Recueil de bonnes pratiques des procédures matrimoniales pour les officialités francophones |
Postface de Mgr Barrigah
Recueil de bonnes pratiques des procédures matrimoniales pour les officialités francophones |
Postface de Mgr Barrigah
Coram SABLE
Défaut de discretio judicii
Tribunal régional du Latium (Italie) – 19 février 2009
P.N. 20.043
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
Introduction : le consentement matrimonial
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Maria Luigia et Elio se rencontrent durant l’été 1972. A l’époque, Maria Luigia poursuivait ses études et habitait un petit village tandis qu’Elio faisait son service militaire.
Maria Luigia avait une vie difficile, avec un père alcoolique et violent, et une mère protestante, ce qui en ce temps-là était un scandale. La jeune fille n’avait aucune relation amicale et après ses études devait garder les moutons, alors que ses sœurs, pour leur scolarité, vivaient en dehors du domicile familial. Toujours seule, Maria Luigia est victime en 1967 de violences sexuelles.
Ayant fait la connaissance d’Elio, Maria Luigia noue avec lui une relation amicale puis amoureuse. Peu de temps après leur première rencontre ils décident de se marier et, le 21 septembre 1974, ils célèbrent leur mariage. Un enfant vient au monde, mais de graves discordes se manifestent entre les époux, qui se séparent en 1984. Le divorce est prononcé en 1989.
Le 22 septembre 1999, Maria Luigia présente un libelle au Tribunal régional du Latium, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour grave défaut de discretio judicii de sa part. Lors de l’instruction du procès une expertise est réalisée. Le 12 février 2003, le Tribunal rend une sentence négative. En appel devant le Tribunal du Vicariat de Rome, après un complément d’enquête et deux nouvelles expertises, l’une ex officio, l’autre sur décision personnelle de la demanderesse, la sentence du 27 septembre 2006 infirme la décision précédente et se prononce pour la nullité du mariage.
Devant le Tour Rotal, le doute est concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour grave défaut de discretio judicii de la part de l’épouse demanderesse (c. 1095, 2°) ?
EN DROIT
Introduction : le consentement matrimonial
Bien que le mariage en cause ait été célébré avec l’entrée en vigueur du nouveau Code, l’affaire est à résoudre suivant la norme du c. 1095, 2°, car la norme du c. 1095 sur l’incapacité consensuelle explicite les principes reconnus du droit naturel qui doivent être considérés comme contenus implicitement dans l’ancien Code.
Pour que le consentement matrimonial soit un acte humain, dans une affaire d’une si grande importance qu’est l’alliance matrimoniale, il est requis que celui qui se marie soit doté non seulement de la connaissance, de la part de l’intelligence, mais également de la capacité de se déterminer librement à agir, c’est-à-dire de la capacité de décider de façon délibérée ce qu’il appréhende sous la caractéristique du bien.
Pour cela le simple usage de la raison ne peut pas suffire, il est requis par contre une discretio judicii proportionnée à cette si grave affaire. Pour que cette maturité-discretio judicii soit suffisante pour émettre un consentement valide, il faut de façon très sûre qu’il y ait le concours des éléments suivants :
La discretio judicii : « requiert par elle-même deux éléments : une connaissance critique ou estimative de l’objet du consentement et la liberté intrinsèque de décider délibérément le mariage ». Il faut que chacun de ces éléments soit proportionné aux très graves droits-devoirs essentiels du mariage. C’est-à-dire : « La formule employée par le canon assume quasi formellement un concept, pourrait-on dire, mathématique en tant qu’il établit le principe de proportionnalité entre l’acte psychologique qu’est le consentement (intelligence – volonté – affectivité) et l’objet de ce dernier, à savoir le mariage (droits-devoirs essentiels) »[1]. C’est pourquoi tant le degré de maturité du jugement que celui de la liberté interne sont à mesurer à la gravité de l’affaire matrimoniale, de telle sorte que les contractants soient considérés comme capables de contracter »[2].
« Il faut toujours faire très attention, dans chaque cas, au degré de liberté, et c’est pourquoi il faut prendre le sujet dans sa totalité indivisible avec toutes ses qualités personnelles provenant, à divers degrés et de diverses façons, de sa constitution physique, psychique, des sens et des perceptions de son esprit et de sa nature, des impulsions de sa mémoire, de celles de son éducation et de sa vie antérieure. Là où sont présents des éléments morbides et des conditions négatives, intrinsèques ou extrinsèques, cette situation affecte l’état de l’esprit d’autant plus que diminue le degré de liberté des facultés de l’intelligence et de la volonté »[3].
Le mariage, certes, ne peut pas être considéré comme le sommet de la maturité acquise, mais plutôt comme « un degré dans le processus d’acquisition d’une maturité plus pleine »[6].
Il est très certainement difficile de définir la maturité et donc il est ardu de disserter sur l’immaturité et sa gravité. « Ce qu’est la maturité – remarque une sentence c. Huot, du 18 juillet 1983 – personne ne peut le définir clairement. G.W. Allport déclare : ‘Les psychologues ne peuvent pas nous dire ce que signifient véritablement la normalité, la santé ou la maturité dans la personnalité ; pourtant toute personne engagée dans la pratique, y compris les psychologues et les psychothérapeutes, voudrait bien le savoir’. Cet auteur ne propose aucun critère pour déceler et décrire la maturité, mais il avoue candidement : ‘quelques personnes s’approchent de la maturité, mais existe-t-il quelqu’un qui l’atteigne pleinement ?’ »[7].
De toute façon, autre est la maturité psychique, au sens général et très large, autre est la maturité canonique qui est requise pour émettre un consentement valide. Si l’on va au-delà de ces deux notions et de leurs dimensions, « on finit par confondre une maturité psychique qui serait le point d’arrivée du développement humain avec la maturité canonique qui, au contraire, est le point minimum de départ pour la validité du mariage »[8].
Le sujet capable de célébrer le mariage doit percevoir et évaluer la nature du contrat qu’il veut conclure. Il doit en plus se déterminer correctement et librement à ce contrat à passer avec une personne déterminée.[9]
C’est pourquoi « la discretio judicii ou, en d’autres termes, la capacité psychique de contracter mariage, comprend et l’intégrité fondamentale de la faculté intellective, en laquelle les scolastiques distinguent l’aspect spéculatif et l’aspect pratique, et l’intégrité fondamentale de la faculté volitive. En d’autres termes, il s’agit de la dotation propre de la structure interne, qui constitue toute personnalité et lui permet d’atteindre sa maturité, au moins celle qui est commune, par le cours normal des choses »[10].
« Est affecté d’un défaut de discretio judicii, selon le c. 1095, 2°, le contractant qui est incapable de faire l’acte de libre décision déterminée concernant les droits essentiels à donner et à recevoir mutuellement, et donc celui qui n’est pas capable de vouloir le mariage comme communauté de toute la vie, dotée des propriétés de l’indissolubilité et de l’unité, et ordonnée au bien des conjoints, et bien plus à la procréation et à l’éducation des enfants »[11].
Cependant, « ce n’est pas tout défaut de discretio, ou un défaut d’une nature quelconque, qui vicie le consentement matrimonial, mais seulement un défaut grave. La gravité,pour sa part, doit être estimée en relation aux droits et aux obligations essentielles du mariage »[12].
Ce n’est pas la mission de l’expert de porter un jugement sur la nullité du mariage. Comme l’écrit en effet Mgr Charles Lefebvre, l’objet de l’expertise judiciaire doit concerner « la nature de la perturbation mentale, c’est-à-dire son diagnostic, son degré, son début et sa fin, sans oublier ses effets non juridiques. Il revient en effet aux experts de définir la condition mentale du malade au moment de la célébration du mariage, ainsi que son importance sur les actes non juridiques posés par le malade »[13].
EN FAIT
Les Pères du Tour estiment que les arguments développés par la seconde instance sont suffisamment clairs et solides pour déclarer la nullité du mariage pour défaut de discretio judicii chez l’épouse demanderesse.
Sa crédibilité n’est mise en doute par aucun des témoins, ceux-ci jouissant de plus de leur propre crédibilité.
Il faut noter tout d’abord que la vie difficile de Maria Luigia dans son enfance et son adolescence a joué un grand rôle dans le processus d’évolution de sa personnalité, comme l’a bien montré la sentence de 2° instance.
En 1° instance, Maria Luigia avait décrit son ambiance familiale : sa mère, catholique devenue par la suite protestante évangéliste, ce qui avait causé un grand et durable scandale dans son petit village ; son père, furieux des critiques des voisins, passait sa colère sur sa femme ; il était de plus alcoolique et battait parfois aussi ses enfants. Maria Luigia souffrait d’une absence de dialogue avec ses parents, d’humiliations de leur part, ce qui la rendait taciturne et repliée sur elle-même.
Pour ses études, Maria Luigia, après son passage en école élémentaire et moyenne dans son village, aurait voulu aller au lycée, mais son niveau scolaire était trop faible et ses parents, refusant qu’elle prenne des cours privés pour rattraper son retard, l’inscrivirent dans une école de couture. Maria Luigia se sentit rabaissée, dans un milieu très différent de ce qu’elle avait souhaité, tomba en dépression, ne se fit aucune amie ni relation parmi les élèves de l’école, et se referma davantage sur elle-même.
De plus, alors qu’elle avait 11 ans, elle subit des violences sexuelles. Les juges de 1° instance ont estimé que Maria Luigia et ses témoins n’avaient pas donné de renseignements adéquats sur ce point, alors que la déposition de la demanderesse avait été explicite : à l’époque elle ne savait rien de la sexualité et cet épisode douloureux l’a profondément marquée. Cependant elle n’a parlé de rien à sa mère, craignant que celle-ci ne voie la chose que comme « dégoûtante », réservée aux animaux. Quand ses parents ont finalement été informés de la situation, ils ne se sont pas préoccupés de la santé physique et mentale de leur fille.
Le moins qu’on puisse en conclure est que l’ensemble des faits évoqués démontrent que la personnalité de la demanderesse a été fortement perturbée et que son évolution affective a été fondamentalement troublée.
Les déclarations de Maria Luigia sont amplement confirmées par les témoins, dont sa mère et surtout sa sœur Giovanna, qui retrace abondamment toute la vie et les épreuves de la demanderesse. Les témoignages de nombreuses autres personnes renforcent la crédibilité des dépositions de Maria Luigia.
Lorsque Maria Luigia fit la connaissance d’Elio, pour lequel elle n’avait pas de véritable amour, elle proposa le mariage au jeune homme, mais ce mariage représentait pour elle le départ de sa famille, la libération de son ambiance sociale, et il est hors de doute qu’elle a voulu se marier sans avoir la liberté interne pour s’engager, ni la faculté d’évaluer la nature et les obligations du mariage. La sentence de 2° instance a bien reconnu que « la demanderesse a montré qu’elle n’a pas eu une perception claire et lucide de ce qu’elle voulait de son mariage. Elle voulait s’échapper et espérait, avec le mariage, surmonter et oublier le passé ».
Ces circonstances subséquentes confirment pleinement que Maria Luigia s’est mariée sans une capacité suffisante d’estimer les droits-devoirs du mariage à donner et à recevoir par le consentement.
La vie conjugale fut très difficile. Maria Luigia s’efforça de nouer une relation interper-sonnelle avec son mari, d’être une bonne épouse, mais en vain. La demanderesse parle de difficultés d’ordre sexuel, montrant par là qu’elle n’avait pas surmonté les séquelles du traumatisme subi dans son enfance et qu’elle n’était pas capable de mener une vie sexuelle calme et normale avec son mari.
Les trois expertises réalisées au cours des instructions de 1° et de 2° instance aboutissent, avec des nuances inévitables, aux mêmes conclusions : immaturité grave de Maria Luigia et, chez elle, « trouble non autrement spécifié ». (Il est inutile de retranscrire ou même de résumer les longs développements des experts.)
Les Juges du Tour Rotal, convaincus de l’immaturité psycho-affective et psychosexuelle de la demanderesse, entraînant un défaut de liberté interne dans sa décision de mariage, reconnaissent chez Maria Luigia un grave défaut de discretio judicii et une réelle incapacité d’émettre un consentement valide au moment de la célébration du mariage.
Constat de nullité
pour grave défaut de discretio judicii
chez l’épouse demanderesse
Vetitum pour l’épouse
Robert M. SABLE, ponent
Egidio TURNATURI
Maurice MONIER
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[1] M.F. POMPEDDA, Annotazioni sul diritto matrimoniale nel nuovo Codice canonico, Padoue 1984, p. 49
[2] C. POMPEDDA, 21 novembre 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 649, n. 5
[3] C. SABLE, 8 avril 1997, sent. 31/97, p. 4, n. 5
[4] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 25 janvier 1988, AAS, 1988, p. 1183
[5] C. PALESTRO, 28 juin 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 448, n. 4
[6] C. POMPEDDA, 3 juillet 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 388, n. 18
[7] C. HUOT, 18 juillet 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 442, n. 7
[8] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, AAS 79, 1987, p. 1457, n. 6
[9] Cf. c. GIANNECCHINI, 13 avril 1984, SRRDec, vol. LXXVI, p. 248, n. 2
[10] C. STANKIEWICZ, 5 avril 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 169, n. 5
[11] C. PALESTRO, 28 juin 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 448, n. 4
[12] C. COLAGIOVANNI, 30 juin 1982, vo. LXXXIV, p. 386, n. 10
[13] CH. LEFEBVRE, De peritorum judicumque habitudine in causis matrimonialibus ex capita amentiae, Periodica 65, 1976, p. 116
Coram SABLE
Défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer
Birmingham (Grande-Bretagne) – 7 février 2008
P.N. 16.949
Constat de nullité
pour l’incapacité d’assumer
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PLAN DE L’IN JURE
Préliminaires
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Les deux parties, Francis et Catherine, font connaissance en novembre 1973. A Pâques 1974, leur relation devient amoureuse et ils ont des intimités sexuelles. Catherine est bientôt enceinte (il y aura par la suite une fausse couche), si bien que les jeunes gens décident de se marier, et la célébration a lieu le 5 octobre 1974. La communauté conjugale n’est pas heureuse et les époux se séparent. Une tentative de renouer la vie commune a lieu et une petite fille vient au monde, le 18 novembre 1981, mais peu de temps après le mari quitte définitivement sa femme et le divorce est prononcé.
L’épouse, le 16 juillet 1987, s’adresse au Tribunal ecclésiastique de Birmingham pour demander la déclaration de nullité de son mariage au double motif de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer les obligations conjugales de la part du mari. L’instruction se fait sans que soit ordonnée une expertise. La sentence du 18 juillet 1990 est négative sur les deux points.
L’épouse fait appel au Tribunal de seconde instance de Liverpool. L’instruction est complétée par une expertise. Le 2 juin 1993, le Tribunal rend une sentence affirmative, qui infirme celle de 1° instance.
En 3° instance à la Rote, il Nous revient de répondre au doute concordé le 25 juillet 1996 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii chez le mari, partie appelée, et pour incapacité de celui-ci d’assumer les obligations essentielles du mariage ? ». Une nouvelle instruction est effectuée et une seconde expertise est exécutée.
EN DROIT
Préliminaires
Comme chacun le sait, selon la norme du c. 1057 CIC, « c’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine ».
