38_Sable_7fev2008

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Coram  SABLE

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Birmingham (Grande-Bretagne) – 7 février 2008

P.N. 16.949

Constat de nullité

pour l’incapacité d’assumer

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PLAN  DE  L’IN  JURE

Préliminaires

  1. LE GRAVE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII
  2. Les éléments requis par le consentement
  3. Un acte humain
  4. Maturité de connaissance et de liberté
  5. Les trois numéros du c. 1095
  6. Les trois éléments de la discretio judicii
  7. Le défaut de liberté interne et le défaut de discretio judicii
  8. La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii
  9. L’immaturité psycho-affective
  10. Nature de l’immaturité psycho-affective
  11. Immaturité psychique et défaut de discretio judicii
  12. La preuve de l’incapacité provenant d’un défaut de discretio judicii
  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER LES OBLIGATIONS ESSENTIELLES DU MARIAGE
  2. Remarques sur l’incapacité d’assumer
  3. Antériorité par rapport au mariage du vice grave causant l’incapacité
  4. Difficulté et incapacité
  5. La preuve de l’incapacité d’assumer

 __________

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 Les deux parties, Francis et Catherine, font connaissance en novembre 1973. A Pâques 1974, leur relation devient amoureuse et ils ont des intimités sexuelles. Catherine est bientôt enceinte (il y aura par la suite une fausse couche), si bien que les jeunes gens décident de se marier, et la célébration a lieu le 5 octobre 1974. La communauté conjugale n’est pas heureuse et les époux se séparent. Une tentative de renouer la vie commune a lieu et une petite fille vient au monde, le 18 novembre 1981, mais peu de temps après le mari quitte définitivement sa femme et le divorce est prononcé.

 L’épouse, le 16 juillet 1987, s’adresse au Tribunal ecclésiastique de Birmingham pour demander la déclaration de nullité de son mariage au double motif de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer les obligations conjugales de la part du mari. L’instruction se fait sans que soit ordonnée une expertise. La sentence du 18 juillet 1990 est négative sur les deux points.

L’épouse fait appel au Tribunal de seconde instance de Liverpool. L’instruction est complétée par une expertise. Le 2 juin 1993, le Tribunal rend une sentence affirmative, qui infirme celle de 1° instance.

 En 3° instance à la Rote, il Nous revient de répondre au doute concordé le 25 juillet 1996 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii chez le mari, partie appelée, et pour incapacité de celui-ci d’assumer les obligations essentielles du mariage ? ». Une nouvelle instruction est effectuée et une seconde expertise est exécutée.

 EN  DROIT

Préliminaires

  1. Le mariage en cause a été célébré en 1974, et donc sous le régime du Code de Droit Canonique de 1917. Le c. 1081 de ce code s’accorde substantiellement avec le c. 1095 du Code actuel, qu’on peut considérer comme une norme explicative ou déclaratoire du droit naturel et donc comme toujours en vigueur. Bien que le mariage en cause ait été célébré avant l’entrée en vigueur du nouveau Code, l’affaire doit être réglée selon la norme du c. 1095, 3° du Code de 1983.

Comme chacun le sait, selon la norme du c. 1057 CIC, « c’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine ».

Pour qu’il y ait l’habilitas, la possibilité juridique de se marier, les contractants doivent avant tout jouir d’une triple capacité : celle de comprendre, celle d’estimer, et celle d’assumer et de donner l’objet du contrat matrimonial.

Selon les principes du droit, dans la loi que nous suivons, sanctionnée par le Législateur Suprême, mais qui est fondée sur le droit naturel, « sont incapables de contracter mariage les personnes :

1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;

2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ;

3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage » (c. 1095).

LE GRAVE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII

  1. Les éléments requis par le consentement

 

  1. Un acte humain

 

  1. L’élément constitutif du mariage, donc, est le consentement des parties, c’est-à-dire un acte humain, dont l’homme est le maître. Comme l’enseigne Saint Thomas, « sont appelées proprement humaines ces actions seules qui sont propres à l’homme en tant qu’il est homme […]. Or l’homme est maître de ses actions par la raison et la volonté »[1], c’est-à-dire que « l’acte humain, pour être véritablement tel, requiert du sujet qu’il le pose dans un état suffisant de capacité intellective et volitive »[2].
  2. Maturité de connaissance et de liberté

 

Pour que le contractant puisse comprendre la nature et la force du contrat conjugal, il doit avoir une maturité de connaissance et de liberté proportionnée au contrat, maturité dont le niveau est déterminé indirectement compte tenu de l’objet formel du consentement matrimonial.

