Coram MONIER
Grave défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer
Simulation partielle
Tribunal régional du Latium (Italie) – 27 novembre 2009
P.N. 19.731
Constat de nullité
pour les deux premiers chefs
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PLAN DE L’IN JURE
- L’INCAPACITÉ
- LE CONSENTEMENT
- Les qualités requises pour le consentement
- Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique
- La nécessaire liberté
- La liberté et les impulsions intérieures et extérieures
- La nécessaire gravité de défaut de discretio judicii
- L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
- Les obligations essentielles du mariage
- L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique
- L’immaturité psycho-affective
- Le Trouble Dépendant de Personnalité
- LE RÔLE DES EXPERTS ET DES JUGES
- Les experts
- Les juges
- LA SIMULATION PARTIELLE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Raffaele M. et Maria P., médecins l’un et l’autre, s’étaient rencontrés en 1975 à la Polyclinique Gemelli de Rome où ils se spécialisaient en cardiologie. Raffaele déclare que leur relation a été rompue à la fin de leurs études, ce que conteste Maria. En juillet 1979 ils décident de se marier, ce qu’ils font le 29 septembre de la même année.
La vie conjugale, au cours de laquelle naît un unique enfant, dure 18 ans mais en 1996 elle connaît l’échec, l’époux ayant des relations avec une autre femme et, de plus, quittant le foyer conjugal. C’est pourquoi Maria demande à la justice civile la séparation légale, prononcée le 25 juin 1999.
Le 23 mai 2000, Raffaele s’adresse au Tribunal ecclésiastique régional du Latium, accusant son mariage de nullité pour défaut du consentement matrimonial en raison de l’exclusion du bien du sacrement de sa part. Le 31 janvier 2002, à la demande de l’avocat de Raffaele, un nouveau doute est concordé sur les chefs de grave défaut de discretio judicii sur les droits et les devoirs essentiels du mariage et/ou sur l’incapacité d’assumer, pour des causes de nature psychique, les obligations essentielles du mariage, de la part du mari, et également, si ces chefs étaient rejetés, sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari.
Des expertises sont réalisées. Le 14 mars 2005 le Tribunal rend une sentence affirmative, mais ne retient pour la nullité du mariage que le grave défaut de discretio judicii chez le mari demandeur. L’épouse fait appel à Notre Tribunal, qui reprend les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer et, si ceux-ci sont rejetés, le chef d’exclusion du bien du sacrement de la part du mari. Une expertise est réalisée en cette seconde instance.
EN DROIT
- L’INCAPACITÉ
- LE CONSENTEMENT
- Le concile Vatican II enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour, qui constitue l’alliance matrimoniale, doit naître d’un acte humain « par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement »[1].
- Les qualités requises pour le consentement
A son tour la Loi canonique établit : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » (c. 1057 § 1).
Dans cette entreprise d’un poids considérable il est requis de la part de ceux qui se marient l’interaction harmonique et nécessaire des facultés supérieures pour accomplir un acte véritablement humain.
La loi statue également que sont incapables de contracter mariage les personnes : « 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».
- Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique
- Le consentement matrimonial n’est pas le fruit d’un jugement purement spéculatif puisqu’une détermination consciente implique nécessairement un jugement pratico-pratique.
Dans le processus particulier de la formation du consentement, la faculté critique, qui se définit comme une force de jugement et de raisonnement, se porte sur l’objet de la donation réciproque et, après une délibération sérieuse où sont pesés tant les motifs favorables que les motifs contraires, celui qui se marie se forme un nouveau jugement pratico-pratique sur l’opportunité ou non de contracter.
Dans ce domaine, une sentence c. Huber nous donne, au sujet de la coopération de l’intelligence et de la volonté, l’enseignement suivant :
« Cette coopération de l’intelligence et de la volonté se déroule en trois phases.
La première est l’appréhension du vrai. L’intellect examine tous les éléments relatifs à l’acte que l’on veut accomplir. Il scrute l’objet dans l’absolu, sous la nature du vrai, mais il n’ordonne pas à l’œuvre ce qu’il appréhende. C’est pourquoi l’intellect est appelé spéculatif ou contemplatif.
La seconde phase est le jugement. Il s’agit du conseil, qui consiste en une comparaison ou un rapprochement entre une chose et une autre. Le conseil est l’enquête de la raison avant le jugement sur les choix à faire. Ce jugement regarde la praxis et donc il se rapporte à l’intellect pratique ou actif.
