Archives de l’auteur Yves Alain

Sciacca 22/01/2010

Coram  SCIACCA

 Erreur sur la qualité de la personne

Condition

Exclusion du bien des enfants

 Tribunal régional du Latium (Italie)

22 janvier 2010

P.N. 19.479

Constat de nullité

uniquement pour exclusion du bien des enfants

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. L’ERREUR SUR UNE QUALITÉ DE LA PERSONNE
  2. Le principe du droit sur l’erreur sur une qualité
  3. L’exception à ce principe
  4. La preuve de la nullité du consentement pour erreur sur la personne

 

  1. LA CONDITION
  2. Nature de la condition
  3. Condition de futuro et condition de praesenti
  4. Ne pas confondre la condition avec…
  5. La condition et le doute
  6. La connaissance de la nullité du mariage
  7. La preuve de l’apposition d’une condition

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

  1. L’exclusion du bien des enfants « dans ses principes »
  2. Exclusion du droit et exclusion de l’exercice du droit
  3. L’exclusion temporaire du bien des enfants
  4. La preuve de l’exclusion du bien des enfants

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS (résumé)

 

Giuseppe A., âgé de 30 ans, épouse le 22 juin 1996 Francesca F., de six ans sa cadette. Les jeunes gens s’étaient connus en 1990 et fiancés en 1992. La communauté conjugale n’eut pas d’enfants, d’une part parce que l’épouse faisait passer sa carrière professionnelle avant tout et repoussait toujours la perspective d’avoir un enfant, et d’autre part parce que cette situation causait de graves différents entre les conjoints. Ils se séparèrent à l’été 2000, la séparation consensuelle fut ratifiée par le Tribunal civil le 14 mars 2001, bientôt suivie de divorce. Depuis lors les époux se sont remariés civilement et ont eu chacun un enfant.

Désireux de retrouver sa liberté, Giuseppe, le 16 juillet 2001 s’adressa au Tribunal ecclésiastique régional du Latium, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour erreur sur une qualité de l’épouse et pour condition d’avoir des enfants mise par l’époux. La sentence du 17 mars 2004 fut négative.

 

En appel à la Rote, une nouvelle instruction fut entreprise, et le demandeur présenta un nouveau chef de nullité, à savoir l’exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse partie appelée.

 

Il Nous revient de répondre au doute concordé le 6 juillet 2007 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour erreur du mari demandeur sur une qualité directement et principalement visée de l’épouse partie appelée ; sinon, pour condition d’avoir des enfants apposée par le mari demandeur ; et, comme en première instance, pour exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse partie appelée ? »

 

 

EN DROIT

 

Le fondement de l’alliance matrimoniale, et même – selon la terminologie de la philosophie scolastique – sa cause efficiente, est le consentement librement manifesté des contractants, qui est donc un élément si nécessaire qu’aucune puissance humaine ne peut le suppléer (cf. c. 1057 § 1).

 

Le consentement est en effet un acte humain par lequel les conjoints, se donnant et se recevant mutuellement, entrent dans une intime communauté de vie et d’amour, fondée par le Créateur et dotée de ses lois propres.[1]

 

  1. L’ERREUR SUR UNE QUALITÉ DE LA PERSONNE

 

  1. Dans l’esprit du c. 1072 § 2, « l’erreur sur une qualité de la personne, même si elle est cause du contrat, ne rend pas le mariage invalide, à moins que cette qualité ne soit directement et principalement visée ».

 

  1. Le principe du droit sur l’erreur sur une qualité

 

En effet – c’est un principe – « le droit canonique ne s’intéresse pas à la connaissance exacte ou erronée de la qualité de la personne – qui peut cependant avoir un poids psychologique efficace et souvent décisif dans le mécanisme de la décision – mais il s’intéresse seulement à la représentation de l’identité de la personne ». Cela est en accord avec les présupposés philosophiques de l’ordre canonique, particulièrement avec la doctrine thomiste, selon laquelle « il n’est pas nécessaire que l’intellect appréhende les qualités d’un être pour mouvoir la volonté vers cet être ; ce qui, dans notre problème, signifie que l’intellect, qu’il ne connaisse pas ou connaisse de façon erronée les qualités de la personne de l’autre contractant, ne détourne pas le mouvement de la volonté qui est régulièrement porté à vouloir la personne connue dans son individualité essentielle »[2].

 

En d’autres termes, on pourrait déclarer que « la science minimale » pour la validité requise du consentement inclut l’identité de la personne, même « sans tenir compte de ses qualités, y compris de celles qui sont essentielles »[3].

 

  1. L’exception à ce principe

 

  1. L’exception à cette règle dans le nouveau Code a été introduite par la formule légale connue du c. 1097 § 2, prise des œuvres de Saint Alphonse de Ligori, selon laquelle le mariage est nul chaque fois que dans l’intention de celui qui se marie la qualité prévaut sur la personne du partenaire, puisque cette qualité n’est pas seulement un moyen pour choisir la personne, mais qu’elle donne en totalité l’objet même du consentement. C’est-à-dire que compte tenu de l’acte concret de vouloir, la qualité, avant la personne elle-même, devient l’objet du contrat. Il en résulte que le défaut de la qualité souhaitée entraîne la nullité du mariage pour défaut du consentement, plus précisément pour défaut de l’objet du consentement, qui était directement et principalement constitué par la qualité, mais indirectement seulement et secondairement par la personne.

 

La nullité, en conséquence, provient de ce que « la volonté du sujet, proprement parce qu’elle se porte sur la qualité, ne fait pas nécessairement référence à une personne physique déterminée, mais bien plutôt substitue la considération d’une caractéristique qualitative à la considération de la personne physique, laquelle est pour ainsi dire mise au second plan », comme le pense O. Fumagalli Carulli ci-dessus citée.[4]

 

Les limites de ce point de vue n’ont toutefois pas échappé à O. Giacchi : « Il est toutefois clair que si entre les deux personnes qui se sont mariées il n’y a pas eu une simple connaissance, mais une réciproque relation effective qui a permis d’apprécier le caractère, les sentiments etc. de l’autre contractant, il ne pourra pas y avoir lieu à une erreur redondante parce que la volonté des conjoints, en ce cas, ne pourrait plus être tournée vers la seule qualité abstraite mais elle se serait portée sur la personne concrète, dont on croit qu’elle est dotée de telle qualité mais qui désormais s’est identifiée également à travers des éléments divers de cette qualité et qui font pour cela converger la volonté du contractant sur l’entière personnalité de l’autre sujet »[5].

 

  1. La preuve de la nullité du consentement pour erreur sur la qualité

 

  1. Assurément il est difficile de prouver la nullité du consentement pour erreur sur la qualité: « Sans aucun doute, l’hypothèse prévue par la loi – fait remarquer la Jurisprudence rotale – peut pratiquement arriver. Elle semble cependant être une hypothèse extrême et peu vraisemblable, qui ne peut pas être facilement prouvée », comme on le lit dans une sentence c. Burke.[6]

 

« L’erreur sur la qualité directe et principale, remarque J. Viladrich, implique une genèse et une durée causée par l’histoire biographique réelle antécédente, et la preuve de ce substrat biographique antécédent et causal de la volonté substantivante est fondamentale, au moins pour le distinguer d’une simple volonté interprétative. Dans les limites d’une séquence biographique, il est fondamental de prouver, outre la cause, la volonté positive, permanente et non révoquée de substantivation de la qualité en objet direct et principal, au point d’éliminer de ce poste substantif l’identité personnelle du candidat, qui occupe un poste indirect et accidentel (substituable à un autre qui soit en possession de cette qualité) »[7].

 

Il est requis une preuve tant directe qu’indirecte. La première se prend, comme d’habitude, des dépositions des parties et des témoins. La seconde consiste surtout dans les critères traditionnels d’estimation et de réaction. C’est pourquoi il faut bien examiner :

 

« 1. La mentalité de la victime de l’erreur qui détermine, c’est-à-dire désigne, par telle ou telle qualité la personne du partenaire ;

  1. L’importance et le rôle qu’assume la qualité dans l’esprit de la victime de l’erreur, compte tenu de toutes les circonstances de personne ou de lieu ;
  2. La détermination de la victime de l’erreur, qui est fondée sur la qualité comme raison de contracter ;
  3. La façon d’agir, c’est-à-dire de réagir, de la victime de l’erreur dès sa découverte de la vérité »[8].

 

  1. LA CONDITION[9]

 

  1. Dans la présente cause est pris en considération également le c. 1102 :

« § 1. Le mariage assorti d’une condition portant sur le futur ne peut être contracté validement.

  • 2. Le mariage contracté assorti d’une condition portant sur le passé ou le présent est valide ou non, selon que ce qui est l’objet de la condition existe ou non.
  • 3. Cependant la condition dont il s’agit au § 2 ne peut être apposée licitement sans l’autorisation écrite de l’Ordinaire du lieu ».

 

  1. Nature de la condition

 

La condition se définit comme une clausule ajoutée à un pacte ou contrat (complet en lui-même quant à ses éléments essentiels), par l’effet de laquelle le début de l’efficacité du pacte est remis à plus tard (condition suspensive), ou la cessation des effets est décidée (condition résolutoire) en dépendance d’un événement, d’une qualité ou d’une circonstance objectivement ou au moins subjectivement incertains.

 

Typiquement l’événement mis dans la condition doit être objectivement incertain et futur : dans ce cas on parle de condition proprement dite. La condition improprement dite est celle qui concerne un événement ou une circonstance passés ou présents, incertains seulement subjectivement en raison de l’ignorance du contractant.

 

Si maintenant on regarde la cause efficiente de la circonstance envisagée dans la condition, la condition peut être causale si la vérification de l’événement ne dépend pas de la libre volonté humaine, autrement elle est dite potestative ; elle est mixte si le cas et la volonté de l’homme doivent concourir dans l’accomplissement de la condition.

 

  1. Condition de futuro et condition de praesenti

 

  1. Le code de 1917, à la différence de celui qui est actuellement en vigueur, reconnaissait comme valide le mariage conclu sous une condition suspensive de futuro licite, bien que son efficacité restât en suspens.

 

Sous l’empire de la loi ancienne, il n’y a eu, selon un auteur, même pas une seule cause traitée devant la Rote romaine sur le chef de condition suspensive de futuro.[10] En effet, par rapport aux causes qui auraient pu assez souvent être traitées sous ce chef, c’est-à-dire les causes où il était question de condition potestative, la Jurisprudence a élaboré une règle selon laquelle une telle condition – sauf à vouloir admettre l’absurde suspension du mariage jusqu’au dernier moment de la vie – doit être réduite à une condition de praesenti, c’est-à-dire à une condition ayant pour objet la sincérité de celui qui promet.

 

« De façon analogue, est-il écrit dans une sentence c. Defilippi du 20 février 2001, nous pouvons considérer la condition ‘qui regarde les enfants à venir’. Dans ce genre de situation en effet, si la condition a été en réalité sérieusement apposée, il peut s’agir d’une condition de praesenti, ‘si le contractant exige uniquement la capacité d’engendrer’. Elle peut cependant être apposée comme une condition de futuro suspensive, de telle sorte que la validité du mariage dépend du fait qu’elle soit ‘vérifiée ou non. On voit par là ce qu’il faut dire de la condition : Je t’épouse pourvu que tu aies des enfants’[11]. Dans ce cas ‘la vie conjugale, jusqu’à la naissance d’un enfant, se passe dans une totale fornication ; mais du jour où un enfant vient au monde, le mariage est valide entre les parties’[12].

 

Toutefois, comme il faut prêter attention à la réelle intention de celui qui se marie, il peut arriver également que celui-ci veuille contracter tout de suite un mariage, sous la condition cependant que le lien conjugal soit dissous si, à la suite de futures enquêtes et expériences, il arrivait à la conviction de l’impossibilité d’avoir des enfants : il s’agirait alors d’une condition de futuro résolutoire qui, substantiellement, se ramènerait à une simulation du consentement pour exclusion de l’indissolubilité »[13].

 

  1. Ne pas confondre la condition avec

 

  1. La condition est une certaine modulation du consentement, qui selon l’expression habituelle « pénètre le consentement », dont par conséquent l’apposition doit se faire par un acte volontaire, persévérant au moins virtuellement sinon émis actuellement dans l’acte de la célébration. Il faut enfin distinguer de la véritable condition des gestes psychologiques semblables qui, cependant, ne constituent pas des actes volontaires, ou, même s’ils sont volontaires, ne pénètrent pas le consentement matrimonial, mais le précèdent ou encore y sont seulement adjoints.

 

Donc, il ne faut pas confondre avec la condition :

 

la cause qui a poussé au mariage, qui s’exprime habituellement par la particule « parce que » (Je t’épouse parce que tu es belle, riche, diplômée) ; ainsi que la démonstration, qui s’exprime par le pronom « qui » (Je t’épouse, toi qui es belle, toi qui es riche etc.). Par là on a seulement l’indication des motifs qui incitent à contracter mariage : donc nous nous trouvons encore dans le domaine de l’intelligence.

 

le postulat ou pré-requis ou présupposé, c’est-à-dire l’intention vers une qualité particulière ou une circonstance, qui « accompagne la genèse du propos de s’épouser et l’acceptation de cette célébration comme un projet concret personnel », mais « qui n’est pas le consentement qui s’exprime dans l’acte même de contracter »[14]

 

– dans ce domaine se trouve aussi la condition qui est apposée non pas au mariage, mais aux fiançailles (plus exactement à la poursuite des fiançailles), de telle sorte que, si elle se vérifie, la partie accède au mariage par un consentement pur et simple.

 

– enfin l’intention ou condition interprétative, qui n’existe pas réellement, sauf peut-être dans un état d’esprit général : « Si j’avais su que tu es infirme, je ne t’aurais pas épousée ».

Enfin est volontaire, mais ne touche pas le consentement matrimonial, le mode ou la charge dont celui qui se marie attend de son partenaire l’accomplissement, sans qu’il lui subordonne son consentement de telle sorte que, si le mode n’est pas réalisé, il décide que son mariage est détruit.

 

  1. La condition et le doute

 

  1. La condition ne peut pas exister sans un certain état de doute, au moins initial : l’apposition d’une condition en effet est le fruit de l’ambiguïté de l’esprit en ce qui concerne la circonstance fortement souhaitée par celui qui se marie ; bien plus D. Staffa n’a pas hésité à affirmer que « de même que la condition est la révélation d’un doute, de même le doute est la révélation de la condition »[15].

 

Le doute, donc, semble un élément au moins logiquement nécessaire, bien que non suffisant, de la situation conditionnelle. Car « personne n’est conduit à apposer une condition s’il n’est pas saisi d’un doute soit objectif, soit au moins subjectif, quoique pathologique »[16], qu’entraîne par exemple la folie du doute.[17]

 

  1. La connaissance de la nullité du mariage

 

  1. Dans une véritable condition, selon la doctrine approuvée et la jurisprudence prévalente, se trouve un autre élément typique, à savoir la connaissance de la nullité. En effet, bien que l’intention de celui qui appose une condition soit non pas de faire un mariage nul, mais un mariage heureux, l’interprétation complète de l’hypothèse contraire, qui dénote une véritable machination conditionnelle, importe nécessairement que le contractant, dans le cas où la condition ne se réalise pas, bien qu’ignorant éventuellement les effets strictement juridiques de cette situation, se rende compte, au moins moralement, qu’il est libre de tout bien.

 

« En vérité la partie sait confusément […] qu’il manque quelque chose en ce qui concerne le lien dans son ‘être’, mais elle peut facilement ignorer les droits et les devoirs qui en résultent. C’est pourquoi ‘elle peut penser qu’elle doit rester dans cet état jusqu’au moment où apparaîtra une voie possible de libération’[18] »[19]. « Le sujet peut ignorer le droit qu’il a de voir déclarer nul le mariage qu’il a contracté, en raison de l’existence d’un fait dont il se détournait et qui avait été caché, et même fortement nié, par son partenaire, et par conséquent il peut ne pas recourir aux tribunaux pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage. Mais à coup sûr, il ne considère pas en conscience que son partenaire et lui-même soient liés »[20].

 

  1. La preuve de l’apposition d’une condition

 

  1. La preuve de l’apposition d’une condition est surtout fondée sur la confession de la partie, soit faite au Tribunal, soit rapportée devant le juge par des témoins dignes de foi. Il faut en outre que soit présente une preuve logique que fournissent – différemment que dans le cas de l’erreur de fait – d’une part l’estimation de la qualité ou de la circonstance (qui constituent l’objet de la condition prétendue) dans la considération subjective de celui qui s’est marié et en rapport avec le mariage de fait contracté, qualité et circonstance qui prévalent sur le mariage lui-même ; et d’autre part la réaction du conjoint au moment où il a découvert que la condition n’était pas remplie.

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

 

  1. On sait que l’exclusion de la procréation dans l’acte d’émission du consentement rend nulle l’alliance conjugale. L’ordonnancement à la procréation, en effet, est un élément essentiel du mariage chrétien (cf. c. 1055 § 1), et par conséquent l’intention de l’exclure provoque un « pseudomariage » dont l’Eglise ne peut pas reconnaître la validité (cf. c. 1101 § 2).

 

  1. L’exclusion du bien des enfants « dans ses principes»

 

Il faut noter cependant que toute intention contraire à la procréation n’irrite pas le consentement matrimonial. La doctrine canonique constante, en effet, à la suite du Docteur Angélique[21], tient que c’est l’exclusion de la procréation « dans ses principes » qui a une importance juridique, et non par conséquent l’exclusion de fait. L’exclusion de fait est censée se rapporter seulement à l’usage du mariage et donc ne pas entrer dans le consentement au moment de son émission.

 

« La volonté formée contre le bien de la procréation – fait remarquer la Jurisprudence Rotale – […] n’irrite le consentement matrimonial que lorsqu’elle exclut la procréation « dans ses principes », c’est-à-dire lorsqu’elle détruit l’intention d’avoir des enfants, c’est-à-dire de procréer par des actes vraiment conjugaux. En d’autres termes, une telle exclusion, pour invalider le consentement, doit viser le bien de la procréation dans son droit et son obligation, et non pas la procréation considérée « en elle-même », c’est-à-dire la procréation effective, qui appartient seulement à l’usage du mariage »[22].

 

  1. Exclusion du droit et exclusion de l’exercice du droit

 

  1. La jurisprudence canonique exprime en termes juridiques la doctrine thomiste en distinguant « l’exclusion du droit » et « l’exclusion de l’usage ou exercice du droit ». Cette distinction, bien que certains ne la jugent pas très appropriée, semble cependant ne pas être dépourvue de valeur et de fondement.

 

Il est nécessaire en conséquence de rechercher si, au moment du mariage, le sujet a entendu dénier radicalement le droit aux actes féconds, ou le concéder, bien qu’en se réservant d’en abuser par des actes qui de fait suppriment la fécondité des actes conjugaux (par exemple, par des pratiques anticonceptionnelles).

 

Cette distinction, défendue également par le Magistère Pontifical[23], est suivie par la jurisprudence rotale constante, qui affirme qu’une chose est de refuser à son partenaire le droit lui-même, et une autre chose de violer l’obligation reçue : « Le bien de la procréation en effet, comme le bien de la fidélité, mais différemment de ce qui se passe pour le bien du sacrement, admet une distinction, approuvée par la doctrine et la jurisprudence affermie de Notre For, entre le droit et l’exercice du droit. Dans le domaine de l’exercice du droit, le consentement du contractant se restreint à l’abus ou, si l’on préfère, le droit à l’abus est donné au conjoint, mais on ne peut absolument pas concevoir un droit à l’abus. Maintenant toutefois appartiennent à l’essence du contrat matrimonial le droit à l’acte conjugal et l’obligation qui en découle, mais il n’en va pas de même pour l’abus de ce droit, selon l’enseignement de Benoît XIV : ‘A la substance du mariage ne s’oppose pas le fait de ne pas user du mariage, mais s’y oppose le fait de ne pas pouvoir en user’ »[24].

 

  1. L’exclusion temporaire du bien des enfants

 

  1. Généralement l’exclusion temporaire est présumée ne concerner que l’usage du droit : « De même que l’exclusion perpétuelle de la procréation […] présage l’exclusion du droit, de même l’exclusion temporaire de la procréation présage en général seulement l’exclusion de l’exercice du droit »[25].

 

En effet on recourt de plus en plus, à notre époque, au report prémédité des naissances : « Il arrive souvent que ceux qui se marient arrivent à la célébration du mariage avec le propos délibéré d’éviter toute naissance pendant un certain temps, pour diverses raisons, jusqu’à ce que les circonstances soient favorables, surtout d’ailleurs – comme cela arrive habituellement – pour garder sa liberté par rapport aux graves charges et devoirs liés à la naissance d’un enfant, au moins les premières années du mariage, ou aussi jusqu’à ce que la situation économique s’améliore ou que la concorde entre les époux soit démontrée par l’expérience de la vie commune »[26].

 

Comme on l’a dit, cela ne comporte pas l’exclusion du droit conjugal et donc la nullité du mariage. « N’ont pas la force d’irriter le consentement le simple report de la procréation à des temps plus favorables, c’est-à-dire lorsque seront surmontées certaines difficultés économiques ou familiales, même si la pratique de l’onanisme ou le refus de l’acte conjugal pendant un certain temps font l’objet d’un pacte, quand bien même celui-ci serait péniblement supporté par le conjoint. Ces façons de faire en effet ne regardent pas le droit, mais l’exercice du droit et ne s’opposent pas au mariage constitué dans son être propre »[27].

 

  1. Toutefois, lit-on dans une sentence c. Stankiewicz du 24 juillet 1997, « on doit toujours chercher, dans l’exclusion temporaire de la procréation, si le report à plus tard d’une naissance a limité le droit conjugal lui-même, ou s’il a plutôt seulement détourné de son usage, par son abus temporaire, le droit donné et accepté dans son intégrité. La récusation du droit et du devoir intégraux aux actes conjugaux aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants, auxquels est, par sa nature, ordonné le mariage et par lesquels les époux deviennent une seule chair (c. 1601 § 1), c’est-à-dire la récusation perpétuelle de ce droit-devoir, entre en raison de la perpétuité du lien matrimonial (c. 1134) dans le consentement matrimonial et elle le limite et le rend nul »[28].

 

Lorsque la procréation, en effet, est exclue pour une période indéfinie, il faut penser que c’est le droit lui-même dans ses principes qui a été exclu, si réellement le contractant a décidé de subordonner cette exclusion à son bon vouloir et à son libre arbitre, et donc le consentement matrimonial est nul, puisque le droit à la génération d’enfants doit être donné et reçu non seulement mutuellement mais pour toujours. En d’autres termes, de sa propre volonté, après avoir pris la décision en se mariant de n’accomplir aucun acte conjugal apte par lui-même à la génération d’enfants, le sujet n’a pas donné le consentement matrimonial qui ne peut être suppléé par aucune puissance humaine. Le consentement étant absent, le lien matrimonial n’a pas été noué.

 

« Qui a différé longtemps n’a pas voulu », disait Sénèque, pénétré de l’immortelle sagesse des Anciens.[29]

 

  1. La preuve de l’exclusion du bien des enfants

 

  1. En ce qui concerne la preuve de l’exclusion, la jurisprudence de Notre For enseigne que l’exclusion doit être affirmée, expliquée, enfin confirmée.

 

Le commencement et le fondement de la preuve sont la confession du simulant présumé, soit faite devant le juge, soit présentée au juge par des témoins dignes de foi, qui l’ont entendue directement et à une époque assez éloignée du début du procès.

 

Il faut ensuite qu’il y ait une preuve indirecte : cela a lieu lorsque la simulation est expliquée par une cause valide de la simulation, au moins subjectivement grave et proportionnée, qui est démontrée comme prévalente sur la cause qui a poussé au mariage, et enfin lorsque la simulation est confirmée par le complexe des événements antérieurs au mariage, présents le jour du mariage et postérieurs au mariage.