Le contractant doit être capable de percevoir, d’estimer, d’évaluer, et de se déterminer librement à l’instauration d’une communauté conjugale, perpétuelle et exclusive, ordonnée à la génération et à l’éducation des enfants, libre qu’il doit être non seulement de coaction externe mais plutôt de coaction psychique interne, c’est-à-dire avec une pleine faculté de décider de façon délibérée en sorte que les droits et les devoirs du mariage soient donnés et assumés sciemment et librement.

  1. Les trois numéros du c. 1095

 Chaque numéro du c. 1095 est un chef autonome de nullité. Au n° 1 sont concernées les personnes qui ne comprennent pas la nature et les obligations du mariage en raison d’une carence de l’usage suffisant de la raison et donc ne peuvent pas vouloir le mariage tel qu’il est proposé par l’Eglise. Au n° 2 sont concernés ceux qui comprennent la nature et les obligations du mariage mais qui ne peuvent pas les évaluer et les peser de façon critique et ne peuvent pas non plus émettre un jugement pratico-pratique à leur sujet par manque de discretio judicii ou parce qu’ils ne jouissent pas de liberté interne. Au n° 3, enfin, sont concernés ceux qui jouissent de l’usage de la raison, qui jouissent également de discretio judicii (ils ont donc la capacité de comprendre, d’estimer, d’évaluer et ont une liberté interne), mais qui, en raison d’une condition psychique pathologique, sont inaptes à assumer ou à remplir les obligations essentielles du mariage.

  1. Les trois éléments de la discretio judicii

 La discretio judicii comprend trois éléments : une connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement, une connaissance critique ou estimation proportionnée au mariage à célébrer, et une liberté interne, c’est-à-dire la capacité de délibérer après une évaluation suffisante des motifs, et cela de façon autonome, c’est-à-dire sans aucune détermination d’une impulsion externe.[3]

En conséquence, les contractants doivent, de la part de l’intelligence, avoir une connaissance minimale, selon le c. 1096, de l’institution du mariage, mais il est nécessaire que chacun jouisse aussi d’une maturité de discretio. La discretio judicii, outre une perception théorique, implique également une évaluation pratique de telle façon que « […] compte tenu de la nature du mariage, c’est-à-dire d’une affaire entraînant des obligations graves et perpétuelles tant envers son conjoint qu’envers les enfants à venir et également envers la société, ainsi qu’après avoir examiné les circonstances de son mariage, (le contractant) puisse établir par un jugement pratico-pratique s’il y a intérêt pour lui à contracter mariage avec cette personne déterminée ou s’il y a dommage à le faire, s’il convient ou non d’épouser cette personne, et enfin s’il est expédient, commode et utile, de se marier maintenant ou plus tard, à un moment plus opportun »[4]. C’est pourquoi le contractant doit clairement évaluer les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement, non pas de façon purement théorique, c’est-à-dire à propos du matrimonium in fieri, du mariage-alliance, mais également de façon pratique, c’est-à-dire à propos du matrimonium in facto esse, du mariage-état de vie.

De la part de la volonté il est nécessaire que l’acte qui est posé procède d’une décision délibérée libre du contractant, c’est-à-dire sans aucune coaction psychique ou aucune impulsion irrésistible, de telle sorte que la décision du mariage soit au plein pouvoir du contractant.

  1. Le défaut de liberté interne et le défaut de discretio judicii
  1. Le défaut de liberté interne et le défaut de discretio judicii s’accordent mutuellement, parce que la liberté de la décision délibérée ne dépend pas seulement de la volonté mais également de la connaissance critique de la chose. Même si l’intelligence et la volonté sont des facultés différentes, elles parviennent cependant à l’autodétermination par une causalité réciproque.

On lit dans une sentence c. Pompedda du 16 décembre 1985, « il y a liberté interne lorsque le sujet, et en l’espèce celui qui se marie, a la faculté de se déterminer lui-même de façon intrinsèque, ce qui en vérité n’exige pas l’absence totale d’impulsions, qui proviennent du caractère, de la vie passée, des circonstances existentielles, de l’éducation, du mode d’agir ainsi que des schémas de la loi morale. La liberté peut parfaitement exister avec des impulsions internes de ce type, mais elle requiert la capacité de leur résister »[5].

