. C’est le devoir des juges de soumettre à une évaluation correcte tant les paroles prononcées en les confrontant les unes aux autres – compte tenu de la crédibilité des parties et des témoins -, que les faits eux-mêmes qui regardent la substance de l’affaire à trancher, selon que ces faits sont éclairés de façon péremptoire par les dires de témoins dignes de foi »[46].

 

Ainsi, dans la preuve de la condition apposée il n’y a pas de différence substantielle entre les critères à employer et ceux qui sont employés généralement, même si la mentalité du contractant est psychologiquement différente, dans la preuve de l’erreur sur une qualité directement et principalement visée ou dans celle du dol.

 

Dans ces hypothèses, celui qui se marie « ne décide pas le mariage purement et simplement, mais il décide plutôt le mariage uniquement avec une personne dotée de telle qualité, ou seulement si telle circonstance est vérifiée. C’est pourquoi, entre le mariage et la qualité ou la circonstance s’établit une relation où ces dernières prennent l’ascendant sur le mariage selon l’estimation du contractant »[47].

 

Bref, si la qualité souhaitée existe ou si la circonstance a existé, c’est-à-dire qu’elle est vérifiée, le consentement est valable et donc aussi le mariage. De façon différente, si la qualité ou la circonstance viennent à défaillir, il faut considérer comme sans valeur le consentement et donc comme nul le mariage.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

« L’obstination transcende tout obstacle et montre que rien n’est difficile à celui dont l’esprit impose la patience ». Cette phrase de Sénèque est tout à fait pertinente lorsqu’on regarde le temps et les efforts déployés par le mari défendeur en cette cause. Le libelle est du 12 janvier 1995, il y a déjà eu trois jugements : le premier, en date du 29 septembre 1997, a reconnu la nullité du mariage pour condition apposée par l’épouse et non vérifiée, ainsi que pour exclusion du sacrement de la part du mari ; le second, à la Rote, le 13 décembre 2001, a rejeté les deux chefs ; le troisième, au Tour suivant de la Rote, le 3 octobre 2007, a rejeté le chef d’exclusion du bien du sacrement, le chef de condition ayant été abandonné. Malgré ce rejet, le demandeur, le 23 septembre 2009, a demandé la nouvelle admission du chef de condition, que le premier jugement de 1997 avait déclaré prouvé. La sentence du 25 février 2010 est donc la quatrième en cette cause, et elle porte uniquement sur le chef de condition apposée par l’épouse et non vérifiée, accepté par la sentence de 1° instance, en date du 29 septembre 1997, et rejeté par la sentence de 2° instance (1° Tour Rotal, en date du 13 décembre 2001).

 

  1. Le demandeur et la sentence de 2° instance du 13 décembre 2001

 

Arrigo, le demandeur, déclare, et a toujours déclaré, que l’épouse « a mis expressément une condition sine qua non au mariage, dont l’objet était que je lui aurais acheté et mis à son nom un appartement confortable où pourrait grandir notre future famille ». Arrigo ajoute qu’il a fait semblant de promettre : « Je n’ai jamais eu même la moindre idée d’accepter cette condition et j’ai consciemment simulé chaque fois qu’elle m’obligeait à promettre. De toute façon l’un et l’autre nous calculions, sans le dire, l’avantage que chacun aurait obtenu avec le mariage : elle, l’appartement ; moi, l’héritage », ou encore : « J’avais promis avant le mariage d’acheter cet appartement, mais je n’avais aucune intention de tenir ma promesse ».

 

La sentence rotale de 2001, qui a rejeté les deux chefs de nullité allégués, dont celui de condition, estime que le désir qu’avait l’épouse d’avoir une maison convenable était très raisonnable, mais cette épouse avait-elle apposé une véritable condition ?

 

Si oui, c’est une condition potestative de futuro, mais l’épouse nie avoir mis une condition à son mariage : « J’ai accepté d’épouser Arrigo, mais je ne lui ai jamais demandé d’acheter et de mettre à mon nom une maison qui serait le résultat de mon acceptation […]. J’ai pris l’initiative de prendre, pour mon mariage, la séparation des biens, mais c’était pour garantir notre avenir matrimonial ».

 

Compte tenu de ces éléments, la sentence rotale de 2001 a estimé que l’épouse n’avait pas mis une condition à son mariage, et cependant les Juges soussignés pensent que l’épouse ne dit pas la vérité, car en fait c’est le mari et non l’épouse qui a entrepris le contrat de séparation des biens et c’est dans ce contexte que s’est placée la condition, voulue par l’épouse, d’acheter une maison.

 

  1. Réponse des Juges soussignés à la sentence de 2001

 

Pour répondre plus longuement à la sentence rotale de 2001, il faut dire que dès le début et au cours du procès civil pour la séparation, l’épouse, par l’intermédiaire de son avocat, s’est fortement plainte du non-respect de sa demande, c’est-à-dire du non-respect, par le mari, de la promesse qu’il avait faite d’acheter une maison : « Dès avant le mariage, écrit l’avocat dans sa plaidoirie au civil de décembre 1987, Madame F. avait fait part à M. R. de son désir absolu (la condition sine qua non de son consentement au mariage) que la famille s’installe et vive dans une propriété qui serait la sienne. A ce désir, souvent réitéré après le mariage, M. R. répondait qu’il s’en occuperait le plus tôt possible, mais il invoquait ses difficultés financières pour ne rien faire ».

 

La sentence rotale de 2001 (qui a rejeté les deux chefs invoqués, dont la condition) s’efforce d’atténuer l’importance et le sens de la demande de l’épouse, en faisant remarquer que c’est l’avocat qui a parlé de condition sine qua non, en mettant d’ailleurs ce terme entre parenthèses, et la sentence ajoute : « Le texte de l’avocat parle seulement de désir, d’aspiration de l’épouse, ce qui n’est pas la même chose qu’une condition proprement dite ».

 

Les Juges soussignés répondent que l’épouse a fait part d’un désir absolu (impres-cindibile), exprimé avant le mariage, qu’un certain nombre de faits amènent plutôt à voir comme une condition.

 

Tout d’abord, l’acte de séparation des biens, signé avant le mariage, d’un commun accord entre les époux. Le témoin qui a conseillé le mari dans cette démarche, déclare qu’après la signature du document devant notaire, l’épouse a continué à demander à Arrigo de tenir la promesse qu’il avait faite avant le mariage d’acheter une maison. Et le témoin ajoute qu’aux termes de l’acte notarié de séparation des biens Adriana deviendrait propriétaire à 100 % de tout immeuble acheté en son nom. Il semble bien que si l’épouse a très souvent insisté auprès de son mari pour avoir une maison, c’est en raison d’une promesse qu’elle a reçue de lui.

 

Par ailleurs, le 14 novembre 1986, donc après le mariage, célébré en 1977, Adriana veut faire signer à son mari une lettre, rédigée de la main de l’épouse, mais au nom du mari, où celui-ci aurait déclaré : « Chère Adriana, je me rends compte du moment difficile que nous traversons et du grave état d’insécurité dans lequel je t’ai mise pour ne t’avoir jamais fait vivre dans une maison accueillante et, surtout, qui serait ta propriété, comme je te l’avais promis ». Evidemment Arrigo n’a pas voulu signer ! Mais la promesse dont parle la lettre a amené l’avocat de l’épouse, au procès civil, à faire état du désir absolu (imprescindibile) de sa cliente, qui revient à une condition sine qua non mise par l’épouse à son mariage. En d’autres termes celle-ci établit un lien très fort entre son désir et la promesse de son mari.

 

On peut ajouter une déclaration d’Arrigo lui-même : « Durant notre vie conjugale, Adriana me rappelait ma promesse relative à l’acquisition d’un appartement, qui serait mis à son nom. Ma réponse était évasive, et j’essayais toujours de gagner du temps. De la part d’Adriana la réaction était évidemment toujours plus forte ».

 

Certes la sentence rotale de 2001 (qui a rejeté les deux chefs invoqués, dont celui de condition) fait remarquer qu’il ne faut pas se fier seulement aux paroles et que le problème essentiel est de savoir si l’épouse a lié ou non son consentement au mariage à l’acquisition d’une maison familiale. La même sentence cite des témoins qui parlent de condition sine qua non, mais elle estime que leurs déclarations ne répondent pas à la question : l’épouse a-t-elle fait dépendre la valeur de son consentement et de son mariage à l’achat d’une maison familiale ? On pourrait plutôt penser, poursuit la sentence de 2001, à une obligation imposée par l’épouse à son mari, mais qui a été formulée alors que le consentement matrimonial avait déjà été donné de façon correcte et parfaite, et donc qui ne peut pas vicier le consentement, bien qu’il y ait un véritable devoir, pour le contractant, de s’acquitter de l’obligation imposée.

 

Les Juges soussignés citent maintenant de nombreux témoins du demandeur qui affirment d’une seule voix que l’épouse a mis une condition à son mariage, à savoir l’achat à son nom d’une maison : « Si Arrigo ne s’était pas engagé à l’achat de cette maison, Adriana ne l’aurait pas épousé ».

 

La sentence rotale de 2001 (qui a rejeté les deux chefs invoqués, dont celui de condition) objecte que malgré le non-accomplissement de sa promesse par Arrigo, Adriana a vécu plusieurs années avec lui, et que l’éducation religieuse de l’épouse exclut que cette dernière ait « extorqué » le mariage à un homme riche pour l’achat d’une maison, avec une condition sine qua non à ce sujet.

 

Les Juges soussignés constatent pour leur part que l’épouse a attendu patiemment que son mari remplisse sa promesse, qu’elle a toujours maintenu son désir d’une maison stable qu’elle avait avant le mariage et dont elle avait parlé à son futur mari.

 

On peut dire, estiment les Juges soussignés, que ce qui a tardé, ce qui a été long à arriver, ce n’est pas la réaction de l’épouse devant le comportement de son mari, mais son recours à la séparation lorsque tout espoir d’obtenir ce qu’elle souhaitait ardemment a disparu. Les témoins entendaient bien les doléances d’Adriana : « Elle se lamentait sans cesse du fait qu’elle s’était mariée à condition qu’Arrigo lui achète une maison et qu’au contraire il ne tenait pas sa promesse ».

 

Les circonstances postmatrimoniales montrent bien la condition sine qua non posée par l’épouse.

