Turnaturi 25/02/2010

Turnaturi 25/02/2010

Coram  TURNATURI

 Condition

 Tribunal régional du Latium (Italie)

25 février 2010

P.N. 20.846

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

 

  1. POSITION DU PROBLÈME
  1. Opposition au mariage sous condition
  2. Mais la réalité oblige à tenir compte de la condition dans le mariage

 

  1. ÉTUDE DE LA CONDITION

 

  1. NATURE DE LA CONDITION
    1. La condition dans la volonté du contractant
    2. Le mécanisme du consentement conditionnel
    3. La circonstance prévalente dans la condition potestative

 

  1. LA CONDITION POTESTATIVE : CONDITION DE FUTURO OU DE PRAESENTI ?
    1. Partisans de la conversion de la condition de futuro en condition de praesenti
  1. Ferraro
  2. Gugliemi
  3. Massimi
  4. Mattioli
    1. Opposants à la conversion
  1. Moneta
  2. Canals
  3. Parillo
    1. Condition potestative de futuro et promesse
  1. De Jorio
  2. Serrano
  3. Pompedda
  4. Moneta

 

III. LE NOUVEAU CODE ET LA CONDITION DE FUTURO

 

  1. LA PREUVE DE LA CONDITION

 

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Note du traducteur

 

La définition des diverses conditions, dans la Doctrine et la Jurisprudence canoniques, étant parfois imprécises, il a semblé utile de citer celles données dans Jus Gentium, par Gabriel Seignalet, sous le titre : Les clauses « de condition » dans un contrat : suspensive, résolutoire (voir adresse Internet au bas de la page 1 de Seignalet).

 

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EXPOSÉ  DES  FAITS

 

            Enrico R. (appelé Arrigo), né le 24 mai 1941, fait en 1975 la connaissance d’Adriana F., née le 7 mars 1945. Après deux ans de fiançailles, qui semblent avoir été heureuses, ils se marient le 24 septembre 1977.

 

            Après un voyage de noces au Mexique, les époux s’installent à Rome. Un enfant vient au monde. La vie conjugale se détériore, d’une part à cause de problèmes économiques, et d’autre part en raison de la conduite du mari qui, selon son épouse, avait de longues absences à l’étranger, à cause de son travail, et en plus se désintéressait totalement de l’achat et de l’aménagement d’une maison conjugale stable alors qu’il s’y était engagé avant le mariage.

 

            Ce désintéressement devient si pénible pour l’épouse que celle-ci demande (8 juillet 1987) et obtient (6 juin 1994) du Tribunal Civil de Rome la séparation d’avec son mari, avec une pension alimentaire à verser par celui-ci à sa femme et à son fils, et une réglementation de son droit de visite à ce dernier.

 

            Pendant le procès civil, le mari présente au Tribunal ecclésiastique du Latium un libelle demandant la déclaration de nullité de son mariage pour un double chef, à savoir une condition mise par son épouse et non vérifiée ainsi que l’exclusion du bien du sacrement de sa propre part. Le libelle est admis le 4 février 1995.

 

            La sentence du 29 septembre 1997 reconnaît la nullité du mariage pour les deux chefs présentés. En appel à la Rote, le Tour, le 26 novembre 1998, ne confirme pas la sentence de 1° instance et admet la cause à l’examen ordinaire du second degré, pour la raison que « l’exposition des motifs par la sentence en appel prend en compte davantage la position du demandeur que l’évaluation objective et équitable des preuves ». Après une nouvelle audition de l’épouse, le Tour Rotal, le 13 décembre 2001, rend une sentence contraire aux souhaits du mari, tant en ce qui concerne la condition apposée par l’épouse partie appelée qu’en ce qui regarde l’exclusion de l’indissolubilité de la part du demandeur.

 

            Celui-ci fait appel au Tour rotal suivant, qui admet la renonciation au chef de condition et rend le 3 octobre 2007 une sentence négative pour le chef d’exclusion du bien du sacrement.

 

            Le mari n’accepte pas cette décision et bien qu’il y ait donc une double sentence négative sur l’exclusion du bien du sacrement, il présente avec nouvelle instance, le 23 septembre 2009, où il insiste pour la ré-introduction du chef de condition, deux fois examiné mais tranché par deux décisions contraires (celle de 1° instance et celle du 1° Tour Rotal).

 

            Il Nous revient de répondre au doute concordé le 26 novembre 2009, à savoir : « La sentence rotale du 13 décembre 2001 doit-elle être confirmée ou infirmée ? C’est-à-dire : la preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour condition mise par l’épouse ? »

EN  DROIT

 

  1. POSITION DU PROBLEME

 

  1. Opposition au mariage sous condition

 

  1. Très souvent tant la Doctrine que la Jurisprudence ont traité de l’opportunité ou de la pertinence de contracter le mariage sans la moindre apposition d’une condition.

 

La sainteté du mariage chrétien en effet exige que les contractants ne mettent pas en péril la dignité du sacrement par une condition, c’est-à-dire par une circonstance future et incertaine dont dépend la valeur du mariage.

 

Comme l’écrit le cardinal Gasparri, « le mariage, en raison du respect dû au sacrement et pour éviter de très nombreux inconvénients, doit être contracté purement et simplement, c’est-à-dire sans aucune limitation dans le consentement », c’est pourquoi « un curé ne peut jamais permettre que quelque chose de ce genre soit ajouté dans l’expression du consentement »[1].

 

« Il est hautement souhaitable que le mariage, qui est un sacrement important, soit célébré sans aucune condition »[2].

 

De toute façon, il est vrai aussi que « l’Eglise ne permet pas régulièrement l’apposition d’une condition dans la célébration du mariage, mais il est également vrai qu’elle n’interdit pas qu’on fasse la preuve de l’existence d’une condition, si celle-ci a été apposée par un contractant, puisque en cas de non-résiliation de la condition, c’est le consentement matrimonial lui-même qui ne se réalise pas et donc le mariage est nul »[3].

 

  1. « Le phénomène de la condition, écrit P. Moneta, se concilie mal avec le mariage. Le mariage requiert une adhésion totale, sans réserve, effectuée, au moins de façon tendancielle, avec élan et enthousiasme. La personne que quelqu’un a décidé d’épouser doit être acceptée dans son intégralité, avec ses qualités et ses défauts, ses lumières et ses ombres, les aspects positifs et négatifs de sa personnalité ou de l’ambiance dans laquelle elle vie. L’existence qu’on entend partager avec cette personne doit être une communauté de toute la vie, une pleine participation à la vie de l’autre, une donation réciproque de soi. Subordonner cette adhésion intégrale à une quelconque circonstance, y mettre une réserve qui peut parfaitement arriver à la ruiner complètement – comme cela arrive justement en apposant une condition au consentement matrimonial – semble contredire la nature spécifique de cette adhésion, la dégrader et la rendre indigne d’un véritable mariage[4].