  1. La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii

Selon le texte de la loi, ce n’est pas n’importe quel défaut de discretio judicii qui induit l’incapacité de contracter mariage, mais seulement celui qui est grave et qui regarde les droits et devoirs essentiels du mariage. Cette gravité est à considérer sous un double aspect, selon une sentence c. Stankiewicz du 28 mai 1991 : « […] tant dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits et devoirs essentiels du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective, du contractant doit garder la proportion requise, que dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii »[6].

  1. L’immaturité psycho-affective
  1. Parmi les causes qui, de nos jours, sont présentées pour montrer le défaut de discretio judicii du c. 1095, 2°, on invoque fréquemment l’immaturité psycho-affective.
  1. Nature de l’immaturité psycho-affective

L’affectivité, qui constitue un élément essentiel de la personnalité humaine, est ainsi définie par les psychiatres : « Dans le concept d’affectivité nous comprenons la vie des sentiments et de l’âme, les affects, les états d’âme, les émotions et l’instinctivité. Le fait de ressentir le plaisir et la douleur, la joie, le deuil, la colère est à chaque fois un aspect de l’affectivité, de même que le sont les sentiments qui nous dominent dans le rapport avec d’autres personnes »[7].

L’immaturité psycho-affective vient d’une évolution anormale de l’esprit du sujet « qui, bien qu’il ait un âge suffisant, manque de la maturité de l’intelligence et de la volonté proportionnée au consentement »[8], de telle sorte que l’évolution de la faculté critique soit empêchée, et donc le sujet ne peut pas atteindre la conspiration harmonique de ces facultés supérieures.[9]

  1. Immaturité psychique et défaut de discretio judicii

Dans ce domaine cependant on doit bien faire attention au fait que ce n’est pas n’importe quelle immaturité psychique qui cause la nullité du mariage, mais celle seulement où se vérifie le défaut de discretio judicii dont parle le c. 1095, 2°. La nullité du mariage ne peut être déclarée que si la preuve est faite que l’immaturité psychologique du contractant a été la cause d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement. Ceci est confirmé dans une sentence c. Stankiewicz du 18 décembre 1986 : « Cela arrive en réalité si viennent à manquer les éléments que suppose la discretio judicii, c’est-à-dire d’une part chaque fois qu’outre l’usage de la raison nécessaire pour avoir la connaissance dont parle le c. 1096, la discretio est privée de la fonction d’estimer et d’évaluer la valeur ou l’importance qu’ont les charges essentielles du mariage tant en elles-mêmes que pour le contractant, sous les aspects éthique, social, juridique et d’autres aspects substantiels, fonction qui dépend du degré d’évolution des facultés cognositive et appétitive, auquel parvient une personne normale, lorsqu’elle atteint au moins la puberté , ou d’autre part, chaque fois que cette fonction est affectée d’une perturbation qui empêche gravement la délibération ou la libre décision dans le don du consentement matrimonial »[10].

  1. La preuve de l’incapacité provenant d’un défaut de discretio judicii
  1. En ce qui concerne la preuve, l’incapacité provenant d’un défaut de discretio judicii peut être montrée tant à partir du travail des experts dans le diagnostic de la cause pathologique du désordre psychique, qu’indirectement à partir de tous les faits, circonstances, indices apportés en jugement par les parties et les témoins.

Sur la nécessité du travail des experts, la loi ecclésiastique statue : « Dans les causes d’impuissance ou de défaut de consentement pour maladie mentale, le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts » (c. 1680). Le c. 1579 déclare : « § 1. Le juge appréciera attentivement, non seulement les conclusions, même concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause. § 2. En donnant les motifs de sa décision, il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts ».

Il est nécessaire que les experts, dans leurs rapports, non seulement déterminent l’origine, la nature, la gravité, le pronostic et l’état de la pathologie, mais également son existence et son influence sur la capacité de discretio du contractant au moment de la célébration du mariage. Comme on le lit dans une sentence c. Turnaturi du 31 janvier 1997 : « Dans le diagnostic de la condition pathologique du contractant au moment de la célébration du mariage, il faut utiliser les services des experts, dont la mission est d’indiquer l’existence ou la latence de l’anomalie, sa nature, son origine, sa gravité, et surtout de mettre en lumière son influence sur l’évolution psychique du sujet »[11].

