38_DeFilippi_23avril2009

38_DeFilippi_23avril2009

Coram  DEFILIPPI

 Incapacité  d’assumer

 San Diego (Californie/USA) – 23 avril 2009

P.N. 18.892

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LA CAPACITÉ MATRIMONIALE
  2. Caractéristiques du consentement matrimonial
  3. Capacité et incapacité matrimoniale
  4. Note sur l’application du c. 1095 actuel au mariage en cause
  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER DU C. 1095, 3°
  1. UNE VÉRITABLE INCAPACITÉ
  2. « Difficulté » et «incapacité morale »
  3. Capacité « minimale » et capacité « pleine »
  1. L’INCAPACITÉ DU C. 1095, 3° REGARDE LES OBLIGATIONS ESSENTIELLES DU MARIAGE
  2. Les obligations institutionnelles ou intersubjectives
  3. L’obligation de tendre à une mutuelle perfection est-elle une obligation essen-
    tielle ?
  1. L’INCAPACITÉ DU C. 1095, 3° PROVIENT DE CAUSES DE NATURE PSYCHIQUE
  2. Le principe
  3. Deux Troubles de la Personnalité
  4. Ne sont pas des causes de nature psychique…

III. LA PREUVE DE L’INCAPACITÉ

  1. Les principes
  2. Le rôle des experts

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 Gail S. et Matthew C. se rencontrent en 1978 dans une abbaye bénédictine où ils séjour-naient pendant un an comme membres laïcs d’une communauté charismatique. A l’automne 1979, ils quittent l’abbaye et se marient le 17 mai 1980.

 

La communauté conjugale, où naissent trois enfants, se détériore. Après une séparation temporaire en 1992, les époux se quittent définitivement en juin 2001 et ils divorcent.

 

Le 19 août 2001 Gail s’adresse au Tribunal diocésain de San Diego pour obtenir la déclara-tion de nullité de son mariage. Selon le c. 1425 § 4 CIC, le vicaire judiciaire se saisit de la cause en tant que juge unique et définit le doute, qui porte sur l’incapacité du mari d’assumer les obligations essentielles du mariage. Les parties et des témoins sont entendus et un expert commis d’office présente un rapport. La sentence du 14 août 2002 est affirmative.

 

Le mari partie appelée fait appel à la Rote. Le Tour constitué le 31 janvier 2003 admet, le 5 février 2004, la cause à l’examen ordinaire du second degré et reprend le doute défini en 1° instance. La demanderesse est à nouveau entendue et deux expertises sur dossier sont effectuées. Aujourd’hui la cause est à juger au second degré d’instance.

 

EN  DROIT

 

  1. LA CAPACITÉ MATRIMONIALE

 

  1. Caractéristiques du consentement matrimonial

 

  1. Le mariage in facto esse (le mariage – état de vie) naît du consentement des époux comme d’une cause absolument nécessaire et à laquelle on ne peut en aucune façon déroger : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » (c. 1057 § 1).

 

Ce consentement est « l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage » (c. 1057 § 2), c’est-à-dire pour constituer cette institution qui a sa structure objective particulière. En effet, la communauté conjugale « est ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants » (c. 1055 § 1), elle est revêtue des propriétés essentielles de l’unité et de l’indissolubilité (c. 1056), et elle engendre entre les conjoints « un lien de par sa nature perpétuel et exclusif » (c. 1134), en vertu duquel ils s’obligent à des droits et des devoirs égaux et particuliers, qui durent toute la vie, puisqu’il s’agit d’une mutuelle donation, pleine et irrrévocable.[1]

 

  1. Capacité et incapacité matrimoniale

 

Précisément parce qu’il est la cause unique, suffisante et absolument nécessaire du mariage, le consentement des époux, pour être apte à faire naître ces graves effets, ne peut être manifesté qu’entre des personnes qui sont dotées d’une capacité adéquate requise par le droit naturel et le droit positif. En d’autres termes, « il est requis une capacité spécifique des contractants, qui indirectement est affirmée ou se déduit de la triple norme du c. 1095, statuant que sont incapables de contracter mariage les personnes : 1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ; 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage »[2].