La troisième phase est l’electio, le choix délibéré. S. Thomas le définit ainsi : ‘L’electio est l’acceptation ultime par laquelle quelque chose est reçu pour être recherché. L’electio n’est pas un acte de la raison, mais de la volonté’[2] »[3].
- La nécessaire liberté
- D’autre part la discretio judicii comporte une liberté suffisante. Dans ce domaine, la question de l’activité inconsciente dans le processus de formation du consentement est très difficile. En tout cas, comme l’enseigne très souvent la Jurisprudence de Notre For : « Il y a une véritable liberté interne lorsque la détermination de la volonté, qu’on appelle electio, est libre de toute détermination intrinsèque à un seul objet, de telle sorte que la volonté puisse agir ou ne pas agir, faire une chose ou son contraire à partir de considérations proposées par un jugement indifférent. La liberté interne fait défaut si la volonté, sans qu’il y ait une lésion manifeste de l’intellect spéculatif, est déterminée à partir du fait que l’intellect pratique ne peut absolument pas ou au moins peut de façon insuffisante estimer les motifs de l’electio»[4].
Pour accomplir un acte véritablement humain dans le consentement matrimonial, la nécessité de la liberté doit toujours être reconnue parce que, si la liberté fait défaut, le mariage est nul. Les Pères du Concile Vatican II ont parfaitement enseigné : « La vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine. Car Dieu a voulu le laisser à son propre conseil pour qu’il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l’homme exige donc de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure »[5].
- La liberté et les impulsions intérieures et extérieures
Il faut remarquer que, si le droit naturel postule la liberté de la volonté comme une condition sine qua non dans la décision délibérée du mariage, l’absence de toute impulsion n’est cependant pas nécessaire, et en même temps, celui qui se marie doit être capable d’y résister. Comme l’enseigne la jurisprudence de Notre For : « En d’autres termes il y a liberté interne lorsque la personne, et en l’espèce celui qui se marie, a la faculté de se déterminer lui- même de l’intérieur, ce qui assurément n’exige pas l’absence générale des impulsions qui proviennent du caractère, de la vie menée, des circonstances existentielles, de l’éducation, de la façon de se conduire, ainsi que des schémas de la loi morale. La liberté peut parfaitement exister avec des impulsions internes de ce genre, mais elle requiert la capacité de leur résister »[6].
- La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii
Dans ce genre de causes il ne faut pas oublier la gravité du défaut de discretio judicii, comme la loi l’exige. Cette gravité « se mesure selon deux critères : le premier est la condition psychique du contractant, le second est la gravité des droits et des devoirs essentiels du mariage, avec lesquels les actions psychiques du contractant doivent garder une proportion. A moins qu’à partir des Actes n’émerge chez la personne une perturbation psychique antérieure au mariage, on peut difficilement prouver un grave défaut de discretio judicii »[7].
- L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
- Les obligations essentielles du mariage
- La raison de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage est à trouver dans la célèbre règle du droit selon laquelle « personne ne peut être obligé à l’impossible ».
Dans le cas de cette incapacité il ne s’agit pas d’une simple difficulté, mais d’une véritable incapacité de disposer de l’objet du consentement puisque chez le sujet les forces psychiques dans l’ordre de l’exécution excèdent les obligations essentielles du mariage.
Ces obligations essentielles, comme on le déduit des c. 1055, 1056, reposent sur les trois biens traditionnels : obligation de garder la fidélité, de respecter l’indissolubilité ainsi que l’obligation d’accepter la procréation et l’éducation des enfants.
Aujourd’hui, et depuis de longues années, est consolidée la doctrine qui non seulement requiert la capacité d’assumer les obligations dont nous parlons, mais elle comprend également comme un élément essentiel l’habilité à faire naître et à soutenir la communauté de vie ordonnée au bien des conjoints. A ce sujet Mgr Pompedda écrit : « C’est pourquoi les parties ont droit aux moyens par lesquels les fins peuvent être atteintes. Les droits inclus dans les trois biens traditionnels ne semblent pas suffire. Il est requis en plus le droit à la communauté de vie, décrite dans les Saintes Ecritures comme une ‘aide’ et assumée par le Concile Vatican II sous l’expression ‘union intime des personnes et des activités’[8] »[9].