 

  1. « Le Législateur, sensible au sens des chrétiens qui réclamait pour le mariage la restauration de la dignité sacramentelle dès le premier moment de sa naissance, pouvait apparemment ne prendre que deux voies : ou bien considérer la condition comme non apposée et, dans cette hypothèse, il aurait effectivement substitué à celle des contractants sa propre détermination à l’accomplissement de l’acte ; ou bien, et c’est la voie qui a été choisie, décider l’incompatibilité du consentement matrimonial conditionné, en statuant que le moment constitutif du mariage, pour avoir un effet valide, doit se dérouler de façon absolue,

c’est-à-dire pure, ou encore sans attache avec la réalisation d’événements futurs et incertains »[5].

 

  1. Mais la réalité oblige à tenir compte de la condition dans le mariage

 

Attendu ainsi qu’« existe le phénomène de celui qui veut le mariage mais seulement à certaines conditions, dans le constant réalisme qui accompagne l’Eglise dans son contact avec l’humanité en marche, son ordonnancement ne pouvait pas ne pas en tenir compte, en en régulant pour cette raison les conséquences dans son droit »[6].

 

  1. C’est pourquoi, selon le droit qui régissait et régit encore le mariage, le consentement pouvait et peut être soumis à une condition, que d’Annibale définit : une circonstance ajoutée à l’acte et de laquelle cet autre acte dépend.[7]

 

La condition, comme chacun le sait, est « une circonstance ajoutée à l’acte de l’extérieur, et de laquelle (de sa nature même) dépend cet acte »[8].

 

C’est pourquoi celui qui se marie jouit du pouvoir de consentir au mariage purement et simplement ou encore d’y consentir sous telle ou telle condition : on parle alors de consentement conditionné.

 

Parce que dans cette hypothèse ou dans ces éléments ajoutés il s’agit d’une circonstance extrinsèque et étrangère à l’objet matériel et formel du consentement, c’est-à-dire à la mutuelle donation-acceptation des personnes qui se marient pour constituer une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints et à la génération-éducation des enfants (cf. c. 1055 § 1 ; 1057 § 2), certains tiennent ou estiment que le consentement conditionné est atypique, anormal et étranger « à ce type idéal du consentement que l’Eglise enseigne et qui doit être présent dans l’action de donner vie au lien matrimonial »[9].

 

  1. ÉTUDE DE LA CONDITION

 

  1. NATURE DE LA CONDITION

 

  1. La condition dans la volonté du contractant

 

  1. Dans le contexte matrimonial, ce consentement limité ou conditionné existe « lorsque quelqu’un met une relation si étroite entre une certaine circonstance et le mariage, que celui-ci, en ce qui concerne sa validité, dépend entièrement de celle-là »[10].

 

Dans ces cas-là, « il y a une véritable volonté matrimoniale, mais le contractant la veut subordonnée à la vérification d’un ‘quelque chose’ dont l’existence, étant future ou ignorée, est incertaine bien qu’indispensable : le sujet ne veut pas être marié sauf à la condition qu’existe ce ‘quelque chose’, et la condition est la garantie par le moyen de laquelle, malgré le consentement, il s’assure qu’il ne restera pas marié sauf en cas d’existence effective de ce ‘quelque chose’ »[11].

 

 

Ou bien comme l’écrit encore O. Giacchi, « quand le sujet, en fait, met une condition au mariage qu’il entend conclure, dans le sens qu’il fait dépendre d’un événement futur et incertain (condition proprement dite) ou d’une circonstance déjà vérifiée ou qui est en cours de vérification (condition improprement dite), la valeur du mariage lui-même, il veut ce mariage seulement si cet événement se vérifie plus tard ou si cette circonstance existe »[12].

 

Ainsi celui qui se marie « ne décide pas purement et simplement de se marier, mais il décide plutôt de se marier seulement avec une personne dotée de telle qualité, ou seulement si telle circonstance se vérifie. C’est pourquoi, entre le mariage et la qualité ou la circonstance, s’établit une relation par laquelle qualité ou circonstance priment le mariage selon l’évaluation du contractant »[13].

 

Si la qualité souhaitée existe ou si la circonstance a existé ou se vérifie, le consentement est valable et donc aussi le mariage. Si qualité et circonstance manquent, le consentement doit être tenu pour sans valeur et le mariage nul.

 

  1. Le mécanisme du consentement conditionnel

 

  1. « En ce qui concerne le mécanisme du consentement conditionnel – fait remarquer très justement une sentence c. Ferraro du 8 mars 1977 – il est bon de noter […] que celui qui se marie ne réalise pas deux actes successifs, mais un seul, par lequel il dirige sa volonté vers un objet qui est double : le mariage et une circonstance externe et incertaine, dont il choisit le premier en dépendance de la seconde, qu’il estime davantage.

 

C’est pourquoi dans un tel acte, contrairement à ce que pensent de façon erronée un certain nombre d’auteurs, dépendent d’un événement incertain non pas seulement l’objet, mais le consentement en même temps que son objet ; non pas seulement les effets juridiques de l’acte, mais la validité et l’existence de l’acte lui-même ; car le mariage se réalise par le consentement des parties et seulement par lui, à l’exclusion de toute puissance humaine (c. 1081 § 1).

 

Ce n’est certainement pas sans raison que le contractant préfère manifester un consen-tement de ce genre et le lier à un événement externe et incertain[14] »[15].

 

« Il arrive dans ce cas que le contractant, par un acte positif de volonté, veut le mariage, mais il le soumet à l’existence d’une circonstance déterminée. Cependant, il n’y a pas deux actes de volonté, l’un par lequel le contractant décide le mariage et l’autre par lequel il le soumet à une condition, mais c’est par le même acte positif de volonté qu’il veut le mariage et sous telle condition »[16].

 

  1. En conséquence la validité du même consentement dépend plutôt de la circonstance apposée au consentement que de la conscience de la volonté qui appose une circonstance. Dans ce cas, si quelqu’un décidait qu’il serait libre du lien matrimonial si la circonstance souhaitée ne se vérifiait pas, alors un tel consentement de la personne qui se marie serait nul et le consentement également nul pour exclusion de l’indissolubilité du lien, que soit vérifiée ou non la circonstance apposée par cette personne.

 

 

 

  1. La circonstance prévalente dans la condition potestative

 

En ce qui concerne la circonstance prévalente, lorsqu’il s’agit d’une véritable condition potestative, on peut y distinguer un double objet, matériel et formel.