 

C’est avec le plus grand soin, en outre, qu’on étudiera la persévérance du propos d’éviter les naissances, cette ténacité qui peut confirmer, avec tous les autres éléments de la cause, qu’il y a eu exclusion du droit lui-même dans son fondement.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. ERREUR SUR  UNE  QUALITÉ  DE  LA  PERSONNE

 

A l’exception de la déclaration du demandeur, rien ne ressort des Actes pouvant démontrer l’intention de celui-ci visant une qualité prévalente sur la personne de son conjoint.

 

  1. Le demandeur

 

Plutôt qu’une qualité précise, c’est un amas de qualités que recherchait le demandeur chez son épouse : « En plus de mon exigence d’avoir des enfants de mon mariage, je recherchais chez ma future femme une qualité spécifique, celle de l’honnêteté et de la prédisposition à être la mère de mes futurs enfants. Francesca m’assurait qu’elle était prête à avoir des enfants et à être une épouse et surtout une mère attentive et honnête ».

 

Il s’agit donc de deux qualités et cette dualité exclut le caractère principal que postule la loi.

 

Giuseppe a redit dans sa déposition à la Rote que « l’honnêteté de l’épouse et sa prédisposition pour les enfants et la famille étaient des qualités imprescriptibles », ce qui confirme qu’il ne souhaitait pas une qualité mais un exemple de caractéristiques personnelles qui auraient contribué au bonheur de son mariage.

 

  1. Les témoins

 

Donato G., Giuseppe C., Fabio B., déclarent, en termes presque identiques, que le demandeur recherchait “une mère digne et responsable, une brave femme et une brave mère”. Nous avons donc là un complexe de qualités qu’on ne peut pas considérer comme l’objet d’une intention directe et principale au sens du c. 1097 § 2.

 

  1. LA CONDITION

 

Les actes ne contiennent aucune confession de l’apposition d’une condition par le demandeur, et les témoins ne parlent de cette condition que de façon implicite.

 

  1. Absence d’un doute

 

Logiquement il faut avant tout qu’il y ait un présupposé à la condition, ce présupposé étant un doute, au moins initial, que le contractant essaie de surmonter par l’apposition d’une condition.

 

Or, déclare Giuseppe, « jusqu’au matin de mon mariage j’étais conscient et tranquille sur le fait que Francesca avait la qualité dont j’ai parlé, c’est-à-dire honnête et bien disposée à être mère. Elle me l’avait garanti jusqu’au jour du mariage ».

 

Les témoins affirment « que Giuseppe savait qu’elle avait accepté la condition concernant les enfants », qu’il « était certain que sa future femme avait la qualité qu’il souhaitait : brave femme et brave mère », qu’il « était convaincu et sûr que Francesca avait la qualité désirée ». Le père de Giuseppe déclare : « Il ne m’a jamais dit qu’il avait des doutes sur la personne de Francesca », ce que confirme la mère du demandeur.

 

De plus Giuseppe n’avait aucune pathologie obsessionnelle du type « folie du doute ».

 

Bref, l’erreur sur la qualité irritant le consentement manque de fondement à la lumière des critères logiques de preuve.

 

  1. Les critères d’estimation et de réaction

 

Certes Giuseppe estimait au plus haut point « la première finalité du mariage » que constituent les enfants. Mais le critère de réaction, qui est le premier critère et le plus important pour la preuve, fait défaut.

 

Les fiancés avaient respecté la chasteté avant le mariage. C’est donc pendant le voyage de noces que Giuseppe aurait dû avoir une réaction violente. Or les témoins sont tous d’accord pour dire que le voyage de noces avait été heureux : « Ils sont revenus de leur voyage de noces aux Maldives contents et satisfaits ».

 

Cependant, si le mariage a été consommé, Francesca rapporte qu’elle avait demandé à Giuseppe d’avoir des prophylactiques, et que, de mauvais gré, il avait accepté. Par ailleurs la sœur de Francesca, faisant état d’une confidence de celle-ci, déclare : « J’ai su que la vie intime dans un premier temps a été normale », en ajoutant que par la suite les époux avaient eu beaucoup de discussions sur le problème d’une naissance.

 

De son côté Giuseppe n’a pas quitté le domicile conjugal même s’il en a eu l’occasion. Par contre Francesca l’a quitté deux fois et à chaque fois elle a été reçue à nouveau par son mari.

 

De plus celui-ci déclare lui-même qu’il a tout fait pour que son mariage ne se brise pas, ce que confirment des témoins.

 

Tout ceci montre de façon claire que tant l’erreur du mari sur une qualité de la femme directement et principalement visée, que la condition apposée par lui manquent de tout fondement.

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DES  ENFANTS  PAR  L’ÉPOUSE

 

  1. La confession de la simulante

 

« Je n’ai pas eu d’enfant parce que je n’en voulais pas […]. Je me suis refusée à être mère ». C’est déjà l’aveu d’une simulation.

 

Francesca explique : « Je ne voulais pas d’enfant, au moins à cette époque parce que je désirais m’affermir sur le plan professionnel. Donc, avoue-t-elle, quand je me suis mariée, j’étais opposée à une naissance […]. Je ne voulais pas perdre Giuseppe et j’étais persuadée que s’il avait vu en moi une incertitude à ce regard, il m’aurait laissée et ne m’aurait pas épousée […]. Ces trois années ont été troublées par de graves litiges causés par mon refus d’avoir des enfants et par la volonté tenace de mon mari d’en avoir ».

 

Nous avons là la causa contrahendi, la cause qui a poussé au mariage (un certain amour pour Giuseppe) et la causa simulandi, la cause de la simulation (volonté de Francesca de tout subordonner, y compris les enfants, à sa carrière professionnelle).

 

  1. Le demandeur

 

Selon Giuseppe, la nuit de noces a été éprouvante « parce que Francesca voulait que j’utilise un préservatif. Nous nous sommes disputés furieusement toute la nuit », et le mari ajoute : « Durant notre vie commune, qui a duré 3-4 ans, nous avons eu 2 séparations […] par suite du refus de Francesca d’avoir des enfants ».

 

Les témoins, qui ont reçu des confidences soit du mari, soit de l’épouse, confirment les déclarations des conjoints (6 témoins dont les dépositions sont rapportées dans la présente sentence).

  1. En conclusion

 

Non seulement l’épouse a décidé de s’abstenir, pendant un temps indéterminé et pour assurer son avenir professionnel, de tout acte apte par lui-même à la génération d’enfant, mais elle a toujours maintenu sa ligne de conduite.

 

De plus, comme elle l’a confessé dans son témoignage à la Rote : « Un an après ma séparation, vers la fin de l’an 2000, j’ai remporté un concours à l’ENEL. J’ai eu ensuite des relations avec un jeune homme, dont j’ai eu une petite fille […]. Mon refus de toute naissance était, en fait, conditionné par la réalisation de mon projet d’avoir un emploi ».

 

Par cette attitude, Francesca a, en se mariant, rejeté un élément essentiel du consentement matrimonial et son mariage est donc nul de ce chef.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion du bien des enfants

de la part de l’épouse, partie appelée ;

ceci, comme en première instance.

 

 

Giuseppe SCIACCA, ponent

Giovanni VERGINELLI

Agostino DE ANGELIS

 

__________

 

[1] Cf. Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] O. FUMAGALLI CARULLI, Intelletto e volontà nel consenso matrimoniale in diritto canonico, Milan 1974, p. 234 s.

[3] Même endroit

[4] Ouvrage cité, p. 255 sq. Voir aussi O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1968, p. 70 sq.

[5] O. GIACCHI, ouvrage cité, p. 74

[6] C. BURKE, 18 juillet 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 535

[7] J. VILADRICH, Il consenso matrimoniale, Milan 2001, p. 211

[8] D. GIANNECHINI, 25 avril 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 310

[9] Voir note du traducteur au début de la cause c. TURNATURI du 25 février 2010, dans le présent fascicule JU/39

[10] Cf. J. PRADER, Il consenso matrimoniale condizionato nella disciplina canonica latina e orientale, dans Justus Judex, Verlag 1990, p. 283

[11] F.M. CAPPELLO, Tractatus canonico-moralis de sacramentis, vol. V, De matrimonio, Turin 1961, 7° éd., p. 562, n. 629

[12] M. CONTE A CORONATA, Institutiones Juris Canonici, vol. III, De Sacramentis, Turin 1946, p. 727, n. 52

[13] C. DEFILIPPI, 20 février 2001, SRRDec, vol. XCII, p. 169-170, n. 11

[14] P.J. VILADRICH, ouvrage cité, p. 452

[15] D. STAFFA, De condicione e qua pendet valor matrimonii, dans Questioni attuali di diritto canonico, Rome 1955, p. 228

[16] C. FELICI, 17 janvier 1956, vol. XLVIII, p. 61

[17] C. STANKIEWICZ, 30 janvier 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 16-17

[18] C. FELICI, 9 février 1954, SRRDec, vol. XLVI, p. 105, n. 5

[19] C. ANNE, 2 décembre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 1109-1110

[20] C. DE JORIO, 12 février 1972, SRRDec, vol. LXIV, p. 78-79

[21] Cf. In IV Sententiarum, dist. 31, q. 1, a. 3, in corpore

[22] C. STANKIEWICZ, 22 février 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 123, n. 13

[23] Discours de Pie XII aux sages-femmes italiennes, 29 octobre 1951, AAS 43, 1951, p. 845

[24] C. FUNGHINI, 26 mars 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 321-322

[25] C. COLAGIOVANNI, 28 avril 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 196, n. 8

[26] C. POMPEDDA, 19 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 495, n. 5

[27] C. FUNGHINI, 26 mars 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 322

[28] C. STANKIEWICZ, 24 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 645, n. 18

[29] De beneficiis, II, v. 1

Sciacca 18/12/2009

Coram  SCIACCA

 Erreur déterminante sur les propriétés essentielles du mariage

 Baltimore (USA) – 18 décembre 2009

P.N. 20.607

Non Constat

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. La concordance entre le c. 1084 CIC 1917 et le c. 1099 CIC 1983
  2. L’erreur et la volonté d’exclusion
  3. L’erreur qui détermine la volonté
  4. Le bien des conjoints

__________

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Steve M., âgé de 21 ans, épouse le 26 juin 1978 Kimberly B., d’un an sa cadette. Le mariage dure 25 ans, trois enfants naissent au foyer, mais la vie conjugale est rompue en 2003, le mari ayant une maîtresse et quittant sa femme. Le divorce est prononcé le 22 juillet 2004 et Steve se remarie civilement.

 

Par un libelle du 10 février 2005, Steve demande au Tribunal ecclésiastique de Baltimore la déclaration de nullité de son mariage pour exclusion du bien de la fidélité et de celui de l’indissolubilité, de sa part ou de la part des deux conjoints, ainsi que pour une erreur de droit, que le Tribunal précise, dans le doute concordé du 27 mars 2006, sous la formule : erreur concernant les biens du mariage (c. 1099) de la part de l’une des parties ou des deux.

 

La sentence du 21 mai 2007 est négative. Le mari en appelle à la Rote, et le Tour Rotal répond aujourd’hui au doute concordé sous le chef d’« erreur déterminant la volonté sur les propriétés essentielles du mariage de la part de l’une des parties ou des deux, selon le c. 1099 CIC ».

 

*     *     *

 

EN  DROIT

 

  1. La concordance entre le c. 1084 CIC 1917 et le c. 1089 CIC 1983

 

  1. Il suffit ici de rappeler le c. 1099, qui s’accorde pleinement avec le c. 1084 de l’ancien code, sous le régime duquel a été célébré le mariage en cause.

 

Dans le c. 1084 du Code pio-bénédictin il était question de simple erreur, tandis que dans le c. 1099 l’adjectif « simple » a été remplacé par l’expression « pourvu qu’elle ne détermine pas la volonté ». C’est pourquoi les deux canons s’accordent substantiellement.

« En vérité la même Commission (pour l’interprétation du Code) – affirme clairement Mgr  Pompedda – a déclaré dès le début que la modification apportée ne devait pas ni ne voulait pas signifier autre chose que ce que l’interprétation commune donnait de l’ancien c.  1084 »[1].

 

  1. L’erreur et la volonté d’exclusion

 

  1. Nous savons bien qu’on ne peut pas confondre la volonté d’exclure un élément essentiel du mariage avec une erreur de droit sur un élément essentiel ou une propriété essentielle du mariage : par exemple, on ne peut pas confondre une opinion erronée sur la solubilité du mariage avec le consentement matrimonial lui-même.

 

L’erreur, donc, ne peut pas irriter la validité du mariage, à moins qu’elle ne soit liée à l’acte même de volonté d’exclusion de son propre mariage, et cela au moment même de la formation du consentement, c’est-à-dire à moins que l’erreur soit si enracinée et obstinée qu’elle détermine la volonté.

 

  1. L’erreur qui détermine la volonté

 

  1. Mais avant tout il faut démontrer qu’une telle erreur, en réalité, à savoir une erreur sur un élément essentiel ou une propriété essentielle du mariage, s’est trouvée radicalement et de façon obstinée dans l’esprit du contractant, et cela en vertu de diverses causes, qui doivent être prouvées, comme l’éducation, l’adhésion à des doctrines ou des idées hostiles à la vision chrétienne etc. Ensuite, et de façon très stricte, il faut prouver que l’erreur, profondément structurée dans l’esprit du contractant, est passée de la sphère de l’intelligence à celle de la volonté, pour la déterminer quasi nécessairement.

 

  1. Bref, que l’esprit du contractant ait été imbu d’idées erronées sur la nature du mariage ne permet pas de conclure immédiatement que le mariage a été célébré selon ces mêmes idées. Bien que l’esprit soit dans l’erreur, en effet, la volonté a pu contracter mariage selon les enseignements véritables et communs au sujet du mariage.

 

De soi, déclare d’Annibale, « notre estimation fausse ne change pas la vérité de la chose ».

 

  1. Le bien des conjoints

 

  1. En ce qui concerne ce qu’on appelle le bien des conjoints – au sujet duquel notre demandeur, avec témérité, tient que l’épouse partie appelée et lui-même ont commis une erreur – il faut dire brièvement – sous peine de tomber dans des élucubrations vaines, académiques, inutiles et même dommageables – qu’il enveloppe les biens qu’on appelle « augustiniens » et qu’il se réalise par ceux-ci, c’est-à-dire qu’il comprend les biens de la fidélité et de l’indissolubilité, en tant qu’éléments essentiels du mariage, ainsi que l’acceptation et la génération d’enfants, comme la fin à laquelle est ordonné le mariage, génération à accomplir par une union charnelle réalisée de façon humaine, et l’éducation des enfants.

 

  1. En d’autres termes, ce complexe des biens comporte logiquement le bien des conjoints, dont parle le c. 1055 § 1, qui peut et doit être lié, enfin, aux obligations essentielles du mariage, qui permettent que s’instaure entre les époux une communauté perpétuelle de toute la vie, par le don mutuel de soi, de la part de chacun des époux, pour réaliser une seule chair.

 

« La mesure juridique de ces biens, qui appartiennent essentiellement à ces droits-devoirs (c’est-à-dire à ceux du bien des conjoints), est à placer dans les seuls trois biens augustiniens. Juridiquement parlant, le bien des conjoints ne crée aucun autre droit-devoir »[2].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. La sentence de première instance

 

La sentence de 1° instance avait noté de façon juste que l’examen des Actes n’apportait pas une preuve suffisante de l’existence d’une erreur des parties sur la loi, concernant la nature du mariage comme une communauté de toute la vie, ainsi qu’une erreur sur les biens du mariage.

 

  1. Le demandeur

 

En effet, pendant la période des fiançailles il n’y a jamais eu de désaccord entre les parties sur l’essentiel de leur conception du mariage. Le demandeur lui-même, dès son libelle introductoire, avait déclaré que Kimberly et lui savaient ce qu’était le mariage et connaissaient la nécessité de la maturité pour prendre la décision de se marier : « Nous pensions que le mariage est une communauté de vie et pour toute la vie […]. Pour nous, les enfants étaient importants […]. Nous souhaitions une grande famille ».

 

Où, demandent les Juges soussignés, y a-t-il une erreur ?

 

  1. L’épouse partie appelée

 

L’épouse partie appelée, de son côté, affirme : « Je me suis mariée parce que j’aimais Steve, qui avait la même religion que moi, une famille semblable à la mienne […]. Nous avions tous les deux le sens de la responsabilité et nous voulions un mariage sérieux […]. Le mariage est l’union de deux personnes pour former une unité pour la vie […]. C’est une union bénie par Dieu et sanctionnée par l’Eglise, nos familles et notre communauté ». La déposition de l’épouse est un rappel des vérités chrétiennes sur le mariage, et une adhésion sincère et pleine de maturité à celles-ci.

 

Il est évident qu’on doit exclure toute espèce d’erreur de la part de l’épouse, comme l’avait déjà reconnu la sentence du Tribunal de Baltimore.

 

Avant le mariage, de plus, les fiancés avaient participé à une session de préparation au mariage.

 

Que pouvons-nous ajouter ?

 

 

  1. Les témoins

 

Les témoins n’ont eu des rapports avec les parties qu’après leur mariage. L’un d’eux, interrogé par le juge sur la conception qu’avaient eue les parties, avant leur mariage, sur le bien des enfants, le bien de la fidélité, l’indissolubilité du lien, a répondu sans hésitation : « Pour eux, c’était très important ».

 

Un autre témoin, interrogé sur la question des enfants, a répondu lui aussi que pour eux, ceci était très important.

 

D’autres personnes apportent au juge le même témoignage.

 

  1. Pas d’erreur sur la nature du mariage

 

En conclusion, les Juges soussignés font leur la conviction du Tribunal de 1° instance : « Conformément aux preuves qui ont été présentées, les parties semblent avoir joui d’une aptitude interpersonnelle innée et de la maturité nécessaire, au moment de leur consentement, pour évaluer la nature exacte de l’intime relation interpersonnelle qu’est la communauté de toute la vie ».

 

  1. L’erreur, si elle avait existé, n’aurait pas été déterminante

 

De plus il est évident que, si erreur il y avait eu chez le mari, elle ne serait pas passée de la sphère de l’intelligence à celle de la volonté, ce qui serait nécessaire pour irriter le consentement : le mari a déclaré que Kimberly et lui connaissaient et acceptaient l’indissolubilité du mariage ; Steve n’a jamais parlé d’erreur déterminante ; le mariage a duré 25 ans ; tous les témoins confirment la volonté de contracter mariage qu’avaient les époux au moment où ils échangeaient leur consentement ; l’échec du mariage est dû à des difficultés survenues longtemps après la célébration de ce mariage.

 

 

Non constat de nullitate

pour erreur déterminant la volonté

sur les propriétés essentielles du mariage,

de la part de chacune des parties

 

 

Giuseppe SCIACCA, ponent

Giovanni VERGINELLI

Agostino DE ANGELIS

 

__________

 

[1] M.F. POMPEDDA, Studi di diritto matrimoniale, p. 233-234

[2] C. BURKE, 26 novembre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 584, n. 15

Pinto 27/11/2009

Coram  Pio Vito  PINTO

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal régional d’Emilie (Italie) – 27 novembre 2009

P.N. 20.130

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

Introduction sur l’incapacité d’assumer

  1. L’IMMATURITÉ PSYCHO-AFFECTIVE, CAUSE  DE  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER
  1. LE PROBLÈME  DE  LA  GRAVITÉ  DE  LA  CAUSE  DE  NATURE  PSYCHIQUE  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. La thèse de P.V. Pinto
  2. L’avis opposé et contradictoire de Bruno
  3. La solution du problème
  4. Defilippi
  5. Jean-Paul II
  6. Pompedda (16 octobre 1990)
  7. Pompedda (15 juillet 1994)
  8. Les conséquences de la relation entre matrimonium in fieri et matrimonium

in facto esse

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Stefano B., demandeur, et Caterina T., épouse partie appelée, font connaissance en 1995. Stefano souffrait depuis son enfance d’une cataracte congénitale, qui le rendit pratiquement aveugle jusqu’à l’âge de 16 ans. A l’âge de 22 ans il fut opéré en Suisse où il recouvra la vue.

 

En raison de sa maladie, Stefano grandit dans le rejet des autres, privé même d’amis par ses parents. Toutefois il entretint quelque temps une relation amoureuse avec une cousine de Caterina, avant de connaître cette dernière.

 

Les relations prénuptiales entre Stefano et Caterina furent pacifiques et amoureuses. Le mariage fut célébré le 22 octobre 1995, malgré l’opposition des parents du jeune homme.

 

La vie conjugale, où naquit un enfant, fut brève et remplie de disputes, les parents de Stefano se mêlant fâcheusement des affaires du jeune ménage, qui finit par se séparer.

 

Désireux de retrouver sa pleine liberté, Stefano, le 11 septembre 2006, s’adressa au Tribunal régional d’Emilie, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour grave défaut de discretio judicii de sa part et pour incapacité, toujours de sa part, d’assumer les obligations essentielles du mariage. Une expertise privée du docteur E. fut jointe au dossier de l’instruction. La sentence du 16 mars 2007 fut affirmative sur les deux chefs.

L’épouse partie appelée, contestant cette décision, fit appel à la Rote Romaine, qui admit la cause à l’examen ordinaire du second degré. L’instruction supplétive se fit par une nouvelle expertise et par l’admission d’une expertise réalisée lors du procès civil.

 

Il Nous revient aujourd’hui de trancher cette cause.

 

 

EN  DROIT

 

Introduction sur l’incapacité d’assumer

 

  1. La jurisprudence de la Rote Romaine a toujours refusé le passage mécanique selon lequel l’échec du mariage serait dû à une grave difficulté dans la décision du mariage ou à une plus ou moins grave « incompatibilité de caractère » des conjoints, qu’on appellerait simplement défaut grave et invalidant de discretio judicii, ou bien incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage chez l’un des époux ou chacun d’eux.

 

Il n’est pas nécessaire que nous nous attachions longtemps à décrire les principes bien connus sur l’incapacité qui découlent du c. 1095, 2° et 3°, que nous avons abondamment cités dans deux sentences de nous-même.[1]

 

Il suffit ici de rappeler que le consentement matrimonial est un acte de volonté qui est validement exécuté, sauf si la délibération de la raison ou de la volonté est inhibée pour quelque cause que ce soit.[2]

 

  1. L’IMMATURITÉ PSYCHO-AFFECTIVE,  CAUSE  DE  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Parmi les causes de nature psychique qui irritent le consentement matrimonial, on compte l’immaturité psycho-affective, qu’on ne doit pas confondre cependant avec l’inexpérience de la vie ou avec un défaut de maturité parfaite. « L’immaturité dite affective – à ne pas confondre avec l’immaturité du jugement – est le signe d’une perturbation des affects, rarement grave […], et elle se réduit à un défaut de liberté interne, qui empêche une délibération suffisante, lorsque le contractant, en raison de la destruction de l’harmonie de sa personnalité, ne peut pas résister au choc d’une impulsion provenant de l’intérieur »[3].

 

Une telle immaturité, d’ailleurs, est retenue comme l’une des causes d’où naît l’incapacité d’assumer les obligations conjugales. En effet « (l’incapacité d’assumer) doit provenir d’une cause de nature psychique […]. Il n’y a aucun doute qu’une telle cause se vérifie dans l’immaturité affective, qui consiste en un blocage du processus de maturation affective à un niveau d’adolescence ou d’infantilité, ou même à une régression à ces niveaux »[4].

 

 

 

 

  1. LE PROBLÈME  DE  LA  GRAVITÈ  DE  LA  CAUSE  DE  NATURE  PSYCHIQUE  DE

L’INCAPACITÈ  D’ASSUMER

 

  1. La thèse de P.V. Pinto

 

  1. Il est tout à fait à propos de lire dans la sentence citée du 21 juillet 2006 du Ponent soussigné : « Il n’est pas requis une maladie mentale ou en réalité une psychopathie, mais il suffit d’une perturbation qui tire son origine d’une cause psychique, comme peuvent l’être l’immaturité affective, une anomalie de la personnalité, la névrose, l’hystérie, pourvu qu’elles soient marquées d’une note de véritable gravité, qui empêchent la donation d’un droit essentiel […]. Mais s’il est exigé que ces perturbations soient graves, où se situerait la différence avec la grave immaturité affective qui produirait un grave défaut de discretio judicii et la grave immaturité affective qui serait la cause de l’incapacité d’assumer ? A la Jurisprudence de Notre Ordre conviennent les caractéristiques d’accord et de cohérence »[5].