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER LES OBLIGATIONS ESSENTIELLES DU MARIAGE
  1. Remarques sur l’incapacité d’assumer

 

  1. Si l’on regarde le c. 1095, 3°, on peut dire que parmi les droits et les devoirs essentiels du mariage peuvent être comptés le don et l’acceptation du droit au corps ordonné à la procréation et à l’éducation des enfants, les biens de la fidélité et du sacrement, en tant que propriétés essentielles du mariage, et le bien des conjoints.

C’est pourquoi l’incapacité psychique d’assumer les obligations essentielles concerne la fin naturelle du consentement, c’est-à-dire le matrimonium in facto esse, le mariage-état de vie, et touche aussi l’intime communion de vie qui consiste dans la donation réciproque des deux personnes. Dans les cas d’incapacité d’assumer, dont il est question, c’est le critère qualitatif qui vaut, et non le critère quantitatif. Pour que soit prouvée la véritable incapacité d’assumer les charges conjugales, il faut la preuve d’un grave défaut psychique ou d’une psychopathie, alors que sont insuffisantes la mauvaise volonté, les défectuosités légères du caractère ou des désordres mineurs de la personnalité, qui rendent plus difficile la relation interpersonnelle ou la rendent moins parfaite, mais il est requis que la cause de nature psychique rende moralement impossible et intolérable la relation interpersonnelle.

 

  1. Antériorité par rapport au mariage du vice grave causant l’incapacité
  1. Selon le précepte de la loi, il est donc nécessaire que le vice psychique grave, d’où dérive l’incapacité, ait pénétré l’esprit du contractant dès avant le mariage, bien que les effets qui touchent la communauté de vie et les autres propriétés essentielles du mariage ne soient apparus et ne se soient manifestés qu’après le mariage.

 

  1. Difficulté et incapacité

Il faut faire une distinction appropriée entre la capacité d’avoir une relation interpersonnelle minimale, propre au mariage et suffisante pour contracter validement, et la capacité d’atteindre une relation interpersonnelle pleine, entière et mature.

La simple difficulté dans la constitution de la communauté de vie n’implique pas l’invalidité du mariage, c’est-à-dire qu’elle ne démontre pas l’incapacité du contractant à émettre un consentement valide en raison d’une incapacité d’assumer les obligations conjugales.

La Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a souvent affirmé cette distinction, par exemple dans une sentence c. Funghini du 23 juin 1993 : « L’incapacité est affirmée seulement :

  1. s’il y a non pas une simple difficulté, même grave, mais une impossibilité en raison d’une anomalie psychique qui touche la structure psychique du contractant ;
  2. si cette anormalité pathologique est d’une telle intensité que le contractant, bien que gardant intacte sa faculté de discernement, est privé, totalement ou en partie, de la faculté de disposer de l’objet du consentement matrimonial ;
  3. si l’anormalité ou le trouble de la personnalité existait avant le mariage et était présente dans sa forme grave au moment de la prestation du consentement ;
  4. si la pathologie est si grave qu’elle rend intolérable la communauté conjugale et que celui qui en souffre ne peut améliorer la situation, même s’il le souhaite et s’il le veut »[12].

Cette même sentence, enfin, maintient un principe que la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a tenu et tient fermement et constamment, à savoir que d’inductions psychologiques incertaines ne peut pas naître une nullité certaine du mariage, et l’Eglise ne peut pas suppléer ces inductions incertaines pour détruire ou affaiblir les principes émanant de l’institution matrimoniale, définis manifestement par la nature pour l’ensemble du genre humain.

  1. La cause de l’incapacité doit toujours être en rapport avec la personnalité du contractant : « Par ‘cause de nature psychique’ le Législateur a voulu faire référence à la personnalité du contractant. En d’autres termes il doit y avoir une référence à la partie psychique de la personne. C’est pourquoi cette incapacité ne peut pas venir simplement d’une profonde immoralité. C’est seulement s’il y a quelque chose qui empêche la capacité dans l’esprit ou dans la constitution psychique de la personne que l’on peut affirmer que cette personne est incapable. En d’autres termes, une personne peut être considérée comme incapable seulement au cas où il est manifeste qu’elle a quelque chose d’enraciné dans son existence concrète qui empêche la prise en charge de ces obligations »[13].