 

  1. Note sur l’application du c. 1095 actuel au mariage en cause

 

Bien que le c. 1095 qu’on vient de citer ne se trouve pas dans le Code de 1917 (sous le régime duquel a été célébré le mariage dont la nullité est en cause), le recours au Code actuellement en vigueur est toutefois légitime. En effet, « la norme de l’incapacité consen-suelle reçue dans le c. 1095 explicite les principes du droit naturel qui doivent être consi-dérés comme inclus implicitement dans l’ancien Code »[3], en tant qu’ils étaient extraits de ce principe général : « C’est le consentement qui fait le mariage », et que la Jurisprudence affermie de Notre For les adoptait déjà dans ses jugements, comme on le sait par le Discours à la Rote du Souverain Pontife du 23 janvier 1992 : « La Jurisprudence de ce Tribunal, tout en statuant à l’intérieur des limites infranchissables de la loi divine-naturelle, a su prévenir et anticiper des décisions canoniques […] qui ont été définitivement consacrées dans le Code actuel. Cela n’aurait pas été possible si la recherche, l’attention, la sensibilité portées à la réalité de l’ ‘homme’ n’avaient pas guidé et éclairé le travail jurisprudentiel de la Rote, avec l’aide bien entendu, et l’influence réciproque, de la science canonique et des disciplines humaines fondées sur une anthropologie philosophique et théologique correcte »[4].

 

Comme il est clair, dans notre cas, il faut traiter de la 3° forme d’incapacité sanctionnée dans le canon cité, c’est-à-dire de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage.

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER DU C. 1095, 3°

 

  1. UNE VÉRITABLE INCAPACITÉ

 

  1. Comme on peut le lire dans notre décret du 5 février 2004, il faut remarquer tout d’abord que l’incapacité du c. 1095, 3° affecte les personnes « qui, bien qu’elles soient peut-être dotées d’une discretio judicii adéquate, sont, en raison de leur état psychique, incapables d’assumer ou de remplir les obligations essentielles du mariage. Dans ce cas en effet se vérifie le principe déjà donné dans la très célèbre règle du Droit romain : ‘A l’impossible, nulle obligation’[5], et qui a été repris dans le Droit de l’Eglise : ‘Personne ne peut être contraint à des choses impossibles’ [6]».[7]

 

  1. « Difficulté » et « incapacité morale»

 

  1. « Pour que l’incapacité de contracter mariage existe selon la norme du c. 1095, 3° CIC, il faut d’abord rappeler qu’il doit s’agir d’un état en raison duquel celui qui se marie, au moment de la célébration de son mariage, est réellement moralement incapable d’assumer les obligations matrimoniales essentielles. C’est pourquoi il faut avoir à l’esprit une distinction appropriée entre la ‘simple difficulté’ et ‘l’incapacité morale’, comme l’a enseigné opportunément le Souverain Pontife dans son Discours à la Rote du 5 février 1997 : ‘Pour le canoniste, le principe doit rester clair que seule l’incapacité, et non pas la difficulté, à donner le consentement et à réaliser une vraie communauté de vie et d’amour, rend nul le mariage’ [8]».[9]

 

Il peut arriver en effet que les parties, « après le naufrage de leur mariage, revendiquant leur propre liberté, se forgent, sous l’effet d’une mémoire sélective, de prétendus motifs de nullité, qu’ils appellent ‘incapacités’, mais qui sont plutôt à compter comme ‘difficultés’ »[10].

 

En termes clairs, il doit s’agir d’une véritable incapacité morale « pratique », par laquelle le contractant ne peut pas mettre en pratique une obligation conjugale essentielle, bien qu’il célèbre son mariage avec une intention droite et qu’il veuille remplir les obligations qui en découlent.

 

  1. Capacité « minimale » et capacité « pleine»

 

En outre il faut bien distinguer d’une part la capacité « minimale », qui est requise pour contracter validement le mariage et qui peut coexister avec quelques défauts du caractère et quelques manières de se conduire qui se trouvent presque inévitablement chez ceux qui vivent dans le monde présent, et d’autre part la capacité « pleine », qui est peut-être demandée pour une communauté conjugale tout à fait heureuse, mais qui n’est pas exigée pour la validité du consentement matrimonial.