 

Il sera pareillement très utile de recourir à une autre sentence du Ponent soussigné, du 22 juillet 2001, à propos de la note de certitude et de gravité de l’anomalie psychique : « Il est donc requis que la cause psychique soit certaine, mais non pas nécessairement grave, et il faut en tout cas qu’elle se trouve dans la structure du contractant et qu’elle atteigne ses facultés, en les contraignant ou en les corrompant de telle sorte que la volonté ne puisse pas agir librement. »

 

  1. L’avis opposé et contradictoire de Bruno

 

Il ne manque pas de temps en temps des affirmations contradictoires dans la description de la note de gravité. Ainsi dans une sentence c. Bruno du 16 décembre 1994 : « Il peut arriver que quelqu’un jouisse de l’usage de la raison et d’une suffisante discretio judicii mais qu’en raison d’une anomalie psychique il ne puisse donner l’objet du consentement matrimonial »[6]. Et ici il ne semble pas que soit requise la note de gravité. Mais par la suite, dans la même décision le même ponent ajoute : « La cause de nature psychique, prouvée avec certitude, doit toujours être prématrimoniale et grave […] ».

 

  1. La solution du problème

 

  1. De Filippi

 

Mais une décision c. De Filippi, du 27 juillet de la même année 1994, se présente d’une façon absolument différente : « Sans aucun doute, pour déterminer l’incapacité du c. 1095, 3°, il n’est pas requis qu’il y ait ces graves psychoses, ou névroses, ou de toute façon ces graves perturbations mentales d’où découle le grave défaut de discretio judicii, dont parle le c. 1095, 2°, mais il faut l’état en raison duquel il est moralement impossible pour le contractant de remplir les obligations essentielles du mariage[7]»[8]. De Filippi, s’appuyant sur le magistère de M.F. Pompedda, introduit une distinction logique entre la « grave » et la « sérieuse » note de la cause psychique.

 

 

 

 

  1. Jean-Paul II

 

D’ailleurs cette opinion doctrinale se fonde entièrement sur les paroles mêmes de Jean-Paul II dans son Discours à la Rote de 1987, si abondamment cité, mais pas toujours à bon escient : « On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en face d’une forme sérieuse d’anomalie », ce à quoi le Pontife oppose « les pathologies légères qui n’entament pas la liberté humaine dans son essence »[9].

 

  1. Pompedda (16 octobre 1990)

 

Une sentence c. Pompedda du 16 octobre 1990 est en accord avec ce magistère pontifical : « Des personnes qui, même si elles jouissent d’un usage suffisant de la raison et ne manquent pas gravement de discretio judicii, sont cependant incapables, en raison de leur état psychique pathologique, d’assumer ou d’accomplir les obligations essentielles du mariage, quand bien même celles-ci seraient voulues librement et avec l’évaluation requise »[10].

 

  1. Pompedda (15 juillet 1994)

 

De façon encore plus claire, en ce qui concerne le fait que la note de gravité n’est pas exigée dans le c. 1095, 3°, Pompedda enseignait dans une sentence du 15 juillet 1994 : « C’est pourquoi on évacuerait la signification juridique dans l’incapacité d’assumer, si on attribuait ou estimait devoir attribuer à celle-ci une gravité ou non […]. Et qu’on ne dise pas que le Législateur, dans le n° 2 du c. 1095, a lui-même laissé à l’estimation du juge la définition de l’incapacité du sujet, précisément par ce qu’il a employé l’expression de grave défaut de discretio. Au contraire en effet, là même, un terme objectif à l’estimation du juge a toujours (dans l’esprit du c. 1068) été formellement déterminé par le Législateur qui a mis expressément un rapport entre ‘le grave défaut’ et ‘les droits et obligations essentielles du mariage’ »[11].

 

  1. Les conséquences de la relation entre matrimonium in fieri et matrimonium

in facto esse

 

  1. Personne ne peut nier ce qui est écrit dans la sentence déjà citée du Ponent soussigné, en date du 21 juillet 2006 : « C’est de façon très appropriée que la Jurisprudence de la Rote Romaine a institué une relation stricte entre le matrimonium in fieri (le mariage-alliance) et le matrimonium in facto esse (le mariage-état de vie), en tant que deux phases de la communauté conjugale distinctes et cependant étroitement liées. Le matrimonium in fieri serait considéré par rapport au matrimonium in facto esse comme le point de départ de l’œuvre complète, comme la pierre inaugurale de l’édifice entier »[12].

 

En cas de grave déficience de la discretio judicii dans la prise en charge des obligations essentielles du mariage (c. 1095, 2°), disparaît de la même façon toute capacité à remplir celles-ci (c. 1095, 3°), puisque ce qui ne subsiste pas dès l’origine ne s’affermit pas au cours du temps.[13]

 

C’est pourquoi la Jurisprudence rotale a franchi un pas très important ces dernières années, en mettant en lumière la relation première entre le chef de grave défaut de discretio judicii et le chef d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, aboutissant ainsi à une connaissance juridique claire et meilleure entre le matrimonium in fieri et le matrimonium in facto esse. En même temps devient plus claire la vérité de l’adage : « C’est le consentement qui fait le mariage » (cf. c. 1057), en ce sens qu’au moment même où se constitue le mariage, c’est-à-dire au moment du consentement par la mutuelle donation entre les contractants, c’est la communauté de toute la vie qui est incluse. Appartient en effet au mariage la capacité d’instaurer une communauté de toute la vie, qui s’identifie avec la capacité d’instaurer une relation vraiment interpersonnelle.

 

En effet, comme l’incapacité de consentement, réglée par le n. 3 du c. 1095, regarde le plus souvent l’impossibilité de construire une véritable communauté de vie et d’amour, le magistère de Jean-Paul II sur la véritable relation conjugale demeure à jamais. Le Pontife en effet a enseigné que l’amour conjugal est au centre, comme un ciment par lequel l’un – le bien des époux – et l’autre – la communauté de vie – sont fortifiés et sont promus l’un par l’autre. Mieux, au centre se tient la personne, « comme le noyau intime »[14], qui dotée de liberté, agit, pour que se réalise l’union des cœurs et des corps, par l’amour vraiment sponsal « par lequel l’homme et la femme s’engagent entièrement l’un vis-à-vis de l’autre jusqu’à la mort ». En effet, enseigne le Magistère cité de Jean-Paul II : « La donation physique totale serait un mensonge si elle n’était pas le signe et le fruit d’une donation personnelle totale, dans laquelle toute la personne, jusqu’en sa dimension temporelle, est présente. Si on se réserve quoi que ce soit, ou la possibilité d’en décider autrement pour l’avenir, cela cesse déjà d’être un don total ».

 

Une relation essentielle est introduire par le Pontife entre le consentement et l’amour conjugal. Cela fait que le consentement, même s’il est l’unique cause efficiente du mariage, doit cependant être considéré comme essentiellement relatif aux propriétés et aux fins, entre lesquelles sont énumérés par le Concile Vatican II et par Jean-Paul II, l’un s’accordant à l’autre, le bien des conjoints et l’amour conjugal.

 

Qu’il soit permis d’argumenter à partir de ce ministère pontifical qu’on vient de citer, et de dire que si, d’une part, est immuable, en tant que divin, le principe du consentement comme unique et exclusive cause efficiente du mariage, il est d’autre part fortement recommandé d’entrer dans le magistère du Pape, quand en outre lui-même nous invite avec autorité à recouvrer la vision plus complète du mariage qui a été celle de la Constitution Apostolique Gaudium et Spes (art. 48-49) du Concile Œcuménique Vatican II, puis de l’Exhortation Apostolique Familiaris Consortio (n. 9).

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Les Pères soussignés regrettent que les juges de 1° instance aient attribué trop d’importance à l’expertise privée du docteur E., ou plutôt n’aient pas correctement apprécié les conditions dans lesquelles cette expertise sur le demandeur a été exécutée. Le docteur E. écrit dans son rapport d’expertise que Stefano est venu le trouver (avant l’instruction canonique), que sa grave maladie des yeux avait eu des effets désastreux sur son développement psycho-émotif. Mais l’expert n’a utilisé aucun moyen pour déceler la personnalité de Stefano, il ne parle pas de l’anomalie psychique de celui-ci et conclut : « La décision du mariage n’a pas été la conséquence d’un choix raisonnablement décidé, mais elle est seulement une décision névrotique d’autovalorisation, pour se sentir l’adulte qu’en réalité il n’était pas. »

Compte tenu de cette « expertise », la cause a été admise à l’examen ordinaire du second degré.

 

Lors de l’instruction, en ce second degré, les Pères ont estimé n’avoir pas la preuve d’une anomalie psychique ayant empêché la capacité critique du mari. Toutefois, lors du procès civil où les juges avaient à décider de la garde de l’enfant du couple, le docteur O. avait été chargé d’une expertise sur le mari. Son rapport avait été accablant : « comportement paranoïaque, incohérence dans les idées et les projets, inconsistance caractérielle, faible quotient intellectuel, caractère irascible, égocentrique, incapacité de s’adapter au prochain et aux données de la réalité ». Le juge civil a d’ailleurs reconnu que Stefano était incapable de recevoir la garde de son enfant.

 

Le Tour Rotal a désigné le professeur P. comme expert en la cause. Celui-ci a reçu l’intéressé, chez qui il n’a décelé aucun critère de pathologie de la volonté et de la liberté interne, mais il estime que son évolution affective a été nettement insuffisante : « processus incomplet de maturation psycho-affective […], retard de sa capacité psychique […]. Le demandeur a commis l’erreur de se sur-évaluer comme mûr et autonome », mais le professeur note cependant un certain progrès actuel du mari dans le domaine de la maturité.

 

Toutefois l’expert du Tribunal civil avait examiné Stefano à une époque plus proche de la célébration du mariage et donc son diagnostic est plus sûr que celui du professeur B.

 

Par ailleurs les documents recueillis pendant l’instruction de seconde instance confirment l’opinion qu’avaient les Pères soussignés lorsqu’ils ont admis la cause à l’examen ordinaire du second degré. L’épouse partie appelée et les témoins parlent d’un enfant totalement soumis à ses parents, au point d’empêcher sa maturation, et leurs déclarations contribuent à surmonter les difficultés relatives à la nature de l’anomalie psychique du demandeur et à l’évolution de celle-ci dans le temps.

 

En conclusion, on peut admettre que la partie appelée et les témoins ont montré la grave immaturité du mari demandeur, car leurs dépositions concordent avec les avis des experts et avec les autres éléments de personne et de circonstances.

 

Constat de nullité

pour défaut de discretio judicii

et incapacité d’assumer

de la part du mari

 

Vetitum pour le mari

 

Pio Vito PINTO, ponent

John G. Alwan

Giordano CABERLETTI

__________

 

[1] P.V. PINTO, 21 juillet 2006, n. 7-10 ; 17 novembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 619, n. 3 ; cf. c. POMPEDDA, 14 novembre 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 731, n. 12 ; c. CABERLETTI, 25 juillet 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 489-495, n. 2-5

[2]SRRDec, vol. LXXXVI, p. 109, n. 7 ; c. WYNEN, 13 avril 1934, SRRDec, vol. XXXV, p. 273, n. 5 ; c. FUNGHINI, 19 mai 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 404, n. 2 ; c. ALWAN, 27 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 661, n. 12 ; c. DEFILIPPI, 27 novembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 792, n. 10-11 ; c. BOTTONE, 15 octobre 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 594, n. 3

[3] C. PALAZZINI, 11 janvier 1978, SRRDec, vol. LXX, p. 3

[4] I.M. PINTO GOMEZ, L’immaturità affettiva nelle giurisprudenza rotale, dans l’Immaturità psico-affettiva nella giuriprudenza della Romana Rota, LEV, Cité du Vatican, 1990, p. 48 ; cf. c. STANKIEWICZ, 17 décembre 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 745, n. 9

[5] Cf. c. MONIER, 18 juin 1998, SRRDec, vol. XC, p. 469-470, n. 6-7 ; c. TURNATURI, 14 mars 1996, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 237-242, n. 15-25

[6] C. BRUNO, 16 décembre 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 757, n. 5

[7] Cf. M.P. POMPEDDA, De incapacitate assumendi obligationes matrimonii essentiales, Periodica, 1986, p. 149 sq.

[8] C. DE FILIPPI, 27 juillet 1994, SRRDec, vol. LXXXI, p. 418, n. 11

[9] AAS, vol. LXXIX, p. 1457, n. 7

[10] C. POMPEDDA, 16 octobre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 687, n. 5

[11] C. POMPEDDA, 15 juillet 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 395, n. 9 ; cf. c. POMPEDDA, 4 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 223-224, n. 4-5

[12] C. P.V. PINTO, 21 juillet 1998, SRRDec, vol. XC, p. 724, n. 6

[13] Reg. Juris, 18, in VI°

[14] FAMILIARIS CONSORTIO, n. 11

Pinto 18/06/2010

Coram  Pio  Vito  PINTO

 Condition de futuro

Exclusion du bien du sacrement

 Tribunal régional d’Insubrie (Italie) – 18 juin 2010

P.N. 20.573

Constat pour la condition

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE BIEN  DU  SACREMENT
  2. L’acte positif de volonté dans l’exclusion
  3. Le consentement conjugal est un acte de volonté
  4. L’incompatibilité de caractère n’est pas un chef de nullité
  5. La nature irréversible de la donation-acceptation mutuelle des époux

 

  1. LA CONDITION
  2. L’erreur et la condition
  3. L’enseignement de Mgr Charles Lefebvre sur l’erreur

sur une qualité de la personne et la condition

  1. Le nouveau c. 1097 § 2
  2. Analogie entre l’erreur sur une qualité de la personne et la condition
  3. Sentences rotales sur l’analogie entre la qualité et la condition
  4. Mori et Grazioli
  5. Heard
  6. Defilippi
  7. Pinto
  8. La nature de la condition de futuro résolutoire
  9. La preuve de l’apposition d’une condition

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Francesco M. et Giovanna G. se marient le 30 août 1997. Ils s’étaient connus en 1988 alors qu’ils étaient étudiants à l’Université de Milan, mais ils n’avaient eu des relations de fiancés qu’en mai 1995, et celles-ci connurent des difficultés en raison de l’éloignement de leurs domiciles propres.

 

Une fille, Lucia, naît le 30 mai 1998.

 

La vie conjugale est en permanence perturbée par la différence de caractère des époux, l’incommodité du domicile conjugal et les absences de Giovanna qui, au début de l’année 1999, retourne avec sa fille chez ses parents, Francesco retournant lui aussi chez ses parents. Le Tribunal civil ratifie leur séparation le 22 juillet 2002.

Le 5 novembre 2004, Francesco, désirant retrouver sa pleine liberté canonique, s’adresse au Tribunal ecclésiastique régional d’Insubrie, accusant son mariage de nullité pour condition apposée par lui-même. Le 14 février 2005, le doute est de nouveau concordé, précisant qu’il ne s’agit pas d’une simple condition, mais d’une condition de futuro, au sens du c. 1102 § 1. La sentence du 25 mai 2006 est négative.

 

Le 14 février 2007, le Tribunal d’appel concorde le doute sous la formule : « La preuve de la nullité du mariage en cause est-elle rapportée pour condition de futuro apposée par le demandeur, selon le c. 1102 § 1, et/ou, comme en première instance, pour condition résolutoire contre la substance du mariage, assimilable, de fait, à l’exclusion de l’indissolubilité du lien conjugal, selon le c. 1101 § 2, de la part du mari demandeur ? »

 

La sentence du 28 mars 2008 est affirmative, mais seulement pour condition de futuro apposée par le demandeur.

 

La cause est transmise à la Rote où le Tour concorde le doute sur la condition de futuro apposée par le demandeur, en troisième instance, et en seconde instance sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari.

 

 

EN  DROIT

 

  1. Les Juges de la seconde instance ont très bien repris les principes de la Doctrine et de la Jurisprudence de Notre For et nous nous permettons d’y ajouter seulement quelques remarques.

 

  1. LE BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. L’acte positif de volonté dans l’exclusion

 

  1. Il est bien connu que la véritable exclusion d’une propriété essentielle du mariage n’a lieu que par un acte positif de volonté. Il est exigé pareillement que le contractant réalise l’exclusion par un acte, et non pas seulement sous l’effet d’une erreur ou encore d’une intention vague ou générique contraire à la doctrine pérenne du mariage, comme l’est l’opinion moderne en faveur du divorce. Il faut au contraire que ceux qui se marient, de façon illicite, explicitement ou au moins implicitement ou hypothétiquement, retranchent, par une décision actuelle ou au moins virtuelle, l’indissolubilité en tant qu’élément inséparable de l’objet formel du consentement.[1]

 

  1. Le consentement conjugal est un acte de volonté

 

La jurisprudence reçue de Notre For a toujours et fidèlement maintenu que le consentement existe si et dans la mesure où il s’agit réellement d’un pacte conjugal. Si en effet l’une ou l’autre partie exerce une tromperie, c’est-à-dire que si elle vise le mariage seulement et pas autrement que selon son propre jugement, le pacte lui-même n’est absolument pas conclu.

 

Il faut se souvenir des paroles du Pape Paul VI, d’éternelle mémoire : « Le mariage existe à ce moment même du temps où les conjoints émettent un consentement matrimonial juridiquement valide. Un tel consentement est un acte de volonté de nature contractuelle […] qui, en un instant indivisible, produit son effet juridique »[2].

 

  1. L’incompatibilité de caractère n’est pas un chef de nullité

 

La Jurisprudence de Notre For a lutté vigoureusement et entend lutter fermement pour que la simple « incompatibilité de caractère » qui, moderne peste, existe comme cause à effet dans l’usage regrettable du divorce civil, ne s’insinue pas comme chef illégitime de nullité, puisque cela est hors du pouvoir de l’Eglise. C’est avec facilité mais de façon illicite que s’institue de nos jours une équation, dans la déclaration du consentement matrimonial, entre la fin de l’amour entre les conjoints, et leur liberté de quitter la communauté de vie, en faisant du consentement et du véritable amour un simulacre vain.[3] Le mariage se fonde exclusivement sur le consentement et non sur l’amour, qui malheureusement peut finalement disparaître. D’un autre côté véritablement il reste que le consentement est au plus haut point l’épiphanie juridique de l’amour. En effet la mutuelle donation-acceptation des personnes est parfaite par un amour mutuel, pour constituer une famille chrétienne, qui sans effusion de l’amour peut difficilement être appelée fruit de l’Evangile du Christ.

 

  1. La nature irréversible de la donation-acceptation mutuelle des époux

 

La Catéchisme de l’Eglise catholique illustre très opportunément ce qu’est le sens du véritable amour et de la nature irrévocable de la saine donation-acceptation mutuelle des époux. « Le couple conjugal forme ‘une intime communauté de vie et d’amour, fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. Elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel et irrévocable’. Tous deux se donnent définitivement et totalement l’un à l’autre. Ils ne sont plus deux, mais forment désormais une seule chair. L’alliance contractée librement par les époux leur impose l’obligation de la maintenir une et indissoluble »[4].

 

De là vient précisément le fait que le bien du sacrement, même s’il est distinct du bien des conjoints, lui est inséparablement uni, puisque les deux biens se rapportent à l’être du mariage en lui-même, c’est-à-dire de façon indivisible dans le mariage in fieri et le mariage in facto esse (le mariage-alliance et le mariage-état de vie).

 

  1. LA CONDITION

 

  1. Tout le monde reconnaît que le mérite de la jurisprudence de la Rote Romaine a été de favoriser au plus haut point l’évolution des canons ordonnant l’institution matrimoniale – surtout celles des c. 1057, 1097 et 1102 qui, particulièrement, regardent directement la cause présente – selon la doctrine du mariage élaborée par le Concile Vatican II dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes.[5]

 

  1. L’erreur et la condition

 

  1. A ce caractère interpersonnel de libre décision délibérée s’opposent deux figures ou deux statuts, ou mieux, deux actes de volonté, qui sont joints entre eux par une analogie, c’est-à-dire qu’ils sont semblables mais divers. Nous voulons parler de l’erreur sur la personne ou de l’erreur sur une qualité rejaillissant en erreur sur la personne elle-même, ainsi que de la condition. Le premier de ces actes de volonté est considéré comme un vice de la volonté, et le second, comme une atteinte à la volonté.[6]

 

L’erreur se construit surtout par une action de l’intelligence, qui cependant est amenée à un résultat par une intention de la volonté visant une qualité déterminée inhérente à la personne et exigée absolument par le contractant, tandis que la condition est une conjecture à laquelle le ou les contractants subordonnent leur consentement par une intention de la volonté. On comprend par là que le consentement est un acte complexe qui naît d’un processus de connaissance, d’évaluation et de décision, qui très souvent peut être contrarié pour d’innombrables motifs. Il est opportun de citer à ce sujet Saint Thomas d’Aquin : « Entre l’intelligence et la volonté existe une dépendance mutuelle ou, en d’autres termes, une causalité réciproque : la volonté dépend de l’intelligence dans l’ordre de la causalité finale ; l’intelligence dépend de la volonté dans l’ordre de la causalité efficiente »[7].

 

  1. L’enseignement de Mgr Charles Lefebvre sur l’erreur

                sur une qualité de la personne et la condition

 

Pour comprendre correctement l’analogie entre l’erreur sur la qualité de la personne et la condition, il est utile de reprendre ce que le Maître de la doctrine et de la jurisprudence sur le mariage, Mgr Charles Lefebvre, écrivait à ce sujet en 1985 : « Aujourd’hui ce problème est encore plus présent dans le nouveau visage assumé par le pacte conjugal comme donation et acceptation interpersonnelle.

 

  1. Le nouveau c. 1097 § 2

 

Le § 2 du c. 1097 cherche à prévenir les multiples difficultés que présentait le § 2 du c. 1083 du code de 1917, très ancré dans le passé et qui a dû résister dans une rédaction trop réductrice à l’énorme progrès culturel, psychologique et social qui s’est manifesté en peu d’années. De la fameuse troisième règle de saint Alphonse de Ligori a été prise une nouvelle formulation par la célèbre erreur sur une qualité de la personne rejaillissant en erreur sur la personne, en vertu de laquelle la qualité est présente à un tel point dans l’intention de celui qui se marie qu’elle est considérée comme une circonstance absolument nécessaire dans le pacte conjugal. La proximité avec la notion de condition est évidente et de fait il semble identique de dire qu’une qualité est principalement et directement voulue, et de sous-entendre qu’à cette qualité est subordonné le consentement conjugal.

 

Il est possible que la nouvelle rédaction ait encore besoin d’une interprétation jurisprudentielle, ni facile ni brève, pour centrer sa véritable portée, qui ne pourra pas négliger dans ce cas encore la véritable et profonde nature du consentement conjugal comme relation interpersonnelle réalisée à travers la mutuelle donation-acceptation des époux ; donation-acceptation qui ne peut avoir lieu qu’à travers l’image intentionnelle que chacun a de l’autre, enrichie du reste de toutes les composantes affectives ainsi qu’émotives qui marquent la communication interpersonnelle. La considération de l’autre personne, d’importance majeure, est considérée présente dans toutes les questions qui se réfèrent à l’erreur ou à l’ignorance, de quelque caractère qu’elles soient. Tout simplement, dans cette estimation se trouvent mises en relief toutes les observations de la jurisprudence récente sur la nouvelle notion et réalité de la personne humaine, à partir de la sentence c. Canals du 21 avril 1970[8] ».[9]

 

De plus, nous tirons une doctrine de la synthèse magistrale de Mgr Lefebvre, qui a participé directement aux travaux de la Commission de réforme du code et qui, éclairant le c. 1102, a écrit dans le Commentaire qui vient d’être cité : « Toute la discipline du mariage sous condition a tout de suite subi une évidente transformation qui regarde les critères de praticité et d’application spécifique au mariage. De fait ont disparu toutes les figures des diverses espèces de condition, d’aucune utilité, au-delà d’un exposé théorique du thème, dépourvu d’intérêt, en matière de mariage. D’où une constatation importante : la diminution de l’aspect contractuel du mariage.