 

 

Constat de nullité

pour condition apposée par l’épouse

et non vérifiée

 

 

Egidio TURNATURI, ponent

Maurice MONIER

Pio Vito PINTO

 

__________

 

[1] Card. GASPARRI, Tractatus de matrimonio, vol. II, p. 73, n. 878

[2] C. FELICI, 1° décembre 1953, SRRDec, vol. XLIV, p. 731, n. 3

[3] C. GRAZIOLI, 26 février 1940, SRRDec, vol. XXXII, p. 167, n. 4

[4] P. MONETTA, Il matrimonio condizionato nella realtà di oggi, dans Il matrimonio nel diritto canonico e nella legislazione concordataria italiana, p. 201

[5] R. COLANTONIO, La condicio de futuro, dans Diritto Matrimoniale Canonico, LEV 2003, II, p. 426

[6] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, 1969, p. 266

[7] Cf. D’ANNIBALE, Summula Theol. Mor., I, n° 41

[8] D. 12.1.19, 12

[9] O. GIACCHI, ouvrage cité, p. 264

[10] C. DEFILIPPI, 5 juin 2008, n. 4

[11] P.J. VILLADRICH, Il consenso matrimoniale, 2001, p. 443

[12] Ouvrage cité, p. 266

[13] C. BOCCAFOLA, 25 juin 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 553, n. 6

[14] Cf. ‘Matrimonium sub conditione’, Periodica de re morali, canonica, liturgica, 64, 1975, p. 141-142

[15] C. FERRARO, 8 mars 1977, SRRDec, vol. LXIX, p. 107, n. 9

[16] C. BOTTONE, 30 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 703, n. 5 ; cf. c. POMPEDDA, 26 novembre 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 716, n. 2

[17] C. FERRARO, Periodica, vol. LXIX, p. 519

[18] C. GUGLIEMI, 20 février 1929, SRRDec, vol. XXI, p. 119, n. 14

[19] Cf. c. MASSIMI, 23 juin 1923, SRRDec, vol. XV, p. 176, n. 6

[20] C. MATTIOLI, 5 mai 1960, SRRDec, vol. LII, p. 225, n. 3 ; cf. c. POMPEDDA, 28 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 601, n. 4

[21] D. 35, 1, 7, 1 ; ULPIEN, 18 ad Sab

[22] C. POMPEDDA, 26 mai 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 308, n. 3 ; 6 juin 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 471-472, n. 15-16

[23] Ouvrage cité, p. 210-211

[24] Inédite

[25] Voir plus haut, n. 16

[26] C. PARILLO, SRRDec, vol. XXIII, p. 318, n. 15 ; p. 321, n. 20

[27] C. MORANO, 12 août 1929, SRRDec, vol. XXI, p. 459, n. 6 ; c. JULLIEN, 24 novembre 1928, SRRDec, vol. XX, p. 453

[28] DE JORIO, 13 juillet 1977, SRRDec, vol. LIX, p. 384, n. 3

[29] C. PINNA, 27 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 220

[30] C. SERRANO, 1° juin 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 469

[31] C. SERRANO, même sentence, p. 470, n. 6

[32] D. STAFFA, De condicione potestativa in contractu matrimoniali, Monitor Ecclesiasticus, 79, 1954, p. 648

[33] C. POMPEDDA, 6 juin 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 472, n. 16

[34] Ouvrage cité, p. 207, n. 3

[35] P. MONETA, ouvrage cité, p. 211, n. 4

[36] C. TURNATURI, 15 décembre 2005, n. 8

[37] C. PALESTRO, 17 décembre 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 730, n. 5 ; c. BOCCAFOLA, 27 mai 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 321, n. 3

[38] C. STANKIEWICZ, 13 décembre 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 791, n. 16

[39] D. 50, 17, 77

[40] Sentence citée, p. 792, n. 17

[41] Cf . PRADER, Il matrimonio in Oriente e Occidente, Rome 1992, p. 187 ; R. COLANTONIO, La ‘condicio de futuro’, p. 52 ; c. TURNATURI, 30 janvier 1992, citée, p. 14, n. 6

[42] C. STANKIEWICZ, même sentence, n. 18

[43] C. DEFILIPPI, n. 12

[44] C. WYNEN, 2 juillet 1949, SRRDec, vol. XLI, p. 339, n. 2 ; c. PARISELLA, 12 mars 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 270, n. 5 ; c. FERRARO, 23 mai 1972, SRRDec, vol. LXIV, p. 324, n. 9 ; c. STANKIEWICZ, 30 janvier 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 18, n. 14 ; c. DEFILIPPI, 28 mars 1995, vol. LXXXVII, p. 228, n. 13

[45] C. FELICI, 9 février 1954, SRRDec, vol. XLVI, p. 109, n. 5

[46] C. BEJAN, 5 mai 1973, SRRDec, vol. LXV, p. 396-397, n. 6

[47] C. BOCCAFOLA, 25 juin 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 553, n. 6

Turnaturi 10/12/2009

Coram  TURNATURI

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal régional de Trente (Italie) – 10 décembre 2009

P.N. 20.152

Constat de nullité  pour l’incapacité d’assumer de la part de l’époux

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DU  SACREMENT
  2. Nature de la simulation
  3. Le nécessaire acte positif de volonté dans la simulation
  4. La preuve de la simulation

 

  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER  LES

OBLIGATIONS  CONJUGALES

  1. Capacité et incapacité psychique des contractants
  2. Le défaut de discretio judicii
  3. L’incapacité d’assumer
  4. Le narcissisme : nature et effets
  5. Le recours aux experts

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Paolo M., né le 29 novembre 1956, fait en septembre 1979, à l’Université de Bologne, la connaissance de Laura V., d’un an sa cadette. Leur amitié se transforme en amour et les jeunes gens se fiancent, bien que Paolo ait quelques doutes sur « la capacité de Laura à prendre la responsabilité d’une famille ». Le mariage est célébré le 30 septembre 1984. Deux enfants naissent au foyer, mais la vie conjugale connaît des difficultés, qui entraînent la séparation des époux en 1988.

 

Le 4 mai 1988 Paolo s’adresse au Tribunal régional de Trente, devant lequel il accuse son mariage de nullité « pour exclusion de l’indissolubilité du lien » de sa part et « pour incapacité de contracter mariage au sens du c. 1095, 2° et 3° de la part de l’épouse partie appelée ».

 

Au cours de l’instruction sont présentés des rapports d’experts effectués tant au for civil qu’au for ecclésiastique. La sentence du 11 novembre 2003 rejette « le chef d’exclusion de l’indissolubilité de la part du mari ainsi que celui d’incapacité d’émettre un consentement valide selon le c. 1095, 2° et 3° de la part de l’épouse ».

Le mari fait appel à la Rote. Le 31 octobre 2007 l’avocat du mari remet au Tribunal une expertise réalisée par le professeur A.J., et il demande que soit admis, selon le c. 1683, un nouveau chef de nullité portant sur l’incapacité du mari d’assumer les obligations essentielles du mariage. Ce chef est donc ici examiné « comme en première instance », tandis que les deux autres chefs le sont en seconde instance. Une nouvelle expertise est confiée au professeur M.G.

 

 

 

EN  DROIT

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. Nature de la simulation

 

  1. Aux termes du c. 1057 § 1, « c’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage », ce consentement ne pouvant, sous peine de nullité, s’écarter des prescriptions du Code.

 

Puisque « le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1), celui qui décide librement et volontairement de célébrer un mariage dans l’Eglise est présumé le conclure comme il est proposé par la doctrine de l’Eglise. Mais la présomption de droit est détruite si le contractant, par une décision positive, explicite ou même implicite, pourvu qu’elle soit manifestée par des paroles ou des faits concluants et qu’elle soit soutenue par des motifs proportionnés, exclut, ou bien le mariage lui-même, ou bien un élément essentiel ou une propriété essentielle du mariage. Dans ces hypothèses il contracte invalidement en raison d’une simulation totale ou partielle du consentement (c. 1101 § 2).

 

  1. Le nécessaire acte positif de volonté dans la simulation

 

  1. Notre Jurisprudence a cent fois déclaré que pour que l’exclusion de l’indissolubilité puisse avoir un effet irritant, elle doit être accomplie par un acte positif de volonté (cf. c. 1101 § 2), c’est-à-dire par un propos délibéré et ferme, mûri dans l’esprit et intimement connexe à l’objet du consentement matrimonial, de contracter un mariage qui sera dissous au gré du contractant ou au moins qui est dissoluble.

 

Il faut donc que soient dépassées la volonté habituelle, une disposition de l’esprit, une intention interprétative ou générique, bien plus encore la prévision elle-même de l’abandon du conjoint, puisque toutes ces situations n’atteignent pas le volontaire et ne peuvent donc encore moins déterminer le volontaire à un objet unique.

 

L’acte positif de volonté, au contraire, rend présente et actuelle la disposition de l’esprit, change la volonté habituelle ou générique en volonté opérative, le désir en propos, le propos en chose voulue, c’est-à-dire en un acte réellement posé qui manifeste et implique la volonté interne.

 

  1. « La simulation du consentement par exclusion de l’indissolubilité – le dit de façon adéquate une sentence c. Defilippi – a lieu lorsque quelqu’un, en contractant mariage, le veut en réalité comme dissoluble, c’est-à-dire en se réservant la faculté de retrouver sa pleine liberté vis-à-vis de l’autre contractant […]. En d’autres termes, exclut cette propriété essentielle du mariage celui qui, de façon positive, entend son propre mariage comme dissoluble à son gré, soit de façon absolue, soit de façon hypothétique (par exemple, si les choses tournent mal ; si l’amour vient à disparaître ; si l’autre personne est infidèle etc.), indépendamment des moyens concrets auxquels il veut recourir pour trancher le lien, quel qu’il soit »[1].

 

  1. La preuve de la simulation

 

  1. La preuve de la simulation ou exclusion du bien du sacrement se fait selon les critères reçus par la jurisprudence traditionnelle, à savoir s’il y a le concours de trois éléments : la confession du simulant, judiciaire et surtout extra-judiciaire, faite à des témoins dignes de foi, à une époque non suspecte ; une cause grave et proportionnée de simulation qui, de nature bien distincte de la cause qui a poussé au mariage, prévaille de fait sur elle ; des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui rendent la simulation accomplie non seulement possible mais probable et nettement crédible.

 

  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER  LES

OBLIGATIONS  CONJUGALES

 

  1. Capacité et incapacité psychique du contractant

 

  1. Le c. 1095 statue que « sont incapables de contracter mariage les personnes :

1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;

2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ;

3° qui, pour des causes de nature psychique, ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

A la donation-réception personnelle dans la conjugalité qui doit être constituée par le consentement conjugal, ou, si l’on préfère, au consentement qui peut réellement réaliser la donation-acceptation de ceux qui se marient (cf. C. 1057 § 2), fait obstacle en effet l’incapacité psychique des contractants.