 

L’objet matériel d’une telle condition, si elle est affirmative, consiste dans une obligation à remplir dans la vie conjugale.

 

L’objet formel, lui, peut être l’accomplissement de cette obligation dans la vie conjugale, ou la promesse, faite du fond du cœur, de remplir cette obligation.

 

Que l’objet de la condition soit l’accomplissement de l’obligation ou la promesse de cet accomplissement, la condition vraiment potestative de futuro ne peut se réduire automati-quement à une simple promesse de praesenti, alors qu’il faut dire plutôt qu’outre la promesse sera exigée la véritable exécution de la promesse.

 

  1. LA CONDITION POTESTATIVE : CONDITION DE FUTURO OU DE PRAESENTI ?

 

  1. Partisans de la conversion de la condition de futuro en condition de praesenti

 

  1. Ferrero

 

  1. Comme on le déduit succinctement de la sentence ci-dessus citée c. Ferraro, « dans la condition potestative il ne faut pas avoir recours à cette fiction du droit, constamment gardée par la jurisprudence de la Rote, par laquelle les conditions portant sur le futur, incertain et mal défini, se réduisent, pour qu’il n’y ait pas l’absurdité d’un mariage perpétuellement en suspens, à des conditions de praesenti : c’est-à-dire que le consentement, soumis à la condition, ne reste jamais en suspens, mais immédiatement il réalise ou non le mariage selon qu’est reçue véritablement ou fictivement l’obligation sur l’objet, à accomplir sous condition par l’autre partie, même si par la suite cette obligation n’est pas remplie. Il est clair cependant pour tout le monde à quel point cette conversion est subtile et combien elle recèle le danger de pervertir la volonté du contractant : celui-ci en effet désire et cherche généralement un fait qu’il fait entrer dans son consentement, alors qu’il n’exige et ne reçoit la promesse que pour avoir pour lui-même une caution et déjà presque la vision du fait désiré »[17].

 

  1. Gugliemi

 

  1. Une sentence c. Gugliemi du 20 février 1929 avait soutenu cette conversion de la condition potestative de futuro en condition de praesenti, à savoir quand la condition « en ce qui regarde son exécution dépend de la volonté du partenaire et dont l’objet de la condition est quelque chose à faire tout le temps. Or dans ces cas-là, pour éviter de négliger la disposition de la volonté et pour ne pas tomber dans l’absurdité que la valeur du mariage, dont dépend l’usage honnête de celui-ci, reste perpétuellement incertaine, il faut estimer, en raison de la substance de la chose, que ce qui est soumis à condition c’est, ainsi que l’a plus d’une fois soutenu la Rote, la promesse de la charge qui doit être réalisée du fond du cœur par le conjoint et non l’accomplissement futur de la promesse […]. C’est pourquoi, si l’obligation est sincèrement acceptée par le conjoint, le mariage est valide, mais si par la suite l’obligation n’est pas remplie, ce n’est pas pour autant que le mariage peut être dit invalide. La promesse étant faite, elle est présumée faite du fond du cœur, sauf si le contraire, évidemment, est prouvé »[18].

 

  1. Massimi

 

Çà et là et presque constamment on trouve dans la jurisprudence rotale ou sa pratique la conversion de la condition de futuro en condition de praesenti, cette dernière devant être comprise comme une condition portant sur la sincérité ou non de celui qui promet, au moment où la condition est apposée.[19]

 

  1. Mattioli

 

Ou encore, selon une sentence c. Mattioli, « la condition de futuro, chaque fois que l’objet d’une telle condition ne consiste pas dans un événement certain, qui doit se vérifier à un certain jour particulier (par exemple, si ton père te constitue son légataire universel ; ou bien : si tu obtiens ta maîtrise à la première session d’examens etc.), mais plutôt dans une chose à donner de façon continue et qui dépend de la libre volonté ; alors là nous disons : la condition de futuro est comme une condition de praesenti. Cela, la Rote l’a déclaré à de nombreuses reprises, pour que ne s’ensuive pas l’absurdité de la valeur du mariage, qui est suspendue à perpétuité jusqu’à la fin de la vie : ce que personne, d’esprit sain, n’est présumé pouvoir vouloir. Donc, dans des cas semblables, seul est pris en compte le propos, c’est-à-dire l’acceptation de l’obligation, propos formé gravement et sincèrement, portant sur l’exécution de la chose, qui est exigée par le conjoint sous une condition sine qua non »[20].

 

Cette conversion de la condition potestative de futuro en une condition de praesenti, la promesse sincère étant déjà acquise, est pleinement soutenue par la sentence en appel : cette conversion arrive « plutôt par une fiction juridique, en ce que, dans ce cas, ‘la condition semble, par le droit lui-même, être remplie’[21] » et cette conversion « ne constitue pas, comme parfois cela est contesté, ‘une perversion de la notion même de condition’ ou ‘un danger de pervertir la volonté de celui qui se marie’[22] ». Toutefois il ne manque pas de personnes qui récusent ce type de raisonnement.

 

  1. Opposants à la conversion

 

  1. Moneta

 

  1. « Cette constante, fait remarquer à bon droit P. Moneta, n’est pourtant pas acceptable parce qu’elle se base sur une interprétation autoritaire de la volonté du contractant qui ne correspond pas à la véritable substance de celle-ci, et l’on arrive par cette voie à violer ce principe fondamental qui ne consent à aucune puissance humaine (pour autant qu’elle soit dotée d’autorité) de placer sa propre volonté au-dessus de celle du contractant lui-même par rapport à la constitution du mariage. En effet, au moins dans la normalité des cas, celui qui se marie exige que l’autre s’engage à avoir un certain comportement en cette phase préliminaire à la prestation du consentement matrimonial qui conduit à la décision de s’épouser. L’engagement, en termes plus techniques, est fait objet d’un postulat ou d’une cause poussant au mariage, mais non d’une condition. Celle-ci surgit lorsque celui qui se marie ne se fie pas à l’engagement assumé par l’autre ou, toutefois, à sa capacité d’y faire effectivement face, et découvre en conséquence l’exigence de se prémunir sur ce point. Placer l’engagement en lui-même comme une condition au consentement n’aurait donc aucun sens. Ce dont le contractant veut s’assurer est que l’engagement soit concrètement honoré une fois le mariage conclu, que soit effectivement tenu ce comportement qu’il retient pour avoir une importance essentielle et indérogeable pour la vie conjugale. Et c’est donc précisément ce comportement qu’il met comme objet de condition »[23].

