Sciacca 23/10/2009

Sciacca 23/10/2009

Coram SCIACCA

 Exclusion du bien du sacrement

Violence et crainte

 Tribunal interdiocésain de Salerne (Italie) – 23 octobre 2009

P.N. 19.838

Non Constat pour les 2 chefs

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PLAN DE L’IN JURE

  1. L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT
  1. LA VIOLENCE ET LA CRAINTE
  2. Le contrat particulier qu’est le mariage
  3. La liberté du choix de l’état de vie
  4. La crainte
  5. La crainte révérentielle

 

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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)

 

Francesco G., âgé de 28 ans, épouse le 21 septembre 1980 Laura B., de dix ans sa cadette. La vie conjugale, où naît une petite fille, ne dure pas longtemps ; les époux se séparent en 1984 et le divorce civil est prononcé en 1989.

 

Laura, le 17 avril 2004, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique interdiocésain de Salerne, où elle accuse son mariage de nullité pour exclusion, de sa part, de l’indissolubilité. La sentence du 25 février 2006 est négative.

 

L’épouse fait appel à la Rote le 22 juin 2007, et son avocat demande que soit ajouté, comme en première instance, le chef de violence et crainte infligées à l’épouse, ce qui est accordé.

 

 

EN DROIT

 

  1. Comme l’a constamment soutenu la jurisprudence de Notre For, chaque fois que par une simulation – moyennant un acte positif de volonté – est exclu une propriété ou un élément essentiel du mariage, ou le mariage lui-même, le consentement matrimonial manque totalement. Lorsque, par ailleurs, quelqu’un, sous l’effet d’une coaction, consent au mariage, une telle volonté, même forcée, est toujours une volonté et, bien que déclaré nul par la loi positive, le consentement donné sous l’effet de la crainte est toujours un consentement.

 

  1. Lorsque donc un mariage est prétendu nul, soit par exclusion du bien de l’indissolubilité, soit pour violence et crainte – comme dans le cas présent – il faut d’abord traiter de la simulation alléguée du consentement, et ensuite de la violence ou de la crainte qui auraient été infligées. Il est en effet impossible d’infirmer un consentement qui n’existe pas, puisque s’il est réellement prouvé qu’une simulation a eu lieu, il sera inutile de rechercher si le consentement a été extorqué ou non.

 

« Un consentement qui n’a pas été émis – lit-on dans une sentence de De Jorio du 29 avril 1964 – ne peut être déclaré contraint ou infecté par un autre vice de la volonté […]. S’il est prouvé qu’on a menacé d’un mal grave l’un ou l’autre des conjoints, ou chacun d’eux, si celui-ci refusait de contracter le mariage qui lui était imposé, le Juge devrait voir d’abord si la victime de la violence a simulé son consentement, c’est-à-dire si intérieurement elle ne l’a pas donné, et c’est seulement s’il estime devoir répondre négativement à ce doute qu’il pourra se poser la question de l’invalidité du consentement donné sans l’effet de la coaction »[1].

 

  1. L’EXCLUSION DU BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. Concernant l’exclusion de l’indissolubilité du lien du mariage, les principes jurisprudentiels ont été mille et mille fois étudiés par Notre Saint For, et décrit et exposés par la doctrine commune et approuvée.

 

Il suffira ici de rappeler brièvement ce que le droit connu de tous déclare pour qu’il y ait simulation du bien du sacrement, comme d’ailleurs dans les autres espèces de simulation, à savoir qu’est requis un acte positif de volonté, c’est-à-dire un propos ferme, délibéré et conscient, de ne contracter son propre mariage que dissoluble.

 

C’est pourquoi l’acte positif de volonté contre le bien du sacrement ne peut pas être confondu avec la simple hypothèse ou la prévision de la séparation ou de l’échec du mariage, ni avec des paroles favorables au divorce, prononcées avec jactance.

 

  1. La simple erreur concernant l’indissolubilité, « pourvu qu’elle ne détermine pas la volonté » – (c’est-à-dire ne pénètre pas la volonté, ou ne devienne pas un acte de volonté) – ne vicie pas le consentement matrimonial » (c. 1099).

 

  1. Le bien du sacrement n’admet pas de distinction entre le droit et l’exercice du droit : en effet celui qui exclut l’exercice de ce droit, veut par le fait même que son mariage soit soluble et donc, et cela nécessairement, il rejette le droit lui-même de l’indissolubilité, comme l’enseigne le Docteur Angélique.[2]

 

  1. En ce qui concerne la preuve – « le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1) – la présomption du droit peut être surmontée par une solide démonstration : par la confession, même non décrétoire, du simulant allégué ; par un motif grave et proportionné de cette simulation, prévalant sur la cause qui a poussé au mariage. Si cette démonstration n’est pas faite, ou, pire, si d’après les actes on découvre la cause qui a poussé à un mariage correct, c’est en vain qu’agit la partie qui accuse son mariage de nullité pour simulation du consentement.