 

La véritable donation de soi, en effet, pour constituer la communion de vie dans une relation duelle, et pareillement l’acceptation de l’autre, si nécessaire pour que soit réelle une authentique communauté de vie et d’amour, peuvent d’autant plus exister qu’existe surtout, en plus de la potentialité physique, la capacité psychique chez chacun des deux contractants.

 

Comme nous l’avons écrit dans une sentence du 5 avril 2001 : « Dans ce contexte la capacité psychique des contractants se réfère avant tout à la conjugalité, c’est-à-dire à cette habilité à se donner et à se recevoir comme conjoint, et cette capacité postule chez les contractants, au moment où ils décident le mariage ou lorsqu’ils le célèbrent, 1° l’usage suffisant de la raison pour émettre un consentement par un acte humain conscient et libre ; 2° une obligatoire discretio judicii pour évaluer les droits et les devoirs conjugaux essentiels à donner et à recevoir mutuellement ; 3° les ressources indispensables pour assumer et remplir les obligations essentielles du mariage »[2].

 

Comme on le lit dans une sentence c. Defilippi du 16 novembre 2006, les éléments suivants sont requis chez celui qui se marie :

« a) sous l’aspect intellectif, est nécessaire la connaissance de la substance du mariage, au moins en tant que communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation d’enfants par une certaine coopération sexuelle (c. 1096 § 1) ;

  1. b) sous l’aspect estimatif, sont réclamées une prise en compte pratique de la valeur substantielle du mariage, c’est-à-dire des droits et des devoirs essentiels du mariage lui-même, et l’évaluation des motifs qui d’un côté poussent au mariage et d’un autre côté le déconseillent ;
  2. c) sous l’aspect de la décision, est exigé le pouvoir d’agir, c’est-à-dire la liberté interne dans la délibération et la décision relatives au mariage concret à contracter, dans une subordination suffisante des impulsions intérieures vis-à-vis de la raison »[3].

 

De tels éléments peuvent parfois faire défaut en raison de dysfonctions de la sphère intellective ou volitive et par suite d’une perturbation de l’émotivité affective.

 

  1. Le défaut de discretio judicii

 

Le défaut de discretio judicii, en effet, ne peut pas être reconnu dans ces causes s’il n’est pas prouvé que cette situation s’est produite en raison d’une anomalie psychique ou d’une véritable immaturité qui empêchent l’exercice correct des facultés de jugement ou de volonté par rapport à l’acquisition de l’état conjugal ou aux droits et devoirs essentiellement connexes par nature à celui-ci qui, de façon absolument certaine, comportent dans leur accomplissement, c’est-à-dire dans le mariage-état de vie, une auto-oblation, c’est-à-dire une donation personnelle.

 

  1. L’incapacité d’assumer

 

  1. En ce qui concerne la troisième hypothèse sanctionnée par le c. 1095 ci-dessus rappelé, c’est-à-dire l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, il suffira de remarquer qu’elle affecte les personnes qui, bien que jouissant éventuellement d’une adéquate discretio judicii, sont inaptes en raison de leur condition psychique anormale, à assumer – c’est-à-dire à accomplir – les obligations essentielles du mariage.

 

Il est admis pacifiquement depuis longtemps, en effet, que l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, qu’il faut distinguer des incapacités mentionnées aux n. 1 et 2 du c. 1095 ci-dessus rapporté, se vérifie non pas par un défaut de l’acte psychologique de l’intelligence et de la volonté, mais par l’impossibilité de réaliser l’objet du consentement, et elle se vérifie seulement lorsqu’elle provient de causes de nature psychique. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas affirmer qu’il y a incapacité de contracter sans qu’il n’y ait la présence d’une anomalie psychique.

 

Etant donné que l’objet du consentement est le don et l’acceptation d’un droit, la capacité de contracter mariage « implique de la part des contractants non seulement la capacité de comprendre et de vouloir l’objet du contrat examiné concrètement en lui-même, mais également la capacité de donner formellement cet objet, c’est-à-dire de fournir à son partenaire tout ce qui est essentiellement exigé dans la vie commune des conjoints, pour que les trois biens du mariage puissent s’y réaliser »[4].

 

  1. Le narcissisme : nature et effets

 

  1. Parmi les causes de nature psychique qui font obstacle à la donation-acceptation conjugale des contractants, c’est-à-dire à leur capacité psychique, soit en ce qui concerne la discretio judicii, soit en ce qui regarde la capacité d’assumer les obligations conjugales, la Jurisprudence Rotale a souvent relevé l’importance de l’immaturité psychique, ou narcissisme : « A partir de ses caractéristiques propres le narcissisme montre une stagnation ou une régression de la personnalité avant la maturité, surtout affective et émotionnelle, d’autant plus qu’il a une action importante en ce qui concerne la communauté conjugale et finalement, en raison de signes particuliers dans la façon d’agir du sujet, en ce qui regarde les droits et les devoirs conjugaux, pour que la communauté et ces droits-devoirs soient correctement réalisés. Il résultera une propension pressante et invincible par laquelle la cohabitation, surtout dans les profondeurs de l’intimité, devient pesante et affecte le partenaire par une façon très dure de se comporter, le sujet ne se souciant pas des légitimes demandes de son conjoint et réclamant une attention complète à ses propres demandes, même fictives, sans le moindre égard pour l’autre »[5].

 

  1. Mgr Stankiewicz, dans une sentence du 24 février 1994, après avoir abondamment exposé la doctrine, estime que « dans la forme grave du narcissisme pathologique on peut sans aucun doute déjà reconnaître un défaut de capacité critique, ou estimative, ou de liberté interne, par rapport à la personne du partenaire ainsi que par rapport aux droits et devoirs essentiels du mariage, mais on peut surtout reconnaître une incapacité d’instaurer la relation interpersonnelle de la communauté de vie et d’amour conjugal »[6].

 

Assurément, « celui qui est affecté d’une perturbation narcissique de la personnalité ne peut pas comprendre ni percevoir son propre état, bien plus il exige des autres admiration, hommages et respect »[7].

 

  1. Comme l’enseignent les psychologues, le narcissisme se révèle et s’enracine généralement à l’âge juvénile.

 

Et c’est à bon droit qu’une sentence c. Serrano fait remarquer : « C’est pourquoi il n’y aurait pas de désordre pathologique, à moins qu’il n’y ait le signe d’une adolescence anormale du sujet et une aggravation de l’immaturité, qui se découvre facilement dans le syndrome narcissique »[8].

 

« Si un tel état se présente à l’âge adulte, alors le sujet est incapable d’instaurer de significatives relations interpersonnelles »[9].

 

« Il peut y avoir dans le narcissisme, en effet, une immaturité psychique qui empêche d’assumer les obligations essentielles du mariage et de créer et de conduire la relation interpersonnelle elle-même[10]»[11].

 

Dans le cas du contractant affecté de narcissisme, « la relation ne s’instaure plus entre le sujet et l’objet, mais entre une image exagérée et primitive de soi-même et la projection de cette image pathologique sur les objets, de telle sorte que la véritable relation est seulement entre soi-même et soi-même, avec la carence d’une relation interpersonnelle »[12].

 

  1. Le recours aux experts

 

  1. En raison du nombre et de la diversité des manifestations de la psychose ou parfois de la façon insolite d’agir de l’homme, il est clair qu’est non seulement utile mais nécessaire le recours aux experts, ce que la loi canonique postule expressément dans ce genre de causes (c. 1680). Les experts, à partir d’une analyse approfondie des actes ou des documents ou, le cas échéant, d’un examen médical de la partie en cause ou des deux parties, ou encore à partir de psychodiagnostics sérieux, doivent, selon les règles de leur art, renseigner le juge sur la nature, l’origine et la gravité de l’état psychique du sujet, ainsi que sur la présence de cet état à l’époque où le mariage a été conclu.

 

  1. En particulier – et cela sur la décision également de l’Instruction Dignitas Connubii – le Juge doit demander à l’expert :

« 1. dans les causes pour défaut d’usage de la raison, si au moment de la célébration du mariage cette anomalie perturbait gravement l’usage de la raison ; avec quelle intensité et à quels indices elle se révélait ;

  1. dans les causes pour défaut de discernement, quel a été l’effet de l’anomalie sur la faculté critique et élective de prendre des décisions importantes, particulièrement pour choisir librement un état de vie ;
  2. enfin dans les causes pour incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage, quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage » (art. 209 § 2).

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT DE LA PART DU MARI DEMANDEUR

 

  1. Le demandeur

 

Le demandeur affirme que, pendant les fiançailles, il avait remarqué chez Laura un comportement étrange, et même une certaine immaturité : « Laura était particulièrement effrontée avec les garçons, il fallait qu’elle soit le centre de l’attention, elle aimait le luxe et la vie facile ». En conséquence Paolo commençait à avoir des doutes sur sa future vie conjugale, mais, dit-il, « même si mes parents étaient perplexes sur mon choix de Laura, ils m’ont laissé entièrement libre ».

 

Toutefois Paolo a persévéré dans son propos d’épouser Laura, car il attendait beaucoup d’avantages de cette union, mais en même temps, déclare-t-il, « je me réservais le droit de divorcer si la vie conjugale n’amenait pas Laura à une maturation adéquate et profonde ». C’est pourquoi il invoque une deuxième cause de nullité de son mariage : l’incapacité psychique de son épouse.

 

  1. La partie appelée

 

« Lire ce qu’écrit Paolo, déclare de son côté l’épouse partie appelée, me fait vraiment souffrir » et elle ajoute : « Je n’ai jamais douté de l’amour de Paolo pour moi […]. Entre nous il n’y a eu aucune réserve pour le mariage chrétien […]. Nous n’avons, avant le mariage, jamais parlé de divorce ». Pour Laura, enfin, l’échec du mariage est dû à des personnes extérieures au foyer.

 

  1. Les témoins

 

Tous les témoins de l’épouse (et il est ici inutile de relater leurs propos) sont d’accord pour dire que les fiançailles ont été sereines, que les époux se sont mariés parce qu’ils s’aimaient, et ceux du mari ne savent pas si Paolo avant le mariage avait des doutes sur l’attitude de Laura et sur sa capacité à fonder une communauté de vie à l’image de celle de ses propres parents.