 

D’autre part le § 3, en requérant l’autorisation écrite de l’Ordinaire – même si c’est seulement pour la licéité -, non seulement s’oppose à une possible difficulté de preuve, mais, comme mesure disciplinaire, montre clairement à quel point la condition est un élément anormal du pacte conjugal, appelé à se réaliser dans la plus grande sincérité et dans un absolu maximal, incompatible par lui-même avec la réserve de la condition »[10].

 

  1. Analogie entre l’erreur sur une qualité de la personne et la condition

 

Mgr Lefebvre poursuit en prenant le cas de l’analogie, dont nous avons parlé plus haut, entre l’erreur sur la qualité de la personne et la condition, même si l’erreur induit la figure d’un vice du consentement, et la condition, la figure d’une atteinte au consentement. Mgr Lefebvre enseigne en effet : « La condition, donc, ou bien la circonstance à laquelle est subordonné le consentement matrimonial, par un vouloir explicité de l’un des époux, au des deux, si elle n’est pas encore présente et que lui soit subordonnée l’existence du mariage (conditio de futuro), est exclue, puisque, selon les cas, ou bien elle serait contre l’indissolubilité – condition résolutoire – si elle représentait la fin du mariage ; ou bien elle repousserait le véritable consentement jusqu’à son accomplissement, et alors autant que le consentement soit émis sans incertitude : unique solution possible dans le système normatif actuel. A noter que toujours compte tenu de la volonté constitutive des parties, si celles-ci, nonobstant la norme, faisaient un mariage ainsi conditionné, elles devraient renouveler leur consentement ou avoir recours à la ‘sanatio in radice’, la sanation radicale » (cf. c. 1156-1165).

 

La condition de praeterito (portant sur le passé) ou la condition de praesenti (portant sur le présent) subordonne l’existence ou l’absence du mariage à la présence ou à l’absence de la circonstance invoquée au moment du consentement.

 

La conclusion, dans la nouvelle discipline, sera que le mariage existe dès le premier moment, comme un absolu, sans exception, et la condition affecte seulement la connaissance et la possible incertitude, uniquement, des époux. Ce qui souligne le sérieux et la sacralité du moment constitutif et de l’engagement qui y est assumé.

 

La jurisprudence a signalé la difficulté de distinguer la condition des figures qui ont une affinité avec elles – mode, postulat, cause – ; l’importance attribuée à la circonstance par celui qui dit avoir consenti de manière conditionnelle ; son comportement consécutif à la vérification de la condition ; et enfin la valeur, même si elle n’est pas déterminante, du critère du doute sur l’existence ou non du fait auquel le consentement est dit subordonné, pour prouver la condition et la subsistance de celle-ci jusqu’au consentement (cf. la célèbre cause de Versailles, par la Commission Cardinalice du 2 août 1918, AAS, 1918, p. 388 sq.).

 

Sous le profil systématique on peut attirer l’attention sur le déplacement du canon, qui, dernier dans les modalités du consentement dans le code de 1917, c. 1092, a été transféré à sa place actuelle, après la norme sur l’acte positif de volonté conditionnant le consentement (dans le cas de l’exclusion, en le censurant négativement), en tant qu’il correspond à une intervention particulière de la volonté qui modifie de façon particulière le schéma générique du consentement. Il faut rappeler que l’exclusion elle-même est, à juste titre, considérée par les commentateurs et la jurisprudence comme une conditio mente retenta, une condition sous restriction mentale »[11].

 

  1. Sentences rotales sur l’analogie entre la qualité et la condition

 

  1. Mori et Grazioli

 

Déjà au début de la réforme de la Rote était contenue en germe l’analogie citée entre la qualité et la condition. Une sentence c. Mori, du 30 novembre 1910, édictait en effet : « Puisque le consentement s’est porté directement et principalement sur une qualité déterminée, si celle-ci vient à manquer il y a une erreur substantielle qui irrite le mariage »[12]. De même on lisait dans une sentence c. Grazioli, du 11 juillet 1938, à propos de la qualité en tant que cause du mariage : « […] la qualité déterminative de la personne, c’est-à-dire qui la distingue et la désigne de façon individuelle au point que, si la qualité fait défaut, la personne n’est plus la même »[13].

 

  1. Heard

 

Plus tard une décision c. Heard, du 21 juin 1941, qui applique la doctrine des trois règles de saint Alphonse, établit une proportion nécessaire entre l’exigence de la qualité et la condition : « Il y a une grande difficulté à déterminer quand l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la substance, c’est-à-dire sur la personne. Prenons les trois règles :

– la première : la qualité rejaillit sur la substance lorsque quelqu’un, de façon actuelle, entend contracter sous la condition de telle qualité. Dans ce cas en effet, il se vérifie que si la condition n’est pas remplie, le consentement est totalement absent.

– la seconde règle : quand la qualité n’est pas commune chez les autres personnes, mais qu’elle est propre et particulière à une personne déterminée…

– la troisième règle : si le consentement se porte directement et principalement sur la qualité, et non principalement sur la personne, alors l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la substance. Il en va autrement si le consentement se porte principalement sur la personne et secondairement sur la qualité »[14].

 

  1. Defilippi

 

  1. Une sentence c. Defilippi, du 26 novembre 1998, fait la remarque suivante : « Pour que le consentement soit réellement conjugal, il est requis que chacun des contractants se forme une image adéquate de son partenaire qui corresponde à la réalité. Autrement si quelqu’un a une image de son partenaire qui en réalité diffère substantiellement de la vérité, l’objet du consentement lui-même est vicié, parce qu’il ne correspond pas à la réalité »[15].

 

  1. Pinto

 

On lit dans la sentence c. Pinto citée plus haut, en date du 19 mai 2006 : « Puisque le consentement matrimonial ne peut pas rester en suspens dans l’ambiguïté, il faut considérer les espèces de conditions parmi lesquelles la condition de futuro qui se déroule dans le temps, et dont la nature est soit potestative, soit résolutoire. La validité du mariage en effet ne peut pas rester en suspens à jamais ; c’est la raison pour laquelle le Législateur a décidé : ‘Le mariage assorti d’une condition portant sur le futur ne peut être contracté validement’ (c. 1102 § 1), en ce sens cependant que la condition en question ait été jointe au consentement matrimonial lui-même, et non à une simple intention de se marier, d’où peut naître seulement, au maximum, une espèce de condition interprétative ou habituelle, mais pas une condition qui mette en péril la validité du mariage. C’est pourquoi il faut rechercher la véritable volonté du contractant, surtout en ce qui concerne ‘le lien entre la circonstance souhaitée et le consentement lui-même’[16] ».

 

  1. La nature de la condition de futuro résolutoire

 

Quant à la nature de la condition de futuro résolutoire, Mgr Pompedda déclare : « Evidemment, pour le mariage, une condition résolutoire est inconcevable, étant donné l’indissolubilité du lien, et cette condition, si elle était posée, comporterait dans l’ancien Code une condition ‘contre la substance du mariage’ et donc rendrait nul le mariage ; tandis que dans le nouveau Code on n’a pas pris en considération une condition semblable, les Consulteurs l’ayant tenue pour n’étant pas une véritable condition, mais plutôt un acte positif de volonté excluant un élément essentiel du mariage »[17].

 

De la condition de futuro résolutoire on distingue la condition suspensive, qui produit comme effet « la suspension de la validité de l’accord jusqu’au moment où se vérifiera l’événement mis dans la condition ; […] tandis que dans l’ancien Code on admettait la condition licite de futuro suspensive, avec effet de suspendre la validité du mariage ; dans le nouveau Code en revanche […] on ne reconnaît aucune condition suspensive, toutes les conditions de futuro étant réunies en une seule espèce de condition (avec des conséquences irritantes dans l’absolu) »[18].

 

  1. La preuve de l’apposition d’une condition

 

« La preuve de l’apposition d’une condition, écrit Mgr Stankiewicz dans une sentence du 30 janvier 1992, se tire indirectement, d’une part de l’estimation que le contractant a eue, avant le mariage, de l’événement ou de la qualité, à l’existence de quoi il affirme avoir subordonné la validité du mariage, et d’autre part de la façon dont il s’est conduit dès qu’il a pris conscience que la condition apposée n’était pas vérifiée »[19].

 

EN FAIT (résumé)

 

  1. Les Pères soussignés ne trouvent dans les actes aucun indice d’une exclusion hypothétique du bien du sacrement de la part du mari demandeur. Celui-ci en effet n’a jamais songé à exclure la perpétuité de son union puisqu’il avait lié son consentement à une condition à respecter par son épouse, et ainsi il se pensait sûr de l’avenir.

 

  1. Par contre ils estiment possible et même nécessaire de reconnaître chez le demandeur une décision ferme de lier la validité de son mariage à une condition potestative de futuro. Les Juges de seconde instance préfèrent parler de condition de praesenti, en ce sens que, pour eux, le demandeur aurait lié la validité ou non de son mariage à la réalisation effective de l’objet mis sous condition, c’est-à-dire à l’acceptation de cette condition par l’épouse. Les Juges du Tour Rotal n’ont pas la même appréciation de la condition mise par le mari demandeur.

 

  1. Le demandeur, Francesco, a maintes et maintes fois déclaré qu’il voulait établir la résidence conjugale à Buccinasco, parce qu’il voulait rester près de son lieu de travail. Quant à sa future épouse, elle n’entendait pas quitter Tirano, où elle était enseignante. Les discussions entre Francesco et Giovanna avaient été rudes et finalement celle-ci avait cédé au dilemme de Francesco : ou elle s’installerait à Buccinasco ou Francesco la quitterait.

 

  1. De son côté, l’épouse, non sans faire des réserves en 2° instance sur les exigences de Francesco, avait déclaré en 1° instance que celui-ci était fermement décidé à rester à Buccinasco, au point de lui imposer un choix définitif : ou bien le suivre là où il voulait habiter, ou bien la rupture.

 

Lors du procès civil de séparation, Giovanna a exposé à son avocat que Francesco avait voulu qu’elle quitte sa maison et son emploi pour s’installer avec lui à Buccinasco.

 

  1. Les témoins, sans employer le terme technique de condition, rapportent que Francesco avait exigé de Giovanna qu’elle abandonne sa maison et son travail, que Giovanna avait promis à Francesco d’habiter avec lui à Buccinasco, que Francesco disait qu’il ne se marierait que si Giovanna acceptait de le suivre là où il voulait demeurer.

 

  1. Le témoin le plus important en cette cause est le Père M., bénédictin, à qui les futurs époux avaient demandé conseil, et qui connaît bien leur problème : « D’une part Francesco voulait que Giovanna s’installe définitivement à Buccinasco, d’autre part Giovanna ne voulait pas abandonner son poste à Tirano, elle ne voulait pas abandonner sa profession. Devant moi ils se sont affrontés durement sur ce sujet ».

 

  1. Les juges de première instance ont rendu une sentence négative parce qu’ils ont estimé que la condition posée par Francesco – habiter Buccinasco – n’était pas une condition potestative de futuro mais une condition de praesenti portant sur la sincérité de la promesse faite par Giovanna de suivre son mari là où il voulait demeurer, et que l’insincérité de la promesse de Giovanna était une interprétation de Francesco devant les difficultés de son couple après le mariage.

 

Or les actes montrent que Francesco n’a pas apposé une condition sur la sincérité de Giovanna, mais sur l’accomplissement de la promesse qu’elle avait faite avant le mariage, et ceci, à l’évidence, appartient au futur. Il s’agit, chez le demandeur, d’une véritable condition de futuro.

Constat de nullité

pour condition de futuro

apposée par le mari demandeur

Vetitum pour le mari

 

Pio Vito PINTO, ponent

John ALWAN

Giordano CABERLETTI

[1] Cf. c. FUNGHINI, 14 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXV, p. 468, n. 12 ; c. POMPEDDA, 22 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 948, n. 2 ; c. ABBO, 6 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 138, n. 2

[2] PAUL VI, Discours à la Rote, 9 février 1976, AAS, vol. LXVIII, p. 204

[3] Cf. c. 1057 § 2, GAUDIUM et SPES, art. 48 ; FAMILIARIS CONSORTIO, n. 11

[4] N. 2364

[5] N. 48 ; cf. JEAN-PAUL II, Exhortation FAMILIARIS CONSORTIO, 22 novembre 1981, AAS, vol. LXXIV, p.  92, n. 11, et Discours à la Rote du 28 janvier 1991, AAS, vol. LXXXIII, p. 950, n. 5

[6] Cf. P.V. PINTO, 19 mai 2006

[7] SOMME THEOLOGIQUE, I-II, q. 14, art. 1, ad 1

[8] SRRDec, vol. LXII, p. 371, n. 2

[9] Pio Vito PINTO, Corpus Juris Canonici, Commento al Codice di Diritto canonico, vol. I, Cité du Vatican 2001, p. 652-653

[10] Commentaire cité, p. 656

[11] Cf. p. 656-657

[12] C. MORI, 30 novembre 1910, SRRDec, vol. II, p. 337, n. 2

[13] C. GRAZIOLI, 11 juillet 1938, SRRDec, vol. XXX, p. 414, n. 17

[14] C. HEARD, 21 juin 1941, SRRDec, vol. XXXIII, p. 529-530, n. 6-9

[15] C. DEFILIPPI, 26 novembre 1998, SRRDec, vol. LXL, n. 3, p. 4

[16] C. ANNE, 2 décembre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 1108, n. 4

[17] M.F. POMPEDDA, Il matrimonio nel nuovo codice di diritto canonico, Padoue 1984, p. 84

[18] Même endroit, p. 83-84

[19] C. STANKIEWICZ, 30 janvier 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 18, n. 14

Pinto 12/03/2010

Coram   P.V.  PINTO

 Défaut de discretio judicii

 Orlando (USA) – 12 mars 2010

P.N. 19.252

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. VALEUR ET  PRÉSUPPOSÉS  DU  CONSENTEMENT
  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII
  2. Les obstacles à la discretio judicii
  3. A ne pas confondre avec le défaut de discretio judicii
  4. Le défaut de discretio judicii regarde les obligations essentielles du mariage
  5. Les obligations essentielles du mariage et les fins et propriétés essentielles du

mariage

 

__________

 

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

 

Louis V. et Jackie B., âgés tous les deux de 15 ans, font connaissance en 1971 et ils se marient en 1974. Jackie travaillait depuis l’âge de 11 ans et elle avait été reçue, adulte, dans l’Eglise catholique. Pendant ses fiançailles et après le mariage elle se drogue, comme son mari qui était un dealer. Le 15 octobre 1982 naît un petit garçon. La vie commune n’a jamais été heureuse en raison des caractères difficiles des époux et de leur addiction à la drogue. Le 31 janvier 1994 leur divorce est prononcé.

 

Louis, le 5 juin 1996, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique d’Orlando, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour « manque mutuel de discretio judicii ». Les parties et 5 témoins sont interrogés et un document présenté comme une expertise est joint au dossier. La sentence du 7 avril 2003, rendue par un juge unique, est affirmative.

 

L’épouse fait appel à la Rote, où la cause, le 10 décembre 2004, est admise à l’examen ordinaire du second degré. En raison du silence de l’avocat nommé d’office la cause prend un très grand retard jusqu’au moment où cet avocat est remplacé par un autre, lui aussi nommé d’office. Le professeur Cianconi réalise une expertise.

 

Il Nous revient aujourd’hui de répondre au doute concordé sur le manque de discretio judicii de chacun des époux.

 

*

*     *

 

EN  DROIT

 

  1. VALEUR ET  PRÉSUPPOSÉS  DU  CONSENTEMENT

 

  1. Les époux ont célébré leur mariage sous le régime du code pio-bénédictin, mais il faut bien voir que le principe connu, reçu par la tradition canonique, clairement exposé au c. 1081 CIC 1917, confirmé au n. 48 de la Constitution Gaudium et Spes et au c. 1057 § 1 du code en vigueur, souligne l’importance du consentement personnel des contractants pour constituer le mariage : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine. »

 

C’est pourquoi, même si c’est en termes différents, la loi a ordonné et ordonne la matière inchangée du consentement, et donc la capacité consensuelle chez chacun des contractants au moment de la célébration du mariage présuppose :

– a. un usage suffisant de la raison pour manifester le consentement par un acte humain libre et conscient (c. 1095, 1°) ;

– b. une nécessaire discretio judicii pour donner et recevoir mutuellement les droits et les devoirs essentiels du mariage (c. 1095, 2°) ;

– c. une capacité psychique d’assumer les obligations essentielles du mariage (c. 1095, 3°).

 

  1. LE DÉFAUT DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. La discretio judicii (c. 1095, 2°), comme chacun le sait, est un concept juridique, qui cependant exprime et inclut de très nombreuses espèces d’anomalies psychiques, qui peuvent concerner soit la connaissance intellective, soit une apte estimation critique, soit enfin la liberté de la décision délibérée de toute pulsion interne insurmontable.

 

  1. Les obstacles à la discretio judicii

 

Parmi les états mentaux qui peuvent d’une façon ou d’une autre interdire la discretio judicii se placent surtout les conditions ouvertement maladives, comme les psychoses et les névroses. Parfois aussi des perturbations de la personnalité peuvent avoir une influence invalidante, mais seulement si elles sont marquées d’une note de gravité. La simple désorganisation de la personnalité, par elle-même, n’est pas présumée comporter l’incapacité du patient. Le mariage en effet ne peut pas requérir chez le contractant une telle force de l’esprit, ou mieux, une telle faculté parfaite d’estimation ou une telle prudence du conseil, que toutes ses conséquences soient pleinement saisies.

 

  1. A ne pas confondre avec le défaut de discretio judicii

 

Une sentence c. Funghini, du 19 mai 1993, dit à ce sujet et fort à propos : « Lorsque la nullité du mariage est invoquée pour défaut de discretio judicii, le juge doit résoudre la question de savoir si le contractant a été capable d’un consentement valide, et non s’il a entrepris de célébrer son mariage prudemment et de façon parfaitement raisonnée. Pour un consentement valide, alors qu’est nécessaire la maturité psychique dans les limites dont on a parlé plus haut, il n’est pas requis qu’il y ait cette gravité et cette prudence qui rendent le mariage non seulement valide, mais plus agréable et plus fructueux pour les conjoints, les futurs enfants et la société »[1].

 

La discretio judicii en effet n’équivaut pas à la prudence, comme nous l’avons écrit dans une sentence du 17 novembre 1995 : « Très certainement on ne doit pas oublier la distinction entre la discretio et la prudence dans la décision délibérée. Toutefois la réflexion sur le mariage à contracter doit regarder la communauté à instaurer dans ses circonstances concrètes, et donc avec telle personne déterminée. Il ne s’agit pas assurément d’une pure et simple prudence dans une décision délibérée, mais plutôt d’une délibération suffisante et d’un jugement approprié à avoir pour émettre ce consentement hic et nunc »[2].

 

  1. Le défaut de discretio judicii regarde les obligations essentielles du mariage

 

  1. Pour que le défaut de discretio judicii rende véritablement le mariage nul, il faut qu’il soit en relation, non pas avec la personne choisie comme conjoint, mais – comme le fait remarquer le c. 1095, 2° lui-même – avec les obligations essentielles de l’alliance matrimoniale elle-même. En effet, selon la jurisprudence reçue de Notre For, ce n’est pas la décision délibérée « erronée » ou « imprudente » du conjoint pour le mariage qui invalide le consentement conjugal, à moins que ne soit prouvé, dans le cas concret, un grave défaut de capacité de discretio provenant de l’une des innombrables désorganisations psychiques, ressortant des actes et des faits et illustrée par un expert psychologue ou psychiatre. Certes le naufrage ou la ruine même de la communauté matrimoniale ne peuvent du fait même être convertis en un élément sur lequel serait bâtie la sentence de nullité. Les présupposés qui portent à cette argumentation fantaisiste ont toujours été rejetés avec force par la jurisprudence de Notre For.

 

Par le droit, de même, est requis une chose et une seule : la discretio ou maturitas judicii proportionnée au mariage à célébrer hic et nunc, de sorte que le contractant puisse comprendre la nature et le poids du mariage, sinon il ne pourrait pas consentir à ce mariage. Cette discretio et cette volonté dans l’acte de contracter sont présumées par le droit, sauf preuve contraire.

 

Nous estimons en conséquence nécessaire de porter son attention sur celui qui contracte hic et nunc, c’est-à-dire sur le mariage considéré dans les circonstances particulières des personnes. Il n’y a en effet aucune espèce pré-conçue a priori de grave défaut de discretio judicii, qui pourrait éventuellement s’appliquer à toutes les autres espèces de mariage, comme si elle était un exemple.[3]

 

  1. Les obligations essentielles du mariage et les fins et propriétés essentielles

               du mariage

 

  1. Enfin, parmi les obligations essentielles du mariage, seules sont recensées par Notre Jurisprudence celles qui découlent des fins et propriétés essentielles du mariage. C’est-à-dire, sont appelées obligations essentielles du mariage celles qui se rapportent à l’intégration et au progrès mutuels des conjoints, à la génération des enfants et à leur éducation humaine et chrétienne (cf. c. 1055), ainsi qu’au respect de la fidélité mutuelle et au maintien de l’indissolubilité du lien (c. 1057). En d’autres termes, nous parlons des obligations qui se rapportent aux traditionnels « biens du mariage », dont nous instruit saint Augustin – les enfants, la fidélité, le sacrement – auxquels il est permis d’ajouter le bien des conjoints comme fin essentielle du mariage.

 

 

 

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La cause a rencontré des difficultés d’ordre processuel et d’ordre substantiel. Pour l’ordre substantiel : l’expert de la 1° instance et le juge unique ont placé la cause du grave défaut de discretio judicii dans le jeune âge des contractants, comme si cela était suffisant, dans le cas précis, pour motiver la nullité du mariage.

 

Une autre difficulté réside dans le fait que chaque conjoint a décrit l’autre de façon très négative, ce qui met en doute leur crédibilité.

 

Les actes de l’instruction et surtout le rapport d’expertise du professeur Cianconi ont montré sans conteste le grave manque de discretio judicii du mari demandeur.

 

  1. LE GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  DE  L’ÉPOUSE  PARTIE  APPELÉE

 

Jackie ne se reconnaît que des qualités : « Je pense que je ne suis pas égoïste […]. J’étais capable de communiquer avec les autres […]. Je suis très sensible… ». Louis n’est pas de cet avis. Selon lui Jackie a subi des violences sexuelles de la part de son propre père, elle se droguait depuis longtemps, elle est jalouse, menteuse, boulimique etc. etc.

Certes Jackie reconnaît elle-même qu’elle s’est droguée, mais qu’elle s’est soignée sous la direction d’un psychiatre.

 

L’épouse déclare encore qu’elle a fait des efforts pour sauver sa communauté conjugale, en y montrant une certaine maturité : « J’étais une bonne épouse, j’ai essayé de dire la vérité, je déteste le mensonge ». Elle ajoute qu’elle n’a subi aucun sévice sexuel.

 

Toutefois un témoin, qui avait été son parrain à son baptême, rapporte que Jackie était une alcoolique, qu’elle se droguait et qu’elle manquait de fermeté de caractère, ce que confirment la sœur et la mère de l’intéressée.

 

Le professeur Cianconi, expert rotal, pense que la plus grande difficulté est de connaître la condition psychique de l’épouse, parce qu’également il manque dans les actes une anamnèse de sa famille : « Il en résulte qu’il est difficile d’analyser la condition psychologique de la femme […]. Jackie apparaît plus correcte que son mari ».

 

En conclusion, les Pères soussignés n’ont aucune certitude morale d’un grave défaut de discretio judicii chez l’épouse partie appelée.