Pour qu’il y ait l’habilitas, la possibilité juridique de se marier, les contractants doivent avant tout jouir d’une triple capacité : celle de comprendre, celle d’estimer, et celle d’assumer et de donner l’objet du contrat matrimonial.
Selon les principes du droit, dans la loi que nous suivons, sanctionnée par le Législateur Suprême, mais qui est fondée sur le droit naturel, « sont incapables de contracter mariage les personnes :
1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;
2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ;
3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage » (c. 1095).
LE GRAVE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII
Pour que le contractant puisse comprendre la nature et la force du contrat conjugal, il doit avoir une maturité de connaissance et de liberté proportionnée au contrat, maturité dont le niveau est déterminé indirectement compte tenu de l’objet formel du consentement matrimonial.
Le contractant doit être capable de percevoir, d’estimer, d’évaluer, et de se déterminer librement à l’instauration d’une communauté conjugale, perpétuelle et exclusive, ordonnée à la génération et à l’éducation des enfants, libre qu’il doit être non seulement de coaction externe mais plutôt de coaction psychique interne, c’est-à-dire avec une pleine faculté de décider de façon délibérée en sorte que les droits et les devoirs du mariage soient donnés et assumés sciemment et librement.
Chaque numéro du c. 1095 est un chef autonome de nullité. Au n° 1 sont concernées les personnes qui ne comprennent pas la nature et les obligations du mariage en raison d’une carence de l’usage suffisant de la raison et donc ne peuvent pas vouloir le mariage tel qu’il est proposé par l’Eglise. Au n° 2 sont concernés ceux qui comprennent la nature et les obligations du mariage mais qui ne peuvent pas les évaluer et les peser de façon critique et ne peuvent pas non plus émettre un jugement pratico-pratique à leur sujet par manque de discretio judicii ou parce qu’ils ne jouissent pas de liberté interne. Au n° 3, enfin, sont concernés ceux qui jouissent de l’usage de la raison, qui jouissent également de discretio judicii (ils ont donc la capacité de comprendre, d’estimer, d’évaluer et ont une liberté interne), mais qui, en raison d’une condition psychique pathologique, sont inaptes à assumer ou à remplir les obligations essentielles du mariage.
La discretio judicii comprend trois éléments : une connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement, une connaissance critique ou estimation proportionnée au mariage à célébrer, et une liberté interne, c’est-à-dire la capacité de délibérer après une évaluation suffisante des motifs, et cela de façon autonome, c’est-à-dire sans aucune détermination d’une impulsion externe.[3]
En conséquence, les contractants doivent, de la part de l’intelligence, avoir une connaissance minimale, selon le c. 1096, de l’institution du mariage, mais il est nécessaire que chacun jouisse aussi d’une maturité de discretio. La discretio judicii, outre une perception théorique, implique également une évaluation pratique de telle façon que « […] compte tenu de la nature du mariage, c’est-à-dire d’une affaire entraînant des obligations graves et perpétuelles tant envers son conjoint qu’envers les enfants à venir et également envers la société, ainsi qu’après avoir examiné les circonstances de son mariage, (le contractant) puisse établir par un jugement pratico-pratique s’il y a intérêt pour lui à contracter mariage avec cette personne déterminée ou s’il y a dommage à le faire, s’il convient ou non d’épouser cette personne, et enfin s’il est expédient, commode et utile, de se marier maintenant ou plus tard, à un moment plus opportun »[4]. C’est pourquoi le contractant doit clairement évaluer les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement, non pas de façon purement théorique, c’est-à-dire à propos du matrimonium in fieri, du mariage-alliance, mais également de façon pratique, c’est-à-dire à propos du matrimonium in facto esse, du mariage-état de vie.
De la part de la volonté il est nécessaire que l’acte qui est posé procède d’une décision délibérée libre du contractant, c’est-à-dire sans aucune coaction psychique ou aucune impulsion irrésistible, de telle sorte que la décision du mariage soit au plein pouvoir du contractant.
On lit dans une sentence c. Pompedda du 16 décembre 1985, « il y a liberté interne lorsque le sujet, et en l’espèce celui qui se marie, a la faculté de se déterminer lui-même de façon intrinsèque, ce qui en vérité n’exige pas l’absence totale d’impulsions, qui proviennent du caractère, de la vie passée, des circonstances existentielles, de l’éducation, du mode d’agir ainsi que des schémas de la loi morale. La liberté peut parfaitement exister avec des impulsions internes de ce type, mais elle requiert la capacité de leur résister »[5].
Selon le texte de la loi, ce n’est pas n’importe quel défaut de discretio judicii qui induit l’incapacité de contracter mariage, mais seulement celui qui est grave et qui regarde les droits et devoirs essentiels du mariage. Cette gravité est à considérer sous un double aspect, selon une sentence c. Stankiewicz du 28 mai 1991 : « […] tant dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits et devoirs essentiels du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective, du contractant doit garder la proportion requise, que dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii »[6].
L’affectivité, qui constitue un élément essentiel de la personnalité humaine, est ainsi définie par les psychiatres : « Dans le concept d’affectivité nous comprenons la vie des sentiments et de l’âme, les affects, les états d’âme, les émotions et l’instinctivité. Le fait de ressentir le plaisir et la douleur, la joie, le deuil, la colère est à chaque fois un aspect de l’affectivité, de même que le sont les sentiments qui nous dominent dans le rapport avec d’autres personnes »[7].
L’immaturité psycho-affective vient d’une évolution anormale de l’esprit du sujet « qui, bien qu’il ait un âge suffisant, manque de la maturité de l’intelligence et de la volonté proportionnée au consentement »[8], de telle sorte que l’évolution de la faculté critique soit empêchée, et donc le sujet ne peut pas atteindre la conspiration harmonique de ces facultés supérieures.[9]
Dans ce domaine cependant on doit bien faire attention au fait que ce n’est pas n’importe quelle immaturité psychique qui cause la nullité du mariage, mais celle seulement où se vérifie le défaut de discretio judicii dont parle le c. 1095, 2°. La nullité du mariage ne peut être déclarée que si la preuve est faite que l’immaturité psychologique du contractant a été la cause d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement. Ceci est confirmé dans une sentence c. Stankiewicz du 18 décembre 1986 : « Cela arrive en réalité si viennent à manquer les éléments que suppose la discretio judicii, c’est-à-dire d’une part chaque fois qu’outre l’usage de la raison nécessaire pour avoir la connaissance dont parle le c. 1096, la discretio est privée de la fonction d’estimer et d’évaluer la valeur ou l’importance qu’ont les charges essentielles du mariage tant en elles-mêmes que pour le contractant, sous les aspects éthique, social, juridique et d’autres aspects substantiels, fonction qui dépend du degré d’évolution des facultés cognositive et appétitive, auquel parvient une personne normale, lorsqu’elle atteint au moins la puberté , ou d’autre part, chaque fois que cette fonction est affectée d’une perturbation qui empêche gravement la délibération ou la libre décision dans le don du consentement matrimonial »[10].
Sur la nécessité du travail des experts, la loi ecclésiastique statue : « Dans les causes d’impuissance ou de défaut de consentement pour maladie mentale, le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts » (c. 1680). Le c. 1579 déclare : « § 1. Le juge appréciera attentivement, non seulement les conclusions, même concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause. § 2. En donnant les motifs de sa décision, il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts ».
Il est nécessaire que les experts, dans leurs rapports, non seulement déterminent l’origine, la nature, la gravité, le pronostic et l’état de la pathologie, mais également son existence et son influence sur la capacité de discretio du contractant au moment de la célébration du mariage. Comme on le lit dans une sentence c. Turnaturi du 31 janvier 1997 : « Dans le diagnostic de la condition pathologique du contractant au moment de la célébration du mariage, il faut utiliser les services des experts, dont la mission est d’indiquer l’existence ou la latence de l’anomalie, sa nature, son origine, sa gravité, et surtout de mettre en lumière son influence sur l’évolution psychique du sujet »[11].
C’est pourquoi l’incapacité psychique d’assumer les obligations essentielles concerne la fin naturelle du consentement, c’est-à-dire le matrimonium in facto esse, le mariage-état de vie, et touche aussi l’intime communion de vie qui consiste dans la donation réciproque des deux personnes. Dans les cas d’incapacité d’assumer, dont il est question, c’est le critère qualitatif qui vaut, et non le critère quantitatif. Pour que soit prouvée la véritable incapacité d’assumer les charges conjugales, il faut la preuve d’un grave défaut psychique ou d’une psychopathie, alors que sont insuffisantes la mauvaise volonté, les défectuosités légères du caractère ou des désordres mineurs de la personnalité, qui rendent plus difficile la relation interpersonnelle ou la rendent moins parfaite, mais il est requis que la cause de nature psychique rende moralement impossible et intolérable la relation interpersonnelle.
Il faut faire une distinction appropriée entre la capacité d’avoir une relation interpersonnelle minimale, propre au mariage et suffisante pour contracter validement, et la capacité d’atteindre une relation interpersonnelle pleine, entière et mature.
La simple difficulté dans la constitution de la communauté de vie n’implique pas l’invalidité du mariage, c’est-à-dire qu’elle ne démontre pas l’incapacité du contractant à émettre un consentement valide en raison d’une incapacité d’assumer les obligations conjugales.
La Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a souvent affirmé cette distinction, par exemple dans une sentence c. Funghini du 23 juin 1993 : « L’incapacité est affirmée seulement :
Cette même sentence, enfin, maintient un principe que la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a tenu et tient fermement et constamment, à savoir que d’inductions psychologiques incertaines ne peut pas naître une nullité certaine du mariage, et l’Eglise ne peut pas suppléer ces inductions incertaines pour détruire ou affaiblir les principes émanant de l’institution matrimoniale, définis manifestement par la nature pour l’ensemble du genre humain.
Aux termes du c. 1680, le juge doit toujours demander le concours de l’expert pour que celui-ci fasse un diagnostic concret de la possible anomalie ou désorganisation de la personnalité, compte tenu avant tout de sa gravité et de son influence sur la formation de la décision humaine.
EN FAIT (résumé)
Le doute concordé concerne le manque de discretio judicii allégué du mari, ainsi que son incapacité éventuelle d’assumer les obligations essentielles du mariage.
Il importe tout d’abord d’examiner la crédibilité de l’épouse demanderesse. En effet notre expert rotal estime que l’attitude de l’épouse met en cause sa crédibilité, car elle manifeste de la jalousie et de la rancœur. Par contre l’expert de la seconde instance est d’un avis contraire. Il faut reconnaître que tous les témoins ont une bonne opinion de la crédibilité de la demanderesse et une mauvaise opinion de celle du mari. Certes Catherine est sans doute trop méfiante vis-à-vis de Francis, mais il y a de nombreux faits de la vie conjugale qui ont suscité les soupçons de l’épouse.
En ce qui concerne l’incapacité du mari, partie appelée, les deux sentences divergent : négative en première instance, elle est positive en deuxième instance.
En première instance les juges ont reconnu que le mari était immature en raison de sa sexualité désordonnée, qu’il a considéré sa femme comme un simple objet et qu’il ne lui a pas manifesté beaucoup d’affection, mais ils ont estimé qu’ils n’avaient pas la preuve des deux chefs de nullité allégués par la demanderesse. Par contre les juges de deuxième instance ont fait remarquer que le plus grand problème, en ce mariage, n’était pas l’infidélité du mari, mais une profonde inhabilité à communiquer dans les relations matrimoniales. Face à ces divergences d’opinion, il nous faut examiner les déclarations des parties et des témoins.
L’épouse demanderesse décrit la personnalité de son mari : tout enfant il a été victime d’abus sexuel de la part de son frère aîné ; adolescent, il a été renvoyé de son école, puis il a fait 36 métiers, il a eu des problèmes avec ses voisins et la police ; son père est mort alors qu’il avait 10 ans, un de ses frères se droguait, un autre a eu des problèmes avec Francis en faisant des avances à sa petite amie, avant que celui-ci ne fasse la connaissance de Catherine.
L’épouse parle ensuite des infidélités commises par Francis après leur mariage : « La fidélité est impossible pour lui. Il y a trop de femmes dans sa vie ». De plus, en ce qui concerne la relation interpersonnelle conjugale, elle déclare n’avoir aucun souvenir d’un bon moment dans son mariage : « Je n’étais pas heureuse, même au début […]. Il n’y avait pas de partage entre nous, pas de communication […]. Il était incapable de manifester des sentiments. Même du point de vue sexuel, il n’y avait ni véritable amour ni tendresse ».
Le mari réfute les accusations de sa femme : « Je ne me serais pas marié si je n’avais pas eu l’intention d’être fidèle. J’ai travaillé dur pour que mon mariage marche […]. Il n’y a pas eu d’infidélité de ma part ». Parlant de lui-même et de sa personnalité il ajoute : « Je ne montre pas mes émotions. Je suis un timide et un calme. Je n’ai jamais été un démonstratif et Kate a pu interpréter mon manque de démonstration d’affection comme un manque d’affection ». Décrivant sa famille, Francis donne une tout autre image que celle présentée par sa femme : « Nous étions pauvres mais il y avait de l’amour chez nous », et à propos de la personnalité de sa femme, il déclare que Catherine n’était pas timide, mais très catégorique et volontaire, qu’elle était de mauvaise humeur si elle ne pouvait faire ce qu’elle voulait, et surtout il insiste sur la jalousie de sa femme : « jalouse de mon ancienne petite amie … elle est possessive. Elle a commencé à m’accuser de rechercher d’autres femmes ».
En ce qui concerne la vie sexuelle des époux, Francis déclare avoir eu avec Catherine des relations sexuelles pleines d’amour, ajoutant que sa femme avait une conduite sexuelle ardente.
Pour leur part, tous les témoins apportent des éléments importants concernant le comportement de Francis : recours précoce à l’adultère, amoralité, et sévices subis de son propre frère. Les déclarations peuvent ainsi se résumer : « avances » de Francis ou relations intimes avec sa petite amie, une collègue de Catherine, des voisines, des amies, une infirmière etc. Un témoin confirme l’amoralité de Francis et ses comportements sexuels anormaux.
L’histoire de la famille du mari permet aussi de comprendre que celui-ci n’a pas pu acquérir une maturité correcte : parents désunis et ayant des aventures extra-conjugales ; tous les enfants mariés, sauf un, étant divorcés ; abus sexuel sur Francis commis par un de ses frères.
La vie matrimoniale a été malheureuse dès le début : « J’ai été tentée de quitter Francis, je ne l’ai pas fait mais notre vie n’était pas un mariage », déclare Catherine. Celle-ci a cherché un appui chez des prêtres mais leur intervention est restée sans effet, comme le confirme spécialement l’un d’eux, qui pense d’ailleurs que Francis était incapable de comprendre et d’assumer les obligations du mariage. De plus, les actes contiennent de nombreux faits qui montrent que le mari ne s’est pas préoccupé des biens du mariage : le bien de la fidélité, on l’a vu, et le bien des conjoints. On peut dire aussi que Francis a réduit la relation interpersonnelle avec son épouse à une simple relation sexuelle.
Les expertises sont à examiner. L’une a eu lieu en seconde instance (docteur C.), l’autre en troisième instance à la Rote (docteur L.).