 

  1. Canals

 

Une sentence c. Canals, du 16 juin 1971, avait déjà remarqué cela : « Il n’échappe cependant à personne de constater à quel point cette conversion est subtile et combien s’y trouve le danger de pervertir la volonté du contractant : celui-ci en général désire et recherche un fait qu’il introduit dans le consentement, tandis que la promesse qu’il doit recevoir, il ne l’exige et ne la reçoit que comme une caution et presque comme une prévision du fait en question »[24].

 

  1. Parillo

 

  1. La sentence cité c. Gugliemi[25] est venue en appel devant un Tour rotal dont Mgr Parillo était le ponent. Celui-ci fait remarquer : « Il est utile de rappeler les principes du droit pour voir s’il faut appliquer dans le jugement la théorie, complètement ignorée des auteurs tant anciens que modernes, en vertu de laquelle une condition de futuro par nature doit être considérée comme une condition de praesenti, pour que la valeur du mariage ne reste pas incertaine à jamais et voir par conséquent, si en raison de la pression de la substance de la chose, il faut déclarer que sous une telle condition ne se dissimule pas l’accomplissement futur de la promesse, mais la promesse elle-même de l’engagement à faire du fond du cœur par le conjoint, de telle sorte qu’en cas de découverte que la promesse a été simulée, le mariage serait ruiné par une condition de praesenti non réalisée ». Mgr Parillo ajoute: « Le caractère de la condition est déterminé par son objet, c’est-à-dire par son dénouement. On parle de condition de praeterito, de praesenti ou de futuro selon que l’objet concerne une chose passée, ou une chose présente ou une chose future. La condition potestative, dont le dénouement dépend de la volonté d’une partie, doit toujours être liée à une promesse préalable de faire ou d’omettre quelque chose de la part de celui qui se constitue débiteur. La condition en effet qui est placée dans le pur arbitraire d’une partie, comme par exemple ‘je te donnerai si je le veux à ce moment-là’, n’a aucun effet […]. L’engagement donc et l’obligation ne peuvent pas constituer l’objet de la condition attachée au mariage, mais seulement le fondement et, par là, la cause pour laquelle celui qui se constitue créditeur en vue d’exiger l’obligation de la part de l’autre partie, se détermine à contracter le mariage.

 

Au contraire l’objet de la condition potestative (quand celle-ci est liée au consentement matrimonial) est le fait ou l’omission du fait qui doit être accompli après le mariage, fait qui, puisqu’il regarde le futur, ne peut être considéré que comme suspensif ou résolutif de l’acte. Accepter la fiction que dans ces cas-là la condition soit de praesenti, circonscrite à la promesse – et à la promesse sincère – du conjoint, reviendrait à pervertir la nature de la condition et la volonté elle-même de l’agent, qui n’a pas pu vouloir autre chose que l’accomplissement de l’obligation promise, l’engagement n’étant pris que comme un moyen, et qui n’a certainement pas pu vouloir lier son consentement à la sincérité, existant au moment du mariage, de la promesse qui lui a été faite. Et cela, si on peut parfois le déduire de la volonté interprétative de celui qui lutte pour la nullité de son mariage, est absolument inacceptable étant donné la force de la substance de la chose »[26].

 

 

 

 

 

  1. Condition potestative de futuro et promesse

 

  1. Ces conditions potestatives de futuro, la plupart du temps, n’entrent pas dans le consentement matrimonial, mais elle le précèdent et donc ne l’irritent pas, également parce qu’elles en constituent le mode ou la cause.[27]

 

  1. De Jorio

 

« Mais, note justement une sentence c. De Jorio, du 13 juillet 1977, il ne manque pas d’hommes (ou de femmes) qui font un tel cas d’une promesse (de faire quelque chose ou de ne pas le faire) que, si cette promesse est récusée ou n’est pas respectée, ou bien ils ne contractent pas le lien conjugal, ou bien ils estiment que le contrat est dissous. Si donc la pensée d’une telle personne est mise en lumière, on doit conclure que la condition qu’elle a apposée a pénétré le consentement et donc, si elle n’est pas acceptée ou pas tenue, que le consentement au mariage exprimé par des paroles perd toute sa force.

 

Certes la plupart de ceux qui se marient se contentent d’une promesse sincère, qui parfois n’est pas tenue en raison d’événements qui se produisent après la célébration du mariage. C’est pourquoi, en cas de promesse sincère, le lien du mariage est formé et persiste même si la promesse n’est pas tenue par le conjoint en raison de son inconstance ou d’événements qui ne pouvaient pas être prévus ou ne l’ont pas été. En d’autres termes, la plupart du temps le manque d’exécution ne vicie pas le consentement, pourvu que la promesse ait été faite de bonne foi ou que se soit vérifiée la condition que des canonistes – suivis par des juges – appellent improprement une condition de praesenti.

 

On ne peut cependant pas nier qu’il se trouve certains hommes qui mettent toutes leurs pensées dans l’exécution de la promesse, parce qu’elle leur est nécessaire pour atteindre le but qu’ils se sont fixé et auquel ils ne veulent pas ou ne peuvent pas renoncer […]. C’est pourquoi, quand ils donnent leur consentement à un mariage déterminé ils prennent la décision de rompre le lien qu’ils vont nouer, s’ils sont empêchés, en raison de l’inexécution de la promesse par leur conjoint, d’obtenir ce qu’ils attendent. Et c’est pourquoi leur consentement matrimonial est nul formellement en raison de la non-vérification d’une condition potestative de futuro, mais dans la réalité il est nul pour exclusion du bien du sacrement, ou, en d’autres termes, de l’indissolubilité »[28].

 

  1. Serrano

 

  1. Ce point de vue est approuvé dans une sentence c. Serrano : « Notre Jurisprudence a parfois reconnu que n’apparaît pas toujours ce lien étroit entre l’intention de celui qui se marie sous une condition potestative, et l’existence d’une promesse sincère, sans que l’intention n’atteigne l’objet ou la qualité, avec en plus le danger d’une alliance nulle et peut-être aussi avec le détournement des lois de l’argumentation : ‘Si l’objet de la condition est […] une chose qui dépende de la volonté libre de l’homme, mais que cette chose doive être donnée dans un futur proche, et qu’il s’agisse en même temps d’un objet bien défini et déterminé, la condition est considérée comme une condition de futuro suspensive, sauf s’il est prouvé que la partie a voulu que le contrat matrimonial ait tout de suite sa valeur, et en même temps a mis sous condition l’accomplissement lui-même de la promesse. Dans ce cas en effet il s’agirait d’une condition résolutive de futuro, qui rejaillirait en simulation du consentement en raison de l’exclusion de l’indissolubilité’[29]»[30].