 

  1. La preuve de l’incapacité d’assumer
  1. L’incapacité alléguée d’assumer les obligations essentielles du mariage est à prouver strictement, et par les déclarations judiciaires des parties, les dépositions des témoins, et par les rapports d’expertise, qui doivent ouvertement et clairement témoigner de la nature de la perturbation mentale existant au moment de la célébration du mariage, ainsi que de sa gravité et de son influence sur le consentement à émettre, parce que seule une véritable incapacité, et non pas une difficulté, même grave, entraîne la nullité du mariage.

Aux termes du c. 1680, le juge doit toujours demander le concours de l’expert pour que celui-ci fasse un diagnostic concret de la possible anomalie ou désorganisation de la personnalité, compte tenu avant tout de sa gravité et de son influence sur la formation de la décision humaine.

EN  FAIT  (résumé)

Le doute concordé concerne le manque de discretio judicii allégué du mari, ainsi que son incapacité éventuelle d’assumer les obligations essentielles du mariage.

  1. La crédibilité de l’épouse demanderesse

Il importe tout d’abord d’examiner la crédibilité de l’épouse demanderesse. En effet notre expert rotal estime que l’attitude de l’épouse met en cause sa crédibilité, car elle manifeste de la jalousie et de la rancœur. Par contre l’expert de la seconde instance est d’un avis contraire. Il faut reconnaître que tous les témoins ont une bonne opinion de la crédibilité de la demanderesse et une mauvaise opinion de celle du mari. Certes Catherine est sans doute trop méfiante vis-à-vis de Francis, mais il y a de nombreux faits de la vie conjugale qui ont suscité les soupçons de l’épouse.

  1. La divergence entre la sentence de première instance et celle de deuxième
    instance

En ce qui concerne l’incapacité du mari, partie appelée, les deux sentences divergent : négative en première instance, elle est positive en deuxième instance.

En première instance les juges ont reconnu que le mari était immature en raison de sa sexualité désordonnée, qu’il a considéré sa femme comme un simple objet et qu’il ne lui a pas manifesté beaucoup d’affection, mais ils ont estimé qu’ils n’avaient pas la preuve des deux chefs de nullité allégués par la demanderesse. Par contre les juges de deuxième instance ont fait remarquer que le plus grand problème, en ce mariage, n’était pas l’infidélité du mari, mais une profonde inhabilité à communiquer dans les relations matrimoniales. Face à ces divergences d’opinion, il nous faut examiner les déclarations des parties et des témoins.

  1. Les déclarations de l’épouse

L’épouse demanderesse décrit la personnalité de son mari : tout enfant il a été victime d’abus sexuel de la part de son frère aîné ; adolescent, il a été renvoyé de son école, puis il a fait 36 métiers, il a eu des problèmes avec ses voisins et la police ; son père est mort alors qu’il avait 10 ans, un de ses frères se droguait, un autre a eu des problèmes avec Francis en faisant des avances à sa petite amie, avant que celui-ci ne fasse la connaissance de Catherine.

L’épouse parle ensuite des infidélités commises par Francis après leur mariage : « La fidélité est impossible pour lui. Il y a trop de femmes dans sa vie ». De plus, en ce qui concerne la relation interpersonnelle conjugale, elle déclare n’avoir aucun souvenir d’un bon moment dans son mariage : « Je n’étais pas heureuse, même au début […]. Il n’y avait pas de partage entre nous, pas de communication […]. Il était incapable de manifester des sentiments. Même du point de vue sexuel, il n’y avait ni véritable amour ni tendresse ».

  1. Les déclarations du mari

Le mari réfute les accusations de sa femme : « Je ne me serais pas marié si je n’avais pas eu l’intention d’être fidèle. J’ai travaillé dur pour que mon mariage marche […]. Il n’y a pas eu d’infidélité de ma part ». Parlant de lui-même et de sa personnalité il ajoute : « Je ne montre pas mes émotions. Je suis un timide et un calme. Je n’ai jamais été un démonstratif et Kate a pu interpréter mon manque de démonstration d’affection comme un manque d’affection ». Décrivant sa famille, Francis donne une tout autre image que celle présentée par sa femme : « Nous étions pauvres mais il y avait de l’amour chez nous », et à propos de la personnalité de sa femme, il déclare que Catherine n’était pas timide, mais très catégorique et volontaire, qu’elle était de mauvaise humeur si elle ne pouvait faire ce qu’elle voulait, et surtout il insiste sur la jalousie de sa femme : « jalouse de mon ancienne petite amie … elle est possessive. Elle a commencé à m’accuser de rechercher d’autres femmes ».