- L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique
La loi exige également que l’incapacité dont il s’agit ait son fondement dans des causes de nature psychique. Dans le domaine de la cause de nature psychique et de son lien avec l’incapacité en question, une sentence c. Stankiewicz fait remarquer : « L’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, selon la teneur de la loi ecclésiale, ne peut provenir que de causes de nature psychique […], mais non d’autres causes, physiques ou morales, comme par exemple un vice moral invétéré, contraire à l’un des devoirs du mariage, ou l’absence de telle vertu qui rend très difficile l’observance des obligations conjugales. Cette incapacité empêche d’assumer les obligations essentielles en raison du défaut de maîtrise ou de puissance psychique de la part du contractant sur ses actions futures et ses raisons d’agir, qui comportent l’accomplissement des obligations […]. En effet un tel défaut de la puissance volitive de gouverner les impulsions qui prévalent sur les obligations essentielles peut rendre leur observance et leur accomplissement non seulement difficile mais également impossible. Il s’agit assurément d’une structure anormale et perturbée de la vie psychique de la personne du contractant, qui empêche de par sa nature même d’assumer soit toutes les obligations essentielles du mariage ou seulement certaines d’entre elles. Et cela arrive indépendamment d’une espèce nosographique dénotant une pathologie psychique jointe, soit que celle-ci ait un caractère organique soit qu’elle ait un caractère fonctionnel »[10].
- L’immaturité psycho-affective
- Sous la formule générale « de nature psychique », la loi ne requiert pas une maladie mentale au sens strict, ou une véritable psychopathie, mais il suffit d’une désorganisation tirant son origine d’une cause psychique, comme l’immaturité psycho-affective, pourvu qu’elle empêche l’exercice correct de la faculté critique ou la capacité d’assumer les obligations essentielles du mariage. A coup sûr il ne faut pas confondre cette immaturité avec une immaturité envisagée au sens large ou connexe à l’âge.
Selon la discipline des auteurs reconnus dans la science psychiatrique reçue, cette immaturité « consiste dans un mode d’agir incongru et infantile de la part d’un adulte, soit en raison d’un défaut d’autonomie fonctionnelle dans la conduite personnelle, soit en raison d’un défaut d’évolution de la personnalité ou du caractère »[11].
Quant aux symptômes de ce type d’immaturité, nous trouvons l’incapacité de gouverner ses désirs et ses passions, un lien très étroit avec les parents, l’égoïsme, l’irresponsabilité dans l’accomplissement des obligations du mariage. Une sentence c. Turnaturi note à ce sujet : « Dans la dimension de la pathologie psychique ou de défaut d’équilibre psychique, on compte aussi l’immaturité psycho-affective dépendant d’une personnalité désordonnée, ou la personnalité psycho-agressive, ou une structure désorganisée de la personnalité marquée ou dominée par des signes graves de comportement antisocial ou de narcissisme, en raison de l’égoïsme ou de l’égocentrisme du sujet, qui fait obstacle à la constitution de la communauté conjugale en ce qu’elle rend intolérable et bien plutôt impossible l’intégration interpersonnelle ou la complémentarité psychosexuelle pour le bien des époux et l’éducation des enfants »[12].
- Le Trouble Dépendant de Personnalité
De la même façon, on recense dans les désorganisations de nature psychique ce qu’on appelle le « Trouble Dépendant de Personnalité », que la science psychiatrique définit ainsi : « Une situation perverse et excessive de nécessité d’être pris en charge, qui détermine un comportement soumis et dépendant et une peur de la séparation, qui apparaissent au premier âge adulte et qui sont présents dans une variété de contextes »[13].
Parmi les critères qui circonscrivent cette désorganisation de la personnalité, on peut lire : « Les individus ayant un Trouble Dépendant de Personnalité ont de grandes difficultés à prendre les décisions quotidiennes […]. Ces individus tendent à être passifs et à permettre à d’autres personnes […] de prendre l’initiative et d’assumer la responsabilité dans la majeure partie des secteurs de leur vie […]. Les adultes ayant ce trouble dépendent typiquement de leur géniteur ou de leur conjoint pour décider où ils doivent vivre, quel type de travail ils devraient avoir […]. Puisqu’ils craignent de perdre leur support ou l’approbation des autres, les individus ayant ce Trouble Dépendant de Personnalité ont souvent des difficultés à exprimer leur désaccord avec les autres personnes, spécialement avec celles dont ils sont dépendants […]. Les individus ayant ce trouble on des difficultés à prendre l’initiative de projets ou à faire des choses de façon indépendante […]. Ils sont convaincus d’être incapables de fonctionner indépendamment et se présentent comme incapables et ayant besoin d’une assistance constante »[14].