 

Comme il est juste, il n’y a aucun doute que cette incapacité doit exister, au moins de façon latente, au moment où le mariage est célébré, puisque le mariage in facto esse naît, ou ne naît pas, quand le consentement matrimonial est échangé entre les contractants.

 

  1. L’INCAPACITÉ DU C. 1095, 3° REGARDE LES OBLIGATIONS ESSENTIELLES DU
    MARIAGE

 

  1. En outre l’incapacité doit concerner les obligations essentielles du mariage. Cela signifie : « On doit faire une distinction entre les obligations qui sont assurément essentielles, et les autres qui constituent seulement un complément ou un élément accidentel dans l’alliance conjugale, c’est-à-dire qui n’appartiennent pas à l’être du mariage, mais plutôt à son bien-être »[11].

 

  1. Les obligations institutionnelles ou intersubjectives

 

En conséquence, il s’agit d’obligations seulement institutionnelles ou intersubjectives, qui, en tant qu’obligations de justice, ont un caractère juridique et sont inhérentes aux biens et fins essentiels du mariage, c’est-à-dire aux ordonnancements du mariage[12]. Prises isolément, « ce sont les obligations qui dérivent des trois biens augustiniens – fidélité, procréation, indissolubilité – qui ont toujours été tenus pour caractériser le mariage, puisque le mariage ne peut venir à l’existence sans l’acceptation par le contractant de ce qui est nécessairement impliqué dans ces biens ou sans l’habilité à les vivre »[13]. De même des obligations essentielles du mariage ont leur source dans le bien des conjoints, qui, selon certains canonistes, implique la capacité psychique intrapersonnelle d’instaurer avec le partenaire une relation interpersonnelle au moins tolérable, et « comprend la réception et l’accomplissement de toutes les obligations qui réalisent concrètement l’intime conjonction et intégration des personnes dans l’aide à s’apporter mutuellement dans l’ordre spirituel, matériel et social pour que s’instaure et se déroule pacifiquement et de mieux en mieux une véritable vie conjugale[14] ».[15]

 

  1. L’obligation de tendre à une mutuelle perfection est-elle une obligation
    essentielle ?

 

Un certain nombre d’auteurs toutefois n’acceptent pas de compter, parmi les obligations essentielles qui découlent du bien des conjoints, l’obligation de tendre à une mutuelle perfection spirituelle et affective, c’est-à-dire à l’intégration interpersonnelle des volontés et des affections, parce qu’assurément celle-ci ne présente pas un caractère juridique ou de justice, du fait que « les actes internes et les états de la volonté et de l’affectivité – qui sont également internes – ne sont pas capables d’établir un droit ni un devoir juridique »[16]. De toute façon il faut admettre parmi ces obligations la capacité d’instaurer une relation interpersonnelle au moins tolérable avec son conjoint pour satisfaire l’état de vie conjugale.

 

  1. L’INCAPACITE DU C. 1095, 3° PROVIENT DE CAUSES DE NATURE PSYCHIQUE

 

  1. Le principe

 

  1. Enfin il est requis que l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage provienne d’une cause de nature psychique. En effet, selon le Discours du Souverain Pontife à la Rote, du 5 février 1987 : « On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en présence d’une sérieuse forme d’anomalie »[17].

 

Bref, il faut affirmer que « la cause de nature psychique, requise par la loi pour constituer l’incapacité d’assumer les charges conjugales, se trouve non seulement dans une condition pathologique du contractant, mais également dans toute cause déterminée par les psychologues et les psychiatres dans le domaine de leur science, qui rend le contractant incapable de constituer le noyau de la communauté de vie et d’amour, nonobstant la bonne volonté de la partie »[18].

 

  1. Deux Troubles de la Personnalité

 

Selon la Jurisprudence de Notre For, parmi les causes de nature psychique qui, compte tenu de la nature des indices de ces perturbations (qui sont recensées dans le DSM-V, F 60.5 – 301.4 et F 60.1 – 301.20), peuvent rendre le contractant incapable, surtout en ce qui concerne la prise en charge du bien des conjoints, on range le Trouble obsessif-compulsif de la Personnalité et le Trouble Schizoïde de la Personnalité.