L’une et l’autre excluent l’incapacité du mari pour défaut de discretio judicii. Pour le docteur L., il n’y a pas chez le mari, au moment du mariage, d’éléments indiquant ou faisant soupçonner des affections psycho-pathologiques, telles que psychose, dysthymie, trouble de la personnalité, dépendance de la drogue. En conséquence nous ne pouvons pas conclure à un défaut grave de discretio judicii selon le c. 1095, 2°.
Cependant le même docteur L. ne dit rien, dans son rapport d’expertise, de la capacité du mari d’assumer les obligations conjugales. Toutefois les Pères Auditeurs estiment que les juges de seconde instance ont bien interprété les actes et leurs conclusions sont en accord avec ceux-ci, qui montrent la grave immaturité psychologique du mari qui l’a rendu incapable d’assumer tant le bien de la fidélité que celui des conjoints.
– Constat de nullité
seulement pour incapacité d’assumer
les obligations essentielles du mariage
– Vetitum pour le mari
Robert M. SABLE, ponent
Egidio TURNATURI
Maurice MONIER
[1] SAINT THOMAS, Somme théologique, Ia Iae, q. 1, art. 1
[2] M. CANONICO, L’incapacità naturale al matrimonio nel diritto civile e nel diritto canonico, Naples 1994, p. 83
[3] Cf. c. FUNGHINI, 19 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXV, p. 403, n. 2
[4] C. FUNGHINI, 23 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 353, n. 2
[5] C. POMPEDDA, 16 décembre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 586, n. 5
[6] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6
[7] E. BLEULER, Trattato di psichiatria, 1960, p. 79
[8] C. RAGNI, 15 janvier 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 32, n. 3
[9] Cf. c. DI FELICE, 16 février 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 99-100, n. 2
[10] C. STANKIEWICZ, 18 décembre 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 748, n. 5
[11] C. TURNATURI, 31 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 59, n. 20
[12] C. FUNGHINI, 23 juin 1993, p. 7, n. 4
[13] M.F. POMPEDDA, Incapacity to assume the essential obligations of marriage, dans Incapacity for marriage, Jurisprudence and interpretation acts of the III Gregorian Colloquium, R.M. Sable, ed. Rome 1987, p. 197
Coram PINTO
Exclusion du bien du sacrement
Tribunal régional des Abruzzes – 27 mars 2009
P.N. 19.934
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Bruno R., demandeur en la cause, épouse Titti G., partie appelée, le 9 octobre 1976. Une fille naît au foyer le 10 septembre 1977.
Petit à petit leur communauté de vie se dégrade et elle prend fin lorsque Bruno découvre que sa femme a une relation extraconjugale. Les époux se séparent en 1988 et le divorce est prononcé le 19 juin 1992.
Le 27 octobre 1998 Bruno adresse un libelle au Tribunal régional des Abruzzes, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour exclusion de l’indissolubilité de sa part. L’épouse ne s’oppose pas à cette requête mais elle refuse de comparaître ensuite devant le Tribunal et elle est déclarée absente du jugement. La sentence du 18 janvier 2002 est négative. En appel toutefois, le Tribunal de seconde instance, le 28 février 2006, reconnaît la nullité du mariage.
Il Nous faut répondre aujourd’hui au doute concordé le 14 décembre 2006 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur, en application du c. 1101 § 2 ? »
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* *
EN DROIT
Il est bien connu que face à la conception actuelle du mariage, de jour en jour plus néfaste, la Jurisprudence de Notre For, selon son important devoir, a lutté vigoureusement et lutte inébranlablement pour défendre la vision surnaturelle transcendante du mariage, que le Dieu Créateur a inscrite dans la nature humaine elle-même et que le Christ Rédempteur a élevée à une dignité plus grande. La simple différence des caractères, donc, qu’on appelle couramment « l’incompatibilité de caractère », ne pourra jamais être prise par l’Eglise comme un chef légitime de nullité : cela est hors des pouvoirs de l’Eglise. De même, des deux incapacités relatives réduites il ne résulte pas une incapacité de consentir de l’un et l’autre, ou de l’un ou l’autre des conjoints, étant donné que l’incapacité n’admet pas de degré et qu’elle ne devient pas grave par l’addition des degrés légers de chaque personne des conjoints.
On comprend bien ensuite, si l’on considère la faveur du droit dont jouit le mariage (c. 1060), les règles du c. 1101 § 1 et 2 :
– « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage ».
– « Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement ».
C’est pourquoi celui qui, dans la célébration du mariage, émet un consentement externe, mais par un acte positif de la volonté exclut, en son for intérieur, une propriété essentielle du mariage, c’est-à-dire l’indissolubilité, en se réservant le droit d’user du divorce, contracte certainement de façon invalide (cf. c. 1101 § 2).
Les contractants qui simulent nient donc la mutuelle donation-acceptation entre époux, puisque leur consentement est une simulacre vide, et qu’ils méprisent la norme du Code (cf. c. 1057 § 2) et sa source doctrinale proche, c’est-à-dire la Constitution Apostolique Gaudium et Spes.[1]
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique nous enseigne très opportunément que l’indissolubilité ne souffre aucune distinction entre le droit et l’exercice du droit, puisqu’elle appartient par elle-même à l’être du mariage, c’est-à-dire de façon indivisible dans le matrimonium in fieri, le mariage-alliance, et le matrimonium in facto esse, le mariage-état de vie : « Le couple conjugal forme ‘une intime communauté de vie et d’amour, fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. Elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel et irrévocable’. Tous deux se donnent définitivement et totalement l’un à l’autre. Ils ne sont plus deux, mais forment désormais une seule chair. L’alliance contractée librement par les époux leur impose l’obligation de la maintenir une et indissoluble »[2].
Amour et consentement
Certes, le mariage ne repose pas sur l’amour, mais sur le consentement. Cependant si l’amour n’est pas le consentement, le consentement est toutefois la plus grande expression de l’amour et sa véritable manifestation : aucune donation-acceptation des personnes, en effet, ne peut avoir lieu sans amour. La donation-acceptation, enfin, est ordonnée à la constitution d’une famille, qui est fondée par un amour nourri par la grâce.
Comme l’enseigne le Pape Jean-Paul II, « le Concile a vu le mariage comme un pacte d’amour […] dans lequel le consentement conjugal est un acte de volonté qui signifie et comporte un don mutuel qui unit les époux entre eux et ensemble les lie à leurs enfants éventuels avec lesquels ils constituent une seule famille, un seul foyer, une Eglise domestique ».
Sous cet aspect, c’est-à-dire dans la mutuelle donation, le consentement matrimonial « est un engagement à un lien d’amour où, dans le don lui-même, s’exprime l’accord des volontés et des cœurs pour réaliser tout ce qu’est et signifie le mariage pour le monde et pour l’Eglise ».
Dans cette donation, « celui qui se donne le fait avec la conscience d’être obligé de vivre son don à l’autre. S’il accorde un don à l’autre, c’est parce qu’il a la volonté de se donner. Il se donne avec l’intention d’être obligé à réaliser les exigences du don total qu’il a fait librement. Si sous l’angle juridique ces obligations sont plus facilement définies, si elles sont davantage exprimées comme un droit qui s’accorde que comme une obligation qui se prend, il est également vrai que le don n’est pas seulement symbolisé par les engagements d’un contrat qui exprime sur le plan humain les engagements inhérents à tout consentement conjugal vrai et sincère. C’est ainsi que l’on arrive à comprendre la doctrine conciliaire de manière à lui permettre de récupérer la doctrine traditionnelle pour la placer dans une perspective plus profonde et, en même temps, plus chrétienne »[3].
Dans un autre discours à la Rote, Jean-Paul II déclare : « Les époux sont libres de célébrer leur mariage, après s’être mutuellement choisis d’une manière également libre, mais, au moment où ils posent cet acte, ils instaurent un statut personnel où l’amour devient quelque chose qui est dû, et qui a également des conséquences de caractère juridique »[4].
C’est pourquoi, si l’amour est absent, on ne peut pratiquement pas parler de véritable consentement matrimonial.[5]
Le contractant, qui, alors qu’il consent, joue un jeu pervers, « entend accomplir un simulacre puisqu’en réalité il exclut le mariage lui-même. Dans la simulation partielle, toutefois, il souhaite une sorte de mariage (un pseudo-mariage) accommodé à ses propres sentiments, en ignorant la plupart du temps qu’il cause une nullité »[6].
Il arrive de nos jours, de plus en plus souvent, que celui qui se marie s’estime arbitre de la permanence du lien matrimonial et qu’il décide que la dissolution de ce lien et la faculté de retrouver sa liberté dépendent de son seul pouvoir par l’usage – plus justement, par l’abus – déjà envisagé avant la célébration du mariage, de ces institutions civiles scélérates qui s’appellent séparation définitive légale et divorce. Il arrive la plupart du temps que « le contractant se compose sa propre doctrine du mariage (qu’il sache ou non que cela répugne à la pensée et à la discipline de l’Eglise), et donc qu’il y adhère pleinement d’esprit et de cœur, alors cependant qu’il y manque la notion d’indissolubilité, mais c’est ainsi et pas autrement que celui qui s’est marié a voulu célébrer le mariage »[7].
Les fidèles de ce type s’appuient plutôt sur l’amour érotique, par l’effet de la mauvaise influence des principes dissolus de l’hédonisme moderne, et non sur l’amour sponsal. C’est pourquoi ils sont catholiques de nom, mais leurs cœurs et leurs volontés ne s’attachent plus à Dieu et à la doctrine de l’Eglise.
La Jurisprudence de Notre For a parfois, à juste titre, trouvé cette cause motivante dans la malice de la personne. Une sentence c. Pompedda du 6 décembre 1990 fait remarquer : « Il peut en effet arriver que la construction psychologique d’une personne se trouve telle qu’elle la conduise comme nécessairement à feindre elle-même le mariage, en rejetant le caractère naturel du mariage et sa substance. Dans ce cas-là il est parfois très difficile de discerner s’il s’agit d’une véritable incapacité du contractant à assumer les éléments qui sont de l’essence du mariage, ou s’il s’agit plutôt d’une adhésion positive à un schéma ou une notion qui s’écarte de la saine doctrine sur le mariage, selon les dogmes de Dieu et de l’Eglise, et d’où résultent l’exclusion d’un élément ou d’une propriété essentielle et donc la nullité du consentement matrimonial »[8].
EN FAIT (résumé)
Etant donné les divergences entre l’épouse partie appelée et le mari demandeur, les Pères soussignés pensent que le cœur du problème est la crédibilité des parties, avec le principe habituel de Notre Jurisprudence que les faits sont parfois plus éloquents que les paroles. Un de ces faits est la lettre envoyée par l’épouse au Tribunal, où elle menace de révéler à la presse les « violences morales inacceptables » qu’elle a subies durant le procès.
Le mari, quant à lui, est un homme qui, avant le mariage, a toujours manifesté un christianisme bien faible, surtout en ce qui concerne la doctrine de l’Eglise sur le mariage. Toutefois il a toujours été cohérent et constant dans ses nombreuses dépositions, ce qui n’a pas été le cas pour l’épouse, qui n’a pas voulu comparaître en première instance et qui a essayé sans cesse de dissimuler la vérité, par exemple sa relation avec son amant F.
Bruno s’est marié sous la pression de deux motifs contraires : d’une part des nécessités économiques importantes, et d’autre part un doute insurmontable sur l’heureuse issue de son mariage.
Cela dit, les Pères du Tour estiment que la sentence de 1° instance laisse à penser que les juges avaient des idées préconçues au sujet de l’épouse et de ses témoins. La sentence de deuxième instance, par contre, est mieux établie.
Bruno, on l’a dit, a toujours été constant dans ses déclarations, où il a assuré qu’il avait rejeté l’indissolubilité du lien sous la forme dite hypothétique : « Je pensais que si le mariage allait mal je le romprais … Je ne pouvais pas prévoir comment serait après le mariage mon rapport avec Titti […] et cela m’a porté avec clarté à la conviction d’exclure l’indissolubilité du mariage que j’allais contracter avec elle ».
L’épouse, qui n’a déposé qu’en seconde instance, affirme que son mari invente des histoires pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage et qu’elle ne l’a jamais entendu rejeter la perpétuité du lien, mais son ressentiment apparaît dans ses menaces de révéler son cas à la presse : « Je déclare pour la énième fois que je ne m’oppose pas absolument à l’annulation, mais je n’accepte pas l’éventualité que soit décrite à nouveau une réalité déformée, sinon je dénonce à la presse des violences morales inacceptables ».
Les neuf témoins confirment tous la confession judiciaire du mari. D’une seule voix ils déclarent que Bruno avait des doutes sur l’avenir de son mariage : « Il m’en a parlé », « Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup d’amour entre eux », « Bruno a trouvé une lettre d’amour envoyée à Titti par son ex-fiancé, et il en a été très marqué ». De plus ils ont entendu Bruno dire qu’il divorcerait si son mariage n’allait pas bien : « Bruno m’a dit qu’il n’attribuait pas à son mariage avec Titti la valeur d’un vrai mariage » etc.
Elle réside dans la mentalité favorable au divorce qu’avait Bruno avant son mariage : « C’était un partisan du divorce », « dans nos discussions sur le divorce, il s’y montrait favorable » etc.
Elle se trouve, en pleine cohérence avec la cause lointaine de la simulation, dans les doutes qu’avait Bruno sur l’avenir de son mariage : divergences de caractère, manque de confiance envers Titti, surtout après la découverte de la lettre que lui avait envoyée son ex-fiancé. Pour sa part Titti dément catégoriquement qu’elle ait gardé un lien avec son ex-fiancé, mais en même temps elle attribue l’échec de son mariage « à la suspicion prématrimoniale de Bruno ».
Les témoins, d’une seule voix, parlent des doutes de Bruno.
Bruno déclare qu’il a songé au mariage pour des raisons économiques : l’aide précieuse du père de Titti. Certes l’épouse s’oppose à la thèse de Bruno, reconnaissant tout au plus que son fiancé et son père se sont rencontrés un mois avant le mariage, mais cette rencontre, si elle a eu lieu, aurait pu faire naître chez Bruno l’espoir que son beau-père pourrait l’aider financièrement.
Par ailleurs Titti fait état de graves difficultés survenues dans le couple après le mariage : « il n’était jamais là […], quand il était là, il s’enivrait et avait des troubles sexuels […], sa vraie famille était sa famille d’origine et non celle qu’il devait former avec moi […]. Je me suis convaincue que je n’étais rien d’important dans la vie de Bruno ».
Ce qui Nous intéresse, c’est un fait incontestable qui montre que le demandeur a exclu, par une erreur et une décision radicales, l’indissolubilité de son mariage avec la partie appelée. Ce que Nous devons prouver en effet est que Bruno a émis un acte positif de volonté d’exclusion du bien du sacrement. Ayant des doutes sérieux sur la moralité du caractère de sa future épouse, Bruno est resté dans son erreur, il l’a même renforcée, pensant de façon tenace que le mariage peut être dissous ad libitum, avec une négligence totale de la doctrine catholique correcte.