 

Ensuite l’argument venant des témoignages ne doit pas être sous-estimé : il doit s’agir de témoins qui rapportent ce qu’ils ont appris de la part du simulant, à une époque non suspecte.

 

Enfin il faudra voir les éléments antécédents, concomitants et subséquents à la célébration du mariage, « si et dans la mesure, écrit Brennan dans une sentence du 18 mars 1964, où ils ne peuvent s’expliquer que si l’on admet la simulation »[3].

 

  1. LA VIOLENCE  ET  LA  CRAINTE

 

  1. Le contrat particulier qu’est le mariage

 

  1. Personne ne peut nier – à moins de vouloir soustraire quelque chose à l’aspect personnaliste qu’il a à la lumière de la doctrine chrétienne – que le mariage a la stature juridique d’un contrat particulier, celui d’un contrat synallagmatique entre un homme et une femme qui se donnent l’un à l’autre pour constituer une « communauté de toute la vie » (c. 1055 § 1).

 

  1. Puisqu’il s’agit de parler juridiquement de contrat, nous ne pouvons pas ne pas ajouter – en développant notre réflexion – que le contrat particulier est une espèce du genre qu’on appelle affaire juridique, qui embrasse des espèces diverses comme le mariage, le testament et ainsi de suite.

 

L’essence d’une affaire juridique réside dans la volonté du sujet d’où surgit ce qu’on appelle un « fait juridique » pour la réalisation duquel il faut nécessairement l’existence de la volonté, de la déclaration de cette volonté, ainsi que de la conformité entre cette déclaration et la volonté elle-même, comme nous l’avons dit plus haut à propos du consentement simulé.

 

En effet, par cette affaire, le sujet dispose de ses propres droits, il met en jeu sa propre vie, etc.

 

En ce qui concerne la validité de cette affaire juridique, il est exigé l’expression d’une volonté agissant librement.

 

  1. La liberté du choix de l’état de vie

 

  1. L’Eglise protège vigoureusement la liberté de chacun dans le choix de son état de vie (c. 219) et c’est pourquoi elle tient pour invalide « le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la crainte grave externe, même si elle n’est pas infligée à dessein, dont une personne, pour s’en libérer, est contrainte de choisir le mariage » (c. 1103).

 

Le consentement donné sous l’effet de la crainte, très certainement, peut très difficilement s’accorder avec la liberté dont, de droit naturel, doivent se conclure les mariages, absolument indissolubles pour la vie.

 

Enfin, la liberté des mariages conclus sous l’effet de la crainte n’est pas protégée, comme selon le droit romain, par une action rescisoire – car le mariage, selon sa constitution par le Créateur, jouit de l’indissolubilité – mais par une action déclaratoire de nullité.

 

  1. La crainte

 

  1. Mais, à ce stade de notre étude, qu’est-ce que la crainte ?

 

C’est, brièvement, une impulsion psychologique qui provient de la perception d’un péril imminent concernant les biens essentiels de la personne, comme sa vie, sa liberté, son salut.

 

C’est pourquoi il y a une lésion de la liberté de la décision délibérée.

Il coule de source que la crainte ne frappe que ceux qui se refusent à quelque chose ou y répugnent, et c’est pourquoi, comme la jurisprudence de Notre For l’a depuis très longtemps et clairement exposé, ne doit pas être censé avoir subi une coaction celui qui contracte mariage avec une personne pour laquelle il n’a pas d’aversion.

 

Toute coaction pour le mariage, en effet, suppose nécessairement l’aversion, soit pour l’autre partie, soit pour le mariage lui-même, de celui qui se dit contraint.

 

En effet, s’il peut y avoir aversion sans coaction, ainsi lorsqu’une personne ayant de l’aversion peut parfois contracter librement pour obtenir des avantages de son mariage, jamais par contre il ne peut y avoir coaction sans aversion, puisque personne ne peut être contraint à une chose qui lui convient par elle-même.

 

En conséquence, là où l’aversion est niée ou non prouvée, on ne voit pas pourquoi on parlerait de coaction.

 

  1. La crainte révérentielle

 

  1. La crainte révérentielle – que la demanderesse en la cause présente dit avoir subie – est généralement présumée légère par elle-même, mais, si elle est qualifiée, elle peut devenir grave et irriter le mariage.

 

Les prières, même instantes et réitérées, les exhortations, les conseils, les tentatives de persuasion ainsi que toute impulsion ou coaction modique – qui ne privent pas l’enfant de liberté – que les parents, en raison de leur mission et de leur devoir dans la conduite de leurs enfants, exercent et emploient, ne constituent pas une crainte révérentielle irritant le consentement valide.

 

  1. On distinguera à juste titre de la crainte révérentielle irritante la façon de se comporter de la partie contractante vis-à-vis de ses parents ou supérieurs, c’est pourquoi, dans la gravité à exiger et à évaluer de la crainte révérentielle il faut surtout trouver et examiner l’aversion, avec son degré et sa constance, que la victime alléguée de la crainte a éprouvée pour son partenaire ou pour le mariage lui-même.