 

  1. LE GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  DU  MARI  DEMANDEUR

 

Jackie accuse son mari de se droguer et de vendre de la drogue : « Il a été arrêté pour trafic de drogue […] et il recommence avec la femme avec qui il vit actuellement ». Pour Jackie, Louis est violent, jaloux, n’aimant que lui, dur avec son fils, de caractère faible etc. etc. D’ailleurs le mari reconnaît lui-même qu’il n’était pas mûr pour le mariage, car il était trop jeune.

Les témoins produits par Louis ne tarissent pas sur ses qualités. Toutefois, notent les Pères soussignés, ces qualités concernent plutôt la vie sociale que la vie conjugale avec Jackie, et d’autre part et surtout son addiction à la drogue, avant le mariage, est un indice clair de son immaturité, et il ne s’agit pas d’une chose sans importance puisqu’en plus il était dealer.

 

On doit tenir pour sans valeur le rapport de V.W. qui a été considéré imprudemment par le juge unique comme une expertise. En effet V.W. n’a pas soumis les actes de la cause à un examen critique ou scientifique et elle n’apporte qu’une vague affirmation de l’usage d’alcool et de stupéfiants de la part de Louis. Le professeur Cianconi parle de ce rapport comme d’une opinion personnelle et non d’une étude clinique.

 

Par contre sa propre expertise lève tous les doutes sur l’état psychique de Louis au moment de son mariage : abus de drogue et d’alcool, manque de maturité. Il évoque la façon dont « Louis projette sur sa femme la responsabilité de l’échec du foyer, en s’exonérant de toute responsabilité […]. Entre les lignes des actes il est évident que l’immaturité de l’individu existait avant le mariage ».

 

Tout ceci conduit les Juges à reconnaître qu’au moment de l’émission de son consentement Louis souffrait d’un désordre psychique qui l’a empêché de donner un consentement matrimonial valide. Ce désordre psychique était une immaturité grave, qui l’a privé d’une suffisante discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage.

 

– Constat de nullité

pour grave défaut de discretio judicii

chez le mari demandeur

 

– Non constat pour ce chef

chez l’épouse partie appelée

– Vetitum pour le mari

 

 

Pio Vito PINTO, ponent

John G. ALWAN

Giordano CABERLETTI

 

__________

 

[1] C. FUNGHINI, 19 mai 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 404,n. 2

[2] C. P.V. PINTO, 17 novembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 619, n. 3 ; cf. C. POMPEDDA, 14 novembre 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 731, n. 12 ; c. CABERLETTI, 25 juin 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 490-495, n. 3-6

[3] Cf. ALWAN, 30 janvier 1998, SRRDec, vol. XC, p. 37, n. 10

Pinto 17/12/2009

Coram  Pio Vito  PINTO

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal régional de Ligurie (Italie) – 17 décembre 2009

P.N. 19.898

Constat pour les 2 chefs

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE CONSENTEMENT  MATRIMONIAL
  2. Importance du consentement
  3. La capacité consensuelle
  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII
  2. Nature du défaut de discretio judicii
  3. La gravité du défaut de discretio judicii
  4. La preuve du grave défaut de discretio judicii

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. Nature de l’incapacité d’assumer
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. Les causes de nature psychique de l’incapacité d’assumer
  4. La preuve de l’incapacité d’assumer

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Sergio K, né le 11 mars 1963, et Sophie B., née le 1° avril 1962, se marient religieusement le 30 novembre 1985 dans une chapelle appartenant à la famille de Sergio, dans le diocèse de Lausanne. Le mariage civil avait été célébré à Paris le 6 novembre précédent.

 

La vie conjugale prend fin en février 1986, trois mois après le mariage religieux. Le divorce est prononcé par le TGI de Paris le 29 octobre 1986.

 

Le 6 décembre 1999, Sergio présente un libelle au Tribunal régional de Ligurie, en Italie, pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage avec Sophie. La Signature Apostolique accorde au Tribunal une prorogation de compétence. Le 28 juillet 2000, le doute est concordé sur les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part du mari demandeur. Une expertise est réalisée. Le 22 février 2002, le Tribunal rend une sentence affirmative pour le chef de grave défaut de discretio judicii, « répondant ainsi également au chef d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

Le Tribunal régional d’appel du Piémont admet la cause à l’examen ordinaire du second degré et, le 3 septembre 2002, concorde le doute uniquement sur le chef de grave défaut de discretio judicii de la part du mari demandeur. Une nouvelle expertise est réalisée. La sentence du 28 octobre 2004 est négative.

En 3° instance, le doute est concordé sur les deux chefs initiaux et une expertise ex officio est exécutée.

 

EN  DROIT

 

  1. LE CONSENTEMENT  MATRIMONIAL

 

  1. Importance du consentement

 

  1. Selon le principe connu reçu de la tradition canonique, clairement exprimé au c. 1081 CIC 1917 et confirmé au n. 48 de la Constitution Gaudium et Spes, le c. 1057 § 1 du Code en vigueur insiste également sur l’importance fondamentale du consentement personnel des époux pour constituer le mariage : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine ».

 

Le consentement de ceux qui se marient est toujours proclamé et exigé en tant que cause efficiente du mariage, unique, adéquate, suffisante et absolument nécessaire, le consentement étant l’acte de la volonté en vue d’une mutuelle donation-acceptation des personnes pour constituer le mariage (c. 1057 § 2), c’est-à-dire une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants (c. 1055 § 1).

 

  1. La capacité consensuelle

 

Pour que le consentement personnel de ceux qui se marient soit apte à engendrer ses effets si graves et qui durent pendant toute la vie des conjoints, il doit être manifesté « entre personnes juridiquement capables », c’est-à-dire qui soient dotées de la capacité adéquate requise par le droit naturel et le droit positif.

 

La capacité consensuelle chez chacun des contractants au moment de la célébration du mariage présuppose :

  1. un usage suffisant de la raison pour manifester le consentement par un acte humain libre et conscient (c. 1095, 1°) ;
  2. la discretio judicii requise pour les droits et devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement (c. 1095, 2°) ;
  3. la capacité psychique d’assumer les obligations essentielles du mariage (c. 1095, 3°).

 

  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. Nature du défaut de discretio judicii

 

  1. La discretio judicii (c. 1095, 2°), comme chacun le sait, est un concept large, qui inclut la connaissance intellective, une estimation critique apte, et enfin la liberté de la décision délibérée de toute impulsion interne irrésistible.

 

Parmi les états de l’esprit qui peuvent d’une certaine façon empêcher la discretio judicii, se trouvent surtout les conditions ouvertement maladives, comme les psychoses et les névroses. Parfois également des perturbations de la personnalité peuvent avoir une influence invalidante, mais seulement si elles sont revêtues d’une note de véritable gravité. Une simple désorganisation de la personnalité, par elle-même, n’est pas présumée comporter l’incapacité du patient.

 

Il suffit encore moins, bien entendu, pour réduire à néant le consentement, qu’il y ait de simples traits de personnalité qui n’atteignent pas une signification et une importance cliniques. Selon le Magistère Pontifical bien connu, seules les formes sérieuses d’anomalie peuvent engendrer l’incapacité consensuelle : « Pour le canoniste, le principe doit rester clair que seule l’incapacité, et non pas la difficulté, à donner le consentement et à réaliser une vraie communauté de vie et d’amour, rend nul le mariage […]. On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en présence d’une forme sérieuse d’anomalie qui, de quelque façon qu’on la définisse, doit entamer de façon substantielle les capacités de comprendre et/ou de vouloir de celui qui contracte »[1].

 

  1. La gravité du défaut de discretio judicii

 

  1. Le c. 1095, 2° requiert la gravité, dans le défaut de discretio judicii qui doit affecter l’estimation des droits et des devoirs essentiels qui sont à échanger dans l’alliance conjugale. Le mariage en effet entraîne avec lui d’innombrables conséquences existentielles, spirituelles et sociales, mais il ne peut pas être requis chez celui qui se marie une telle force spirituelle, ou mieux, une telle profondeur d’estimation ou une telle prudence de conseil qu’elles embrassent pleinement toutes les conséquences du mariage.

 

Une sentence coram Funghini fait très justement remarquer : « Lorsque la nullité du mariage est invoquée pour défaut de discretio judicii, la question à résoudre par le juge est celle de savoir si le contractant a été capable de donner un consentement valide, mais non pas s’il est arrivé à la célébration du mariage de façon prudente et après avoir bien réfléchi. Pour un consentement valide, alors qu’est nécessaire une maturité psychique dans les limites dont nous avons parlé plus haut, il n’est pas requis qu’il y ait cette gravité et cette prudence qui rendent le mariage non seulement valide, mais plus accommodé et plus fructueux pour les conjoints eux-mêmes, pour leurs futurs enfants et pour la société »[2].

 

En effet s’il n’y avait de mariages valides que ceux qui sont contractés avec une capacité totale ou idéale d’évaluation, il est évident que le droit au mariage – ouvert à tous en vertu du droit naturel – serait restreint à un petit groupe d’êtres humains, ce qui est ouvertement contraire aux principes de l’anthropologie chrétienne.

 

  1. Il serait de même contraire à la juste anthropologie de soutenir que celui qui jouit d’un grand sens des responsabilités, en raison de son caractère propre inné ou en vertu de son éducation familiale, soit par le fait même incapable d’une détermination réfléchie et libre au mariage.

 

  1. La preuve du grave défaut de discretio judicii

 

  1. « Pour prouver le grave défaut de discretio judicii, enseigne la jurisprudence de Notre Ordre, il est nécessaire de recourir à l’examen de la façon de se conduire du sujet et de découvrir, à partir de sa vie et du déroulement de celle-ci, les causes de perturbation qui entraînent la perte de la maîtrise de ses propres facultés. Mais à coup sûr, s’il n’y a pas de causes de perturbation, on ne peut pas, a priori, diagnostiquer un grave défaut de discretio judicii »[3].

 

Il faut porter une attention particulière aux conditions concrètes soumises au jugement, dans tous leurs aspects : « Certains modes de vie peuvent être considérés comme contraires à la preuve d’un défaut de discretio judicii, lorsque les mêmes raisons démontrent le plein usage des facultés de discretio. Ainsi par exemple : la prise en charge des responsabilités du mariage dans les premières années de la vie conjugale est une preuve contraire au défaut de discretio judicii, parce que pour remplir les obligations conjugales il est requis une ample discretio judicii »[4].

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Selon le c. 1095, 3° sont incapables de contracter mariage ceux qui sont affectés d’une incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage pour des causes de nature psychique.

 

  1. Nature de l’incapacité d’assumer

 

Alors que les chefs de nullité dont il est question dans les deux premiers numéros du canon, s’attachent au sujet sous la lumière de la capacité d’émettre le consentement matrimonial en tant qu’acte humain conscient et volontaire (n° 1), et en tant qu’acte humain délibéré de façon adéquate et doté d’une liberté intérieure convenable (n° 2), le chef du n° 3 regarde plutôt le rapport de celui qui se marie à l’objet du consentement.

 

En effet il ne suffit pas, pour contracter un mariage valide, de l’usage de la raison et d’une discretio judicii proportionnée. Il est nécessaire qu’il y ait, au moment du mariage-alliance, la capacité de celui qui se marie de mettre en pratique ce qui constitue le mariage-état de vie, c’est-à-dire la capacité de remplir dans la vie matrimoniale les obligations essentielles afférentes à la communauté de toute la vie.

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

  1. Les obligations essentielles du mariage peuvent s’individuer compte tenu des fins institutionnelles et des propriétés essentielles du mariage : de telle sorte qu’on puisse dire que les obligations essentielles des conjoints concernent la mutuelle intégration et le succès mutuel, la génération des enfants et leur éducation humaine et religieuse (cf. c. 1055), ainsi que la mutuelle fidélité à garder et le respect de l’indissolubilité de l’union (c. 1057).

 

Il s’agit, en d’autres termes, des obligations qui se rapportent aux traditionnels « biens du mariage », dont il est question dans la doctrine de Saint Augustin (les enfants, la fidélité, le sacrement), enrichis de l’aspect personnaliste qui ordonne de placer également le bien des conjoints dans les fins du mariage, et d’insérer les charges correspondantes dans le noyau vital de la capacité matrimoniale.

 

En d’autres termes, on doit discuter au for canonique de la validité du mariage, et non de sa perfection. Sinon le concept « idéalisé » du mariage serait trop fort et le droit au mariage – qui ne présuppose pas une capacité supérieure, mais seulement une capacité naturelle –subirait une restriction insupportable.

 

  1. Les causes de nature psychique de l’incapacité d’assumer

 

  1. On ne doit jamais oublier que le naufrage de la communauté matrimoniale, pour très triste qu’il soit, ne sous-entend pas par lui-même un défaut de capacité chez les conjoints.

 

Il peut arriver en effet, pour de multiples raisons, que la relation conjugale, qui comporte toujours des difficultés et requiert une longanimité et un esprit d’adaptation, soit viciée par l’impatience, ou pire, par la mauvaise volonté des parties.

 

A ce sujet la jurisprudence nous avertit que la simple constatation que les obligations conjugales ne sont pas remplies est insuffisante.

 

C’est pourquoi la loi prescrit très justement que l’incapacité d’assumer les obligations doit être rapportée à des causes de nature psychique. Ceci doit être compris correctement – car même la mauvaise volonté procède de l’intime de l’âme – : la cause de l’incapacité doit être inhérente à la constitution psychique du sujet de telle sorte qu’elle ne puisse volontairement ni être réfrénée ni contrainte ; et elle doit rendre au patient la poursuite de la vie commune, non seulement grave mais réellement intolérable.

 

  1. La preuve de l’incapacité d’assumer

 

  1. La preuve de la nullité dans ces cas-là est grandement aidée par les experts, à qui il appartient d’informer le juge sur l’état psychique du présumé incapable, c’est-à-dire : ce dernier a-t-il été affecté d’une anomalie au moment de son mariage ; quelle a été la gravité de cette anomalie ; cette anomalie a-t-elle eu un effet, et lequel, sur la capacité du sujet de nouer et d’entretenir une relation duelle et paritaire avec son conjoint, ordonnée au bien commun, ouverte à la vie, fidèle et indissoluble ?

 

Il est interdit aux experts de majorer la gravité de la maladie ou de la rétrograder à l’époque prématrimoniale sans arguments scientifiques, ou d’en venir à des conclusions qui débordent largement les prémisses.

 

Le juge doit soumettre l’expertise à un examen comportant trois critères : évaluation du fondement de l’expertise dans les actes, dans lesquels le rapport du médecin doit trouver des confirmations fermes ; mesure de la rectitude de la méthode scientifique et de la clarté logique de l’argumentation ; enfin vérification de l’inspiration philosophique du médecin qui a fait l’expertise, afin que ne soient pas acceptées les expertises qui, dans leur argumentation, sont favorables aux doctrines matérialistes ou au déterminisme, qui s’opposent à l’anthropologie chrétienne.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. Le mari demandeur

 

Le mari demandeur a subi diverses épreuves dans son évolution affective, dès l’enfance par suite de la séparation de ses parents, et durant son adolescence et sa jeunesse en raison de la mort de jeunes filles avec lesquelles il entretenait une relation amoureuse.

 

Bien qu’il se défende d’avoir souffert du divorce de ses parents, il reconnaît que ce n’est qu’avec son grand-père qu’il a trouvé la paix.

 

Quant à ses relations amoureuses, elles ont, en 15 ans, connu trois épreuves : à 17 ans, à Paris, il a eu « sa première expérience affective » avec une jeune fille qui est morte d’une maladie des reins. Puis il s’est éperdument épris d’une jeune belge, avec laquelle il a « un peu cohabité et un peu non », et qui a été assassinée. Ensuite il est parti à New-York où il a « fréquenté » une jeune Iranienne, qui l’a quitté pour son meilleur ami. Enfin en 1985 il est revenu à Paris, où il a rencontré Sophie, qu’il a fréquentée deux mois, qu’il a épousée, et qu’il a abandonnée avant son retour en Amérique.

 

Le demandeur affirme toutefois qu’il a « rempli pleinement en conscience, ses obligations conjugales » …

 

  1. Les témoins

 

Les témoins, unanimement, pensent que Sergio n’avait pas acquis la maturité suffisante pour évaluer les obligations conjugales : il était immature, il s’est marié de façon folle, il avait un caractère faible, il était gravement immature, etc.

 

  1. Les expertises

 

  1. Les expertises des première et seconde instance

 

Ces expertises sont discordantes. En première instance, le docteur B., qui a examiné le mari demandeur, pense qu’il n’avait pas acquis la maturité, parce que son tempérament n’était pas apte à un processus évolutif normal, et il estime que Sergio avait un état pathologique prouvé.

 

En deuxième instance, le docteur F., qui a examiné le mari demandeur en employant une méthode psychodiagnostique, n’a vu chez lui aucune pathologie psychique et a même estimé qu’il avait une maturité réelle. Et en même temps l’expert fait état de nombreux indices qui ne s’expliquent que par l’immaturité.

 

  1. L’expertise de troisième instance

 

En troisième instance à la Rote, le professeur Callieri a supprimé tout doute sur la gravité de l’immaturité du mari. Il accepte le diagnostic de l’expert de 1° instance, comme bien fondé scientifiquement. Il reconnaît chez l’expert de 2° instance une méthode scientifique correcte, mais il se démarque de cet expert, car il estime que l’anomalie dont souffrait le mari demandeur doit être considérée comme grave. Selon le professeur Callieri, le second expert n’a pas suffisamment prêté attention au manque de cohérence des éléments qu’il avait découverts avec sa méthode psychodiagnostique.

 

Le professeur Callieri, qui a examiné directement le mari demandeur et qui a étudié scientifiquement les actes de la cause, parle des « traits patho-caractériels de personnalité » de Sergio, bien avant son mariage et il indique comme cause de la grave immaturité du sujet son évolution psycho-affective anormale.

 

En conclusion, celui-ci souffrait d’une grave immaturité, qui l’a empêché d’avoir une suffisante discretio judicii et l’a rendu incapable d’assumer les obligations essentielles du mariage.

Constat de nullité pour

– défaut grave de discretio judicii, et

– incapacité d’assumer les obligations essentielles

du mariage, de la part du mari demandeur.

 

– Vetitum pour le mari

 

Pio Vito PINTO, ponent

John ALWAN

Giordano CABERLETTI

 

__________

 

[1] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, n. 7

[2] C. FUNGHINI, 19 mai 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 404, n. 2

[3] C. ALWAN, 30 janvier 1998, SRRDec, vol. XC, p. 37, n. 10

[4] C. ALWAN, même endroit, n. 11

Monier 27/11/2009

Coram  MONIER

 Grave défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

Simulation partielle

 Tribunal régional du Latium (Italie) – 27 novembre 2009

P.N. 19.731

Constat de nullité

pour les deux premiers chefs

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. L’INCAPACITÉ
  1. LE CONSENTEMENT
  2. Les qualités requises pour le consentement
  3. Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique
  4. La nécessaire liberté
  5. La liberté et les impulsions intérieures et extérieures
  6. La nécessaire gravité de défaut de discretio judicii

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique
  4. L’immaturité psycho-affective
  5. Le Trouble Dépendant de Personnalité

 

  1. LE RÔLE  DES  EXPERTS  ET  DES  JUGES
  2. Les experts
  3. Les juges

 

  1. LA SIMULATION  PARTIELLE

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Raffaele M. et Maria P., médecins l’un et l’autre, s’étaient rencontrés en 1975 à la Polyclinique Gemelli de Rome où ils se spécialisaient en cardiologie. Raffaele déclare que leur relation a été rompue à la fin de leurs études, ce que conteste Maria. En juillet 1979 ils décident de se marier, ce qu’ils font le 29 septembre de la même année.

 

La vie conjugale, au cours de laquelle naît un unique enfant, dure 18 ans mais en 1996 elle connaît l’échec, l’époux ayant des relations avec une autre femme et, de plus, quittant le foyer conjugal. C’est pourquoi Maria demande à la justice civile la séparation légale, prononcée le 25 juin 1999.

Le 23 mai 2000, Raffaele s’adresse au Tribunal ecclésiastique régional du Latium, accusant son mariage de nullité pour défaut du consentement matrimonial en raison de l’exclusion du bien du sacrement de sa part. Le 31 janvier 2002, à la demande de l’avocat de Raffaele, un nouveau doute est concordé sur les chefs de grave défaut de discretio judicii sur les droits et les devoirs essentiels du mariage et/ou sur l’incapacité d’assumer, pour des causes de nature psychique, les obligations essentielles du mariage, de la part du mari, et également, si ces chefs étaient rejetés, sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari.

 

Des expertises sont réalisées. Le 14 mars 2005 le Tribunal rend une sentence affirmative, mais ne retient pour la nullité du mariage que le grave défaut de discretio judicii chez le mari demandeur. L’épouse fait appel à Notre Tribunal, qui reprend les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer et, si ceux-ci sont rejetés, le chef d’exclusion du bien du sacrement de la part du mari. Une expertise est réalisée en cette seconde instance.

 

 

EN  DROIT

 

  1. L’INCAPACITÉ

 

  1. LE CONSENTEMENT

 

  1. Le concile Vatican II enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour, qui constitue l’alliance matrimoniale, doit naître d’un acte humain « par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement »[1].

 

  1. Les qualités requises pour le consentement

 

A son tour la Loi canonique établit : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » (c. 1057 § 1).

 

Dans cette entreprise d’un poids considérable il est requis de la part de ceux qui se marient l’interaction harmonique et nécessaire des facultés supérieures pour accomplir un acte véritablement humain.

 

La loi statue également que sont incapables de contracter mariage les personnes : « 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

  1. Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique

 

  1. Le consentement matrimonial n’est pas le fruit d’un jugement purement spéculatif puisqu’une détermination consciente implique nécessairement un jugement pratico-pratique.

 

Dans le processus particulier de la formation du consentement, la faculté critique, qui se définit comme une force de jugement et de raisonnement, se porte sur l’objet de la donation réciproque et, après une délibération sérieuse où sont pesés tant les motifs favorables que les motifs contraires, celui qui se marie se forme un nouveau jugement pratico-pratique sur l’opportunité ou non de contracter.

 

Dans ce domaine, une sentence c. Huber nous donne, au sujet de la coopération de l’intelligence et de la volonté, l’enseignement suivant :

« Cette coopération de l’intelligence et de la volonté se déroule en trois phases.

 

La première est l’appréhension du vrai. L’intellect examine tous les éléments relatifs à l’acte que l’on veut accomplir. Il scrute l’objet dans l’absolu, sous la nature du vrai, mais il n’ordonne pas à l’œuvre ce qu’il appréhende. C’est pourquoi l’intellect est appelé spéculatif ou contemplatif.

 

La seconde phase est le jugement. Il s’agit du conseil, qui consiste en une comparaison ou un rapprochement entre une chose et une autre. Le conseil est l’enquête de la raison avant le jugement sur les choix à faire. Ce jugement regarde la praxis et donc il se rapporte à l’intellect pratique ou actif.

 

La troisième phase est l’electio, le choix délibéré. S. Thomas le définit ainsi : ‘L’electio est l’acceptation ultime par laquelle quelque chose est reçu pour être recherché. L’electio n’est pas un acte de la raison, mais de la volonté’[2] »[3].

 

  1. La nécessaire liberté

 

  1. D’autre part la discretio judicii comporte une liberté suffisante. Dans ce domaine, la question de l’activité inconsciente dans le processus de formation du consentement est très difficile. En tout cas, comme l’enseigne très souvent la Jurisprudence de Notre For : « Il y a une véritable liberté interne lorsque la détermination de la volonté, qu’on appelle electio, est libre de toute détermination intrinsèque à un seul objet, de telle sorte que la volonté puisse agir ou ne pas agir, faire une chose ou son contraire à partir de considérations proposées par un jugement indifférent. La liberté interne fait défaut si la volonté, sans qu’il y ait une lésion manifeste de l’intellect spéculatif, est déterminée à partir du fait que l’intellect pratique ne peut absolument pas ou au moins peut de façon insuffisante estimer les motifs de l’electio»[4].