Constat de nullité
pour exclusion du bien du sacrement
de la part du mari demandeur
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
John G. ALWAN
Giordano CABERLETTI
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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 ; cf. Exhortation Apostolique Familiaris Consortio, n. 11
[2] Cat. Egl. Cath., n. 2364
[3] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 28 janvier 1982, AAS LXXIV, 1982, p. 449
[4] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 21 janvier 1999, AAS XCI, 1999, p. 622
[5] Cf. c. TURNATURI, 14 mai 2009, n. 8-12 ; cf. c. PINTO, 17 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 32, n. 5 ; cf. c. PINTO, 14 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 14, n. 8
[6] C. STANKIEWICZ, 29 janvier 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 46, n. 5
[7] C. POMPEDDA, 1° juillet 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 691, n. 3 ; cf. c. STANKIEWICZ, 29 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 308, n. 5
[8] C. POMPEDDA, 6 décembre 1990, vol. LXXXII, p. 837, n. 10
Coram PINTO
Incapacité d’assumer
Bogota (Colombie) – 22 février 2008
P.N. 17.063
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Silveriano P., demandeur en la cause, épouse Maria, partie appelée, le 8 janvier 1972. Ils s’étaient rencontrés en 1961. Au moment de leur mariage Silveriano a 24 ans et Maria 23.
La vie conjugale, sans enfants, connaît l’échec en raison de discordes entre les époux. Douze ans après son mariage, Maria quitte Silveriano.
Le 11 septembre 1985, Silveriano, désireux de retrouver sa liberté, présente un libelle au Tribunal Régional de Bogota, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, pour des causes de nature psychique, de la part des deux époux ou au moins de l’un d’eux. La partie appelée, convoquée, ne répond pas. Le mari demandeur est entendu, ainsi que des témoins, et une expertise portant sur le mari est effectuée. Le 3 septembre 1987, le Tribunal rend une sentence positive, reconnaissant l’incapacité d’assumer de chacun des époux. Cependant le Tribunal d’appel de Colombie, après un complément d’enquête où est entendue l’épouse partie appelée, infirme, le 28 juin 1990, la décision de la 1° instance.
Sur appel de la partie appelée, la cause est transmise à la Rote en 1995. A la demande de l’avocat de l’épouse, présentée le 2 mai 1986, deux chefs de nullité, à juger comme en première instance, sont ajoutés : dol de la part du mari pour extorquer le mariage et condition d’avoir des enfants de la part de l’épouse. Une expertise est à nouveau effectuée.
Nous devons répondre à ces chefs en troisième degré de juridiction.
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EN DROIT
C’est le consentement des parties exprimé entre personnes juridiquement habiles qui fait le mariage. Pour qu’il y ait habilité, il faut avant tout que les contractants jouissent de la capacité de comprendre, d’évaluer, ainsi que d’assumer et de donner l’objet du contrat matrimonial.
Pour que le mariage soit déclaré nul, l’incapacité doit exister au moment du consentement, peu important qu’elle demeure éventuellement dans la vie conjugale ou qu’elle disparaisse.
Cette incapacité doit concerner les obligations essentielles du mariage en l’absence desquelles le consentement ne porte sur rien.
On dit que ces obligations sont essentielles, car il faut les distinguer d’autres obligations qui sont considérées comme un complément dans l’alliance conjugale, par exemple une parfaite harmonie entre les parties, ou le succès du mariage, ou la difficulté qu’on appelle aujourd’hui incompatibilité de caractère entre les époux, si l’on regarde le bien des conjoints, étant donné la constante doctrine de Notre Ordre selon laquelle « n’appartiennent pas à ‘l’être’ d’une chose mais plutôt à son ‘bien’ être, les éléments qui rendent plus facile l’exécution des obligations »[1].
Sans aucun doute, même s’il est difficile de déterminer toutes et chacune des obligations, il faut compter celles qui proviennent des propriétés essentielles du mariage (c. 1056) ou de ses ordonnancements naturels (c. 1055), ainsi que les éléments nécessaires qui constituent l’état matrimonial. Ainsi la jurisprudence reconnaît de façon appropriée que les obligations conjugales essentielles sont contenues dans les trois biens du mariage, c’est-à-dire le bien des enfants, celui du sacrement et celui de la fidélité, auxquels il faut ajouter le bien des conjoints[2], qui requiert une nécessaire connexion entre le mariage in fieri, le mariage-alliance, et le mariage in facto esse, le mariage-état de vie.
« La vie conjugale in facto esse, a écrit Mgr Pompedda, c’est-à-dire dans son existence, consiste avant tout en un rapport interpersonnel, où entre les parties précède ou est exigée une saine, c’est-à-dire authentique, structure interpersonnelle. Si donc chez le contractant existait (et est prouvé) un grave défaut d’une telle intégration, celui-là est à considérer comme incapable de comprendre la nature de la communauté conjugale, et par conséquent de porter un jugement sur l’instauration d’une semblable communauté pérenne de vie, et cela tout en restant capable de remplir les autres devoirs qui sont étrangers à une telle intégration intrapersonnelle et interpersonnelle »[3].
Le nécessaire rapprochement entre les deux figures citées, c’est-à-dire le mariage in fieri et le mariage in facto esse, a été l’objet d’une abondante jurisprudence de Notre Ordre bien avant la célébration du Concile Vatican II. On lit par exemple dans une sentence c. Anné, du 22 juillet 1969, « Bien plus, si de l’histoire de la vie du marié, suivant l’avis des experts, il apparaît nettement que chez l’époux, dès avant le mariage, manquait gravement l’intégration intrapersonnelle et interpersonnelle, celui-ci doit être réputé inapte à saisir comme il convient la nature elle-même de la communion de vie ordonnée à la procréation et à l’éducation des enfants qu’est le mariage, et par conséquent incapable, pareillement, de juger et de raisonner correctement à propos de l’instauration de cette communauté définitive de vie avec une autre personne. C’est pourquoi, dans ce cas, fait défaut la discretio judicii qui peut conduire à une décision délibérée valide de la communauté conjugale. Sans aucun doute le sujet peut rester capable de remplir d’autres devoirs qui sont étrangers à cette intégration intrapersonnelle et interpersonnelle »[4].
Dans une autre sentence, du 25 février 1969, Mgr Anné avait insisté sur « l’intime conjonction des personnes par laquelle l’homme et la femme deviennent une seule chair, et à laquelle tend comme vers un sommet cette communauté de vie. Cela montre que le mariage est une relation avant tout personnelle et que le consentement matrimonial est un acte de volonté par lequel les époux ‘se donnent et se reçoivent mutuellement’ […]. C’est pourquoi le mariage ‘in facto esse’, c’est-à-dire le mariage-état de vie, doit – dans ses éléments essentiels – être recherché comme objet formel substantiel, au moins implicitement et médiatement, dans le mariage ‘in fieri’, c’est-à-dire le mariage-alliance […]. Certes dans le mariage-état de vie peut manquer la communauté de vie, mais ne peut jamais manquer le droit à la communauté de vie »[5].
« Sous la formule ‘de nature psychique’, écrit une sentence c. Monier, du 11 avril 2008, il faut faire remarquer qu’il n’est pas requis par la loi une maladie mentale strictement dite ou une véritable psychopathie, mais qu’il suffit d’une anomalie ou d’un désordre, tirant son origine d’une cause psychique, qui ne rend pas seulement difficile, mais véritablement impossible, la capacité d’assumer les obligations conjugales »[9].
Un maître bien connu nous enseigne : « Les psychopathies, bien qu’elles ne soient pas reconnues comme de véritables maladies mentales, peuvent tellement troubler le sujet ou concerner spécifiquement le mariage ou quelques circonstances du mariage, qu’elles rendent le contractant inhabile à donner un véritable consentement matrimonial »[10].
« La difficulté majeure […] est dans l’évaluation de la maturité-immaturité, cette maturité-immaturité qui est grave et qui est en rapport avec les obligations essentielles du mariage du fait que ces termes indiquent une relation dynamique, soit vers une évolution de la personnalité humaine jusqu’à la mort, soit parce qu’ils entrent dans la qualification du tempérament, du caractère, du substrat endothymique de la personnalité, toutes choses qui agissent de diverses façons et inter-agissent dans la même personne, et cela selon les inégalités du temps, d’espace, de culture, de société »[12].
Quelle que soit la nature psychique de la cause de l’incapacité, il faut toujours avoir devant les yeux la distinction entre l’incapacité et la simple difficulté.[13]
Cette incapacité est prouvée directement par l’œuvre des experts dans le diagnostic de la nature pathologique de l’anomalie présumée, et indirectement par les faits, circonstances et indices présentés en jugement par les parties et les témoins.
EN FAIT (résumé)
La cause présente a débuté en 1986. Elle est parvenue à la Rote en 1995, où en 2005, après le changement d’avocat et le départ pour limite d’âge du ponent, Mgr Serrano, a été nommé le ponent actuel. Les Pères trouvent ce parcours judiciaire vraiment trop long !
Quel que soit le problème de la rétroactivité de ce chef, puisque le mariage a été célébré le 8 janvier 1972, donc sous le régime du Code de 1917, le dol n’est absolument pas prouvé.
L’épouse en effet déclare avoir été trompée par son mari, qui lui a caché qu’il était stérile. Les témoins parlent vaguement de cette stérilité, qui reste donc incertaine et dont les actes ne contiennent aucun document clinique. Par contre ils montrent clairement que le mari ignorait son état et les examens médicaux que celui-ci a subis après son mariage démontrent sa bonne foi. Il faut ajouter que Maria a épousé Silveriano contre l’avis de ses parents et parce qu’elle aimait le jeune homme, et qu’après avoir découvert, après son mariage, la stérilité de son mari elle n’a pas quitté celui-ci. Enfin les témoins assurent que l’échec du mariage est dû uniquement à l’infidélité de l’épouse.
Ni Maria, ni les témoins, ne parlent de l’apposition, explicite ou implicite, d’une condition de l’épouse sur le rapport nécessaire entre la validité du mariage et la génération d’un enfant. Maria n’avait aucune raison de douter des possibilités et de l’attitude de Silveriano. La séparation définitive des époux, décidée par Maria, est plutôt à attribuer à son amour pour un autre homme.
la part des deux époux
Les Pères estiment que cette incapacité est uniquement de la part du mari.
En ce qui concerne l’épouse, le demandeur et les témoins n’ont que des déclarations générales et lorsqu’ils parlent de son immaturité, c’est de façon très vague, comme le reconnaît le défenseur du lien lui-même.
Par contre, certains sont plus explicites à propos du mari : « Il n’a aucun sens de la responsabilité qu’il doit avoir », mais c’est peu.
Deux expertises ont été faites, l’une en 1987 par le docteur V., l’autre à la Rote par le professeur Callieri.
Le docteur V. a examiné les actes et interrogé le demandeur. Il indique chez celui-ci un trouble asthénique de la personnalité et considère qu’il n’avait pas au moment du mariage la capacité suffisante d’assumer les obligations essentielles du mariage. Il a d’ailleurs le même avis pour Maria, l’épouse.
Le professeur Callieri a étudié les actes et les conclusions de l’expert de première instance et il se dit certain de la présence d’une anomalie psychique au moins chez le mari : « La structure de la personnalité du demandeur est celle d’une personne de faible niveau intellectuel, d’une faible capacité d’autoréflexion critique, avec une tendance à la carence d’autonomie du jugement et de possibilité de décision […]. Un tel état psychologique est d’origine et de nature constitutionnelle […]. Un tel trouble, de par sa nature spécifique, n’est pas transitoire mais habituel […]. Le désordre psychique du mari […] rendait très difficile, pour ne pas dire proprement impossible, de remplir l’obligation conjugale […] de la réciprocité interpersonnelle de co-appartenance mutuelle ».
Cela étant, les Pères soussignés considèrent que la preuve de l’incapacité de l’épouse n’est pas rapportée, tandis qu’à partir des expertises, des faits attestés, et de la conduite du mari, ils affirment que celui-ci était incapable d’assumer et de remplir les obligations conjugales essentielles.
Constat de nullité
pour incapacité du mari d’assumer les obligations essentielles du mariage
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
Maurice MONIER
Jair FERREIRA PENA
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[1] C. DORAN, 18 mars 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 176, n. 5
[2] Cf. c. STANKIEWICZ, 23 juin 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 417, n. 5
[3] M.F. POMPEDDA, Nevrosi e personalità psicopatiche in rapporto al consenso matrimoniale, dans Perturbazioni psichiche e consenso matrimoniale nel diritto canonico, Rome 1976, p. 55
[4] C. ANNE, 22 juillet 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 865
[5] Dans Il diritto Ecclesiastico, 1970, p. 227 ; cf. c. FERREIRA PENA, 26 mai 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 417, n. 7
[6] O. FUMAGALLI CARULLI, Il matrimonio canonico dopo il concilio. Capacità e consenso, Milan 1978, p. 36 sq.
[7] Même endroit
[8] Cf. c. FUNGHINI, 17 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 16, n. 10
[9] C. MONIER, 11 avril 2008, P.N. 19.673, n. 6
[10] M.F. POMPEDDA, Ancora sulle nevrosi e personalità psicopatiche in rapporto al consenso matrimoniale, dans Borderline, nevrosi e psicopatie in riferimento al consenso matrimoniale nel diritto canonico, Rome 1981, p. 58
[11] C. STANKIEWICZ, 17 décembre 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 746, n. 9
[12] C. COLAGIOVANNI, 30 juin 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 466-467, n. 7 et 11
[13] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, AAS, vol. LXXIX, p. 1457, n. 7 ; cf. sentence citée c. MONIER
Coram PINTO
Dol
Košice (Slovaquie) – 17 octobre 2008
P.N. 19.344
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Daniela R. et Maros J. font connaissance en 1994 et se marient le 26 octobre 1995. Le mari souffrait d’une maladie qui pouvait amoindrir ou même supprimer sa faculté d’engendrer. Et de fait son épouse, en dépit des soins et des traitements suivis par son mari, n’a jamais été enceinte. Maros s’est mis à boire, est devenu violent et, au mois d’avril 1999, a quitté le domicile conjugal. Le divorce a été prononcé le 7 juin 1999.
Ce même jour Daniela a adressé un libelle au Tribunal. Le doute a été concordé le 3 février 2000 sous le chef de dol commis par le mari. Celui-ci ne s’est pas présenté devant le Tribunal et seuls, la demanderesse et trois témoins ont été entendus. La sentence du 16 mai 2000 a été affirmative mais elle a été infirmée, le 7 juillet 2004, par le Tribunal d’appel.
En troisième instance devant la Rote, le doute a été concordé le 3 février 2006 sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul, selon le c. 1098, pour dol commis par le mari pour obtenir le consentement ?
* *
EN DROIT
A la construction de la communauté de vie et d’amour s’oppose le consentement émis par un dol. Le dol en effet peut corrompre l’acte juridique du consentement puisque, selon la Novella 93 de Léon le Sage (a. 896), reçue par Labon et transmise ensuite par Ulpien dans le droit romain[2], le dol qui donne la cause est défini comme « toute ruse, fourberie, machination, employée pour circonvenir, duper, tromper autrui, dans laquelle on ne voit rien de vrai ni de sincère ». De là vient une autre définition, celle d’un auteur approuvé qui énonce que le dol n’est rien d’autre qu’« une tromperie d’autrui délibérément et frauduleusement commise, par laquelle autrui est amené à accomplir un acte juridique »[3].
Cela dit, on comprend mieux le texte du c. 1098 : « La personne qui contracte mariage, trompée par un dol […], contracte invalidement ». Le Législateur de l’Eglise a institué avec sagesse un rapprochement entre les normes établies par les c. 1097 et 1098. Alors en effet que l’erreur sur une qualité de la personne est un jugement faux de l’esprit, en raison d’une appréhension fausse de la chose, lorsque quelqu’un pense et prend quelqu’un ou quelque chose pour un autre ou une autre chose, le dol est au contraire quelque chose de plus grave comme défini ci-dessus.
