DE ANGELIS 24/02/2010

DE ANGELIS 24/02/2010

Coram  DE  ANGELIS

 Exclusion du mariage lui-même

Défaut de discretio judicii

 Bogota (Colombie) – 24 février 2010

P.N. 19.689

– Constat de nullité

pour simulation totale du mari

– Non Constat

pour le défaut de discretio judicii

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. Généralités sur la simulation

 

  1. La simulation totale et ses espèces

 

  1. La preuve et la certitude morale

 

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Cesar A., demandeur, et Pilar N., épouse partie appelée, après six ans de fréquentations, se marient le 14 mars 1997. La vie conjugale, sans enfant, dure trois ans. Le mari, continuant une relation ancienne avec une autre femme, quitte son épouse en 2000.

 

Le 29 octobre 2003, Cesar présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Bogota, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour défaut de discretio judicii de la part de chacun des époux et pour simulation de sa part. Le doute est concordé le 26 novembre 2003 sur le défaut de discretio judicii, et, de façon subordonnée, sur l’exclusion par le mari du mariage lui-même ou d’un de ses éléments essentiels. Une expertise est réalisée. La sentence du Tribunal de Bogota, du 29 juillet 2005, est négative sur tous les chefs.

 

Le Tribunal d’appel de Colombie concorde le doute sous la formule : « La sentence de première instance doit-elle être confirmée ou infirmée ? », et le 18 août 2005 rend une sentence qui infirme en partie celle de la 1° instance : constat de nullité pour exclusion du mariage lui-même par le mari et pour défaut de discretio judicii de la part de l’épouse ; non constat pour le défaut de discretio judicii de la part du mari.

 

La cause est transmise à la Rote où le doute, en date du 20 avril 2006, est déterminé sous la formule : « La sentence définitive du Tribunal d’appel de Colombie doit-elle être confirmée ou infirmée ? ».

 

*     *     *

EN  DROIT

 

  1. Généralités sur la simulation

 

  1. « § 1. Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage.
  • 2. Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles concluent invalidement ».

 

Il y a donc une présomption du droit pour la correspondance entre la déclaration externe et l’esprit interne du contractant.

 

« La fiction ou simulation du consentement matrimonial se vérifie lorsque le contractant profère extérieurement, de façon sérieuse et correcte, les paroles qui expriment le consentement, mais qu’il ne consent pas intérieurement »[1].

 

Celui qui simule le mariage lui-même rejette intérieurement la communauté conjugale ; dans la simulation totale le contractant a l’intention de ne pas contracter, c’est-à-dire ne veut pas constituer avec son partenaire une communauté de toute la vie ; consciemment et sciemment il entend accomplir un simulacre et il est bien conscient qu’il fait un acte nul.

 

  1. La simulation totale et ses espèces

 

  1. La simulation totale comporte plusieurs espèces, selon la jurisprudence de Notre For, comme l’expose une sentence coram Stankiewicz du 29 janvier 1981[2]:

« a. Celui qui ne donne aucun consentement à la chose, c’est-à-dire qui a l’intention de ne pas contracter, mais, comme on dit, qui préfère jouer la comédie ;

  1. Celui qui exclut le mariage lui-même ou l’autre personne contractante, ou qui ne se propose pas d’épouser celle-ci, et ne donne absolument pas son consentement à la personne susdite ;
  2. Si le contractant, par un acte positif de la volonté, exclut la société permanente entre l’homme et la femme ordonnée à la procréation d’enfants, c’est-à-dire la communauté de toute la vie ordonnée au bien des conjoints et au bien des enfants ; ou, de façon impropre, si le contractant veut absolument l’exclusion du sacrement, de telle façon que dans l’hypothèse d’un véritable sacrement il ne veut pas contracter, ou, ce qui a le même résultat, s’il célèbre un mariage pour la forme, du moment qu’il rejette le contrat naturel, parce qu’un acte accompli pour la forme ne contient pas toujours l’exclusion de la chose qui est réalisée. »

 

  1. La preuve et la certitude morale

 

  1. Il faut tenir compte des faits dans leur complexe, parce que les faits sont parfois plus éloquents que les paroles. Les faits, on le sait, ne prouvent pas par eux-mêmes l’intention, mais ils offrent une forte présomption d’intention, pourvu qu’ils soient certains, constants, univoques.

 

En l’espèce il faut prêter attention à la règle du Docteur Angélique. « Toutefois la certitude ne doit pas être cherchée de la même façon en toute matière. Dans les actes humains, en effet, sur lesquels se constituent les jugements et sont exigés des témoignages, il ne peut pas y avoir de certitude démonstrative, du fait qu’ils concernent des choses contingentes et variables, et donc il suffit qu’il y ait une certitude probable qui atteigne la vérité sur de nombreux points, même si elle s’écarte de la vérité sur un petit nombre d’éléments »[3].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. Le mari

 

  1. Les sentences de première et de deuxième instance

 

La sentence de deuxième instance, rendue en faveur de la nullité du mariage, conclut ainsi ses considérations « en fait » : Nous pensons qu’est prouvée l’exclusion du mariage lui-même de la part du mari […]. C’est le mariage lui-même qu’il a rejeté […]. Il avait promis de se marier, mais il n’avait pas l’intention de le faire et il s’est marié en rejetant justement, non pas l’unité du mariage, mais le mariage lui-même. On ne peut pas considérer comme possible, chez le mari, un grave défaut de discretio judicii en même temps que l’exclusion du mariage lui-même : c’est de la simple logique juridique. Chez l’épouse le manque de discretio judicii est évident.