En conséquence, estime Mgr Serrano : « Appartiennent aux éléments essentiels d’un mariage déterminé l’objet de la condition, immédiatement, et non pas seulement la sincérité de la promesse, et cela comme ‘un élément essentiel’ venu de la volonté constituante du contractant, auquel tout le reste est subordonné. Et alors le mariage concret, c’est-à-dire entendu dans l’ordre de l’existence selon l’esprit du contractant, sera valide ou non selon que cet élément attaché au mariage qu’est l’objet de la condition est réellement donné ou vient à manquer, et cela en raison de la notion substantielle elle-même du mariage visé de fait »[31].

 

  1. Pompedda

 

« C’est pourquoi – note justement et à propos une décision c. Pompedda du 6 juin 1997 – dans chacune des causes à trancher il n’est pas toujours légitime de recourir à cette fiction du droit, presque constamment respectée par Notre Jurisprudence, selon laquelle les conditions de futuro, portant sur un avenir incertain et mal défini, se ramènent, pour éviter l’absurdité d’un mariage perpétuellement en suspens, à des conditions de praesenti, c’est-à-dire que le consentement soumis à condition ne reste jamais en suspens, mais qu’il réalise ou non le mariage immédiatement, selon qu’est reçue réellement ou fictivement l’obligation portant sur la chose à accomplir sous condition par l’autre partie, ‘même si par la suite cette condition n’est pas remplie’[32] »[33].

 

  1. Moneta

 

  1. Assurément, comme le note encore P. Moneta, « aujourd’hui celui qui met une condition à son consentement matrimonial n’entend certainement pas repousser à plus tard l’instauration de la vie conjugale, en prolongeant jusqu’à la vérification de l’événement souhaité son état de fiancé. Il entend célébrer un mariage avec tous ses effets et donc avec un commencement normal de la vie conjugale, mais avec la réserve que l’éventuel manquement de la vérification de la condition réduira à rien le mariage lui-même, privera d’efficacité tout engagement qu’il a assumé avec la célébration nuptiale, en le rendant libre du lien conjugal. La condition, au lieu de valeur suspensive des effets du contrat, comme cela arrivait traditionnellement, en vient à avoir valeur de résolution du contrat à qui avait été donné une pleine exécution » – « La seconde considération qui légitime la nullité de tout mariage soumis à condition est qu’une telle condition en vient nécessairement à comporter une exclusion de l’indissolubilité du lien conjugal et à se dissoudre dans une figure de simulation partielle telle qu’elle comporte la nullité du mariage sur la base du c. 1101. Si en fait nous avons présent à l’esprit ce que nous avons tout d’abord observé sur la dynamique concrète qu’assume aujourd’hui le mariage conditionné, nous pouvons constater que celui qui célèbre sous condition entend donner concrètement vie au mariage à partir de la célébration nuptiale, en se réservant de le dissoudre, de ne plus le considérer comme un lien qui demeure et donc de reprendre sa propre liberté au cas où fait défaut la vérification de la condition.

 

C’est en vérité un certain manque de confiance du comportement subjectif, si on fait la comparaison avec la figure typique de la simulation par exclusion du bien du sacrement. Ici celui qui se marie entend célébrer un mariage différent, dans une de ses composantes essentielles (dans le cas présent, l’indissolubilité), de celui que l’Eglise considère comme l’unique véritable mariage. Le sujet peut même ne pas être conscient d’une telle diversité, mais de fait sa volonté se dirige vers un type de mariage (caractérisé par la dissolubilité) qui ne correspond pas au mariage prescrit par l’Eglise. Dans le cas de la condition, celui qui se marie accepte au contraire le mariage avec toutes ses composantes essentielles, mais seulement à partir du moment où la condition sera vérifiée. Mais puisqu’il entend, comme on l’a précisé, rendre immédiatement opérant le lien matrimonial, dans une première phase de la vie matrimoniale, jusqu’à la vérification de la condition, il a indubitablement la prospective de sa dissolution. Indépendamment du modèle théorique auquel il croit adhérer, il se propose donc, concrètement, de se libérer d’un lien auquel il a déjà donné une existence, au moins jusqu’au moment où il n’aura pas pu certifier la présence substantielle de l’événement donné en condition. Et cela est suffisant pour former une intention contre le bien du sacrement, parce qu’en réalité il ne veut pas un mariage qui, dès le début et pour toujours, le lie de façon indissoluble à la personne de l’autre contractant »[34].

 

  1. Cela vaut aussi pour la condition potestative en ce que « comme toutes les conditions de futuro, elle en vient donc à compromettre l’intégrité du consentement matrimonial sous le double profil que nous avons déjà mis en évidence : soit parce qu’elle insère un élément de limitation dans la volonté de celui qui se marie, qui ne se concilie pas avec cette totale adhésion que requiert le mariage, soit parce que, au moins dans son opérativité concrète, elle constitue une condition résolutive du lien qui se veut déjà immédiatement efficace et donc, en substance, une exclusion de son indissolubilité »[35].

 

Comme nous l’avons écrit dans une sentence du 15 décembre 2005, « dans ces cas-là, soit qu’on parle de condition de futuro ou soit qu’on parle d’exclusion de l’indissolubilité, le non-accomplissement envisagé de la circonstance par l’autre partie peut entraîner la nullité du consentement pour condition et le non-accomplissement de cette circonstance ou son acceptation sans sincérité par l’autre partie jettent un doute sur l’indissolubilité du lien, et il y a déjà une exclusion du bien du sacrement, au moins hypothétique »[36].

 

III. LE NOUVEAU CODE ET LA CONDITION DE FUTURO

 

  1. A l’heure actuelle le nouveau Code en vigueur entraîne un autre discours sur la condition de futuro parce que, selon le c. 1102 § 1, « le mariage assorti d’une condition portant sur le futur ne peut être contracté validement ».

 

« Cette interdiction cependant – note avec perspicacité la sentence c. Stankiewicz du 13 décembre 2001 rendue dans la cause actuellement étudiée – non seulement menace de nullité la clause conditionnelle, comme certains le pensent, c’est-à-dire reconnaît l’invalidité de toute condition de futuro[37] mais encore rend nulle la déclaration elle-même de la volonté conditionnelle, c’est-à-dire le consentement conditionné à un événement futur et incertain ainsi que le mariage conclu sous une condition de futuro. Ainsi en effet pensent en parfait accord la doctrine et la jurisprudence »[38].