Le Code a préféré les termes de « (peut perturber) la communauté de vie conjugale » à ceux de « communauté de toute la vie »[4], étant donné que le dol, plus que l’erreur sur une qualité de la personne, s’oppose directement et de façon perverse à l’alliance conjugale, contre la volonté du Créateur, qui a pré-ordonné le pacte conjugal en le fondant sur la relation libre et duelle des personnes.
– que le dol commis lors du consentement soit la cause de l’erreur. Le dol en effet, comme l’erreur sur une qualité de la personne – autrement que ce qui se produit dans la condition où la volonté du contractant irrite le mariage – concerne le défaut de l’objet, c’est-à-dire une qualité du partenaire. A celui qui contracte trompé par un dol, l’objet, c’est-à-dire la qualité de la personne, est présenté à son consentement alors qu’il diffère totalement de la vérité ;
– que l’objet du dol soit une erreur de fait et non de droit, c’est-à-dire que la qualité particulière ou la propriété particulière ne soit pas une qualité ou propriété du mariage, mais de l’autre personne qui se marie ;
– qu’il y ait un lien causal entre l’action dolosive et le propos ou intention d’obtenir le consentement ;
– enfin, que la qualité désirée chez le partenaire puisse corrompre ou perturber gravement la communauté conjugale. Si, pour le choix du partenaire, une qualité devient la voie ou le moyen nécessaire pour contracter mariage, ce n’est pas la qualité considérée en elle-même mais la volonté, ou le consentement, qui est frappée de nullité par l’erreur éventuelle. Dans ce cas, l’objet immédiat du consentement est la qualité, l’objet médiat est la personne. La qualité prévaut sur la personne : ce qui est visé d’abord et principalement, c’est la qualité, et indirectement et secondairement, la personne.
« On comprend par là, lit-on dans une sentence du Ponent soussigné, en date du 28 avril 2008, pourquoi la célèbre sentence coram Canals, du 21 avril 1970, est considérée comme le passage entre l’ancienne Jurisprudence de Notre For et celle qui a suivi le Code de 1983, les nouveaux aspects de cette Jurisprudence démontrant qu’ils étaient déjà présents dans la Jurisprudence pré-conciliaire. Il était enseigné dans la sentence c. Canals que l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la personne, même si une partie a été bien notée par l’autre partie, pourvu que la qualité ait été visée avant la personne, ‘[…] lorsque la qualité morale, juridique et sociale est en connexion tellement intime avec la personne physique que si cette qualité fait défaut, la personne physique elle-même devient totalement différente’[5] ».[6]
Quant à la preuve indirecte du dol, elle apparaît à partir de la conduite de la victime de l’erreur envers son partenaire et envers le mariage, lorsqu’elle a découvert la vérité[7]. Si en effet la partie abusée, une fois la vérité découverte, a interrompu aussitôt la communauté conjugale, en renvoyant son partenaire et en l’accusant de tromperie, il résulte une présomption en faveur de la présence d’une erreur dolosive.
EN FAIT (résumé)
Deux remarques préliminaires : dans cette cause les faits sont plus éloquents que les paroles, et il s’agit ici d’un dol par omission.
L’épouse estime qu’elle a été trompée par son mari, non seulement en raison de la stérilité de celui-ci, mais surtout en raison du grave silence de Maros et de ses parents qui ont délibérément caché la maladie du jeune homme.
Les parties et les témoins parlent effectivement de stérilité, qui est nettement prouvée, tant par les déclarations contenues dans les actes que par les certificats médicaux.
En ce qui concerne le critère de réaction, il est certain que la décision de l’épouse de quitter définitivement son mari a été prise quand elle a découvert l’infertilité de son mari et surtout quand elle s’est rendu compte de l’inutilité des traitements pour guérir son mari.
Le mariage a eu lieu en 1995. En 1981 Maros, né en 1973, avait été atteint de la maladie appelée « parotite », qui peut entraîner la stérilité. En 1984 on détecte chez lui que les testicules ne sont pas descendus dans les bourses, mais cet état s’arrange en 1987, alors que Maros a 14 ans. Les certificats médicaux attestent de cette situation.
On ne peut pas prouver, à partir de là, que Maros était stérile – la science ne permet pas d’aller jusque là -, mais il y avait au moins un grave problème en raison de la faible mobilité de son sperme.
Maros n’a pas voulu se soigner, et donc il a conservé un état qui était préjudiciable à la fécondité. De plus il s’est mis à boire parce que sa femme cherchait sa guérison. C’est ce que déclare Daniela qui donne à ce sujet de nombreux détails, confirmés par les parents et le frère de la demanderesse.
La mère de Maros déclare que son fils se soignait durant son enfance, mais qu’elle ne savait pas que sa maladie pouvait avoir des conséquences pour sa fécondité. Cette ignorance est suspecte : tout parent, si son enfant est malade, cherche à le faire soigner, et tout parent se préoccupe des conséquences de la maladie pour l’avenir de son enfant malade.
La demanderesse ne peut pas dire si Maros était conscient de sa stérilité. Sa mère est du même avis, tandis que son père est plus affirmatif : « Je pense que Maros a pu connaître sa stérilité ».
Les parents de Daniela avaient informé Maros, avant le mariage, que leur fille était atteinte d’épilepsie. Daniela rapporte ce fait et ajoute : « La conversation a tourné sur mon état de santé et je pense qu’alors Maros aurait dû parler aussi des problèmes qu’il avait eus dans son enfance et son adolescence ». La mère de Daniela confirme la conversation : « Ni Maros ni ses parents, avant le mariage, n’ont parlé à nous ou à Daniela des problèmes de santé de Maros dans son enfance. Nous en avons été informés seulement après le premier examen médical qu’il a subi après son mariage ».
La mère de Maros a gardé le silence, dit celle-ci, « parce que personne ne m’a posé de question sur ce sujet ».
Cette façon d’agir doit être considérée comme un dol par omission, car la déclaration de la pathologie de Daniela de la part de ses parents était une demande implicite posée à Maros pour son propre état médical.
Mais il y a plus grave. La mère de Maros a déclaré qu’elle ne connaissait pas les effets de la maladie de son fils sur la fécondité de celui-ci. Or si Daniela et ses parents avaient été informés de cette maladie, ils auraient pu s’inquiéter de ses conséquences.
Enfin, même si Maros avait ignoré les effets de sa maladie sur sa fécondité, il aurait dû avertir Daniela et ses parents de son état de santé, mais il ne l’a pas fait, il s’est tu, ce qui constitue un dol par omission. On peut ajouter que lors de la préparation au mariage, où il a été question des enfants, Maros n’a pas dit un mot.
L’absence de maternité et la négligence de Maros pour se soigner ont gravement perturbé la communauté de vie. Daniela avait épousé Maros par amour, dans la joie. Mais elle désirait être mère et sa vie avec Maros s’est dégradée parce qu’il ne voulait pas se soigner, en dépit des visites médicales auxquelles Daniela lui demandait de se soumettre.
En conclusion :
Daniela aimait Maros et elle voulait fonder une famille. Comme son mari la frustrait dans ce désir légitime d’une épouse, l’amour de Daniela s’est refroidi, la concorde a disparu et l’épouse a fini par divorcer. Tout cela prouve le critère de réaction face à un dol commis par le mari, partie appelée, au grand dam de l’épouse demanderesse en ce qui concerne son désir légitime d’avoir des enfants.
Constat de nullité
pour dol commis par le mari
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
John G. ALWAN
Giordano CABERLETTI
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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 ; cf. c. 1055 § 1
[2] Fr. 1 § 2 D, de dolo malo, 4, 3
[3] G. MICHIELS, Principia Generalia de personis in Ecclesia, Paris-Tournai-Rome, 1955, p. 660
[4] Cf. Nuntia, 10, 1980, p. 49, c. 156 § 2, et 15, 1982, p. 77 sq., c. 156 § 2
[5] C. CANALS, 21 avril 1970, SRRDec, vol. LXII, p. 371, n. 2
[6] C. PINTO, 28 avril 2008, n. 8
[7] Cf. c. MONIER, 6 novembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 712, n. 8-9
Coram PINTO
Incapacité d’instaurer le bien des conjoints
c’est-à-dire la communauté de toute la vie
Bratislava (Slovaquie) – 16 mai 2008
P.N. 19.152
Non Constat
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Maria P. et Ladislas S. se marient le 30 septembre 1989. Ils se connaissaient depuis l’enfance mais leur relation amoureuse n’avait commencé que l’année précédente. Leur union dure 7 ans, un enfant vient au monde dan leur foyer mais de graves discordes naissent entre les époux si bien qu’en mai 1996 Maria retourne chez ses parents, emmenant avec elle son fils.
Désireuse de retrouver sa liberté, elle adresse au Tribunal de Bratislava, le 30 décembre 1996, un libelle demandant la déclaration de nullité de son mariage pour défaut de consentement de la part du mari. Le 18 août 1997, le doute est concordé, le chef allégué étant l’incapacité de réaliser le bien des conjoints ou la vie commune conjugale, au sens du c. 1055 § 1 CIC, de la part du mari. Le 1° décembre 1998 un nouveau chef est ajouté, concernant l’incapacité de l’épouse. Le 20 octobre 1999, le Tribunal rend une sentence affirmative pour l’incapacité de chacun des époux.
Le Tribunal d’appel admet la cause à l’examen ordinaire du second degré, par un décret du 7 juin 2000. Le doute est concordé en reprenant les chefs de la première instance. Chacune des parties fait une nouvelle déposition et une expertise est effectuée. Le 30 juin 2003 est rendue une sentence négative.
En troisième instance à la Rote, le doute est concordé le 29 juillet 2005 sous la formule : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour incapacité d’instaurer le bien des conjoints, c’est-à-dire la communauté de toute la vie (c. 1055 § 1 CIC), de la part de chacune des parties ? ». Une nouvelle expertise sur les actes est réalisée.
* *
EN DROIT
Le chef de nullité d’incapacité d’assumer le bien des conjoints, en l’occurrence, regarde l’un des biens et propriétés du mariage qui constituent la source des droits et des devoirs essentiels du mariage dont parle le c. 1095, 2° et 3°.
Le c. 1055 § 1 statue que le mariage « est ordonné par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants ». L’expression « bien des conjoints » est la claire manifestation de la doctrine matrimoniale du Concile Vatican II, qu’on appelle le « personnalisme », et elle indique donc la fin personnelle et duelle des contractants dans l’accomplissement de leur mariage, au sens objectif toutefois, c’est-à-dire au sens où l’esprit des contractants doit se tourner, au moment de l’émission de leur consentement, vers les fins intrinsèques et institutionnelles du mariage, telles qu’elles ont été disposées par le Créateur.
Ici se trouve la raison pour laquelle la Jurisprudence récente de Notre Ordre a considéré et jugé le chef du bien des conjoints dans deux perspectives, c’est-à-dire de façon distincte : la simulation et l’incapacité.
Parmi les sources du c. 1055 on considère avec raison l’Encyclique Casti Connubii de Pie XI, qui enseigne que la véritable nature de l’amour marital est « que les époux s’entraident à conformer et à parfaire chaque jour davantage l’homme intérieur, de telle sorte que par leur communauté mutuelle de vie ils progressent dans la vertu de plus en plus au cours du temps, et principalement qu’ils croissent dans un véritable amour envers Dieu et le prochain »[1]. Par ces paroles du Magistère pérenne il est affirmé que le bien des conjoints s’identifie au véritable état matrimonial et qu’il est nécessairement possible et en croissance dans le temps, si et dans la mesure où les personnes des contractants croissent et s’enrichissent au plus profond d’elles-mêmes.
Si le bien des conjoints est pris au sens où il consiste dans la maturation des conjoints en tant que personnes par la donation généreuse et réciproque que demande l’amour conjugal, il nous apparaît davantage qu’il y a une connexion avec une autre expression personnaliste de grande importance qui est l’objet du c. 1057 § 2, à savoir que les conjoints « se donnent et se reçoivent mutuellement pour constituer le mariage ». Le véritable amour conjugal entre pour cette raison dans le consentement lui-même en tant qu’élément essentiel de la donation de soi et de l’acceptation de l’autre. Nous prenons l’amour conjugal comme un véritable projet conjugal, dans le bonheur et les adversités, pour tout le cours de la vie, en vue de la promotion humaine et spirituelle de la personne de chacun des conjoints. Personne n’oserait nier que la Jurisprudence de la Rote Romaine a très opportunément institué une relation étroite entre le mariage in fieri, le mariage-alliance, et le mariage in facto esse, le mariage-état de vie, comme deux phases de la communauté conjugale distinctes et cependant étroitement liées. Une sentence c. Serrano, du 9 novembre 1988, enseigne à ce sujet, en relation avec la capacité de construire une relation conjugale appropriée, que « le mariage in fieri se situe par rapport au mariage in facto esse comme le commencement par rapport à l’œuvre achevée, comme la pierre angulaire par rapport à l’ensemble de l’édifice »[2]
La nullité du mariage est mise ne cause dans chacun des numéros 2 et 3 du c. 1095, de façon conjointe et de façon séparée, mais toujours et de quelque manière que ce soit il faut être attentif au lien qui existe entre l’intelligence et la volonté. Il est dit en effet : « Le mariage étant en fait constitué par le consentement, c’est-à-dire par un acte de volonté qui ne peut être suppléé par aucune puissance humaine, il présuppose chez les contractants l’acte humain, formellement humain, c’est-à-dire composé de l’usage de l’intelligence et celui de la volonté. Celui, par contre, qui manque de l’usage de la raison, n’est pas capable de mettre à l’existence un acte humain semblable et donc d’émettre le consentement matrimonial »[4].
La Jurisprudence de la Rote Romaine rejette de façon absolument certaine les présupposés d’une argumentation qui tourne en rond, selon laquelle le naufrage du mariage serait par lui-même la preuve d’une erreur dans la décision du mariage, et l’erreur à son tour prouverait l’existence d’un défaut grave et invalidant de discretio judicii ou celle d’une incapacité de former validement la communauté de vie
Nous reconnaissons, dans une sentence du Ponent soussigné, en date du 24 octobre 1997, que la connexion et la distinction existent ensemble entre deux espèces d’incapacités, c’est-à-dire entre les deux chefs qui découlent des numéros 2 et 3 du c. 1095 : »A très bon droit les incapacités du n° 2 et du n° 3 du c. 1095, même si elles sont considérées définitivement comme des chefs distincts de nullité de mariage, peuvent se trouver cependant tellement connexes dans un sujet – la raison d’un être humain changeant des milliers de fois -, que l’incapacité du n° 2 soit à l’égard de celle du n° 3 comme une cause par rapport à son effet »[5].
Et dans une autre sentence semblable du Ponent soussigné du 30 janvier 1996, on lit : « Enfin nous ne devons pas oublier une certaine difficulté dans la distinction des n° 2 et 3 du c. 1095 pour qu’il y ait un passage du premier numéro au second par une certaine osmose. Y a-t-il deux chefs ou un seul ? A ce sujet il Nous semble que la norme canonique a voulu mettre en lumière une distinction, mais également une proximité, non pas cependant une identité, puisque le n° 2 se réfère à l’objet du mariage, et que le n° 3 au contraire se réfère à la capacité, considérée dans le sujet, d’assumer ce que celui-ci a présumé assumer[6] »[7].