 

En première instance la sentence avait été négative en raison de l’incertitude des juges sur l’objet de la simulation : était-ce le mariage lui-même ou l’un de ses éléments essentiels, c’est-à-dire le bien des enfants ?

 

La sentence de seconde instance a été affirmative pour exclusion du mariage lui-même, mais si quelqu’un exclut le mariage lui-même, il exclut également ses propriétés et ses éléments essentiels. En conséquence, que la décision de la troisième instance déclare la simulation totale ou une simulation partielle, elle sera de toute façon conforme à la sentence de deuxième instance qui a déclaré la simulation totale.

 

  1. La confession judiciaire du demandeur

 

Le demandeur, Cesar A., qui a proposé la cause présente pour la paix de sa conscience, déclare dans son libelle qu’il n’a jamais contracté validement : lors de l’émission de son consentement, il avait la volonté ferme de ne pas s’unir dans le mariage avec Pilar.

 

Cesar prétend que sa fiancée était une personne dominatrice et il raconte que pendant leurs fréquentations il y a eu une période de 3 ans où ils avaient pratiquement rompu. Pilar a ensuite tellement insisté pour qu’ils se marient (« Ou nous nous marions, ou c’est fini entre nous ») que Cesar a cédé, mais avec la ferme intention de ne pas se lier : « Pendant la cérémonie religieuse de notre mariage, je me sentais absent, comme faisant quelque chose que je ne voulais pas faire », ce qu’il a redit à l’expert lors de son audition par celui-ci, et ce qu’il a confirmé lors de l’instruction de seconde instance.

 

 

  1. Les causes éloignée et prochaine de la simulation

 

La cause éloignée de la simulation se trouve dans l’égoïsme anormal de Cesar, qui n’a pas hésité dans son libelle à se dire : « uniquement intéressé, centré et concentré sur la satisfaction de ses désirs et sur ses succès personnels ». Pilar, de son côté, décrit Cesar comme un égoïste, un introverti, peu bavard, ne parlant pas à sa famille, ayant peu d’amis, manipulateur, ce que confirment les témoins.

 

La cause prochaine de la simulation vient, comme la cause du mariage, de la mise en demeure de Pilar : « Ou nous nous marions, ou c’est fini entre nous ». C’est ainsi que Cesar a accepté une célébration de mariage, mais avec la ferme intention, dans son esprit et dans sa volonté, de garder sa liberté. Pilar savait que son fiancé avait une relation avec une autre femme et qu’il lui était infidèle, mais « elle l’aimait ».

 

Tous les témoins en la cause parlent du manque évident d’amour de Cesar pour Pilar et de la comédie de leur communauté conjugale.

 

Le fait que le mari demandeur ait quitté son foyer et mis fin à son union avec Pilar confirme qu’il avait bien exclu tout lien en se mariant.

 

  1. L’exclusion des biens du mariage

 

En ce qui concerne le bien de la fidélité, la maîtresse de Cesar reconnaît sa liaison avec lui, ce que confirment d’autres témoins.

 

Pour les enfants, Cesar n’en voulait pas, comme le disent de nombreux témoins, dont la mère du demandeur, la déposition de celle-ci montrant non seulement la volonté du mari vis-à-vis des enfants, mais une motivation proportionnée de garder sa liberté vis-à-vis de Pilar.

 

  1. Conclusion

 

L’acte positif de volonté d’exclusion, de la part du mari, ressort donc de la confession judiciaire et extrajudiciaire de celui-ci, mais aussi et surtout des faits relatés par la partie appelée et les témoins.

 

En conclusion les Pères soussignés décident de confirmer la sentence de deuxième instance pour simulation du consentement de la part du mari demandeur. Celui-ci a exclu le bien du sacrement, le bien de la fidélité, le bien des enfants. En outre il a voulu une célébration mais il a rejeté l’état conjugal. On peut donc raisonnablement parler d’exclusion du mariage lui-même, comme l’ont déclaré les Juges du Tribunal d’appel.

 

La décision affirmative relative à la simulation du consentement postule logiquement une décision négative sur le défaut de discretio judicii du mari, comme l’ont dit les Juges d’appel. Ce chef, d’ailleurs, refusé en 1° et en 2° instance, n’est pas à traiter en troisième instance.

 

  1. L’épouse

 

Quant au défaut de discretio judicii de la part de l’épouse, les Pères soussignés remarquent qu’il n’y en a pas de preuve dans les actes. Certes on peut parler de fragilité mentale chez Pilar, mais pas de perturbations graves. Les Juges du Tribunal d’appel ont rendu sur ce point une sentence affirmative en s’appuyant seulement sur le fait que l’épouse a accepté d’épouser Cesar alors même qu’elle en connaissait les défauts, mais Pilar a elle-même répondu qu’elle aimait Cesar.

 

On peut dire que Pilar s’est mariée aveuglée par son amour, mais il n’y a pas là une source de défaut de discretio judicii. Le passage d’un choix matrimonial erroné à un défaut de discretio judicii chez le sujet qui décide de se marier est un passage illégitime, qui se fonde sur une simple présomption.

 

– Constat de nullité

pour simulation totale du mari

– Non constat

pour le défaut de discretio judicii

chez l’épouse

 

– Vetitum pour le mari

 

 

Agostino DE ANGELIS, ponent

Anton STANKIEWICZ, doyen

Abdou YAACOUB

 

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[1] GASPARRI, Tractatus de matrimonio, vol. 2, n. 814

[2] C. STANKIEWICZ, 29 janvier 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 47, n. 6-7

[3] SAINT THOMAS, Somme Théologique, Ia IIae, q. LXX, art. 2

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.