 

Mgr Stankiewicz ajoute : « Actuellement donc, c’est-à-dire sous le nouveau Code en vigueur, chaque fois qu’est apposée au consentement une condition de futuro, le mariage ainsi célébré est totalement vicié par le droit lui-même, c’est-à-dire qu’il est nul, indépendamment de la vérification de la condition. Cette nullité en effet est produite par le simple fait de l’ajout d’une condition de futuro, comme cela arrivait pour les actes légitimes dans l’expérience juridique romaine[39] ».[40]

 

« Comme la règle du c. 1102 § 1 examine la condition de futuro de manière générale, en n’y faisant aucune distinction ultérieure, c’est donc à bon droit que l’on peut admettre que la nouvelle formulation de la loi embrasse également la condition potestative de futuro, positive ou négative, qui invalide le mariage avec le même effet[41] ».[42]

 

« C’est pourquoi – déclare une décision c. Defilippi du 5 juin 2008 – s’il est prouvé, dans le cas, qu’a été apposée une condition de futuro, il faut déclarer la nullité du mariage, sans se préoccuper de savoir s’il s’agit d’une condition de futuro nécessaire, ou impossible, ou honteuse, ou contre la substance du mariage, ou licite, toutes questions abordées dans le c. 1092, n. 1-3 du Code de 1917, bien que nous ne puissions négliger que dans la condition de futuro résolutive il y ait en réalité la simulation du consentement pour exclusion de l’indissolubilité »[43].

 

  1. LA PREUVE DE LA CONDITION

 

  1. En ce qui concerne la preuve, par la confession judiciaire et extrajudiciaire des parties confirmée par des témoins dignes de foi, il faut qu’il soit prouvé que la condition a été ajoutée au consentement par le contractant au moment de la célébration du mariage et qu’elle n’a été ni révoquée, ni remplie, c’est-à-dire vérifiée.

 

Indirectement l’apposition de la condition se reconnaît par deux critères bien connus, dont le premier se rapporte à l’évaluation de l’événement ou de la circonstance que le contractant a eue avant le mariage et à l’existence de quoi il a lié son consentement et la valeur de son mariage, et dont le second concerne l’attitude que le contractant a eue après le mariage, dès qu’il a su que la condition apposée n’était pas remplie. Plus en effet le contractant a eu de considération, avant le mariage, pour l’événement futur mis comme condition, et plus, une fois le mariage célébré, après avoir découvert que la condition n’était pas remplie, il s’est hâté de rompre la communauté conjugale, plus facilement alors s’ouvre la voie pour la reconnaissance de l’apposition d’une condition.[44]

 

Çà et là on invoque des critères de ce genre, parce qu’ils facilitent la preuve, mais il peut y avoir des raisons d’ordre supérieur, par exemple la nécessité de veiller à l’éducation des enfants ou l’espoir d’obtenir la chose souhaitée, qui, nonobstant l’absence de la circonstance, rendent l’auteur éventuel d’une condition incertain et hésitant à interrompre le mariage tout de suite ou peu après celui-ci.

 

« Il faut pareillement remarquer qu’il est exigé une antipathie, après la découverte que la condition n’est pas remplie, qui, tous les éléments étant pris en compte, aura pu exister dans ce cas. C’est pourquoi il n’est pas étonnant, et ce n’est pas contre une condition véritablement apposée, que la partie, pour un motif grave, continue à vivre avec le conjoint qui l’a déçue : soit parce qu’il y a eu peut-être une naissance qui exige les soins des deux parents, soit parce que la partie déçue n’a pas où aller et ne peut donc pas vivre décemment. On peut ajouter que quelques conditions, celles surtout qui ne sont remplies que si l’on tient ses promesses, exigent un certain temps avant qu’on ait la certitude convenable qu’elles ont été remplies […]. Concédons que la vie économique est une cause importante si les époux connaissent des difficultés, à savoir si la partie déçue rejette son conjoint comme non-légitime. Mais s’il en est ainsi, il ne faut pas nécessairement exclure la condition. Nombreux en effet sont ceux qui, mêmes s’ils savent qu’ils n’ont pas voulu contracter ce mariage (la condition n’étant pas remplie), ignorent les conséquences juridiques et l’apposition d’une condition. Ils peuvent donc penser qu’il leur faut rester dans cet état jusqu’à ce qu’apparaisse une voie possible de libération. Mais cette ignorance, même celle qui est comme un acquiescement, ne s’oppose pas par elle-même à l’apposition d’une condition qui, si elle est prouvée par d’autres arguments valides, doit absolument être prise en considération »[45].

 

  1. Enfin « ce qu’a été la véritable volonté positive (qui, dans les conditions, obtient toujours la première place), ne doit pas être tiré de l’écorce des mots employés, mais il faut plutôt examiner la substance de la déposition et la mentalité de celui qui dépose […]. C’est le devoir des juges de soumettre à une évaluation correcte tant les paroles prononcées en les confrontant les unes aux autres – compte tenu de la crédibilité des parties et des témoins -, que les faits eux-mêmes qui regardent la substance de l’affaire à trancher, selon que ces faits sont éclairés de façon péremptoire par les dires de témoins dignes de foi »[46].

 

Ainsi, dans la preuve de la condition apposée il n’y a pas de différence substantielle entre les critères à employer et ceux qui sont employés généralement, même si la mentalité du contractant est psychologiquement différente, dans la preuve de l’erreur sur une qualité directement et principalement visée ou dans celle du dol.

 

Dans ces hypothèses, celui qui se marie « ne décide pas le mariage purement et simplement, mais il décide plutôt le mariage uniquement avec une personne dotée de telle qualité, ou seulement si telle circonstance est vérifiée. C’est pourquoi, entre le mariage et la qualité ou la circonstance s’établit une relation où ces dernières prennent l’ascendant sur le mariage selon l’estimation du contractant »[47].

 

Bref, si la qualité souhaitée existe ou si la circonstance a existé, c’est-à-dire qu’elle est vérifiée, le consentement est valable et donc aussi le mariage. De façon différente, si la qualité ou la circonstance viennent à défaillir, il faut considérer comme sans valeur le consentement et donc comme nul le mariage.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

« L’obstination transcende tout obstacle et montre que rien n’est difficile à celui dont l’esprit impose la patience ». Cette phrase de Sénèque est tout à fait pertinente lorsqu’on regarde le temps et les efforts déployés par le mari défendeur en cette cause. Le libelle est du 12 janvier 1995, il y a déjà eu trois jugements : le premier, en date du 29 septembre 1997, a reconnu la nullité du mariage pour condition apposée par l’épouse et non vérifiée, ainsi que pour exclusion du sacrement de la part du mari ; le second, à la Rote, le 13 décembre 2001, a rejeté les deux chefs ; le troisième, au Tour suivant de la Rote, le 3 octobre 2007, a rejeté le chef d’exclusion du bien du sacrement, le chef de condition ayant été abandonné. Malgré ce rejet, le demandeur, le 23 septembre 2009, a demandé la nouvelle admission du chef de condition, que le premier jugement de 1997 avait déclaré prouvé. La sentence du 25 février 2010 est donc la quatrième en cette cause, et elle porte uniquement sur le chef de condition apposée par l’épouse et non vérifiée, accepté par la sentence de 1° instance, en date du 29 septembre 1997, et rejeté par la sentence de 2° instance (1° Tour Rotal, en date du 13 décembre 2001).