La connexion de causalité entre les deux espèces d’incapacité ci-dessus mentionnées se trouve ainsi décrite dans une sentence de Stankiewicz, du 24 février 1994 : « Au sens large […] l’incapacité d’assumer les obligations matrimoniales peut dénoter aussi un défaut de liberté interne […], surtout si l’on préfère dire qu’elle se développe tout à fait indépendamment du défaut de discretio judicii »[8].
D’ailleurs le défaut de discretio judicii entraîne très souvent la question d’une possible incapacité d’assumer les obligations conjugales chez le contractant, celle-ci, clairement, restant totalement étrangère à l’hypothèse d’un consentement donné sous l’effet de la crainte.
Cependant c’est de toute façon au seul juge qu’il faut reconnaître la mission de juger. Nous recevons en effet cet enseignement : « […] l’appréciation effectuée par l’expert dans les limites de sa compétence technico-scientifique est soumise à l’appréciation discrétionnaire souveraine du juge, qui, selon le principe de sa libre conviction par lui-même, n’est pas tenu d’adhérer au jugement de l’expert »[11].
EN FAIT (résumé)
Nous ne trouvons rien dans les actes et les éléments de preuve qui puisse prouver l’incapacité des parties d’assumer le bien des conjoints.
Le dispositif de la sentence de 1° instance, qui a déclaré la nullité du mariage, va au-delà de la demande (ultra petita), car cette sentence parle de simulation, alors que le doute concordé ne contient pas ce chef, et alors également que la nullité du mariage pour simulation du consentement ne peut pas se concilier avec la nullité pour incapacité d’émettre un consentement valide, dont il est question au c. 1095, 2°.
Ladislas, le mari partie appelée, affirme sans cesse que Maria n’a pas pu rompre le lien avec ses parents, qu’elle leur était toujours soumise, et qu’elle n’avait pas eu l’intention de bâtir une communauté avec son conjoint. Ces déclarations sont confirmées par la sœur de Ladislas, mais le Père Ivan, qui ne connaissait pas Maria au moment du mariage, est plus nuancé sur l’attachement de l’épouse à sa famille. Tout cela ne conduit pas à voir une anormalité psychique chez Maria.
Ladislas pense également que son épouse a souffert d’une certaine anomalie, qui l’a amenée à mettre un terme à ses études universitaires, et il ajoute que Maria a eu une dépression et a menacé de se suicider et de tuer son mari. Toutefois on ne peut pas lui faire confiance car il a refusé de donner les noms de témoins ayant été au courant des cures psychiatriques de sa femme, et il s’est montré insolent vis-à-vis du juge.
De son côté Maria conteste avoir souffert d’une maladie psychique et avoir menacé de se suicider et de tuer son mari.
Quant aux témoins, ils donnent une bonne image de Maria et affirment qu’elle n’a jamais souffert d’une pathologie quelconque.
L’expert qui a examiné l’épouse en deuxième instance n’a découvert chez elle aucune anomalie et son rapport est très clair à ce sujet. Son diagnostic a d’ailleurs été confirmé par l’expert rotal : « Je ne retiens pas que la demanderesse […] souffre ou ait souffert de quelque trouble d’origine psychologique et/ou psychiatrique.
Maria dépeint Ladislas comme un homme uniquement préoccupé de lui-même, intolérant, ne manifestant aucun sentiment pour sa femme. Les membres de la famille de la demanderesse et ses proches confirment les particularités négatives du mari, estimant que celui-ci est incapable d’offrir de l’amour aux autres et de tisser des relations inter-personnelles, et le Père Ivan, qui a été le professeur de Ladislas, est plutôt enclin à le juger incapable d’instaurer une communauté conjugale.
De son côté, le mari récuse toutes les allégations le concernant et sa sœur le présente comme capable de se donner aux autres et d’avoir eu d’excellentes intentions en se mariant.
L’expert de la deuxième instance, qui a examiné directement le mari, exclut toute pathologie chez lui : « Aucune infirmité psychique […], Sans maladie psychique, seulement un léger déséquilibre interne, causé par une super-sensibilité interne ». L’expert rotal est pleinement d’accord avec l’analyse de son confrère : « Aucun trouble psychique ».
Conclusion
Comme l’a très justement noté l’expert rotal, les parties ont essayé en vain de donner à leurs conflits, nés d’une insuffisante connaissance de soi avant le mariage, la forme d’un désordre psychique. En s’accusant l’un l’autre d’incapacité d’instaurer une communauté de vie, ils ont plutôt parlé d’une absence d’accommodation mutuelle dans le mariage, mais les difficultés de bien s’accorder entre époux ne prouvent pas l’incapacité juridique d’instaurer le bien des conjoints de la part de chacune des parties.
Non Constat
pour le chef d’incapacité
visant l’un et l’autre des conjoints
Pio Vito PINTO, ponent
John G. ALWAN
Giordano CABERLETTI
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[1] PIE XI, Casti Connubii, AAS, vol. XXII, 1930, p. 548
[2] C. SERRANO, 9 novembre 1988, SRRDec, vol. XC, p. 724, n. 6
[3] JEAN-PAUL II, Encyclique Fides et ratio, 14 septembre 1998, n. 22 et 24
[4] M.F. POMPEDDA, Studi di Diritto Matrimoniale canonico, Milan 1993, p. 193
[5] C. PINTO, 24 octobre 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 783, n. 4
[6] Cf. c. COLAGIOVANNI, 20 mars 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 174, n. 5
[7] C. PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4
[8] C. STANKIEWICZ, 24 février 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 111, n. 10
[9] C. PINTO, 18 décembre 2002, n. 6
[10] Cf. F. DELLA ROCCA, Diritto matrimoniale canonico. Tavole sinottiche, Padoue, 1995, p. 81
[11] A. STANKIEWICZ, La convertibilità delle conclusioni peritali nelle categorie canoniche, Monitor Ecclesiasticus, 119, 378 ; cf. F. ROBERTI, De processibus, vol. II, Rome, 1926, p. 88
Coram PINTO
Exclusion du bien du sacrement
Tribunal régional de Salerne – Lucano (Italie) – 11 juillet 2008
P.N. 19.795
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Pasquale P. et Francesca T. se marient le 18 avril 1999. Ils s’étaient rencontrés en 1998 et sur la demande du père de Francesca celle-ci fut employée dans le service des impôts que dirigeait Pasquale. Malgré leur différence d’âge – 45 ans pour Pasquale et 27 pour Francesca – ils s’étaient épris l’un de l’autre, en dépit de l’opposition des parents de la jeune fille en raison précisément de leurs âges respectifs.
La vie conjugale est difficile à cause d’une dépendance très grande de Francesca vis-à-vis de ses parents. Deux enfants viennent au monde. Les époux se séparent en 2001.
Le 10 août 2001 le mari adresse un libelle au Tribunal de 1° instance, accusant son mariage de nullité pour exclusion du bien du sacrement de sa part. Les parties sont entendues, ainsi que 4 témoins introduits par le demandeur. L’épouse refuse de présenter des témoins, se contentant de fournir au Tribunal des déclarations de 4 personnes. Le 23 mai 2003 le Tribunal rend une sentence négative.
L’épouse fait appel à la Rote où le doute est concordé, le 4 décembre 2003, sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari. Le 9 janvier 2006 le Tour coram Bottone rend une sentence positive.
La cause est transmise au Tour supérieur où le doute est concordé sous la formule suivante : La sentence rotale du 9 janvier 2006 doit-elle être confirmée ou infirmée ; en d’autres termes, la preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur, au troisième degré de jugement ?
EN DROIT
Dans la célébration du mariage, l’acte du consentement fictif consiste dans un acte positif de volonté par lequel quelqu’un, alors qu’il exprime par des signes extérieurs sa décision de se marier, prétend, en son for intérieur, c’est-à-dire par un raisonnement et/ou une volition contraires, exclure une propriété essentielle du mariage, par exemple l’indissolubilité, se réservant le droit de divorcer ou d’utiliser la séparation d’avec son partenaire par une simple fuite ou un départ définitif (cf. c. 1102 § 2). Toutefois la mentalité erronée, diffuse chez les hommes d’aujourd’hui, contre la perpétuité du mariage ne peut pas être invoquée simplement comme une cause efficiente de la nullité du mariage.
Pour que le consentement matrimonial soit déclaré nul, trois éléments sont requis : la confession du simulant, une cause proportionnée de simulation, des indices et des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes de la célébration du mariage, qui apportent nettement la preuve du consentement fictif.
Ainsi l’indissolubilité et l’unité sont unies réciproquement dans le mariage, si bien que l’indissolubilité exprime la plénitude de l’unité, c’est-à-dire que l’unité est l’indissolubilité ininterrompue dans le temps, cette dernière étant « plus essentielle au mariage que la fidélité et la génération »[2].
La perte du sens d’appartenance à l’Eglise
« Il arrive cependant, lit-on dans une sentence du Ponent soussigné, du 21 juillet 1996, qu’un fidèle baptisé veuille célébrer le sacrement devant l’Eglise, et cela avec une grande solennité, et en même temps ne pas être d’accord avec la doctrine de l’Eglise[3]. Il n’échappe à personne qu’il y a une carence, qui se développe de plus en plus, de ce « sens d’appartenance à l’Eglise », qui au contraire se manifeste indiscutablement chez les adeptes d’autres religions comme par exemple les musulmans et les hindous »[4].
Conséquences pour l’amour conjugal
Ce type de fidèles, s’appuyant sur un amour érotique, par l’effet de l’influence maléfique des principes pervers de l’hédonisme moderne, et non sur un véritable amour sponsal, sont catholiques de nom, mais leur cœur et leur volonté ne s’appuient plus sur Dieu et la doctrine de l’Eglise. Le troupeau des fidèles qui comprennent et honorent l’amour conjugal est chaque jour plus maigre, cet amour conjugal qui est intrinsèquement ordonné à la charité conjugale et qui est l’âme ou la forme de la pleine union des corps et des esprits, qui est « la façon propre et spécifique par laquelle les époux participent à la charité du Christ se donnant lui-même sur la croix, et sont appelés à la vivre »[5]. Il s’agit d’une élection divine, qui est indiquée par le terme de ‘vocantur’, ‘sont appelés’. Il faut donc que les fidèles, après avoir reconnu l’élection divine, choisissent ensuite librement leur partenaire et qu’ils acceptent l’égalité que la loi divine place entre le véritable amour conjugal et l’alliance irrévocable et perpétuelle par laquelle les contractants se donnent et se reçoivent mutuellement pour instaurer le mariage (cf. c. 1057 § 2), et qui « au-delà de l’union en une seule chair, conduit à ne faire qu’un cœur et qu’une âme »[6].
Conséquences sur la simulation
Il est écrit très opportunément dans une sentence du Ponent soussigné, du 9 juillet 2001 : « Il est sûr que la validité du mariage s’écroule, selon la jurisprudence affermie de Notre For, lorsque l’acte de la volonté est défaillant, bien que cela puisse se réaliser, dans le domaine de la simulation, d’une autre façon que dans celui de l’incapacité du c. 1095[7]. Alors en effet que la simulation suppose la volonté de ne pas contracter et qu’il y a par conséquent un acte positif de volonté, mais contraire à l’économie divine et à la doctrine de l’Eglise, par contre, dans l’incapacité, l’acte de volonté est tout simplement absent.
Il arrive en effet de plus en plus à notre époque qu’est donnée à la volonté une représentation fausse, ou erronée, de l’objet. Cela fait que les vérités immortelles, chez les jeunes d’aujourd’hui, sont mésestimées ou, ce qui est pire, substituées par des simulacres d’un jour. Le ministère de l’Eglise ne sera pas de suivre, à cause de cela, la mentalité de la dissolubilité civile du mariage, c’est-à-dire du divorce, puisqu’il est uniquement de suivre l’Evangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais il est plutôt de rechercher avec soin l’homme contemporain dans un contexte de société de plus en plus étranger à la religion chrétienne, et de lui porter secours, concrètement, c’est-à-dire de lui proposer la paix de sa conscience en ce monde et le salut éternel dans le monde futur »[8].
En vérité, il ne s’agit pas seulement de « mentalité favorable au divorce », avec son erreur totale, mais de la façon de penser et de vivre de la part des jeunes d’aujourd’hui, et qui est beaucoup plus grave. Il s’agit précisément du refus radical de l’institution matrimoniale fondée dans la nature et élevée par le Christ, dans le Nouveau Testament, à une plus grande dignité. « Un aspect général plus grave de la mentalité des jeunes de notre temps consiste en ce qu’ils se disent croyants et cependant libres d’adhérer à la volonté du siècle, qui, grâce aux moyens de communication sociale, exalte de plus en plus le type d’homme qui se marie civilement deux, trois ou quatre fois »[9].
La jurisprudence de Notre Ordre n’a pas attendu aujourd’hui pour exprimer en termes clairs le principe que « plus l’erreur est cultivée et acceptée radicalement, plus facilement s’établit une présomption d’exclusion de la propriété essentielle. La volonté, qui est comme une faculté aveugle de l’âme, suit ordinairement la représentation que lui fait l’esprit. Il est d’autant plus difficile à la volonté de se détacher de l’objet qui lui est présenté par l’intelligence, qu’est plus intérieure et plus forte l’adhésion et l’attachement de l’intelligence à cet objet. Il arrive en effet parfois qu’une certaine vérité ou une erreur deviennent comme une nouvelle nature de l’homme et qu’ainsi elles attirent la volonté comme de façon irrésistible »[10].
En d’autres termes une sentence c. Felici déclarait : « En général l’homme opère selon ce qu’il ressent profondément, en raison du principe de motricité des idées et des images, selon lequel l’image et l’idée obtiennent une efficacité d’autant plus grande, c’est-à-dire poussent à agir d’autant plus fortement, qu’elles sont vives et profondes, qu’elles se situent davantage dans l’intérieur de l’âme »[11].
En outre il arrive très fréquemment, dans un large ensemble de chrétiens qui contractent mariage, que dans leur consentement ce n’est pas la vérité de la nature ou de l’Evangile qui spécifie l’objet, mais l’erreur. « Le consentement des personnes qui se marient, écrit excellemment Mgr Pompedda, est dirigé vers l’objet en tant que celui-ci est infecté par une telle erreur. En d’autres termes, l’erreur est l’objet de la volonté du contractant. Une telle erreur ne peut pas ne pas falsifier, corrompre le consentement, si la qualité sur laquelle porte l’erreur même ne peut pas s’accorder avec l’objet authentique du consentement matrimonial »[12]. Une sentence du Ponent soussigné, du 9 mai 1997, s’appuyait sur ces déclarations : « Cependant il ne faut pas minimiser la peste moderne des catholiques, qui tiennent qu’ils peuvent tout faire, dépourvus qu’ils sont même de la plus petite catéchèse chrétienne, de telle sorte que le passage est de jour en jour plus fréquent d’une erreur générale à un jugement pratico-pratique, actuel ou au moins virtuel, détruisant l’essence de l’objet formel du consentement. Pour les juges ecclésiastiques, en conséquence, se présente de plus en plus la nécessité de se faire les notaires de cette funeste réalité qui, si l’on pouvait l’exprimer d’un seul mot, devrait être proclamée comme le rejet systématique des obligations à recevoir »[13].
