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Monier 27/11/2009

Coram  MONIER

 Grave défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

Simulation partielle

 Tribunal régional du Latium (Italie) – 27 novembre 2009

P.N. 19.731

Constat de nullité

pour les deux premiers chefs

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. L’INCAPACITÉ
  1. LE CONSENTEMENT
  2. Les qualités requises pour le consentement
  3. Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique
  4. La nécessaire liberté
  5. La liberté et les impulsions intérieures et extérieures
  6. La nécessaire gravité de défaut de discretio judicii

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique
  4. L’immaturité psycho-affective
  5. Le Trouble Dépendant de Personnalité

 

  1. LE RÔLE  DES  EXPERTS  ET  DES  JUGES
  2. Les experts
  3. Les juges

 

  1. LA SIMULATION  PARTIELLE

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Raffaele M. et Maria P., médecins l’un et l’autre, s’étaient rencontrés en 1975 à la Polyclinique Gemelli de Rome où ils se spécialisaient en cardiologie. Raffaele déclare que leur relation a été rompue à la fin de leurs études, ce que conteste Maria. En juillet 1979 ils décident de se marier, ce qu’ils font le 29 septembre de la même année.

 

La vie conjugale, au cours de laquelle naît un unique enfant, dure 18 ans mais en 1996 elle connaît l’échec, l’époux ayant des relations avec une autre femme et, de plus, quittant le foyer conjugal. C’est pourquoi Maria demande à la justice civile la séparation légale, prononcée le 25 juin 1999.

Le 23 mai 2000, Raffaele s’adresse au Tribunal ecclésiastique régional du Latium, accusant son mariage de nullité pour défaut du consentement matrimonial en raison de l’exclusion du bien du sacrement de sa part. Le 31 janvier 2002, à la demande de l’avocat de Raffaele, un nouveau doute est concordé sur les chefs de grave défaut de discretio judicii sur les droits et les devoirs essentiels du mariage et/ou sur l’incapacité d’assumer, pour des causes de nature psychique, les obligations essentielles du mariage, de la part du mari, et également, si ces chefs étaient rejetés, sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari.

 

Des expertises sont réalisées. Le 14 mars 2005 le Tribunal rend une sentence affirmative, mais ne retient pour la nullité du mariage que le grave défaut de discretio judicii chez le mari demandeur. L’épouse fait appel à Notre Tribunal, qui reprend les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer et, si ceux-ci sont rejetés, le chef d’exclusion du bien du sacrement de la part du mari. Une expertise est réalisée en cette seconde instance.

 

 

EN  DROIT

 

  1. L’INCAPACITÉ

 

  1. LE CONSENTEMENT

 

  1. Le concile Vatican II enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour, qui constitue l’alliance matrimoniale, doit naître d’un acte humain « par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement »[1].

 

  1. Les qualités requises pour le consentement

 

A son tour la Loi canonique établit : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » (c. 1057 § 1).

 

Dans cette entreprise d’un poids considérable il est requis de la part de ceux qui se marient l’interaction harmonique et nécessaire des facultés supérieures pour accomplir un acte véritablement humain.

 

La loi statue également que sont incapables de contracter mariage les personnes : « 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

  1. Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique

 

  1. Le consentement matrimonial n’est pas le fruit d’un jugement purement spéculatif puisqu’une détermination consciente implique nécessairement un jugement pratico-pratique.

 

Dans le processus particulier de la formation du consentement, la faculté critique, qui se définit comme une force de jugement et de raisonnement, se porte sur l’objet de la donation réciproque et, après une délibération sérieuse où sont pesés tant les motifs favorables que les motifs contraires, celui qui se marie se forme un nouveau jugement pratico-pratique sur l’opportunité ou non de contracter.

 

Dans ce domaine, une sentence c. Huber nous donne, au sujet de la coopération de l’intelligence et de la volonté, l’enseignement suivant :

« Cette coopération de l’intelligence et de la volonté se déroule en trois phases.

 

La première est l’appréhension du vrai. L’intellect examine tous les éléments relatifs à l’acte que l’on veut accomplir. Il scrute l’objet dans l’absolu, sous la nature du vrai, mais il n’ordonne pas à l’œuvre ce qu’il appréhende. C’est pourquoi l’intellect est appelé spéculatif ou contemplatif.

 

La seconde phase est le jugement. Il s’agit du conseil, qui consiste en une comparaison ou un rapprochement entre une chose et une autre. Le conseil est l’enquête de la raison avant le jugement sur les choix à faire. Ce jugement regarde la praxis et donc il se rapporte à l’intellect pratique ou actif.

 

La troisième phase est l’electio, le choix délibéré. S. Thomas le définit ainsi : ‘L’electio est l’acceptation ultime par laquelle quelque chose est reçu pour être recherché. L’electio n’est pas un acte de la raison, mais de la volonté’[2] »[3].

 

  1. La nécessaire liberté

 

  1. D’autre part la discretio judicii comporte une liberté suffisante. Dans ce domaine, la question de l’activité inconsciente dans le processus de formation du consentement est très difficile. En tout cas, comme l’enseigne très souvent la Jurisprudence de Notre For : « Il y a une véritable liberté interne lorsque la détermination de la volonté, qu’on appelle electio, est libre de toute détermination intrinsèque à un seul objet, de telle sorte que la volonté puisse agir ou ne pas agir, faire une chose ou son contraire à partir de considérations proposées par un jugement indifférent. La liberté interne fait défaut si la volonté, sans qu’il y ait une lésion manifeste de l’intellect spéculatif, est déterminée à partir du fait que l’intellect pratique ne peut absolument pas ou au moins peut de façon insuffisante estimer les motifs de l’electio»[4].

 

Pour accomplir un acte véritablement humain dans le consentement matrimonial, la nécessité de la liberté doit toujours être reconnue parce que, si la liberté fait défaut, le mariage est nul. Les Pères du Concile Vatican II ont parfaitement enseigné : « La vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine. Car Dieu a voulu le laisser à son propre conseil pour qu’il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l’homme exige donc de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure »[5].

 

  1. La liberté et les impulsions intérieures et extérieures

 

Il faut remarquer que, si le droit naturel postule la liberté de la volonté comme une condition sine qua non dans la décision délibérée du mariage, l’absence de toute impulsion n’est cependant pas nécessaire, et en même temps, celui qui se marie doit être capable d’y résister. Comme l’enseigne la jurisprudence de Notre For : « En d’autres termes il y a liberté interne lorsque la personne, et en l’espèce celui qui se marie, a la faculté de se déterminer lui- même de l’intérieur, ce qui assurément n’exige pas l’absence générale des impulsions qui proviennent du caractère, de la vie menée, des circonstances existentielles, de l’éducation, de la façon de se conduire, ainsi que des schémas de la loi morale. La liberté peut parfaitement exister avec des impulsions internes de ce genre, mais elle requiert la capacité de leur résister »[6].

 

  1. La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii

 

Dans ce genre de causes il ne faut pas oublier la gravité du défaut de discretio judicii, comme la loi l’exige. Cette gravité « se mesure selon deux critères : le premier est la condition psychique du contractant, le second est la gravité des droits et des devoirs essentiels du mariage, avec lesquels les actions psychiques du contractant doivent garder une proportion. A moins qu’à partir des Actes n’émerge chez la personne une perturbation psychique antérieure au mariage, on peut difficilement prouver un grave défaut de discretio judicii »[7].

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

  1. La raison de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage est à trouver dans la célèbre règle du droit selon laquelle « personne ne peut être obligé à l’impossible ».

 

Dans le cas de cette incapacité il ne s’agit pas d’une simple difficulté, mais d’une véritable incapacité de disposer de l’objet du consentement puisque chez le sujet les forces psychiques dans l’ordre de l’exécution excèdent les obligations essentielles du mariage.

 

Ces obligations essentielles, comme on le déduit des c. 1055, 1056, reposent sur les trois biens traditionnels : obligation de garder la fidélité, de respecter l’indissolubilité ainsi que l’obligation d’accepter la procréation et l’éducation des enfants.

 

Aujourd’hui, et depuis de longues années, est consolidée la doctrine qui non seulement requiert la capacité d’assumer les obligations dont nous parlons, mais elle comprend également comme un élément essentiel l’habilité à faire naître et à soutenir la communauté de vie ordonnée au bien des conjoints. A ce sujet Mgr Pompedda écrit : « C’est pourquoi les parties ont droit aux moyens par lesquels les fins peuvent être atteintes. Les droits inclus dans les trois biens traditionnels ne semblent pas suffire. Il est requis en plus le droit à la communauté de vie, décrite dans les Saintes Ecritures comme une ‘aide’ et assumée par le Concile Vatican II sous l’expression ‘union intime des personnes et des activités’[8] »[9].

 

  1. L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique

 

La loi exige également que l’incapacité dont il s’agit ait son fondement dans des causes de nature psychique. Dans le domaine de la cause de nature psychique et de son lien avec l’incapacité en question, une sentence c. Stankiewicz fait remarquer : « L’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, selon la teneur de la loi ecclésiale, ne peut provenir que de causes de nature psychique […], mais non d’autres causes, physiques ou morales, comme par exemple un vice moral invétéré, contraire à l’un des devoirs du mariage, ou l’absence de telle vertu qui rend très difficile l’observance des obligations conjugales. Cette incapacité empêche d’assumer les obligations essentielles en raison du défaut de maîtrise ou de puissance psychique de la part du contractant sur ses actions futures et ses raisons d’agir, qui comportent l’accomplissement des obligations […]. En effet un tel défaut de la puissance volitive de gouverner les impulsions qui prévalent sur les obligations essentielles peut rendre leur observance et leur accomplissement non seulement difficile mais également impossible. Il s’agit assurément d’une structure anormale et perturbée de la vie psychique de la personne du contractant, qui empêche de par sa nature même d’assumer soit toutes les obligations essentielles du mariage ou seulement certaines d’entre elles. Et cela arrive indépendamment d’une espèce nosographique dénotant une pathologie psychique jointe, soit que celle-ci ait un caractère organique soit qu’elle ait un caractère fonctionnel »[10].

 

  1. L’immaturité psycho-affective

 

  1. Sous la formule générale « de nature psychique », la loi ne requiert pas une maladie mentale au sens strict, ou une véritable psychopathie, mais il suffit d’une désorganisation tirant son origine d’une cause psychique, comme l’immaturité psycho-affective, pourvu qu’elle empêche l’exercice correct de la faculté critique ou la capacité d’assumer les obligations essentielles du mariage. A coup sûr il ne faut pas confondre cette immaturité avec une immaturité envisagée au sens large ou connexe à l’âge.

 

Selon la discipline des auteurs reconnus dans la science psychiatrique reçue, cette immaturité « consiste dans un mode d’agir incongru et infantile de la part d’un adulte, soit en raison d’un défaut d’autonomie fonctionnelle dans la conduite personnelle, soit en raison d’un défaut d’évolution de la personnalité ou du caractère »[11].

 

Quant aux symptômes de ce type d’immaturité, nous trouvons l’incapacité de gouverner ses désirs et ses passions, un lien très étroit avec les parents, l’égoïsme, l’irresponsabilité dans l’accomplissement des obligations du mariage. Une sentence c. Turnaturi note à ce sujet : « Dans la dimension de la pathologie psychique ou de défaut d’équilibre psychique, on compte aussi l’immaturité psycho-affective dépendant d’une personnalité désordonnée, ou la personnalité psycho-agressive, ou une structure désorganisée de la personnalité marquée ou dominée par des signes graves de comportement antisocial ou de narcissisme, en raison de l’égoïsme ou de l’égocentrisme du sujet, qui fait obstacle à la constitution de la communauté conjugale en ce qu’elle rend intolérable et bien plutôt impossible l’intégration interpersonnelle ou la complémentarité psychosexuelle pour le bien des époux et l’éducation des enfants »[12].

 

  1. Le Trouble Dépendant de Personnalité

 

De la même façon, on recense dans les désorganisations de nature psychique ce qu’on appelle le « Trouble Dépendant de Personnalité », que la science psychiatrique définit ainsi : « Une situation perverse et excessive de nécessité d’être pris en charge, qui détermine un comportement soumis et dépendant et une peur de la séparation, qui apparaissent au premier âge adulte et qui sont présents dans une variété de contextes »[13].

 

Parmi les critères qui circonscrivent cette désorganisation de la personnalité, on peut lire : « Les individus ayant un Trouble Dépendant de Personnalité ont de grandes difficultés à prendre les décisions quotidiennes […]. Ces individus tendent à être passifs et à permettre à d’autres personnes […] de prendre l’initiative et d’assumer la responsabilité dans la majeure partie des secteurs de leur vie […]. Les adultes ayant ce trouble dépendent typiquement de leur géniteur ou de leur conjoint pour décider où ils doivent vivre, quel type de travail ils devraient avoir […]. Puisqu’ils craignent de perdre leur support ou l’approbation des autres, les individus ayant ce Trouble Dépendant de Personnalité ont souvent des difficultés à exprimer leur désaccord avec les autres personnes, spécialement avec celles dont ils sont dépendants […]. Les individus ayant ce trouble on des difficultés à prendre l’initiative de projets ou à faire des choses de façon indépendante […]. Ils sont convaincus d’être incapables de fonctionner indépendamment et se présentent comme incapables et ayant besoin d’une assistance constante »[14].

 

  1. LE RÔLE  DES  EXPERTS  ET  DES  JUGES

 

  1. Dans l’examen de la cause il faut prêter attention à tous les faits et circonstances tant prématrimoniaux que postmatrimoniaux relatés par les parties et les témoins.

 

  1. Les experts

 

Est de grande valeur l’aide d’un ou plusieurs experts qui, après avoir examiné les parties, si possible, et compte tenu de tous les éléments tirés du dossier de la cause, doivent, selon les règles de leur science propre et les principes de l’anthropologie chrétienne, présenter dans leurs conclusions le diagnostic et les raisons de l’existence et de la nature de la perturbation, de son origine, de sa gravité, du moment où elle est apparue, et surtout de l’influence de cette perturbation sur les facultés du patient.

 

Une sentence c. de Lanversin, toutefois, nous avertit que l’expertise « n’est qu’une partie de l’ensemble plus vaste de l’instruction du procès canonique, et qu’il serait très dangereux que le jugement ultime dans la décision canonique soit prononcé par l’un ou l’autre des experts consultés, sans aucune évaluation du juge[15], parce que, dans ce cas, il y aurait un grave péril que la cause soit posée et définie sous un aspect tout à fait particulier et partiel, ou qu’elle soit déduite de principes étrangers à l’anthropologie chrétienne »[16].

 

Il revient uniquement au juge de passer au crible les conclusions de l’expert et « il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts » (c. 1579 § 2).

 

  1. Les juges

 

Le devoir des Juges dans le domaine de l’incapacité est difficile. Les juges en effet, « doivent d’une part porter objectivement un jugement sur l’incapacité d’une personne individuelle par rapport à l’institution du mariage, c’est-à-dire en ayant devant les yeux ce que la nature humaine apporte en dotation à tous les hommes ; d’autre part ils doivent prêter attention à la relation interpersonnelle, puisque la nature humaine peut parfois être limitée ou bloquée, ou même être exaltée par la relation à autrui chez un sujet particulier, en ce qui concerne cette relation objective à instaurer avec une autre personne, sans qu’ils ne tombent toutefois dans une appréciation subjective »[17].

 

Il faut également rappeler, puisque le juge n’est pas un expert psychiatre ou psychologue, que les rapports d’expertise sont très importants surtout s’ils sont l’œuvre d’experts qui jouissent d’un très grand crédit dans leur domaine. Mgr Serrano Ruiz fait une remarque logique et pertinente sur la force particulière des rapports d’expertise : « Il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ‘qu’il est juste de mettre à côté de nos habituelles présomptions de droit et présomptions de l’homme, des sortes de présomptions de la science, selon lesquelles on devrait inverser la charge de la preuve – ou du raisonnement du juge – et considérer comme moralement certaines les conclusions de la science si elles ne sont pas contredites par d’autres indices’[18] »[19].

 

  1. LA SIMULATION  PARTIELLE

 

  1. En raison de la présomption du droit, le consentement intérieur de l’esprit doit être considéré conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage (cf. c. 1101 § 1), mais « si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Si quelqu’un se considère comme l’arbitre de la permanence du lien conjugal, avec la faculté de retrouver sa propre liberté au cas où les choses iraient mal, il est évident qu’il n’entend pas faire un mariage chrétien.

 

Il s’agit dans ce cas non pas d’une simple velléité, ou d’une intention habituelle ou virtuelle, mais d’un véritable acte positif de volonté qui implique la limitation du consentement, de telle sorte que celui qui se marie entende contracter mariage uniquement sous la condition expresse ou intérieure d’exclure l’indissolubilité.

 

En vérité le bien du sacrement ne souffre pas de distinction entre le droit et l’exercice du droit puisque celui qui se propose de faire un mariage soluble, exclut le mariage par le fait même.

 

  1. La preuve de la simulation s’obtient selon les critères reçus par la Jurisprudence commune. Tout d’abord il faut évaluer la confession du simulant, judiciaire et surtout extrajudiciaire, faite à des témoins dignes de foi à une époque non suspecte. Ensuite il faut découvrir la cause grave et proportionnée de la simulation, distincte de la cause qui a poussé au mariage. En outre il faut examiner les circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui puissent rendre plus crédible la simulation effectuée.

 

Il est certain que dans des causes de ce genre il ne faut pas oublier le caractère et la crédibilité du simulant présumé, son éducation, son mode de vivre et d’agir, sa situation religieuse et sociale, les circonstances de famille et de lieux.

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La cause présente est difficile à juger étant donné les contradictions dans les dépositions des parties et dans celles des témoins. Il faudra porter une grande attention à ce que disent les uns et les autres, et examiner attentivement les circonstances prématrimoniales et postmatrimoniales.

 

  1. Le mari demandeur

 

Dans sa déposition judiciaire à la Rote, Raffaele se décrit comme quelqu’un ayant eu une enfance et une adolescence très tristes, en raison de l’attitude de son père : « Mon père était dominateur, il nous punissait corporellement […] Quand j’avais dix ans, à l’occasion de l’examen final de l’école élémentaire, mon père m’a puni très fort […] A 12 ans, j’ai fait une fugue et c’est la police qui m’a retrouvé […] J’ai cherché à m’engager à fond dans les études pour échapper à cette situation d’oppression et aussi par peur d’être privé de ces études. J’aurais voulu étudier la philosophie mais mon père a décidé que je serais médecin et j’ai obéi encore une fois à sa volonté ».

 

Raffaele, en première instance, avait déjà parlé de son tempérament hésitant et peu enclin à prendre des décisions, et il reconnaît comme traits saillants de son caractère l’introversion, le sens de l’indignité, l’incapacité de prendre une décision sereine et équilibrée. Il estime également qu’il a vécu ses fiançailles avec légèreté, que Maria lui assurait une sécurité avec la clarté de ses jugements, mais en même temps, comme elle avait le même caractère que son père, elle le remettait dans un état de dépendance et de soumission.

 

La décision de se marier a été très pénible à prendre : « je me trouvais dans une situation de grand malaise parce que je n’avais personne pour me conseiller. D’habitude c’était mon père qui le faisait, c’est lui qui avait toujours conditionné mes choix. De plus je me serais senti perdu si Maria n’avait pas pris la décision du mariage […] Je n’avais pas la liberté pour prendre une décision adéquate ».

 

Raffaele déclare également que la vie conjugale a toujours été tendue et impossible en raison de graves dissensions avec Maria, et il pense que sa relation avec une autre femme n’a pas été la cause de la rupture de son couple, mais plutôt l’effet de l’échec de sa vie conjugale.

 

  1. L’épouse partie appelée

 

Maria donne une tout autre version des faits. En ce qui concerne les rapports de Raffaele avec son père, elle parle de véritable vénération et elle nie que le fils ait été soumis à son père. Mais dans sa précédente déposition elle avait déclaré : « Raffaele avec son père avait comme un rapport d’humiliation ».

 

Ce terme d’humiliation est fort et Maria ajoute que Raffaele était « un garçon introverti et qui gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés ». En même temps elle le définit comme « une personne forte … il n’avait pas un caractère fragile et influençable […] Dans sa famille il était une figure de premier plan et pendant de longues années ses sœurs et sa mère se sont appuyées sur lui ».

 

Pour Maria, il n’y a pas eu de ruptures pendant les fiançailles, mais elle ne pouvait être constamment à Rome, où habitait Raffaele, et de plus son propre père n’aurait pas toléré qu’elle quitte Ascoli pour retrouver son fiancé. Elle ajoute qu’elle aimait Raffaele et qu’il l’aimait aussi.

 

Toutefois les actes du dossier contiennent quelques lettres envoyées par Raffaele à Maria et qui montrent manifestement qu’il y a eu des désaccords sérieux entre les fiancés.

 

Enfin Maria attribue la rupture de la vie commune à la liaison adultérine de son mari, ce qui n’est pas le point de vue de celui-ci.

 

  1. Les témoins

 

Les témoins présentés par l’épouse affirment en général que le mari demandeur, au moment de son mariage, avait un caractère solide. La sentence c. Monier rapporte les déclarations de neuf d’entre eux, qui sont du même avis : « personne déterminée, caractère décidé … », mais en même temps ils reconnaissent qu’ils parlent du médecin avec qui ils ont travaillé ou travaillent toujours, et non de l’époux « sur lequel (ils) ne sauraient pas juger ».

 

Il ne faut pas oublier à ce propos que, selon Maria, Raffaele « gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés » et donc que la plupart des témoins de l’épouse ne pouvaient pas connaître sa véritable personnalité intérieure. Il ne va de même d’ailleurs pour les témoins présentés par le mari et n’ayant pas de lien avec sa famille.

 

  1. Les membres de la famille du mari

 

La mère de Raffaele confirme que son fils était très timide, qu’il ressentait fortement l’influence de son père, lequel avait un caractère fort et rigide : « Cette influence le portait à devoir renoncer à beaucoup de choses propres aux garçons de son âge […] Il a choisi la médecine en raison de l’insistance de son père, il ne se sentait pas la force de s’opposer à son père ».

 

L’oncle de Raffaele et les sœurs du demandeur confirment la domination que le père exerçait sur le fils.

 

En ce qui concerne la période prématrimoniale, la mère de Raffaele rapporte que son fils était très troublé : « il n’avait pas la force de s’opposer à ce qui était en train de se passer […] Il se mariait plus sous la pression de ses parents que pour autre chose ». Quant à Anna Maria, sœur de Raffaele, elle l’a vu « très abattu » au moment de la décision du mariage.

 

On peut ajouter qu’au moment de la mort de son père en 1978 (le mariage est du 29 septembre 1979), Raffaele, selon ses propres paroles, a subi un choc « parce qu’(il) se trouvait pour la première fois devant l’obligation de faire des choix de vie sans être guidé », mais il a trouvé « un point de référence et d’appui en Maria, qui avec sa rationalité, sa détermination et sa force de caractère, (lui) est apparue comme une sorte d’alter ego de (son) père ».

 

Comme Maria lui avait proposé le mariage, il a accepté, mais il ne l’a pas décidé de lui-même.

 

  1. Les experts

 

  1. En première instance

 

En première instance ont été effectuées trois expertises ex officio et deux autres à la demande des parties.

 

Le docteur C.T., experte sollicitée par le mari avant l’introduction des nouveaux chefs de nullité, l’a soumis au test de personnalité Rorschach, et a diagnostiqué un « Trouble Dépendant de Personnalité », qu’elle estime avoir été grave au moment du mariage.

 

Le Docteur D., nommé ex officio, parle d’un très fort et franchement pathologique sens du devoir et des règles (hypertrophie du SUR-MOI), de traits pathologiques de type dépendant, de sexualité mal intégrée, et il conclut que le demandeur manquait d’une suffisante liberté intérieure.

 

Le Docteur J. trouve chez le mari une grave immaturité psycho-affective, associée à des traits de personnalité dépendante, et il conclut que le demandeur manquait totalement, au moment du mariage, de la capacité de comprendre et de vouloir le mariage.

 

  1. En seconde instance à la Rote

 

Le ponent cite abondamment l’expertise du docteur A., réalisée à sa demande. En résumé l’expert conclut à la présence, chez le mari, d’une immaturité psycho-affective ; il estime que celui-ci souffre d’un Trouble Dépendant de Personnalité. Cette immaturité et ce trouble existaient au moment du mariage et durant la vie conjugale. Le docteur A. confirme aussi, substantiellement, les conclusions des expertises précédentes. Enfin il écrit dans son rapport que l’état psychique du demandeur demeure actuellement avec toute sa gravité dans le domaine de l’affectivité, ce qui implique un vetitum pour un autre mariage.

 

Constat de nullité

– pour le grave défaut de discretio judicii

– pour incapacité d’assumer

 

Vetitum pour le demandeur

 

Maurice MONIER, ponent

Kenneth E. BOCCAFOLA

Josef HUBER

__________

 

[1] Const. GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] De ver. 22, 15

[3] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5

[4] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5

[5] GAUDIUM et SPES, n. 17

[6] C. POMPEDDA, 16 décembre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 586, n. 5

[7] C. HUBER, 26 juin 2002, sent. 72/02, n. 5

[8] GAUDIUM et SPES, n. 48

[9] C. POMPEDDA, 14 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 574, n. 9

[10] C. STANKIEWICZ, 16 mai 2003, sent. 48/03, n. 6

[11] C. BOCCAFOLA, 1° juin 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 341, n. 9 ; cf. c. STANKIEWICZ, 11 juillet 1985, SRRDec, vol. LXXXI, p. 356, n. 5

[12] C. TURNATURI, 31 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 59, n. 19

[13] DSM-IV, Manuale diagnostico e statistico dei disturbi mentali, Masson, 1996, p. 729

[14] Même endroit, p. 726

[15] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 25 janvier 1988, AAS, vol. LXXX, p. 1182, n. 6

[16] C. de LANVERSIN, 11 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 461, n. 17

[17] C. Pio Vito PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4 ; cf. c. Pio Vito PINTO, 12 avril 2002, Prot. N. 16.741, sent. 40/02, p. 4, n. 5

[18] Cf. J.M. SERRANO RUIZ, la perizia nelle cause canoniche di nullità matrimoniale, dans Perizie e periti nel processo matrimoniale canonico, Turin 1993, p. 79

[19] C. SERRANO RUIZ, 12 mai 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 284, n. 7

Monier 10/07/2009

Coram  MONIER

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Bogota (Colombie) – 10 juillet 2009

P.N. 20.280

Constat pour les 2 chefs

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

Introduction : Nécessité de la discretio judicii et de la capacité d’assumer

  1. LA DISCRETIO  JUDICII
  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. La cause de nature psychique

 

III.. LE  TROUBLE  BIPOLAIRE  I

  1. Les manifestations du Trouble Bipolaire I
  2. L’évolution du Trouble Bipolaire I

 

  1. LA PREUVE  DU  GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. L’expert
  2. Le c. 1680 et la dispense d’expertise
  3. Le juge

__________

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Carolina R. et Cristian C. se rencontrent à l’Université au début de 2001. Après un an d’amitié ils songent au mariage. Depuis l’âge de 18 ans, Cristian souffrait d’un Désordre Bipolaire et avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Leur mariage est célébré à Bogota le 31 janvier 2004.

 

Dès le début la communauté conjugale connaît des difficultés en raison de la conduite du mari qui rend intolérable la vie commune. Cristian quitte le domicile conjugal en octobre 2004 et la séparation définitive a lieu en janvier 2005.

 

Pour le bien de sa conscience, Carolina, le 19 octobre 2005, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Bogota, demandant la déclaration de nullité de son mariage avec Cristian pour grave défaut de discretio judicii et pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part du mari.

 

Le 9 novembre 2005 le doute est concordé sous ces deux chefs. Une expertise est réalisée. La sentence du 21 septembre 2006 est négative. L’épouse s’adresse le 13 avril 2007 au Tribunal d’appel de Colombie, qui se procure les dossiers médicaux du mari établis par les hôpitaux que celui-ci a fréquentés de 1999 à 2005. La sentence du 16 août 2007 est affirmative pour les deux chefs.

 

Il Nous revient aujourd’hui de répondre au doute concordé en 3° instance, le 26 septembre 2008, sous la formule : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et pour incapacité d’assumer les obligations essentielles de la part du mari partie appelée ?

 

EN  DROIT

 

Introduction : Nécessité de la discretio judicii et de la capacité d’assumer

 

  1. Puisque l’institution matrimoniale est une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants (c. 1055), celui qui se marie doit jouir d’un degré suffisant et proportionné de maturité du jugement.

 

En émettant le consentement, il ne suffit pas d’une manifestation externe par une forme légitime (c. 1057 § 1), mais il est nécessaire qu’il y ait la capacité d’évaluer les obligations essentielles du mariage ainsi que la capacité d’assumer ces mêmes obligations.

 

Ces capacités sont nécessairement exigées ensemble au moment de la prestation du consentement. C’est pourquoi s’il est prouvé que l’une, pour de multiples raisons, vient à manquer, le consentement est rendu inefficace.

 

  1. LA DISCRETIO  JUDICII

 

  1. La discretio judicii, outre la perception d’ordre intellectuel des obligations essentielles du mariage, requiert une connaissance critique et une estimation proportionnée au mariage à célébrer. Il s’agit en effet de la capacité autonome et libre de se déterminer après une pondération convenable et suffisante des motifs.

 

En effet, sur le plan de l’appréciation, « est requise une estimation des motifs qui persuadent de contracter le mariage et de ceux qui en dissuadent ; sous l’aspect du choix, il est demandé qu’il y ait le pouvoir, enraciné dans la raison et la volonté, de contracter ou de ne pas contracter et avec telle ou telle personne »[1].

 

En d’autres termes, en ce qui concerne le jugement pratico-pratique auquel parvient le contractant, cent fois exposé par la jurisprudence de Notre For, une sentence coram P.V. Pinto fait remarquer : « La relation interpersonnelle avec le conjoint suppose une connaissance pratico-pratique de celui-ci, c’est-à-dire un jugement qui est marqué par le passage de la sphère cognoscitive à la sphère délibérative. Il est nécessaire de connaître de façon spéculative le mariage en lui-même et ses propriétés essentielles, ou, en d’autres termes, d’estimer et d’évaluer par une suffisante discretio de l’intelligence l’importance qu’ont les obligations essentielles du mariage tant en elles-mêmes que pour le contractant, sous l’aspect social, juridique, éthique. Et enfin il faut qu’une délibération suffisante de la volonté porte un consentement libre »[2].

 

  1. Pour protéger les droits des fidèles, la loi statue que sont incapables de contracter mariage : « 2° les personnes qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° les personnes qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

Comme on le voit, ce n’est pas n’importe quel défaut de discretio judicii qui entraîne l’incapacité de contracter mariage, mais seulement celui qui est grave et qui atteint les obligations essentielles du mariage.

 

Une sentence c. Stankiewicz du 23 février 1990 nous instruit sur la nature de la gravité du défaut de discretio judicii : « Sous l’aspect subjectif le grave défaut de discretio judicii s’évalue en tenant compte de la gravité de l’état psychique du contractant, état où rejaillissent les dysfonctions dans la sphère de l’intelligence, de la volonté ainsi que dans celle des affections ou émotions. Ensuite, ce même défaut de discretio judicii s’évalue, sous l’aspect objectif, en tenant compte, soit de l’identité absolument unique et de la dignité de la personne du conjoint, soit de la gravité des droits et devoirs conjugaux essentiels, qui consistent essentiellement dans le bien des époux, celui des enfants, celui de la fidélité et du sacrement, avec lesquels l’activité des facultés psychiques doit garder une due proportion »[3].

 

Assurément, dans certaines circonstances l’acte du consentement peut être gravement perturbé et par conséquent empêché par un état anormal, bien que transitoire, ou un état pathologique chez le sujet au moment de son mariage. Dans cette hypothèse, le trouble est tel qu’il détruit la coopération harmonique des facultés supérieures pour accomplir la décision délibérée finale.

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. L’incapacité du c. 1095, 3° « se situe dans l’impossibilité de donner l’objet du contrat matrimonial ou un élément essentiel de cet objet, à partir de quoi il ne peut y avoir, de soi, qu’une union nulle, puisque ‘à l’impossible nul n’est tenu’»[4].

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

En effet, outre la capacité de comprendre et de vouloir l’objet du consentement matrimonial, la capacité de contracter mariage implique la capacité de donner l’objet, ou en d’autres termes, de remplir les obligations essentielles du mariage dans la vie commune.

 

Les obligations essentielles du mariage dérivent des propriétés essentielles du mariage (c. 1055). Ces obligations concernent non seulement les biens de la fidélité, du sacrement et des enfants, mais également l’habilité à constituer une communauté de toute la vie ordonnée au bien des conjoints. Le mariage en effet « ne peut se réduire à une simple cohabitation des conjoints, c’est-à-dire à la communauté de lit, de table et d’habitation, ni à la seule donation-acceptation du droit au corps par des actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants »[5].

 

  1. La cause de nature psychique

 

  1. Comme la loi le statue expressément, la source de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage postule un lien nécessaire avec une cause de nature psychique.

 

Il n’est pas requis dans ces causes une maladie mentale ou une véritable psychopathie, mais il suffit qu’il y ait des troubles graves qui ont leur origine dans une cause de nature psychique.

 

Il est certain que la vie commune n’est pas indemne, étant donné la fragilité de la nature humaine, de limitations qui peuvent provenir de l’inconscient, ou même de légères anomalies. Dans ce cas les limitations ne peuvent pas se confondre avec un véritable processus psychopathologique qui, chez le contractant, empêche d’assumer toutes les obligations essentielles du mariage, ou seulement quelques unes. Pour établir ce trouble qui a son origine dans une cause de nature psychique, il est très opportun de se rappeler le discours à la Rote du Pape Jean-Paul II, qui a déterminé expressément : « une forme sérieuse d’anomalie »[6].