 

  1. Le demandeur et la sentence de 2° instance du 13 décembre 2001

 

Arrigo, le demandeur, déclare, et a toujours déclaré, que l’épouse « a mis expressément une condition sine qua non au mariage, dont l’objet était que je lui aurais acheté et mis à son nom un appartement confortable où pourrait grandir notre future famille ». Arrigo ajoute qu’il a fait semblant de promettre : « Je n’ai jamais eu même la moindre idée d’accepter cette condition et j’ai consciemment simulé chaque fois qu’elle m’obligeait à promettre. De toute façon l’un et l’autre nous calculions, sans le dire, l’avantage que chacun aurait obtenu avec le mariage : elle, l’appartement ; moi, l’héritage », ou encore : « J’avais promis avant le mariage d’acheter cet appartement, mais je n’avais aucune intention de tenir ma promesse ».

 

La sentence rotale de 2001, qui a rejeté les deux chefs de nullité allégués, dont celui de condition, estime que le désir qu’avait l’épouse d’avoir une maison convenable était très raisonnable, mais cette épouse avait-elle apposé une véritable condition ?

 

Si oui, c’est une condition potestative de futuro, mais l’épouse nie avoir mis une condition à son mariage : « J’ai accepté d’épouser Arrigo, mais je ne lui ai jamais demandé d’acheter et de mettre à mon nom une maison qui serait le résultat de mon acceptation […]. J’ai pris l’initiative de prendre, pour mon mariage, la séparation des biens, mais c’était pour garantir notre avenir matrimonial ».

 

Compte tenu de ces éléments, la sentence rotale de 2001 a estimé que l’épouse n’avait pas mis une condition à son mariage, et cependant les Juges soussignés pensent que l’épouse ne dit pas la vérité, car en fait c’est le mari et non l’épouse qui a entrepris le contrat de séparation des biens et c’est dans ce contexte que s’est placée la condition, voulue par l’épouse, d’acheter une maison.

 

  1. Réponse des Juges soussignés à la sentence de 2001

 

Pour répondre plus longuement à la sentence rotale de 2001, il faut dire que dès le début et au cours du procès civil pour la séparation, l’épouse, par l’intermédiaire de son avocat, s’est fortement plainte du non-respect de sa demande, c’est-à-dire du non-respect, par le mari, de la promesse qu’il avait faite d’acheter une maison : « Dès avant le mariage, écrit l’avocat dans sa plaidoirie au civil de décembre 1987, Madame F. avait fait part à M. R. de son désir absolu (la condition sine qua non de son consentement au mariage) que la famille s’installe et vive dans une propriété qui serait la sienne. A ce désir, souvent réitéré après le mariage, M. R. répondait qu’il s’en occuperait le plus tôt possible, mais il invoquait ses difficultés financières pour ne rien faire ».

 

La sentence rotale de 2001 (qui a rejeté les deux chefs invoqués, dont la condition) s’efforce d’atténuer l’importance et le sens de la demande de l’épouse, en faisant remarquer que c’est l’avocat qui a parlé de condition sine qua non, en mettant d’ailleurs ce terme entre parenthèses, et la sentence ajoute : « Le texte de l’avocat parle seulement de désir, d’aspiration de l’épouse, ce qui n’est pas la même chose qu’une condition proprement dite ».

 

Les Juges soussignés répondent que l’épouse a fait part d’un désir absolu (impres-cindibile), exprimé avant le mariage, qu’un certain nombre de faits amènent plutôt à voir comme une condition.

 

Tout d’abord, l’acte de séparation des biens, signé avant le mariage, d’un commun accord entre les époux. Le témoin qui a conseillé le mari dans cette démarche, déclare qu’après la signature du document devant notaire, l’épouse a continué à demander à Arrigo de tenir la promesse qu’il avait faite avant le mariage d’acheter une maison. Et le témoin ajoute qu’aux termes de l’acte notarié de séparation des biens Adriana deviendrait propriétaire à 100 % de tout immeuble acheté en son nom. Il semble bien que si l’épouse a très souvent insisté auprès de son mari pour avoir une maison, c’est en raison d’une promesse qu’elle a reçue de lui.

 

Par ailleurs, le 14 novembre 1986, donc après le mariage, célébré en 1977, Adriana veut faire signer à son mari une lettre, rédigée de la main de l’épouse, mais au nom du mari, où celui-ci aurait déclaré : « Chère Adriana, je me rends compte du moment difficile que nous traversons et du grave état d’insécurité dans lequel je t’ai mise pour ne t’avoir jamais fait vivre dans une maison accueillante et, surtout, qui serait ta propriété, comme je te l’avais promis ». Evidemment Arrigo n’a pas voulu signer ! Mais la promesse dont parle la lettre a amené l’avocat de l’épouse, au procès civil, à faire état du désir absolu (imprescindibile) de sa cliente, qui revient à une condition sine qua non mise par l’épouse à son mariage. En d’autres termes celle-ci établit un lien très fort entre son désir et la promesse de son mari.

 

On peut ajouter une déclaration d’Arrigo lui-même : « Durant notre vie conjugale, Adriana me rappelait ma promesse relative à l’acquisition d’un appartement, qui serait mis à son nom. Ma réponse était évasive, et j’essayais toujours de gagner du temps. De la part d’Adriana la réaction était évidemment toujours plus forte ».

 

Certes la sentence rotale de 2001 (qui a rejeté les deux chefs invoqués, dont celui de condition) fait remarquer qu’il ne faut pas se fier seulement aux paroles et que le problème essentiel est de savoir si l’épouse a lié ou non son consentement au mariage à l’acquisition d’une maison familiale. La même sentence cite des témoins qui parlent de condition sine qua non, mais elle estime que leurs déclarations ne répondent pas à la question : l’épouse a-t-elle fait dépendre la valeur de son consentement et de son mariage à l’achat d’une maison familiale ? On pourrait plutôt penser, poursuit la sentence de 2001, à une obligation imposée par l’épouse à son mari, mais qui a été formulée alors que le consentement matrimonial avait déjà été donné de façon correcte et parfaite, et donc qui ne peut pas vicier le consentement, bien qu’il y ait un véritable devoir, pour le contractant, de s’acquitter de l’obligation imposée.