« […] Il arrive en effet que le contractant puisse entretenir deux volontés co-existantes. D’une part il choisit délibérément son partenaire, il adhère à lui d’un cœur sincère, il corrobore au long des fiançailles le choix délibéré qu’il a fait, qu’il confirme ensuite par les réponses qu’il donne sous serment dans la préparation au mariage et qu’enfin il signe solennellement lors du rite nuptial par un consentement émis selon la règle du droit. D’autre part toutefois, mettant à jour les inclinations fausses de son esprit ou enfin les dissimulant parfois, le contractant, gardant à l’esprit une erreur invincible quant à la solubilité irrécusable du lien, selon la mentalité prévalente et, plutôt même, dominante du siècle, fait un acte de volonté clair et sans équivoque, de rejeter le mariage conforme aux principes requis par la nature et par le droit […] »[14].
EN FAIT (résumé)
Les Pères soussignés sont conscients de la difficulté de prouver l’acte de volonté de simulation, en général, et dans cette cause en particulier en raison des déclarations contraires des parties. Il y a cependant des arguments en faveur de la nullité.
Francesca a tenté de dissimuler au Tribunal les problèmes d’ordre psychologique qu’elle a rencontrés, et dont des documents sont dans les actes. En second lieu, elle a confirmé qu’elle avait signé avec Pasquale un engagement de ne rien lui demander en cas de séparation légale. De plus elle a subi un avortement avant son mariage, par crainte de ses parents, et cette crainte s’accompagnait d’un attachement exagéré et insurmontable vis-à-vis de ceux-ci.
Cette attitude laisse à penser que Francesca n’est pas de bonne foi dans ce procès, même lorsqu’elle défend la validité de son mariage.
Pasquale a été constant dans toutes ses déclarations relatives à son exclusion de l’indissolubilité du mariage : « Etant catholique pratiquant, je connaissais les devoirs attachés au sacrement de mariage. Malgré cela, en considération de tout ce qui s’était passé pendant nos fiançailles, et des doutes qui m’assaillaient, je n’ai pas accepté le lien permanent avec Francesca, et donc j’ai exclu positivement l’indissolubilité du mariage […]. J’ai dit à Francesca que j’excluais l’indissolubilité ».
En seconde instance, Pasquale précise son attitude, reconnaissant qu’il avait exclu l’indissolubilité de manière hypothétique : « Bien naturellement je me préoccupais de l’avenir et je me suis laissé une porte ouverte au cas où les choses s’aggraveraient […]. Si après avoir tout tenté la vie commune apparaît impossible, le divorce me semble quelque chose d’adéquat. Ma conviction s’est renforcée en voyant l’échec du mariage de quelques amis ».
Francesca déclare n’avoir jamais entendu Pasquale parler, avant son mariage, de ses réticences face à l’indissolubilité, mais on peut répondre que d’habitude un homme sensé qui va se marier ne parle pas clairement et explicitement à sa future épouse de son intention contre la perpétuité du lien.
Les quatre témoins du demandeur étaient au courant de son exclusion hypothétique de l’indissolubilité : « Pasquale […] m’a dit que si ça n’allait pas, si les conflits qu’il avait avec Francesca et ses parents continuaient, il y aurait la séparation […]. La nuit du 17 avril, la veille de son mariage, Pasquale, parlant avec moi jusqu’à trois heures du matin, m’a redit que si les conflits qu’il avait avec Francesca et ses parents continuaient, il se séparerait » (Michaël E.). Cette conversation de la nuit du 17 avril, et sa teneur, sont confirmées par un autre témoin, Giuseppe T.
La sœur de Pasquale rapporte que son frère a proposé à Francesca de signer chez un notaire un papier aux termes duquel, « en cas de divorce, personne des deux n’aurait dû prétendre à des conséquences financières de la part de l’autre ».
La mère de Pasquale reconnaît aussi que son fils avait l’intention de divorcer si la vie conjugale allait mal.
Le demandeur, l’épouse partie appelée et quelques témoins font état de l’excellente éducation qu’a reçue Pasquale, mais celui-ci déclare qu’à l’Université il a été pris par la mentalité dominante et qu’il a adopté une position favorable au divorce.
Cette cause réside dans les doutes qui assaillaient Pasquale avant son mariage. Tout d’abord, il avait constaté l’extrême dépendance de Francesca vis-à-vis de ses parents, et c’est pourquoi il lui avait proposé une convention de renoncement à toute indemnité financière en cas de divorce. Par ailleurs il avait découvert une Francesca changeante, indécise, prompte à changer facilement d’opinion, et cela l’inquiétait.
Les témoins confirment les doutes de Pasquale : il avait des conflits avec Francesca et avec les parents de sa fiancée, il commençait à penser que Francesca voulait l’épouser non pas par amour, mais pour se libérer de sa famille, ou encore pour acquérir les biens de son mari etc.
On a déjà évoqué les doutes de Pasquale sur l’avenir de son mariage. Cependant un fait est à noter. Il avait eu des rapports intimes avec Francesca, et celle-ci était tombée enceinte, mais elle s’était fait avorter. Pasquale se sentait responsable de cette situation et il a ressenti qu’il avait le devoir d’épouser Francesca.
Toutefois, tout de suite après le mariage, ses doutes se sont vérifiés : Francesca restait trop attachée à ses parents. Celle-ci se plaint de violences qu’elle aurait subies de la part de son mari, et il est vrai qu’un psychiatre, désigné par le Tribunal civil en vue de décider de la garde des enfants, parle de Pasquale comme d’un homme « possessif et autoritaire, qui veut tout et tout de suite, à tous prix ». En tout cas, le mari n’a par ailleurs pas tenté de se réconcilier avec sa femme et il a mis à exécution l’intention qu’il avait eue, avant de se marier, de divorcer en cas d’échec de son union.
Sans aucun doute il y a dans cette cause de nombreuses preuves, qui cumulées – la plus importante étant celle de la crédibilité du mari et de ses témoins – apportent la certitude morale de la nullité du mariage.
La sentence c. Bottone est confirmée
Constat de nullité pour exclusion
du bien du sacrement
de la part du mari demandeur
Vetitum pour le mari demandeur
Pio Vito PINTO, ponent
John G. ALWAN
Giordano CABERLETTI
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[1] CATÉCHISME DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE, n. 2364
[2] SOMME THÉOLOGIQUE, Supplément, q. 49, q. 3
[3] Cf. c. STANKIEWICZ, 29 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 308, n. 5
[4] C. PINTO, 21 juillet 1996
[5] JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio, n. 13
[6] Même endroit, n. 13
[7] Cf. c. FILIPIAK, 27 octobre 1961, SRRDec, vol. LIII, p. 450, n. 2
[8] C. PINTO, 9 juillet 2001, n. 4-5
[9] C. PINTO, même sentence
[10] C. POMPEDDA, 23 janvier 1971, SRRDec, vol. LXIII, p. 54, n. 5
[11] C. FELICI, SRRDec, vol. XLVI, p. 616, n. 4, c.
[12] M.F. POMPEDDA, Mancanza di fede e consenso matrimoniale, dans Studi di Diritto matrimoniale, Milan 1993, p. 438
[13] C. PINTO, 9 mai 1997, n. 5
[14] C. PINTO, même endroit
Coram MONIER
Impuissance relative de la femme
Gdansk (Pologne) – 22 mai 2009
P.N. 18.345
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
Introduction : Consentement et empêchement de mariage
Description du vaginisme
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Zbigniew B. et Barbara S. font connaissance en 1967 et se marient le 18 avril 1976.
Dès le début l’épouse éprouve de la répugnance pour son mari et la consommation du mariage est difficile. Les époux vont alors consulter un gynécologue qui diagnostique chez l’épouse un vaginisme.
La vie conjugale est malheureuse par suite de discordes entre les conjoints. Enfin l’épouse est enceinte, mais, au motif de ses études à poursuivre, elle se fait avorter. La vie commune devient intolérable et les époux se séparent. Le divorce est prononcé en 1978.
Désireux de retrouver la paix de sa conscience, le mari, le 25 novembre 1985, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Gdansk, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour simulation de la part de l’épouse et incapacité sexuelle de la part de celle-ci. L’instruction se déroule, avec une expertise. Le 8 septembre 1988 le Tribunal rend une sentence négative sur les deux chefs.
Neuf ans plus tard, le demandeur fait appel auprès du Tribunal de seconde instance de Warmia qui, le 1° décembre 1998, infirme la sentence du Tribunal de Gdansk.
En troisième degré devant le Tour Rotal, le doute est concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour impuissance relative de l’épouse, partie appelée ? Un complément d’instruction est effectué, comprenant une nouvelle expertise de l’épouse.
EN DROIT
Introduction : Consentement et empêchement de mariage
Pour contracter un mariage valide, il ne suffit pas que le consentement soit légitimement manifesté, mais il est requis par le droit que celui qui se marie ne présente aucun empêchement pour satisfaire aux droits et aux devoirs du mariage à donner et à recevoir mutuellement, tant pour le bien des conjoints que pour celui de la génération et de l’éducation des enfants.
A ce sujet Saint Thomas enseignait : « C’est pourquoi, de même que dans les autres contrats il n’y a pas d’obligation qui convienne si quelqu’un s’oblige à ce qu’il ne peut pas donner ou faire, de même il n’y a pas de contrat qui convienne au mariage s’il est fait par quelqu’un qui ne peut pas remplir le devoir charnel conjugal. Cet empêchement est appelé impuissance d’union charnelle, d’un terme général »[1].
La loi
Le Code Pio-Bénédictin de droit canonique, au c. 1068, décrétait expressément : « § 1. L’impuissance antécédente et perpétuelle, soit de la part de l’homme, soit de la part de la femme, soit connue, soit inconnue de l’autre, soit absolue, soit relative, dirime le mariage de par le droit naturel. § 2. Si l’empêchement d’impuissance est douteux, soit d’un doute de droit soit d’un doute de fait, le mariage ne doit pas être empêché ». Le code actuellement en vigueur n’a rien défini d’autre au c. 1084.
Quant à la note de perpétuité, au sens juridique, elle se vérifie lorsque l’impuissance ne peut en aucune façon cesser, c’est-à-dire lorsqu’elle est considérée comme inguérissable.
Il y a une distinction entre l’impuissance organique et l’impuissance fonctionnelle. « Peu importe qu’elle soit absolue, c’est-à-dire par rapport à toutes les personnes de l’autre sexe, ou relative, c’est-à-dire n’existant que par rapport au partenaire »[2].
Le vaginisme
La nécessaire antécédence du vaginisme
L’antécédence et la perpétuité de ce désordre sont traitées dans une sentence c. Bruno, du 3 avril 1987 : « Pour que soit établie l’antécédence du vaginisme il n’est pas exigé, au mépris de la loi morale, une preuve directe par une expérience prématrimoniale. Il suffit de connaître les causes qui provoquent l’instauration du vaginisme, et de les ramener rétroactivement, si c’est possible, à la période qui a précédé le mariage, parce que l’effet dure au moins tant que subsiste la cause. Un jugement, assez rapide pour un vaginisme secondaire, est beaucoup plus difficile lorsqu’il s’agit de vaginisme primaire. Et en effet, dans le vaginisme secondaire un examen médical peut permettre de déceler des causes anatomiques, qui entretiennent la maladie, et de leur évaluation attentive on remonte plus facilement à l’antécédence de cette maladie […]. Si cependant les causes anatomiques font défaut et qu’il s’agit de vaginisme primaire, la répulsion psychogène, qui explose dans la première tentative d’union charnelle, doit être considérée comme antécédente, puisque la cause est à chercher dans la nature psychique profonde de la femme […].
La nécessaire perpétuité du vaginisme
En ce qui concerne la perpétuité, le vaginisme secondaire doit être considéré comme étant par lui-même purement temporaire. Cela ressort de sa nature même, parce qu’en général il est guéri par des soins appropriés. En effet son insanabilité ne se vérifie seulement que lorsque la base organique ne peut en aucune façon être écartée. Le vaginisme primaire, dans lequel la cause provient d’une répulsion psychogène absolue, est présumé perpétuel, parce que la science médicale ne peut le guérir dans des circonstances ordinaires […]. En pratique toutefois il faut suivre cette règle : chaque fois que le vaginisme est certain et que sa guérison ne peut pas être obtenue par les moyens ordinaires et licites employés par la science, ou qu’on prévoit qu’elle n’arrivera pas par des moyens ordinaires, il doit être considéré comme perpétuel »[4].
Il ne manque pas de causes où ce qui est affirmé par une partie est nié mordicus par l’autre qui n’agit que par vengeance ou parce qu’elle s’estime offensée dans sa dignité, étant donné cette question si personnelle. Dans tous les cas le juge doit vérifier avec soin la crédibilité des parties dans leur exposé des faits.
On regardera comme étant de grande importance « les documents cliniques et toute déclaration, surtout faite à une époque non suspecte, des médecins ou des sages-femmes qui ont soigné le contractant.[6]
Il est très nécessaire d’avoir un rapport approprié d’expertise dans le domaine de l’impuissance, comme le statue expressément le c. 1680 : « Dans les causes d’impuissance ou de défaut de consentement pour maladie mentale, le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts, à moins qu’en raison des circonstances, cela ne s’avère manifestement inutile ; dans les autres causes, les dispositions du c. 1574 seront observées ».
En ce qui concerne le rôle de l’expert, ce dernier doit renseigner le juge sur les anomalies gynécologiques de la femme, leur nature, leur gravité, leur antécédence, leur possibilité de guérison ou non.
Sur l’acceptation par le juge des conclusions de l’expert, une sentence c. Defilippi enseigne excellemment : « Cependant, puisque l’expert est nommé soit en raison de son autorité spécifique en gynécologie, soit pour sa totale honnêteté, soit pour son habitude de traiter des causes devant les Tribunaux ecclésiastique, il ne peut pratiquement jamais arriver que le juge rende sa sentence contre les conclusions de l’expert, si elles sont au moins moralement certaines »[7].
A coup sûr, pour établir l’impuissance, comme le tient constamment Notre Jurisprudence, il ne suffit pas de présenter les difficultés dans l’accomplissement des actes conjugaux ; « il est requis la preuve juridique de sa perpétuité, qui n’est établie que si, par des arguments irréfutables et au jugement sûr des experts, aucun remède pour sa guérison ne peut ou ne pourra au cours du temps, dès la célébration du mariage, être utilisé pour supprimer cette impuissance[8] »[9].
EN FAIT (résumé)
La cause est difficile tant en raison des divergences entre les parties qu’en raison du manque de connaissance des témoins, qui s’explique d’ailleurs dans une cause portant sur l’intimité des conjoints.
Le mari n’a pas connu les problèmes d’ordre sexuel de sa femme avant le mariage car ils n’ont pas eu de relations charnelles proprement dites à ce moment-là. Par contre, dit Zbigniew, « notre mariage n’a pas été consommé à cause des contractions et des douleurs vaginales qu’avait Barbara. Il y a eu plusieurs tentatives de consommer notre mariage, sur mon initiative, mais à un certain moment Barbara m’a menacé d’appeler la police […]. A cette occasion je me suis rendu compte pour la première fois du vaginisme de ma femme […]. J’ai constaté l’impuissance de ma femme environ deux semaines après notre mariage ».