 

L’anomalie ou le désordre de nature psychique qui pourrait contrarier la faculté de discretio ou la capacité d’assumer les obligations conjugales doit être présent au moment de la prestation du consentement.

 

Si en effet la maladie arrive dans le courant de la vie conjugale pour des circonstances diverses, elle ne touche pas la validité du consentement. « Au contraire si des signes déjà clairs et certains d’une maladie latente existaient avant le mariage, et que des troubles graves sont apparus durant la vie conjugale, le mariage doit être déclaré nul parce que la gravité de la maladie, même si elle était cachée, était déjà présente auparavant, dans l’état de latence de la maladie »[7].

 

III.  LE  TROUBLE  BIPOLAIRE  I

 

Parmi les désordres qui ont un influx dans le domaine de l’incapacité de consentement on recense le Trouble Bippolaire I, qui se décrit ainsi : « La caractéristique essentielle du Trouble Bipolaire I est une évolution clinique caractérisée par la présence d’un ou plusieurs épisodes maniaques […] ou d’épisodes mixtes […]. En outre les épisodes ne sont pas mieux expliqués par un Trouble schizoaffectif, et ne sont pas causés par une schizophrénie, un trouble de forme schizophrénique, un trouble délirant ou un trouble psychotique non autrement spécifié ».

 

  1. Les manifestations du Trouble Bipolaire I

 

Quant aux manifestations de ce type de trouble, nous savons que « 10 à 15 % des individus ayant un Trouble Bipolaire, se suicident. Durant les épisodes maniaques graves ou avec manifestations psychotiques, peuvent se présenter des violences envers les jeunes enfants ou le conjoint, ou d’autres comportements violents. Les autres problèmes associés incluent l’absentéisme à l’école, l’échec scolaire, l’échec au travail, le divorce, ou un comportement antisocial épisodique. D’autres troubles mentaux associés incluent l’anorexie nerveuse, la boulimie nerveuse, le trouble de déficit de l’attention, le trouble de panique, la phobie sociale, des troubles corrélatifs à des drogues ».

 

  1. L’évolution du Trouble Bipolaire I

 

Quant à l’évolution du trouble : « L’âge moyen de ce trouble est de 20 ans, tant pour les hommes que pour les femmes. Le Trouble Bipolaire I est un trouble récurrent : plus de 90 % des individus ayant un épisode maniaque singulier rencontreront des épisodes futurs […]. Les études sur l’évolution du Trouble Bipolaire I avant le traitement de maintenance par le lithium suggèrent qu’en moyenne il y a 4 épisodes en 10 ans. L’intervalle entre les épisodes tend à décroître avec l’augmentation de l’âge du sujet. Selon d’autres données, les altérations du rythme sommeil-éveil […] peuvent précipiter ou exacerber un épisode maniaque, mixte ou hypomaniaque. Même si la majeure partie des sujets ayant un Trouble Bipolaire I présente une réduction significative des symptômes entre les épisodes, quelques-uns (20 -30 %) continuent à montrer une faiblesse émotive et d’autres symptômes résiduels de l’humeur. Jusqu’à 60 % présentent des difficultés chroniques interpersonnelles ou au travail entre les épisodes aigus »[8].

 

  1. LA PREUVE  DU  GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Pour prouver tant le grave défaut de discretio judicii que l’incapacité d’assumer les obligations du mariage, sont d’une très grande importance les dépositions des parties et de témoins dignes de foi qui peuvent rapporter les circonstances pré- et post-matrimoniales en ce qui concerne la façon de penser et d’agir du sujet, ainsi que son état particulier psychopathologique au moment de la prestation du consentement.

 

Selon les principes édictés par la loi il est très utile d’avoir recours à un ou plusieurs experts.

 

  1. L’expert

 

En ce qui concerne la mission de l’expert, après une sérieuse évaluation des actes du procès et l’inspection du sujet, le cas échéant, tout cela selon les règles de sa science propre, il doit présenter ses conclusions sur la nature, sur l’origine, la gravité, l’époque de la manifestation de l’état psychique ainsi en particulier que sur l’influx de la perturbation sur les facultés supérieures du patient. Une sentence c. Lefebvre, du 25 mai 1963, déclare : « Ce n’est pas à l’expert mais aux juges qu’il appartient de rendre une sentence, car c’est à ceux-ci de soumettre leurs raisonnements à une forte critique à partir de l’ensemble du contexte de la cause. En effet, des données des documents, ou des faits, ou des témoignages peuvent surgir des éléments qui permettent de mieux définir l’état mental tel qu’il est requis par le droit canonique »[9].

 

Il revient uniquement au juge de faire la critique des conclusions de l’expert et il doit exprimer pour quels motifs il a admis ou rejeté les conclusions des experts (c. 1579 § 2).

 

  1. Le c. 1680 et la dispense d’expertise

 

  1. Il faut également rappeler le c. 1680 qui invite à recourir au rôle de l’expert dans les causes de défaut du consentement, « à moins qu’en raison des circonstances cela ne s’avère manifestement inutile ».

 

Il existe en effet des causes où le sujet a été hospitalisé plusieurs fois avant et après le mariage, avec des soins appropriés. En général les médecins traitants rédigent des rapports cliniques sur l’état psychique du patient, le diagnostic et les manifestations du trouble, ainsi que sur sa gravité. Très souvent dans ces causes ces rapports cliniques surpassent largement les conclusions de l’expert nommé d’office, tant en raison de l’époque d’observation du patient que pour la profondeur de leur examen clinique. A ce sujet, une sentence c. Huber, du 26 juin 2002, fait cette remarque : « L’intervention d’un expert est manifestement inutile s’il y a dans les Actes un document qui constitue une preuve suffisante pour faire naître chez le Juge la certitude morale de la nullité du mariage. Une expertise apparaît inutile aussi si une des incapacités dont traite le c. 1095 résulte avec évidence des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes à la célébration des noces »[10].

 

  1. Le juge

 

Le devoir du Juge est difficile à accomplir dans le domaine de l’incapacité. Les juges en effet « d’une part doivent porter objectivement un jugement sur l’incapacité d’une personne donnée à l’institution du mariage, c’est-à-dire en ayant sous les yeux ce que la nature humaine apporte en dotation à tous les hommes ; d’autre part ils doivent faire attention à la relation interpersonnelle, puisque la nature humaine peut parfois être limitée ou amoindrie ou même élargie par la relation à autrui chez un sujet donné, en ce qui concerne la relation objective à instaurer avec autrui, sans qu’en réalité ces juges tombent dans une évaluation subjective »[11].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. L’épouse demanderesse

 

Selon Carolina, Cristian avait, pendant les fiançailles, manifesté de l’amour pour elle, mais en même temps elle avait remarqué sa jalousie et ses changements de caractère. Ce n’est qu’après la première sentence négative que l’épouse demanderesse a parlé de grave trouble mental ainsi que de manifestations pathologiques chez Cristian et de leurs conséquences sur leurs relations interpersonnelles, jusqu’à la rupture du couple.

 

En particulier Carolina parle de la nuit de noces où, pendant six heures, Cristian a eu une crise de colère contre sa femme : « Il s’est montré comme un fou, ses yeux étaient totalement exorbités ».

 

La vie conjugale, qui n’a duré que cinq mois, a mis en lumière la gravité de la maladie de Cristian : « Il passait de l’agressivité à la passivité, de la dépression à l’euphorie », et l’épouse ajoute que la famille de son mari lui a caché la gravité de sa maladie.

 

Un exemple est donné par Carolina de la gravité du trouble dont souffrait Cristian : « Il avait des hallucinations […]. Devant la télévision il disait que le présentateur lui parlait […]. Dans la rue il disait que les gens parlaient de lui ».

 

  1. L’époux partie appelée

 

L’époux ne parle pas de son état mental et des soins qu’il a reçus. Pour lui les fiançailles ont été normales. Quant aux difficultés de la vie conjugale, il reconnaît qu’il y a eu des problèmes d’ordre sexuel et financier, et s’il a quitté le domicile conjugal, c’est en raison de différends avec sa femme.

 

 

  1. Les témoins

 

A l’exception de la grand-mère de Cristian, les témoins confirment la présence d’un trouble psychique chez le mari : « Explosif, violent […], instable ; incapable d’assumer son rôle de mari, mais assumant celui d’enfant protégé ; d’humeur très changeante ».

 

La cousine de Carolina fait état dans sa déposition de troubles psychiques chez Cristian et de ses séjours en hôpital.

 

  1. L’expert de première instance

 

Le docteur B., psychiatre, a effectué une expertise lors de la première instance. Il a étudié les actes et examiné le mari. Il confirme chez celui-ci un Trouble Affectif Bipolaire, qui a nécessité 5 hospitalisations psychiatriques.

 

L’expert estime que le mari, à l’époque où il a émis son consentement, était dans un état de santé mentale qui lui a permis « une claire récupération de toute sa capacité psychologique, sur le plan familial, social, académique, professionnel ». Il est évident, selon l’avocate de l’épouse, que le rapport d’expertise du docteur B. est faible sous plusieurs aspects car l’expert n’a pas pu consulter les dossiers médicaux de Cristian. De plus le docteur B. se contredit lorsqu’il déclare que « la récupération est habituellement transitoire », comme le montrent les quatre rechutes postérieures au premier accès de la maladie et les événements de la vie conjugale. Enfin les juges soussignés estiment que l’expert a joué le rôle du juge en excluant le défaut de discretio judicii et l’incapacité d’assumer les obligations conjugales. Bref, les conclusions de l’expert ne s’accordent pas avec les faits certains consignés dans les Actes du procès.

 

  1. Les dossiers médicaux

 

Les dossiers médicaux ont été joints aux actes de la cause en deuxième instance, et ils montrent bien la gravité et les conséquences du trouble dont souffrait le mari.

 

De 1999 à 2006 celui-ci a été amis 9 fois en hôpital psychiatrique. Tous les dossiers médicaux parlent de Trouble Affectif Bipolaire I.

 

Il est inutile de citer ici le détail de ces dossiers qui affirment tous la présence chez le mari d’un Trouble Affectif Bipolaire I.

 

  1. La seconde instance

 

En seconde instance, étant donné les documents présentés, il n’y a pas été besoin d’une autre expertise psychiatrique. Ces documents, on l’a dit, montrent bien la nature et la gravité du trouble mental dont été affecté Cristian, dès avant son mariage.

 

Les Pères du Tour Rotal estiment que le mari a été incapable de contracter mariage, non seulement en raison d’un grave défaut de discretio judicii, mais également en raison de son incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage. Les actes du procès mettent bien en lumière, en effet, l’incapacité du mari de mener une vie conjugale convenable et normale, et spécialement son incapacité d’assumer et de remplir l’obligation au bien des conjoints, étant donné, non pas la difficulté, mais la véritable impossibilité pour lui d’instaurer des relations interpersonnelle normales avec son épouse.

 

 

Constat de nullité

– pour défaut de discretio judicii

et pour incapacité d’assumer

de la part du mari partie appelée

 

– Vetitum pour le mari partie appelée

 

Maurice MONIER, ponent

Pio Vito PINTO

John G. ALWAN

 

__________

 

[1] C. HUBER, 26 juin 2002, Sent. 72/12, n. 5

[2] C. P.V. PINTO, 4 octobre 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 592, n. 6

[3] C. STANKIEWICZ, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 154, n. 5

[4] C. LEFEBVRE, 31 janvier 1976, SRRDec, vol. LXVIII, p. 39, n. 3

[5] C. HUBER, 20 octobre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 577, n. 4

[6] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, n. 7, AAS 79, 1983, p. 1457

[7] C. BRUNO, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 142, n. 6

[8] DSM-IV, Disturbi Bipolari, Manuale diagnostico e statistico dei disturbi mentali, Masson 1996, p. 390-393

[9] C. LEFEBVRE, 25 mai 1963, SRRDec, vol. LV, p. 391, n. 3

[10] C. HUBER, 26 juin 2002, sent. 72/02, n. 9

[11] C. Pio Vito PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4 ; cf. P.V. PINTO, 12 avril 2002, P.N. 16.741, sent. 40/02, p. 4, n. 5

Huber 28/04/2010

Coram  HUBER

Dol

 Rottenburg (Allemagne) – 28 avril 2010

P.N. 19.483

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CIVIL
  2. Labéon
  3. Reiffenstuel
  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CANONIQUE
  2. Le canon 125 § 2
  3. Le canon 1098

III.  CE QUI EST REQUIS  POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE

  1. L’obtention de la fin
  2. La finalité de la tromperie spécifique
  3. La qualité de l’autre personne

 

  1. LA PREUVE  DU  DOL

 

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

En 1991, Despina, âgée de 24 ans, fait la connaissance de Stefan, âgé de 23 ans. En 1993 ils décident de cohabiter et un an plus tard ils songent à se marier. Leurs relations étaient pacifiques.

 

Le mariage a lieu le 9 juillet 1994. La vie conjugale est heureuse, mais les époux n’ont pas d’enfant. En 1999, Stefan est soigné pour une dépression. A l’été de cette même année, il avoue à son épouse qu’il est attiré par une autre femme. Despina, voulant sauver son mariage, souhaite avoir un enfant et n’utilise plus de moyens anticonceptionnels, à l’insu de son mari. Cependant elle n’est pas enceinte.

 

C’est à ce moment-là qu’elle apprend la stérilité de son mari, qui avait été décelée avant son mariage mais que Stefan lui avait cachée.

 

En 2000 les époux se séparent et le mariage est prononcé le 16 octobre 2001.

 

Despina, estimant que son mariage est nul, présente le 19 mars 2003 au Tribunal ecclésiastique de Rottenburg un libelle où elle accuse son mariage de nullité pour dol accompli par son mari. Le chef de dol est repris dans le doute concordé et déclaré prouvé par la sentence du 21 février 2005.

Le défenseur du lien fait appel à la Rote. Le Tour, le 19 avril 2005, admet la cause à l’examen ordinaire du second degré. Aujourd’hui, il Nous revient de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour dol perpétré par le mari ?

 

 

EN  DROIT

 

 

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CIVIL

 

  1. Labéon

 

  1. Labéon présente une définition du dol, qui vient d’Ulpien et qui se formule ainsi : « Le dol est toute ruse, fourberie, machination, employée pour circonvenir, duper, tromper autrui »[1]. Labéon décrit l’action dolosive en trois substantifs, auxquels correspondent trois verbes à la forme du gérondif. Le juriste romain indique ainsi la fin de l’action dolosive et le lien de causalité entre l’action de l’auteur du dol et le dommage de la victime du dol.

 

  1. Reiffenstuel

 

Les Romains ont considéré le dol à l’intérieur des fins de la formation du contrat. Il n’est pas facile d’interpréter leur doctrine. Reiffenstuel écrit à ce sujet : « En effet, en parlant des contrats de droit strict, les docteurs tiennent communément que le dol qui est cause d’un contrat de droit strict ne le rend pas nul par le droit lui-même, mais qu’un tel contrat doit être rescindé par le juge dès la demande de la victime du dol […]. Cependant, si le dol est cause d’un contrat de bonne foi, alors (disent la plupart des docteurs) le contrat est nul de par le droit lui-même »[2].

 

Selon Reiffenstuel le mariage n’est pas classé parmi les contrats de bonne foi, mais la société, elle, y est classée. Il poursuit : « Bien que cette sentence soit la plus commune, il ne manque pas de docteurs qui affirment que les contrats de bonne fois également ne sont pas invalides et nuls par le droit lui-même, même si le dol commis par une personne et portant sur des aspects accidentels a été cause du contrat, bien que ces contrats de bonne foi puissent et doivent, si la victime du dol le veut, être rescindés pour exception de dol »[3].

 

Il semble donc qu’à la victime du dol appartienne le droit de rescinder les contrats de bonne foi valides selon le droit civil, si trompée par un dol elle les a conclus.

 

 

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CANONIQUE

 

  1. Le canon 125 § 2

 

  1. Cela dit, on comprend mieux le c. 125 § 2, qui statue : « L’acte posé sous l’effet d’une crainte grave injustement infligée, ou d’un dol, est valide sauf autre disposition du droit ; mais il peut être rescindé par sentence du juge, ou à la demande de la partie lésée ou de ses ayants droit, ou d’office ».

 

 

 

Il découle de ce canon que le dol n’irrite pas un acte juridique. Le dol en effet ne supprime pas le volontaire. La volonté est viciée, mais non au point que la volonté soit nulle.

 

Toutefois la Loi prescrit : « sauf autre disposition du droit ». Cette exception est admise pour les actes juridiques qui exigent un volontaire plein comme l’élection (c. 172 § 1, 1°), la renonciation (c. 188), l’admission au noviciat (c. 643,§ 1, 4°), la profession religieuse (c. 656, 4°), le vœu (c. 1191 § 3), le serment (c. 1200 § 2).

 

Jusqu’au nouveau Code le mariage contracté sous l’effet du dol était valide. Pour justifier cette norme, les auteurs ont fourni des raisons diverses : certains désiraient protéger la stabilité du mariage ; d’autres affirmaient que l’élément subjectif n’existait pas chez l’auteur du dol et donc qu’il y avait un bon dol ; d’autres voyaient le mariage comme une institution pour conférer la grâce sanctifiante.

 

  1. Le canon 1098

 

  1. Le mariage, puisqu’il est indissoluble de droit divin, n’admet pas l’action rescisoire, « mais pour éviter une grave injustice et également une grave atteinte à la liberté interne, qui proviendraient de la machination d’un autre causant une erreur née d’une tromperie dans le dessein d’extorquer le consentement, s’il n’y avait aucun remède contre la tromperie délibérément commise, la loi ecclésiastique fondée sur l’équité naturelle a décidé l’action en nullité d’un mariage célébré par suite d’une tromperie dolosive : ‘La personne qui contracte mariage, trompée par un dol commis en vue d’obtenir le consentement, et portant sur une qualité de l’autre partie, qui de sa nature même peut perturber gravement la communauté de vie conjugale, contracte invalidement (c. 1098)’ »[4].

 

 

III.  CE QUI EST REQUIS POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE

 

  1. Il y a peu à dire sur ce qui est requis pour une tromperie dolosive qui, selon le c. 1098 cité, invalide le consentement matrimonial.

 

  1. L’obtention de la fin

 

Tout d’abord la loi postule que la ruse employée pour circonvenir obtienne réellement son effet. Cela se déduit du texte de la loi : « Celui qui contracte mariage, trompé par un dol ». Il peut arriver que celui qui se dit trompé, soit content de cette tromperie, parce que « la qualité de l’autre partie » lui donne la possibilité d’aider l’auteur de la tromperie, par exemple si celui-ci est malade.

 

  1. La finalité de la tromperie spécifique

 

Il est requis la finalité de la tromperie spécifique, à savoir « pour obtenir le consentement ». On lit en effet à ce sujet : « A coup sûr, toute machination inflige un dommage à la personne. Vue ainsi, la signification de la finalité définie est parfois tenue pour superflue par les auteurs. Le législateur cependant a voulu indiquer en termes exprès la fin visée par l’auteur du dol. Et ainsi est constitué sans le moindre doute le lien de causalité entre le dol et le consentement matrimonial, de telle sorte que le mariage soit célébré sous l’effet du dol, c’est-à-dire du dol appelé direct. Donc le dol qui est utilisé pour obtenir d’autres fins n’exerce aucune influence sur le consentement matrimonial et n’a en conséquence aucune force invalidant le mariage »[5].

 

  1. La qualité de l’autre personne

 

Ce n’est pas n’importe quel dol qui irrite le mariage, mais seulement celui qui porte sur une qualité de l’autre personne. Il est postulé en plus que la qualité « puisse de sa nature même perturber gravement la communauté de vie conjugale ». La difficulté consiste dans la détermination de cette qualité. Par les mots « de sa nature même » le législateur semble exclure toute interprétation subjective de l’importance de la qualité.[6] Le législateur considère la stérilité comme un exemple de qualité qui, de sa nature même, perturbe gravement la communauté de vie conjugale, lorsqu’il décrète : « La stérilité n’empêche ni ne dirime le mariage, restant sauves les dispositions du c. 1098 » (c. 1084 § 3). Comme le défaut de capacité de procréation a une grande importance pour la vie conjugale, il se crée une obligation juridique de manifester à l’autre partie cette qualité « négative ». Celui qui est privé de cette capacité « ne peut pas se taire simplement, parce que ce silence serait dolosif »[7].

 

 

  1. LA PREUVE  DU  DOL

 

  1. En ce qui concerne la preuve, il est permis de rappeler le principe du droit romain : « Le dol ne se présume pas ». Au contraire, selon le droit canonique, il existe une présomption contraire en vertu du c. 1101 § 1.

 

  1. La preuve du dol commence par la confession de la victime du dol, qui doit expliquer au juge pourquoi elle se considère ainsi. On entendra l’auteur du dol qui doit dire s’il a utilisé une action dolosive pour obtenir le consentement ou pour atteindre d’autres fins. On interrogera les témoins qui auraient été informés de la machination soit par la victime du dol, soit par son auteur.

 

  1. A propos de la qualité, une sentence c. Erlebach fait remarquer : « Dans tous les cas il faut avoir devant les yeux le cas spécifique, surtout la façon dont a été exécutée l’action dolosive présumée, la nature de la qualité, l’objet du dol, puisque les qualités dites « morales » sont prouvées habituellement par des témoignages, tandis que les qualités d’ordre physique exigent parfois une preuve par expertise »[8].

 

  1. Le juge recherchera à quel point la partie déçue avait estimé la qualité souhaitée. En ce qui concerne la stérilité, si la partie déçue ne désirait pas avoir d’enfant, l’action dolosive n’atteint pas son effet sur le consentement et le mariage ne peut pas être déclaré nul.

 

  1. Que le juge cherche à savoir comment le conjoint trompé a réagi « dès qu’il a découvert qu’il était définitivement privé du bien ou de la qualité qu’il désirait absolument »[9]. S’il a rompu immédiatement la vie conjugale, en quittant son partenaire et en l’accusant d’une action dolosive, il y a une présomption qu’il ait été induit en erreur dolosive.

 

  1. La preuve est en réalité difficile lorsqu’il s’agit de la réticence d’une qualité. Il faut savoir que toute espèce de réticence ne constitue pas un fondement suffisant pour déclarer la nullité du mariage. Il n’est pas permis en effet d’oublier que la réticence appartient au droit de la personne.

 

Le juge doit examiner si la personne réticente était astreinte à l’obligation de se raconter elle-même. La réponse dépend du motif de nullité du mariage contracté sous l’effet du dol : ce motif est-il à attribuer à l’injustice du dol, au défaut de liberté dérivant du dol, à l’absence de la conjonction des volontés ? Quoi qu’il en soit, si une qualité essentielle est requise pour instaurer la communauté conjugale, le contractant est tenu de manifester à l’autre partie l’absence de la qualité. On doit se souvenir ici qu’un Consulteur avait proposé qu’on ajoute : « la stérilité de quelque cause qu’elle provienne », ce que les autres Consulteurs n’ont pas jugé nécessaire.[10]

 

 

EN  FAIT  (résumé

 

  1. LES DÉPOSITIONS  DES  PARTIES  ET  DES  TÉMOINS

 

  1. L’épouse demanderesse

 

Dans un mémoire remis au Tribunal, l’épouse déclare que la vie conjugale, commencée le 9 juillet 1994, a été heureuse jusqu’en 1998. A la fin de cette année, Stefan a été soigné pour dépression, sans succès. Sur les instances de son épouse qui ne comprenait pas son attitude, il lui a avoué avoir une liaison avec une autre femme. Voulant sauver son mariage, Despina a désiré fortement avoir un enfant, mais, bien qu’ayant cessé d’utiliser des moyens anticonceptionnels, cela à l’insu de son mari, elle n’est pas parvenue à être enceinte. Finalement elle a réussi, après avoir interrogé Stefan, à savoir que celui-ci ne pouvait pas avoir d’enfant, et elle a appris également qu’il le savait avant son mariage, mais qu’il n’avait rien dit à sa fiancée par « peur de la perdre ».

 

Despina a donc affirmé dans son libelle qu’elle s’était mariée trompée par Stefan, qui, avant le mariage, lui avait caché volontairement sa stérilité pour obtenir son consentement.

 

  1. Les témoins

 

La crédibilité des témoins a été vérifiée et reconnue par le tribunal de 1° instance, ce qu’accepte le Tour Rotal de seconde instance.

 

Une neurologue consultée par Despina en 1999, donc à une époque non suspecte, confirme ses dépositions : « Elle est venue me consulter et m’a confié qu’elle ignorait avant son mariage que son mari ne pouvait pas avoir d’enfant », ce qui montre que le mari partie appelée a non seulement avant le mariage caché son incapacité d’engendrer, mais qu’il l’a dissimulée positivement, en exigeant que sa femme utilise des moyens anticonceptionnels. La sœur de Stefan confirme à la fois la déposition de Despina et le témoignage de la neurologue en rapportant une réflexion que lui a faite la demanderesse après avoir appris la stérilité de son mari : « Ce n’est pas possible, il me fait prendre la pilule depuis 8 ans ! ». Le témoin ajoute : « J’ai posé des questions à Despina, elle m’a dit qu’elle n’avait jamais su (la stérilité de Stefan) ».

  1. L’époux partie appelée

 

Dans sa première déposition judiciaire, Stefan a reconnu qu’il n’a rien dit à Despina, avant son mariage, au sujet de sa stérilité, et il l’a répété au juge de seconde instance : « Despina et moi, nous étions mariés lorsque je lui ai dit que je ne pouvais pas avoir d’enfant ».

 

  1. L’ÉVALUATION DES  ÉLÉMENTS  DE  PREUVE

 

  1. L’intention de l’auteur du dol

 

Pourquoi le mari a-t-il caché une qualité perturbant gravement la communauté conjugale ?

 

Despina déclare au juge qu’ayant appris par sa belle-sœur la stérilité de Stefan, elle a demandé à celui-ci pourquoi il ne lui en avait pas parlé avant le mariage. La réponse a été nette : « Parce que je ne voulais pas te perdre ».

 

On voit donc le lien entre le silence et le consentement matrimonial. Si Stefan avait révélé sa stérilité, Despina ne l’aurait pas épousé. Ceci est d’autant plus sûr que le mari lui-même déclare : « Je savais personnellement que je ne pourrais jamais avoir d’enfant […]. J’ai eu peur que Despina ne m’épouse pas si je lui disais la vérité ». On peut conclure que le mari ne s’est pas seulement tu, mais qu’il a trompé positivement la demanderesse.

 

  1. La nullité du mariage ne vient pas de la stérilité du mari, mais du dol qu’il
    a commis

 

Quelle qu’elle soit, la cause de la stérilité – sur laquelle Stefan et les témoins divergent – n’est pas nécessaire ici. Il suffit que l’impuissance d’engendrer existe avant le mariage, ce qui est prouvé par un certificat médical et confirmé par le mari lui-même.

 

  1. L’intention de l’épouse en se mariant

 

Les actes montrent pleinement que l’épouse s’est mariée avec l’intention d’avoir des enfants : elle le dit dans ses dépositions et le mari ainsi que les témoins confirment cette intention de Despina. Celle-ci s’est mariée avec la volonté d’avoir des enfants et elle a cru que son mari était capable de procréer.

 

Ayant appris l’infidélité de son mari, Despina a tenté de sauver son union. « Suite à l’infidélité de son mari, déclare la sœur de Stefan, Despina était prête à se battre pour son couple. Elle me disait : ‘Mon couple est mis par terre, on voulait avoir des enfants’ ».

 

Et il y a eu l’aveu par Stefan de sa stérilité, et donc de son dol. Malgré la volonté de son mari, Despina a alors quitté celui-ci et l’a accusé de dol. De son attitude on peut déduire que l’épouse demanderesse avait perdu toute confiance en son mari parce qu’elle a eu la conviction qu’il avait délibérément et frauduleusement agi pour la tromper : il connaissait sa stérilité et il l’a cachée pour obtenir le consentement de la jeune fille qu’il aimait.

 

 

Constat de nullité

pour dol commis par le mari

 

 

Vetitum pour le mari

 

 

Josef HUBER, ponent

Pio Vito PINTO

Alessandro CEDILLO

 

__________

 

 

 

[1] D. 4, 3, 1, 2

[2] REIFFENSTUEL, Jus Canonicum Universum, vol. II, lib. II, tit. XIC, Paris 1865, p. 417

[3] Même endroit, p. 418

[4] C. STANKIEWICZ, 27 janvier 1994, SRRDec, vol. LXXXV, p. 63, n. 15

[5] C. CIVILI. La référence donnée par le ponent de la cause présente est inexacte.

[6] Cf. c. BURKE, 25 octobre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 725, n. 12

[7] COMMUNICATIONES, 3, 1971, 77

[8] C. ERLEBACH, 31 janvier 2002, SRRDec, vol. XCIV, p. 51, n. 9

[9] C. RAGNI, 27 avril 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 295, n. 9

[10] COMMUNICATIONES, 7, 1975, 59-60

Huber 08/07/2009

Coram  HUBER

 Exclusion du bien du sacrement

 Tribunal régional de Flaminie (Italie) – 8 juillet 2009

 P.N. 19.569

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. Liberté de se marier, mais acceptation du mariage institué par Dieu
  2. Irrévocabilité du consentement
  3. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage
  4. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité
  5. Les preuves de la simulation
  6. Preuves directes
  7. Preuves indirectes

_________

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Mauro G., âgé de 24 ans, fait en 1989 la connaissance de Michela L., âgée de 19 ans. Un mois après leur première rencontre, ils se présentent à leurs parents respectifs et dès lors ils sont considérés comme étant fiancés.

 

La période des fiançailles n’est pas toujours pacifique, cependant les jeunes gens s’aiment. Ils ont des rapports intimes. En 1990, Mauro propose à Michela de vivre ensemble sans être mariés, mais le père de la jeune fille s’y oppose et le mariage religieux est célébré le 8 décembre 1990.

 

La vie conjugale, sans enfant, dure deux ans. Ayant découvert l’infidélité de son mari et son intention de ne pas rester dans le mariage, Michela quitte le domicile conjugal en novembre 1992. Le divorce est prononcé le 21 décembre 1996.

 

Désireux de retrouver sa liberté devant l’Eglise, Mauro s’adresse le 15 mai 1998 au Tribunal Régional de Flaminie, accusant son mariage de nullité pour exclusion du bien du sacrement de sa part. La sentence du 19 mai 2000 est négative.

 

Le demandeur s’adresse au Tribunal d’appel qui, le 24 septembre 2004, prononce la nullité du mariage pour le chef invoqué.

 

Il nous revient aujourd’hui, en troisième instance, de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur ?

 

*

*     *

EN  DROIT

 

  1. Liberté de se marier mais acceptation du mariage institué par Dieu

 

Il relève de la liberté de chacun de contracter mariage, c’est-à-dire que le contractant ne doit subir aucune coaction ni être interdit de se marier par aucun empêchement. Il ne relève pas de la même liberté du contractant de déterminer la nature du mariage. Le mariage en effet a été fondé et doté de ses lois propres par Dieu. Il résulte de tout ceci que l’Eglise n’oblige personne à se marier, mais si quelqu’un entend le faire, il doit contracter son mariage dans le sens que Dieu lui a donné et que l’Eglise expose dans sa doctrine. Fondée sur les textes de la Sainte Ecriture et de la Tradition, l’Eglise enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour conjugal est instaurée « par l’alliance conjugale, c’est-à-dire par le consentement personnel irrévocable », mais que le lien sacré né du consentement ne dépend pas du « bon vouloir de l’homme »[1].

 

  1. Irrévocabilité du consentement

 

On déduit de ce qu’on vient de dire que les conjoints peuvent contracter mariage par un acte de volonté de nature contractuelle. Une fois accompli, cet acte de volonté obtient son effet juridique, qui n’a plus besoin de l’influx de la volonté pour persévérer. Le mot « irrévocable » signifie que le mariage, né du consentement personnel, ne dépend plus du consentement. Une révocation postérieure faite psychologiquement ne produit aucun effet juridique. En d’autres termes, le contractant, après l’émission de son consentement, n’a plus aucun pouvoir en ce qui concerne le lien, selon Saint Augustin : « […] en effet, si le divorce intervient, la communauté conjugale n’est pas détruite, de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ; puisqu’ils commettent l’adultère avec ceux à qui ils s’uniraient après leur répudiation, la femme avec l’homme, ou l’homme avec la femme »[2]. Les conjoints ont été séparés par le divorce, néanmoins le mariage continue à exister : le consentement est psychologiquement révoqué avec l’intervention du divorce, mais l’obligation à la communauté de toute la vie demeure juridiquement, « de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ». Le consentement a donc créé un effet indépendant de sa cause. L’indissolubilité du mariage présuppose par conséquent une distinction entre le mariage in fieri (le consentement) et le mariage in facto esse (le lien). Le consentement contractuel n’est pas la cause de l’indissolubilité, mais son présupposé. L’indissolubilité doit être prouvée par sa nature de pacte en tant que tel. L’indissolubilité comporte l’impossibilité de rescinder l’effet produit par le consentement contractuel. C’est pourquoi il n’est pas permis de contracter un mariage temporaire ou un mariage à l’essai.

 

  1. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage

 

  1. L’indissolubilité est comptée parmi les propriétés essentielles du mariage, selon le c. 1056 : « Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière ».

« Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels, ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Comme on l’a dit plus haut, l’indissolubilité appartient au mariage in fieri, au mariage-alliance, et non au mariage in facto esse, le mariage-état de vie. L’indissolubilité en effet ne consiste pas dans un droit et une obligation de faire ou d’omettre quelque chose. Les conjoints doivent viser un mariage en tant que non rescindable. C’est pourquoi, en ce qui concerne l’indissolubilité, il n’est pas permis de parler d’exclusion du droit issu du consentement, ni d’exclusion de l’exercice du droit, on ne peut parler que de l’exclusion du lien. Cette exclusion doit s’effectuer par un acte positif de volonté. Il doit donc y avoir un acte, c’est-à-dire une opération, et une opération de la volonté. L’erreur, la prévision, le désir, les doutes ne sont pas des actes de la volonté, mais de l’intelligence. Ni la volonté habituelle, ni la volonté générique, ni la volonté interprétative ne se déterminent en acte positif de volonté. Pour que la volonté opère positivement, il est requis que celle-ci passe de la puissance à l’acte, de l’inertie à la simulation active. « C’est pourquoi l’acte de volonté excluant le mariage lui-même, ou le droit à l’acte conjugal, ou une propriété essentielle du mariage ne peut pas consister dans une simple inertie, un ‘non-velle’ (ne pas vouloir). Au contraire il doit consister dans un ‘velle non’ (vouloir que ne pas)[3] ».[4]

 

  1. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité

 

  1. L’indissolubilité du mariage peut être exclue de façon absolue ou de façon conditionnelle. Se propose de rescinder le lien de façon absolue celui qui décide positivement qu’il rompra le lien à l’avenir, sans qu’il fasse dépendre d’une circonstance la rupture du lien.

 

Se propose de dissoudre le lien de façon conditionnelle celui qui décide de rompre le lien à l’avenir pour une circonstance déterminée, par exemple, si le mariage n’est pas heureux. Dans ce cas le mariage est nul, même si le contractant ne sait pas ou ne prévoit pas que le lien conjugal devra être rompu réellement par la suite. Les parties, ou au moins une partie, entendent contracter un véritable mariage, mais ils font dépendre de l’expérience de la vie le fait que, compte tenu du tempérament ou du caractère du conjoint ainsi que des circonstances extérieures, ils resteront pour toujours ou non dans l’union qu’ils ont contractée. Le contractant qui, lorsqu’il émet son consentement, se réserve le droit de rompre le lien si telle circonstance se vérifie, exclut absolument l’indissolubilité. La rupture envisagée du lien est conditionnelle.

 

  1. Les preuves de la simulation

 

  1. Preuves directes

 

  1. Dieu excepté, le contractant est l’unique témoin direct de sa propre volonté. De là sa confession judiciaire et surtout sa confession extrajudiciaire sont à examiner avec soin. Dans les causes matrimoniales la confession judiciaire n’est pas à comprendre dans le sens du c. 1535 : « Lorsqu’elle va à l’encontre de son propre intérêt, la reconnaissance par une des parties, devant le juge compétent, oralement ou par écrit, spontanément ou sur interrogation du juge, d’un fait en rapport avec l’objet même du procès, constitue une confession judiciaire ». Dans les causes de nullité de mariage, « […] on entend par aveu judiciaire (confessio judicialis) une déclaration par laquelle la partie, par écrit ou par oral, devant le juge compétent, […] affirme contre la validité du mariage un fait qui lui est propre »[5]. La confession judiciaire est ici définie comme la déclaration de celui qui est accusé d’avoir réellement réalisé l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle du mariage, que cette déclaration soit pour ou contre lui. L’acte de simulation est un acte caché au fond du cœur et qui, sans déclaration du simulant allégué, ne peut pratiquement pas être connu parfaitement à partir de ses seuls actes extérieurs. Si la crédibilité du simulant est prouvée, les éléments de preuve qui n’ont pas par ailleurs pleine valeur probante peuvent acquérir cette valeur probante plénière (cf. c. 1679).

 

On doit entendre des témoins crédibles, qui rapportent la confession extrajudiciaire du simulant. La confession judiciaire du simulant allégué au sujet de son exclusion et la même confession extrajuduciaire rapportée en jugement par les témoins sont considérés par la jurisprudence comme des éléments qui prouvent directement l’exclusion.

 

  1. Preuves indirectes

 

Les éléments qui prouvent indirectement l’exclusion sont la cause qui a poussé au mariage, la cause de la simulation et les circonstances du mariage controversé.

 

Si la cause du mariage se trouve dans l’amour, la qualité de cet amour doit être soigneusement recherchée. Les doutes que le mari, avant et après la célébration du mariage, a conçus tant de fois sur l’aptitude de sa femme, permettent souvent de pénétrer dans la véritable volonté du contractant. Il faut cependant savoir que l’existence de cette cause ne produit pas nécessairement un effet, mais qu’elle crée seulement une présomption d’exclusion.

 

Il faut évaluer les circonstances qui offrent un fondement de présomption. Le c. 1586 prescrit : « Le juge ne conjecturera les présomptions qui ne sont pas fixées par le droit qu’à partir de faits certains et déterminés ayant un rapport direct avec l’objet du litige ». Trois conditions doivent être vérifiées pour bâtir des présomptions : un fait, qui est le fondement, et qui soit certain et déterminé et qui ait un rapport direct avec l’objet du litige.

 

Pour rendre une sentence correcte, le Juge considérera la preuve directe et la preuve indirecte, et le lien mutuel des preuves. Qu’il sache qu’il parcourt une route pleine de dangers celui qui, à partir de circonstances se présentant communément, élaborerait un jugement dans un cas particulier à définir. Il peut arriver que parfois plusieurs éléments, qui pris séparément ne peuvent pas par eux-mêmes apporter une preuve, acquièrent, s’ils sont pris ensemble et synthétisés, la valeur d’une excellente preuve.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. La crédibilité du demandeur

 

Les témoins affirment tous la sincérité et la véracité du demandeur qui, par ailleurs, a toujours été constant et ferme dans ses trois dépositions judiciaires successives. Il y a quelques divergences de détail entre certains témoins et le demandeur, mais précisément ces divergences, en écartant le soupçon de collusion entre ces personnes et Mauro, augmentent la crédibilité de celui-ci.

 

  1. Les dépositions du demandeur

 

« Avant de me marier, je ne me sentais pas prêt pour le mariage en général et le mariage avec Michela en particulier […]. J’avais des doutes sur la réussite de mon mariage […] et j’avais décidé de rompre si la vie commune était malheureuse […]. Ma volonté était clairement résolue de recourir au divorce. Je savais que le mariage religieux est indissoluble, mais je confirme m’être marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

A plusieurs reprises et sous des formes quasi identiques, Mauro a reconnu son intention de divorcer en cas d’échec de son mariage.

 

  1. Les témoins

 

En 1° instance, la mère, le frère et un ami du demandeur confirment que Mauro avait des doutes avant de se marier mais ils déclarent n’avoir jamais parlé avec lui d’un recours au divorce en cas d’échec. En appel cependant l’oncle de Mauro, qui avait essayé de le convaincre de ne pas épouser Michela, atteste l’avoir entendu répondre : « Pas de problème. Il y a toujours le divorce ». La même remarque de Mauro a été faite à l’une de ses amies : « Ne t’inquiète pas, il y a toujours le divorce pour me libérer d’un possible échec ». L’on doit remarquer que ces deux témoins ne font pas référence à la mentalité de Mauro, mais à sa volonté. On peut conclure que le demandeur, en évoquant le divorce, n’a pas seulement pensé à une possibilité de divorcer, mais a montré sa volonté de divorcer le cas échéant. Il a dissous intentionnellement le lien, sa volonté est absolue, la rupture du lien, elle, est conditionnelle.

 

  1. La cause du mariage

 

Selon Mauro, la cause qui l’a poussé au mariage est l’attrait physique qu’il éprouvait pour Michela. L’oncle du demandeur s’avoue « cynique », mais il déclare sans prendre de précautions oratoires qu’en se mariant Mauro avait plus comme objectif de mettre Michela dans son lit que de nouer avec elle une relation d’amour. Quelques témoins déclarent que de toute façon Mauro ne semblait pas vraiment amoureux de Michela.

 

  1. La cause lointaine de la simulation

 

Elle se trouve dans le manque de sentiments religieux de Mauro. Il a eu des relations intimes avec Michela avant le mariage, il aurait préféré une union sans mariage, il baignait dans la mentalité ambiante, favorable au divorce, en contraste avec l’éducation qu’il avait reçue. Mauro avoue sans peine que « tout en connaissant l’indissolubilité du mariage, (il s’est) marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

  1. La cause prochaine de la simulation

 

Elle se trouve dans les doutes qu’avait Mauro sur le succès de son mariage : doutes dus à la personnalité de Michela, sa rigidité dans sa façon de voir, son manque de dynamisme.

 

La mère et les témoins de Mauro font état de ses hésitations, et les actes montrent que le demandeur, avant le mariage, voyait en Michela une amie et non une épouse. Il avait finalement découvert que Michela n’était pas celle qu’il aurait voulue comme épouse, et donc il a fait dépendre la durée de son mariage de l’évolution de la vie commune.

 

 

  1. Les circonstances de la vie commune

 

Selon le demandeur, Michela se désintéressait de sa maison, des tâches domestiques, si bien que c’était la mère de Mauro qui devait pallier les carences de l’épouse.

 

Michela, elle, parle de difficultés à instaurer un dialogue familial.

 

Quant aux témoins, ils confirment les déclarations de Mauro sur sa femme : indifférence aux exigences familiales, incapable de se gérer elle-même et de gérer les choses.

 

Le fait que la vie commune n’a duré que deux ans et le fait même que Mauro, selon Michela, « n’a rien fait pour sauver le mariage » montrent bien que cette hâte et ce refus de réconciliation ne peuvent procéder que d’une intention antérieure au mariage.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion du bien du sacrement

de la part du mari demandeur

 

 

Vetitum pour le mari demandeur

 

 

Josef HUBER, ponent

Giovanni Baptista DEFILIPPI

Robert M. SABLE

 

__________

 

[1] GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] SAINT AUGUSTIN, De bono conjugali, VII, 7

[3] Cf. O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan, Giuffré, 1968, p. 89-114

[4] C. DE JORIO, 18 février 1970, SRRDec, vol. LXII, p. 155, n. 3

[5] DIGNITAS CONNUBII, art. 179 § 2

FERREIRA PENA 27/05/2010

Coram  FERREIRA  PENA

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal ecclésiastique du Portugal

27 mai 2010

P.N. 19.800

Constat pour le défaut

de discretio judicii

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. NATURE DE  L’ACTE  HUMAIN  DU  CONSENTEMENT
  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII
  2. Les hypothèses où se présente le défaut de discretio judicii
  3. Causes du défaut de discretio judicii
  4. Une cause spéciale du défaut de discretio judicii : l’immaturité psycho-affective
  5. L’enseignement du Professeur De Caro
  6. Les conséquences de l’immaturité psycho-affective sur la décision du

mariage

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. Nature de l’incapacité d’assumer
  2. La cause de nature psychique de l’incapacité d’assumer
  3. L’incapacité concerne les obligations essentielles du mariage

 

  1. LE PROBLÈME  DE  L’HOMOSEXUALITÉ
  2. Nature de l’homosexualité
  3. Homosexualité et pratique homo-érotique
  4. L’examen nécessaire de la structure de la personne
  5. L’homosexualité idéopathique et l’homosexualité symptomatique

 

  1. RAPPEL DU  RÔLE  DES  EXPERTS

 

 

*   *   *

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Maria A., la demanderesse, et Manuel M., la partie appelée, font connaissance au collège par l’intermédiaire d’une amie de Maria, qui était la « petite amie » de Manuel. Lorsque celui-ci rompt avec sa « petite amie », Maria et Manuel se fréquentent et très vite deviennent amants.

 

Les fréquentations des jeunes gens, qui ne se voyaient pas souvent en raison de l’éloignement de leurs maisons familiales respectives, durent dix ans, interrompus par une semaine de réflexion où Manuel veut faire le point sur leurs relations. Le mariage est célébré le 17 juin 1995.

Pendant la cérémonie religieuse, Manuel fond en larmes. La demanderesse attribue cette émotion à l’absence du père de Manuel, mort quelque temps auparavant et que son fils aimait beaucoup. Ce n’est que plus tard qu’elle donnera un autre sens à ces larmes.

 

Le voyage de noces se passe au Canada. Selon Maria, Manuel a une conduite étrange, négligeant sa femme et étant surtout préoccupé au sujet de son ami Paul, à qui il téléphone après en avoir demandé l’autorisation à Maria, qui trouve curieuse l’attitude de son mari. Maria évite les disputes mais est affectée par le peu de relations conjugales qu’elle a avec Manuel, qui répond aux demandes de son épouse en invoquant sa fatigue et le fait que leur intimité n’est pas nouvelle.

 

La vie commune est en fait très limitée parce que les époux, en raison de leur lieu de travail, ne peuvent se retrouver qu’aux fins de semaine. De plus, quand Maria se déplace pour voir son mari, celui-ci a toujours de bons prétextes pour éviter les rapports conjugaux, et plus d’une fois il va chez son épouse avec son ami Paul.

 

Maria commençait à mal supporter cette vie conjugale difficile, lorsque Manuel lui révéla qu’il avait des relations sexuelles avec Paul et donc lui révéla son homosexualité. Stupéfaite, Maria resta sans voix, tandis que Manuel lui expliquait comment sa relation avec son ami Paul avait progressé. Il lui demanda aussi de garder le secret et d’un commun accord les époux décidèrent de prendre du temps pour réfléchir. Néanmoins la déception de Maria était trop forte et, vers la fin du mois d’août 1996, l’épouse signifia à son mari que leur mariage était terminé.

 

Le 28 novembre 2002, Maria adressa un libelle au Tribunal ecclésiastique du Portugal, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour incapacité de son mari d’assumer et de remplir les obligations conjugales essentielles (c. 1095, 3°) et pour grave défaut de discretio judicii, toujours de la part du mari, le rendant incapable d’assumer avec liberté les responsabilités et obligations du mariage (c. 1095, 2°). Le libelle ajoutait le dol, par dissimulation par le mari de son homosexualité afin d’obtenir le consentement matrimonial de la demanderesse.

 

La sentence du 12 janvier 2005 fut négative sur tous les chefs. En appel, où fut réalisée une expertise, les Juges déclarèrent la nullité du mariage selon le c. 1095, 2° et 3°, mais rejetèrent le chef de dol.

 

En troisième instance à la Rote, le doute fut concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement, et pour incapacité d’assumer les obligations matrimoniales essentielles de la part du mari, partie appelée (c. 1095, 2° et 3°). Aucune instruction complémentaire ne fut effectuée.

 

 

 

EN  DROIT

 

  1. NATURE DE  L’ACTE  HUMAIN  DU  CONSENTEMENT

 

Le pacte conjugal par lequel se crée entre l’homme et la femme une communauté de toute la vie, ordonnée au bien des époux eux-mêmes ainsi qu’à la génération et l’éducation d’enfants, naît du seul consentement des parties, qu’aucune puissance terrestre ne peut suppléer (cf. c. 1057 § 2 ; 1055 § 1). Le consentement est un acte de volonté par lequel l’homme et la femme réalisent leur mutuelle donation (cf. c. 1057 § 2).

 

Il s’agit, en termes philosophiques, d’un acte humain, c’est-à-dire d’un acte qui procède d’une volonté délibérée, ou, en d’autres termes, qui résulte de la coopération ordonnée des facultés de l’âme humaine rationnelle, soit l’intelligence et la volonté. L’intelligence et la volonté coopèrent dans la réalisation de la décision délibérée du mariage, parce que cette décision délibérée suit un jugement qui n’est pas seulement théorique, mais pratique, c’est-à-dire qui vise non pas une pure énonciation abstraite – dans le cas, au sujet de la bonté de l’institution matrimoniale – mais une estimation concrète de l’opportunité, pour le contractant lui-même, de se marier hic et nunc avec la personne déterminée de son partenaire.

 

A propos du concours des puissances dans la libre décision délibérée de l’homme, comme est celle qui conduit à contracter mariage, nous avons un document magistral de saint Thomas d’Aquin : « Le propre du libre arbitre est l’electio (décision délibérée), du fait, en effet, que nous disons relever du libre arbitre la possibilité que nous avons de recevoir une chose en récusant une autre chose, ce qui est eligere (décider délibérément). Et donc il faut envisager la nature du libre arbitre à partir de l’electio. Pour l’electio il y a le concours de quelque chose de la part de la puissance cognoscitive, et de quelque chose de la part de la puissance appétitive. De la part de la puissance cognoscitive est requis le conseil, par lequel est jugé ce qui est préférable à autre chose ; de la part de la puissance appétitive est requis que soit accepté avec désir ce qui est jugé par le conseil »[1].

 

  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. Celui qui est affecté de l’incapacité de jouir de la nécessaire discretio judicii dans la décision délibérée du consentement matrimonial est, de par le droit naturel, inapte à contracter un mariage valide ; ce qui est formellement établi par le c. 1095, 2° ; « Sont incapables de contracter mariage les personnes […] qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ».

 

  1. Les hypothèses où se présente le défaut de discretio judicii

 

A la lumière des enseignements cités de la philosophie scolastique, on comprend le large concept que la jurisprudence canonique accueille communément au sujet de la discretio judicii requise pour se marier validement, en affirmant que le défaut de discretio judicii ou de maturité du jugement peut se présenter « lorsque l’une des trois conditions ou hypothèses suivantes se vérifie :

1) ou bien manque la connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement à donner lorsqu’on contracte mariage ;

2) ou bien le contractant n’a pas encore atteint l’estimation suffisante proportionnée à l’affaire matrimoniale, c’est-à-dire une connaissance critique apte à ce si grand engagement qu’est le mariage ;

3) ou enfin l’un ou l’autre des contractants manque de liberté interne, c’est-à-dire de la capacité de délibérer avec une estimation suffisante des motifs et une autonomie de la volonté par rapport à toute impulsion interne »[2].

 

  1. Causes du défaut de discretio judicii

 

  1. Il ressort de ce qui vient d’être dit que la discretio judicii requise chez celui qui se marie peut manquer de diverses manières et pour de multiples causes. Parmi celles-ci on compte surtout les graves maladies psychiques ou psychoses, qui affectent profondément les opérations du raisonnement et souvent les détruisent ; ensuite les névroses, ou perturbations de l’anxiété, qui, en engageant le sujet dans des difficultés démesurées, empêchent d’habitude tant la claire vision des choses que la libre détermination à agir ; sans oublier les graves espèces de psychopathie, qui dans certains cas peuvent affecter sérieusement les facultés critiques et électives. Il ne faut pas non plus diminuer le poids de ce qu’on appelle l’immaturité psycho-affective, par laquelle on marque que n’a pas été atteint un degré suffisant de maturité du jugement, en raison de la fixation ou de la régression de la personnalité, pour de multiples raisons, à l’état de l’adolescence ou de la pré-adolescence, dans lequel le sujet manque encore d’une perception objective du monde et place au centre de tout sa personne, son plaisir, son intérêt.

 

  1. Une cause spéciale du défaut de discretio judicii : l’immaturité psycho
    affective

 

  1. a. L’enseignement du Professeur De Caro

 

Le professeur De Caro, psychiatre, a présenté une lumineuse description des manifestations dans lesquelles l’immaturité de la personne est perçue principalement sous son aspect affectif-émotif. Le Maître note parmi elles :

– l’incapacité de réfréner les impulsions des affects et des passions, qui non seulement exercent une influence sur les mœurs de celui qui se marie, mais se portent sur la sphère « noétique », c’est-à-dire la sphère de la perception et du jugement, en viciant d’une certaine façon la faculté critique et estimative elle-même ;

– une trop grande sujétion aux stimulations hédonistes ou érotiques, qui poussent l’individu de façon imprévue et irrésistible, en écartant la maîtrise de la volonté et de la raison ;

– le sens de l’incertitude dans les décisions, une propension à demeurer dans les schémas affectifs propres à l’enfance – par exemple avec la nécessité prépondérante d’adhérer à l’un ou l’autre de ses parents, le plus communément à sa mère ;

– la difficulté d’instaurer des relations interpersonnelles valides et sociales, même dans le domaine du travail, auquel le sujet préfère une vie inepte et vide de sens, ou imbriquée dans des expériences érotiques dangereuses ;

– l’incapacité d’affronter les nouvelles circonstances et de s’adapter à elles, qui comportent l’effort d’une nouvelle organisation, et qui engendrent de l’anxiété et des perturbations émotives ;

– l’incapacité ou le refus d’assumer le mariage comme un lien stable et irrévocable, fondé dans une véritable communauté de vie et dans une pleine et mutuelle oblation de soi ;

– les difficultés de transférer ses forces émotives de la sphère privée-égoïste (et peut-être narcissique) à la sphère publique-sociale.[3]

 

  1. Les conséquences de l’immaturité psycho-affective sur la décision du

mariage

 

Cela dit, il n’est pas bien nécessaire de nous arrêter sur les conséquences de la personnalité immature sur la décision du mariage. En effet, « dans l’immaturité affective, dans laquelle l’intelligence reste normale, ce qui est en jeu, ce n’est pas le jugement théorique, mais le jugement pratico-pratique, dû à l’arrêt ou à la régression du développement de la personnalité, dans son rapport avec l’affectivité.

 

A l’élaboration du jugement pratico-pratique concourent les facultés cognoscitives et les facultés appétitives, avec une causalité simultanée et réciproque. La volonté fera que l’intellect pratique examine et confronte les motifs tant positifs que négatifs pour célébrer ou non ce mariage ; la couleur affective dérivée de la volonté et de l’appétit sensitif présentera le mariage en question comme désirable ou non ; après l’évaluation de la motivation de la part de l’intelligence et de la volonté viendra le choix volontaire. Dans l’évaluation des motifs, doit nécessairement entrer la pondération responsable de ce que, substantiellement, impliquent les devoirs et les droits essentiels du mariage en ce qui concerne la procréation et l’éducation des enfants, la fidélité à l’autre conjoint, la communauté de vie conjugale au moins tolérable, les devoirs à observer durant toute la vie, dans les circonstances du cas concret.

 

Le processus délibératif antérieur exige l’oblativité et la responsabilité de l’adulte […]. L’immature affectif, fixé ou retourné à un stade de développement inférieur, célèbrera le mariage avec la motivation d’un adolescent ou d’un enfant »[4].

 

On ne devra pas omettre également une possible coercition de la liberté interne dont souffre l’individu immature, en raison d’un violent conflit des instincts et des affects, qu’il ne peut absolument pas régler par ses forces psychiques.

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Selon la norme du c. 1095, 3° sont également incapables de contracter mariage ceux « qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

  1. Nature de l’incapacité d’assumer

 

Dans cette troisième hypothèse, l’incapacité prévue par la loi ne vient pas de ce que celui qui se marie est incapable d’exprimer le consentement matrimonial en tant qu’acte, mais de son impossibilité de donner, c’est-à-dire de mener à effet, l’objet du consentement. En d’autres termes, si l’on préfère, l’incapacité ne regarde pas directement l’acte du consentement, mais son effet ; non pas tant le matrimonium in fieri que le mariage in facto esse ; et donc elle regarde l’état conjugal plus que le mariage-acte. Dans l’état conjugal en effet sont à remplir les obligations que le contractant, pour des causes de nature psychique, ne peut absolument pas mettre en pratique.

 

  1. La cause de nature psychique de l’incapacité d’assumer

 

  1. L’origine de cette incapacité est à chercher dans une cause de nature psychique. En d’autres termes, pour prononcer la nullité du mariage, il faut reconnaître, à l’époque de l’émission du consentement, une distorsion significative des fonctions psychiques qui se répercute sur la capacité du contractant de remplir les obligations propres à l’état conjugal, en affectant radicalement cette capacité et en la réduisant à néant.

 

Ne sont pas compatibles avec la cause de nature psychique l’infirmité morale, la paresse ou la mauvaise volonté, le laxisme acquis par l’éducation et des situations semblables. En effet une véritable incapacité ne peut pas dériver de ces facteurs, parce que l’homme de bonne volonté, par l’aide divine qui apporte des moyens surnaturels, peut surmonter, certes avec un effort nécessaire, de tels obstacles. De même il est insuffisant, pour réaliser une véritable incapacité, qu’il y ait de simples déficiences du caractère ou des traits d’imperfection de la personnalité, qui assurément peuvent rendre plus difficile, mais non impossible, l’instauration d’une communauté de vie au moins tolérable.

 

  1. L’incapacité concerne les obligations essentielles du mariage

 

  1. Seule possède une importance juridique, en vue de la nullité du mariage, l’incapacité qui concerne les obligations essentielles du mariage. En effet de nombreuses obligations découlent de l’alliance matrimoniale, mais toutes ne touchent pas à l’essence du contrat, puisque plusieurs visent au bien-être du mariage, c’est-à-dire à sa perfection et à sa réussite. La loi évidemment ne s’occupe pas de ces obligations, puisque le droit naturel veut que celui qui se marie soit apte à célébrer un mariage valide, la question de la réussite de la communauté étant donc mise de côté. C’est pourquoi il faut examiner à fond les obligations essentielles qui, bien qu’elles ne soient pas faciles à recenser, se trouvent sans aucun doute connexes aux fins et propriétés essentielles du mariage. A ce noyau appartiennent celles qui se rapportent à la classique trilogie augustinienne : le bien du sacrement, le bien des enfants et le bien de la fidélité ; mais – sous la conduite également du récent magistère conciliaire et pontifical – il faut aussi compter celles qui ont une relation avec la fin noble et primaire elle aussi du mariage, qu’on a l’habitude d’appeler le bien des conjoints. En effet appartient à l’essence de l’alliance conjugale la donation réciproque de l’homme et de la femme pour constituer entre eux une communauté de vie et d’amour dans laquelle, par l’étroite conjonction des œuvres et des personnes, elles se procurent mutuellement aide et service.[5]

 

  1. LE PROBLÈME  PARTICULIER  DE  L’HOMOSEXUALITÉ

 

  1. Nature de l’homosexualité

 

  1. Un obstacle à l’obtention de cet éminent bien du mariage, c’est-à-dire à la constitution d’une communauté de vie et d’amour entre l’homme et la femme, peut être cette « perversion ou plus justement inversion » de l’instinct sexuel qu’on appelle homosexualité.[6] Cette condition psychique se spécifie par le mouvement exclusif ou prévalent de l’appétit affectif et érotique vers des personnes du même sexe. Il s’agit là d’un état qui comporte de multiples manifestations, sous l’aspect intrapsychique ou externe, c’est-à-dire sous l’aspect de la façon d’agir.

 

  1. Homosexualité et pratique homo-érotique

 

Il faut tout d’abord distinguer la véritable homosexualité de la simple pratique homo-érotique, qui peut être due à des circonstances variées de personnes et de lieux : « autre chose en effet est la constitution viciée, autre chose est l’action homosexuelle »[7]. C’est pourquoi on ne doit pas compter parmi les homosexuels, par exemple, les adolescents qui se livrent entre eux à des jeux érotiques, ou ceux qui tombent dans des pratiques contre nature parce qu’ils sont mis à part, par exemple en prison, ou en bateau, dans des camps etc… Il s’agit dans ce cas d’une homosexualité « de situation, c’est-à-dire d’une homosexualité consciemment et délibérément choisie en raison des circonstances, mais avec la possibilité d’un retour à des relations hétérosexuelles lorsque la situation aura changé »[8]. Il faut de même prendre en compte la pseudo-homosexualité, « qui n’est rien d’autre qu’une anxiété mentale chez des hommes hétérosexuels sur leur prétendue homosexualité à cause de la perte de leur puissance sexuelle, de leur position sociale etc. »[9].

 

  1. L’examen nécessaire de la structure de la personne

 

Pour qu’on puisse parler de véritable homosexualité, il faut examiner la constitution, mieux, la structure de la personne. En d’autres termes, ont de l’importance dans le domaine de l’incapacité « les tendances homosexuelles, qui s’enracinent dans la structure anormale de la personnalité, parce qu’elles sont opposées à l’essence même et aux propriétés du mariage. Elles empêchent en effet ceux qui en souffrent de rechercher l’amour conjugal, ordonné aux enfants, d’user du mariage de manière humaine pour atteindre cette fin, de garder la fidélité dans un lien perpétuel et exclusif et de constituer une communauté de toute la vie ordonnée au bien et à l’intérêt mutuel »[10].

 

D’ailleurs on ne peut pas dire que toute forme d’homosexualité irrite le consentement matrimonial. Il y a en effet des degrés variés de cette anomalie, et « seule une forme grave d’homosexualité, présente au moment de la célébration du mariage et inguérissable, rend le sujet incapable de contracter mariage »[11].

 

On ne doit pas oublier en effet qu’il existe des homosexuels « qui ne répugnent pas absolument aux relations hétérosexuelles et qu’on classe parmi les bi-sexuels »[12]. Lorsqu’il s’agit de ces sujets, l’incapacité « ne dépend pas du degré d’exclusivité de la tendance homosexuelle, de sa cause innée ou acquise, ni non plus de la gravité de cette déviation »[13].

 

  1. L’homosexualité idéopathique et l’homosexualité symptomatique

 

  1. Une autre distinction à faire en ce domaine, et qui est d’une certaine importance, est celle entre l’homosexualité idéopathique, qui atteint la sphère strictement affectivo-sexuelle de la personne et qui vient par elle-même en considération, et l’homosexualité symptomatique, « qui est seulement un symptôme et un effet de certaines graves maladies névrotiques ou psychotiques »[14], ou même psychopathiques »[15].

 

Il résulte de cela que – si éventuellement la déviation de l’instinct sexuel n’est pas si grave, alors que par elle-même elle peut irriter le consentement – la nullité du mariage peut néanmoins être prononcée, compte tenu de la perturbation de la personnalité dont l’homosexualité ne constitue qu’un symptôme ou un indice.

 

Il peut donc se faire que chez un contractant la tendance homosexuelle prise en elle-même manque de signification autonome, c’est-à-dire qu’elle n’atteigne pas une gravité telle qu’elle le rende incapable de réaliser une communauté conjugale au moins possible à vivre, mais que cette tendance soit plutôt l’indice d’une grave immaturité, qui l’aurait privé, dans l’émission du consentement, de la décision convenablement délibérée et suffisamment libre de se marier. Il n’y a rien de remarquable si dans ces cas la nullité est prononcée pour le 2° plutôt que pour le 3° du c. 1095.

 

De façon significative, les récents documents de la Curie Romaine traitant de ce problème de l’homosexualité ont pris l’habitude de relier celle-ci à une grave immaturité[16], ou encore, dans ses formes transitoires, l’ont interprétée comme « l’expression d’un problème … comme, par exemple, celui d’une adolescence non encore terminée »[17] : manifestement, donc, la tendance homosexuelle pourrait se réduire à une forme de fixation ou de régression psycho-affective, comme cela arrive typiquement dans les cas d’une grave immaturité psycho-affective.

 

 

  1. RAPPEL DU  RÔLE  DES  EXPERTS

 

  1. Tous ces éléments, comme il convient toujours de le faire dans les causes d’incapacité[18] sont à rechercher avec l’aide d’experts psychologues ou psychiatres, qui effectueront un examen de la personne ou au moins un examen sur les actes de la cause, et qui instruiront le juge sur l’état psychique du contractant au moment de la célébration du mariage, et surtout sur la gravité des conditions anormales dont il était atteint, et sur l’influx que celles-ci ont eu sur la capacité du sujet d’estimer convenablement, de décider librement et de remplir efficacement l’objet de la promesse matrimoniale.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La difficulté de la cause vient de la discordance totale entre les déclarations de l’épouse demanderesse et celles du mari, partie appelée, au sujet de l’homosexualité de celui-ci. Car l’épouse, attribuant l’échec de son mariage à un aveu que lui aurait fait Manuel sur sa propre homosexualité, a négligé d’autres éléments importants, alors que le mari conteste absolument cette homosexualité.

 

Les Juges du Tour ne trouvent aucun signe ou indice qui confirmerait cette homosexualité. Il n’y a que la demanderesse qui en parle, et donc qui doit en apporter la preuve. Les témoins se contentent de rapporter ce que la demanderesse leur a dit. Ils déclarent par exemple que la petite amie de Manuel a assisté à son mariage avec Maria et qu’elle l’a souvent rencontré, mais les actes n’en contiennent aucune preuve.

 

Par contre, le mari présente une grave immaturité et donc la question à trancher tourne autour de sa liberté interne et de l’importance qu’il attribuait au mariage.

 

Les parties ont commencé leurs fréquentations très jeunes et en pleine immaturité, comme l’expose l’expert. De plus les relations entre Manuel et sa mère n’étaient pas normales du fait que le fils était trop soumis à la mère, situation qui a encore empiré à la mort du père. L’expert décrit bien les caractéristiques de la vie familiale après ce décès : Manuel, couvé par sa mère, était incapable de faire face à la vie en général et à la vie conjugale en particulier. Finalement Maria n’était pour lui qu’une « amie » parmi d’autres.

 

Manuel reconnaît qu’avant le mariage son amour pour Maria avait beaucoup diminué, et l’expert voit dans sa décision d’épouser quand même celle-ci un signe d’immaturité. Manuel reconnaît encore que ses relations charnelles avec Maria n’étaient pas l’expression d’un désir spirituel profond.

 

Après le mariage, son attitude a rendu la vie commune difficile. Manuel était resté adolescent, mal préparé à la vie, immature en ce qui concerne la sexualité, instable et léger.

 

Même si l’expert de la Rote s’arroge parfois le rôle du juge lorsqu’il déclare que la gravité de la cause psychique qui frappait Manuel empêchait la discretio judicii nécessaire au mariage, mais encore l’empêchait d’assumer et de remplir les obligations conjugales, nous reconnaissons qu’il a réalisé un travail précieux par son équilibre et son sens des choses.

 

 

Constat de nullité

seulement pour grave défaut de

discretio judicii de la part du mari

 

Vetitum pour le mari

 

Jair FERREIRA PENA, ponent

Robert M. SABLE

Maurice MONIER

 

__________

 

 

 

[1] SOMME  THEOLOGIQUE, I° pars, q. 83, a. 3, co.