 

Pour accomplir un acte véritablement humain dans le consentement matrimonial, la nécessité de la liberté doit toujours être reconnue parce que, si la liberté fait défaut, le mariage est nul. Les Pères du Concile Vatican II ont parfaitement enseigné : « La vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine. Car Dieu a voulu le laisser à son propre conseil pour qu’il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l’homme exige donc de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure »[5].

 

  1. La liberté et les impulsions intérieures et extérieures

 

Il faut remarquer que, si le droit naturel postule la liberté de la volonté comme une condition sine qua non dans la décision délibérée du mariage, l’absence de toute impulsion n’est cependant pas nécessaire, et en même temps, celui qui se marie doit être capable d’y résister. Comme l’enseigne la jurisprudence de Notre For : « En d’autres termes il y a liberté interne lorsque la personne, et en l’espèce celui qui se marie, a la faculté de se déterminer lui- même de l’intérieur, ce qui assurément n’exige pas l’absence générale des impulsions qui proviennent du caractère, de la vie menée, des circonstances existentielles, de l’éducation, de la façon de se conduire, ainsi que des schémas de la loi morale. La liberté peut parfaitement exister avec des impulsions internes de ce genre, mais elle requiert la capacité de leur résister »[6].

 

  1. La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii

 

Dans ce genre de causes il ne faut pas oublier la gravité du défaut de discretio judicii, comme la loi l’exige. Cette gravité « se mesure selon deux critères : le premier est la condition psychique du contractant, le second est la gravité des droits et des devoirs essentiels du mariage, avec lesquels les actions psychiques du contractant doivent garder une proportion. A moins qu’à partir des Actes n’émerge chez la personne une perturbation psychique antérieure au mariage, on peut difficilement prouver un grave défaut de discretio judicii »[7].

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

  1. La raison de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage est à trouver dans la célèbre règle du droit selon laquelle « personne ne peut être obligé à l’impossible ».

 

Dans le cas de cette incapacité il ne s’agit pas d’une simple difficulté, mais d’une véritable incapacité de disposer de l’objet du consentement puisque chez le sujet les forces psychiques dans l’ordre de l’exécution excèdent les obligations essentielles du mariage.

 

Ces obligations essentielles, comme on le déduit des c. 1055, 1056, reposent sur les trois biens traditionnels : obligation de garder la fidélité, de respecter l’indissolubilité ainsi que l’obligation d’accepter la procréation et l’éducation des enfants.

 

Aujourd’hui, et depuis de longues années, est consolidée la doctrine qui non seulement requiert la capacité d’assumer les obligations dont nous parlons, mais elle comprend également comme un élément essentiel l’habilité à faire naître et à soutenir la communauté de vie ordonnée au bien des conjoints. A ce sujet Mgr Pompedda écrit : « C’est pourquoi les parties ont droit aux moyens par lesquels les fins peuvent être atteintes. Les droits inclus dans les trois biens traditionnels ne semblent pas suffire. Il est requis en plus le droit à la communauté de vie, décrite dans les Saintes Ecritures comme une ‘aide’ et assumée par le Concile Vatican II sous l’expression ‘union intime des personnes et des activités’[8] »[9].

 

  1. L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique

 

La loi exige également que l’incapacité dont il s’agit ait son fondement dans des causes de nature psychique. Dans le domaine de la cause de nature psychique et de son lien avec l’incapacité en question, une sentence c. Stankiewicz fait remarquer : « L’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, selon la teneur de la loi ecclésiale, ne peut provenir que de causes de nature psychique […], mais non d’autres causes, physiques ou morales, comme par exemple un vice moral invétéré, contraire à l’un des devoirs du mariage, ou l’absence de telle vertu qui rend très difficile l’observance des obligations conjugales. Cette incapacité empêche d’assumer les obligations essentielles en raison du défaut de maîtrise ou de puissance psychique de la part du contractant sur ses actions futures et ses raisons d’agir, qui comportent l’accomplissement des obligations […]. En effet un tel défaut de la puissance volitive de gouverner les impulsions qui prévalent sur les obligations essentielles peut rendre leur observance et leur accomplissement non seulement difficile mais également impossible. Il s’agit assurément d’une structure anormale et perturbée de la vie psychique de la personne du contractant, qui empêche de par sa nature même d’assumer soit toutes les obligations essentielles du mariage ou seulement certaines d’entre elles. Et cela arrive indépendamment d’une espèce nosographique dénotant une pathologie psychique jointe, soit que celle-ci ait un caractère organique soit qu’elle ait un caractère fonctionnel »[10].

 

  1. L’immaturité psycho-affective

 

  1. Sous la formule générale « de nature psychique », la loi ne requiert pas une maladie mentale au sens strict, ou une véritable psychopathie, mais il suffit d’une désorganisation tirant son origine d’une cause psychique, comme l’immaturité psycho-affective, pourvu qu’elle empêche l’exercice correct de la faculté critique ou la capacité d’assumer les obligations essentielles du mariage. A coup sûr il ne faut pas confondre cette immaturité avec une immaturité envisagée au sens large ou connexe à l’âge.

 

Selon la discipline des auteurs reconnus dans la science psychiatrique reçue, cette immaturité « consiste dans un mode d’agir incongru et infantile de la part d’un adulte, soit en raison d’un défaut d’autonomie fonctionnelle dans la conduite personnelle, soit en raison d’un défaut d’évolution de la personnalité ou du caractère »[11].

 

Quant aux symptômes de ce type d’immaturité, nous trouvons l’incapacité de gouverner ses désirs et ses passions, un lien très étroit avec les parents, l’égoïsme, l’irresponsabilité dans l’accomplissement des obligations du mariage. Une sentence c. Turnaturi note à ce sujet : « Dans la dimension de la pathologie psychique ou de défaut d’équilibre psychique, on compte aussi l’immaturité psycho-affective dépendant d’une personnalité désordonnée, ou la personnalité psycho-agressive, ou une structure désorganisée de la personnalité marquée ou dominée par des signes graves de comportement antisocial ou de narcissisme, en raison de l’égoïsme ou de l’égocentrisme du sujet, qui fait obstacle à la constitution de la communauté conjugale en ce qu’elle rend intolérable et bien plutôt impossible l’intégration interpersonnelle ou la complémentarité psychosexuelle pour le bien des époux et l’éducation des enfants »[12].

 

  1. Le Trouble Dépendant de Personnalité

 

De la même façon, on recense dans les désorganisations de nature psychique ce qu’on appelle le « Trouble Dépendant de Personnalité », que la science psychiatrique définit ainsi : « Une situation perverse et excessive de nécessité d’être pris en charge, qui détermine un comportement soumis et dépendant et une peur de la séparation, qui apparaissent au premier âge adulte et qui sont présents dans une variété de contextes »[13].

 

Parmi les critères qui circonscrivent cette désorganisation de la personnalité, on peut lire : « Les individus ayant un Trouble Dépendant de Personnalité ont de grandes difficultés à prendre les décisions quotidiennes […]. Ces individus tendent à être passifs et à permettre à d’autres personnes […] de prendre l’initiative et d’assumer la responsabilité dans la majeure partie des secteurs de leur vie […]. Les adultes ayant ce trouble dépendent typiquement de leur géniteur ou de leur conjoint pour décider où ils doivent vivre, quel type de travail ils devraient avoir […]. Puisqu’ils craignent de perdre leur support ou l’approbation des autres, les individus ayant ce Trouble Dépendant de Personnalité ont souvent des difficultés à exprimer leur désaccord avec les autres personnes, spécialement avec celles dont ils sont dépendants […]. Les individus ayant ce trouble on des difficultés à prendre l’initiative de projets ou à faire des choses de façon indépendante […]. Ils sont convaincus d’être incapables de fonctionner indépendamment et se présentent comme incapables et ayant besoin d’une assistance constante »[14].

 

  1. LE RÔLE  DES  EXPERTS  ET  DES  JUGES

 

  1. Dans l’examen de la cause il faut prêter attention à tous les faits et circonstances tant prématrimoniaux que postmatrimoniaux relatés par les parties et les témoins.

 

  1. Les experts

 

Est de grande valeur l’aide d’un ou plusieurs experts qui, après avoir examiné les parties, si possible, et compte tenu de tous les éléments tirés du dossier de la cause, doivent, selon les règles de leur science propre et les principes de l’anthropologie chrétienne, présenter dans leurs conclusions le diagnostic et les raisons de l’existence et de la nature de la perturbation, de son origine, de sa gravité, du moment où elle est apparue, et surtout de l’influence de cette perturbation sur les facultés du patient.

 

Une sentence c. de Lanversin, toutefois, nous avertit que l’expertise « n’est qu’une partie de l’ensemble plus vaste de l’instruction du procès canonique, et qu’il serait très dangereux que le jugement ultime dans la décision canonique soit prononcé par l’un ou l’autre des experts consultés, sans aucune évaluation du juge[15], parce que, dans ce cas, il y aurait un grave péril que la cause soit posée et définie sous un aspect tout à fait particulier et partiel, ou qu’elle soit déduite de principes étrangers à l’anthropologie chrétienne »[16].

 

Il revient uniquement au juge de passer au crible les conclusions de l’expert et « il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts » (c. 1579 § 2).

 

  1. Les juges

 

Le devoir des Juges dans le domaine de l’incapacité est difficile. Les juges en effet, « doivent d’une part porter objectivement un jugement sur l’incapacité d’une personne individuelle par rapport à l’institution du mariage, c’est-à-dire en ayant devant les yeux ce que la nature humaine apporte en dotation à tous les hommes ; d’autre part ils doivent prêter attention à la relation interpersonnelle, puisque la nature humaine peut parfois être limitée ou bloquée, ou même être exaltée par la relation à autrui chez un sujet particulier, en ce qui concerne cette relation objective à instaurer avec une autre personne, sans qu’ils ne tombent toutefois dans une appréciation subjective »[17].

 

Il faut également rappeler, puisque le juge n’est pas un expert psychiatre ou psychologue, que les rapports d’expertise sont très importants surtout s’ils sont l’œuvre d’experts qui jouissent d’un très grand crédit dans leur domaine. Mgr Serrano Ruiz fait une remarque logique et pertinente sur la force particulière des rapports d’expertise : « Il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ‘qu’il est juste de mettre à côté de nos habituelles présomptions de droit et présomptions de l’homme, des sortes de présomptions de la science, selon lesquelles on devrait inverser la charge de la preuve – ou du raisonnement du juge – et considérer comme moralement certaines les conclusions de la science si elles ne sont pas contredites par d’autres indices’[18] »[19].

 

  1. LA SIMULATION  PARTIELLE

 

  1. En raison de la présomption du droit, le consentement intérieur de l’esprit doit être considéré conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage (cf. c. 1101 § 1), mais « si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Si quelqu’un se considère comme l’arbitre de la permanence du lien conjugal, avec la faculté de retrouver sa propre liberté au cas où les choses iraient mal, il est évident qu’il n’entend pas faire un mariage chrétien.

 

Il s’agit dans ce cas non pas d’une simple velléité, ou d’une intention habituelle ou virtuelle, mais d’un véritable acte positif de volonté qui implique la limitation du consentement, de telle sorte que celui qui se marie entende contracter mariage uniquement sous la condition expresse ou intérieure d’exclure l’indissolubilité.

 

En vérité le bien du sacrement ne souffre pas de distinction entre le droit et l’exercice du droit puisque celui qui se propose de faire un mariage soluble, exclut le mariage par le fait même.

 

  1. La preuve de la simulation s’obtient selon les critères reçus par la Jurisprudence commune. Tout d’abord il faut évaluer la confession du simulant, judiciaire et surtout extrajudiciaire, faite à des témoins dignes de foi à une époque non suspecte. Ensuite il faut découvrir la cause grave et proportionnée de la simulation, distincte de la cause qui a poussé au mariage. En outre il faut examiner les circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui puissent rendre plus crédible la simulation effectuée.

 

Il est certain que dans des causes de ce genre il ne faut pas oublier le caractère et la crédibilité du simulant présumé, son éducation, son mode de vivre et d’agir, sa situation religieuse et sociale, les circonstances de famille et de lieux.

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La cause présente est difficile à juger étant donné les contradictions dans les dépositions des parties et dans celles des témoins. Il faudra porter une grande attention à ce que disent les uns et les autres, et examiner attentivement les circonstances prématrimoniales et postmatrimoniales.

 

  1. Le mari demandeur

 

Dans sa déposition judiciaire à la Rote, Raffaele se décrit comme quelqu’un ayant eu une enfance et une adolescence très tristes, en raison de l’attitude de son père : « Mon père était dominateur, il nous punissait corporellement […] Quand j’avais dix ans, à l’occasion de l’examen final de l’école élémentaire, mon père m’a puni très fort […] A 12 ans, j’ai fait une fugue et c’est la police qui m’a retrouvé […] J’ai cherché à m’engager à fond dans les études pour échapper à cette situation d’oppression et aussi par peur d’être privé de ces études. J’aurais voulu étudier la philosophie mais mon père a décidé que je serais médecin et j’ai obéi encore une fois à sa volonté ».

 

Raffaele, en première instance, avait déjà parlé de son tempérament hésitant et peu enclin à prendre des décisions, et il reconnaît comme traits saillants de son caractère l’introversion, le sens de l’indignité, l’incapacité de prendre une décision sereine et équilibrée. Il estime également qu’il a vécu ses fiançailles avec légèreté, que Maria lui assurait une sécurité avec la clarté de ses jugements, mais en même temps, comme elle avait le même caractère que son père, elle le remettait dans un état de dépendance et de soumission.

 

La décision de se marier a été très pénible à prendre : « je me trouvais dans une situation de grand malaise parce que je n’avais personne pour me conseiller. D’habitude c’était mon père qui le faisait, c’est lui qui avait toujours conditionné mes choix. De plus je me serais senti perdu si Maria n’avait pas pris la décision du mariage […] Je n’avais pas la liberté pour prendre une décision adéquate ».

 

Raffaele déclare également que la vie conjugale a toujours été tendue et impossible en raison de graves dissensions avec Maria, et il pense que sa relation avec une autre femme n’a pas été la cause de la rupture de son couple, mais plutôt l’effet de l’échec de sa vie conjugale.

 

  1. L’épouse partie appelée

 

Maria donne une tout autre version des faits. En ce qui concerne les rapports de Raffaele avec son père, elle parle de véritable vénération et elle nie que le fils ait été soumis à son père. Mais dans sa précédente déposition elle avait déclaré : « Raffaele avec son père avait comme un rapport d’humiliation ».

 

Ce terme d’humiliation est fort et Maria ajoute que Raffaele était « un garçon introverti et qui gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés ». En même temps elle le définit comme « une personne forte … il n’avait pas un caractère fragile et influençable […] Dans sa famille il était une figure de premier plan et pendant de longues années ses sœurs et sa mère se sont appuyées sur lui ».

 

Pour Maria, il n’y a pas eu de ruptures pendant les fiançailles, mais elle ne pouvait être constamment à Rome, où habitait Raffaele, et de plus son propre père n’aurait pas toléré qu’elle quitte Ascoli pour retrouver son fiancé. Elle ajoute qu’elle aimait Raffaele et qu’il l’aimait aussi.

 

Toutefois les actes du dossier contiennent quelques lettres envoyées par Raffaele à Maria et qui montrent manifestement qu’il y a eu des désaccords sérieux entre les fiancés.

 

Enfin Maria attribue la rupture de la vie commune à la liaison adultérine de son mari, ce qui n’est pas le point de vue de celui-ci.

 

  1. Les témoins

 

Les témoins présentés par l’épouse affirment en général que le mari demandeur, au moment de son mariage, avait un caractère solide. La sentence c. Monier rapporte les déclarations de neuf d’entre eux, qui sont du même avis : « personne déterminée, caractère décidé … », mais en même temps ils reconnaissent qu’ils parlent du médecin avec qui ils ont travaillé ou travaillent toujours, et non de l’époux « sur lequel (ils) ne sauraient pas juger ».

 

Il ne faut pas oublier à ce propos que, selon Maria, Raffaele « gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés » et donc que la plupart des témoins de l’épouse ne pouvaient pas connaître sa véritable personnalité intérieure. Il ne va de même d’ailleurs pour les témoins présentés par le mari et n’ayant pas de lien avec sa famille.

 

  1. Les membres de la famille du mari

 

La mère de Raffaele confirme que son fils était très timide, qu’il ressentait fortement l’influence de son père, lequel avait un caractère fort et rigide : « Cette influence le portait à devoir renoncer à beaucoup de choses propres aux garçons de son âge […] Il a choisi la médecine en raison de l’insistance de son père, il ne se sentait pas la force de s’opposer à son père ».

 

L’oncle de Raffaele et les sœurs du demandeur confirment la domination que le père exerçait sur le fils.

 

En ce qui concerne la période prématrimoniale, la mère de Raffaele rapporte que son fils était très troublé : « il n’avait pas la force de s’opposer à ce qui était en train de se passer […] Il se mariait plus sous la pression de ses parents que pour autre chose ». Quant à Anna Maria, sœur de Raffaele, elle l’a vu « très abattu » au moment de la décision du mariage.

 

On peut ajouter qu’au moment de la mort de son père en 1978 (le mariage est du 29 septembre 1979), Raffaele, selon ses propres paroles, a subi un choc « parce qu’(il) se trouvait pour la première fois devant l’obligation de faire des choix de vie sans être guidé », mais il a trouvé « un point de référence et d’appui en Maria, qui avec sa rationalité, sa détermination et sa force de caractère, (lui) est apparue comme une sorte d’alter ego de (son) père ».

 

Comme Maria lui avait proposé le mariage, il a accepté, mais il ne l’a pas décidé de lui-même.

 

  1. Les experts

 

  1. En première instance

 

En première instance ont été effectuées trois expertises ex officio et deux autres à la demande des parties.

 

Le docteur C.T., experte sollicitée par le mari avant l’introduction des nouveaux chefs de nullité, l’a soumis au test de personnalité Rorschach, et a diagnostiqué un « Trouble Dépendant de Personnalité », qu’elle estime avoir été grave au moment du mariage.

 

Le Docteur D., nommé ex officio, parle d’un très fort et franchement pathologique sens du devoir et des règles (hypertrophie du SUR-MOI), de traits pathologiques de type dépendant, de sexualité mal intégrée, et il conclut que le demandeur manquait d’une suffisante liberté intérieure.

 

Le Docteur J. trouve chez le mari une grave immaturité psycho-affective, associée à des traits de personnalité dépendante, et il conclut que le demandeur manquait totalement, au moment du mariage, de la capacité de comprendre et de vouloir le mariage.

 

  1. En seconde instance à la Rote

 

Le ponent cite abondamment l’expertise du docteur A., réalisée à sa demande. En résumé l’expert conclut à la présence, chez le mari, d’une immaturité psycho-affective ; il estime que celui-ci souffre d’un Trouble Dépendant de Personnalité. Cette immaturité et ce trouble existaient au moment du mariage et durant la vie conjugale. Le docteur A. confirme aussi, substantiellement, les conclusions des expertises précédentes. Enfin il écrit dans son rapport que l’état psychique du demandeur demeure actuellement avec toute sa gravité dans le domaine de l’affectivité, ce qui implique un vetitum pour un autre mariage.

 

Constat de nullité

– pour le grave défaut de discretio judicii

– pour incapacité d’assumer

 

Vetitum pour le demandeur

 

Maurice MONIER, ponent

Kenneth E. BOCCAFOLA

Josef HUBER

__________

 

[1] Const. GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] De ver. 22, 15

[3] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5

[4] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5

[5] GAUDIUM et SPES, n. 17

[6] C. POMPEDDA, 16 décembre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 586, n. 5

[7] C. HUBER, 26 juin 2002, sent. 72/02, n. 5

[8] GAUDIUM et SPES, n. 48

[9] C. POMPEDDA, 14 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 574, n. 9

[10] C. STANKIEWICZ, 16 mai 2003, sent. 48/03, n. 6

[11] C. BOCCAFOLA, 1° juin 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 341, n. 9 ; cf. c. STANKIEWICZ, 11 juillet 1985, SRRDec, vol. LXXXI, p. 356, n. 5

[12] C. TURNATURI, 31 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 59, n. 19

[13] DSM-IV, Manuale diagnostico e statistico dei disturbi mentali, Masson, 1996, p. 729

[14] Même endroit, p. 726

[15] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 25 janvier 1988, AAS, vol. LXXX, p. 1182, n. 6

[16] C. de LANVERSIN, 11 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 461, n. 17

[17] C. Pio Vito PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4 ; cf. c. Pio Vito PINTO, 12 avril 2002, Prot. N. 16.741, sent. 40/02, p. 4, n. 5

[18] Cf. J.M. SERRANO RUIZ, la perizia nelle cause canoniche di nullità matrimoniale, dans Perizie e periti nel processo matrimoniale canonico, Turin 1993, p. 79

[19] C. SERRANO RUIZ, 12 mai 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 284, n. 7

Monier 10/07/2009

Coram  MONIER

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Bogota (Colombie) – 10 juillet 2009

P.N. 20.280

Constat pour les 2 chefs

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

Introduction : Nécessité de la discretio judicii et de la capacité d’assumer

  1. LA DISCRETIO  JUDICII
  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. La cause de nature psychique

 

III.. LE  TROUBLE  BIPOLAIRE  I

  1. Les manifestations du Trouble Bipolaire I
  2. L’évolution du Trouble Bipolaire I

 

  1. LA PREUVE  DU  GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. L’expert
  2. Le c. 1680 et la dispense d’expertise
  3. Le juge

__________

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Carolina R. et Cristian C. se rencontrent à l’Université au début de 2001. Après un an d’amitié ils songent au mariage. Depuis l’âge de 18 ans, Cristian souffrait d’un Désordre Bipolaire et avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Leur mariage est célébré à Bogota le 31 janvier 2004.

 

Dès le début la communauté conjugale connaît des difficultés en raison de la conduite du mari qui rend intolérable la vie commune. Cristian quitte le domicile conjugal en octobre 2004 et la séparation définitive a lieu en janvier 2005.

 

Pour le bien de sa conscience, Carolina, le 19 octobre 2005, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Bogota, demandant la déclaration de nullité de son mariage avec Cristian pour grave défaut de discretio judicii et pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part du mari.

 

Le 9 novembre 2005 le doute est concordé sous ces deux chefs. Une expertise est réalisée. La sentence du 21 septembre 2006 est négative. L’épouse s’adresse le 13 avril 2007 au Tribunal d’appel de Colombie, qui se procure les dossiers médicaux du mari établis par les hôpitaux que celui-ci a fréquentés de 1999 à 2005. La sentence du 16 août 2007 est affirmative pour les deux chefs.

 

Il Nous revient aujourd’hui de répondre au doute concordé en 3° instance, le 26 septembre 2008, sous la formule : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et pour incapacité d’assumer les obligations essentielles de la part du mari partie appelée ?

 

EN  DROIT

 

Introduction : Nécessité de la discretio judicii et de la capacité d’assumer

 

  1. Puisque l’institution matrimoniale est une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants (c. 1055), celui qui se marie doit jouir d’un degré suffisant et proportionné de maturité du jugement.

 

En émettant le consentement, il ne suffit pas d’une manifestation externe par une forme légitime (c. 1057 § 1), mais il est nécessaire qu’il y ait la capacité d’évaluer les obligations essentielles du mariage ainsi que la capacité d’assumer ces mêmes obligations.

 

Ces capacités sont nécessairement exigées ensemble au moment de la prestation du consentement. C’est pourquoi s’il est prouvé que l’une, pour de multiples raisons, vient à manquer, le consentement est rendu inefficace.

 

  1. LA DISCRETIO  JUDICII

 

  1. La discretio judicii, outre la perception d’ordre intellectuel des obligations essentielles du mariage, requiert une connaissance critique et une estimation proportionnée au mariage à célébrer. Il s’agit en effet de la capacité autonome et libre de se déterminer après une pondération convenable et suffisante des motifs.

 

En effet, sur le plan de l’appréciation, « est requise une estimation des motifs qui persuadent de contracter le mariage et de ceux qui en dissuadent ; sous l’aspect du choix, il est demandé qu’il y ait le pouvoir, enraciné dans la raison et la volonté, de contracter ou de ne pas contracter et avec telle ou telle personne »[1].