Selon le mari, cet état a duré pendant tout le temps de la vie conjugale, et Barbara n’a pas essayé de se soigner sur ce point.
En troisième instance à la Rote, elle a confirmé qu’elle avait eu des relations intimes normales et complètes.
Quelle est la crédibilité de l’un et de l’autre des époux ?
Toutefois les Juges constatent que la conduite actuelle de Zbigniew montre qu’il est capable de mener une vie conjugale heureuse avec sa femme et ses enfants. Les allégations de Barbara à ce sujet ne sont pas conformes à la vérité.
Deux témoins ont été interrogés. Ils ne savent rien sur l’intimité des conjoints et sur leur rupture.
En conclusion :
Il a manqué chez les conjoints une mutuelle acceptation et, en conséquence, a disparu la condition posée par l’expert pour surmonter l’aversion et en même temps l’impuissance de la part de la femme, conformément à ce qu’avait déjà énoncé la sentence du second degré.
Constat de nullité
pour impuissance relative de l’épouse
Maurice MONIER, ponent
Kenneth E. BOCCAFOLA
Pio Vito PINTO
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[1] SAINT THOMAS, Supplément, q. 58, a. 1, sed contra, 2
[2] C. BOTTONE, 4 juin 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 441, n. 4
[3] Medicina forense, 1965, p. 58
[4] C. BRUNO, 3 avril 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 215-216, n. 7-8
[5] C. EWERS, 16 décembre 1974, SRRDec, vol. LXVI, p. 744, n. 5
[6] C. PINTO, 27 octobre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 591, n. 6
[7] C. DEFILIPPI, 17 février 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 141, n. 10
[8] Cf. DI FELICE, 31 octobre 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 566
[9] C. BOCCAFOLA, 27 février 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 153, n. 5
Coram HUBER
Crainte
Tribunal régional de Sicile (Italie) – 19 novembre 2008
P.N. 19.799
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
2 La mesure de la gravité de la crainte
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Au mois d’août 1984, Agata E. fait la connaissance de Carmelo, avocat, de 9 ans plus âgé qu’elle. Au mois de novembre de la même année elle rencontre Fabio, qui lui plaît davantage, tant sous l’aspect de l’âge que sous l’aspect physique. Lorsque les parents d’Agatha font eux aussi la connaissance de Carmelo au début de l’année 1985, ils en sont heureux et s’efforcent d’amener leur fille à se rapprocher de lui. La mère d’Agata vante les qualités et le statut économique de Carmelo et elle a avec sa fille des discussions houleuses où elle lui représente le réconfort que son union apporterait à son père très malade.
Le mariage est célébré le 19 septembre 1987. Agata a 23 ans et Carmelo 32 ans. La vie conjugale n’est pas heureuse et la naissance d’une fille, en octobre 1988, ne permet pas aux époux de pacifier leurs rapports. Le 31 août 1990, Carmelo quitte le domicile conjugal et le divorce est prononcé le 28 décembre 1995.
Le 9 octobre 2000, Agata, désireuse de retrouver sa pleine liberté, adresse un libelle au Tribunal ecclésiastique de Sicile, accusant son mariage de nullité pour violence et crainte subies par elle-même. Le 11 avril 2003, le Tribunal rend une sentence négative, infirmée le 15 septembre 2005 par le Tribunal d’appel de Campanie.
En 3° instance à la Rote, le doute est concordé, le 1° décembre 2007, sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour crainte infligée à l’épouse ?
EN DROIT
Pour déclarer la nullité du mariage pour crainte, le c. 1103 requiert que la crainte provienne « de l’extérieur », qu’elle soit « grave » et qu’elle soit telle que « quelqu’un, pour s’en libérer, est forcé de choisir le mariage ».
Ces caractéristiques sont également postulées dans la crainte révérentielle, qui se distingue de la crainte commune en raison de la sujétion affective entre l’auteur de la crainte et la victime de la crainte, en raison de l’objet, qui est une indignation prolongée, et en raison des moyens.
Avant tout il apparaît clairement que, dans ce genre de crainte, le caractère « extrinsèque » n’existe pratiquement pas. La crainte tout entière est fondée sur la sujétion affective de celui qui subit la crainte vis-à-vis de ses parents ou de personnes analogues, comme l’enseigne Saint Alphonse : « La crainte révérentielle est celle par laquelle quelqu’un hésite à résister à une personne à qui il est soumis, comme le père, la mère, le grand-père, le beau-père, le mari, le Roi, le Maître, le Prélat, le tuteur, le curateur, comme l’enseignent les docteurs avec Sanchez »[1].
Dans ce genre de crainte il n’y a, de la part de l’auteur de la crainte, ni menaces, ni graves faits comminatoires. Il y a des prières inopportunes et très insistantes, des reproches, des vexations, des lamentations, des invitations, des désirs, des conseils, des persuasions. Tout le monde voit que l’extrinséité est réduite au minimum et que les limites entre crainte « de l’extérieur » et crainte « de l’intérieur » s’estompent presque entièrement. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux docteurs désirent la suppression des termes « ab extrinseco », alors que le mot « injuste » (« de façon injuste ») a déjà été supprimé du canon.
Si quelqu’un est un familier de la Jurisprudence Rotale, il sait que la gravité de la crainte doit être mesurée presque uniquement à l’aune de la personnalité de celui qui la subit. On lit à ce sujet : « Cependant le mal doit être évalué non seulement sous son aspect objectif, mais aussi et surtout sous son aspect subjectif ; quelle que soit la force morale qui cause la crainte, celle-ci consiste toujours en un ‘trouble de l’âme’ ; c’est pourquoi l’état de l’âme doit toujours être examiné pour qu’on juge si le contractant a véritablement considéré ou non le péril envisagé comme véritablement sérieux. Cette recherche psychologique revêt une importance particulière par exemple dans le cas de ce qu’on appelle ‘la crainte révérentielle’, qui, de soi, est légère puisqu’elle consiste dans une sujétion naturelle qui nous lie la plupart du temps, de façon générale, aux parents ou aux supérieurs, mais qui peut parvenir au niveau d’une véritable crainte grave si elle est caractérisée par des prières instantes, déplaisantes, ou brutales, qui arrivent à persuader le sujet que la grave indignation des parents ou des supérieurs va durer longtemps »[2]. Nous sommes ainsi avertis que ce n’est plus un critère absolu qui est à considérer, mais un critère relatif, c’est-à-dire relatif à une personne déterminée. Le juge doit voir dans chaque cas si, pour telle personne, le mal est grave, s’il est léger pour d’autres.
Le sujet qui est victime de la crainte est placé entre deux extrêmes : ou le mariage à célébrer, ou le mal à subir. Si la victime de la crainte se décide pour se libérer du mal, la crainte est considérée comme suffisamment grave pour invalider le mariage. Dans ce cas il y a un lien de causalité entre la crainte et la décision du mariage. Le mariage est conclu véritablement « à cause » de la crainte, et non « avec » la crainte, parce que la cause du mariage est attribuée à la crainte qui existe dans l’esprit de celui qui en est la victime.
Parmi les objets de la preuve on recense : le fait extérieur de la coaction, le fait interne de la crainte, le lien de causalité entre la décision et la célébration du mariage.
Quant aux moyens de la preuve, il est utile de rappeler ceci :
L’axe central de la preuve est constitué par l’aversion pour le mariage à contracter avec une personne déterminée. Il n’est pas requis une aversion initiale. Il peut arriver en effet qu’une partie, au début des fréquentations, ressente de l’amour pour son partenaire. Au cours du temps, la partie connaît mieux le caractère et la nature de l’autre partie. Il n’est pas rare que la partie change d’avis avant le mariage et qu’elle passe de l’amour à l’aversion. C’est pourquoi, à l’approche du mariage, il existe une aversion grandissante et finale, qui ne peut pratiquement pas être surmontée sans une coaction externe.
Il faut entendre en premier la victime de la crainte, qui peut révéler au juge pourquoi elle s’est sentie contrainte à se marier et pourquoi elle a fait ce qu’elle ne voulait faire en aucune façon. Selon la jurisprudence établie de Notre For, dans les causes portant sur la crainte la déclaration de celui qui a subi la crainte est à prendre en grande considération. Il sait en effet s’il a célébré son mariage consciemment et librement, ou non.
Il faut ensuite interroger l’auteur de la crainte, qui connaît les faits qu’il a commis. Qu’il dise pourquoi et comment il a infligé de la crainte à la partie.
Viennent après cela les dépositions de ceux qui ont constaté directement la coaction et qui ont appris quelque chose soit de la part de la victime de la crainte soit de la part de l’auteur de cette crainte. Il ne faut pas compter les témoins. Il faut rechercher si ceux-ci sont capables de considérer attentivement les circonstances et de les rapporter au juge avec diligence. Ce qui importe donc, c’est la qualité des témoins, non leur quantité.
Enfin il faut considérer toutes les circonstances : antécédentes, concomitantes et subséquentes.
Peuvent apporter une grande lumière pour un jugement correct : l’âge, le sexe, l’éducation, le caractère tant de la victime de la crainte que de l’auteur de la crainte, l’évolution des fréquentations avant le mariage, le jour du mariage, la consommation du mariage, la génération d’enfants, la vie commune, la fidélité conjugale, les causes de la rupture de la vie conjugale, la séparation personnelle des conjoints, la demande du divorce, le remariage.
Il n’est pas permis d’oublier, en terminant, que c’est la liberté dans la décision de contracter mariage qui est à rechercher, et non la liberté dans la prestation du consentement. Il faut être très attentif aussi à la crainte refoulée. Il peut arriver en effet que la partie qui a été contrainte se décide à remplir les obligations qui sont nées de son consentement donné par crainte. Si la victime de la crainte mène une vie conjugale pendant plusieurs années, a des enfants et ne rompt pas la vie commune de sa propre volonté, on ne doit pas conclure aussitôt à un véritable consentement. Cette façon d’agir en effet peut s’expliquer par beaucoup de raisons, surtout par la conscience subjective que le mariage est valide, par un manque de la connaissance requise et par l’absence de conseils opportuns. Pour contracter un mariage valide, il ne suffit pas d’une persuasion subjective, mais il est demandé en outre la liberté, à laquelle personne ne peut renoncer en se mariant.
EN FAIT (résumé)
Bien que le mari, partie appelée, ait écrit au Tribunal d’appel que les allégations de l’épouse sont des mensonges, il est difficile de ne pas faire confiance à la demanderesse et aux témoins, en raison des nombreux faits et documents qui plaident en faveur de l’épouse.
Il ne s’agit pas, dans le cas présent, d’une crainte commune mais d’une crainte révérentielle. Les témoins, qui ignorent cette distinction, parlent comme si tout ne concernait que la crainte commune, par exemple : « Je confirme que la demanderesse a délibérément choisi de se marier sans subir de coercition et de violence ». En général ils semblent plus nier les menaces que la crainte révérentielle.
2 L’aversion de l’épouse pour le mari et pour le mariage avec lui
Dans son libelle, Agata reconnaît avoir été attirée par Carmelo, dont la situation d’avocat lui « assurerait une meilleure insertion sociale », mais lorsqu’elle fait en novembre 1984 la connaissance de Fabio elle en tombe éperdument amoureuse. Toutefois le jeune homme ne répond pas à son amour, ce qui affecte beaucoup Agata.
Fin janvier 1985, Carmelo commence à venir régulièrement chez les parents d’Agata et les relations entre les deux jeunes gens s’orientent vers le mariage. « Toutefois, déclare Agata, à l’approche du mariage je n’étais pas heureuse parce que je pensais encore à Fabio mais parce qu’en même temps j’avais peur de déplaire à mes parents et d’aggraver l’état de santé de mon père si je ne me mariais pas avec Carmelo ». Agata confirmera en seconde instance cette déposition.
Les témoins confirment tous l’aversion d’Agata pour Carmelo : la mère de l’épouse : « Ma fille se disputait continuellement avec moi et me répétait qu’elle en avait assez de Carmelo […]. Elle me disait que Carmelo ne lui plaisait pas, elle pleurait […]. Cela a continué jusqu’au mariage ». Disent la même chose Francesco, le Père S., Anna, Giuseppe, le P. Angeli, qui connaissait bien Carmelo et qui déclare : « Il souffrait de se voir rejeté par Agata ». « Tout de suite après le voyage de noces, déclare le curé d’Agata, elle me disait qu’elle ne voulait pas l’épouser, qu’elle n’éprouvait aucun sentiment pour lui ».
Notre conclusion est que, dans le cas présent, l’aversion grandissante et finale de l’épouse, tant vis-à-vis du mari que vis-à-vis du mariage, ressort pleinement des actes.
Non seulement Agata s’est mariée contre son gré, mais sous l’effet d’une contrainte grave. Les déclarations de l’épouse sont très claires dans ses deux dépositions, et elles sont confirmées par des témoins de poids.
La mère d’Agata, en effet, reconnaît qu’elle a fait pression sur sa fille, en lui disant qu’un refus de sa part d’épouser Carmelo risquait d’aggraver la maladie de son père, et elle ajoute : « Ma fille est substantiellement liée à nous et donc elle a dû suivre nos indications […]. Mon erreur a été de poursuivre ma route à sa place, sans tenir compte de ses sentiments profonds et de sa volonté ».
Un ami du mari, Giuseppe, raconte avoir été témoin de discussions entre Agata et sa mère : « La fille disait à sa mère : ‘C’est vous qui m’avez forcée à épouser Carmelo’ ». Ce dernier témoignage, même s’il se rapporte à la période post-matrimoniale, est important car Giuseppe a entendu « plusieurs fois », et à une époque non-suspecte, ces reproches d’Agata qui attribuait la cause du mariage non pas à elle-même, mais à ses parents et surtout à sa mère.
Plusieurs témoins attestent des pressions et des contraintes subies par Agata, en particulier un prêtre qui a mis l’épouse en relation avec un juge du Vicariat de Rome : « Ce prêtre a entrevu la nullité du mariage et l’a dit expressément à l’épouse en ma présence ».
4 Les circonstances qui soutiennent la crainte révérentielle
Tout d’abord sont à noter la dépendance, la sujétion affective et l’obéissance d’Agata par rapport à ses parents.
Ensuite se trouve le caractère « très fort, impulsif et énergique » de la mère d’Agata, que reconnaît l’intéressée et dont parle de nombreux témoins ainsi que Carmelo, le mari partie appelée.
Le jour du mariage, Agata s’est montrée triste, signalent plusieurs témoins. Le voyage de noces a été malheureux, rapporte le curé d’Agata.
Enfin le mari accuse sa femme d’avoir continué, une fois mariée, à vivre en compagnie de ses parents, en négligeant son foyer, et il estime que son mariage est nul, mais pour un autre motif que la contrainte, à savoir « les qualités essentielles pour être femme, épouse et mère ».
Constat de nullité
pour crainte infligée à l’épouse
Josef HUBER, ponent
Giovanni-Baptista DEFILIPPI
Robert SABLE
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[1] SAINT ALPHONSE DE LIGORI, Theologia moralis, éd. 1837, t. III, lib. VI, Tract. VI, n. 1056
[2] C. CIVILI, 27 mai 1998, SRRDec, vol. XC, p. 404, n. 10