[2] C. POMPEDDA, 25 novembre 1978, SRRDec, vol. LXX, p. 509-510, n. 2

[3] Cf. D. DE CARO, L’immaturità psico-affettiva nel matrimonio canonico, dans L’immaturità psico-affettiva nella giurisprudenza della Rota Romana, Vatican 1990, p. 6-7

[4] J.M. PINTO GOMEZ, L’immaturità affettiva nella giurisprudenza rotale, dans l’Immaturità psico-affettiva nella giurisprudenza della Rota Romana, citée, p. 46-47

[5] Cf. Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48

[6] Cf. c. POMPEDDA, 6 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 915-924

[7] C. ERLEBACH, 6 mai 1998, SRRDec, vol. XC, p. 361, n. 5

[8] C. STANKIEWICZ, 24 novembre 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 677, n. 7

[9] Même endroit

[10] C. FUNGHINI, 19 décembre 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 766, n. 3

[11] C. ERLEBACH, 29 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 681, n. 7

[12] C. STANKIEWICZ, 24 novembre 1983, cité, p. 678, n. 9

[13] Même endroit, p. 682, n. 16

[14] C. ANNE, 25 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 179, n. 8

[15] Cf. J.J. GARCIA FAILDE, Manual de psiquiatria forense canónica, Salamanque 1991, p. 310

[16] Cf. Congregatio pro Educatione catholica, Orientamenti per l’utilizzo delle competenze psicologiche nell’ammissione e nella formazione dei candidati al sacerdozio, 29 juin 2008, n. 10

[17] Istruzione della Congregazione per l’Educazione cattolica circa i criteri di discernimento vocazionale riguardo alle persone con tendenze omosessuali in vista della loro ammissione al Seminario e agli Ordini Sacri, 4 novembre 2005, n. 2

[18] Cf. c. 1574, 1680 ; art. 203 et suivants de DIGNITAS CONNUBII

DEFILIPPI 15/10/2009

Coram  DEFILIPPI

 Exclusion du bien du sacrement

Exclusion du bien des enfants

 

Tribunal régional de Lombardie (Italie)

15 octobre 2009

P.N. 19.694

Constat pour les deux chefs

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE CONSENTEMENT DANS LE MARIAGE
  2. Nature et effets du consentement
  3. Qualités du consentement
  4. Rôles de l’intelligence et de la volonté
  5. Le consentement est un acte humain
  6. Le consentement est un acte libre
  7. La conformité du consentement avec la structure objective du mariage

 

  1. LA SIMULATION
  2. La simulation en général
  3. La simulation partielle

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT

  1. La pensée de l’Eglise sur l’indissolubilité
  2. L’exclusion de l’indissolubilité

 

IV L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

  1. L’ordonnancement du mariage à la procréation
  2. Il n’y a pas de droit à l’enfant
  3. Le droit-devoir à la génération et à l’éducation des enfants
  4. La distinction entre le droit-devoir et l’exercice-accomplissement
  5. La jurisprudence sur l’exclusion du droit-devoir

 

  1. LA PREUVE DE LA SIMULATION
  2. La preuve de toute simulation
  3. Le rôle du juge
  4. Règles spéciales pour les causes matrimoniales

 

__________

 

 

 

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS (résumé)

 

Barbara B., née le 27 juin 1971, et Roberto R., né le 16 mai 1970, font connaissance en 1994. Epris l’un de l’autre ils se considèrent presque comme des fiancés. Toutefois, en raison de leurs différences de caractère et de la mauvaise entente entre Barbara et la mère de Roberto, ils se disputent souvent, si bien que Barbara, à l’automne 1996, rompt avec Roberto. La séparation dure un an et, sur les instances de Roberto, les deux jeunes gens renouent leur relation, sans pour autant que cessent leurs querelles.

 

Malgré tout ils décident de se marier, mais les altercations se poursuivent et Roberto renonce au mariage au printemps 1999. Toutefois il change d’avis rapidement. Barbara, de son côté, très inquiète sur l’avenir de sa vie conjugale avec Roberto, mais n’osant pas s’opposer à la célébration du mariage, se propose intérieurement de rompre le lien conjugal si les choses tournent mal, et décide qu’elle n’aura pas d’enfants de son union avec Roberto.

 

Le mariage est célébré le 18 septembre 1999. Dès le voyage de noces les époux se querellent si bien qu’ils se séparent en avril 2000. La « séparation consensuelle » est sanctionnée le 10 novembre 2000 par le Tribunal civil de Milan, qui prononce le divorce en février 2004.

 

Entre temps, le 18 novembre 2002, Barbara s’était adressée au Tribunal ecclésiastique régional de Lombardie, accusant son mariage de nullité pour exclusion, de sa part, des biens du sacrement et des enfants. La sentence du 30 octobre 2003 est négative sur les deux chefs. En appel, le Tribunal régional de Ligurie procède à un complément d’enquête, avec une nouvelle audition de la demanderesse, le mari partie appelée refusant de comparaître. La sentence du 30 septembre 2005 infirme celle de la 1° instance, en déclarant le mariage nul pour exclusion du bien du sacrement et du bien des enfants de la part de l’épouse. En 3° instance à la Rote, il Nous revient d’examiner ces deux chefs allégués par la demanderesse.

 

EN DROIT

 

  1. LE CONSENTEMENT DANS LE MARIAGE

 

  1. Nature et effets du consentement

 

  1. Il faut tout d’abord rappeler le c. 1057 :

« § 1. C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine.

 

  • 2. Le consentement matrimonial est l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage ».

 

C’est pourquoi, en contractant mariage, étant supposée l’adéquate capacité de ceux qui se marient, requise tant par le droit naturel que par le droit positif, il y a comme une rencontre dynamique entre le consentement subjectif des contractants et l’institution du mariage, dans son entité objective, vers la constitution de laquelle est dirigé le consentement de ceux qui se marient.

 

  1. D’une part, il faut résolument mettre en valeur l’importance, sans dérogation possible, du consentement personnel des contractants qui est l’unique, adéquate, suffisante et absolument nécessaire cause efficiente du mariage, au point que, comme on le lit dans une sentence c. Turnaturi du 16 juin 1995, « c’est tout à fait à juste titre qu’on dit que ‘tout le système matrimonial canonique a pour centre le consentement entre époux’[1]».[2]

 

  1. Qualités du consentement

 

  1. Rôles de l’intelligence et de la volonté

 

Ce consentement, bien qu’on le définisse « acte de la volonté », « présuppose nécessai-rement un acte de l’intelligence, selon le principe ‘rien n’est voulu qui ne soit d’abord connu’. Personne assurément ne peut vouloir sans vouloir quelque chose et savoir ce qu’il veut. La volonté en effet dépend de l’intelligence, elle suit l’intelligence et tend vers le bien appréhendé par l’intelligence, c’est-à-dire selon qu’il lui est présenté par la connaissance »[3].

 

  1. Le consentement est un acte humain

 

D’ailleurs, pour être valide, le consentement doit être un « acte humain », c’est-à-dire un acte dont l’homme est le maître. « L’homme est maître de ses actions par la raison et la volonté, et c’est pourquoi on dit que le libre arbitre est la faculté de la volonté et de la raison. Sont donc appelées proprement humaines les actions qui procèdent d’une volonté délibérée, en tant que la volonté suit la délibération de la raison »[4].

 

  1. Le consentement est un acte libre

 

En outre le consentement, en tant qu’« acte humain » doit être pourvu également de liberté, parce que « la dignité de l’homme exige qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure »[5].

 

  1. La conformité du consentement avec la structure objective du mariage

 

  1. D’autre part cependant le mariage, qui résulte du consentement, est une institution qui, dans sa constitution objective, « échappe à la fantaisie de l’homme, car Dieu lui-même est l’auteur du mariage, qui possède en propre des valeurs et des fins diverses »[6]. Le mariage « in facto esse », le mariage-état de vie, en effet, a une particulière structure objective, par laquelle il diffère de toute autre institution juridique. Il peut en effet être décrit comme une communauté entre deux personnes de sexe différent, « ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants » (c. 1055 § 1), revêtue des propriétés essentielles de l’unité et de l’indissolubilité (c. 1056), « élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement » (c. 1055 § 1), et faisant naître entre les conjoints « un lien de par sa nature perpétuel et exclusif » (c. 1134), en vertu duquel les conjoints s’obligent à des droits et devoirs particuliers et égaux, qui durent toute la vie, puisqu’il s’agit d’une mutuelle donation pleine et irrévocable.[7]

 

Par conséquent, le consentement de ceux qui se marient, pour être proprement matrimonial, doit envisager le mariage selon sa structure objective, comme le Pape Jean-Paul II l’a très opportunément déclaré dans son Discours à la Rote du 28 janvier 2002 : « Selon l’enseignement de Jésus, c’est Dieu qui a uni dans le lien conjugal l’homme et la femme. Il est certain qu’une telle union a lieu à travers le libre consentement de ces deux personnes, mais un tel consentement humain porte sur un dessein divin »[8].

 

Il s’ensuit que le consentement conjugal, pour produire ses effets, ne peut s’écarter des éléments et propriétés essentiels dont Dieu a orné le mariage, bien qu’il ne soit pas requis que celui qui se marie considère un à un et explicitement tous ces éléments et propriétés, puisqu’il suffit qu’il les rassemble tous, au moins implicitement, dans la volonté de contracter mariage avec une intention droite, sans exclure aucun élément essentiel du mariage ni aucune de ses propriétés essentielles.

 

  1. LA SIMULATION

 

  1. La simulation en général

 

  1. Puisque généralement il faut, dans les relations humaines, qu’il y ait une conformité entre ce qui est pensé et ce qui est manifesté extérieurement, surtout lorsqu’il s’agit de choses très importantes, le Législateur canonique, compte tenu de la dignité du mariage, déclare, outre les principes généraux de la présomption de validité de tout acte juridique régulièrement accompli (cf. c. 124 § 2) et de la « faveur du droit » dont jouit le mariage (c. 1060), précisément à propos de notre affaire, cette présomption du droit : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1).

 

Cependant, puisque le consentement des parties est la cause, sans aucune dérogation possible, qui constitue le mariage, il faut regarder la réelle intention de celui qui profère les paroles de ce consentement, ainsi qu’il est statué de façon adéquate dans le canon 1101 cité : « Si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2). Dans ce cas on a la simulation du consentement, c’est-à-dire « la discordance délibérée réalisée par le sujet entre la volonté interne et la déclaration externe »[9]. Et donc, en raison de cette discordance, réellement « une chose est d’agir, autre chose est de simuler qu’on agit »[10].

 

Cette simulation, comme on la déduit du c. 1101 § 2, peut être totale (si on exclut positive-ment le mariage lui-même), ou partielle, quand celui qui se marie, bien que voulant une certaine forme de mariage, vise ce mariage seulement selon ses propres idées, qui objectivement s’écartent de l’institution divine du mariage.

 

Bien que, tant dans la simulation totale que dans la simulation partielle, les conséquences juridiques soient objectivement les mêmes, à savoir que « le consentement donné souffre de nullité »[11], il faut cependant admettre une distinction entre ces deux simulations « en raison de l’objet de la simulation et de la conscience qu’on a de la simulation de l’acte »[12].

 

  1. La simulation partielle

 

  1. Selon le c. 1101 § 2 CIC, il y a simulation partielle du consentement lorsque l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle pénètre, en le restreignant efficacement, dans l’objet même du consentement matrimonial, de telle sorte qu’en réalité elle se porte sur un objet substantiellement corrompu. Comme nous l’a rappelé Jean-Paul II dans son Discours à la Rote du 21 janvier 2000, « la tradition canonique et la jurisprudence rotale, pour affirmer l’exclusion d’une propriété essentielle ou la négation d’une finalité essentielle du mariage, ont toujours requis que celles-ci se produisent avec un acte positif de volonté »[13].

 

Dans le texte du c. 1101 § 2, trois éléments sont requis : la volonté, l’acte, la positivité : « Le premier élément regarde la volonté, puisqu’elle seule est la cause efficiente, motrice, et source première de toute simulation ou exclusion […] Le second élément, c’est-à-dire l’acte, attribue à la volonté la forme d’opération, d’activité volitive, par laquelle elle se transforme en ‘acte de vouloir’ lequel, dans le domaine psychologique peut correspondre à la décision, marquée par le passage ‘du connaître à l’agir au moyen d’une délibération’, ou à la décision volontaire, conçue comme ‘un acte souverain de la volonté ou du Moi’ […] Enfin, le troisième élément, la positivité de l’acte, remplit le rôle d’un facteur qualifiant dans les aspects du même acte de volonté […] La nécessité de la positivité fait certainement exclure du phénomène de la simulation l’acte purement négatif […], et dépasse toute forme de transformation extrinsèque volitive de l’omission, qui consiste dans le comportement volontairement inerte »[14]. C’est pourquoi cet acte se présente comme un « ne pas vouloir » (velle non) et non comme un véritable « vouloir que ne pas » (nolle) [15]. En d’autres termes, pour parler plus clairement, n’accomplit pas un acte positif de volonté celui qui, inconsciemment, n’assume pas un élément essentiel du mariage, ou n’y pense même pas ; au contraire il est requis qu’il rejette réellement hors de l’objet du consentement cette propriété ou cet élément essentiel, « de telle sorte qu’il a visé un mariage uniquement comme cela et pas autrement »[16].

 

En conséquence, il n’y a pas lieu à simulation dans les formes psychologiques qui ne réalisent pas cet acte positif de volonté, comme par exemple les simples idées erronées sur le mariage, une intention seulement habituelle, une volonté purement interprétative, une certaine velléité générique, une inclination contraire etc.

 

Au contraire, « selon la Jurisprudence affermie de Notre For, non seulement l’acte positif explicite de volonté provoque un effet dirimant, mais encore l’acte positif implicite, mais exprès, qui ont comme objet direct et immédiat quelque chose qui est contenu dans l’exclusion d’une propriété ou d’un élément essentiel »[17].

 

De même il n’est pas requis que cet acte positif de volonté soit accompli au moment du mariage de façon « actuelle », mais il suffit qu’il soit « virtuel » (c’est-à-dire qu’au moment de la célébration du mariage il garde encore sa force d’acte auparavant exprès et non révoqué), de telle sorte qu’il soit efficacement connexe avec le consentement, dont il détermine substantiellement l’objet.

 

Selon la formule par laquelle sont définis les termes de la controverse présente (c’est-à-dire : la preuve est-elle rapportée que le mariage est nul pour exclusion du bien du mariage et/ou du bien des enfants de la part de l’épouse demanderesse), il faut rappeler distinctement au moins les principes essentiels et très connus du droit à propos de chacun de ces deux chefs.

 

 

 

 

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. La pensée de l’Eglise sur l’indissolubilité

 

  1. En ce qui concerne proprement l’exclusion du bien du sacrement, c’est-à-dire l’indissolubilité, il faut remarquer que, dans ce cas, il s’agit d’une simulation « partielle » du consentement en raison de l’exclusion de l’une des propriétés essentielles du mariage.

 

En effet le Concile Vatican II, reprenant la doctrine immuable de l’Eglise, a déclaré dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes : « Cette union intime, don réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité » (n. 48). De même le véritable amour conjugal, « ratifié par un engagement mutuel, et par-dessus tout consacré par le sacrement du Christ […] demeure indissolublement fidèle […] et il exclut donc tout adultère et tout divorce » (n. 49).

 

Ceci a été confirmé récemment par le Catéchisme de l’Eglise catholique : « L’amour des époux exige, par sa nature même, l’unité et l’indissolubilité de leur communauté de personnes qui englobe toute leur vie : ‘Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair’ (Mt 19, 6) » (n. 1644).

 

Pour recourir également à l’autorité de Saint Thomas d’Aquin, « l’indissolubilité, à laquelle se rapporte le sacrement, convient au mariage selon lui-même, parce que du fait que par l’alliance conjugale les époux se donnent mutuellement pouvoir perpétuel sur eux-mêmes, il s’ensuit qu’ils ne peuvent pas se séparer ; dès lors il n’y a jamais de mariage sans l’inséparabilité ; mais on le trouve sans la foi conjugale et sans l’enfant parce qu’une chose ne dépend pas de son usage »[18].

 

Et donc le Code en vigueur, fondé « sur l’hérédité juridique et législative de la Révélation et de la Tradition »[19], édicte : « Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière » (c. 1056).

 

L’indissolubilité, en tant que propriété essentielle, « regarde et atteint tous les mariages, le mariage naturel n’y faisant pas exception »[20], bien que pour les chrétiens l’indissolubilité obtienne une fermeté en raison du sacrement, comme nous l’a rappelé Jean-Paul II dans son Discours à la Rote du 26 janvier 2002 : « Le renforcement ultérieur (des propriétés essentielles) dans le mariage chrétien à travers le sacrement repose sur un fondement de droit naturel, dont la suppression rendrait incompréhensibles l’œuvre salvifique même et l’élévation que le Christ a opérées une fois pour toutes dans les divers aspects de la réalité conjugale »[21].

 

  1. L’exclusion de l’indissolubilité

 

La simulation du consentement pour exclusion de l’indissolubilité a lieu quand quelqu’un, en contractant un mariage, le veut en réalité dissoluble, c’est-à-dire « en se réservant la faculté de retrouver une pleine liberté »[22]. Cela peut arriver non seulement si l’intention de rompre le lien est absolue, mais encore (comme il arrive habituellement) si l’intention de rompre le lien est « conditionnelle » ou « hypothétique », ou, en d’autres termes, « si le cas se présente », c’est-à-dire « si l’on prévoit que la vie commune avec le partenaire sera malheureuse ».

 

Dans ce cas-là, comme on le lit par exemple dans une sentence c. Palestro, du 24 mars 1993, « étant donné des raisons particulières, au moins subjectivement graves, naît la crainte que la communauté conjugale ne devienne malheureuse ou enfin impossible et donc s’installe un doute sur la future communauté de vie avec l’autre partie et de là, pour retrouver sa propre liberté, dans le cas d’un événement possible dans l’avenir et redouté, on se prémunit par une exclusion hypothétique de l’indissolubilité. En conséquence le consentement ainsi donné, c’est-à-dire révocable […] n’est pas valide pour constituer le mariage, c’est-à-dire que la volonté hypothétique ou conditionnelle de rompre le lien si certains événements se produisent, détruit radicalement le consentement donné, sans qu’on attende la vérification de l’événement prévu »[23].

 

De plus, dans ce cas en effet, l’acte de volonté qui vicie le consentement est absolu parce que c’est le mariage en tant que dissoluble de toute façon qui est visé, tandis qu’est seulement « conditionnelle » ou « hypothétique » la rupture de la vie conjugale qui dépend d’un événement qui, s’il se vérifie, amènera de fait celui qui se marie à rompre le lien. Bien plus, il faut à ce sujet faire plusieurs remarques :

 

 

  1. « Si le cas se présente » ne signifie pas « le désir qu’arrive le cas », mais « la caution prise si ce cas se présente » : celui qui se marie veut seulement se garantir face à un échec futur, mais il ne désire pas cet échec futur ;

 

  1. Le contractant peut également désirer et vouloir qu’une pacifique et heureuse vie commune dure jusqu’à la mort, et il peut également s’engager à la rendre heureuse, mais tout cela n’enlève rien et n’ajoute rien à la réserve qui a pour objet l’exclusion de l’indissolubilité du lien, puisque ce qui compte, précisément, c’est seulement l’acte positif de volonté qui a exclu de l’objet du consentement le bien essentiel de l’indissolubilité ;

 

  1. L’objet de l’acte positif de volonté n’est pas le divorce à faire – et même celui qui se marie peut également souhaiter ne jamais avoir à le faire – mais bien la réserve du droit de le faire »[24].

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

  1. L’ordonnancement du mariage à la procréation

 

  1. En ce qui concerne l’exclusion du bien des enfants, il faut remarquer que dans ce cas il y a simulation du consentement en raison de l’exclusion d’un des éléments essentiels du mariage, puisqu’est exclue une de ses fins essentielles. Dans le Code en effet, le mariage est défini comme « l’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants […] » (c. 1055 § 1, cf. aussi c. 1061 § 1, c. 1096 § 1).

 

Cependant l’ordonnancement du mariage au « bien des enfants », en tant que finalité « institutionnelle » du mariage, et donc en tant qu’un de ses éléments essentiels, dont l’exclusion par un acte positif de volonté détermine la nullité du mariage, doit être exposé, au moins brièvement.

  1. Il n’y a pas de droit à l’enfant

 

Il faut d’abord déclarer que personne ne peut se conférer un droit à avoir des enfants. Car « l’enfant n’est pas un dû mais un don. ‘Le don le plus excellent du mariage’ est une personne humaine. L’enfant ne peut être considéré comme un objet de propriété, ce à quoi conduirait la reconnaissance d’un prétendu ‘droit à l’enfant’. En ce domaine, seul l’enfant possède de véritables droits : celui ‘d’être le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents, et aussi le droit d’être respecté comme personne dès le moment de sa conception’ »[25].

 

Au contraire, « le mariage ‘donne seulement aux conjoints […] le droit à accomplir les actes conjugaux qui, par eux-mêmes, sont ordonnés à la procréation’[26]. […] Le principe cité plus haut nous fait connaître au plus haut point la position doctrinale exacte, selon laquelle la question du bien des enfants doit toujours être qualifiée et mesurée avec les actes aptes par eux-mêmes à la procréation d’enfants, c’est-à-dire avec l’acte conjugal »[27].

 

En d’autres termes, « il faut dire qu’il n’est pas nécessaire à l’essence du mariage que naissent des enfants, mais seulement que les actes conjugaux soient ordonnés à la génération d’enfants »[28].

 

  1. Le droit-devoir à la génération et à l’éducation des enfants

 

Toutefois, si l’on examine proprement, soit ce qui est édicté au c. 1061 § 1, selon lequel le mariage « est ordonné par sa nature » « à l’acte conjugal apte de soi à la génération », soit ce que dit le c. 1055 § 1 déjà cité selon lequel « l’alliance matrimoniale (est ordonnée) par son caractère naturel […] à la génération et à l’éducation des enfants », il faut affirmer aussi que « le bien des enfants contient aussi les effets qui découlent naturellement du droit aux actes conjugaux, c’est-à-dire le droit-devoir à la mise au monde et à la conservation dans la vie des enfants éventuellement engendrés »[29].

 

  1. La distinction entre le droit-devoir et l’exercice-accomplissement

 

En outre il faut très attentivement faire une distinction entre l’exclusion du « droit-devoir » aux actes conjugaux à accomplir « de façon humaine », qui par eux-mêmes sont ordonnés à la procréation, et le refus de « l’exercice-accomplissement » de ce droit-devoir. Quand le mariage est célébré en effet, il est question de droits-devoirs à donner et à accepter mutuellement, mais non de leur exercice-accomplissement. C’est pourquoi a une force irritante l’acte positif de volonté qui atteint le droit-devoir lui-même, mais non l’acte de volonté qui regarde seulement l’exercice-accomplissement du droit concédé ou du devoir reçu. En effet, « comme l’essence d’une chose ne dépend pas de son usage, le droit et le devoir aux actes conjugaux peuvent exister bien que manquent, dans le cas concret, l’usage du droit et l’accomplissement du devoir […]. Une chose en effet est de ne pas donner le droit au bien des enfants dans ses principes, et une autre chose est de donner ce droit à son partenaire avec l’intention de violer ou de ne pas exécuter l’obligation reçue soit pour une période déterminée soit pour une période indéterminée »[30]. En d’autres termes, « ce qui rend nul le mariage, ce n’est pas le simple manque de procréation mais l’exclusion de la procréation ‘dans ses principes’[31], étant donné que ‘ne répugne pas à la substance du mariage le non-usage de celui-ci, mais le fait de ne pas pouvoir en user’[32] ».[33]

 

  1. La jurisprudence sur l’exclusion du droit-devoir

 

Bien que les principes juridiques soient clairs, il n’est pas facile de voir dans chaque cas s’il s’agit de l’exclusion du droit-devoir lui-même, ou seulement de l’exclusion du simple exercice-accomplissement. Toutefois la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a élaboré certains critères.

 

Tout d’abord, « l’exclusion absolue des enfants fait conjecturer l’exclusion du droit aux actes conjugaux et donc la nullité du consentement […]. Comme il est bien connu, le contractant qui ne veut pas le mariage sauf s’il y a exclusion des enfants, ne peut pas en même temps vouloir assumer les obligations essentielles du bien des enfants »[34]

 

Quand il s’agit toutefois de l’exclusion hypothétique ou temporaire des enfants, il faut apporter les distinctions adéquates, parce que ce genre d’exclusion peut irriter le mariage s’il atteint le droit lui-même, qui « doit être donné et reçu non seulement mutuellement, mais pour toujours »[35]. En effet, « le droit, une fois donné dans le consentement, ne peut admettre aucune limitation de la part du contractant, même temporaire. C’est là où ressort clairement le sens de la distinction entre le droit non donné et l’abus du droit donné »[36].

 

Assurément on voit que rejette le droit lui-même celui qui exclut la procréation pour un temps absolument indéterminé, en la liant à la survenance d’un événement futur et totalement incertain, et en se réservant le droit de déterminer quand il faudra accomplir les actes aptes par eux-mêmes à la génération. « Dans cette hypothèse, écrit Mgr de Lanversin dans une sentence du 5 avril 1995, la validité du mariage est détruite, comme le tient la Jurisprudence de Notre For, à savoir que ‘celui qui se réserve, en contractant, la donation du droit si et pour autant qu’arrivent des événements certains dans l’avenir, ne donne pas le droit dans l’acte de la célébration, ceci sans le moindre doute, et par conséquent il restreint l’objet du consentement’[37] ».[38] Dans ce genre de cas en effet, de fait « le contractant n’accepte pas l’inclination naturelle des actes vers la procréation et, dans cette matière, il prétend se conduire comme l’unique source du droit »[39].

 

Cela peut arriver lorsque celui qui se marie, en raison de graves perplexités sur le sort de la future vie conjugale, exclut le lien de l’indissolubilité. Dans ces cas en effet, il est poussé à exclure absolument toute procréation, au moins pour un temps indéterminé, soit parce que des enfants peuvent être un obstacle pour retrouver sa liberté si les choses tournent mal, soit pour éviter que ces enfants ne subissent des dommages par la rupture éventuelle de la communauté de vie des conjoints.

 

Au contraire l’exclusion temporaire de la procréation, ordinairement, si elle signifie un simple report à plus tard, à une période peut-être plus propice, à une situation économique plus adéquate, tant pour le travail que pour l’habitation, peut s’accorder avec une donation-acceptation correcte du droit conjugal. En effet, « l’exclusion temporaire, selon la jurisprudence constante de Notre Tribunal Apostolique, fait présumer que les conjoints, par le report à plus tard de la procréation, entendent seulement repousser l’exercice du droit concédé, ce qui, par lui-même, comme il apparaît également de la doctrine de la responsabilité parentale, ne peut pas vicier le consentement matrimonial »[40].

 

  1. LA PREUVE  DE  LA  SIMULATION

 

  1. La preuve de toute simulation

 

  1. La preuve de toute simulation du consentement (et donc également de l’exclusion du bien du sacrement et de celle du bien des enfants) est, par nature même, difficile. Car il s’agit d’un acte interne connu de Dieu seul et contraire à l’acte manifesté extérieurement quand le mariage a été célébré, alors que dans le Code il est plus d’une fois déclaré qu’il y a une présomption pour la validité du mariage (cf. c. 124 § 2 ; c. 1060 et 1101 § 1). Cette preuve cependant, selon les critères reçus de la Jurisprudence traditionnelle, est possible, si toutefois trois éléments se retrouvent ensemble : « la confession du simulant, judiciaire et surtout extrajudiciaire, apportée par des témoins dignes de foi ; une cause grave et proportionnée de simulation, qui, bien distincte de la cause qui a poussé au mariage, prévale de fait sur elle ; des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui rendent la simulation réalisée non seulement possible, mais probable et très crédible »[41].

 

Ce « schéma » toutefois doit être adapté au cas sur lequel doit porter le jugement, car il s’agit principalement d’une question « de fait », et chaque « fait » a sa propre histoire, sa propre dialectique, ses propres personnes et ses propres circonstances particulières. Cela veut dire que le cas est à examiner selon les conditions concrètes et existentielles dans lesquelles se trouvait au moment du mariage celui à qui est imputée en justice la simulation du consentement.

 

En outre, dans ce genre de causes, qui « généralement reposent sur des indices »,[42] il faut bien remarquer que la vérité n’est pas à découvrir à partir de tel ou tel élément pris isolément, mais à partir de tous les moyens de preuve réunis, considérés dans leur ensemble, qui ne peuvent s’expliquer logiquement que si l’on reconnaît la simulation alléguée du consentement.

 

  1. Le rôle du juge

 

Les moyens de preuve doivent conduire à ce que « à partir des actes et des preuves » naisse « chez le juge la certitude morale au sujet de l’affaire à trancher par la sentence » (c. 1608 §  1 et 2).

 

Il appartient au juge, après avoir examiné soigneusement « selon sa conscience » (c. 1608 §  3) tous les moyens de preuve, de conclure si, dans le cas, la nullité du mariage est, « avec une certitude morale », prouvée pour les chefs allégués.

 

Cette évaluation doit être réalisée avec diligence et sans a priori, également pour respecter l’esprit du Code en vigueur qui « peut être considéré comme plus humain, c’est-à-dire qu’il s’étend à un plus grand respect pour l’homme et sa dignité ». Car « les normes codifiées dans le Code de 1983 reflètent une tendance vers un plus grand respect pour la personne dans son ensemble, un plus grand respect de l’humanité profonde de la personne. Le développement représente un respect fondé sur l’authentique ‘charité’ »[43]. En conséquence, « nous sommes certainement bien loin de la règle de l’article 117 de l’Instruction Provida Mater : ‘La déposition judiciaire des époux n’est pas apte à constituer une preuve contre la validité du mariage’ »[44].

 

D’ailleurs ceux qui s’adressent à un Tribunal ecclésiastique, « mûs par des raisons exclusives de conscience, savent bien que ne leur servirait à rien un prononcé judiciaire d’un tribunal de l’Eglise basé ou fondé sur des assertions qui ne correspondent pas à la vérité »[45].

 

  1. Règles spéciales pour les causes matrimoniales

 

C’est pourquoi justement « pour que soit exclue toute différence – autant que faire se peut – entre la vérité accessible dans le procès et la vérité objective, connue par la conscience droite »[46], s’il est statué dans le Code de Droit Canonique, de façon générale pour les jugements contentieux ordinaires : « Dans les causes […] qui concernent le bien public, l’aveu judiciaire et les déclarations des parties qui ne sont pas des aveux peuvent avoir valeur de preuve ; le juge devra les apprécier en relation avec les autres éléments de la cause », mais « une valeur probante plénière ne peut leur être reconnue à moins qu’il n’y ait d’autres éléments qui les corroborent pleinement » (c. 1536 § 1), une règle suivante, en ce qui concerne en propre les causes de nullité de mariage, prescrit : « A moins que les preuves n’aient par ailleurs pleine valeur probante, le juge, pour apprécier les dépositions des parties selon le c. 1536, fera appel, si c’est possible, en plus des autres indices et éléments, à des témoins sur la crédibilité des parties elles-mêmes. » (c. 1679)

 

En conséquence les déclarations judiciaires du simulant allégué doivent être évaluées à la lumière de sa propre crédibilité. Pour examiner celle-ci on ne méprisera pas les critères « extrinsèques » de crédibilité, c’est-à-dire ceux qui sont pris des témoignages, surtout ceux de prêtres ou de témoins qui sont vraiment dignes de foi. En outre, sont d’une très grande importance les critères « intrinsèques » de crédibilité, soit en tant que ces déclarations judiciaires, regardées en elles-mêmes, apparaissent comme constantes ou inconstantes, cohérentes ou non (cf. c. 1572, n. 3), soit en tant que ce qui est affirmé s’accorde ou non avec les faits concrets ou les circonstances. Car les faits peuvent être plus éloquents que les paroles. En conséquence il faut évaluer « les circonstances précédentes, concomitantes ou subséquentes, qui confirment par des faits absolument certains et concordants les déclarations crédibles, qui les rendent persuasives et qui montrent la volonté interne de celui qui s’est marié et sa détermination de contracter un mariage selon sa mentalité erronée ou faussée, ou de contracter un mariage à l’essai.[47] » [48]. En conséquence tous les indices concrets sont à regarder, surtout en ce qui concerne la conduite du simulant allégué. C’est pourquoi il faut examiner si les déclarations judiciaires « font état de faits concrets et objectifs »[49]. C’est-à-dire : il faut porter une très grande attention à la cohérence (ou au manque de cohérence) entre les faits et les déclarations. Les faits en effet peuvent éclairer fortement les déclarations et les rendre univoques, mais ils peuvent également démentir réellement ces dernières, de telle sorte qu’elles doivent être tenues pour de simples paroles en l’air ou des bavardages.

Sans aucun doute sont à étudier avec soin, et la « cause de la simulation » (« lointaine » ou « prochaine »), et la « cause qui a poussé au mariage ». Car il faut savoir avec certitude si le contractant a envisagé cette « cause de la simulation » comme grave, et bien plus si pour lui elle prévalait sur la « cause qui a poussé au mariage ». Si en effet la « cause de la simulation » n’est pas prouvée, la simulation, qui en est l’effet, ne peut même pas se concevoir.

 

« Le salut des âmes, dont parle le c. 1752 CIC, demande à coup sûr ou, plus exactement, impose » la diligence du juge, dont nous avons parlé, et son équité. « Le principe suprême de Notre For, en effet postule que ‘le rôle du juge dans ce genre de causes est sans aucun doute très difficile. Mais il serait extrêmement grave que le juge, dont la science, la prudence et l’équité sont invoquées dans l’administration de la justice, fuie ses responsabilités de juge et, par peur de se tromper, se tourne facilement vers le c. 1060 CIC. D’ailleurs, pour prononcer une sentence, il n’est pas requis une certitude absolue ou mathématique, mais il suffit d’une certitude morale, qui, si d’une part elle se distingue de la simple probabilité, parce qu’elle n’admet pas un doute positif et prudent, d’un autre côté n’exclut pas toute crainte prudente de se tromper’[50] ».[51]

 

 

IN  FACTO  (résumé)

 

S’il y a discordance entre la sentence négative de 1° instance et la sentence positive d’appel, c’est que le Tribunal d’appel a pu obtenir des éléments que n’avait pu recueillir le Tribunal de 1° instance.