 

  1. Le père et la mère de Paolo

 

Le père de Paolo avait recommandé la prudence à son fils, mais celui-ci lui répondait qu’il espérait que Laura changerait, et, précise le père : « Paolo aimait Laura […]. Pour moi il est clair que le mariage à l’église a été décidé d’un commun accord. Je n’ai jamais entendu parler d’un mariage civil ».

 

La mère de Paolo reconnaît que ce n’est que récemment qu’elle a appris que son fils avait eu des doutes au moment de se marier.

 

Bref, il ne peut être question de cause éloignée de simulation, en raison de l’éducation chrétienne du mari, ni de cause prochaine, qui aurait prévalu sur la cause qui a poussé au mariage, en raison de l’amour du demandeur pour la partie appelée.

 

 

  1. LE DÉCRET DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER DE LA PART

DE L’ÉPOUSE

 

Les Juges soussignés doivent dès le début remarquer qu’il ne ressort des actes aucun élément ou argument qui puisse prouver chez la femme des anomalies psychiques ou des désordres de la personnalité qui atteindraient un niveau pathologique et donc qui leur permettraient de parler de défaut de discretio judicii ou d’incapacité d’assumer au moment du mariage.

 

  1. Le demandeur

 

Selon Paolo, Laura « s’est montrée absolument inadaptée à la vie de couple et à la famille, car elle était uniquement désireuse d’être le centre de l’attention et elle avait une forte attraction pour le luxe et la vie facile ».

 

Cela, peut-on remarquer, n’a pas découragé Paolo d’épouser Laura et d’avoir avec elle deux enfants. De plus, comme l’affirment l’épouse et de nombreux témoins, les deux naissances ont été accueillies volontiers et avec joie par les conjoints.

 

Certes il y a eu par la suite des difficultés entre les époux mais elles sont dues surtout à la personnalité narcissique de Paolo, comme il en sera question plus loin.

 

  1. Les témoins et les experts

 

Les témoins reconnaissent quelques défauts à Laura mais nient toute possibilité de problème de nature psychique chez elle : anomalies psychiques ou immaturité.

 

Devant le Tribunal civil, la psychologue M.C., dont la sentence rotale cite abondamment le rapport d’expertise, déclare qu’au moment du mariage il n’y avait chez l’épouse aucune trace d’une perturbation psychique, peut-être une certaine immaturité, un certain narcissisme, celui-ci n’atteignant cependant pas un niveau pathologique.

 

Devant le Tribunal ecclésiastique, le psychiatre C.C., qui a fait une expertise sur les actes, relève lui aussi chez l’épouse un certain narcissisme, mais pour lui, il est difficile de voir s’il s’agit d’un Trouble narcissique de la Personnalité selon les critères du DSM-IV.

 

En conclusion, on ne peut pas parler avec assurance d’un grave défaut de discretio judicii et d’une véritable incapacité d’assumer de la part de l’épouse partie appelée.

 

III.  L’INCAPACITÉ D’ASSUMER LES OBLIGATIONS CONJUGALES DE LA PART

DU MARI DEMANDEUR

 

Ce chef de nullité a été présenté en cette seconde instance, à la Rote Romaine, par l’avocat du demandeur parce que de nombreux éléments recueillis en première instance amenaient à envisager l’incapacité psychique de ce demandeur. De nouvelles expertises ont été réalisées qui confirment la grave et profonde désorganisation narcissique de la personnalité de ce dernier, provoquant chez lui une grave immaturité au moment de son mariage.

 

Déjà en première instance l’enquête avait fait état du défaut d’empathie du demandeur, de son estimation immodérée de lui-même, de son manque de considération pour le jugement d’autrui, ce qui donnait déjà, en raison de la gravité de ces faits, des arguments pour son incapacité à se marier.

 

  1. Les déclarations de l’épouse partie appelée et du demandeur lui-même

 

En première instance, Laura avait parlé du « caractère introverti » de son mari, chez qui elle soupçonnait quelque problème psychique, mais, avoue-t-elle, « au début j’étais tellement amoureuse de lui que je ne m’en suis pas aperçue ».

 

De son côté, Paolo décrit son éducation et son évolution psychique : enfant et adolescent, il a toujours été l’objet d’attentions particulières de ses parents, il a été poussé par eux à élever le niveau de sa famille, à s’affirmer, à avoir des objectifs ambitieux. Ne pouvant réaliser ses aspirations à Bologne, il a déclaré à Laura qu’il lui fallait partir à Rome dans ce but. De plus il a vu que s’il épousait Laura, elle pourrait l’aider dans son ascension sociale en raison des qualités intellectuelles et de la position qu’elle possédait.

De nombreux témoins confirment les déclarations de chaque époux : le caractère de Paolo, l’utilité qu’il voyait dans son mariage ; « Il ne parlait jamais de sentiment, d’amour, mais plutôt des perspectives d’avenir intéressantes qu’il aurait en épousant Laura ».

 

  1. Les experts

 

La première expertise a été faite à l’occasion du divorce civil. La psychologue M.C. trouve chez le mari « une tonalité narcissique […] qui se réfère à une façon d’être du sujet qui est prévalente quand n’interviennent pas des mécanismes de défense ».

 

Le professeur L.O. voit un narcissisme chez l’un et l’autre des époux.

 

L’expert M.C., qui elle aussi avait attribué à l’épouse « une structure profonde de personnalité de type narcissique », avait noté des éléments analogues chez le mari.

 

Les professeurs A.J. et M.G. ont examiné Paolo et sont arrivés à des conclusions sûres et conformes aux actes. Les très longues citations de leurs expertises qui figurent dans la sentence peuvent être résumées ainsi : « Diagnostic certain de Trouble Narcissique de Personnalité », « Comme le cas en question le démontre, la valeur pathologique du Narcissisme consiste dans l’incapacité de valorisations authentiques et d’ouverture à autrui, à cause de la prédominance égocentrique de soi par rapport à autrui, réduit à être un simple instrument de gratification du sujet lui-même ». Les experts citent de nombreux faits et attitudes de Paolo qui justifient leur conclusion. Le professeur A.J., particulièrement cité dans la sentence rotale, dresse un catalogue éloquent de ces faits et attitudes du mari.

 

En conclusion, il existait sûrement chez Paolo et Laura une constitution psychique narcissique, mais si, chez le mari, celle-ci s’est révélée grave et doit être tenue pour psychopathologique, il ne semble pas qu’elle ait été grave chez l’épouse.

 

Constat de nullité

pour incapacité d’assumer

de la part du mari

 

Vetitum pour le mari

 

Egidio TURNATURI, ponent

Maurice MONIER

Pio Vito PINTO

 

Cette sentence, qui a déclaré pour la première fois la nullité du mariage, est transmise au Tour d’appel.

 

__________

 

[1] C. DEFILIPPI, 28 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 676, n. 8

[2] C. TURNATURI, 5 avril 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 274, n. 6

[3] N. 5

[4] C. BOCCAFOLA, 11 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 136, n. 7

[5] C. SERRANO, 18 février 1983, inédite ; cf. c. SERRANO, 21 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 531, n. 12 ; c. EGAN, 29 mars 1984, SRRDec, vol. LXXVI, p. 206, n. 6 ; c. FIORE, 30 mai 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 348 ; c. DORAN, 6 juillet 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 496, n. 26 ; c. COLAGIOVANNI, 20 mars 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 175

[6] C. STANKIEWICZ, 24 février 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 116, n. 20

[7] C. ALWAN, 13 décembre 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 704, n. 7

[8] C. SERRANO, 27 octobre 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 620, n. 5

[9] C. COLAGIOVANNI, 28 mai 1994, SRRDec, vol. XCI, p. 264, n. 11

[10] Cf. R.J. SANSON, Narcisistic Personality Disorder : Possible Effects on the Validity of Marital Consent, Monitor Ecclesiasticus, 112, 1988, p. 541-581

[11] C. LOPEZ-ILLANA, 17 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 890, n. 22

[12] G. VERSALDI, Via et ratio introducendi integram notionem christianam sexualitatis humanae in categorias canonicas, Periodica, 75, 1986, p. 429

Turnaturi 16/07/2009

Coram  TURNATURI

 Nouvelle proposition de la cause

Défaut de discretio judicii

 Guatemala – 16 juillet 2009

P.N. 20.319

Nouvelle proposition acceptée

Constat de nullité

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

 

PREMIÈRE  PARTIE

LA  NOUVELLE  PROPOSITION  DE  LA  CAUSE

 

EN  DROIT

  1. Les nouvelles preuves et les nouveaux arguments
  2. La gravité des nouvelles preuves et des nouveaux arguments

 

EN  FAIT

  1. La première sentence rotale
  2. La deuxième sentence rotale
  3. La troisième sentence rotale

 

SECONDE  PARTIE

LE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. Le don-acceptation réciproque et la capacité psychique
  2. La gravité du défaut de discretio judicii
  3. Le narcissisme
  4. Nature du narcissisme
  5. Arrivée précoce du narcissisme dans l’évolution psychique
  6. Conséquences du narcissisme
  7. Le rôle des experts

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Les parties en cause, Georges Z. et Carine B., enfants d’émigrés palestiniens au San Salvador, font connaissance en 1952 et se marient en 1955. Le mariage, où naissent deux enfants, connaît l’échec. Les époux divorcent en 1961 et ils se remarient chacun de leur côté.

 

En 1990, Georges, qui habitait alors au Guatemala, s’adresse au Tribunal ecclésiastique du pays pour demander la déclaration de nullité de son mariage avec Carine en raison d’un manque de maturité de chaque époux. Le Tribunal, après accord du Vicaire Judiciaire de San Francisco, en Californie, où résidait la partie appelée, concorde le doute sous le chef de manque de discretio judicii de la part des deux conjoints.

Aucune expertise n’est réalisée. Le 4 juin 1991, le Tribunal rend une sentence positive. L’épouse fait appel à la Rote qui admet la cause à l’examen ordinaire du second degré. Le Professeur Callieri effectue une expertise. Le 23 janvier 1997, la sentence du Tour Rotal est négative.

 

Georges, le mari demandeur, fait appel au Tour suivant. Le doute est concordé le 15 juin 1999. Sur demande de ce Tour une expertise est effectuée au Guatemala, avec examen du demandeur. Les Pères du Tour, le 27 novembre 2001, déclarent que la cause doit être complétée. Le Professeur Tonali est chargé d’une nouvelle expertise et le Tour Rotal, le 20 février 2007, rejette le chef de défaut de discretio judicii de la part des deux époux.