 

Comme il est clair, il revient aux experts en psychiatrie ou en psychologie de définir, dans chaque cas concret, quelles sont ces « anomalies de nature psychique ». En tout cas les Juges de la Rote sont d’accord pour demander la gravité de l’« anomalie psychique » ou de la « perturbation de la personnalité » alléguée.

 

  1. Ne sont pas des causes de nature psychique…

 

« Au contraire, puisqu’elles ne sont pas par elles-mêmes de nature psychique, on ne peut recenser, comme causes d’incapacité de contracter mariage, soit un manque d’éducation, soit une préparation insuffisante au mariage, soit la témérité et l’imprudence dans le choix du conjoint, soit le manque de réflexion et la négligence dans la décision du mariage à contracter et dans la réalisation des charges conjugales »[19].

 

III. LA PREUVE DE L’INCAPACITÉ

 

  1. Les principes

 

  1. Pour que puisse être déclarée la nullité du mariage pour le chef avancé, « il est requis chez le juge la certitude morale au sujet de l’affaire à trancher par la sentence » (c. 1608 § 1) ; « le juge doit tirer cette certitude des actes et des preuves » (c. 1608 § 2), c’est-à-dire par « des preuves de toute nature » qui sont produites comme « utiles pour instruire la cause […] et licites » (c. 1527 § 1).

Comme dans ce genre de causes la vérité ne se découvre que par la voie « inductive », il faut surtout, pour prouver soit la conduite concrète peut-être incongrue du sujet, soit la connexion de cette conduite incongrue avec une anomalie psychique, évaluer les indices qui ressortent des dépositions des parties et des témoins, sans négliger le jugement sur la crédibilité de ceux-ci. De même, s’ils sont apportés, il faut scruter les documents, surtout ceux des médecins, qui se rapportent à l’affaire.

 

  1. Le rôle des experts

 

En outre, « le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts, à moins qu’en raison des circonstances cela ne s’avère manifestement inutile » (c. 1680 CIC et Instruction Dignitas Connubii, art. 203 § 1), puisque l’intervention d’un expert est nécessaire pour diagnostiquer la véritable condition psychique de la partie dont on allègue l’incapacité.[20]

 

Les experts en effet, en étudiant tous les actes de la cause et, si possible, en examinant directement la personne concernée, « doivent découvrir […], selon les règles propres de leur science ou de leur art, et de leur compétence, l’existence de la psychopathologie ou de l’anomalie psychique chez le contractant au moment de la célébration du mariage, son origine, sa nature et sa gravité, et présenter un pronostic »[21].

 

En outre ils doivent mettre à jour, dans le domaine de leur science, sous quel aspect et par rapport à quelles obligations matrimoniales à recevoir ou à remplir, les anomalies découvertes ont affecté le contractant. L’anomalie découverte, en effet, n’est pas par elle-même « cause de la nullité du mariage », mais elle est à l’origine de l’incapacité alléguée de contracter mariage, en raison de laquelle la nullité du mariage est en jeu.

 

C’est pourquoi l’Instruction Dignitas Connubii apporte au juge des indications pour qu’il puisse efficacement profiter du travail des experts : « Le juge ne doit pas omettre de demander à l’expert si l’une ou les deux parties souffraient d’une anomalie particulière habituelle ou transitoire au moment des noces ; quelle était sa gravité ; quand, pour quel motif et dans quelles circonstances elle prit son origine et se manifesta ». En outre, spécialement, « dans les causes pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, l’expert doit rechercher quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage » (art. 209 § 1, et § 2, n. 3).

 

Sans aucun doute « le rôle de l’expert n’est pas de porter un jugement canonique » ; d’autre part « le rôle du juge n’est pas de faire une expertise psychiatrique ». Toutefois le juge « ne doit pas recevoir passivement les conclusions de l’expert »[22]. Le juge en effet, avant d’admettre le rapport d’expertise dans le domaine canonique, doit vérifier si l’expert fonde ses conclusions sur les actes et les éléments de preuve, s’il a réalisé son expertise selon les règles de son art, s’il adhère à l’anthropologie chrétienne, s’il a outrepassé les limites de sa fonction en émettant un jugement, qui ne revient en propre qu’au juge.

 

C’est pourquoi le c. 1579 édicte opportunément : « § 1 . Le juge appréciera attentivement, non seulement les conclusions, mêmes concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause. § 2. En donnant les motifs de sa décision, il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts ».