 

Le mari, partie appelée, a refusé de répondre aux convocations des Tribunaux, et donc il n’a présenté aucun témoin, contrairement à la demanderesse, que ses propres témoins avaient bien connue à l’époque de son mariage.

 

  1. CRÉDIBILITÉ DE  LA  DEMANDERESSE

 

Le principal témoignage de la crédibilité de Barbara, la demanderesse, est celui du vicaire de sa paroisse qui a écrit au Tribunal d’appel : « Barbara ne demande pas la déclaration de nullité de son mariage pour des motifs sentimentaux, mais pour des motifs de conscience. Je suis certain de sa bonne foi […]. Elle vit sa foi dans la participation à la vie chrétienne […]. Elle souhaite, par la déclaration de nullité de son mariage, une garantie spirituelle et morale toujours plus en accord avec l’Eglise et le Christ ».

 

Et il est vrai que Barbara a voulu être en paix avec sa conscience. Les problèmes matériels avaient été réglés par le divorce civil et elle savait qu’elle ne pourrait retrouver la paix intérieure que si, devant le juge ecclésiastique, elle exposait sa vie conjugale selon la vérité.

 

De plus Barbara a toujours été constante, sur l’essentiel, lors de ses quatre auditions judiciaires.

Enfin il y a un indice indirect de crédibilité dans le fait que les témoins de la demanderesse ne parlent que de ce qu’ils ont vu ou entendu, même si leurs déclarations, au moins matériellement, n’aident pas toujours Barbara.

 

  1. ÉLÉMENTS COMMUNS  AUX  DEUX  CHEFS  DE NULLITÉ  ALLÉGUÉS

 

  1. La cause lointaine de la simulation

 

Même si Barbara, en 1° instance, a affirmé avoir été bien éduquée dans sa famille et dans son école tenue par les Sœurs Ursulines, en fait, si l’on regarde les actes de la cause, on s’aperçoit qu’elle n’a pas reçu une éducation chrétienne solide : « J’ai fréquenté régulièrement l’église jusqu’à 18 ans, mais ensuite seulement de temps en temps », reconnaît-elle, et elle ajoute : « Quand j’ai fréquenté Roberto, je suis devenue plus laïque et donc superficielle, sans comprendre l’importance du sacrement ».

 

Les actes nous apprennent aussi que sa fréquentation avec Roberto ne reposait sur « aucune vraie passion » et que peu de temps avant son mariage elle a eu des rapports intimes avec un collège de bureau.

 

Bref, Barbara ne mettait pas en accord sa vie avec ses principes religieux, et quant au divorce, elle le considérait comme une issue normale si les choses allaient mal dans son couple.

 

La cause lointaine de la simulation se trouve dans la mentalité que l’épouse avait au moment du mariage.

 

  1. La cause prochaine de la simulation

 

  1. Les fiançailles

 

Très vite après leurs fiançailles Barbara et Roberto ont eu des discordes et des querelles, surtout en raison de leurs différences de caractère et de l’animosité qui existait entre Barbara et sa future belle-mère. A l’automne 1996, les fiançailles ont été rompues, pour reprendre un an après, avec de nouvelles disputes, si bien que Roberto a proposé à Barbara, au printemps 1998, de rompre définitivement.

 

Le père de Barbara est alors intervenu. Il avait dépensé beaucoup d’argent pour les préparatifs du mariage, et devant sa réaction violente Roberto se résolut à épouser Barbara, malgré les querelles qui durèrent jusqu’au jour même du mariage, pendant le voyage de noces et les mois qui suivirent, jusqu’à la séparation définitive en avril 2000.

 

En conclusion, étant donné cette situation de conflit, Barbara, avant son mariage, avait des doutes sérieux sur l’avenir de son couple, comme elle l’a déclaré dans toutes ses dépositions judiciaires, ce que de plus confirment les témoins.

 

On peut dire qu’était psychologiquement grave pour Barbara la cause prochaine de la simulation.

 

  1. La « causa contrahendi matrimonium », la cause qui a poussé au mariage

 

Vers le milieu de l’année 1998, Barbara avait accepté d’épouser Roberto, pour qui elle avait de l’affection, mais « ce n’était pas une véritable passion », dit-elle, en précisant qu’à cause de cela leurs rapports intimes étaient rares. Puis il y a la rupture des fiançailles et la reprise de celles-ci : « Quand Roberto m’a proposé le mariage comme un moyen de rétablir nos bonnes relations, je n’ai pas eu la force de m’y opposer, car je pensais que les choses pourraient s’arranger ».

 

De plus il ne faut pas sous-estimer la réaction de son père, qui avait déjà dépensé beaucoup d’argent pour les préparatifs du mariage : « J’avais des doutes sur la réussite de mon mariage, je n’ai pas eu le courage de m’opposer à Roberto et encore moins à mon père » : ceci est un résumé exact de la situation de Barbara à la veille de son mariage.

 

Les témoins confirment cet état d’esprit de la demanderesse.

 

En conséquence, la « causa contrahendi matrimonium » n’était pas assez forte pour infirmer la cause prochaine de la simulation.

 

III.  EXCLUSION  DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

Dans ses quatre dépositions judiciaires, Barbara a fait état de ses doutes sérieux sur l’issue de sa future vie conjugale. Il est inutile ici de reproduire les longues citations de la sentence c. Defilippi.

 

En ce qui concerne la « confession extrajudiciaire », il n’y a que peu de témoins : la mère de Barbara, la cousine de celle-ci, un collègue de travail de la demanderesse, mais ils déclarent tous trois que Barbara avait des doutes sur la réussite de son mariage et, dit son collègue : « Elle n’a jamais fait mystère qu’en cas d’échec elle n’hésiterait pas à divorcer. »

 

Les circonstances, par ailleurs, militent pour la simulation : les disputes pendant les fiançailles, dont la gravité est confirmée par le fait que la vie conjugale, dès le début, a connu des affrontements ; comme on en parlera bientôt, la demanderesse a toujours refusé d’avoir des enfants en raison de ses querelles avec Roberto et de ses doutes sur l’issue du mariage ; la séparation a été sanctionnée par le Tribunal Civil sous la forme « consensuelle » sur les instances de Barbara.

 

Ce complexe d’éléments de preuve convainc le Tribunal que la demanderesse a simulé son consentement par exclusion du bien du sacrement.

 

 

  1. EXCLUSION DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

La demanderesse a déclaré judiciairement qu’elle s’était mariée « avec la volonté précise de ne jamais avoir d’enfants de Roberto, parce qu’il aurait été absurde de mettre au monde un enfant dans les conditions où nous étions ». Elle a redit son refus à chacune de ses dépositions.

 

Là encore les témoins sont peu nombreux, mais formels. La cousine de Barbara confirme qu’avant le mariage celle-ci lui a dit qu’elle ne voulait pas avoir d’enfant de Roberto étant donné la conduite de celui-ci. Rosa Anna, le père et la mère de Barbara redisent la même chose.

 

Les circonstances, enfin, achèvent de convaincre les juges. La demanderesse a toujours usé de moyens contraceptifs, comme elle le déclare et que confirment les témoins.

 

La certitude morale nous est acquise de la simulation du consentement par exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse demanderesse.

 

 

Constat de nullité pour

– exclusion du bien du sacrement

– exclusion du bien des enfants

de la part de l’épouse demanderesse

 

Vetitum pour l’épouse

 

 

Giovanni Baptista DEFILIPPI, ponent

Robert SABLE

Egidio TURNATURI

 

__________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1950, n. 21

[2] C. TURNATURI, 16 juin 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 362, n. 8

[3] C. STANKIEWICZ, 24 février 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 108, n. 5

[4] S. THOMAS, Somme Théologique, I-II, q. 1, art. 1

[5] Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 17

[6] Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48

[7] Cf. Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48 ; Exhortation Apostolique FAMILIARIS CONSORTIO, n. 20

[8] AAS 94, 2002, p. 342, n. 3

[9] C. SABLE, 13 avril 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 340, n. 3

[10] ULPIEN, D, 14, 9

[11] C. BRUNO, 12 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 145, n. 4

[12] C. STANKIEWICZ, 23 juillet 1982, SRRDec, vol. LXXIV, p. 423, n. 3

[13] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 21 janvier 2000, AAS 92, 2000, p. 352, n. 4

[14] A. STANKIEWICZ, Simulatio per actum positivum voluntatis, Periodica 87, 1998, II-III, p. 280-282

[15] O. GIACHI, Il consenso nel Matrimonio Canonico, Milan 1968, p. 92

[16] C. POMPEDDA, 22 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 948, n. 2

[17] C. FUNGHINI, 5 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 436, n. 4

[18] Comment. in Lib. IV Sententiarum, dist. XXXI, q. 1, art. 3, in c.

[19] Const. Apost. Sacrae disciplinae leges, par laquelle, le 25 janvier 1983, a été promulgué le nouveau Code

[20] C. FUNGHINI, 5 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 436, n. 2

[21] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 26 janvier 2002, AAS 94, 2002, p. 342, n. 3

[22] C. MONIER, 27 avril 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 295, n. 4

[23] C. PALESTRO, 24 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 215, n. 4

[24] S. VILLEGIANTE, L’esclusione del « bonum sacramenti », dans l’ouvrage collectif La simulazione del consenso matrimoniale canonico, Cité du Vatican 1990, p. 213 sq.

[25] Instr. Donum vitae, 2, 8, AAS 80, 1988, p. 97 ; Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2378

[26] Instr. Donum vitae, n. 1

[27] C. POMPEDDA, 3 juillet 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 583, n. 3

[28] C. SABLE, 29 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 443, n. 7

[29] C. HUBER, 1° juillet 1998, sent. 71/98, n. 5

[30] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 300, n. 19

[31] S. THOMAS, Supplément, q. 49, art. 3

[32] BENOÎT XIV, De Synodo diocesana, XIII, 22, 11

[33] C. FUNGHINI, 22 février 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 132, n. 4

[34] C. POMPEDDA, 19 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 495, n. 5-7

[35] C. FUNGHINI, 15 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 282, n. 4

[36] C. SABLE, 14 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 595, n. 8

[37] C. BRENNAN, 14 octobre 1966, SRRDec, vol. LVIII, p. 724, n. 3

[38] C. de LANVERSIN, 5 avril 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 255, n. 8

[39] C. MONIER, 18 février 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 187, n. 4

[40] C. BRUNO, 1° février 1991, SRRDec., vol. LXXXIII, p. 68, n. 5

[41] C. TURNATURI, 20 octobre 2005, sent. 104/05, n. 16

[42] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 299, n. 7

[43] M.F. POMPEDDA, Decizione-sentenza nei processi matrimonali, dans Studi di diritto processuale canonico, Giuffré Editeur, Milan 1995, p. 184

[44] M.F. POMPEDDA, Verità e giustizia nella doppia sentenza conforme, dans l’ouvrage collectif La doppia conforme nel processo matrimoniale, Cité du Vatican 2003, p. 15

[45] Même ouvrage, même endroit

[46] Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, du 14 septembre 1994 sur la communion pour les divorcés remariés, AAS 86, 1994, p. 492, n. 9

[47] Cf. c. STANKIEWICZ, 25 avril 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 285, n. 10 ; c. STANKIEWICZ, 26 février 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 111, n. 23

[48] C. TURNATURI, 18 décembre 2008, 195/08, n. 13

[49] C. FALTIN, 24 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 334, n. 10

[50] C. BRUNO, 30 mai 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 356 sq., n. 9

[51] C. SABLE, 2 avril 1998, SRRDec, vol. XC, p. 315, n. 7

DEFILIPPI 06/05/2010

Coram  DEFILIPPI

 Exclusion du bien du sacrement

Exclusion du bien des enfants

 Tribunal régional du Latium (Italie)

6 mai 2010

P.N. 20.441

Constat pour les deux chefs

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE CONSENTEMENT  DANS  LE  MARIAGE
  2. Nature et effets du consentement
  3. Le consentement des époux et sa conformité avec la loi divine
  4. La manifestation extérieure du consentement et la présomption du droit
  5. La déficience du consentement et la simulation
  6. Le principe
  7. Simulation totale et simulation partielle
  8. Le nécessaire acte positif de volonté

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DU  SACREMENT
  2. La pensée de l’Eglise sur l’indissolubilité
  3. L’exclusion de l’indissolubilité

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DES  ENFANTS

  1. L’ordonnancement du mariage à la procréation
  2. Il n’y a pas de droit à l’enfant
  3. Le droit-devoir à la génération et à l’éducation des enfants
  4. La distinction entre le droit-devoir et l’exercice-accomplissement
  5. La jurisprudence sur l’exclusion du droit-devoir

 

  1. LA PREUVE  DE  LA  SIMULATION
  2. La preuve de toute simulation
  3. Le rôle du juge
  4. Règles spéciales pour les causes matrimoniales

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Tiziana N., née le 10 janvier 1976, fait en 1992 la connaissance de Ludovico C., né le 5 février 1972. Assez rapidement ils se fiancent et d’un commun accord décident de se marier. Toutefois quelque temps avant le mariage, Ludovico prend un peu de distance vis-à-vis de Tiziana, qu’il trouve trop soumise à ses parents, dont il redoute en plus les interventions dans sa vie conjugale. Malgré tout, le mariage est célébré le 22 juin 1997.

 

Leur union est un échec et les époux se séparent en avril 2001 et en 2006 le Tribunal civil décrète la cessation des effets civils du mariage.

Entretemps, le 24 février 2004, Tiziana s’était adressée au Tribunal ecclésiastique régional du Latium, accusant son mariage de nullité pour exclusion, de la part de son mari, du bien du sacrement et du bien des enfants. La sentence du 7 mars 2006 est négative sur les deux chefs. Tiziana fait appel au Tribunal de seconde instance du Vicariat de Rome. Un complément d’enquête est effectué par une nouvelle audition judiciaire des époux et de quelques témoins. La sentence du 13 mars 2008 infirme celle de 1° instance et déclare le mariage nul pour exclusion du bien du sacrement et du bien des enfants de la part du mari.

 

Il Nous revient aujourd’hui de définir la cause au troisième degré de jugement et de répondre au doute portant sur les deux chefs invoqués.

 

 

 

EN  DROIT

 

  1. LE CONSENTEMENT  DANS  LE  MARIAGE

 

  1. Nature et effets du consentement

 

« C’est tout à fait à bon droit qu’il est dit que ‘tout le système matrimonial canonique a pour centre le consentement entre ceux qui se marient’[1] ».[2]

 

En effet le principe : « C’est le consentement qui fait le mariage », énoncé par les Romains[3], reçu dans toute la doctrine canonique et théologique et proposé par le Magistère de l’Eglise, est repris au c. 1057 § 1 du Code en vigueur : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine ». C’est-à-dire : le consentement personnel des personnes qui se marient est la cause unique, adéquate, absolument nécessaire et sans dérogation possible, qui fait le mariage.

 

En conséquence, dans les causes de nullité de mariage, étant supposée une adéquate capacité de consentir, requise tant par le droit naturel que par le droit positif, nous devons ordinairement regarder attentivement les défauts et les vices du consentement qui peuvent engendrer cette nullité.

 

Comme l’enseigne clairement une sentence c. Pompedda du 1° février 1995, il faut cependant distinguer « deux moments ou deux aspects dans le mariage : le premier, qui est le pacte d’alliance, c’est-à-dire l’accord de deux consentements ou, en d’autres termes, de deux volontés pour un seul objet, et c’est le mariage in fieri, le mariage-alliance ; le second, qui est le lien qui naît de cet accord, c’est-à-dire la communauté conjugale ou, en d’autres termes, l’état matrimonial, et c’est le mariage in facto esse, le mariage-état de vie »[4]. Ou encore on dira : le consentement des parties est « le mariage in fieri » d’où naît « le mariage in facto esse ».

 

Le consentement matrimonial, lui, est défini comme « l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage » (c. 1057 § 2). En conséquence, dans le « mariage in fieri » les contractants sont « l’objet matériel » de la mutuelle donation-acceptation, tandis que « l’objet formel » est le « mariage in facto esse ».

 

  1. Le consentement des époux et sa conformité avec la loi divine

 

  1. Le consentement personnel de ceux qui se marient, toutefois, en tant qu’il est leur mutuelle donation-acceptation proprement faite « pour constituer le mariage », ne peut pas s’écarter de la structure objective du mariage, qui le spécifie par rapport à toute autre institution, comme il ne peut pas non plus s’éloigner des propriétés et éléments objectifs essentiels du mariage, dont Dieu l’a orné et que le Magistère de l’Eglise interprète et déclare fidèlement. Le mariage en effet, en ce qui regarde sa constitution objective, « échappe à la fantaisie de l’homme », parce que « Dieu lui-même est l’auteur du mariage, qui possède en propre des valeurs et des fins diverses »[5] ce qu’avait d’ailleurs déjà déclaré l’encyclique Casti Connubii : « Tout d’abord il faut que reste inébranlable et inviolable ce fondement : le mariage n’a pas été et ne sera pas instauré de façon humaine, mais divine, non par des hommes, mais par l’auteur même de la nature, Dieu, et il a été fortifié, confirmé et élevé par le Christ Seigneur, le Restaurateur de cette nature, au moyen de lois qui, en conséquence, ne peuvent être soumises à aucune volonté humaine, ni à aucun accord contraire des époux eux-mêmes »[6].

 

Il s’ensuit que « d’une part la volonté du Créateur a circonscrit dès le début l’institution du mariage, a défini cette relation spécifique entre l’homme et la femme et l’a distinguée de toute autre relation. D’autre part […] la volonté du contractant doit se porter sur le seul et même mariage constitué par le Créateur, sinon la volonté se tourne vers quelque chose d’autre que le mariage[7] ».[8]

 

C’est pourquoi, bien que dépendent uniquement de la libre décision des époux la décision délibérée de l’état de vie conjugale, le choix du partenaire avec qui on entend mettre en acte l’état conjugal, et la manifestation du consentement par lequel est constitué le mariage, cependant, « la nature du mariage est entièrement soustraite à la liberté de l’homme de telle sorte que, si quelqu’un se marie, il est soumis aux lois divines du mariage et aux propriétés essentielles de celui-ci »[9].

 

En conséquence, comme nous l’a bien rappelé le Pape Paul VI dans son Discours à la Rote du 9 février 1976, « lorsque les époux échangent leurs libres consentements, ils ne font rien d’autre que d’entrer et de s’insérer dans un ordre objectif, dans une ‘institution’ qui les dépasse et qui ne dépend pas d’eux, ni dans son être, ni dans ses lois propres »[10]. En outre, « une fois créé son effet juridique qui est le lien matrimonial, ce consentement devient irrévocable et ne peut plus détruire la réalité qu’il a produite »[11].

 

Cependant il n’est pas requis pour constituer le mariage que celui qui se marie considère un à un, directement et explicitement, toutes ses propriétés et tous ses éléments objectifs essentiels, mais il suffit qu’il les rassemble tous, au moins implicitement, dans une volonté de contracter le mariage avec une intention droite, sans exclure aucun élément constitutif essentiel du mariage ni aucune de ses propriétés essentielles.

 

 

 

 

 

  1. La manifestation extérieure du consentement et la présomption du droit

 

  1. Puisque pour contracter mariage l’auto-donation des époux est mutuelle, c’est-à-dire entre tel homme et telle femme, il est nécessaire que leur volonté se manifeste selon une forme légitime par des paroles ou des signes extérieurs.

 

En outre, puisque ordinairement dans les relations humaines la parole donnée doit être déclarée par les mots ou par les signes dont se sert un homme pour manifester ce qu’il a dans l’esprit, surtout lorsqu’il s’agit de choses d’une très grande importance comme le mariage, qui engendre de graves effets qui durent toute la vie, le Législateur Suprême de l’Eglise, outre les principes généraux sur la présomption de validité de tout acte juridique correctement accompli (c. 124 § 2) et sur la « faveur du droit » dont jouit le mariage (c. 1060), a fort opportunément, s’agissant plus précisément de notre affaire, déclaré cette présomption du droit : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage »[12].

 

  1. La déficience du consentement et la simulation

 

  1. Le principe

 

Cependant, si dans un cas le consentement nuptial, qui en tant qu’unique et absolument nécessaire « cause efficiente » du mariage « ne peut être suppléé par aucune puissance humaine », est réellement déficient, le même Législateur Suprême Canonique, comme l’accord entre la condition juridique et la vérité objective sur l’état des personnes contribue grandement au salut des âmes, « qui doit toujours être dans l’Eglise la loi suprême » (c. 1752), a en conséquence établi également : « Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2). Dans ce cas il y a une simulation du consentement, parce qu’il y a une dissension entre la volonté interne et sa manifestation extérieure. En d’autres termes, « une chose est d’agir, une autre chose est de simuler qu’on agit »[13].

 

  1. Simulation totale et simulation partielle

 

Cette simulation, comme on le déduit du c. 1101 § 2, peut être, ou bien totale (si est exclu positivement le mariage lui-même), ou partielle (si est exclu un élément essentiel du mariage ou l’une de ses propriétés essentielles, de telle sorte que celui qui se marie, bien qu’il veuille une certaine forme de mariage, entend celui-ci selon ses propres idées, qui objectivement s’écartent de l’institution divine du mariage).

 

  1. Le nécessaire acte positif de volonté

 

  1. Selon le c. 1101 § 2 CIC, la simulation partielle du consentement a lieu quand l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle pénètre, en le restreignant, dans l’objet même du consentement conjugal, de telle sorte que ce consentement se porte sur un objet substantiellement faussé. Comme nous l’a rappelé Jean-Paul II dans son Discours à la Rote du 21 janvier 2000, « la tradition canonique et la jurisprudence rotale, pour affirmer l’exclusion d’une propriété essentielle ou la négation d’une finalité essentielle du mariage, ont toujours requis que celles-ci arrivent avec un acte positif de volonté »[14].

 

Et donc cette « exclusion », pour comporter une force irritante, doit être réalisée par un acte de volonté, c’est-à-dire par un acte : a. « humain » (procédant délibérément de l’intelligence et de la volonté ; b. « positif » (réellement posé de façon actuelle ou au moins virtuelle au moment de la célébration du mariage, et donc efficacement connexe avec le consentement matrimonial, dont il détermine substantiellement l’objet) ; c. « ferme » (de telle sorte que le mariage soit de fait contracté selon cette détermination de celui qui se marie, et non autrement).

 

Bref, « dans l’esprit de celui qu se marie, pour qu’il y ait la simulation […], il faut qu’il y ait non pas une absence de la volonté matrimoniale, mais la présence d’une volonté positive d’exclure »[15].

 

En d’autres termes, pour parler plus clairement, n’accomplit pas un acte positif de volonté celui qui, inconsciemment, n’assume pas un élément essentiel du mariage, ou n’y pense même pas ; au contraire il est requis qu’il rejette réellement hors de l’objet du consentement cette propriété ou cet élément essentiel, « de telle sorte qu’il a visé un mariage uniquement comme cela et pas autrement »[16].

 

En conséquence il n’y a pas lieu à simulation dans les formes psychologiques qui en réalité ne réalisent pas cet acte positif de volonté, comme par exemple les simples idées erronées sur le mariage, une intention seulement habituelle, une volonté purement interprétative, une certaine velléité générique, une inclination contraire etc.

 

Comme dans la cause présente il est question de la nullité du mariage pour une double simulation partielle alléguée du consentement, c’est-à-dire : a. pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari partie appelée ; b. pour exclusion du bien des enfants de la part du même mari, il faut rappeler au moins les principaux principes qui se rapportent spécifiquement à l’une et l’autre des formes de simulation du consentement.

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. La pensée de l’Eglise sur l’indissolubilité

 

  1. En ce qui concerne proprement l’exclusion du bien du sacrement, c’est-à-dire l’indissolubilité, il faut remarquer que, dans ce cas, il s’agit d’une simulation « partielle » du consentement en raison de l’exclusion de l’une des propriétés essentielles du mariage.

 

En effet le Concile Vatican II, reprenant la doctrine immuable de l’Eglise, a déclaré dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes : « Cette union intime, don réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité » (n. 48). De même le véritable amour conjugal, « ratifié par un engagement mutuel, et par-dessus tout consacré par le sacrement du Christ […] demeure indissolublement fidèle […] et il exclut donc tout adultère et tout divorce » (n. 49).

 

Ceci a été confirmé récemment par le Catéchisme de l’Eglise catholique : « L’amour des époux exige, par sa nature même, l’unité et l’indissolubilité de leur communauté de personnes qui englobe toute leur vie : ‘Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair’ (Mt 19, 6) » (n. 1644).

 

Pour recourir également à l’autorité de Saint Thomas d’Aquin, « l’indissolubilité, à laquelle se rapporte le sacrement, convient au mariage selon lui-même, parce que du fait que par l’alliance conjugale les époux se donnent mutuellement pouvoir perpétuel sur eux-mêmes, il s’ensuit qu’ils ne peuvent pas se séparer ; dès lors il n’y a jamais de mariage sans l’insépa-rabilité ; mais on le trouve sans la foi conjugale et sans l’enfant parce qu’une chose ne dépend pas de son usage »[17].

 

Et donc le Code en vigueur, fondé « sur l’hérédité juridique et législative de la Révélation et de la Tradition »[18], édicte : « Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière » (c. 1056).

 

L’indissolubilité, en tant que propriété essentielle, « regarde et atteint tous les mariages, le mariage naturel n’y faisant pas exception »[19], bien que pour les chrétiens l’indissolubilité obtienne une fermeté en raison du sacrement, comme nous l’a rappelé Jean-Paul II dans son Discours à la Rote du 26 janvier 2002 : « Le renforcement ultérieur (des propriétés essentielles) dans le mariage chrétien à travers le sacrement repose sur un fondement de droit naturel, dont la suppression rendrait incompréhensibles l’œuvre salvifique même et l’élévation que le Christ a opérées une fois pour toutes dans les divers aspects de la réalité conjugale »[20].

 

  1. L’exclusion de l’indissolubilité

 

La simulation du consentement pour exclusion de l’indissolubilité a lieu quand quelqu’un, en contractant un mariage, le veut en réalité dissoluble, c’est-à-dire « en se réservant la faculté de retrouver une pleine liberté »[21]. Cela peut arriver non seulement si l’intention de rompre le lien est absolue, mais encore (comme il arrive habituellement) si l’intention de rompre le lien est « conditionnelle » ou « hypothétique », ou, en d’autres termes, « si le cas se présente », c’est-à-dire « si l’on prévoit que la vie commune avec le partenaire sera malheureuse ».

 

Dans ce cas-là, comme on le lit par exemple dans une sentence c. Palestro, du 24 mars 1993, « étant donné des raisons particulières, au moins subjectivement graves, naît la crainte que la communauté conjugale ne devienne malheureuse ou enfin impossible et donc s’installe un doute sur la future communauté de vie avec l’autre partie et de là, pour retrouver sa propre liberté, dans le cas d’un événement possible dans l’avenir et redouté, on se prémunit par une exclusion hypothétique de l’indissolubilité. En conséquence le consen-tement ainsi donné, c’est-à-dire révocable […] n’est pas valide pour constituer le mariage, c’est-à-dire que la volonté hypothétique ou conditionnelle de rompre le lien si certains événements se produisent, détruit radicalement le consentement donné, sans qu’on attende la vérification de l’événement prévu »[22].

 

De plus, dans ce cas en effet, l’acte de volonté qui vicie le consentement est absolu parce que c’est le mariage en tant que dissoluble de toute façon qui est visé, tandis qu’est seulement « conditionnelle » ou « hypothétique » la rupture de la vie conjugale qui dépend d’un événement qui, s’il se vérifie, amènera de fait celui qui se marie à rompre le lien. Bien plus, il faut à ce sujet faire plusieurs remarques :

 

 

  1. « Si le cas se présente » ne signifie pas « le désir qu’arrive le cas », mais « la caution prise si ce cas se présente » : celui qui se marie veut seulement se garantir face à un échec futur, mais il ne désire pas cet échec futur ;

 

  1. Le contractant peut également désirer et vouloir qu’une pacifique et heureuse vie commune dure jusqu’à la mort, et il peut également s’engager à la rendre heureuse, mais tout cela n’enlève rien et n’ajoute rien à la réserve qui a pour objet l’exclusion de l’indissolu-bilité du lien, puisque ce qui compte, précisément, c’est seulement l’acte positif de volonté qui a exclu de l’objet du consentement le bien essentiel de l’indissolubilité ;

 

  1. L’objet de l’acte positif de volonté n’est pas le divorce à faire – et même celui qui se marie peut également souhaiter ne jamais avoir à le faire – mais bien la réserve du droit de le faire »[23].

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

  1. L’ordonnancement du mariage à la procréation

 

  1. En ce qui concerne l’exclusion du bien des enfants, il faut remarquer que dans ce cas il y a simulation du consentement en raison de l’exclusion d’un des éléments essentiels du mariage, puisqu’est exclue une de ses fins essentielles. Dans le Code en effet, le mariage est défini comme « l’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants […] » (c. 1055 § 1, cf. aussi c. 1061 § 1, c. 1096 § 1).

 

Cependant l’ordonnancement du mariage au « bien des enfants », en tant que finalité « institutionnelle » du mariage, et donc en tant qu’un de ses éléments essentiels, dont l’exclusion par un acte positif de volonté détermine la nullité du mariage, doit être exposé, au moins brièvement.

 

  1. Il n’y a pas de droit à l’enfant

 

Il faut d’abord déclarer que personne ne peut se conférer un droit à avoir des enfants. Car « l’enfant n’est pas un dû mais un don. ‘Le don le plus excellent du mariage’ est une personne humaine. L’enfant ne peut être considéré comme un objet de propriété, ce à quoi conduirait la reconnaissance d’un prétendu ‘droit à l’enfant’. En ce domaine, seul l’enfant possède de véritables droits : celui ‘d’être le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents, et aussi le droit d’être respecté comme personne dès le moment de sa conception’ »[24].

 

Au contraire, « le mariage ‘donne seulement aux conjoints […] le droit à accomplir les actes conjugaux qui, par eux-mêmes, sont ordonnés à la procréation’[25]. […] Le principe cité plus haut nous fait connaître au plus haut point la position doctrinale exacte, selon laquelle la question du bien des enfants doit toujours être qualifiée et mesurée avec les actes aptes par eux-mêmes à la procréation d’enfants, c’est-à-dire avec l’acte conjugal »[26].

 

En d’autres termes, « il faut dire qu’il n’est pas nécessaire à l’essence du mariage que naissent des enfants, mais seulement que les actes conjugaux soient ordonnés à la génération d’enfants »[27].

 

  1. Le droit-devoir à la génération et à l’éducation des enfants

 

Toutefois, si l’on examine proprement, soit ce qui est édicté au c. 1061 § 1, selon lequel le mariage « est ordonné par sa nature » « à l’acte conjugal apte de soi à la génération », soit ce que dit le c. 1055 § 1 déjà cité selon lequel « l’alliance matrimoniale (est ordonnée) par son caractère naturel […] à la génération et à l’éducation des enfants », il faut affirmer aussi que « le bien des enfants contient aussi les effets qui découlent naturellement du droit aux actes conjugaux, c’est-à-dire le droit-devoir à la mise au monde et à la conservation dans la vie des enfants éventuellement engendrés »[28].

 

  1. La distinction entre le droit-devoir et l’exercice-accomplissement

 

En outre il faut très attentivement faire une distinction entre l’exclusion du « droit-devoir » aux actes conjugaux à accomplir « de façon humaine », qui par eux-mêmes sont ordonnés à la procréation, et le refus de « l’exercice-accomplissement » de ce droit-devoir. Quand le mariage est célébré en effet, il est question de droits-devoirs à donner et à accepter mutuellement, mais non de leur exercice-accomplissement. C’est pourquoi a une force irritante l’acte positif de volonté qui atteint le droit-devoir lui-même, mais non l’acte de volonté qui regarde seulement l’exercice-accomplissement du droit concédé ou du devoir reçu. En effet, « comme l’essence d’une chose ne dépend pas de son usage, le droit et le devoir aux actes conjugaux peuvent exister bien que manquent, dans le cas concret, l’usage du droit et l’accomplissement du devoir […]. Une chose en effet est de ne pas donner le droit au bien des enfants dans ses principes, et une autre chose est de donner ce droit à son partenaire avec l’intention de violer ou de ne pas exécuter l’obligation reçue soit pour une période déterminée soit pour une période indéterminée »[29]. En d’autres termes, « ce qui rend nul le mariage, ce n’est pas le simple manque de procréation mais l’exclusion de la procréation ‘dans ses principes’[30], étant donné que ‘ne répugne pas à la substance du mariage le non-usage de celui-ci, mais le fait de ne pas pouvoir en user’[31] ».[32]

 

  1. La jurisprudence sur l’exclusion du droit-devoir

 

Bien que les principes juridiques soient clairs, il n’est pas facile de voir dans chaque cas s’il s’agit de l’exclusion du droit-devoir lui-même, ou seulement de l’exclusion du simple exercice-accomplissement. Toutefois la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a élaboré certains critères.

 

Tout d’abord, « l’exclusion absolue des enfants fait conjecturer l’exclusion du droit aux actes conjugaux et donc la nullité du consentement […]. Comme il est bien connu, le contractant qui ne veut pas le mariage sauf s’il y a exclusion des enfants, ne peut pas en même temps vouloir assumer les obligations essentielles du bien des enfants »[33]

 

Quand il s’agit toutefois de l’exclusion hypothétique ou temporaire des enfants, il faut apporter les distinctions adéquates, parce que ce genre d’exclusion peut irriter le mariage s’il atteint le droit lui-même, qui « doit être donné et reçu non seulement mutuellement, mais pour toujours »[34]. En effet, « le droit, une fois donné dans le consentement, ne peut admettre aucune limitation de la part du contractant, même temporaire. C’est là où ressort clairement le sens de la distinction entre le droit non donné et l’abus du droit donné »[35].