 

Les Juges soussignés citent maintenant de nombreux témoins du demandeur qui affirment d’une seule voix que l’épouse a mis une condition à son mariage, à savoir l’achat à son nom d’une maison : « Si Arrigo ne s’était pas engagé à l’achat de cette maison, Adriana ne l’aurait pas épousé ».

 

La sentence rotale de 2001 (qui a rejeté les deux chefs invoqués, dont celui de condition) objecte que malgré le non-accomplissement de sa promesse par Arrigo, Adriana a vécu plusieurs années avec lui, et que l’éducation religieuse de l’épouse exclut que cette dernière ait « extorqué » le mariage à un homme riche pour l’achat d’une maison, avec une condition sine qua non à ce sujet.

 

Les Juges soussignés constatent pour leur part que l’épouse a attendu patiemment que son mari remplisse sa promesse, qu’elle a toujours maintenu son désir d’une maison stable qu’elle avait avant le mariage et dont elle avait parlé à son futur mari.

 

On peut dire, estiment les Juges soussignés, que ce qui a tardé, ce qui a été long à arriver, ce n’est pas la réaction de l’épouse devant le comportement de son mari, mais son recours à la séparation lorsque tout espoir d’obtenir ce qu’elle souhaitait ardemment a disparu. Les témoins entendaient bien les doléances d’Adriana : « Elle se lamentait sans cesse du fait qu’elle s’était mariée à condition qu’Arrigo lui achète une maison et qu’au contraire il ne tenait pas sa promesse ».

 

Les circonstances postmatrimoniales montrent bien la condition sine qua non posée par l’épouse.

 

 

Constat de nullité

pour condition apposée par l’épouse

et non vérifiée

 

 

Egidio TURNATURI, ponent

Maurice MONIER

Pio Vito PINTO

 

__________

 

[1] Card. GASPARRI, Tractatus de matrimonio, vol. II, p. 73, n. 878

[2] C. FELICI, 1° décembre 1953, SRRDec, vol. XLIV, p. 731, n. 3

[3] C. GRAZIOLI, 26 février 1940, SRRDec, vol. XXXII, p. 167, n. 4

[4] P. MONETTA, Il matrimonio condizionato nella realtà di oggi, dans Il matrimonio nel diritto canonico e nella legislazione concordataria italiana, p. 201

[5] R. COLANTONIO, La condicio de futuro, dans Diritto Matrimoniale Canonico, LEV 2003, II, p. 426

[6] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, 1969, p. 266

[7] Cf. D’ANNIBALE, Summula Theol. Mor., I, n° 41

[8] D. 12.1.19, 12

[9] O. GIACCHI, ouvrage cité, p. 264

[10] C. DEFILIPPI, 5 juin 2008, n. 4

[11] P.J. VILLADRICH, Il consenso matrimoniale, 2001, p. 443

[12] Ouvrage cité, p. 266

[13] C. BOCCAFOLA, 25 juin 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 553, n. 6

[14] Cf. ‘Matrimonium sub conditione’, Periodica de re morali, canonica, liturgica, 64, 1975, p. 141-142

[15] C. FERRARO, 8 mars 1977, SRRDec, vol. LXIX, p. 107, n. 9

[16] C. BOTTONE, 30 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 703, n. 5 ; cf. c. POMPEDDA, 26 novembre 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 716, n. 2

[17] C. FERRARO, Periodica, vol. LXIX, p. 519

[18] C. GUGLIEMI, 20 février 1929, SRRDec, vol. XXI, p. 119, n. 14

[19] Cf. c. MASSIMI, 23 juin 1923, SRRDec, vol. XV, p. 176, n. 6

[20] C. MATTIOLI, 5 mai 1960, SRRDec, vol. LII, p. 225, n. 3 ; cf. c. POMPEDDA, 28 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 601, n. 4

[21] D. 35, 1, 7, 1 ; ULPIEN, 18 ad Sab

[22] C. POMPEDDA, 26 mai 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 308, n. 3 ; 6 juin 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 471-472, n. 15-16

[23] Ouvrage cité, p. 210-211

[24] Inédite

[25] Voir plus haut, n. 16

[26] C. PARILLO, SRRDec, vol. XXIII, p. 318, n. 15 ; p. 321, n. 20

[27] C. MORANO, 12 août 1929, SRRDec, vol. XXI, p. 459, n. 6 ; c. JULLIEN, 24 novembre 1928, SRRDec, vol. XX, p. 453

[28] DE JORIO, 13 juillet 1977, SRRDec, vol. LIX, p. 384, n. 3

[29] C. PINNA, 27 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 220

[30] C. SERRANO, 1° juin 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 469

[31] C. SERRANO, même sentence, p. 470, n. 6

[32] D. STAFFA, De condicione potestativa in contractu matrimoniali, Monitor Ecclesiasticus, 79, 1954, p. 648

[33] C. POMPEDDA, 6 juin 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 472, n. 16

[34] Ouvrage cité, p. 207, n. 3

[35] P. MONETA, ouvrage cité, p. 211, n. 4

[36] C. TURNATURI, 15 décembre 2005, n. 8

[37] C. PALESTRO, 17 décembre 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 730, n. 5 ; c. BOCCAFOLA, 27 mai 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 321, n. 3

[38] C. STANKIEWICZ, 13 décembre 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 791, n. 16

[39] D. 50, 17, 77

[40] Sentence citée, p. 792, n. 17

[41] Cf . PRADER, Il matrimonio in Oriente e Occidente, Rome 1992, p. 187 ; R. COLANTONIO, La ‘condicio de futuro’, p. 52 ; c. TURNATURI, 30 janvier 1992, citée, p. 14, n. 6

[42] C. STANKIEWICZ, même sentence, n. 18

[43] C. DEFILIPPI, n. 12

[44] C. WYNEN, 2 juillet 1949, SRRDec, vol. XLI, p. 339, n. 2 ; c. PARISELLA, 12 mars 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 270, n. 5 ; c. FERRARO, 23 mai 1972, SRRDec, vol. LXIV, p. 324, n. 9 ; c. STANKIEWICZ, 30 janvier 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 18, n. 14 ; c. DEFILIPPI, 28 mars 1995, vol. LXXXVII, p. 228, n. 13

[45] C. FELICI, 9 février 1954, SRRDec, vol. XLVI, p. 109, n. 5

[46] C. BEJAN, 5 mai 1973, SRRDec, vol. LXV, p. 396-397, n. 6

[47] C. BOCCAFOLA, 25 juin 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 553, n. 6

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.