 

Le demandeur choisit une nouvelle avocate qui, le 18 janvier 2008, après avoir obtenu une expertise sur le demandeur réalisée par le Professeur Testa avec entretiens et tests psychodiagnostiques, sollicite une nouvelle proposition de la cause. Il Nous revient aujourd’hui de répondre aux doutes concordés par décret du ponent le 19 juin 2008 : « Faut-il concéder une nouvelle proposition de la cause et, si oui, la preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii chez l’une et l’autre partie ? »

 

 

 

PREMIÈRE  PARTIE.  LA  NOUVELLE  PROPOSITION  DE  LA  CAUSE

 

 

EN  DROIT

 

  1. Contrairement à l’opinion du Défenseur du lien, il est possible, et conforme à la pratique de la Rote, de joindre en un seul procès les deux questions de la nouvelle proposition de la cause et du chef de nullité allégué, d’autant que la cause de nullité a été présentée en 1990, il y a 20 ans, et que le mari demandeur a aujourd’hui 76 ans.

 

  1. Il y a peu de choses à dire sur les principes du droit parce que les exigences de nouveauté et de gravité des arguments et des documents (c. 1644 § 1 ; Dignitas Connubii, art. 290 § 1 et 2) sont bien connues, mais il faut noter que parfois elles sont intrinsèques, dans la mesure où elles n’ont pas été étudiées et exposées à fond et partout dans les instances précédentes par les Juges et les experts.

 

  1. Les nouvelles preuves et les nouveaux arguments

 

  1. Dans l’esprit du nouveau Code, « au sens propre, les ‘preuves’ ici requises impliquent des éléments extrinsèques de la sentence et sous-entendent d’une part les moyens de preuve eux-mêmes, c’est-à-dire, outre les déclarations des parties qui constituent plutôt ‘ce qui doit être prouvé’, les documents (c. 1539-1546), les témoignages ou attestations (c. 1547-1573), les expertises (c. 1574-1581), les présomptions qui confirment d’autres éléments probatoires (c. 1584-1586)[1], et d’autre part le caractère plus ou moins véridique de ces moyens, par exemple s’ils ont été reconnus par la suite faux et corrompus. Les ‘arguments’, eux, impliquent des éléments intrinsèques de la sentence qui se réfèrent eux-mêmes à la façon de raisonner dans la sentence, et comprennent tant l’erreur dans l’interprétation ou l’application de la loi dans le cas jugé, que la violation ou la négligence évidente de la loi non purement processuelle, ou encore que l’estimation erronée du fait ou sa perversion »[2].

 

  1. Ainsi, pour obtenir un nouvel examen de la cause, comme l’a cent fois redit la Jurisprudence Rotale, « les simples désapprobations et observations critiques concernant les décisions rendues ne sont pas suffisantes »[3], c’est-à-dire que « ne servent à rien les nouvelles déclarations ou les nouveaux mémoires, qui réitèrent les faits et circonstances déjà notés, exposés, admis ou rejetés, ou qui les remettent en mémoire, parce que ces nombreux ajouts ne peuvent pas changer la substance des éléments acquis»[4], à moins qu’éventuellement on démontre et prouve par eux que les juges, en interprétant et en appliquant les normes juridiques ou en estimant et comprenant les faits, se sont trompés[5], c’est-à-dire sont tombés « dans de substantielles erreurs juridiques » ou « sont arrivés à oublier ou déformer des faits importants »[6], ou « ont été induits en erreur ou au moins n’ont pas estimé correctement et objectivement des preuves déjà recueillies »[7], ou « s’ils ont accepté des choses fausses, rejeté des vraies, admis des éléments incongrus ou ineptes »[8].

 

  1. La gravité des nouvelles preuves et des nouveaux arguments

 

  1. En ce qui concerne la gravité des nouveaux arguments et des nouvelles preuves, « il n’est pas requis […] qu’ils soient très graves, encore moins décisifs, c’est-à-dire qu’ils exigent de façon péremptoire une décision contraire, mais il suffit qu’ils rendent probable cette décision contraire »[9], ou encore « qu’ils rendent probable la réforme des décisions précédentes »[10].

 

Bref, il suffit que ces moyens, « considérés en eux-mêmes et joints à ceux qui ont été précédemment proposés, amènent le juge, avec probabilité, à rendre une sentence contraire »[11]. Autrement le Juge agirait imprudemment en s’appuyant sur une opinion purement subjective.

 

Succinctement, les nouveaux arguments ou documents sont ceux qui n’ont pas encore été soumis à l’examen des juges, comme de nouvelles attestations ou de nouveaux rapports d’expertise, qui apportent des éléments nouveaux ou qui expliquent plus clairement des éléments déjà connus, arguments ou documents « qui établissent la possibilité de la réforme d’une sentence antérieure, soit que soient présentés de nouveaux témoins, soit que soient apportées des choses nouvelles, soit enfin qu’il soit démontré par des arguments solides que quelques faits et événements n’ont pas été soumis à l’examen qu’auraient dû faire les juges précédents »[12].

 

EN  FAIT

 

  1. La première sentence rotale (2° instance de la cause. Expertise du Pr Callieri)

 

  1. Dans la cause présente du Guatemala, contre la conclusion de la première sentence, qui a déclaré que chacune des parties, et surtout le demandeur, a manqué de la nécessaire discretio judicii pour contracter validement le mariage, « lui qui souffrait d’un manque de maturité sociale, émotionnelle, morale et religieuse », et qui était affecté d’un grave défaut de discretio judicii « pour émettre validement son consentement matrimonial, avec le but de constituer un mariage valide devant l’Eglise, à cause de l’absence des éléments fondamentaux de ce consentement », la première sentence rotale a estimé « qu’il manquait l’indispensable présupposé juridique pour déclarer la nullité, en ce que, en réalité, il ne semblait pas dans la cause présente s’agir d’un grave défaut de discretio judicii de la part de l’épouse partie appelée ou du mari demandeur, mais plutôt de leur incompatibilité de caractère, de tempérament ou d’esprit, et de personnalité ».

 

La première sentence rotale redit « que dans le cas présent il n’y a pas d’argument juridiquement valide », persuadée que « les parties en cause ont toujours joui d’une bonne santé physique et psychique », que les relations prénuptiales ont été bonnes, normales, soutenues par un vif amour, que l’échec du mariage n’est pas arrivé en raison de l’incapacité psychique des conjoints, mais « en raison d’une façon différente d’agir et de se conduire des parties en cause et à cause de l’infidélité du mari ».

 

Bref, selon la première sentence rotale, on ne peut pas parler de défaut de discretio judicii de la part de l’une ou l’autre des parties, ou des deux parce qu’« il n’y a aucune allusion à une anomalie psychique grave et antécédente, et qu’aucune circonstance spéciale probante n’est remarquée ».

 

Ainsi en a déclaré et décidé la première sentence rotale, non seulement persuadée que personne parmi les témoins n’a affirmé que « les parties en cause étaient affectées ou souffraient d’un grave défaut de discretio judicii », mais qui s’oppose à la conclusion du professeur Callieri selon lequel chacune des parties, au moment de la célébration du mariage, présentait « de nombreux traits d’immaturité affective », ou « une immaturité affective marquée », qui « a influé profondément, de façon négative, sur la consistance du consentement matrimonial qui en est restée radicalement affectée ».

 

Bref, ces « traits d’immaturité », selon les Pères du premier Tour Rotal, ne pouvaient pas être mis sur le même plan qu’une grave immaturité psychique et donc prouver « l’existence d’un véritable défaut de discretio judicii chez l’une ou l’autre partie ».

 

  1. La deuxième sentence rotale (3° instance dans la cause. Expertises, en
    premier lieu, par un psychiatre du Guatemala, puis à Rome, par le
    Professeur Tonali

 

  1. Les arguments développés par la première sentence rotale ont été repris par la deuxième sentence rotale, pour laquelle, en l’occurrence, il s’agit « d’une banale impression d’immaturité, non fondée sur des critères scientifiques, et absolument pas, de toute façon, de quelque immaturité grave, psychique, ou affective. Il s’agit en fait d’un état d’irresponsabilité, qui cependant n’a rien à voir avec un état maladif ». « Et c’est pourquoi, même s’il y a certains éléments et états qui font penser à l’immaturité, ils restent de peu d’importance et de faible impact sur l’incapacité de discretio des parties ».

 

Ainsi la seconde instance rotale a estimé qu’il fallait rejeter d’une part le diagnostic « d’immaturité affective marquée » établi sur les parties par le Professeur Callieri, parce que celui-ci « n’a même pas justifié ses conclusions de façon scientifique », et d’autre part les conclusions de l’autre expert, celui du Guatemala, qui, de même, « a fondé son rapport sur l’immaturité du mari et sa dépendance vis-à-vis de sa mère », et qui, pour ces raisons, a estimé que le demandeur avait été incapable d’assumer les obligations conjugales « parce que sa maturité psychoaffective était sérieusement affectée par les facteurs déjà décrits avec antériorité ».

 

Le Professeur Tonali (qui a effectué une expertise après que l’expert du Guatemala a fait la sienne sur demande du ponent du 2° Tour rotal) pense aussi qu’il faut rejeter le diagnostic de l’expert du Guatemala, car il est persuadé que ce diagnostic « représente la tentative de fournir une explication en clé psychodynamique au présent – mais non démontré – manque de maturité psychoaffective du demandeur, relié à une dépendance pathologique, absolument pas documentée, vis-à-vis de la figure maternelle, et à un refus non démontré de la figure paternelle ».

 

De là, la sentence du 2° Tour Rotal affirme, avec le Professeur Tonali, qu’il n’y a eu aucune immaturité psychique des parties.

 

  1. La troisième sentence rotale (4° inst. dans la cause. Expertise du Prof. Testa)

 

  1. Après tant d’efforts pour établir le véritable état psychique du mari demandeur au cours de sa vie, le Professeur Testa a fait une nouvelle expertise, exposée de façon très scientifique dans ses conclusions. En effet, procédant autrement que les professeurs Callieri et Tonali, le Professeur Testa a fait une évaluation critique des expertises déjà réalisées, en ajoutant des études, des faits et des arguments grâce auxquels elle a pu affirmer fermement et en toute certitude (ce qui en psychiatrie ne se fait pas souvent à la perfection !), selon les critères du célèbre DSM-IV, que le mari demandeur souffrait indubitablement d’immaturité psychoaffective et donc de défaut de discretio judicii ou, plus justement, d’un manque de liberté interne au moment où il a donné son consentement matrimonial ; et cela d’autant plus que jusqu’à aujourd’hui le mari « conserve de tels éléments caractériologiques […] à cause d’une carence de maturation de la sphère psychoaffective […] avec un trouble de type narcissique, avec des traits obsessifs compulsifs ».