 

Assurément on voit que rejette le droit lui-même celui qui exclut la procréation pour un temps absolument indéterminé, en la liant à la survenance d’un événement futur et totalement incertain, et en se réservant le droit de déterminer quand il faudra accomplir les actes aptes par eux-mêmes à la génération. « Dans cette hypothèse, écrit Mgr de Lanversin dans une sentence du 5 avril 1995, la validité du mariage est détruite, comme le tient la Jurisprudence de Notre For, à savoir que ‘celui qui se réserve, en contractant, la donation du droit si et pour autant qu’arrivent des événements certains dans l’avenir, ne donne pas le droit dans l’acte de la célébration, ceci sans le moindre doute, et par conséquent il restreint l’objet du consentement’[36] ».[37] Dans ce genre de cas en effet, de fait « le contractant n’accepte pas l’inclination naturelle des actes vers la procréation et, dans cette matière, il prétend se conduire comme l’unique source du droit »[38].

 

Cela peut arriver lorsque celui qui se marie, en raison de graves perplexités sur le sort de la future vie conjugale, exclut le lien de l’indissolubilité. Dans ces cas en effet, il est poussé à exclure absolument toute procréation, au moins pour un temps indéterminé, soit parce que des enfants peuvent être un obstacle pour retrouver sa liberté si les choses tournent mal, soit pour éviter que ces enfants ne subissent des dommages par la rupture éventuelle de la communauté de vie des conjoints.

 

Au contraire l’exclusion temporaire de la procréation, ordinairement, si elle signifie un simple report à plus tard, à une période peut-être plus propice, à une situation économique plus adéquate, tant pour le travail que pour l’habitation, peut s’accorder avec une donation-acceptation correcte du droit conjugal. En effet, « l’exclusion temporaire, selon la jurispru-dence constante de Notre Tribunal Apostolique, fait présumer que les conjoints, par le report à plus tard de la procréation, entendent seulement repousser l’exercice du droit concédé, ce qui, par lui-même, comme il apparaît également de la doctrine de la responsabilité parentale, ne peut pas vicier le consentement matrimonial »[39].

 

  1. LA PREUVE  DE  LA  SIMULATION

 

  1. La preuve de toute simulation

 

  1. La preuve de toute simulation du consentement (et donc également de l’exclusion du bien du sacrement et de celle du bien des enfants) est, par nature même, difficile. Car il s’agit d’un acte interne connu de Dieu seul et contraire à l’acte manifesté extérieurement quand le mariage a été célébré, alors que dans le Code il est plus d’une fois déclaré qu’il y a une présomption pour la validité du mariage (cf. c. 124 § 2 ; c. 1060 et 1101 § 1). Cette preuve cependant, selon les critères reçus de la Jurisprudence traditionnelle, est possible, si toutefois trois éléments se retrouvent ensemble : « la confession du simulant, judiciaire et surtout extrajudiciaire, apportée par des témoins dignes de foi ; une cause grave et proportionnée de simulation, qui, bien distincte de la cause qui a poussé au mariage, prévale de fait sur elle ; des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui rendent la simulation réalisée non seulement possible, mais probable et très crédible »[40].

 

Ce « schéma » toutefois doit être adapté au cas sur lequel doit porter le jugement, car il s’agit principalement d’une question « de fait », et chaque « fait » a sa propre histoire, sa propre dialectique, ses propres personnes et ses propres circonstances particulières. Cela veut dire que le cas est à examiner selon les conditions concrètes et existentielles dans lesquelles se trouvait au moment du mariage celui à qui est imputée en justice la simulation du consentement.

 

En outre, dans ce genre de causes, qui « généralement reposent sur des indices »,[41] il faut bien remarquer que la vérité n’est pas à découvrir à partir de tel ou tel élément pris isolément, mais à partir de tous les moyens de preuve réunis, considérés dans leur ensemble, qui ne peuvent s’expliquer logiquement que si l’on reconnaît la simulation alléguée du consen-tement.

 

  1. Le rôle du juge

 

Les moyens de preuve doivent conduire à ce que « à partir des actes et des preuves » naisse « chez le juge la certitude morale au sujet de l’affaire à trancher par la sentence » (c. 1608 §  1 et 2).

 

Il appartient au juge, après avoir examiné soigneusement « selon sa conscience » (c. 1608 §  3) tous les moyens de preuve, de conclure si, dans le cas, la nullité du mariage est, « avec une certitude morale », prouvée pour les chefs allégués.

 

Cette évaluation doit être réalisée avec diligence et sans a priori, également pour respecter l’esprit du Code en vigueur qui « peut être considéré comme plus humain, c’est-à-dire qu’il s’étend à un plus grand respect pour l’homme et sa dignité ». Car « les normes codifiées dans le Code de 1983 reflètent une tendance vers un plus grand respect pour la personne dans son ensemble, un plus grand respect de l’humanité profonde de la personne. Le développement représente un respect fondé sur l’authentique ‘charité’ »[42]. En conséquence, « nous sommes certainement bien loin de la règle de l’article 117 de l’Instruction Provida Mater : ‘La déposition judiciaire des époux n’est pas apte à constituer une preuve contre la validité du mariage’ »[43].

 

D’ailleurs ceux qui s’adressent à un Tribunal ecclésiastique, « mûs par des raisons exclusives de conscience, savent bien que ne leur servirait à rien un prononcé judiciaire d’un tribunal de l’Eglise basé ou fondé sur des assertions qui ne correspondent pas à la vérité »[44].

 

  1. Règles spéciales pour les causes matrimoniales

 

C’est pourquoi justement « pour que soit exclue toute différence – autant que faire se peut – entre la vérité accessible dans le procès et la vérité objective, connue par la conscience droite »[45], s’il est statué dans le Code de Droit Canonique, de façon générale pour les jugements contentieux ordinaires : « Dans les causes […] qui concernent le bien public, l’aveu judiciaire et les déclarations des parties qui ne sont pas des aveux peuvent avoir valeur de preuve ; le juge devra les apprécier en relation avec les autres éléments de la cause », mais « une valeur probante plénière ne peut leur être reconnue à moins qu’il n’y ait d’autres éléments qui les corroborent pleinement » (c. 1536 § 1), une règle suivante, en ce qui concerne en propre les causes de nullité de mariage, prescrit : « A moins que les preuves n’aient par ailleurs pleine valeur probante, le juge, pour apprécier les dépositions des parties selon le c. 1536, fera appel, si c’est possible, en plus des autres indices et éléments, à des témoins sur la crédibilité des parties elles-mêmes. » (c. 1679)

 

En conséquence les déclarations judiciaires du simulant allégué doivent être évaluées à la lumière de sa propre crédibilité. Pour examiner celle-ci on ne méprisera pas les critères « extrinsèques » de crédibilité, c’est-à-dire ceux qui sont pris des témoignages, surtout ceux de prêtres ou de témoins qui sont vraiment dignes de foi. En outre, sont d’une très grande importance les critères « intrinsèques » de crédibilité, soit en tant que ces déclarations judiciaires, regardées en elles-mêmes, apparaissent comme constantes ou inconstantes, cohérentes ou non (cf. c. 1572, n. 3), soit en tant que ce qui est affirmé s’accorde ou non avec les faits concrets ou les circonstances. Car les faits peuvent être plus éloquents que les paroles. En conséquence il faut évaluer « les circonstances précédentes, concomitantes ou subséquentes de la célébration du mariage, qui rendent la simulation alléguée possible et crédible »[46]. C’est pourquoi on doit examiner tous les indices concrets, surtout en ce qui concerne la façon d’agir du simulant prétendu.

 

Sans aucun doute sont à étudier avec soin, et la « cause de la simulation » (« lointaine » ou « prochaine »), et la « cause qui a poussé au mariage ». Car il faut savoir avec certitude si le contractant a envisagé cette « cause de la simulation » comme grave, et bien plus si pour lui elle prévalait sur la « cause qui a poussé au mariage ». Si en effet la « cause de la simulation » n’est pas prouvée, la simulation, qui en est l’effet, ne peut même pas se concevoir.

 

« Le salut des âmes, dont parle le c. 1752 CIC, demande à coup sûr ou, plus exactement, impose » la diligence du juge, dont nous avons parlé, et son équité. « Le principe suprême de Notre For, en effet postule que ‘le rôle du juge dans ce genre de causes est sans aucun doute très difficile. Mais il serait extrêmement grave que le juge, dont la science, la prudence et l’équité sont invoquées dans l’administration de la justice, fuie ses responsabilités de juge et, par peur de se tromper, se tourne facilement vers le c. 1060 CIC. D’ailleurs, pour prononcer une sentence, il n’est pas requis une certitude absolue ou mathématique, mais il suffit d’une certitude morale, qui, si d’une part elle se distingue de la simple probabilité, parce qu’elle n’admet pas un doute positif et prudent, d’un autre côté n’exclut pas toute crainte prudente de se tromper’[47] ».[48]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Les Juges de 1° instance n’ont pas eu à leur disposition tous les renseignements qu’une nouvelle instruction a fournis à ceux de 2° instance.

 

  1. LA CRÉDIBILITÉ  DE  CHAQUE  PARTIE

 

Les témoins de la demanderesse et ceux du mari disent le plus grand bien de la crédibilité de chaque partie.

On remarque que tant l’épouse demanderesse que le mari partie appelée ont toujours été constants et cohérents dans leurs descriptions de leurs relations prématrimoniales et matrimoniales.

 

De plus, l’épouse s’est adressée au tribunal ecclésiastique pour se mettre en paix avec sa conscience et par conséquent elle savait que si elle mentait dans ses déclarations, elle manquerait son but.

 

La crédibilité de la demanderesse et des témoins est d’autant plus grande qu’ils reconnaissent qu’ils ignoraient l’état d’esprit dans lequel Ludovico s’est marié et que, de ce fait, leurs déclarations ne favorisent pas la thèse de la simulation du consentement de la part du mari.

 

D’ailleurs le peu d’informations de l’épouse et des témoins sur l’intention matrimoniale de Ludovico correspond tout à fait au caractère fermé de celui-ci. A l’envie Tiziana et les témoins parlent de la timidité du mari, de son manque de sociabilité, et tous disent que Ludovico était « chiuso », « fermé », ce qu’il reconnaît lui-même.

 

En conclusion de ces remarques, nous pouvons accepter en toute confiance les éléments qui ressortent des dépositions des parties et des témoins, pour évaluer l’intention que Ludovico avait en se mariant.

 

  1. LA CAUSE  LOINTAINE  DE  LA  DOUBLE  SIMULATION  DU  MARI

 

  1. Le mari déclare lui-même qu’il ne se sentait pas lié par la doctrine et la morale de l’Eglise. Selon lui, ses parents sont croyants, mais pas pratiquants et par conséquent il n’en a pas reçu une formation religieuse profonde. Il a été baptisé, il a été confirmé et a abandonné ensuite toute pratique. Ceci est confirmé par la demanderesse et les témoins.

 

  1. En ce qui concerne sa connaissance du mariage, Ludovico considérait le divorce comme un remède naturel en cas d’échec d’un mariage. Il a fait part de cette conviction en 1° et en 2° instance.

 

La demanderesse et les témoins confirment l’état d’esprit de Ludovico sur le divorce : « Il disait qu’il valait mieux se séparer si le couple était en difficulté, que les hommes avaient inventé le divorce et qu’il lui était favorable ».

III.  LA  CAUSE  PROCHAINE  DE  LA  DOUBLE  SIMULATION  DU  MARI

 

  1. Ludovico, alors que la date du mariage se rapprochait, constatait que Tiziana était beaucoup trop dominée par ses parents et cela l’inquiétait pour son futur mariage. De plus, lors de sa seconde déposition, il a raconté qu’il avait commencé à travailler à la campagne avec le père de Tiziana, que celui-ci aurait voulu qu’il continue ce travail après son mariage et que Tiziana approuvait son père à ce sujet. Cet attachement de la jeune fille à sa famille pesait de plus en plus à Ludovico.

 

Un fait a augmenté considérablement les inquiétudes du jeune homme. La sœur de Tiziana ayant été victime d’un accident d’auto, son père aurait voulu que Ludovico témoigne dans le procès civil qui a suivi, mais celui-ci a refusé parce qu’il aurait dû témoigner de quelque chose dont il n’avait pas été témoin. Tiziana a pris parti pour son père, ce qui a causé des problèmes entre les jeunes gens, au point qu’ils ont cessé d’avoir des relations intimes comme auparavant.

 

Tiziana, dans ses deux dépositions, confirme l’accident, la demande de son père auprès de Ludovico afin qu’il témoigne au procès civil, le refus de celui-ci et la fin de leurs relations intimes.

 

Les témoins, eux, ont constaté un net refroidissement entre les fiancés à l’approche du mariage.

 

  1. LA « CAUSA  CONTRAHENDI »,  LA  CAUSE  QUI  A POUSSÉ  AU  MARIAGE

 

Il faut distinguer deux périodes : le moment où Ludovico a décidé d’épouser Tiziana et le moment où, malgré ses doutes sur l’issue de sa future vie conjugale, il a persévéré dans sa décision de mariage.

 

Dans la première période les jeunes gens s’aimaient et tout semblait conduire à leur mariage.

 

Plus tard Ludovico a eu des doutes sur son avenir avec Tiziana, mais déclare-t-il : « Je n’ai pas renoncé à épouser Tiziana parce que j’avais déjà donné ma parole et mon caractère faible ne m’a pas permis d’affronter la réalité […]. Je me suis laissé traîner au mariage ».

 

Cette « causa contrahendi » est confirmée par l’épouse, qui avait été informée par Ludovico, avant le mariage, de ses doutes et de sa résignation à se marier. Cette « causa contrahendi » est confirmée par de nombreux témoins qui en ont eu connaissance après le mariage.

 

Bref, la preuve est acquise que la « causa contrahendi », la cause qui a poussé Ludovico au mariage, a été beaucoup moins forte que l’importante cause prochaine de sa simulation.

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. Les preuves directes

 

1) Dans sa première déposition judiciaire, Ludovico a déclaré : « Je suis allé au mariage avec l’espoir qu’il pourrait réussir, même si j’avais des doutes et des préoccupations. Je me suis représenté l’éventualité d’un échec du mariage et, dans ce cas, j’aurais fait ce qui se fait habituellement : la séparation et le divorce ». En seconde instance, Ludovico a redit la même chose.

 

2) En ce qui concerne une confession extrajudiciaire de Ludovico, seuls l’épouse et peu de témoins, compte tenu du caractère du mari, peuvent en parler.

 

Tiziana n’a été au courant, par son mari, de l’intention de celui-ci de divorcer si les choses allaient mal, qu’après le mariage. Elle l’a dit dans ses deux dépositions.

 

Toutefois il faut remarquer que si l’épouse a connu l’intention de son mari après le mariage, elle l’a connue à une époque non suspecte puisqu’à ce moment-là elle ne pensait absolument pas à une cause de nullité de mariage. De plus ce qu’elle déclare s’accorde tout à fait avec ce qu’elle avait connu des circonstances et de l’état d’esprit de Ludovico avant le mariage et d’où pouvait germer la simulation de son consentement.

 

Quant aux témoins, la plupart d’entre eux affirment qu’ils ignoraient l’intention du mari contre l’indissolubilité de son mariage, ce qui est un indice de leur crédibilité. Seule la sœur de Tiziana rapporte que Ludovico lui avait dit, avant le mariage, que si cela n’allait pas il divorcerait pour retrouver sa liberté. Une amie de Ludovico fait le même témoignage.

 

Toutefois, si la « preuve directe » de l’exclusion de l’indissolubilité par le mari, est mince, elle est corroborée de façon positive par des preuves indirectes.

 

  1. Preuves indirectes

 

1) La gravité de la cause éloignée et de la cause prochaine de la simulation est très grande.

 

2) La cause qui a poussé Ludovico au mariage est beaucoup plus faible que la cause de la simulation. Il n’a pas dit non au mariage parce qu’avec son tempérament faible il n’a pas pu se détacher de l’intention d’épouser Tiziana qu’il avait eue auparavant.

 

En conséquence nous avons ici un ensemble d’éléments de preuve et d’indices qui nous donnent la conviction que réellement le mari partie appelée a simulé son consentement par exclusion du bien du sacrement.

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

  1. Ce chef de nullité est tout à fait connexe à celui d’exclusion du bien du sacrement, en ce que c’est la même cause pour laquelle l’époux a exclu l’indissolubilité qui l’a poussé à exclure les enfants.

 

  1. Il ressort des Actes de la cause que Ludovico n’était pas psychologiquement hostile à l’idée d’avoir des enfants, mais précisément, parce que peu de temps avant le mariage il a eu des doutes sur le succès de sa future vie conjugale, il a exclu absolument la procréation, au moins pour un temps indéterminé, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il soit sûr de la réussite de son mariage.

 

  1. Dans ses deux dépositions judiciaires Ludovico a exposé « l’évolution » de ses intentions en ce qui concerne la procréation : au début, oui aux enfants ; ensuite, on verra, on verra si tout va bien entre Tiziana et lui, entre Tiziana et ses parents, entre ses parents et lui.

 

Certes Ludovico, en raison de son caractère, n’a pas parlé à Tiziana ou à d’autres de ses intentions et de la cause de ses intentions, sans doute pour éviter toute discussion.

 

  1. De son côté Tiziana, dans sa première déposition, affirme que Ludovico, avant le mariage, ne lui a rien dit de ses intentions relatives aux enfants. Simplement, « il m’a dit que, pour les enfants, on déciderait après le mariage, quand il aurait un travail sûr et que notre mariage serait une réussite ». Après le mariage toutefois, comme Ludovico avait un travail stable et que Tiziana lui parlait d’avoir des enfants, « il m’a dit qu’il n’était pas dans ses intentions d’avoir des enfants, et devant ma réaction et les problèmes que nous avions ensemble, il a fini par me dire la vérité ».

 

  1. Les témoins de Ludovico, dans leurs dépositions, ont confirmé les déclarations judiciaires de celui-ci, tandis que ceux de Tiziana n’ont connu, par Ludovico lui-même, que son intention de reporter à plus tard la procréation d’un enfant.

 

  1. Les circonstances, enfin, sont en faveur de l’exclusion des enfants par le mari : les parents de Tiziana se mêlaient trop de la vie du couple ; le mari a toujours pris des précautions pour éviter une grossesse de sa femme, alors que celle-ci lui demandait de lui donner un enfant ; c’est à cause de ce refus des enfants qu’a pris fin la vie intime des époux.

 

En conclusion, tout bien pesé, la simulation du consentement du mari, par exclusion du bien des enfants, est moralement certaine.

Constat de nullité

Giovanni Baptista DEFILIPPI, ponent                        pour exclusion du bien du sacrement

Robert M. SABLE                                  et pour exclusion du bien des enfants par le mari

Maurice MONIER

Vetitum pour le mari

[1] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1950, p. 21

[2] C. TURNATURI, 16 juin 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 362, n. 8

[3] D. 35, 1, 15 ; D. 50, 17, 30

[4] C. POMPEDDA, 1° février 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 97, n. 2

[5] Constitution Past. GAUDIUM et SPES, n. 48 § 1

[6] Encyclique CASTI  CONNUBII, 1930, AAS 22, p. 541

[7] Cf. de LUGO, De justitia et jure, disput. XXII, p. 361

[8] C. SABLE, 24 février 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 166, n. 2

[9] Encyclique CASTI  CONNUBII, 1930, AAS 22, p. 541

[10] PAUL VI, Discours à la Rote, 9 février 1976, AAS, 68, 1976, p. 207

[11] Même endroit, p. 206

[12] C. 1101 § 1

[13] ULPIEN, D. 14, 9

[14] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 21 janvier 2000, AAS 92, 2000, p. 352, n. 4

[15] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1968, p. 92

[16] C. POMPEDDA, 22 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 948, n. 2

[17] Comment. in Lib. IV Sententiarum, dist. XXXI, q. 1, art. 3, in c.

[18] Const. Apost. Sacrae disciplinae leges, par laquelle, le 25 janvier 1983, a été promulgué le nouveau Code

[19] C. FUNGHINI, 5 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 436, n. 2

[20] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 26 janvier 2002, AAS 94, 2002, p. 342, n. 3

[21] C. MONIER, 27 avril 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 295, n. 4

[22] C. PALESTRO, 24 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 215, n. 4

[23] S. VILLEGIANTE, L’esclusione del « bonum sacramenti », dans l’ouvrage collectif La simulazione del consenso matrimoniale canonico, Cité du Vatican 1990, p. 213 sq.

[24] Instr. Donum vitae, 2, 8, AAS 80, 1988, p. 97 ; Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2378

[25] Instr. Donum vitae, n. 1

[26] C. POMPEDDA, 3 juillet 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 583, n. 3

[27] C. SABLE, 29 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 443, n. 7

[28] C. HUBER, 1° juillet 1998, sent. 71/98, n. 5

[29] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 300, n. 19

[30] S. THOMAS, Supplément, q. 49, art. 3

[31] BENOÎT XIV, De Synodo diocesana, XIII, 22, 11

[32] C. FUNGHINI, 22 février 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 132, n. 4

[33] C. POMPEDDA, 19 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 495, n. 5-7

[34] C. FUNGHINI, 15 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 282, n. 4

[35] C. SABLE, 14 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 595, n. 8

[36] C. BRENNAN, 14 octobre 1966, SRRDec, vol. LVIII, p. 724, n. 3

[37] C. de LANVERSIN, 5 avril 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 255, n. 8

[38] C. MONIER, 18 février 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 187, n. 4

[39] C. BRUNO, 1° février 1991, SRRDec., vol. LXXXIII, p. 68, n. 5

[40] C. TURNATURI, 20 octobre 2005, sent. 104/05, n. 16

[41] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 299, n. 7

[42] M.F. POMPEDDA, Decizione-sentenza nei processi matrimonali, dans Studi di diritto processuale canonico, Giuffré Editeur, Milan 1995, p. 184

[43] M.F. POMPEDDA, Verità e giustizia nella doppia sentenza conforme, dans l’ouvrage collectif La doppia conforme nel processo matrimoniale, Cité du Vatican 2003, p. 15

[44] Même ouvrage, même endroit

[45] Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, du 14 septembre 1994 sur la communion pour les divorcés remariés, AAS 86, 1994, p. 492, n. 9

[46] C. STANKIEWICZ, 26 février 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 111, n. 23

[47] C. BRUNO, 30 mai 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 356 sq., n. 9

[48] C. SABLE, 2 avril 1998, SRRDec, vol. XC, p. 315, n. 7

DE ANGELIS 24/02/2010

Coram  DE  ANGELIS

 Exclusion du mariage lui-même

Défaut de discretio judicii

 Bogota (Colombie) – 24 février 2010

P.N. 19.689

– Constat de nullité

pour simulation totale du mari

– Non Constat

pour le défaut de discretio judicii

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. Généralités sur la simulation

 

  1. La simulation totale et ses espèces

 

  1. La preuve et la certitude morale

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Cesar A., demandeur, et Pilar N., épouse partie appelée, après six ans de fréquentations, se marient le 14 mars 1997. La vie conjugale, sans enfant, dure trois ans. Le mari, continuant une relation ancienne avec une autre femme, quitte son épouse en 2000.

 

Le 29 octobre 2003, Cesar présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Bogota, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour défaut de discretio judicii de la part de chacun des époux et pour simulation de sa part. Le doute est concordé le 26 novembre 2003 sur le défaut de discretio judicii, et, de façon subordonnée, sur l’exclusion par le mari du mariage lui-même ou d’un de ses éléments essentiels. Une expertise est réalisée. La sentence du Tribunal de Bogota, du 29 juillet 2005, est négative sur tous les chefs.

 

Le Tribunal d’appel de Colombie concorde le doute sous la formule : « La sentence de première instance doit-elle être confirmée ou infirmée ? », et le 18 août 2005 rend une sentence qui infirme en partie celle de la 1° instance : constat de nullité pour exclusion du mariage lui-même par le mari et pour défaut de discretio judicii de la part de l’épouse ; non constat pour le défaut de discretio judicii de la part du mari.

 

La cause est transmise à la Rote où le doute, en date du 20 avril 2006, est déterminé sous la formule : « La sentence définitive du Tribunal d’appel de Colombie doit-elle être confirmée ou infirmée ? ».

 

*     *     *

EN  DROIT

 

  1. Généralités sur la simulation

 

  1. « § 1. Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage.
  • 2. Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles concluent invalidement ».

 

Il y a donc une présomption du droit pour la correspondance entre la déclaration externe et l’esprit interne du contractant.

 

« La fiction ou simulation du consentement matrimonial se vérifie lorsque le contractant profère extérieurement, de façon sérieuse et correcte, les paroles qui expriment le consentement, mais qu’il ne consent pas intérieurement »[1].

 

Celui qui simule le mariage lui-même rejette intérieurement la communauté conjugale ; dans la simulation totale le contractant a l’intention de ne pas contracter, c’est-à-dire ne veut pas constituer avec son partenaire une communauté de toute la vie ; consciemment et sciemment il entend accomplir un simulacre et il est bien conscient qu’il fait un acte nul.

 

  1. La simulation totale et ses espèces

 

  1. La simulation totale comporte plusieurs espèces, selon la jurisprudence de Notre For, comme l’expose une sentence coram Stankiewicz du 29 janvier 1981[2]:

« a. Celui qui ne donne aucun consentement à la chose, c’est-à-dire qui a l’intention de ne pas contracter, mais, comme on dit, qui préfère jouer la comédie ;

  1. Celui qui exclut le mariage lui-même ou l’autre personne contractante, ou qui ne se propose pas d’épouser celle-ci, et ne donne absolument pas son consentement à la personne susdite ;
  2. Si le contractant, par un acte positif de la volonté, exclut la société permanente entre l’homme et la femme ordonnée à la procréation d’enfants, c’est-à-dire la communauté de toute la vie ordonnée au bien des conjoints et au bien des enfants ; ou, de façon impropre, si le contractant veut absolument l’exclusion du sacrement, de telle façon que dans l’hypothèse d’un véritable sacrement il ne veut pas contracter, ou, ce qui a le même résultat, s’il célèbre un mariage pour la forme, du moment qu’il rejette le contrat naturel, parce qu’un acte accompli pour la forme ne contient pas toujours l’exclusion de la chose qui est réalisée. »

 

  1. La preuve et la certitude morale

 

  1. Il faut tenir compte des faits dans leur complexe, parce que les faits sont parfois plus éloquents que les paroles. Les faits, on le sait, ne prouvent pas par eux-mêmes l’intention, mais ils offrent une forte présomption d’intention, pourvu qu’ils soient certains, constants, univoques.

 

En l’espèce il faut prêter attention à la règle du Docteur Angélique. « Toutefois la certitude ne doit pas être cherchée de la même façon en toute matière. Dans les actes humains, en effet, sur lesquels se constituent les jugements et sont exigés des témoignages, il ne peut pas y avoir de certitude démonstrative, du fait qu’ils concernent des choses contingentes et variables, et donc il suffit qu’il y ait une certitude probable qui atteigne la vérité sur de nombreux points, même si elle s’écarte de la vérité sur un petit nombre d’éléments »[3].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. Le mari

 

  1. Les sentences de première et de deuxième instance

 

La sentence de deuxième instance, rendue en faveur de la nullité du mariage, conclut ainsi ses considérations « en fait » : Nous pensons qu’est prouvée l’exclusion du mariage lui-même de la part du mari […]. C’est le mariage lui-même qu’il a rejeté […]. Il avait promis de se marier, mais il n’avait pas l’intention de le faire et il s’est marié en rejetant justement, non pas l’unité du mariage, mais le mariage lui-même. On ne peut pas considérer comme possible, chez le mari, un grave défaut de discretio judicii en même temps que l’exclusion du mariage lui-même : c’est de la simple logique juridique. Chez l’épouse le manque de discretio judicii est évident.

 

En première instance la sentence avait été négative en raison de l’incertitude des juges sur l’objet de la simulation : était-ce le mariage lui-même ou l’un de ses éléments essentiels, c’est-à-dire le bien des enfants ?

 

La sentence de seconde instance a été affirmative pour exclusion du mariage lui-même, mais si quelqu’un exclut le mariage lui-même, il exclut également ses propriétés et ses éléments essentiels. En conséquence, que la décision de la troisième instance déclare la simulation totale ou une simulation partielle, elle sera de toute façon conforme à la sentence de deuxième instance qui a déclaré la simulation totale.

 

  1. La confession judiciaire du demandeur

 

Le demandeur, Cesar A., qui a proposé la cause présente pour la paix de sa conscience, déclare dans son libelle qu’il n’a jamais contracté validement : lors de l’émission de son consentement, il avait la volonté ferme de ne pas s’unir dans le mariage avec Pilar.

 

Cesar prétend que sa fiancée était une personne dominatrice et il raconte que pendant leurs fréquentations il y a eu une période de 3 ans où ils avaient pratiquement rompu. Pilar a ensuite tellement insisté pour qu’ils se marient (« Ou nous nous marions, ou c’est fini entre nous ») que Cesar a cédé, mais avec la ferme intention de ne pas se lier : « Pendant la cérémonie religieuse de notre mariage, je me sentais absent, comme faisant quelque chose que je ne voulais pas faire », ce qu’il a redit à l’expert lors de son audition par celui-ci, et ce qu’il a confirmé lors de l’instruction de seconde instance.

 

 

  1. Les causes éloignée et prochaine de la simulation

 

La cause éloignée de la simulation se trouve dans l’égoïsme anormal de Cesar, qui n’a pas hésité dans son libelle à se dire : « uniquement intéressé, centré et concentré sur la satisfaction de ses désirs et sur ses succès personnels ». Pilar, de son côté, décrit Cesar comme un égoïste, un introverti, peu bavard, ne parlant pas à sa famille, ayant peu d’amis, manipulateur, ce que confirment les témoins.

 

La cause prochaine de la simulation vient, comme la cause du mariage, de la mise en demeure de Pilar : « Ou nous nous marions, ou c’est fini entre nous ». C’est ainsi que Cesar a accepté une célébration de mariage, mais avec la ferme intention, dans son esprit et dans sa volonté, de garder sa liberté. Pilar savait que son fiancé avait une relation avec une autre femme et qu’il lui était infidèle, mais « elle l’aimait ».

 

Tous les témoins en la cause parlent du manque évident d’amour de Cesar pour Pilar et de la comédie de leur communauté conjugale.

 

Le fait que le mari demandeur ait quitté son foyer et mis fin à son union avec Pilar confirme qu’il avait bien exclu tout lien en se mariant.

 

  1. L’exclusion des biens du mariage

 

En ce qui concerne le bien de la fidélité, la maîtresse de Cesar reconnaît sa liaison avec lui, ce que confirment d’autres témoins.

 

Pour les enfants, Cesar n’en voulait pas, comme le disent de nombreux témoins, dont la mère du demandeur, la déposition de celle-ci montrant non seulement la volonté du mari vis-à-vis des enfants, mais une motivation proportionnée de garder sa liberté vis-à-vis de Pilar.

 

  1. Conclusion

 

L’acte positif de volonté d’exclusion, de la part du mari, ressort donc de la confession judiciaire et extrajudiciaire de celui-ci, mais aussi et surtout des faits relatés par la partie appelée et les témoins.

 

En conclusion les Pères soussignés décident de confirmer la sentence de deuxième instance pour simulation du consentement de la part du mari demandeur. Celui-ci a exclu le bien du sacrement, le bien de la fidélité, le bien des enfants. En outre il a voulu une célébration mais il a rejeté l’état conjugal. On peut donc raisonnablement parler d’exclusion du mariage lui-même, comme l’ont déclaré les Juges du Tribunal d’appel.

 

La décision affirmative relative à la simulation du consentement postule logiquement une décision négative sur le défaut de discretio judicii du mari, comme l’ont dit les Juges d’appel. Ce chef, d’ailleurs, refusé en 1° et en 2° instance, n’est pas à traiter en troisième instance.

 

  1. L’épouse

 

Quant au défaut de discretio judicii de la part de l’épouse, les Pères soussignés remarquent qu’il n’y en a pas de preuve dans les actes. Certes on peut parler de fragilité mentale chez Pilar, mais pas de perturbations graves. Les Juges du Tribunal d’appel ont rendu sur ce point une sentence affirmative en s’appuyant seulement sur le fait que l’épouse a accepté d’épouser Cesar alors même qu’elle en connaissait les défauts, mais Pilar a elle-même répondu qu’elle aimait Cesar.

 

On peut dire que Pilar s’est mariée aveuglée par son amour, mais il n’y a pas là une source de défaut de discretio judicii. Le passage d’un choix matrimonial erroné à un défaut de discretio judicii chez le sujet qui décide de se marier est un passage illégitime, qui se fonde sur une simple présomption.