 

En d’autres termes, en ce qui concerne le jugement pratico-pratique auquel parvient le contractant, cent fois exposé par la jurisprudence de Notre For, une sentence coram P.V. Pinto fait remarquer : « La relation interpersonnelle avec le conjoint suppose une connaissance pratico-pratique de celui-ci, c’est-à-dire un jugement qui est marqué par le passage de la sphère cognoscitive à la sphère délibérative. Il est nécessaire de connaître de façon spéculative le mariage en lui-même et ses propriétés essentielles, ou, en d’autres termes, d’estimer et d’évaluer par une suffisante discretio de l’intelligence l’importance qu’ont les obligations essentielles du mariage tant en elles-mêmes que pour le contractant, sous l’aspect social, juridique, éthique. Et enfin il faut qu’une délibération suffisante de la volonté porte un consentement libre »[2].

 

  1. Pour protéger les droits des fidèles, la loi statue que sont incapables de contracter mariage : « 2° les personnes qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° les personnes qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

Comme on le voit, ce n’est pas n’importe quel défaut de discretio judicii qui entraîne l’incapacité de contracter mariage, mais seulement celui qui est grave et qui atteint les obligations essentielles du mariage.

 

Une sentence c. Stankiewicz du 23 février 1990 nous instruit sur la nature de la gravité du défaut de discretio judicii : « Sous l’aspect subjectif le grave défaut de discretio judicii s’évalue en tenant compte de la gravité de l’état psychique du contractant, état où rejaillissent les dysfonctions dans la sphère de l’intelligence, de la volonté ainsi que dans celle des affections ou émotions. Ensuite, ce même défaut de discretio judicii s’évalue, sous l’aspect objectif, en tenant compte, soit de l’identité absolument unique et de la dignité de la personne du conjoint, soit de la gravité des droits et devoirs conjugaux essentiels, qui consistent essentiellement dans le bien des époux, celui des enfants, celui de la fidélité et du sacrement, avec lesquels l’activité des facultés psychiques doit garder une due proportion »[3].

 

Assurément, dans certaines circonstances l’acte du consentement peut être gravement perturbé et par conséquent empêché par un état anormal, bien que transitoire, ou un état pathologique chez le sujet au moment de son mariage. Dans cette hypothèse, le trouble est tel qu’il détruit la coopération harmonique des facultés supérieures pour accomplir la décision délibérée finale.

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. L’incapacité du c. 1095, 3° « se situe dans l’impossibilité de donner l’objet du contrat matrimonial ou un élément essentiel de cet objet, à partir de quoi il ne peut y avoir, de soi, qu’une union nulle, puisque ‘à l’impossible nul n’est tenu’»[4].

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

En effet, outre la capacité de comprendre et de vouloir l’objet du consentement matrimonial, la capacité de contracter mariage implique la capacité de donner l’objet, ou en d’autres termes, de remplir les obligations essentielles du mariage dans la vie commune.

 

Les obligations essentielles du mariage dérivent des propriétés essentielles du mariage (c. 1055). Ces obligations concernent non seulement les biens de la fidélité, du sacrement et des enfants, mais également l’habilité à constituer une communauté de toute la vie ordonnée au bien des conjoints. Le mariage en effet « ne peut se réduire à une simple cohabitation des conjoints, c’est-à-dire à la communauté de lit, de table et d’habitation, ni à la seule donation-acceptation du droit au corps par des actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants »[5].

 

  1. La cause de nature psychique

 

  1. Comme la loi le statue expressément, la source de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage postule un lien nécessaire avec une cause de nature psychique.

 

Il n’est pas requis dans ces causes une maladie mentale ou une véritable psychopathie, mais il suffit qu’il y ait des troubles graves qui ont leur origine dans une cause de nature psychique.

 

Il est certain que la vie commune n’est pas indemne, étant donné la fragilité de la nature humaine, de limitations qui peuvent provenir de l’inconscient, ou même de légères anomalies. Dans ce cas les limitations ne peuvent pas se confondre avec un véritable processus psychopathologique qui, chez le contractant, empêche d’assumer toutes les obligations essentielles du mariage, ou seulement quelques unes. Pour établir ce trouble qui a son origine dans une cause de nature psychique, il est très opportun de se rappeler le discours à la Rote du Pape Jean-Paul II, qui a déterminé expressément : « une forme sérieuse d’anomalie »[6].

 

L’anomalie ou le désordre de nature psychique qui pourrait contrarier la faculté de discretio ou la capacité d’assumer les obligations conjugales doit être présent au moment de la prestation du consentement.

 

Si en effet la maladie arrive dans le courant de la vie conjugale pour des circonstances diverses, elle ne touche pas la validité du consentement. « Au contraire si des signes déjà clairs et certains d’une maladie latente existaient avant le mariage, et que des troubles graves sont apparus durant la vie conjugale, le mariage doit être déclaré nul parce que la gravité de la maladie, même si elle était cachée, était déjà présente auparavant, dans l’état de latence de la maladie »[7].

 

III.  LE  TROUBLE  BIPOLAIRE  I

 

Parmi les désordres qui ont un influx dans le domaine de l’incapacité de consentement on recense le Trouble Bippolaire I, qui se décrit ainsi : « La caractéristique essentielle du Trouble Bipolaire I est une évolution clinique caractérisée par la présence d’un ou plusieurs épisodes maniaques […] ou d’épisodes mixtes […]. En outre les épisodes ne sont pas mieux expliqués par un Trouble schizoaffectif, et ne sont pas causés par une schizophrénie, un trouble de forme schizophrénique, un trouble délirant ou un trouble psychotique non autrement spécifié ».

 

  1. Les manifestations du Trouble Bipolaire I

 

Quant aux manifestations de ce type de trouble, nous savons que « 10 à 15 % des individus ayant un Trouble Bipolaire, se suicident. Durant les épisodes maniaques graves ou avec manifestations psychotiques, peuvent se présenter des violences envers les jeunes enfants ou le conjoint, ou d’autres comportements violents. Les autres problèmes associés incluent l’absentéisme à l’école, l’échec scolaire, l’échec au travail, le divorce, ou un comportement antisocial épisodique. D’autres troubles mentaux associés incluent l’anorexie nerveuse, la boulimie nerveuse, le trouble de déficit de l’attention, le trouble de panique, la phobie sociale, des troubles corrélatifs à des drogues ».

 

  1. L’évolution du Trouble Bipolaire I

 

Quant à l’évolution du trouble : « L’âge moyen de ce trouble est de 20 ans, tant pour les hommes que pour les femmes. Le Trouble Bipolaire I est un trouble récurrent : plus de 90 % des individus ayant un épisode maniaque singulier rencontreront des épisodes futurs […]. Les études sur l’évolution du Trouble Bipolaire I avant le traitement de maintenance par le lithium suggèrent qu’en moyenne il y a 4 épisodes en 10 ans. L’intervalle entre les épisodes tend à décroître avec l’augmentation de l’âge du sujet. Selon d’autres données, les altérations du rythme sommeil-éveil […] peuvent précipiter ou exacerber un épisode maniaque, mixte ou hypomaniaque. Même si la majeure partie des sujets ayant un Trouble Bipolaire I présente une réduction significative des symptômes entre les épisodes, quelques-uns (20 -30 %) continuent à montrer une faiblesse émotive et d’autres symptômes résiduels de l’humeur. Jusqu’à 60 % présentent des difficultés chroniques interpersonnelles ou au travail entre les épisodes aigus »[8].

 

  1. LA PREUVE  DU  GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Pour prouver tant le grave défaut de discretio judicii que l’incapacité d’assumer les obligations du mariage, sont d’une très grande importance les dépositions des parties et de témoins dignes de foi qui peuvent rapporter les circonstances pré- et post-matrimoniales en ce qui concerne la façon de penser et d’agir du sujet, ainsi que son état particulier psychopathologique au moment de la prestation du consentement.

 

Selon les principes édictés par la loi il est très utile d’avoir recours à un ou plusieurs experts.

 

  1. L’expert

 

En ce qui concerne la mission de l’expert, après une sérieuse évaluation des actes du procès et l’inspection du sujet, le cas échéant, tout cela selon les règles de sa science propre, il doit présenter ses conclusions sur la nature, sur l’origine, la gravité, l’époque de la manifestation de l’état psychique ainsi en particulier que sur l’influx de la perturbation sur les facultés supérieures du patient. Une sentence c. Lefebvre, du 25 mai 1963, déclare : « Ce n’est pas à l’expert mais aux juges qu’il appartient de rendre une sentence, car c’est à ceux-ci de soumettre leurs raisonnements à une forte critique à partir de l’ensemble du contexte de la cause. En effet, des données des documents, ou des faits, ou des témoignages peuvent surgir des éléments qui permettent de mieux définir l’état mental tel qu’il est requis par le droit canonique »[9].

 

Il revient uniquement au juge de faire la critique des conclusions de l’expert et il doit exprimer pour quels motifs il a admis ou rejeté les conclusions des experts (c. 1579 § 2).

 

  1. Le c. 1680 et la dispense d’expertise

 

  1. Il faut également rappeler le c. 1680 qui invite à recourir au rôle de l’expert dans les causes de défaut du consentement, « à moins qu’en raison des circonstances cela ne s’avère manifestement inutile ».

 

Il existe en effet des causes où le sujet a été hospitalisé plusieurs fois avant et après le mariage, avec des soins appropriés. En général les médecins traitants rédigent des rapports cliniques sur l’état psychique du patient, le diagnostic et les manifestations du trouble, ainsi que sur sa gravité. Très souvent dans ces causes ces rapports cliniques surpassent largement les conclusions de l’expert nommé d’office, tant en raison de l’époque d’observation du patient que pour la profondeur de leur examen clinique. A ce sujet, une sentence c. Huber, du 26 juin 2002, fait cette remarque : « L’intervention d’un expert est manifestement inutile s’il y a dans les Actes un document qui constitue une preuve suffisante pour faire naître chez le Juge la certitude morale de la nullité du mariage. Une expertise apparaît inutile aussi si une des incapacités dont traite le c. 1095 résulte avec évidence des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes à la célébration des noces »[10].

 

  1. Le juge

 

Le devoir du Juge est difficile à accomplir dans le domaine de l’incapacité. Les juges en effet « d’une part doivent porter objectivement un jugement sur l’incapacité d’une personne donnée à l’institution du mariage, c’est-à-dire en ayant sous les yeux ce que la nature humaine apporte en dotation à tous les hommes ; d’autre part ils doivent faire attention à la relation interpersonnelle, puisque la nature humaine peut parfois être limitée ou amoindrie ou même élargie par la relation à autrui chez un sujet donné, en ce qui concerne la relation objective à instaurer avec autrui, sans qu’en réalité ces juges tombent dans une évaluation subjective »[11].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. L’épouse demanderesse

 

Selon Carolina, Cristian avait, pendant les fiançailles, manifesté de l’amour pour elle, mais en même temps elle avait remarqué sa jalousie et ses changements de caractère. Ce n’est qu’après la première sentence négative que l’épouse demanderesse a parlé de grave trouble mental ainsi que de manifestations pathologiques chez Cristian et de leurs conséquences sur leurs relations interpersonnelles, jusqu’à la rupture du couple.

 

En particulier Carolina parle de la nuit de noces où, pendant six heures, Cristian a eu une crise de colère contre sa femme : « Il s’est montré comme un fou, ses yeux étaient totalement exorbités ».

 

La vie conjugale, qui n’a duré que cinq mois, a mis en lumière la gravité de la maladie de Cristian : « Il passait de l’agressivité à la passivité, de la dépression à l’euphorie », et l’épouse ajoute que la famille de son mari lui a caché la gravité de sa maladie.

 

Un exemple est donné par Carolina de la gravité du trouble dont souffrait Cristian : « Il avait des hallucinations […]. Devant la télévision il disait que le présentateur lui parlait […]. Dans la rue il disait que les gens parlaient de lui ».

 

  1. L’époux partie appelée

 

L’époux ne parle pas de son état mental et des soins qu’il a reçus. Pour lui les fiançailles ont été normales. Quant aux difficultés de la vie conjugale, il reconnaît qu’il y a eu des problèmes d’ordre sexuel et financier, et s’il a quitté le domicile conjugal, c’est en raison de différends avec sa femme.

 

 

  1. Les témoins

 

A l’exception de la grand-mère de Cristian, les témoins confirment la présence d’un trouble psychique chez le mari : « Explosif, violent […], instable ; incapable d’assumer son rôle de mari, mais assumant celui d’enfant protégé ; d’humeur très changeante ».

 

La cousine de Carolina fait état dans sa déposition de troubles psychiques chez Cristian et de ses séjours en hôpital.

 

  1. L’expert de première instance

 

Le docteur B., psychiatre, a effectué une expertise lors de la première instance. Il a étudié les actes et examiné le mari. Il confirme chez celui-ci un Trouble Affectif Bipolaire, qui a nécessité 5 hospitalisations psychiatriques.

 

L’expert estime que le mari, à l’époque où il a émis son consentement, était dans un état de santé mentale qui lui a permis « une claire récupération de toute sa capacité psychologique, sur le plan familial, social, académique, professionnel ». Il est évident, selon l’avocate de l’épouse, que le rapport d’expertise du docteur B. est faible sous plusieurs aspects car l’expert n’a pas pu consulter les dossiers médicaux de Cristian. De plus le docteur B. se contredit lorsqu’il déclare que « la récupération est habituellement transitoire », comme le montrent les quatre rechutes postérieures au premier accès de la maladie et les événements de la vie conjugale. Enfin les juges soussignés estiment que l’expert a joué le rôle du juge en excluant le défaut de discretio judicii et l’incapacité d’assumer les obligations conjugales. Bref, les conclusions de l’expert ne s’accordent pas avec les faits certains consignés dans les Actes du procès.

 

  1. Les dossiers médicaux

 

Les dossiers médicaux ont été joints aux actes de la cause en deuxième instance, et ils montrent bien la gravité et les conséquences du trouble dont souffrait le mari.

 

De 1999 à 2006 celui-ci a été amis 9 fois en hôpital psychiatrique. Tous les dossiers médicaux parlent de Trouble Affectif Bipolaire I.

 

Il est inutile de citer ici le détail de ces dossiers qui affirment tous la présence chez le mari d’un Trouble Affectif Bipolaire I.

 

  1. La seconde instance

 

En seconde instance, étant donné les documents présentés, il n’y a pas été besoin d’une autre expertise psychiatrique. Ces documents, on l’a dit, montrent bien la nature et la gravité du trouble mental dont été affecté Cristian, dès avant son mariage.

 

Les Pères du Tour Rotal estiment que le mari a été incapable de contracter mariage, non seulement en raison d’un grave défaut de discretio judicii, mais également en raison de son incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage. Les actes du procès mettent bien en lumière, en effet, l’incapacité du mari de mener une vie conjugale convenable et normale, et spécialement son incapacité d’assumer et de remplir l’obligation au bien des conjoints, étant donné, non pas la difficulté, mais la véritable impossibilité pour lui d’instaurer des relations interpersonnelle normales avec son épouse.

 

 

Constat de nullité

– pour défaut de discretio judicii

et pour incapacité d’assumer

de la part du mari partie appelée

 

– Vetitum pour le mari partie appelée

 

Maurice MONIER, ponent

Pio Vito PINTO

John G. ALWAN

 

__________

 

[1] C. HUBER, 26 juin 2002, Sent. 72/12, n. 5

[2] C. P.V. PINTO, 4 octobre 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 592, n. 6

[3] C. STANKIEWICZ, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 154, n. 5

[4] C. LEFEBVRE, 31 janvier 1976, SRRDec, vol. LXVIII, p. 39, n. 3

[5] C. HUBER, 20 octobre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 577, n. 4

[6] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, n. 7, AAS 79, 1983, p. 1457

[7] C. BRUNO, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 142, n. 6

[8] DSM-IV, Disturbi Bipolari, Manuale diagnostico e statistico dei disturbi mentali, Masson 1996, p. 390-393

[9] C. LEFEBVRE, 25 mai 1963, SRRDec, vol. LV, p. 391, n. 3

[10] C. HUBER, 26 juin 2002, sent. 72/02, n. 9

[11] C. Pio Vito PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4 ; cf. P.V. PINTO, 12 avril 2002, P.N. 16.741, sent. 40/02, p. 4, n. 5

Huber 28/04/2010

Coram  HUBER

Dol

 Rottenburg (Allemagne) – 28 avril 2010

P.N. 19.483

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CIVIL
  2. Labéon
  3. Reiffenstuel
  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CANONIQUE
  2. Le canon 125 § 2
  3. Le canon 1098

III.  CE QUI EST REQUIS  POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE

  1. L’obtention de la fin
  2. La finalité de la tromperie spécifique
  3. La qualité de l’autre personne

 

  1. LA PREUVE  DU  DOL

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

En 1991, Despina, âgée de 24 ans, fait la connaissance de Stefan, âgé de 23 ans. En 1993 ils décident de cohabiter et un an plus tard ils songent à se marier. Leurs relations étaient pacifiques.

 

Le mariage a lieu le 9 juillet 1994. La vie conjugale est heureuse, mais les époux n’ont pas d’enfant. En 1999, Stefan est soigné pour une dépression. A l’été de cette même année, il avoue à son épouse qu’il est attiré par une autre femme. Despina, voulant sauver son mariage, souhaite avoir un enfant et n’utilise plus de moyens anticonceptionnels, à l’insu de son mari. Cependant elle n’est pas enceinte.

 

C’est à ce moment-là qu’elle apprend la stérilité de son mari, qui avait été décelée avant son mariage mais que Stefan lui avait cachée.

 

En 2000 les époux se séparent et le mariage est prononcé le 16 octobre 2001.

 

Despina, estimant que son mariage est nul, présente le 19 mars 2003 au Tribunal ecclésiastique de Rottenburg un libelle où elle accuse son mariage de nullité pour dol accompli par son mari. Le chef de dol est repris dans le doute concordé et déclaré prouvé par la sentence du 21 février 2005.

Le défenseur du lien fait appel à la Rote. Le Tour, le 19 avril 2005, admet la cause à l’examen ordinaire du second degré. Aujourd’hui, il Nous revient de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour dol perpétré par le mari ?

 

 

EN  DROIT

 

 

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CIVIL

 

  1. Labéon

 

  1. Labéon présente une définition du dol, qui vient d’Ulpien et qui se formule ainsi : « Le dol est toute ruse, fourberie, machination, employée pour circonvenir, duper, tromper autrui »[1]. Labéon décrit l’action dolosive en trois substantifs, auxquels correspondent trois verbes à la forme du gérondif. Le juriste romain indique ainsi la fin de l’action dolosive et le lien de causalité entre l’action de l’auteur du dol et le dommage de la victime du dol.

 

  1. Reiffenstuel

 

Les Romains ont considéré le dol à l’intérieur des fins de la formation du contrat. Il n’est pas facile d’interpréter leur doctrine. Reiffenstuel écrit à ce sujet : « En effet, en parlant des contrats de droit strict, les docteurs tiennent communément que le dol qui est cause d’un contrat de droit strict ne le rend pas nul par le droit lui-même, mais qu’un tel contrat doit être rescindé par le juge dès la demande de la victime du dol […]. Cependant, si le dol est cause d’un contrat de bonne foi, alors (disent la plupart des docteurs) le contrat est nul de par le droit lui-même »[2].

 

Selon Reiffenstuel le mariage n’est pas classé parmi les contrats de bonne foi, mais la société, elle, y est classée. Il poursuit : « Bien que cette sentence soit la plus commune, il ne manque pas de docteurs qui affirment que les contrats de bonne fois également ne sont pas invalides et nuls par le droit lui-même, même si le dol commis par une personne et portant sur des aspects accidentels a été cause du contrat, bien que ces contrats de bonne foi puissent et doivent, si la victime du dol le veut, être rescindés pour exception de dol »[3].

 

Il semble donc qu’à la victime du dol appartienne le droit de rescinder les contrats de bonne foi valides selon le droit civil, si trompée par un dol elle les a conclus.

 

 

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CANONIQUE

 

  1. Le canon 125 § 2

 

  1. Cela dit, on comprend mieux le c. 125 § 2, qui statue : « L’acte posé sous l’effet d’une crainte grave injustement infligée, ou d’un dol, est valide sauf autre disposition du droit ; mais il peut être rescindé par sentence du juge, ou à la demande de la partie lésée ou de ses ayants droit, ou d’office ».

 

 

 

Il découle de ce canon que le dol n’irrite pas un acte juridique. Le dol en effet ne supprime pas le volontaire. La volonté est viciée, mais non au point que la volonté soit nulle.

 

Toutefois la Loi prescrit : « sauf autre disposition du droit ». Cette exception est admise pour les actes juridiques qui exigent un volontaire plein comme l’élection (c. 172 § 1, 1°), la renonciation (c. 188), l’admission au noviciat (c. 643,§ 1, 4°), la profession religieuse (c. 656, 4°), le vœu (c. 1191 § 3), le serment (c. 1200 § 2).

 

Jusqu’au nouveau Code le mariage contracté sous l’effet du dol était valide. Pour justifier cette norme, les auteurs ont fourni des raisons diverses : certains désiraient protéger la stabilité du mariage ; d’autres affirmaient que l’élément subjectif n’existait pas chez l’auteur du dol et donc qu’il y avait un bon dol ; d’autres voyaient le mariage comme une institution pour conférer la grâce sanctifiante.

 

  1. Le canon 1098

 

  1. Le mariage, puisqu’il est indissoluble de droit divin, n’admet pas l’action rescisoire, « mais pour éviter une grave injustice et également une grave atteinte à la liberté interne, qui proviendraient de la machination d’un autre causant une erreur née d’une tromperie dans le dessein d’extorquer le consentement, s’il n’y avait aucun remède contre la tromperie délibérément commise, la loi ecclésiastique fondée sur l’équité naturelle a décidé l’action en nullité d’un mariage célébré par suite d’une tromperie dolosive : ‘La personne qui contracte mariage, trompée par un dol commis en vue d’obtenir le consentement, et portant sur une qualité de l’autre partie, qui de sa nature même peut perturber gravement la communauté de vie conjugale, contracte invalidement (c. 1098)’ »[4].

 

 

III.  CE QUI EST REQUIS POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE

 

  1. Il y a peu à dire sur ce qui est requis pour une tromperie dolosive qui, selon le c. 1098 cité, invalide le consentement matrimonial.

 

  1. L’obtention de la fin

 

Tout d’abord la loi postule que la ruse employée pour circonvenir obtienne réellement son effet. Cela se déduit du texte de la loi : « Celui qui contracte mariage, trompé par un dol ». Il peut arriver que celui qui se dit trompé, soit content de cette tromperie, parce que « la qualité de l’autre partie » lui donne la possibilité d’aider l’auteur de la tromperie, par exemple si celui-ci est malade.

 

  1. La finalité de la tromperie spécifique

 

Il est requis la finalité de la tromperie spécifique, à savoir « pour obtenir le consentement ». On lit en effet à ce sujet : « A coup sûr, toute machination inflige un dommage à la personne. Vue ainsi, la signification de la finalité définie est parfois tenue pour superflue par les auteurs. Le législateur cependant a voulu indiquer en termes exprès la fin visée par l’auteur du dol. Et ainsi est constitué sans le moindre doute le lien de causalité entre le dol et le consentement matrimonial, de telle sorte que le mariage soit célébré sous l’effet du dol, c’est-à-dire du dol appelé direct. Donc le dol qui est utilisé pour obtenir d’autres fins n’exerce aucune influence sur le consentement matrimonial et n’a en conséquence aucune force invalidant le mariage »[5].