 

L’expert en effet, non seulement a considéré à l’aide de son art les actions et les comportements passés du demandeur pour établir son immaturité psychoaffective, mais elle a indiqué les manifestations de cette immaturité, c’est-à-dire les conséquences malheureuses dans la constante façon de se conduire du mari.

 

Et comme cela dépasse les termes des expertises et des sentences précédentes, les Pères soussignés sont d’avis qu’il y a là un argument nouveau et grave, qui permet la concession d’une nouvelle audience, pourvu que celle-ci concerne le chef de manque de discretio judicii de la part du demandeur, et qui aide dans l’examen des données de la cause pour porter un jugement sur le fond de l’affaire.

 

Rien et aucun nouvel argument ne se trouve dans les actes pour le chef de manque de discretio judicii chez l’épouse partie appelée.

 

 

SECONDE  PARTIE.  LE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

 

  1. En vertu du c. 1095 « sont incapables de contracter mariage les personnes :

 

1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;

 

2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ;

 

3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

Au don-acceptation personnel dans la constitution de la conjugalité par le consentement conjugal, ou, si l’on préfère, au consentement qui peut réaliser le don-acceptation de ceux qui se marient, fait obstacle en effet l’incapacité des contractants.

 

 

  1. Le don-acceptation réciproque et la capacité psychique

 

Dans la mesure en effet où il peut y avoir le véritable don de soi-même dans la constitution de la vie commune dans une relation duelle, et pareillement l’acceptation de l’autre si nécessaire pour que soit réellement présente la véritable communauté de vie et d’amour conjugal, dans cette mesure, outre l’aptitude physique, il y a surtout, chez chacun des contractants, la capacité psychique.

 

Comme le dit une sentence c. Turnaturi, du 10 mai 2001, « Dans ce contexte la capacité psychique de ceux qui se marient se réfère avant tout à la conjugalité, c’est-à-dire à cette habilité à se donner soi-même et à accepter l’autre comme conjoint, et cette capacité chez ceux qui se marient demande, au moment de l’établissement ou de la célébration du mariage, un usage suffisant de la raison pour émettre un consentement par un acte humain conscient et libre ; elle demande aussi la nécessaire discretio judicii pour estimer les droits et les devoirs conjugaux essentiels à donner et à recevoir mutuellement ; elle demande encore l’aptitude à assumer et à remplir les obligations essentielles du mariage »[13].

 

  1. Comme on le lit dans une sentence c. Defilippi du 16 novembre 2006, les éléments suivants sont requis chez celui qui se marie :

« a. Sous l’aspect intellectif, il est nécessaire de connaître la substance du mariage, au moins comme communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation d’enfants par quelque coopération sexuelle (c. 1096 § 1) ;

  1. Sous l’aspect estimatif, sont postulées une évaluation pratique de la valeur substantielle du mariage, c’est-à-dire des droits-devoirs essentiels de ce mariage, et l’estimation des motifs qui d’une part poussent à contracter mariage et qui d’autre part en dissuadent ;
  2. Sous l’aspect électif est exigée la puissance ou liberté intrinsèque pour délibérer et décider au sujet du mariage à contracter concrètement, avec une subordination suffisante à la raison des pulsions intérieures »[14].

 

Ces éléments peuvent parfois faire défaut en raison de dysfonctionnements de la sphère intellective, ou volitive, ou de la sphère de l’émotivité affective du sujet.

 

  1. La gravité du défaut de discretio judicii

 

  1. Ce n’est pas cependant n’importe quel défaut de discretio judicii du contractant qui entraîne l’incapacité et la nullité du mariage, mais celui seulement qui est grave et qui se rapporte aux droits-devoirs essentiels du mariage à donner et recevoir mutuellement.

 

Cette « gravité du défaut de discretio judicii est à évaluer d’une part dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits-devoirs essentiels du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective de celui qui se marie doit garder une nécessaire proportion, et d’autre part dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques, qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii », c’est-à-dire que cette gravité est à évaluer « dans la lésion substantielle de l’activité intellective dans l’exercice de la faculté cognoscitive, critique ou estimative, et dans la lésion de l’activité volitive dans l’exercice de la faculté élective »[15].

 

On ne peut en effet déduire le défaut de discretio judicii, dans ce genre de cause, que s’il est prouvé que cela est arrivé en raison d’une anomalie psychique ou d’une véritable immaturité qui empêchent l’exercice correct de la faculté de discretio et de la faculté de volition sur l’état matrimonial à embrasser et sur les droits-devoirs essentiellement connexes par nature à cet état qui, à coup sûr, dans leur accomplissement, c’est-à-dire dans le mariage in facto esse, le mariage-état de vie, comportent un auto-sacrifice, c’est-à-dire une donation personnelle.

 

  1. Le narcissisme

 

  1. Nature du narcissisme

 

  1. Parmi les causes de nature psychique qui font obstacle au don-acceptation conjugal des contractants, c’est-à-dire à leur capacité psychique, en ce qui concerne soit la discretio judicii, soit la capacité d’assumer les obligations du mariage, la Jurisprudence rotale a souvent reconnu l’importance de l’immaturité psychique ou du narcissisme, étant donné que le narcissisme, « par ses caractéristiques propres, indique une rétention ou une régression de la personnalité avant la maturité, surtout affective et émotionnelle, et cette importance reconnue par la Jurisprudence vient du fait que le narcissisme a un très grand rapport avec la communauté conjugale et, en raison de signes particuliers dans la conduite du sujet, avec les droits et devoirs conjugaux, pour qu’ils soient bien remplis : il surviendra une propension pressante et invincible par laquelle la cohabitation, surtout dans le domaine intime, est mal supportée et affecte le partenaire par la façon très dure de se comporter du sujet, celui-ci ne se souciant pas des demandes légitimes de son conjoint et réclamant pour les siennes, même fictives, et sans la moindre considération pour le partenaire, une attention sans limites »[16].

 

La décision c. Stankiewicz du 24 février 1994, après avoir cité une abondante doctrine, tient que « dans la forme grave de cette perturbation on peut dès lors sans aucun doute reconnaître un défaut de capacité critique ou estimative et un défaut de liberté interne en ce qui concerne la personne du partenaire et les droits-devoirs essentiels du mariage, et surtout une incapacité d’instaurer la relation interpersonnelle de communauté de vie et d’amour conjugal »[17].

 

  1. Arrivée précoce du narcissisme dans l’évaluation psychique

 

  1. « En ce qui concerne l’existence de cette perturbation avant le mariage il est à noter comment les auteurs caractérisent sans hésitation son arrivée précoce dans l’évolution psychique (‘âge adulte précoce’). Il ne serait sans doute pas sans raison de remarquer que l’adolescence – et de là l’immaturité – est une époque de l’âge très favorable à ce que ce désir d’affirmation de la personne éclate avec les rêves de vanité qui, se fondant en un seul mouvement, exaltent l’estimation de soi et l’enfermement psychique dans la contemplation de soi-même. C’est pourquoi rien ne serait un désordre pathologique sans le signe d’une adolescence anormale et d’un sursis de l’immaturité qui se découvre plus facilement dans le syndrome narcissique »[18].

 

  1. Conséquences du narcissisme

 

« Si un tel état se prolonge à l’âge adulte, alors le sujet devient incapable d’instaurer des relations interpersonnelles significatives »[19].

« Dans le narcissisme en effet peut se trouver une immaturité psychique, qui empêche d’assumer les obligations essentielles du mariage et de constituer et de conduire cette relation interpersonnelle[20] »[21].

 

Dans le cas de celui qui se marie en étant affecté de narcissisme, « la relation ne s’établit plus entre le sujet et l’objet, mais entre l’image exagérée et primitive de lui-même et la projection de son image pathologique sur les objets, de telle sorte que la véritable relation est seulement entre Soi et Soi, avec une carence de la relation interpersonnelle »[22].

 

  1. Comme on le lit en effet dans une sentence c. Serrano du 11 avril 1997, « ce qui est en vigueur chez les narcissiques tout comme dans des désordres d’autres genres, c’est une sorte d’orientation dans un sens unique, à savoir cet Ego exalté et recherché au-delà du normal, tout autre étant négligé et abandonné ; il y a nécessairement de ce fait une diminution de cette liberté substantielle qui donne avant tout à un être humain de se déterminer lui-même et en ce qui le concerne. Ce défaut de liberté – ce qu’on appelle habituellement un défaut de liberté interne – fait sans aucun doute obstacle à la maîtrise sur soi-même par laquelle, déjà à partir de l’émission du consentement, quelqu’un doit se donner lui-même et en vérité, dans la liberté appropriée à pareille matière, entrer dans l’alliance conjugale. Mais elle fait encore plus obstacle à cette relation de droit et de devoir, qui constitue la charge substantielle première du mariage ; si fait défaut toute cette disposition d’esprit par laquelle une personne se reconnaît et est de fait soumise à l’autre, comment cette personne peut-elle accepter les obligations ultérieures qui ne sont rien d’autre que ses déterminations originelles précises, distinctes et existentielles ? Ceci d’autant plus dans le mariage où ceux qui s’épousent font un pacte qui ne concerne que leur personne et ce qui relève de leur personne, et cela pour une communion de toute la vie »[23].

 

  1. Le rôle des experts

 

  1. Comme cependant les manifestations psychotiques et parfois l’insolite conduite de l’homme sont variées et diverses, il est clair que le recours aux experts est non seulement utile mais nécessaire, recours que la loi canonique demande expressément dans ce genre de causes (c. 1680). Les experts, à partir de leur analyse approfondie des actes et des documents, et, le cas échéant, de l’examen médical de la partie ou des parties, ainsi que d’irréprochables psychodiagnostics, doivent informer le juge sur la nature, l’origine et la gravité de l’état psychique du sujet ainsi que sur la présence de cet état au moment de la célébration du mariage.

 

Les experts, dans l’esprit du c. 1578 § 2, « doivent indiquer clairement […] par quelle voie et par quelle méthode ils ont procédé dans l’exécution de la mission qui leur a été confiée, et principalement sur quels arguments ils appuient leurs conclusions ».