 

– Constat de nullité

pour simulation totale du mari

– Non constat

pour le défaut de discretio judicii

chez l’épouse

 

– Vetitum pour le mari

 

 

Agostino DE ANGELIS, ponent

Anton STANKIEWICZ, doyen

Abdou YAACOUB

 

__________

 

[1] GASPARRI, Tractatus de matrimonio, vol. 2, n. 814

[2] C. STANKIEWICZ, 29 janvier 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 47, n. 6-7

[3] SAINT THOMAS, Somme Théologique, Ia IIae, q. LXX, art. 2

DE ANGELIS 16/10/2009

Coram  DE  ANGELIS

 Violence et crainte

Simulation totale ou partielle

 Tribunal régional du Triveneto (Italie)

16 octobre 2009

P.N. 18.409

Constat pour violence et crainte

Non constat pour la simulation

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LA CRAINTE
  2. Le c. 1103 CIC 1983 et le c. 1087 § 1 CIC 1917
  3. Le défaut de discretio judicii et la crainte
  4. Crainte « ab extrinseco » et crainte « ab intrinseco »
  5. La crainte révérentielle
  6. Gravité de la crainte en général et de la crainte révérentielle en particulier
  7. Contrainte et Crainte
  8. Liberté réfléchie et cependant contrainte
  9. Consentement « cum metu » et consentement « ex metu »
  10. La crainte et l’aversion pour la personne ou pour le mariage
  11. Les circonstances pour l’évaluation de la contrainte
  12. La preuve de la crainte

 

  1. LA SIMULATION TOTALE

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DE LA FIDÉLITÉ

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS

 

Juliette avait 13 ans lorsque sa mère la proposa comme épouse à Fahim A., âgé de 25 ans. Juliette aurait préféré terminer ses études, mais comme elle avait l’habitude d’obéir à sa mère et que son père était décédé, elle accepta de se marier, selon les coutumes locales, même si elle n’avait aucune affection pour le garçon choisi par sa famille.

 

Le mariage eut lieu le 29 avril 1979, selon le rite de l’Eglise gréco-orthodoxe, en Cis-Jordanie.

 

La vie conjugale, sans enfant en raison de la stérilité de Fahim, dura trois ans. Le tribunal patriarcal gréco-orthodoxe de Jérusalem déclara la nullité du mariage le 1° avril 1986.

 

Après sa séparation en 1983, Juliette avait gagné l’Italie pour trouver un emploi et avait été accueillie par son frère XX qui travaillait à Rovereto. Elle resta deux ans avec lui et, ayant le désir d’être plus libre, elle loua une chambre chez un certain Mauro C., dont elle devint vite la compagne. De retour en 1986 en Cis-Jordanie, à l’expiration de son titre de séjour en Italie, elle fut rejointe par Mauro. Le mariage entre Juliette et Mauro fut vite décidé avec la famille de la jeune femme, et il fut célébré le 7 septembre 1986 selon le rite de l’Eglise gréco-orthodoxe, en Cis-Jordanie. La vie conjugale, pendant laquelle naquit un garçon, Amir, ne dura que trois ans, en raison de dissensions dues, selon l’épouse, à l’infidélité du mari ou, selon l’époux, au désir de Juliette de reprendre sa liberté. Le divorce fut prononcé en 1989.

 

Le 14 novembre 1994, Juliette adressa un libelle au Tribunal régional du Triveneto, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour la contrainte et la crainte qu’elle aurait subies pour son mariage avec Mauro, ainsi que pour exclusion totale du mariage et exclusion de la fidélité de la part de son mari. Elle ajoutait qu’elle demandait également la déclaration de nullité de son premier mariage avec Fahim pour contrainte et crainte subies par elle.

 

Après différents problèmes de procédure, la cause fut admise à la Rote en 1° instance, sous plusieurs chefs :

 

  1. a) dans la cause principale, concernant le mariage Juliette-Mauro,
  2. Violence et crainte subies par l’épouse demanderesse
  3. Simulation totale de la part du mari, partie appelée
  4. Ou au moins simulation du bien de la fidélité de la part du mari
  5. b) dans la cause incidente, concernant le mariage Juliette-Fahim,

            – Violence et crainte subies par l’épouse.

 

Dans la cause incidente, Fahim refusa de comparaître. Il n’avait aucune raison d’intervenir dans un jugement devant un Tribunal de l’Eglise catholique, puisque les époux avaient obtenu une déclaration de nullité du Tribunal de Jérusalem de l’Eglise gréco-orthodoxe, dont ils étaient fidèles tous les deux.

 

La sentence rotale c. Monier, du 26 mai 2000, déclara la nullité du premier mariage (Juliette-Fahim) pour violence et crainte, mais rejeta les trois chefs de la cause principale (Juliette-Mauro).

 

Il nous revient aujourd’hui de juger la cause incidente et la cause principale sous les chefs allégués.

 

 

EN  DROIT

 

  1. LA CRAINTE

 

  1. Le c. 1103 CIC 1983 et le c. 1087 § 1 CIC 1917

 

Le c. 1103 dispose : « Est invalide le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la crainte grave externe, même si elle n’est pas infligée à dessein, dont une personne, pour s’en libérer, est contrainte de choisir le mariage ». Etant donné que le premier mariage a été célébré en 1979, c’est le c. 1087 § 1 du Code Pio-bénédictin qui s’applique : « Est également invalide le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la crainte grave externe, et injustement infligée, dont une personne, pour s’en libérer, est contrainte de choisir le mariage ».

 

Ainsi le précepte de la loi, pour garantir la liberté requise de la volonté, statue que le mariage contracté sous l’effet de la crainte est nul, pour que la crainte soit : a. grave ; b. externe, c’est-à-dire causée par une autre personne, même si elle n’est pas infligée à dessein ; c. en vue du mariage.

 

Au c. 1103 il n’est plus dit que la crainte invalidante doit être injustement infligée.

 

Puisqu’en effet la raison de la loi invalidante se trouve dans la protection de la liberté du contractant, qu’exigent tant la nature même du mariage, qui est « une intime communauté de vie et d’amour conjugal »[1], que la dignité de la personne humaine, et pour que le contractant n’agisse pas sous l’effet d’une contrainte externe, c’est-à-dire sans décision délibérée libre, toute crainte grave provenant de l’extérieur en vue du mariage doit être estimée injustement infligée : l’injustice se trouve dans la limitation même de la liberté ; la contrainte en effet est un moyen injuste qu’aucune cause raisonnable ne peut justifier.

 

  1. Le défaut de discretio judicii et la crainte

 

  1. Le précepte du c. 1103 établit la nullité même abstraction faite du cas de défaut de discretio judicii ou de liberté interne. Dans le consentement donné sous l’effet de la crainte, en effet, le contractant, même s’il est contraint, entend se marier et par conséquent il émet un consentement : contraint il a quand même voulu.

 

La nullité du mariage pour défaut de discretio judicii est déclarée par le droit naturel. La nullité du mariage pour crainte, elle, est déterminée par le droit positif mais en même temps elle est fondée sur le droit naturel.

 

Ces deux chefs de nullité sont proposés de façon subordonnée, puisqu’ils ne peuvent pas exister ensemble, même si la différence entre l’espèce de chacun d’eux ne s’aperçoit pas facilement dans le concret. En cas d’absence de consentement valide pour défaut de discretio judicii, en effet, il n’y a pas lieu de parler d’un consentement donné par crainte puisque le consentement est nul pour le premier chef.

 

  1. Crainte « ab extrinseco » et crainte « ab intrinseco»

 

  1. Dans la doctrine et la jurisprudence de Notre tribunal Apostolique, sous la formule « crainte provenant de l’extérieur » est comprise seulement la crainte infligée par un agent libre, ou en d’autres termes une crainte infligée à autrui par une personne utilisant une violence morale, et non une crainte venant d’une cause naturelle ou nécessaire comme la maladie ou la tempête.

 

La crainte provenant de l’intérieur, de son côté, est comprise comme une crainte « dont la cause immédiate se trouve dans l’agent lui-même, c’est-à-dire une crainte qui tire son origine d’une disposition personnelle, purement subjective, ou de la réflexion de cet agent, par exemple […] de la considération d’une obligation morale ou de convenance sociale, d’une conscience timorée ou de la considération surnaturelle du salut éternel »[2].

 

  1. La crainte révérentielle

 

Dans la rédaction du Code en vigueur ont été ajoutés les mots : même si (la violence ou la crainte grave externe) n’est pas infligée à dessein ». Il n’est donc pas requis que celui qui inflige la crainte veuille ouvertement limiter la libre décision délibérée du contractant : ce qui arrive fréquemment dans le cas de crainte révérentielle, puisque les parents voient la célébration du mariage comme un bien pour leurs enfants ou comme un devoir inéluctable.

 

  1. La crainte révérentielle est dite à juste titre un trouble de l’esprit en raison d’un mal dont l’enfant estime être menacé à cause d’une grave indignation de ses parents.

 

L’objet spécifique de la crainte révérentielle n’est pas seulement l’appréhension que les parents soient affligés, mais plutôt l’indignation prolongée des parents, qui constitue un mal pour leur enfant.

 

La crainte révérentielle se distingue de la crainte commune par son origine, son objet, les moyens employés :

– origine : puisque la crainte a sa cause dans la relation d’affection envers les parents ;

– objet : puisqu’il n’y a pas d’autre mal que la cessation de la bienveillance des parents, c’est-à-dire une indignation prolongée de leur part ;

– moyens employés : puisqu’il s’agit souvent non pas d’une violence au sens strict, mais de persuasion et de prières importunes.

 

« L’Eglise en effet, bien qu’elle reconnaisse aux parents le pouvoir de diriger, d’instruire, d’avertir, et même de contraindre avec modération, leur interdit en même temps d’abuser de ce pouvoir pour imposer un mariage à leurs enfants contre leur gré […]. Dans ce cas, quels que soient les moyens dont se servent les parents : simples indications, invitations, désirs, conseils ou également prières, instances et menaces, cela a par soi-même peu d’importance, sauf si les paroles ou les actions des parents, quel que soit leur enrobage, ont la force et la capacité de briser et de surmonter la volonté de leurs enfants »[3].

 

  1. Gravité de la crainte en général et de la crainte révérentielle en particulier

 

  1. Pour évaluer la gravité de la crainte il est requis en premier lieu que le mal redouté soit en lui-même, c’est-à-dire objectivement, grave, au moins au regard de la personne victime de la crainte.

 

« Pour la gravité de la crainte, il est requis de plus que le mal grave redouté soit, par un jugement prudent et raisonnable de la victime de la crainte, de façon moralement certaine ou au moins très probable, estimé menaçant, c’est-à-dire devoir effectivement être provoqué »[4]. En d’autres termes il faut que les menaces soient sérieusement proférées, de telle sorte que la personne soit persuadée qu’elles doivent être mises à exécution.

 

Lorsqu’il s’agit de la crainte révérentielle, la gravité ne semble pas se trouver seulement dans les menaces proférées, comme celle d’être chassé hors de la maison familiale, mais dans l’indignation prolongée des parents, qui entrave la relation fondamentale de la personne avec eux.

 

Souvent la crainte n’est que révérentielle, lorsque la personne craint la colère de ses parents, mais en certains cas elle peut être mixte lorsque les parents menacent directement d’un mal grave comme l’expulsion de la maison familiale.

 

  1. Contrainte et crainte

 

  1. L’élément invalidant le consentement se trouve dans la contrainte corrélative au mariage. De là vient la crainte « dont, pour s’en libérer, la personne est contrainte de choisir le mariage ». Trois éléments sont donc à prouver au sujet de la crainte : la contrainte externe, la crainte intérieure, le lien causal entre la contrainte externe et la crainte intérieure.

 

Pour qu’un jugement correct soit porté sur la validité mise en doute d’un mariage, il faut évaluer le critère de la contrainte efficiente plutôt que celui de la réaction. En d’autres termes, la question soumise à examen est de savoir si réellement et de quelle manière la liberté du sujet a été brisée, et par quelle force on peut dire que la liberté a été enlevée.

 

On lit dans une cause c. Mattioli : « La crainte est également grave, quand elle est infligée par un ordre éventuellement donné une seule fois, mais de façon si péremptoire que par le fait même elle peut et elle doit être tenue raisonnablement pour avoir enlevé toute force chez le sujet. En effet, pris de peur en raison de cet ordre, le sujet a dû véritablement renoncer à être maître de sa décision, et à son libre arbitre, à moins de préférer, et de pouvoir le faire, affronter l’indignation manifestement grave de l’auteur de l’ordre, c’est-à-dire affronter un mal et un dommage sans aucun doute grave et injuste »[5].

 

  1. Liberté réfléchie et cependant contrainte

 

  1. Pour répondre aux possibles objections sur la libre et raisonnable décision délibérée du mariage, de la part du demandeur en la présente cause, on doit à juste titre citer la jurisprudence rotale sur le mariage contracté avec une liberté réfléchie et cependant contrainte. On lit dans une cause c. Pinna : « La crainte est toujours présente, elle est infligée positivement par une cause libre, elle est grave et elle ne peut pas être évitée, elle persévère jusqu’au jour du mariage, mais la victime de la crainte véritablement infligée a consenti de façon réfléchie. Ce consentement serait un véritable acte de volonté (« bien que contraint, j’ai voulu ») mais il serait juridiquement inefficace pour produire le lien »[6].

 

  1. Consentement « cum metu » et consentement « ex metu»

 

  1. Il faut faire attention à la distinction entre consentement émis « cum metu », avec crainte, et le consentement émis « ex metu », sous l’impulsion de la crainte. Le mariage est censé avoir été décidé sous l’impulsion de la crainte dans le cas où la personne, sans cette crainte, n’aurait pas contracté.

 

On ne dit pas qu’a été contraint quelqu’un qui a suivi simplement la coutume de ses parents ou qui a décidé de se marier pour exaucer le désir de ses parents et leur apporter une consolation.

 

Ne peut pas être dit suivre simplement la coutume de ses parents celui qui, non pas tout de suite ou après une brève hésitation, mais seulement après une très longue résistance, dépassé par des prières importunes ou des moyens injustes et même très forts, accepte le mariage imposé par ses parents.

 

  1. La crainte et l’aversion pour la personne ou pour le mariage

 

  1. La crainte présuppose dans l’esprit du contractant l’existence d’une aversion, soit pour la personne, soit pour le mariage en lui-même, soit pour le mariage à contracter avec telle personne ; et pour que la crainte soit grave il est requis également une aversion grave pour le mariage à contracter à cette époque.

 

Concernant l’aversion il est permis de faire remarquer que l’aversion ne vise pas nécessairement la personne du conjoint, mais elle peut parfois viser le mariage à contracter avec cette personne. « Il peut arriver que la personne plaise comme une amie dont on devra prendre un plaisir charnel, mais que pour divers motifs elle soit rejetée comme épouse. C’est cette répugnance ou aversion, et non une autre, qui certainement doit être prise en compte dans ce genre de causes »[7].

 

Il résulte de cette aversion une présomption de contrainte du fait que l’agent, s’il n’avait pas été contraint, n’aurait pas contracté. Cependant, bien que soit admis le fondement d’une aversion, on ne doit pas nécessairement en conclure qu’il y a eu crainte. La présomption en effet, qui naît de l’aversion, ne s’élève pas à la certitude à moins qu’il ne soit démontré que le contractant a consenti en raison d’une grave contrainte externe à un mariage non voulu.

 

La contrainte externe est un argument direct, c’est clair, et l’aversion interne est un argument indirect.

 

Même si des actes de la cause il est prouvé qu’il y a eu contrainte en vue d’un mariage, il faut veiller à ne pas trop vite conclure à une nullité, en oubliant la question de l’aversion. En effet la crainte provenant de la menace d’un mal grave n’existe pas chez celui qui contracte mariage volontiers ou au moins qui ne le contracte pas contre son gré.

 

Toutefois, si la contrainte est prouvée, l’aversion grave du contractant peut être facilement présumée, puisque les menaces ne sont proférées que pour faire fléchir l’esprit du contractant.

 

  1. Les circonstances pour l’évaluation de la contrainte

 

  1. Enfin il faut faire quelques remarques sur l’importance des circonstances dans l’évaluation de la contrainte. Parfois en effet les coutumes locales et les façons d’agir habituelles déterminent chez le sujet une forme d’esprit telle que celui-ci est incapable de reconnaître les pressions, au moins en tant qu’elles invalident le mariage. Cela peut arriver pour de multiples raisons, plus ou moins liées les unes aux autres, comme les coutumes du pays ou la mentalité propre des parents. S’ajoute la remarque que, bien que le contractant soit conscient de son consentement, il a quand même voulu, tout en étant contraint, et un véritable consentement n’est déclaré inefficace que par la loi. Ce sont des raisons pour lesquelles le critère de réaction n’est pas toujours apte à mesurer la crainte. La vie conjugale menée pendant plusieurs années n’empêche pas de déclarer la nullité du mariage pour crainte.

 

  1. La preuve de la crainte

 

  1. Les éléments de preuve de la nullité du mariage pour le chef de crainte, selon la jurisprudence reconnue de Notre Tribunal Apostolique, semblent les suivants :
  2. La crédibilité du demandeur ;
  3. L’aversion du contractant pour la personne du conjoint, ou pour le mariage à contracter avec lui ;
  4. La déposition de la victime de la crainte ;
  5. La déposition de l’auteur de la crainte et son caractère ;
  6. La déposition des témoins qui ont eu connaissance du consentement donné sous l’effet de la crainte ;
  7. Les circonstances qui rendent crédible le consentement donné sous l’effet de la crainte.

 

 

 

 

 

 

  1. LA SIMULATION TOTALE

 

  1. C. 1101 § 1 : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage.
  • 2 : Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement ».

 

La présomption du droit est donc pour la correspondance entre la déclaration externe et la disposition d’esprit interne du contractant.

 

« On parle de fiction ou de simulation du consentement lorsque le contractant prononce extérieurement, de façon sérieuse et selon le rite, les paroles qui expriment le consentement, mais qu’au fond de lui il ne consent pas »[8].

 

Celui qui simule le mariage lui-même rejette intérieurement la vie commune conjugale ; dans la simulation totale le contractant a la volonté de ne pas contracter, c’est-à-dire qu’il ne veut pas constituer une communauté de toute la vie avec son partenaire ; délibérément et sciemment il entend réaliser un simulacre et il est bien conscient qu’il accomplit un acte nul.

 

Parfois le contractant entend par le mariage poursuivre une fin secondaire, qui n’est pas intrinsèque au mariage lui-même.

 

Il est certain que par le mariage quelqu’un peut atteindre également d’autres fins extrinsèques, comme la richesse, la paix entre les familles, une éminente dignité dans sa charge etc. Ordinairement toutefois ces fins sont atteintes par un mariage célébré correctement et avec une intention droite, puisque ces fins ne s’opposent pas au mariage et ne l’excluent pas.

 

La fin de l’œuvre (finis operis) en effet, selon la jurisprudence de Notre For, ne peut pas être exclue par la fin de l’ouvrier (finis operantis). Celui qui se propose d’attendre une fin simplement différente de la fin de l’œuvre ne vicie pas son consentement et donc ne rend pas nul le mariage.

 

  1. On n’en dira pas autant si, dans l’esprit du contractant, la fin principale, bien plus la fin unique et exclusive, est extrinsèque et que le mariage, relégué à l’état de simple moyen nécessaire, est rejeté dans sa substance et ses obligations par un acte positif de volonté, comme par exemple si un étranger se propose d’acquérir quelque part le droit de cité sans aucune intention d’instaurer un lien conjugal avec ses droits et ses devoirs, ou si une jeune fille enceinte entend mettre au monde son enfant dans un apparent mariage légitime. Dans ce cas en effet il n’y a pas le véritable et obligatoire consentement matrimonial dont le c. 1057 donne la nature.

 

Dans la preuve de la simulation, enfin, il faut accorder une importance très grande à la cause de la simulation, qui doit être apte et proportionnée à induire la simulation et qui, dans l’évaluation du contractant, prévaut sur la cause qui a poussé au mariage.

 

Il faut tenir compte des faits dans leur complexe, puisque les faits sont plus éloquents que les paroles : car les faits provoquent une très forte présomption de l’intention du sujet, pourvu qu’ils soient certains, constants et univoques.

 

 

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DE LA FIDÉLITÉ

 

  1. Celui qui, par un acte positif de volonté, exclut, en émettant le consentement matrimonial, soit l’indissolubilité du lien soit l’unité, c’est-à-dire la fidélité au conjoint, contracte invalidement (cf. c. 1101 § 2), parce qu’il restreint l’objet du consentement de telle sorte qu’il entend contracter un mariage substantiellement différent du mariage canonique.

 

La jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique sur la simulation partielle est bien connue.

 

Il est requis pour la preuve la confession extrajudiciaire du simulant à une époque non-suspecte devant des témoins dignes de foi qui puissent faire en justice état de l’exclusion. Il est requis également une cause de simulation qui doit être grave et surtout proportionnée à la cause qui a poussé au mariage. Lorsqu’il s’agit de l’exclusion du bien de la fidélité, il y a plutôt présomption de violation du droit à la fidélité plutôt que présomption d’exclusion du droit lui-même à la fidélité.

 

Les circonstances qui peuvent concourir à la preuve de la nullité du consentement sont la très grande brièveté de la vie conjugale, le désir de contracter avec une autre personne, le départ soudain de la maison conjugale par la partie en cause.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. PREMIER MARIAGE

CAUSE INCIDENTE SUR LA CRAINTE SUBIE PAR L’ÉPOUSE DEMANDERESSE

 

A première vue, les circonstances de la vie de Juliette, son jeune âge – 15 ans à l’époque du mariage – et son manque d’amour pour Fahim semblent favoriser la thèse de la crainte révérentielle, causée par la mère et le frère aîné de la demanderesse.

 

  1. Les déclarations de Juliette, la demanderesse

 

Juliette a écrit à son avocate, le 19 février 1998 : « Quand je me suis mariée, j’ignorais tout du mariage, de la vie conjugale, du sexe. Alors vous pouvez imaginer le drame de ma nuit de noces ».

 

Dans sa déposition judiciaire elle donne des indications sur ce qui a précédé le mariage : « A treize ans ma mère m’a dit que j’aurais à épouser Fahim, donc que je devenais sa fiancée et que je devais être contente […]. Je n’éprouvais aucun sentiment pour lui […]. Je l’ai dit à ma mère et à ma sœur Diana […]. Je pleurais, mais en vain ».

 

D’ailleurs Juliette a fait trois tentatives de suicide pour éviter le mariage.

 

Etant donné la culture ambiante, Juliette n’a pas eu d’autre solution pour échapper au mariage : « Je n’avais personne pour m’aider […]. Ma mère me disait que personne ne voudrait plus m’épouser, que je déshonorerais ma famille et qu’en plus il faudrait rendre l’argent que Fahim avait déjà donné pour mes fiançailles ».

 

  1. Les témoins

 

Ils confirment pleinement les déclarations de Juliette.

 

La mère de Juliette : « Mes fils et moi avons pris la décision du mariage […]. J’ai réussi à la convaincre […]. Elle ne voulait pas se marier avec Fahim parce qu’elle était mineure et qu’elle ne pouvait pas être responsable d’une telle décision et comprendre la signification du mariage […]. Elle a fini par accepter ».

 

Diana, la sœur de Juliette, ajoute que les professeurs de celle-ci sont intervenus auprès de sa mère pour la convaincre de renoncer à ce mariage, mais « elle voulait voir, avant de mourir, sa fille mariée ».

 

Parmi les frères de Juliette, le plus « intéressant » est Roméo : « La femme, dans une famille, est destinée au mariage. Nos coutumes, sur le mariage des enfants, garçons ou filles, veulent que le chef de famille ait le pouvoir de décider, et s’il n’est plus là ce sont les garçons qui veillent à cela en collaboration avec leur mère ».

 

Les autres témoins affirment que Juliette s’est mariée sous l’effet de la crainte.

 

  1. Les circonstances

 

Juliette n’avait pas encore 16 ans et devait épouser un homme de 28 ans. La différence d’âge rend crédible le refus du mariage par Juliette

 

Elle faisait ses études. Elle était absolument ignorante de ce qui touche à la sexualité, elle ne pouvait pas résister à la volonté de sa mère et de ses frères majeurs.

 

Bref, les Pères ont acquis la certitude que le mariage a été célébré selon les coutumes du pays, à partir du choix fait par la mère et les frères de la demanderesse, et qu’il a été imposé par contrainte à celle-ci.

 

  1. DEUXIÈME MARIAGE

CAUSE PRINCIPALE

 

  1. La crainte subie par la demanderesse

 

La narration des faits est très différente selon la demanderesse, Juliette, et le mari partie appelée, Mauro. On notera qu’à l’époque de son second mariage, Juliette connaissait les réalités de la vie conjugale, qu’elle vivait en Italie et qu’elle y était financièrement indépendante.

 

La cause présente est proposée pour des raisons de conscience puisque le nouveau mari de Juliette souhaite mener une vie chrétienne avec sa famille.

 

Mauro, la partie appelée, aurait raisonnablement intérêt à la nullité de son mariage avec Juliette, mais il y a depuis si longtemps une telle opposition entre les deux époux qu’il faut prendre leurs dépositions avec la plus grande prudence.

 

  1. Juliette

 

« Après mon divorce d’avec Fahim (16 juin 1982), je suis venue en Italie parce que je ne pouvais plus vivre en Palestine après ce qui s’était passé et que je voulais me faire une situation grâce à mes études », raconte-t-elle. A Rome elle a vécu quelque temps chez un de ses frères, ingénieur, qui habitait Rovereto. Elle y a passé 5 ans, tout en travaillant, et a obtenu un diplôme de secrétaire administratif.

 

En 1985 elle a fait la connaissance de Mauro. Un an après ils vivaient ensemble, « y compris la vie intime ». Elle « l’aimait bien », mais elle trouvait qu’il lui prenait son argent, qu’il avait des maîtresses, et que c’était un fainéant.

 

En 1986 elle retourne en Palestine car son permis de séjour pour études était périmé. Mauro vient aussi, en touriste, mais il annonce à la mère de Juliette et à son frère aîné qu’ils sont fiancés, qu’ils vivent ensemble et qu’il voudrait l’épouser, alors, ajoutait-il, qu’elle, « elle ne le veut pas ».

 

La mère de Juliette fait une crise de nerfs et, avec ses fils, elle déclare à sa fille qu’étant donné les circonstances elle doit épouser Mauro. « De toute façon, déclare Juliette au tribunal, si je ne l’avais pas épousé en Palestine, ils ne m’auraient pas laissée repartir en Italie ».

 

  1. Mauro

 

Mauro confirme les faits concernant la période des relations avant le mariage, mais il les présente différemment : « Un mois après avoir fait connaissance, nous avons vécu ensemble, pendant un an. Nous pensions nous marier […]. Au bout d’un an Juliette m’a proposé un voyage en Palestine. J’ai accepté volontiers. Là-bas, Roméo, l’un des frères de Juliette, m’a demandé si j’étais venu pour l’épouser. Je lui ai répondu que j’étais venu comme touriste mais que je n’excluais pas de me marier avec elle […]. Elle a accepté le mariage volontiers, même si sa mère a fait une scène de circonstance ».

 

Mauro rapporte un fait important : « Avant de repartir pour la Palestine, Juliette est allée à l’évêché de Trente pour savoir s’il était possible que nous nous mariions à l’église de Rovereto, mais on lui a répondu que, parce qu’elle était divorcée, ce n’était pas possible ». On voit par là l’intention matrimoniale de Juliette. Même si elle a donné à son avocat une autre explication à sa démarche : « Je voulais savoir si l’annulation de l’Eglise orthodoxe valait aussi pour l’Eglise catholique », cela n’exclut pas mais plutôt confirme qu’elle a au moins envisagé d’épouser Mauro, au début de leur cohabitation.

 

 

  1. Les autres témoins

 

La mère de Juliette est peu cohérente dans ses dépositions, affirmant dans le même témoignage : « ma fille n’était pas libre dans sa décision de se marier. Nous eûmes beaucoup de difficultés à la convaincre […]. Elle a accepté pour ne pas rester au pays ».

 

Selon Diana, sœur de Juliette, Mauro était venu en Palestine comme touriste, mais il avait l’intention d’épouser Juliette et « il a compris que celle-ci ne pouvait pas quitter le pays sans être mariée ».

 

Les autres témoins affirment que Juliette a accepté librement d’épouser Mauro.

 

Il y a encore un autre élément à prendre en considération. Juliette a déclaré elle-même, judiciairement : « En tout cas, si je n’avais pas épousé Mauro, là, en Palestine, (ma mère et mes frères) ne m’auraient pas laissée retourner en Italie », ce que confirme sa mère : « Ma fille a accepté […] pour ne pas rester au pays ».

 

La conclusion s’impose : le mariage a été célébré d’un commun accord, d’autant que Juliette voulait avant tout séjourner en Italie et qu’il fallait pour cela qu’elle soit mariée.

 

La crainte grave qu’elle aurait subie pour son mariage n’est pas prouvée.

 

  1. La simulation totale de la part du mari

 

Alors que Juliette prétend que Mauro « n’a pas voulu contracter un véritable mariage », celui-ci répond qu’il était amoureux d’elle et qu’il lui semblait qu’elle l’était de lui. Il admet avoir eu quelques hésitations avant le mariage, mais uniquement parce qu’il pensait au tort qu’il causait à sa famille à qui il n’avait rien dit de son projet d’épouser Juliette et de plus de l’épouser si loin de ses parents.

 

Si l’on ajoute que le mariage a été célébré dans la joie, on constate qu’il n’y a pas eu de simulation totale de la part du mari.

 

  1. L’exclusion du bien de la fidélité de la part du mari

 

Même si, ce que confirment les témoins, Mauro, aux dires de Juliette, s’est montré violent et infidèle, la violation de la fidélité conjugale ne peut pas être considérée comme un acte positif de volonté contre l’obligation de la fidélité.

 

Il n’y a ni confession judiciaire ni confession extrajudiciaire du mari partie appelée, on ne trouve pas non plus dans les Actes une cause de simulation. Enfin une circonstance est importante : lorsque Juliette a acquis son indépendance économique, c’est elle qui a quitté son mari et non l’inverse.

 

L’exclusion du bien de la fidélité par le mari n’est pas prouvée.

Premier mariage :

 

Constat de nullité pour violence et crainte

subies par l’épouse

 

Second mariage :

 

Non constat pour violence et crainte

subies par l’épouse

Non constat pour la simulation totale

de la part du mari

Non constat pour l’exclusion du bien de la fidélité

de la part du mari

 

 

Agostino DE ANGELIS, ponent

Anton STANKIEWICZ

Giovanni VERGINELLI

 

__________

 

[1] Const. GAUDIUM et SPES, n. 52

[2] G. MICHIELS, Principia Generalia de personis in Ecclesia, Paris 1955, p. 621

[3] C. FIORE, 16 mai 1966, SRRDec, vol. LVIII, p. 303

[4] G. MICHIELS, ouvrage cité, p. 630

[5] C. MATTIOLI, SRRDec, vol. LIII, p. 208, n. 2

[6] C. PINNA, SRRDec, vol. IL, p. 140, n. 4

[7] C. FELICI, 28 juin 1949, SRRDec, vol. XVI, p. 329, n. 23

[8] GASPARRI, Traité du mariage, vol. 2, p. 814

De Angelis 08/07/2009

Coram  DE  ANGELIS

 Défaut de forme

 Tribunal interdiocésain de Z. (France)

8 juillet 2009

P.N. 19.789

Constat de nullité

__________

NOTE  PRÉLIMINAIRE  DU  TRADUCTEUR

La cause présente concerne la validité ou l’invalidité d’un mariage célébré dans une chapelle de la Fraternité Saint Pie X en 1993, c’est-à-dire sous le régime du c. 1117 du Code de Droit canonique, avant sa réforme du 26 octobre 2009 par le Motu Proprio OMNIUM IN MENTEM.

 

Pour faciliter la lecture de la sentence coram de Angelis en cette cause, on trouvera tout d’abord le texte du c. 1117 dans sa rédaction de 1983, puis un large extrait du Motu Proprio Omnium in mentem expliquant les raisons de la modification de ce canon, par la suppression de l’incise « et ne l’a pas quittée (l’Eglise catholique) par un acte formel ».

 

CANON 1117 dans sa rédaction de 1983

 

« La forme établie ci-dessus doit être observée si au moins l’une des parties contractant mariage a été baptisée dans l’Eglise catholique ou y a été reçue, et ne l’a pas quittée par un acte formel, restant sauves les dispositions du can. 1127 § 2 » [ces dispositions concernent les graves difficultés qui peuvent empêcher l’observance de la forme canonique].

 

EXTRAITS DU MOTU PROPRIO « OMNIUM IN MENTEM » (26 octobre 2009)

En outre, puisque les sacrements sont les mêmes pour toute l’Église, il est de la seule compétence de l’autorité suprême d’approuver et de définir les conditions requises pour leur validité, et aussi de déterminer ce qui concerne le rite qu’il faut observer dans leur célébration (cf. can. 841), toutes choses qui valent évidemment aussi pour la forme qui doit être observée dans la célébration du mariage, si au moins une des parties a été baptisée dans l’Église catholique (cf. can. 11 et 1108).

Le Code de Droit canonique établit toutefois que les fidèles, qui se sont séparés de l’Église par un « acte formel », ne sont pas tenus aux lois ecclésiastiques relatives à la forme canonique du mariage (cf. can. 1117), à la dispense de l’empêchement de disparité de culte (cf. can. 1086) et à la permission demandée pour les mariages mixtes (cf. can. 1124). La raison et la finalité de cette exception à la règle générale du can. 11 avaient pour but d’éviter que les mariages contractés par ces fidèles soient nuls pour défaut de forme, ou bien pour empêchement de disparité de culte.

Toutefois, l’expérience de ces années a montré, au contraire, que cette nouvelle loi a engendré de nombreux problèmes pastoraux. D’abord, il s’est avéré difficile de préciser la détermination et la configuration pratique, dans les cas individuels, de cet acte formel de séparation de l’Église, soit quant à sa substance théologique, soit quant à son aspect canonique. En outre, beaucoup de difficultés sont apparues tant dans l’action pastorale que dans la pratique des tribunaux. En effet, on constatait que de la nouvelle loi semblaient naître, au moins indirectement, une certaine facilité ou, pour ainsi dire, une incitation à l’apostasie dans les endroits où les fidèles catholiques sont en nombre limité, ou bien là où sont en vigueur des lois matrimoniales injustes, qui établissent des discriminations entre les citoyens pour des raisons religieuses ; en outre, elle rendait difficile le retour de ces baptisés qui désiraient contracter un nouveau mariage canonique, après l’échec du précédent ; enfin, beaucoup de ces mariages devenaient de fait pour l’Église des mariages en quelque sorte clandestins.