 

 

EN FAIT (résumé)

 

La cause a été admise à l’examen ordinaire du second degré en raison de difficultés que la nouvelle instruction a permis de lever. Il convient donc de présenter ce qui ressort des dépositions à propos du tempérament du mari et de sa conduite avant et surtout après le mariage, et d’examiner les rapports des experts pour définir quelle a été, au moment du mariage, la condition psychique du mari partie appelée et quelles conséquences en sont résultées.

 

  1. Le tempérament du mari partie appelée

 

Matthew parle de ses parents comme de personnes difficiles à vivre et peu communicatives.

 

Etant enfant, il a développé une maladie qui lui a fait perdre l’œil gauche, ce qui l’a contraint à restreindre ses activités sportives et l’a amené à préférer fréquenter des petits groupes de personnes.

 

Les actes de la cause ne montrent pas qu’il ait été soigné pour des troubles psychiques, mais un certain nombre d’éléments permettent de décrire sa personnalité : introverti, antisocial, enclin à la dépression : à l’époque où il était au séminaire, lorsqu’il était dans une abbaye, plusieurs fois pendant la vie conjugale. Ces dépressions pouvaient durer une semaine, pendant lesquelles « il ne lisait pas, ne parlait pas, ne se rasait pas » (témoignage de la demanderesse).

 

Matthew était très instable dans le choix d’un état de vie : il est allé au séminaire en vue du presbytérat, puis il a séjourné dans une abbaye, puis il a décidé de se marier avec Gail qu’il avait connue dans cette abbaye. Durant son mariage, il a eu une période d’agnosticisme, puis il est retourné vers l’Eglise catholique, mais il a cessé d’aller à la messe lors d’une séparation temporaire d’avec sa femme et maintenant il a le projet d’être bénédictin.

 

Matthew était également très instable dans son travail, selon la demanderesse et les témoins : changeant de métiers, souvent au chômage mais ne faisant rien pour en sortir et retrouver un emploi, et incapable de travailler avec d’autres.

 

Dans sa vie conjugale, Matthew reconnaît lui-même avoir rencontré des difficultés. Son chômage récurrent y jouait un rôle. Il prétendait aussi qu’il ne cherchait pas à avoir un emploi pour pouvoir s’occuper de ses enfants, dont en fait il se désintéressait.

 

Il était très obstiné dans ses opinions. Même en ce qui concerne son mariage, où il admet avoir commis des erreurs, il ne se pose aucune question sur son éventuelle nullité, fort de la doctrine de l’Eglise catholique sur l’indissolubilité du mariage et donc de la nécessité de garder l’unité de la famille, mais ne changeant en rien sa conduite. Autre exemple de cette obstination, il n’a jamais fait un effort pour soigner son fils atteint d’un déficit d’attention de type psychiatrique, car il n’acceptait pas le diagnostic des médecins. Comme le dit un témoin, « Pour Matthew tout était blanc ou noir. Rien n’était gris ».

 

Finalement il ne se préoccupait que de lui-même.

 

Dans les actes se trouvent plusieurs déclarations de psychologues qui, bien que ne traitant pas directement de la condition psychique de Matthew, comportent des éléments « indirects », se rapportant à une époque non-suspecte, puisque ces psychologues sont intervenus pour tenter de résoudre les difficultés surgies entre les époux. L’un d’eux déclare qu’alors que la mère de l’enfant malade s’occupait beaucoup de la thérapie suivie par celui-ci, « Matthew ne s’y intéressait pas et ne supportait pas les soins donnés à son fils ».

 

Un autre psychologue rapporte que Gail avait beaucoup de difficultés avec son mari, en raison du caractère rigide de celui-ci, « spécialement dans l’interprétation de la loi de l’Eglise », de son inconstance dans son travail et de ses dépressions.

 

Comme on le voit, de nombreux éléments décrivent le tempérament et la conduite du mari partie appelée. Il faut demander à des experts de nous éclairer à ce sujet.