 

  1. Le juge doit en particulier demander aux experts, selon l’article 209 de Dignitas Connubii :

« 1° dans les causes pour défaut d’usage de la raison, […] si au moment de la célébration du mariage cette anomalie perturbait gravement l’usage de la raison ; avec quelle intensité et à quels indices elle se révélait ;

2° dans les causes pour défaut de discernement, […] quel a été l’effet de l’anomalie sur la faculté critique et élective de prendre des décisions importantes, particulièrement pour choisir librement un état de vie ;

3° enfin dans les causes pour incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage, […] quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage. »

 

Comme il est bien dit dans une sentence c. Defilippi, « dans les causes de ce genre, quand il n’y a pas de certificats médicaux sur la définition de la grave perturbation du sujet dont il est question, on ne peut que difficilement penser à une déclaration de nullité, en négligeant la prescription du c. 1680 cité sur la nécessité de recourir à l’aide d’un expert psychiatre ou psychologue […] »[24].

 

  1. Comme le fait justement remarquer une sentence c. Serrano du 21 octobre 1988, « L’appui des experts sert à rendre transparente à la raison et à la conscience des juges, la vérité des situations difficiles à comprendre. Mais si, démuni d’arguments solides, on en reste à la difficulté de la situation – soit sous l’aspect d’une impossibilité de parvenir à une plus grande intelligibilité, soit par le fait d’admettre des faits ou une interprétation de ceux-ci qui ne corresponde pas à la voie de la procédure -, je ne sais pas comment la sentence pourrait avoir la certitude morale qui est nécessaire pour la décision (canon 1608 § 1). Aussi, sans nier que dans ces cas, il y a plus d’un élément difficile qui reçoit une explication, c’est à ce propos précisément qu’est utile dans le jugement l’intervention des experts qui, selon leurs possibilités, vont au nœud de pareilles difficultés et cela, en vérité, dans la sainte observance des règles les plus générales de notre droit ou de la ligne canonique judiciaire »[25].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Compte tenu des conclusions de la dernière expertise, celle du Professeur Testa, il est clair que le demandeur souffrait, dès sa jeunesse, d’une immaturité psychoaffective avec des aspects narcissiques, et que les conséquences de cet état sont toujours présentes.

 

Georges, d’origine arabe, n’était pas accepté au Guatemala par les gens qu’il rencontrait et il s’est alors replié sur lui-même, sur ses propres capacités, et il s’est coupé de tout entourage, au point d’être incapable d’une relation interpersonnelle.

 

Le Professeur l’a soumis à des tests (DAP 22), qui ont montré chez lui « un trouble évident de la structure de la personnalité, consistant dans une très grave immaturité affective émotionnelle qui posait beaucoup de problèmes comportementaux et de relation interpersonnelle ».

 

Il est inutile de reproduire ici les déclarations de l’expert, qui se répètent et aboutissent toujours à une immaturité et à un narcissisme privant le sujet d’une véritable liberté intérieure.

 

L’expertise du Professeur Testa confirme les conclusions du Professeur Callieri et infirme l’argumentation des deux sentences rotales précédentes.

Quant aux témoins, il suffit de citer les déclarations de deux prêtres qui estiment tous deux que les deux parties n’avaient pas la maturité nécessaire pour se marier, et qui, à la question : « Si l’on vous avait demandé de célébrer le mariage des deux jeunes gens, auriez-vous accepté ou refusé ? », répondent à l’unisson : « J’aurais refusé ».

 

 

Une nouvelle présentation de la cause est concédée

 

 

Constat de nullité pour

défaut de discretio judicii

de la part du mari demandeur

 

 

Egidio TURNATURI, ponent

Maurice MONIER

Pio Vito PINTO

 

__________

 

 

[1] C. COLAGIOVANNI, décret du 16 juillet 1985, RRDecr, vol. III, p. 203, n. 5

[2] C. STANKIEWICZ, 26 avril 1990, RRDecr, vol. VIII, p. 82, n. 6

[3] DIGNITAS CONNUBII, art. 292 § 2

[4] C. FUNGHINI, 18 février 1987, RRDecr, vol. V, p. 25, n. 4

[5] Cf. c. EWERS, 26 juillet 1975, SRRDec, vol. LXVII, p. 527, n. 3

[6] C. POMPEDDA, 6 décembre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 837, n. 9

[7] C. BRUNO, 12 mars 1993, inédite, n. 2

[8] C. MATTIOLI, 13 mai 1953, SRRDec, vol. XLV, p. 340, n. 8 ; cf. c. POMPEDDA, 2 mars 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 127, n. 7, et 6 décembre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 836, n. 4 ; c. HUBER, 3 juin 1994, RRDecr, vol. XII, p. 130, n. 8, et 26 juillet 1994, RRDecr, vol. XII, p. 165, n. 6

[9] DIGNITAS CONNUBII, art. 292 § 1

[10] C. FUNGHINI, 6 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 247, n. 4

[11] C. JULLIEN, 16 octobre 1948, SRRDec, vol. XL, p. 354, n. 2

[12] C. FELICI, 15 décembre 1949, SRRDec, vol. XLI, p. 541, n. 2

[13] C. TURNATURI, 10 mai 2001, SRRDec, vol. XCIII, n. 9

[14] C. DEFILIPPI, 16 novembre 2006, SRRDec, vol. XCVIII, n. 5

[15] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6. Cf. c. COLAGIOVANNI, 31 mai 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 271, n. 5

[16] C. SERRANO, 18 février 1983, inédite ; cf. c. SERRANO, 21 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 531, n. 12 ; c. EGAN, 29 mars 1984, SRRDec, vol. LXXVI, p. 206, n. 6 ; c. FIORE, 30 mai 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 348 ; c. DORAN, 6 juillet 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 496, n. 26 ; c. COLAGIOVANNI, 20 mars 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 175

[17] C. STANKIEWICZ, 24 février 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 116, n. 2 ; c. STANKIEWICZ, 27 mars 1998, SRRDec, vol. XC, p. 289, n. 14

[18] C. SERRANO, 27 octobre 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 620, n. 5

[19] C. COLAGIOVANNI, 28 mai 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 264, n. 11

[20] Cf. R.J. SANSON, Narcisistic Personality Disorder : Possible Effects on the Validity of Marital Consent, dans MONITOR ECCLESIASTICUS, 112, 1988, p. 541-581

[21] C. LOPEZ-ILLANA, 17 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 890, n. 22

[22] G. VERSALDI, Via et ratio introducendi integram notionem christianam sexualitatis humanae in categorias canonicas, Periodica 75, 1986, p. 429

[23] C. SERRANO, 11 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 268, n. 5

[24] Décret du 12 mai 2005, n. 6

[25] C. SERRANO, 21 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 524, n. 14

Sciacca 23/10/2009

Coram SCIACCA

 Exclusion du bien du sacrement

Violence et crainte

 Tribunal interdiocésain de Salerne (Italie) – 23 octobre 2009

P.N. 19.838

Non Constat pour les 2 chefs

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PLAN DE L’IN JURE

  1. L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT
  1. LA VIOLENCE ET LA CRAINTE
  2. Le contrat particulier qu’est le mariage
  3. La liberté du choix de l’état de vie
  4. La crainte
  5. La crainte révérentielle

 

__________

 

EXPOSÉ DES FAITS (résumé)

 

Francesco G., âgé de 28 ans, épouse le 21 septembre 1980 Laura B., de dix ans sa cadette. La vie conjugale, où naît une petite fille, ne dure pas longtemps ; les époux se séparent en 1984 et le divorce civil est prononcé en 1989.

 

Laura, le 17 avril 2004, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique interdiocésain de Salerne, où elle accuse son mariage de nullité pour exclusion, de sa part, de l’indissolubilité. La sentence du 25 février 2006 est négative.

 

L’épouse fait appel à la Rote le 22 juin 2007, et son avocat demande que soit ajouté, comme en première instance, le chef de violence et crainte infligées à l’épouse, ce qui est accordé.

 

 

EN DROIT

 

  1. Comme l’a constamment soutenu la jurisprudence de Notre For, chaque fois que par une simulation – moyennant un acte positif de volonté – est exclu une propriété ou un élément essentiel du mariage, ou le mariage lui-même, le consentement matrimonial manque totalement. Lorsque, par ailleurs, quelqu’un, sous l’effet d’une coaction, consent au mariage, une telle volonté, même forcée, est toujours une volonté et, bien que déclaré nul par la loi positive, le consentement donné sous l’effet de la crainte est toujours un consentement.

 

  1. Lorsque donc un mariage est prétendu nul, soit par exclusion du bien de l’indissolubilité, soit pour violence et crainte – comme dans le cas présent – il faut d’abord traiter de la simulation alléguée du consentement, et ensuite de la violence ou de la crainte qui auraient été infligées. Il est en effet impossible d’infirmer un consentement qui n’existe pas, puisque s’il est réellement prouvé qu’une simulation a eu lieu, il sera inutile de rechercher si le consentement a été extorqué ou non.

 

« Un consentement qui n’a pas été émis – lit-on dans une sentence de De Jorio du 29 avril 1964 – ne peut être déclaré contraint ou infecté par un autre vice de la volonté […]. S’il est prouvé qu’on a menacé d’un mal grave l’un ou l’autre des conjoints, ou chacun d’eux, si celui-ci refusait de contracter le mariage qui lui était imposé, le Juge devrait voir d’abord si la victime de la violence a simulé son consentement, c’est-à-dire si intérieurement elle ne l’a pas donné, et c’est seulement s’il estime devoir répondre négativement à ce doute qu’il pourra se poser la question de l’invalidité du consentement donné sans l’effet de la coaction »[1].

 

  1. L’EXCLUSION DU BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. Concernant l’exclusion de l’indissolubilité du lien du mariage, les principes jurisprudentiels ont été mille et mille fois étudiés par Notre Saint For, et décrit et exposés par la doctrine commune et approuvée.

 

Il suffira ici de rappeler brièvement ce que le droit connu de tous déclare pour qu’il y ait simulation du bien du sacrement, comme d’ailleurs dans les autres espèces de simulation, à savoir qu’est requis un acte positif de volonté, c’est-à-dire un propos ferme, délibéré et conscient, de ne contracter son propre mariage que dissoluble.

 

C’est pourquoi l’acte positif de volonté contre le bien du sacrement ne peut pas être confondu avec la simple hypothèse ou la prévision de la séparation ou de l’échec du mariage, ni avec des paroles favorables au divorce, prononcées avec jactance.

 

  1. La simple erreur concernant l’indissolubilité, « pourvu qu’elle ne détermine pas la volonté » – (c’est-à-dire ne pénètre pas la volonté, ou ne devienne pas un acte de volonté) – ne vicie pas le consentement matrimonial » (c. 1099).