En ce qui concerne la vie sexuelle des époux, Francis déclare avoir eu avec Catherine des relations sexuelles pleines d’amour, ajoutant que sa femme avait une conduite sexuelle ardente.

  1. Les témoins

Pour leur part, tous les témoins apportent des éléments importants concernant le comportement de Francis : recours précoce à l’adultère, amoralité, et sévices subis de son propre frère. Les déclarations peuvent ainsi se résumer : « avances » de Francis ou relations intimes avec sa petite amie, une collègue de Catherine, des voisines, des amies, une infirmière etc. Un témoin confirme l’amoralité de Francis et ses comportements sexuels anormaux.

L’histoire de la famille du mari permet aussi de comprendre que celui-ci n’a pas pu acquérir une maturité correcte : parents désunis et ayant des aventures extra-conjugales ; tous les enfants mariés, sauf un, étant divorcés ; abus sexuel sur Francis commis par un de ses frères.

La vie matrimoniale a été malheureuse dès le début : « J’ai été tentée de quitter Francis, je ne l’ai pas fait mais notre vie n’était pas un mariage », déclare Catherine. Celle-ci a cherché un appui chez des prêtres mais leur intervention est restée sans effet, comme le confirme spécialement l’un d’eux, qui pense d’ailleurs que Francis était incapable de comprendre et d’assumer les obligations du mariage. De plus, les actes contiennent de nombreux faits qui montrent que le mari ne s’est pas préoccupé des biens du mariage : le bien de la fidélité, on l’a vu, et le bien des conjoints. On peut dire aussi que Francis a réduit la relation interpersonnelle avec son épouse à une simple relation sexuelle.

  1. Les expertises

Les expertises sont à examiner. L’une a eu lieu en seconde instance (docteur C.), l’autre en troisième instance à la Rote (docteur L.).

L’une et l’autre excluent l’incapacité du mari pour défaut de discretio judicii. Pour le docteur L., il n’y a pas chez le mari, au moment du mariage, d’éléments indiquant ou faisant soupçonner des affections psycho-pathologiques, telles que psychose, dysthymie, trouble de la personnalité, dépendance de la drogue. En conséquence nous ne pouvons pas conclure à un défaut grave de discretio judicii selon le c. 1095, 2°.

Cependant le même docteur L. ne dit rien, dans son rapport d’expertise, de la capacité du mari d’assumer les obligations conjugales. Toutefois les Pères Auditeurs estiment que les juges de seconde instance ont bien interprété les actes et leurs conclusions sont en accord avec ceux-ci, qui montrent la grave immaturité psychologique du mari qui l’a rendu incapable d’assumer tant le bien de la fidélité que celui des conjoints.

– Constat de nullité

seulement pour incapacité d’assumer

les obligations essentielles du mariage

– Vetitum pour le mari

Robert M. SABLE, ponent

Egidio TURNATURI

Maurice MONIER

[1] SAINT THOMAS, Somme théologique, Ia Iae, q. 1, art. 1

[2] M. CANONICO, L’incapacità naturale al matrimonio nel diritto civile e nel diritto canonico, Naples 1994, p. 83

[3] Cf. c. FUNGHINI, 19 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXV, p. 403, n. 2

[4] C. FUNGHINI, 23 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 353, n. 2

[5] C. POMPEDDA, 16 décembre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 586, n. 5

[6] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6

[7] E. BLEULER, Trattato di psichiatria, 1960, p. 79

[8] C. RAGNI, 15 janvier 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 32, n. 3

[9] Cf. c. DI FELICE, 16 février 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 99-100, n. 2

[10] C. STANKIEWICZ, 18 décembre 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 748, n. 5

[11] C. TURNATURI, 31 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 59, n. 20

[12] C. FUNGHINI, 23 juin 1993, p. 7, n. 4

[13] M.F. POMPEDDA, Incapacity to assume the essential obligations of marriage, dans Incapacity for marriage, Jurisprudence and interpretation acts of the III Gregorian Colloquium, R.M. Sable, ed. Rome 1987, p. 197

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.