 

  1. Les trois expertises « ex officio»

 

Le premier expert (1° instance) voit chez Mattew « outre des épisodes récurrents de Dépression aiguë, des Troubles de la Personnalité II, c’est-à-dire un Trouble de la Personnalité obsessif-compulsif et un Trouble de la Personnalité schizoïde ». Les Juges du Tour Rotal font remarquer que l’expert a fait son examen uniquement sur les actes, c’est-à-dire à partir des dépositions de l’épouse et des témoins, et qu’il a refusé d’examiner directement le mari parce que « les réponses au questionnaire montraient si peu la conduite du mari et sa responsabilité dans l’échec du mariage qu’il était inutile d’interroger celui-ci ».

 

De plus cet expert n’est pas moralement certain que les Troubles de la Personnalité II aient été présents au moment du mariage.

 

Le second expert, à la Rote, a examiné directement le mari partie appelée. Il ne décèle pas chez lui une véritable perturbation psychique, mais seulement des indices ou des « traits de personnalité », qui ne peuvent pas être assimilés à de graves troubles de la personnalité. En conséquence, il ne confirme pas le diagnostic du premier expert.

 

C’est pourquoi il a été nécessaire de consulter un troisième expert.

 

Le troisième expert a examiné les actes de la cause (libelle, dépositions des parties et des témoins ainsi que les deux expertises précédentes et les lettres envoyées par le mari à Notre Tribunal et à la demanderesse). Il estime que le mari souffrait d’un Trouble obsessif-compulsif de Personnalité et d’un Trouble schizoïde de Personnalité, en ajoutant d’autres arguments pour confirmer le diagnostic de la première expertise.

 

Selon ce troisième expert, la perturbation existait avant le mariage et elle est grave, si l’on considère le comportement de Matthew pendant toute la vie conjugale, surtout vis-à-vis de la demanderesse et de ses enfants. « Il était incapable d’accepter la diversité de la personne avec laquelle il se proposait de vivre une existence d’amour et de communion », il était incapable d’assumer le bien des conjoints parce qu’il était « incapable, du point de vue du rapport interpersonnel duel et paritaire avec son épouse, de mener à bien le contenu du contrat matrimonial canonique ». Il en allait de même pour ses rapports avec ses enfants.

 

Lors de la session pour la reconnaissance de l’expertise, l’expert a pleinement confirmé ce qu’il avait écrit sur la perturbation psychique du mari, son antécédence et sa gravité.

 

Le rapport du troisième expert doit être et est pleinement accepté pour la définition judiciaire de la cause présente.

 

Constat de nullité

pour incapacité du mari partie appelée

d’assumer les obligations essentielles du mariage

 

Vetitum pour le mari

 

Giovanni Baptista DEFILIPPI, ponent

Robert M SABLE

Egidio TURNATURI

 

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[1] Cf. GAUDIUM ET SPES, n. 48 ; Exhortation Apostolique Familiaris Consortio, n. 20

[2] C. TURNATURI, 13 avril 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 348, n. 6

[3] C. SABLE, 22 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 343, n. 4

[4] AAS 85, 1993, p. 143, n. 5

[5] CELSE, D. 50, 17, 185

[6] Regula Juris in VI, 5, 12, 5

[7] Décret d’admission à l’examen ordinaire du second degré, par le Tour Rotal, n. 4, a

[8] AAS, LXXIX, 1987, p. 1457

[9] Décret du Tour, n. 4, b

[10] C. SABLE, 13 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 7, n. 10

[11] C. DORAN, 18 mars 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 176, n. 5

[12] Cf. J. HERVADA, Obligaciones esenciales del matrimonio, dans l’ouvrage collectif Incapacidad consensual para las obligaciones matrimoniales, Pampelune 1991, p. 24

[13] C. BURKE, 13 juin 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 413, n. 5

[14] C. BRUNO, 17 mai 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 390, n. 6 ; cf. c. BOCCAFOLA, 1° décembre 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 739, n. 6

[15] C. STANKIEWICZ, 27 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 105, n. 6

[16] J. HERVADA, ouvrage cité, p. 34

[17] AAS 79, 1987, n. 1457

[18] C. HUBER, 7 novembre 2001, n. 7

[19] Décret du Tour, n. 4

[20] Cf. c. SABLE, 13 décembre 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 655, n. 13

[21] C. TURNATURI, 13 novembre 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 794, n . 12

[22] C. SABLE, 15 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 859, n. 10

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.