 

Mais cela suffit, comme nous l’avons exposé plus haut.

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Les Pères soussignés pensent qu’il n’y a aucun indice de preuve de chacun des deux chefs allégués.

 

  1. L’exclusion de l’indissolubilité

 

Les Juges de Salerne avaient déjà rejeté ce chef de nullité, ce que nous approuvons.

 

En effet Laura, parlant de la période de ses fiançailles, déclare que Francesco et elle ont librement décidé de se marier, et selon elle, « nous n’avions aucun doute et nous ne nous sommes pas posé le problème de savoir si nous nous serions séparés en cas de difficultés ». En seconde instance, l’épouse ajoute : « Quand je me suis mariée, je ne savais rien du mariage comme sacrement, et j’ignorais totalement qu’il était indissoluble ».

Cela étant, on ne peut admettre que l’épouse ait été capable d’émettre un acte ferme et positif de volonté contre l’indissolubilité de son mariage, qu’elle déclare avoir ignorée.

 

On sait que l’erreur ou l’ignorance portant sur l’indissolubilité n’irritent pas le consentement. De plus, comment rejeter ce qu’on ne connaît pas ?

 

Par ailleurs, Laura ayant déclaré en première instance qu’elle n’avait pas, pendant ses fiançailles, parlé avec Francesco des obligations conjugales, les Juges de 1° instance se sont interrogés : comment, dans ces conditions, Laura pouvait-elle émettre une réserve mentale sur la perpétuité du lien ?

 

De son côté, Francesco affirme que jamais Laura et lui-même n’ont parlé, avant et après le mariage, de séparation ou de divorce en cas d’échec de leur union.

 

Quant aux témoins, Laura reconnaît qu’elle n’a jamais parlé, à ses parents ou à ses amis, de ses réserves sur l’indissolubilité, et ceux-ci confirment, devant le Tribunal de 1° instance et celui de 2° instance, qu’effectivement Laura ne leur a jamais fait de confidences à ce sujet.

 

Enfin, en ce qui concerne la cause de l’exclusion alléguée de l’indissolubilité par l’épouse, on remarquera simplement que l’échec du foyer est dû à la passion du jeu qu’avait Francesco, qui a abouti à de grandes difficultés financières, et que Laura a découverte en 1984, quatre ans après son mariage.

 

La cause de l’exclusion de l’indissolubilité n’existe pas et il est certain que Laura ne s’est pas mariée avec la volonté positive de dissoudre le lien conjugal.

 

  1. La violence et la crainte

 

Sur l’instance de l’épouse a été ajouté, en appel, tamquam in prima instantia, le chef de violence et crainte subies par celle-ci.

 

Pourquoi n’a-t-il pas été invoqué en première instance ? Quoi qu’il en soit, les actes montrent que Laura n’avait aucune aversion pour Francesco. Cependant elle déclare : « Ma mère voulait m’établir et, si elle n’a pas fait pression sur moi par des paroles, elle m’a bien fait comprendre que c’était une excellente chose … Tout était prêt et je devais me marier ».

 

Francesco, de son côte, affirme que Laura n’avait aucune aversion à son égard et que personne ne l’a forcée à se marier, et il tient à préciser : « Laura n’était pas enceinte ».

 

Un témoin, Raphaela G., « croit que Laura s’est mariée pour ne pas déplaire à sa mère et (est) persuadée qu’elle s’est mariée avec la conviction que les choses devaient aller ainsi ». Une sœur de Laura, Clementina, déclare : « ma sœur n’a pas été contrainte par ma mère mais elle s’est trouvée prise dans un enchaînement de circonstances qui ne lui a pas permis de prendre une décision adéquate ». Les juges pensent qu’il n’y a pas là d’indice d’une coaction, mais peut-être d’un défaut de liberté interne, selon le c. 1095, 2°, mais là n’est pas le sujet.

 

Donc, il n’est pas prouvé qu’il y ait eu coaction. Nous pouvons admettre que Laura n’a pas voulu faire de peine à sa mère, qui voulait que ses filles fassent un bon mariage. Bien qu’elle ait accepté, par obéissance à sa mère, d’épouser Francesco, on ne peut pas dire qu’elle s’est mariée malgré elle et on doit reconnaître que l’influence de sa mère n’a pas dépassé les limites de la modération, d’autant que la mère n’a jamais menacé sa fille. Tout au plus pouvons-nous dire que Laura, guidée par les paroles de sa mère, a agi plus par raison que par amour pour Francesco, et de fait elle n’a rien fait pour se soustraire à l’influence de sa mère.

 

 

Non Constat de nullité

pour les deux chefs allégués

 

 

Giuseppe SCIACCA, ponent

Giovanni VERGINELLI

Agostino DE ANGELIS

 

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[1] C. DE JORIO, 29 avril 1994, SRRDec, vol. LVI, p. 317-318, n. 15

[2] SAINT THOMAS, Supplément, q. 49, a. 3, c

[3] C. BRENNAN, 18 mars 1964, SRRDec, vol. LV, p. 205, n. 3

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.