 

  1. La qualité de l’autre personne

 

Ce n’est pas n’importe quel dol qui irrite le mariage, mais seulement celui qui porte sur une qualité de l’autre personne. Il est postulé en plus que la qualité « puisse de sa nature même perturber gravement la communauté de vie conjugale ». La difficulté consiste dans la détermination de cette qualité. Par les mots « de sa nature même » le législateur semble exclure toute interprétation subjective de l’importance de la qualité.[6] Le législateur considère la stérilité comme un exemple de qualité qui, de sa nature même, perturbe gravement la communauté de vie conjugale, lorsqu’il décrète : « La stérilité n’empêche ni ne dirime le mariage, restant sauves les dispositions du c. 1098 » (c. 1084 § 3). Comme le défaut de capacité de procréation a une grande importance pour la vie conjugale, il se crée une obligation juridique de manifester à l’autre partie cette qualité « négative ». Celui qui est privé de cette capacité « ne peut pas se taire simplement, parce que ce silence serait dolosif »[7].

 

 

  1. LA PREUVE  DU  DOL

 

  1. En ce qui concerne la preuve, il est permis de rappeler le principe du droit romain : « Le dol ne se présume pas ». Au contraire, selon le droit canonique, il existe une présomption contraire en vertu du c. 1101 § 1.

 

  1. La preuve du dol commence par la confession de la victime du dol, qui doit expliquer au juge pourquoi elle se considère ainsi. On entendra l’auteur du dol qui doit dire s’il a utilisé une action dolosive pour obtenir le consentement ou pour atteindre d’autres fins. On interrogera les témoins qui auraient été informés de la machination soit par la victime du dol, soit par son auteur.

 

  1. A propos de la qualité, une sentence c. Erlebach fait remarquer : « Dans tous les cas il faut avoir devant les yeux le cas spécifique, surtout la façon dont a été exécutée l’action dolosive présumée, la nature de la qualité, l’objet du dol, puisque les qualités dites « morales » sont prouvées habituellement par des témoignages, tandis que les qualités d’ordre physique exigent parfois une preuve par expertise »[8].

 

  1. Le juge recherchera à quel point la partie déçue avait estimé la qualité souhaitée. En ce qui concerne la stérilité, si la partie déçue ne désirait pas avoir d’enfant, l’action dolosive n’atteint pas son effet sur le consentement et le mariage ne peut pas être déclaré nul.

 

  1. Que le juge cherche à savoir comment le conjoint trompé a réagi « dès qu’il a découvert qu’il était définitivement privé du bien ou de la qualité qu’il désirait absolument »[9]. S’il a rompu immédiatement la vie conjugale, en quittant son partenaire et en l’accusant d’une action dolosive, il y a une présomption qu’il ait été induit en erreur dolosive.

 

  1. La preuve est en réalité difficile lorsqu’il s’agit de la réticence d’une qualité. Il faut savoir que toute espèce de réticence ne constitue pas un fondement suffisant pour déclarer la nullité du mariage. Il n’est pas permis en effet d’oublier que la réticence appartient au droit de la personne.

 

Le juge doit examiner si la personne réticente était astreinte à l’obligation de se raconter elle-même. La réponse dépend du motif de nullité du mariage contracté sous l’effet du dol : ce motif est-il à attribuer à l’injustice du dol, au défaut de liberté dérivant du dol, à l’absence de la conjonction des volontés ? Quoi qu’il en soit, si une qualité essentielle est requise pour instaurer la communauté conjugale, le contractant est tenu de manifester à l’autre partie l’absence de la qualité. On doit se souvenir ici qu’un Consulteur avait proposé qu’on ajoute : « la stérilité de quelque cause qu’elle provienne », ce que les autres Consulteurs n’ont pas jugé nécessaire.[10]

 

 

EN  FAIT  (résumé

 

  1. LES DÉPOSITIONS  DES  PARTIES  ET  DES  TÉMOINS

 

  1. L’épouse demanderesse

 

Dans un mémoire remis au Tribunal, l’épouse déclare que la vie conjugale, commencée le 9 juillet 1994, a été heureuse jusqu’en 1998. A la fin de cette année, Stefan a été soigné pour dépression, sans succès. Sur les instances de son épouse qui ne comprenait pas son attitude, il lui a avoué avoir une liaison avec une autre femme. Voulant sauver son mariage, Despina a désiré fortement avoir un enfant, mais, bien qu’ayant cessé d’utiliser des moyens anticonceptionnels, cela à l’insu de son mari, elle n’est pas parvenue à être enceinte. Finalement elle a réussi, après avoir interrogé Stefan, à savoir que celui-ci ne pouvait pas avoir d’enfant, et elle a appris également qu’il le savait avant son mariage, mais qu’il n’avait rien dit à sa fiancée par « peur de la perdre ».

 

Despina a donc affirmé dans son libelle qu’elle s’était mariée trompée par Stefan, qui, avant le mariage, lui avait caché volontairement sa stérilité pour obtenir son consentement.

 

  1. Les témoins

 

La crédibilité des témoins a été vérifiée et reconnue par le tribunal de 1° instance, ce qu’accepte le Tour Rotal de seconde instance.

 

Une neurologue consultée par Despina en 1999, donc à une époque non suspecte, confirme ses dépositions : « Elle est venue me consulter et m’a confié qu’elle ignorait avant son mariage que son mari ne pouvait pas avoir d’enfant », ce qui montre que le mari partie appelée a non seulement avant le mariage caché son incapacité d’engendrer, mais qu’il l’a dissimulée positivement, en exigeant que sa femme utilise des moyens anticonceptionnels. La sœur de Stefan confirme à la fois la déposition de Despina et le témoignage de la neurologue en rapportant une réflexion que lui a faite la demanderesse après avoir appris la stérilité de son mari : « Ce n’est pas possible, il me fait prendre la pilule depuis 8 ans ! ». Le témoin ajoute : « J’ai posé des questions à Despina, elle m’a dit qu’elle n’avait jamais su (la stérilité de Stefan) ».

  1. L’époux partie appelée

 

Dans sa première déposition judiciaire, Stefan a reconnu qu’il n’a rien dit à Despina, avant son mariage, au sujet de sa stérilité, et il l’a répété au juge de seconde instance : « Despina et moi, nous étions mariés lorsque je lui ai dit que je ne pouvais pas avoir d’enfant ».

 

  1. L’ÉVALUATION DES  ÉLÉMENTS  DE  PREUVE

 

  1. L’intention de l’auteur du dol

 

Pourquoi le mari a-t-il caché une qualité perturbant gravement la communauté conjugale ?

 

Despina déclare au juge qu’ayant appris par sa belle-sœur la stérilité de Stefan, elle a demandé à celui-ci pourquoi il ne lui en avait pas parlé avant le mariage. La réponse a été nette : « Parce que je ne voulais pas te perdre ».

 

On voit donc le lien entre le silence et le consentement matrimonial. Si Stefan avait révélé sa stérilité, Despina ne l’aurait pas épousé. Ceci est d’autant plus sûr que le mari lui-même déclare : « Je savais personnellement que je ne pourrais jamais avoir d’enfant […]. J’ai eu peur que Despina ne m’épouse pas si je lui disais la vérité ». On peut conclure que le mari ne s’est pas seulement tu, mais qu’il a trompé positivement la demanderesse.

 

  1. La nullité du mariage ne vient pas de la stérilité du mari, mais du dol qu’il
    a commis

 

Quelle qu’elle soit, la cause de la stérilité – sur laquelle Stefan et les témoins divergent – n’est pas nécessaire ici. Il suffit que l’impuissance d’engendrer existe avant le mariage, ce qui est prouvé par un certificat médical et confirmé par le mari lui-même.

 

  1. L’intention de l’épouse en se mariant

 

Les actes montrent pleinement que l’épouse s’est mariée avec l’intention d’avoir des enfants : elle le dit dans ses dépositions et le mari ainsi que les témoins confirment cette intention de Despina. Celle-ci s’est mariée avec la volonté d’avoir des enfants et elle a cru que son mari était capable de procréer.

 

Ayant appris l’infidélité de son mari, Despina a tenté de sauver son union. « Suite à l’infidélité de son mari, déclare la sœur de Stefan, Despina était prête à se battre pour son couple. Elle me disait : ‘Mon couple est mis par terre, on voulait avoir des enfants’ ».

 

Et il y a eu l’aveu par Stefan de sa stérilité, et donc de son dol. Malgré la volonté de son mari, Despina a alors quitté celui-ci et l’a accusé de dol. De son attitude on peut déduire que l’épouse demanderesse avait perdu toute confiance en son mari parce qu’elle a eu la conviction qu’il avait délibérément et frauduleusement agi pour la tromper : il connaissait sa stérilité et il l’a cachée pour obtenir le consentement de la jeune fille qu’il aimait.

 

 

Constat de nullité

pour dol commis par le mari

 

 

Vetitum pour le mari

 

 

Josef HUBER, ponent

Pio Vito PINTO

Alessandro CEDILLO

 

__________

 

 

 

[1] D. 4, 3, 1, 2

[2] REIFFENSTUEL, Jus Canonicum Universum, vol. II, lib. II, tit. XIC, Paris 1865, p. 417

[3] Même endroit, p. 418

[4] C. STANKIEWICZ, 27 janvier 1994, SRRDec, vol. LXXXV, p. 63, n. 15

[5] C. CIVILI. La référence donnée par le ponent de la cause présente est inexacte.

[6] Cf. c. BURKE, 25 octobre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 725, n. 12

[7] COMMUNICATIONES, 3, 1971, 77

[8] C. ERLEBACH, 31 janvier 2002, SRRDec, vol. XCIV, p. 51, n. 9

[9] C. RAGNI, 27 avril 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 295, n. 9

[10] COMMUNICATIONES, 7, 1975, 59-60

Huber 08/07/2009

Coram  HUBER

 Exclusion du bien du sacrement

 Tribunal régional de Flaminie (Italie) – 8 juillet 2009

 P.N. 19.569

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. Liberté de se marier, mais acceptation du mariage institué par Dieu
  2. Irrévocabilité du consentement
  3. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage
  4. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité
  5. Les preuves de la simulation
  6. Preuves directes
  7. Preuves indirectes

_________

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Mauro G., âgé de 24 ans, fait en 1989 la connaissance de Michela L., âgée de 19 ans. Un mois après leur première rencontre, ils se présentent à leurs parents respectifs et dès lors ils sont considérés comme étant fiancés.

 

La période des fiançailles n’est pas toujours pacifique, cependant les jeunes gens s’aiment. Ils ont des rapports intimes. En 1990, Mauro propose à Michela de vivre ensemble sans être mariés, mais le père de la jeune fille s’y oppose et le mariage religieux est célébré le 8 décembre 1990.

 

La vie conjugale, sans enfant, dure deux ans. Ayant découvert l’infidélité de son mari et son intention de ne pas rester dans le mariage, Michela quitte le domicile conjugal en novembre 1992. Le divorce est prononcé le 21 décembre 1996.

 

Désireux de retrouver sa liberté devant l’Eglise, Mauro s’adresse le 15 mai 1998 au Tribunal Régional de Flaminie, accusant son mariage de nullité pour exclusion du bien du sacrement de sa part. La sentence du 19 mai 2000 est négative.

 

Le demandeur s’adresse au Tribunal d’appel qui, le 24 septembre 2004, prononce la nullité du mariage pour le chef invoqué.

 

Il nous revient aujourd’hui, en troisième instance, de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur ?

 

*

*     *

EN  DROIT

 

  1. Liberté de se marier mais acceptation du mariage institué par Dieu

 

Il relève de la liberté de chacun de contracter mariage, c’est-à-dire que le contractant ne doit subir aucune coaction ni être interdit de se marier par aucun empêchement. Il ne relève pas de la même liberté du contractant de déterminer la nature du mariage. Le mariage en effet a été fondé et doté de ses lois propres par Dieu. Il résulte de tout ceci que l’Eglise n’oblige personne à se marier, mais si quelqu’un entend le faire, il doit contracter son mariage dans le sens que Dieu lui a donné et que l’Eglise expose dans sa doctrine. Fondée sur les textes de la Sainte Ecriture et de la Tradition, l’Eglise enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour conjugal est instaurée « par l’alliance conjugale, c’est-à-dire par le consentement personnel irrévocable », mais que le lien sacré né du consentement ne dépend pas du « bon vouloir de l’homme »[1].

 

  1. Irrévocabilité du consentement

 

On déduit de ce qu’on vient de dire que les conjoints peuvent contracter mariage par un acte de volonté de nature contractuelle. Une fois accompli, cet acte de volonté obtient son effet juridique, qui n’a plus besoin de l’influx de la volonté pour persévérer. Le mot « irrévocable » signifie que le mariage, né du consentement personnel, ne dépend plus du consentement. Une révocation postérieure faite psychologiquement ne produit aucun effet juridique. En d’autres termes, le contractant, après l’émission de son consentement, n’a plus aucun pouvoir en ce qui concerne le lien, selon Saint Augustin : « […] en effet, si le divorce intervient, la communauté conjugale n’est pas détruite, de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ; puisqu’ils commettent l’adultère avec ceux à qui ils s’uniraient après leur répudiation, la femme avec l’homme, ou l’homme avec la femme »[2]. Les conjoints ont été séparés par le divorce, néanmoins le mariage continue à exister : le consentement est psychologiquement révoqué avec l’intervention du divorce, mais l’obligation à la communauté de toute la vie demeure juridiquement, « de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ». Le consentement a donc créé un effet indépendant de sa cause. L’indissolubilité du mariage présuppose par conséquent une distinction entre le mariage in fieri (le consentement) et le mariage in facto esse (le lien). Le consentement contractuel n’est pas la cause de l’indissolubilité, mais son présupposé. L’indissolubilité doit être prouvée par sa nature de pacte en tant que tel. L’indissolubilité comporte l’impossibilité de rescinder l’effet produit par le consentement contractuel. C’est pourquoi il n’est pas permis de contracter un mariage temporaire ou un mariage à l’essai.

 

  1. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage

 

  1. L’indissolubilité est comptée parmi les propriétés essentielles du mariage, selon le c. 1056 : « Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière ».

« Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels, ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Comme on l’a dit plus haut, l’indissolubilité appartient au mariage in fieri, au mariage-alliance, et non au mariage in facto esse, le mariage-état de vie. L’indissolubilité en effet ne consiste pas dans un droit et une obligation de faire ou d’omettre quelque chose. Les conjoints doivent viser un mariage en tant que non rescindable. C’est pourquoi, en ce qui concerne l’indissolubilité, il n’est pas permis de parler d’exclusion du droit issu du consentement, ni d’exclusion de l’exercice du droit, on ne peut parler que de l’exclusion du lien. Cette exclusion doit s’effectuer par un acte positif de volonté. Il doit donc y avoir un acte, c’est-à-dire une opération, et une opération de la volonté. L’erreur, la prévision, le désir, les doutes ne sont pas des actes de la volonté, mais de l’intelligence. Ni la volonté habituelle, ni la volonté générique, ni la volonté interprétative ne se déterminent en acte positif de volonté. Pour que la volonté opère positivement, il est requis que celle-ci passe de la puissance à l’acte, de l’inertie à la simulation active. « C’est pourquoi l’acte de volonté excluant le mariage lui-même, ou le droit à l’acte conjugal, ou une propriété essentielle du mariage ne peut pas consister dans une simple inertie, un ‘non-velle’ (ne pas vouloir). Au contraire il doit consister dans un ‘velle non’ (vouloir que ne pas)[3] ».[4]

 

  1. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité

 

  1. L’indissolubilité du mariage peut être exclue de façon absolue ou de façon conditionnelle. Se propose de rescinder le lien de façon absolue celui qui décide positivement qu’il rompra le lien à l’avenir, sans qu’il fasse dépendre d’une circonstance la rupture du lien.

 

Se propose de dissoudre le lien de façon conditionnelle celui qui décide de rompre le lien à l’avenir pour une circonstance déterminée, par exemple, si le mariage n’est pas heureux. Dans ce cas le mariage est nul, même si le contractant ne sait pas ou ne prévoit pas que le lien conjugal devra être rompu réellement par la suite. Les parties, ou au moins une partie, entendent contracter un véritable mariage, mais ils font dépendre de l’expérience de la vie le fait que, compte tenu du tempérament ou du caractère du conjoint ainsi que des circonstances extérieures, ils resteront pour toujours ou non dans l’union qu’ils ont contractée. Le contractant qui, lorsqu’il émet son consentement, se réserve le droit de rompre le lien si telle circonstance se vérifie, exclut absolument l’indissolubilité. La rupture envisagée du lien est conditionnelle.

 

  1. Les preuves de la simulation

 

  1. Preuves directes

 

  1. Dieu excepté, le contractant est l’unique témoin direct de sa propre volonté. De là sa confession judiciaire et surtout sa confession extrajudiciaire sont à examiner avec soin. Dans les causes matrimoniales la confession judiciaire n’est pas à comprendre dans le sens du c. 1535 : « Lorsqu’elle va à l’encontre de son propre intérêt, la reconnaissance par une des parties, devant le juge compétent, oralement ou par écrit, spontanément ou sur interrogation du juge, d’un fait en rapport avec l’objet même du procès, constitue une confession judiciaire ». Dans les causes de nullité de mariage, « […] on entend par aveu judiciaire (confessio judicialis) une déclaration par laquelle la partie, par écrit ou par oral, devant le juge compétent, […] affirme contre la validité du mariage un fait qui lui est propre »[5]. La confession judiciaire est ici définie comme la déclaration de celui qui est accusé d’avoir réellement réalisé l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle du mariage, que cette déclaration soit pour ou contre lui. L’acte de simulation est un acte caché au fond du cœur et qui, sans déclaration du simulant allégué, ne peut pratiquement pas être connu parfaitement à partir de ses seuls actes extérieurs. Si la crédibilité du simulant est prouvée, les éléments de preuve qui n’ont pas par ailleurs pleine valeur probante peuvent acquérir cette valeur probante plénière (cf. c. 1679).

 

On doit entendre des témoins crédibles, qui rapportent la confession extrajudiciaire du simulant. La confession judiciaire du simulant allégué au sujet de son exclusion et la même confession extrajuduciaire rapportée en jugement par les témoins sont considérés par la jurisprudence comme des éléments qui prouvent directement l’exclusion.

 

  1. Preuves indirectes

 

Les éléments qui prouvent indirectement l’exclusion sont la cause qui a poussé au mariage, la cause de la simulation et les circonstances du mariage controversé.

 

Si la cause du mariage se trouve dans l’amour, la qualité de cet amour doit être soigneusement recherchée. Les doutes que le mari, avant et après la célébration du mariage, a conçus tant de fois sur l’aptitude de sa femme, permettent souvent de pénétrer dans la véritable volonté du contractant. Il faut cependant savoir que l’existence de cette cause ne produit pas nécessairement un effet, mais qu’elle crée seulement une présomption d’exclusion.

 

Il faut évaluer les circonstances qui offrent un fondement de présomption. Le c. 1586 prescrit : « Le juge ne conjecturera les présomptions qui ne sont pas fixées par le droit qu’à partir de faits certains et déterminés ayant un rapport direct avec l’objet du litige ». Trois conditions doivent être vérifiées pour bâtir des présomptions : un fait, qui est le fondement, et qui soit certain et déterminé et qui ait un rapport direct avec l’objet du litige.

 

Pour rendre une sentence correcte, le Juge considérera la preuve directe et la preuve indirecte, et le lien mutuel des preuves. Qu’il sache qu’il parcourt une route pleine de dangers celui qui, à partir de circonstances se présentant communément, élaborerait un jugement dans un cas particulier à définir. Il peut arriver que parfois plusieurs éléments, qui pris séparément ne peuvent pas par eux-mêmes apporter une preuve, acquièrent, s’ils sont pris ensemble et synthétisés, la valeur d’une excellente preuve.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. La crédibilité du demandeur

 

Les témoins affirment tous la sincérité et la véracité du demandeur qui, par ailleurs, a toujours été constant et ferme dans ses trois dépositions judiciaires successives. Il y a quelques divergences de détail entre certains témoins et le demandeur, mais précisément ces divergences, en écartant le soupçon de collusion entre ces personnes et Mauro, augmentent la crédibilité de celui-ci.

 

  1. Les dépositions du demandeur

 

« Avant de me marier, je ne me sentais pas prêt pour le mariage en général et le mariage avec Michela en particulier […]. J’avais des doutes sur la réussite de mon mariage […] et j’avais décidé de rompre si la vie commune était malheureuse […]. Ma volonté était clairement résolue de recourir au divorce. Je savais que le mariage religieux est indissoluble, mais je confirme m’être marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

A plusieurs reprises et sous des formes quasi identiques, Mauro a reconnu son intention de divorcer en cas d’échec de son mariage.

 

  1. Les témoins

 

En 1° instance, la mère, le frère et un ami du demandeur confirment que Mauro avait des doutes avant de se marier mais ils déclarent n’avoir jamais parlé avec lui d’un recours au divorce en cas d’échec. En appel cependant l’oncle de Mauro, qui avait essayé de le convaincre de ne pas épouser Michela, atteste l’avoir entendu répondre : « Pas de problème. Il y a toujours le divorce ». La même remarque de Mauro a été faite à l’une de ses amies : « Ne t’inquiète pas, il y a toujours le divorce pour me libérer d’un possible échec ». L’on doit remarquer que ces deux témoins ne font pas référence à la mentalité de Mauro, mais à sa volonté. On peut conclure que le demandeur, en évoquant le divorce, n’a pas seulement pensé à une possibilité de divorcer, mais a montré sa volonté de divorcer le cas échéant. Il a dissous intentionnellement le lien, sa volonté est absolue, la rupture du lien, elle, est conditionnelle.

 

  1. La cause du mariage

 

Selon Mauro, la cause qui l’a poussé au mariage est l’attrait physique qu’il éprouvait pour Michela. L’oncle du demandeur s’avoue « cynique », mais il déclare sans prendre de précautions oratoires qu’en se mariant Mauro avait plus comme objectif de mettre Michela dans son lit que de nouer avec elle une relation d’amour. Quelques témoins déclarent que de toute façon Mauro ne semblait pas vraiment amoureux de Michela.

 

  1. La cause lointaine de la simulation

 

Elle se trouve dans le manque de sentiments religieux de Mauro. Il a eu des relations intimes avec Michela avant le mariage, il aurait préféré une union sans mariage, il baignait dans la mentalité ambiante, favorable au divorce, en contraste avec l’éducation qu’il avait reçue. Mauro avoue sans peine que « tout en connaissant l’indissolubilité du mariage, (il s’est) marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

  1. La cause prochaine de la simulation

 

Elle se trouve dans les doutes qu’avait Mauro sur le succès de son mariage : doutes dus à la personnalité de Michela, sa rigidité dans sa façon de voir, son manque de dynamisme.

 

La mère et les témoins de Mauro font état de ses hésitations, et les actes montrent que le demandeur, avant le mariage, voyait en Michela une amie et non une épouse. Il avait finalement découvert que Michela n’était pas celle qu’il aurait voulue comme épouse, et donc il a fait dépendre la durée de son mariage de l’évolution de la vie commune.

 

 

  1. Les circonstances de la vie commune

 

Selon le demandeur, Michela se désintéressait de sa maison, des tâches domestiques, si bien que c’était la mère de Mauro qui devait pallier les carences de l’épouse.

 

Michela, elle, parle de difficultés à instaurer un dialogue familial.

 

Quant aux témoins, ils confirment les déclarations de Mauro sur sa femme : indifférence aux exigences familiales, incapable de se gérer elle-même et de gérer les choses.

 

Le fait que la vie commune n’a duré que deux ans et le fait même que Mauro, selon Michela, « n’a rien fait pour sauver le mariage » montrent bien que cette hâte et ce refus de réconciliation ne peuvent procéder que d’une intention antérieure au mariage.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion du bien du sacrement

de la part du mari demandeur

 

 

Vetitum pour le mari demandeur

 

 

Josef HUBER, ponent

Giovanni Baptista DEFILIPPI

Robert M. SABLE

 

__________

 

[1] GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] SAINT AUGUSTIN, De bono conjugali, VII, 7

[3] Cf. O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan, Giuffré, 1968, p. 89-114

[4] C. DE JORIO, 18 février 1970, SRRDec, vol. LXII, p. 155, n. 3

[5] DIGNITAS CONNUBII, art. 179 § 2