 

  1. Le bien du sacrement n’admet pas de distinction entre le droit et l’exercice du droit : en effet celui qui exclut l’exercice de ce droit, veut par le fait même que son mariage soit soluble et donc, et cela nécessairement, il rejette le droit lui-même de l’indissolubilité, comme l’enseigne le Docteur Angélique.[2]

 

  1. En ce qui concerne la preuve – « le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1) – la présomption du droit peut être surmontée par une solide démonstration : par la confession, même non décrétoire, du simulant allégué ; par un motif grave et proportionné de cette simulation, prévalant sur la cause qui a poussé au mariage. Si cette démonstration n’est pas faite, ou, pire, si d’après les actes on découvre la cause qui a poussé à un mariage correct, c’est en vain qu’agit la partie qui accuse son mariage de nullité pour simulation du consentement.

 

Ensuite l’argument venant des témoignages ne doit pas être sous-estimé : il doit s’agir de témoins qui rapportent ce qu’ils ont appris de la part du simulant, à une époque non suspecte.

 

Enfin il faudra voir les éléments antécédents, concomitants et subséquents à la célébration du mariage, « si et dans la mesure, écrit Brennan dans une sentence du 18 mars 1964, où ils ne peuvent s’expliquer que si l’on admet la simulation »[3].

 

  1. LA VIOLENCE  ET  LA  CRAINTE

 

  1. Le contrat particulier qu’est le mariage

 

  1. Personne ne peut nier – à moins de vouloir soustraire quelque chose à l’aspect personnaliste qu’il a à la lumière de la doctrine chrétienne – que le mariage a la stature juridique d’un contrat particulier, celui d’un contrat synallagmatique entre un homme et une femme qui se donnent l’un à l’autre pour constituer une « communauté de toute la vie » (c. 1055 § 1).

 

  1. Puisqu’il s’agit de parler juridiquement de contrat, nous ne pouvons pas ne pas ajouter – en développant notre réflexion – que le contrat particulier est une espèce du genre qu’on appelle affaire juridique, qui embrasse des espèces diverses comme le mariage, le testament et ainsi de suite.

 

L’essence d’une affaire juridique réside dans la volonté du sujet d’où surgit ce qu’on appelle un « fait juridique » pour la réalisation duquel il faut nécessairement l’existence de la volonté, de la déclaration de cette volonté, ainsi que de la conformité entre cette déclaration et la volonté elle-même, comme nous l’avons dit plus haut à propos du consentement simulé.

 

En effet, par cette affaire, le sujet dispose de ses propres droits, il met en jeu sa propre vie, etc.

 

En ce qui concerne la validité de cette affaire juridique, il est exigé l’expression d’une volonté agissant librement.

 

  1. La liberté du choix de l’état de vie

 

  1. L’Eglise protège vigoureusement la liberté de chacun dans le choix de son état de vie (c. 219) et c’est pourquoi elle tient pour invalide « le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la crainte grave externe, même si elle n’est pas infligée à dessein, dont une personne, pour s’en libérer, est contrainte de choisir le mariage » (c. 1103).

 

Le consentement donné sous l’effet de la crainte, très certainement, peut très difficilement s’accorder avec la liberté dont, de droit naturel, doivent se conclure les mariages, absolument indissolubles pour la vie.

 

Enfin, la liberté des mariages conclus sous l’effet de la crainte n’est pas protégée, comme selon le droit romain, par une action rescisoire – car le mariage, selon sa constitution par le Créateur, jouit de l’indissolubilité – mais par une action déclaratoire de nullité.

 

  1. La crainte

 

  1. Mais, à ce stade de notre étude, qu’est-ce que la crainte ?

 

C’est, brièvement, une impulsion psychologique qui provient de la perception d’un péril imminent concernant les biens essentiels de la personne, comme sa vie, sa liberté, son salut.

 

C’est pourquoi il y a une lésion de la liberté de la décision délibérée.

Il coule de source que la crainte ne frappe que ceux qui se refusent à quelque chose ou y répugnent, et c’est pourquoi, comme la jurisprudence de Notre For l’a depuis très longtemps et clairement exposé, ne doit pas être censé avoir subi une coaction celui qui contracte mariage avec une personne pour laquelle il n’a pas d’aversion.

 

Toute coaction pour le mariage, en effet, suppose nécessairement l’aversion, soit pour l’autre partie, soit pour le mariage lui-même, de celui qui se dit contraint.

 

En effet, s’il peut y avoir aversion sans coaction, ainsi lorsqu’une personne ayant de l’aversion peut parfois contracter librement pour obtenir des avantages de son mariage, jamais par contre il ne peut y avoir coaction sans aversion, puisque personne ne peut être contraint à une chose qui lui convient par elle-même.

 

En conséquence, là où l’aversion est niée ou non prouvée, on ne voit pas pourquoi on parlerait de coaction.

 

  1. La crainte révérentielle

 

  1. La crainte révérentielle – que la demanderesse en la cause présente dit avoir subie – est généralement présumée légère par elle-même, mais, si elle est qualifiée, elle peut devenir grave et irriter le mariage.

 

Les prières, même instantes et réitérées, les exhortations, les conseils, les tentatives de persuasion ainsi que toute impulsion ou coaction modique – qui ne privent pas l’enfant de liberté – que les parents, en raison de leur mission et de leur devoir dans la conduite de leurs enfants, exercent et emploient, ne constituent pas une crainte révérentielle irritant le consentement valide.

 

  1. On distinguera à juste titre de la crainte révérentielle irritante la façon de se comporter de la partie contractante vis-à-vis de ses parents ou supérieurs, c’est pourquoi, dans la gravité à exiger et à évaluer de la crainte révérentielle il faut surtout trouver et examiner l’aversion, avec son degré et sa constance, que la victime alléguée de la crainte a éprouvée pour son partenaire ou pour le mariage lui-même.

 

Mais cela suffit, comme nous l’avons exposé plus haut.

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Les Pères soussignés pensent qu’il n’y a aucun indice de preuve de chacun des deux chefs allégués.

 

  1. L’exclusion de l’indissolubilité

 

Les Juges de Salerne avaient déjà rejeté ce chef de nullité, ce que nous approuvons.

 

En effet Laura, parlant de la période de ses fiançailles, déclare que Francesco et elle ont librement décidé de se marier, et selon elle, « nous n’avions aucun doute et nous ne nous sommes pas posé le problème de savoir si nous nous serions séparés en cas de difficultés ». En seconde instance, l’épouse ajoute : « Quand je me suis mariée, je ne savais rien du mariage comme sacrement, et j’ignorais totalement qu’il était indissoluble ».

Cela étant, on ne peut admettre que l’épouse ait été capable d’émettre un acte ferme et positif de volonté contre l’indissolubilité de son mariage, qu’elle déclare avoir ignorée.

 

On sait que l’erreur ou l’ignorance portant sur l’indissolubilité n’irritent pas le consentement. De plus, comment rejeter ce qu’on ne connaît pas ?

 

Par ailleurs, Laura ayant déclaré en première instance qu’elle n’avait pas, pendant ses fiançailles, parlé avec Francesco des obligations conjugales, les Juges de 1° instance se sont interrogés : comment, dans ces conditions, Laura pouvait-elle émettre une réserve mentale sur la perpétuité du lien ?

 

De son côté, Francesco affirme que jamais Laura et lui-même n’ont parlé, avant et après le mariage, de séparation ou de divorce en cas d’échec de leur union.

 

Quant aux témoins, Laura reconnaît qu’elle n’a jamais parlé, à ses parents ou à ses amis, de ses réserves sur l’indissolubilité, et ceux-ci confirment, devant le Tribunal de 1° instance et celui de 2° instance, qu’effectivement Laura ne leur a jamais fait de confidences à ce sujet.

 

Enfin, en ce qui concerne la cause de l’exclusion alléguée de l’indissolubilité par l’épouse, on remarquera simplement que l’échec du foyer est dû à la passion du jeu qu’avait Francesco, qui a abouti à de grandes difficultés financières, et que Laura a découverte en 1984, quatre ans après son mariage.

 

La cause de l’exclusion de l’indissolubilité n’existe pas et il est certain que Laura ne s’est pas mariée avec la volonté positive de dissoudre le lien conjugal.

 

  1. La violence et la crainte

 

Sur l’instance de l’épouse a été ajouté, en appel, tamquam in prima instantia, le chef de violence et crainte subies par celle-ci.

 

Pourquoi n’a-t-il pas été invoqué en première instance ? Quoi qu’il en soit, les actes montrent que Laura n’avait aucune aversion pour Francesco. Cependant elle déclare : « Ma mère voulait m’établir et, si elle n’a pas fait pression sur moi par des paroles, elle m’a bien fait comprendre que c’était une excellente chose … Tout était prêt et je devais me marier ».

 

Francesco, de son côte, affirme que Laura n’avait aucune aversion à son égard et que personne ne l’a forcée à se marier, et il tient à préciser : « Laura n’était pas enceinte ».

 

Un témoin, Raphaela G., « croit que Laura s’est mariée pour ne pas déplaire à sa mère et (est) persuadée qu’elle s’est mariée avec la conviction que les choses devaient aller ainsi ». Une sœur de Laura, Clementina, déclare : « ma sœur n’a pas été contrainte par ma mère mais elle s’est trouvée prise dans un enchaînement de circonstances qui ne lui a pas permis de prendre une décision adéquate ». Les juges pensent qu’il n’y a pas là d’indice d’une coaction, mais peut-être d’un défaut de liberté interne, selon le c. 1095, 2°, mais là n’est pas le sujet.

 

Donc, il n’est pas prouvé qu’il y ait eu coaction. Nous pouvons admettre que Laura n’a pas voulu faire de peine à sa mère, qui voulait que ses filles fassent un bon mariage. Bien qu’elle ait accepté, par obéissance à sa mère, d’épouser Francesco, on ne peut pas dire qu’elle s’est mariée malgré elle et on doit reconnaître que l’influence de sa mère n’a pas dépassé les limites de la modération, d’autant que la mère n’a jamais menacé sa fille. Tout au plus pouvons-nous dire que Laura, guidée par les paroles de sa mère, a agi plus par raison que par amour pour Francesco, et de fait elle n’a rien fait pour se soustraire à l’influence de sa mère.

 

 

Non Constat de nullité

pour les deux chefs allégués

 

 

Giuseppe SCIACCA, ponent

Giovanni VERGINELLI

Agostino DE ANGELIS

 

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[1] C. DE JORIO, 29 avril 1994, SRRDec, vol. LVI, p. 317-318, n. 15

[2] SAINT THOMAS, Supplément, q. 49, a. 3, c

[3] C. BRENNAN, 18 mars 1964, SRRDec, vol. LV, p. 205, n. 3