Tout ceci ayant été considéré, et ayant évalué soigneusement les avis et des Pères de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et du Conseil pontifical pour les textes législatifs, et aussi des Conférences épiscopales qui ont été consultées au sujet de l’utilité pastorale de conserver ou bien d’abroger cette exception à la règle générale du can. 11, il est apparu nécessaire d’abroger cette règle introduite dans le corps des lois canoniques actuellement en vigueur.

Nous décidons donc de supprimer dans ce même Code les mots : « et ne l’a pas quittée par un acte formel » du can. 1117, « et ne l’a pas quittée par un acte formel » du can. 1086 § 1, comme aussi « et qui ne l’a pas quittée par un acte formel » du can. 1124.

*

*     *

 

– Le nom de l’Officialité française a été volontairement supprimé.

– L’IN JURE et l’IN FACTO sont intégralement traduits.

– Les noms des parties et des témoins ont été volontairement changés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PLAN  DE  L’IN  JURE

 

  1. L’OBLIGATION À LA FORME CANONIQUE

 

  1. Normes générales

 

  1. Deux exceptions particulières à la norme générale
  2. Empêchement de disparité de culte
  3. La forme à respecter
  4. « Au moins l’une des parties »
  5. « N’a pas quitté l’Eglise par un acte formel »

 

  1. Interprétation stricte du c. 1117
  2. Les excommuniés
  3. Les hérétiques
  4. Ceux qui ont rejeté notoirement la foi catholique
  5. Les schismatiques
  6. Une erreur des juges de 1° instance
  7. Le passage de l’Eglise catholique à une autre Eglise séparée de

l’Eglise catholique

 

  1. La notion de défection de l’Eglise catholique par un acte formel
  2. Ce qui est requis pour un acte formel de défection de l’Eglise
  3. Acte humain, conscient et libre
  4. La situation concrète des fidèles attachés à la Fraternité Saint Pie X

 

  1. Les juges de 1° instance et la non-rétroactivité d’une déclaration du Conseil

Pontifical pour les textes législatifs

  1. Les juges de première instance
  2. Le Conseil Pontifical pour les textes législatifs
  3. Réponse du Tour rotal aux juges de première instance
  4. Autre objection des juges de première instance et réponse du Tour rotal

 

  1. LE DÉFAUT DE FORME
  2. La règle générale
  3. Les prêtres de la Fraternité Saint Pie X
  4. La délégation de la faculté d’assister aux mariages

 

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*     *

EXPOSÉ  DES  FAITS (résumé)

 

Solange Rivière, demanderesse, et Cédric Fréville, partie appelée, se marient le 5 juin 1993 dans une chapelle de la Fraternité Saint Pie X, à Z., en France. La vie commune dure 7 ans et les époux se séparent, puis divorcent le 12 février 2001.

 

Solange s’adresse le 29 juin 2003 au Tribunal ecclésiastique de Z., accusant son mariage de nullité pour défaut de forme canonique. Cédric fait savoir par téléphone au juge, le 31 août 2003, son opposition à la déclaration de nullité et son intention de ne pas intervenir dans le procès. Il fera quand même une déposition en 1° instance.

 

Le Tribunal adopte la forme du procès documentaire. Le juge unique désigné par le Vicaire Judiciaire rend une sentence négative le 26 novembre 2003.

 

La demanderesse présente alors une plainte en nullité contre cette sentence. Le Tribunal rejette cette plainte le 20 décembre 2005. La demanderesse fait appel à la Rote Romaine, où le Tour constitué à cet effet déclare, le 7 juillet 2006, la nullité de la sentence du juge unique du Tribunal de Z., en date du 26 novembre 2003.

 

La cause est donc renvoyée au Tribunal de Z., qui la traite selon la norme du droit et qui, le 18 juillet 2007, rend une sentence négative.

 

La demanderesse fait de nouveau appel à la Rote où le Ponent, le 10 juillet 2008, détermine le doute sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de forme ?

 

Il Nous revient aujourd’hui de prendre une décision au second degré de juridiction.

 

 

*

*     *

 

 

 

EN DROIT

 

  1. Dans la présente cause deux questions sont à résoudre : la première est de savoir si l’un au moins des conjoints était tenu de célébrer son mariage devant l’Ordinaire ou le curé selon la norme du c. 1108, ou bien si les deux conjoints avaient quitté l’Eglise catholique par un acte formel. La seconde question est, en cas de réponse affirmative à la première question, de savoir si le prêtre qui a assisté au mariage avait le pouvoir d’y assister.

 

  1. L’OBLIGATION À LA FORME CANONIQUE

 

  1. NORME GÉNÉRALE

 

  1. Toutes les personnes validement baptisées sont liées par les lois ecclésiastiques, sauf dispense, parce que « l’homme, par le baptême, est constitué personne dans l’Eglise avec tous les droits et devoirs des chrétiens » (c. 87 CIC 1917).

 

Dans le Code en vigueur une norme générale se trouve dans le c. 11 qui dispose : « Sont tenus par les lois purement ecclésiastiques les baptisés dans l’Eglise catholique, ou ceux qui y ont été reçus (…) ».

 

Qu’il soit permis de faire remarquer que, selon ce c. 11, même les excommuniés, les hérétiques, les schismatiques et ceux qui ont quitté l’Eglise sont tenus par les lois de l’Eglise.

 

« Les lois matrimoniales de l’Eglise obligent tous et chacun des baptisés, non seulement catholiques, mais encore hérétiques et schismatiques, à moins que l’Eglise veuille positivement et déclare expressément qu’ils ne sont pas tenus par certaines lois »[1].

 

  1. DEUX EXCEPTIONS PARTICULIÈRES À LA NORME GÉNÉRALE

 

  1. Les dispositions qui suivent sur l’empêchement de disparité de culte et sur la forme canonique constituent des exceptions particulières par rapport à la règle générale ci-dessus rappelée et donc, selon la règle du c. 18, sont soumises à une interprétation stricte.

 

  1. Empêchement de disparité de culte

 

Au sujet de l’empêchement de disparité de culte, la loi prescrit : « Est invalide le mariage entre deux personnes dont l’une a été baptisée dans l’Eglise catholique ou reçue dans cette Eglise et ne l’a pas quittée par un acte formel, et l’autre n’a pas été baptisée » (c. 1086 § 1).

 

  1. La forme à respecter

 

En ce qui concerne la forme à respecter, le c. 1117 prescrit : « La forme établie ci-dessus doit être observée si au moins l’une des parties contractant mariage a été baptisée dans l’Eglise catholique ou y a été reçue, et ne l’a pas quittée par un acte formel […] ».

 

  1. « Au moins l’une des parties»

 

Les paroles du c. 1117 « au moins l’une des parties » confirment que n’a plus de valeur le principe qui était en vigueur çà et là avant le décret Ne temere : « la partie indemne communique son indemnité à l’autre partie », mais, par contre, que le principe opposé est toujours valable : « La partie liée à la forme communique son lien à l’autre partie »[2].

 

  1. « N’a pas quitté l’Eglise catholique par un acte formel»

 

La condition apposée « et ne l’a pas quittée par un acte formel » change toutefois substantiellement la discipline précédente : dans le code pio-bénédictin en effet, on lit : « bien qu’ils l’aient quittée par la suite » (c. 1099 § 1, 1° CIC 1917), et c’est pourquoi les auteurs classiques n’ont pas traité la question du départ formel de l’Eglise, en tant que sans valeur pour la validité du mariage.

 

Dans la première rédaction du canon 1117 du code de 1983, on lisait : « ni ne l’a quittée par un acte formel ou de façon notoire ». Dans la session du 19 octobre 1977 les mots « de façon notoire » ont été supprimés afin que le texte s’accorde avec celui du canon sur l’empêchement de disparité de culte (c. 1086 § 1)[3].

 

La raison de la loi dans ce dernier canon est que sont exemptés de la loi irritante ceux qui ont quitté l’Eglise afin qu’ils puissent exercer le droit naturel à contracter un mariage valide.

 

  1. INTERPRÉTATION STRICTE DU C. 1117

 

  1. La disposition du c. 1117, comme nous l’avons dit plus haut, en tant qu’exception à la norme générale, est soumise à une interprétation stricte : outre le cas de ceux qui ont quitté l’Eglise par un acte formel, elle ne peut pas être étendue aux autres cas.

 

  1. Les excommuniés

 

Ainsi les excommuniés sont tenus à la forme du mariage. Un excommunié en effet n’est pas rejeté par l’Eglise mais il est séparé de la communion ecclésiale pour un temps, jusqu’à ce qu’il vienne à résipiscence et s’éloigne de l’erreur : les censures en effet sont des peines médicinales pour obtenir la conversion du coupable.

 

  1. Les hérétiques

 

De même les hérétiques, c’est-à-dire « ceux qui nient une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique » (cf. c. 751), sont tenus à la forme canonique.

  1. Ceux qui ont rejeté notoirement la foi catholique

 

Pour mettre davantage en lumière la notion de défection formelle de l’Eglise, il faut faire une comparaison entre les c. 1086 et 1117 et le c. 1071 § 1, qui dispose : « Sauf le cas de nécessité, personne n’assistera sans l’autorisation de l’Ordinaire du lieu […] 4° au mariage de la personne qui a rejeté notoirement la foi catholique ». En effet, dans le cas d’une défection notoire de la foi catholique, il est requis l’autorisation de l’Ordinaire du lieu pour une célébration licite du mariage. Il résulte de cela que celui qui a quitté notoirement la foi catholique mais qui n’a pas quitté l’Eglise par un acte formel, demeure toujours dans l’Eglise catholique et est soumis à ses lois.

 

  1. Les schismatiques

 

Les schismatiques, c’est-à-dire « ceux qui refusent la soumission au Souverain Pontife ou qui refusent la communion avec les membres de l’Eglise qui lui sont soumis » (cf. c. 751), sont eux aussi tenus à la forme canonique s’ils n’ont pas quitté l’Eglise par un acte formel.

 

Tout le monde voit la différence entre l’état de celui qui cause le schisme et l’état des fidèles qui, en suivant leurs pasteurs, sont entraînés d’une certaine façon vers le schisme, sans qu’eux-mêmes décident de quitter l’Eglise par un acte positif de volonté.

 

On conclut de tout ce qui a été dit plus haut que la défection de l’Eglise par un acte formel, dont parlent les c. 1086 § 1 et 1170, est une notion plus stricte que l’excommunication, l’hérésie ou le schisme.

 

  1. Une erreur des juges de 1° instance

 

Les Juges de 1° instance n’ont pas suffisamment considéré la distinction entre d’une part l’excommunication ou le schisme et d’autre part la défection de l’Eglise. La sentence de 1° instance note que la Congrégation pour les Evêques, dans son décret d’excommunication du 1° juillet 1988, a fait cette admonition : « les prêtres et les fidèles sont avertis de ne pas donner leur assentiment à l’acte schismatique de Mgr Lefebvre afin de ne pas encourir la même peine ». Les Juges de 1° instance ont donc attribué une importance au simple fait de l’adhésion d’un fidèle à l’acte schismatique et à la peine qui l’a suivi, sans réaliser une analyse suffisante de l’acte positif de volonté d’un fidèle de quitter l’Eglise.

 

  1. Le passage de l’Eglise catholique à une autre Eglise séparée de
    l’Eglise catholique

 

  1. Le passage de l’Eglise catholique à une autre Eglise séparée de l’Eglise catholique, s’il est réalisé par un acte formel, constitue par lui-même une manifestation externe de défection de l’Eglise ; il n’implique cependant pas nécessairement la volonté interne de quitter l’Eglise : il peut se faire en effet que le sujet ne perçoive pas l’incompatibilité de l’adhésion simultanée à diverses Eglises. Dans un pareil cas donc la volonté interne du sujet de quitter l’Eglise peut certes être présumée, mais la preuve du contraire est admise.

 

Le cas se révèle totalement différent quand il s’agit du schisme au moment où il se réalise, parce qu’alors le fidèle ne passe pas de l’Eglise catholique à une autre Eglise. A cet instant, le fidèle, baptisé dans l’Eglise catholique, fait partie de la communauté ou du mouvement plus ou moins dissident, qui restent cependant dans l’Eglise. Au moment où le schisme s’accomplit, même si le fidèle approuve l’action de son pasteur et demeure dans sa communauté, on ne peut pas présumer simplement qu’il a quitté l’Eglise. Et la raison en est que le fidèle peut ne pas nécessairement percevoir l’importance du schisme et émettre un acte délibéré de volonté de quitter l’Eglise.

 

La présomption contraire semble plutôt vraisemblable, c’est-à-dire qu’est plutôt vraisemblable la volonté du baptisé de demeurer dans la communion de l’Eglise catholique, sauf si l’intention contraire est démontrée de façon très solide.

 

  1. LA NOTION DE DÉFECTION DE L’EGLISE CATHOLIQUE PAR UN ACTE

FORMEL

 

  1. En quoi, maintenant, consiste et quels éléments comprend la notion de défection de l’Eglise Catholique par un acte formel ?

 

D’après un commentateur du Code : « on peut retenir que pour la réalisation de l’acte formel requis il faut : un acte effectif de volonté du sujet ; que le sujet ait réellement l’intention d’abandonner l’Eglise ; il faut encore des documents extérieurs selon des formalités reconnues dans l’ordonnancement canonique »[4].

 

  1. Ce qui est requis pour un acte formel de défection de l’Eglise

 

De la même façon que dans l’engagement matrimonial, il est requis, dans l’acte de défection formelle de l’Eglise, tant une volonté interne du sujet qu’une manifestation externe de cette volonté.

 

Il est requis également un sujet qui perçoive la manifestation de la volonté de quitter l’Eglise. On peut appliquer à cette demande ce qui est prescrit par le c. 1330, pour lequel un délit doit être tenu pour non consommé « si personne n’a perçu cette déclaration ou manifestation ».

 

Il n’est toujours pas facile d’interpréter les actions ou les gestes d’autrui, même longtemps et constamment accomplis ; de plus des motifs divers et contradictoires peuvent causer chez quelqu’un une façon d’agir. Il faut donc veiller à ne pas interpréter dans un sens déterminé une conversation non univoque qui entraîne des interprétations différentes.

 

  1. Acte humain, conscient et libre

 

Il faut considérer en outre que la défection de l’Eglise par un acte formel consiste dans un acte humain, c’est-à-dire conscient et libre, du fidèle qui, tout en évaluant la gravité de sa décision, entend néanmoins se détacher librement de l’Eglise.

 

  1. La situation concrète des fidèles attachés à la Fraternité Saint Pie X

 

Il n’est personne qui ne voit que les fidèles attachés à la Fraternité Saint Pie X, si vraiment ils ont perçu l’importance du schisme accompli par Mgr Lefebvre, qui a ordonné d’autres évêques sans le consentement du Siège Apostolique, pouvaient difficilement ou ne pouvaient pas percevoir la gravité ou la malice de leur décision personnelle de rester dans la Fraternité, surtout parce qu’ils prenaient cette décision non pas par mauvaise volonté envers l’autorité du Pontife Romain, mais seulement en raison de leur désir de célébrer la Sainte Messe en latin selon le rite approuvé jusque là par l’Eglise, qui à cette époque n’était suivi que dans la Fraternité.

 

  1. LES JUGES DE PREMIÈRE INSTANCE ET LA NON RETROACTIVITÉ D’UNE

DÉCLARATION DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LES TEXTES LÉGISLATIFS

 

  1. Le tribunal de premier degré a affirmé que la demanderesse avait quitté l’Eglise par un acte formel.

 

  1. Les juges de première instance

 

Les juges du premier degré ont estimé en droit, à tort : « En raison de la non-rétroactivité de l’interprétation authentique fournie par le Conseil Pontifical […] nous n’apprécierons pas l’éventuel abandon de l’Eglise catholique des époux d’après les manifestations aujourd’hui exigées pour prouver l’acte formel de défection de l’Eglise ».

 

  1. Le Conseil Pontifical pour les textes législatifs

 

Le Conseil Pontifical pour les textes législatifs a publié le 13 mars 2006 une déclaration pour expliquer la notion d’acte formel de défection de l’Eglise :

 

« 1. L’abandon de l’Eglise catholique, pour qu’il puisse prendre validement la forme d’un véritable acte formel de défection de l’Eglise, avec également les effets des exceptions prévues par lesdits canons, doit se concrétiser dans :

 

  1. la décision interne de sortir de l’Eglise catholique ;
  2. l’actuation et la manifestation externe de cette décision ;
  3. la réception par l’autorité ecclésiastique compétente d’une telle décision.

 

  1. Le contenu de l’acte de volonté doit être la rupture de ces liens de communion – foi, sacrement, gouvernement pastoral – qui permettent aux fidèles de recevoir la vie de la grâce à l’intérieur de l’Eglise. Cela signifie qu’un tel acte formel de défection […] suppose donc un acte d’apostasie, d’hérésie ou de schisme […].

 

  1. […] L’hérésie formelle ou encore moins matérielle, le schisme et l’apostasie ne constituent pas à eux seuls un acte formel de défection, s’ils ne sont pas concrétisés extérieurement et s’ils ne sont pas manifestés de la manière requise à l’autorité ecclésiastique.

 

  1. […] Un tel acte devra être émis de façon personnelle, consciente et libre.

 

  1. Il est requis en outre que l’acte soit manifesté par l’intéressé sous forme écrite, devant l’autorité compétente de l’Eglise catholique : Ordinaire ou curé propre […][5].

 

Il y a donc trois éléments indiqués par le Conseil Pontifical pour la constitution de l’espèce de l’acte formel de défection de l’Eglise :

 

  1. la volonté interne du baptisé de quitter l’Eglise, volonté qui, par exemple, manque chez ceux qui désirent formellement l’abandon de l’Eglise pour éviter des impôts[6];
  2. la manifestation externe de la volonté, faite par écrit ;
  3. la réception de cette manifestation par l’autorité de l’Eglise, qui se réalise par son annotation dans les registres de baptême.

 

  1. Réponse du Tour Rotal aux Juges de 1° instance

 

Ce document du Conseil Pontifical pour les textes législatifs – ceci est à bien noter – a la forme d’une déclaration, et non d’une interprétation authentique. Une simple déclaration a moins d’importance qu’une interprétation authentique, elle n’a pas besoin de la promulgation dont parle le c. 16 § 2, et elle peut seulement déclarer les paroles de la loi en elles-mêmes certaines, mais non restreindre la loi, ou l’étendre, ou expliquer une loi douteuse. Il s’ensuit que cette déclaration du Conseil Pontifical peut s’appliquer à coup sûr dans le cas présent.

 

  1. Autre objection des Juges de 1° instance et réponse du Tour Rotal

 

Les Juges de 1° instance ont examiné un autre document du Conseil Pontifical pour les textes législatifs, à savoir la réponse donnée en 1997 à l’évêque de Sion[7], selon laquelle la volonté interne « consiste à partager librement et consciemment l’essentiel du schisme, à savoir opter pour les disciples de Mgr Lefebvre de façon telle que ce choix prenne le pas sur l’obéissance au Pape », et selon laquelle aussi le signe évident de la manifestation externe est « la participation exclusive aux fonctions ecclésiastiques lefebvristes, sans prendre part aux fonctions de l’Eglise catholique ».

 

Les Juges ont donc attribué de l’importance au simple fait de la participation dans la communauté schismatique, plutôt qu’à la défection volontaire de l’Eglise, comme si cette dernière était impliquée implicitement dans la première.

 

  1. LE DÉFAUT DE FORME

 

  1. La règle générale

 

« Seuls sont valides les mariages contractés devant l’Ordinaire du lieu ou bien devant le curé, ou devant un prêtre ou un diacre délégué par l’un d’entre eux, qui assiste au mariage, ainsi que devant deux témoins, mais toutefois selon les règles exprimées dans les canons suivants et restant sauves les exceptions dont il s’agit aux canons 144, 1112 § 1, 1116 et 1127 § 1 et 2 » (c. 1108 § 1). Les exceptions ici mentionnées ne se rapportent pas au cas envisagé dans la cause présente.

 

« L’Ordinaire du lieu et le curé […] assistent validement, en raison de leur office, dans les limites de leur territoire, aux mariages non seulement de leurs sujets, mais aussi de ceux qui ne le sont pas, pourvu que l’un ou l’autre soit de rite latin » (c. 1109).

 

  1. Les prêtres de la Fraternité Saint Pie X

 

On remarque tout d’abord que les prêtres de la Fraternité Saint Pie X, qui président à des communautés particulières, ne sont pas nommés curés personnels et ils ne sont pas, par un droit particulier, aequiparés aux curés, comme le déclare une lettre de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi adressée à la Rote le 3 juillet 1997 : « Ce dicastère retient que les prêtres lefebvristes, en l’absence d’une norme spéciale qui les concerne, assistent validement aux mariage, à condition que soient respectées les normes prévues par le droit commun (c. 1108-1111) »[8].

 

  1. La délégation de la faculté d’assister aux mariages

 

  1. En ce qui concerne la délégation de la faculté d’assister aux mariages, le c. 1111 statue :

 

« § 1. L’Ordinaire du lieu et le curé, aussi longtemps qu’ils remplissent validement leur office, peuvent déléguer aux prêtres et aux diacres la faculté, même générale, d’assister aux mariages dans les limites de leur territoire.

  • 2. Pour que la délégation d’assister aux mariages soit valide, elle doit être donnée expressément à des personnes déterminées ; s’il s’agit d’une délégation spéciale, elle doit être donnée pour un mariage déterminé ; s’il s’agit au contraire d’une délégation générale, elle doit être donnée par écrit ».

 

« Il est requis de la part du délégué qu’il connaisse la délégation et qu’au moins implicitement il l’accepte »[9].

 

La délégation est un fait, et les faits ne sont pas présumés, mais doivent être prouvés. Le défaut de délégation toutefois, comme il est une notion négative et non un fait, ne peut pas toujours être prouvé, et c’est pourquoi la partie demanderesse, qui invoque la nullité pour défaut de délégation, ne peut pas exiger une telle preuve, qui n’est pas toujours possible.

 

Si le certificat du mariage ne contient pas la mention de la délégation, alors le défaut de délégation est à juste titre présumé, sauf preuve du contraire. Ceci vaut à plus forte raison lorsque manque tout simplement le certificat du mariage, signé par les parties et les témoins, ce qui arrive la plupart du temps pour les mariages célébrés dans la communauté Saint Pie X.

 

 

EN  FAIT  (traduction intégrale)

 

 

  1. L’OBLIGATION DE LA FORME DU MARIAGE

 

  1. La demanderesse

 

  1. La demanderesse avait 10 ans quand elle est arrivée dans la ville de Z. Là elle a suivi sa mère qui fréquentait la chapelle de la Fraternité Saint Pie X, sous la conduite spirituelle de l’abbé Dufresne, puis de l’abbé Macquart : « Moi, je suis toujours restée là, ma mère y pratiquait, mon père ne pratique pas. Donc j’ai toujours suivi en ayant le sentiment d’être dans la bonne messe », déclare-t-elle.

 

En 1988, au moment du schisme de Mgr Lefebvre, la demanderesse, qui avait 19 ans, a continué à fréquenter la chapelle : « Oui, pensant que Mgr Lefebvre était dans le bon chemin ».

 

Au juge qui lui demande : « Avez-vous eu l’intention d’abandonner l’Eglise Catholique Romaine ? », la demanderesse répond sans équivoque : « Non, pas du tout. Je n’avais pas le sentiment du tout d’être en dehors de l’Eglise ».

 

En l’an 2000, la demanderesse, qui après sa séparation d’avec son mari, vivait chez ses parents avec ses deux filles, a quitté la chapelle de la Fraternité Saint Pie X, et a suivi sa mère dans la chapelle de la Fraternité Saint Pierre, sous la conduite spirituelle de l’abbé Girard. Celui-ci avait pour mission d’accueillir les fidèles qui quittaient la Fraternité Saint Pie X mais qui souhaitaient la célébration de la messe selon la forme de l’année 1962.

 

L’abbé Girard, qui a été témoin, confirme en tous points la déposition de la demanderesse, bien plus il explique mieux pourquoi la demanderesse venait à la Fraternité Saint Pierre : « Je pense qu’elle a suivi tout simplement sa mère […]. Je précise que le prêtre, le père Macquart, a joué un rôle déterminant dans la pratique religieuse des Rivière. L’abbé Macquart a quitté la Fraternité Saint Pie X durant l’été 97 pour se réconcilier avec l’Eglise Catholique et son départ a éclairé Madame Rivière, qui a suivi le même chemin que son pasteur, lequel lui a probablement suggéré de venir à ma messe ».

 

 

 

 

  1. Le manque de dispense de la forme canonique

 

  1. Le mariage entre les parties a été célébré le 5 juin 1993 par l’abbé Macquart, dans la chapelle de la Fraternité Saint Pie X.

 

Aucun certificat de ce mariage n’a été rédigé, sinon une attestation du 17 juillet de la même année signée de l’abbé Leroy. Néanmoins l’annotation du mariage a été faite sur l’acte de baptême de chacune des parties.

 

Le Chancelier de la Curie de Z. a déclaré qu’aucune dispense de la forme canonique n’a été demandée pour le mariage célébré entre les parties le 11 septembre 2003. Il est à noter que le Tribunal de 1° instance a compris le mot « dispense » dans un sens très large, c’est-à-dire celui de dispense ou délégation : « Il est indéniable qu’aucune dispense ou délégation particulière n’a été donnée pour que soit célébré le mariage », et avec raison puisque l’attestation a été demandée dès la présentation du libelle, pour le dossier judiciaire de la présente cause.

 

  1. L’obligation des parties à la forme canonique

 

  1. La question majeure dans la présente cause regarde l’obligation des parties à la forme canonique du mariage.

 

Les Juges de première instance ont traité cette question en présumant, en droit, la non-rétroactivité de la déclaration du Conseil Pontifical pour les textes législatifs du 13 mars 2006, et donc ils ont suivi des critères de jugement qui ne convenaient pas.

 

Des trois éléments qui doivent se trouver ensemble pour configurer l’espèce de l’acte formel de défection de l’Eglise, il n’y en a pas un seul dans la présente cause :

 

  1. Il manque la volonté interne, puisque la partie demanderesse a de bonne foi suivi sa mère et le prêtre dans les questions ecclésiastiques, et a absolument nié sa volonté de quitter l’Eglise : « Avez-vous eu l’intention d’abandonner l’Eglise Catholique Romaine ? » La demanderesse a répondu sans équivoque : « Non, pas du tout. Je n’avais pas le sentiment du tout d’être en dehors de l’Eglise ».

 

  1. Il manque la manifestation extérieure, c’est-à-dire l’acte formel de défection, puisque la partie a été éduquée dès son enfance dans la Fraternité Saint Pie X : on doit considérer en effet la circonstance qu’à cette époque la Fraternité n’était pas, de façon sûre, une communauté schismatique mais seulement en quelque façon une communauté dissidente de l’autorité de l’Eglise. En 1988, lorsque Mgr Lefebvre a fait son schisme, la demanderesse, qui a suivi son maître spirituel, a approuvé cette façon d’agir, et d’une certaine façon elle était consciente de participer à une communauté schismatique, mais par elle-même elle n’a jamais réalisé consciemment et librement un acte déterminé de défection de l’Eglise.

 

  1. Comme manque l’acte déterminé de défection, il ne peut par le fait même y avoir l’existence du troisième élément, c’est-à-dire l’acceptation par l’autorité de l’Eglise.

 

Un argument plus évident se trouve dans ce qu’il ne s’agit pas dans la cause présente d’un passage de l’Eglise catholique à une autre Eglise séparée, mais de la permanence du sujet dans une communauté qui marchait vers le schisme, et c’est pourquoi il n’y a aucune raison de présumer chez le sujet l’intention intérieure de quitter l’Eglise catholique.

 

Les choses étant ainsi, on ne peut que conclure que la demanderesse, à l’époque de son mariage, n’avait pas quitté l’Eglise Catholique par un acte formel, et qu’elle était tenue à la forme canonique du mariage.

  1. La position du mari, partie appelée

 

  1. Il est absolument inutile de s’interroger sur la position du mari partie appelée, puisque la partie liée à la forme communique ce lien à l’autre partie.

 

Qu’il soit permis néanmoins d’ajouter que le mari partie appelée affirme que tout en étant au courant de l’excommunication de Mgr Lefebvre il a persévéré dans la fréquentation de la Fraternité, mais par les réponses suivantes il expose le caractère non schismatique de sa persévérance : « Je trouvais que la messe y était très bien, en latin comme toujours » et au juge qui lui demande : « Avez-vous eu l’intention d’abandonner l’Eglise Catholique Romaine ? », il répond : « Non, je n’ai pas abandonné le Vatican. Pour moi, c’était bien ; j’étais dans le bien ». La partie appelée n’a pas quitté non plus l’Eglise catholique par un acte formel.

 

  1. La participation des époux aux sacrements dans le Fraternité

 

  1. Les Juges de première instance ont fondé un argument pour la défection de l’Eglise dans la persévérance extérieure, c’est-à-dire le fait que les parties avaient, de façon continue, participé aux sacrements de la Fraternité et jamais dans d’autres communautés de l’Eglise catholique : « Les faits prouvent que Solange et Cédric ont librement et personnellement opté pour les disciples de Mgr Lefebvre de façon que ce choix a pris le pas sur l’obéissance au Pape ». Ils n’ont pas prêté attention aux dépositions judiciaires par lesquelles les parties ont absolument nié avoir eu la volonté interne de se séparer de l’Eglise.

 

  1. Position du défenseur du lien, et critique de cette position

 

Le défenseur du lien, tout en affirmant que « les éléments de preuve ne conduisent pas à établir l’existence du défaut allégué » admet de fait qu’« il n’est d’aucune importance que dans les actes manque le document de la concession d’une dispense ou de la délégation » et il propose ses remarques uniquement pour nier l’obligation des parties à la forme canonique.

 

L’argument du défenseur du lien procède d’une prémisse : « Les parties, non seulement ont fréquenté la communauté lefebvriste schismatique et n’ont jamais participé à la célébration du culte divin dans l’Eglise catholique, mais ont été des parties conscientes de la séparation doctrinale du mouvement en question », et il en déduit : « Il est clair que les parties ont adhéré formellement au mouvement lefebvriste », et il conclut « et c’est pour cela qu’ils ont implicitement quitté l’Eglise catholique ».

 

Un tel argument ne peut se soutenir, d’une part parce qu’il considère la Fraternité Saint Pie X comme une Eglise complètement séparée de l’Eglise catholique, alors au contraire qu’il s’agit d’une communauté dissidente, et d’autre part parce qu’il présume une volonté de quitter l’Eglise, que les parties ont fermement niée dans leurs dépositions.

 

  1. LE DÉFAUT DE FORME

 

La question du défaut de forme est facile à résoudre puisqu’on connaît la pratique habituelle des prêtres de la Fraternité Saint Pie X de ne pas demander la délégation de l’Ordinaire ou du curé requise pour la validité du mariage, comme il en est dans le cas présent et comme il est prouvé.

 

On remarque tout d’abord que les prêtres de la Fraternité Saint Pie X qui président à chaque communauté ne sont pas nommés curés personnels ni ne sont aequiparés aux curés par un droit particulier.

 

Les actes de la Chancellerie de la Curie de Z. contiennent une déclaration du 11 septembre 2003 attestant « qu’aucune demande de dispense particulière pour le mariage de Mademoiselle Solange Rivière […] n’a été demandée à l’Archevêché de Z ».

 

Cette déclaration concerne explicitement la dispense de la forme canonique mais elle peut aussi se comprendre normalement de la délégation pour assister au mariage donnée par l’Ordinaire.

 

Au juge qui lui demandait si elle avait sollicité la dispense, la demanderesse a répondu : « Non, parce que je ne le savais pas. C’est par la suite que l’abbé Girard m’a expliqué que le prêtre aurait dû demander la dispense à l’évêque de Z. Moi, je pensais que tout était bien. L’abbé Macquart qui m’avait mariée en 1993 a répondu à ma mère qui l’interrogeait – c’était en 2000 – qu’en effet il n’avait pas demandé la dispense. Donc je connais l’obligation de cette dispense depuis seulement trois ans ».

 

L’abbé Dumoulin confirme pleinement la déposition de la demanderesse lorsqu’il nous rapporte que l’abbé Macquart qui a célébré le mariage, qui avait quitté la Fraternité dont il était le prieur, et qui a été interrogé par la mère de la demanderesse, a répondu « ne pas avoir eu à ce moment-là la juridiction pour recevoir validement les consentements ».

 

On lit dans une lettre de l’abbé Macquart adressée à la mère de la demanderesse : « De toute façon, la juridiction est nécessaire pour un mariage valide et la Fraternité Saint Pie X en est dépourvue, et moi-même, comme prieur à Z., je n’ai jamais obtenu une quelconque délégation pour assister validement aux mariages ». Cette lettre, jointe aux autres actes, fait preuve plénière du défaut de forme.

 

 

Constat de nullité pour défaut de forme

 

 

Agostino DE ANGELIS, ponent

Gerald Mc KAY

Abdou YAACOUB

 

Sentence transmise au Tour d’appel

 

 

__________

 

[1] CAPPELLO, De Sacramentis, vol. V, Rome 1947, p. 56, n. 66

[2] WERNZ, Jus Decretalium, vol. 4/2, n. 188

[3] Cf. COMMUNICATIONES 1978, p. 96-97

[4] CODICE COMMENTATO, ed. Ancora, p. 880

[5] Attività della Santa Sede 2006, p. 952

[6] Note du traducteur : le Kirchensteuer allemand, par exemple

[7] Publiée dans la Documentation catholique le 6 juillet 1997, n. 2163

[8] Past. 1144/69

[9] CAPPELLO, De Sacramentis, vol. V, Rome 1947, p. 662, n. 675