- LE RÔLE DES EXPERTS ET DES JUGES
- Dans l’examen de la cause il faut prêter attention à tous les faits et circonstances tant prématrimoniaux que postmatrimoniaux relatés par les parties et les témoins.
- Les experts
Est de grande valeur l’aide d’un ou plusieurs experts qui, après avoir examiné les parties, si possible, et compte tenu de tous les éléments tirés du dossier de la cause, doivent, selon les règles de leur science propre et les principes de l’anthropologie chrétienne, présenter dans leurs conclusions le diagnostic et les raisons de l’existence et de la nature de la perturbation, de son origine, de sa gravité, du moment où elle est apparue, et surtout de l’influence de cette perturbation sur les facultés du patient.
Une sentence c. de Lanversin, toutefois, nous avertit que l’expertise « n’est qu’une partie de l’ensemble plus vaste de l’instruction du procès canonique, et qu’il serait très dangereux que le jugement ultime dans la décision canonique soit prononcé par l’un ou l’autre des experts consultés, sans aucune évaluation du juge[15], parce que, dans ce cas, il y aurait un grave péril que la cause soit posée et définie sous un aspect tout à fait particulier et partiel, ou qu’elle soit déduite de principes étrangers à l’anthropologie chrétienne »[16].
Il revient uniquement au juge de passer au crible les conclusions de l’expert et « il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts » (c. 1579 § 2).
- Les juges
Le devoir des Juges dans le domaine de l’incapacité est difficile. Les juges en effet, « doivent d’une part porter objectivement un jugement sur l’incapacité d’une personne individuelle par rapport à l’institution du mariage, c’est-à-dire en ayant devant les yeux ce que la nature humaine apporte en dotation à tous les hommes ; d’autre part ils doivent prêter attention à la relation interpersonnelle, puisque la nature humaine peut parfois être limitée ou bloquée, ou même être exaltée par la relation à autrui chez un sujet particulier, en ce qui concerne cette relation objective à instaurer avec une autre personne, sans qu’ils ne tombent toutefois dans une appréciation subjective »[17].
Il faut également rappeler, puisque le juge n’est pas un expert psychiatre ou psychologue, que les rapports d’expertise sont très importants surtout s’ils sont l’œuvre d’experts qui jouissent d’un très grand crédit dans leur domaine. Mgr Serrano Ruiz fait une remarque logique et pertinente sur la force particulière des rapports d’expertise : « Il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ‘qu’il est juste de mettre à côté de nos habituelles présomptions de droit et présomptions de l’homme, des sortes de présomptions de la science, selon lesquelles on devrait inverser la charge de la preuve – ou du raisonnement du juge – et considérer comme moralement certaines les conclusions de la science si elles ne sont pas contredites par d’autres indices’[18] »[19].
- LA SIMULATION PARTIELLE
- En raison de la présomption du droit, le consentement intérieur de l’esprit doit être considéré conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage (cf. c. 1101 § 1), mais « si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).
Si quelqu’un se considère comme l’arbitre de la permanence du lien conjugal, avec la faculté de retrouver sa propre liberté au cas où les choses iraient mal, il est évident qu’il n’entend pas faire un mariage chrétien.
Il s’agit dans ce cas non pas d’une simple velléité, ou d’une intention habituelle ou virtuelle, mais d’un véritable acte positif de volonté qui implique la limitation du consentement, de telle sorte que celui qui se marie entende contracter mariage uniquement sous la condition expresse ou intérieure d’exclure l’indissolubilité.
En vérité le bien du sacrement ne souffre pas de distinction entre le droit et l’exercice du droit puisque celui qui se propose de faire un mariage soluble, exclut le mariage par le fait même.
- La preuve de la simulation s’obtient selon les critères reçus par la Jurisprudence commune. Tout d’abord il faut évaluer la confession du simulant, judiciaire et surtout extrajudiciaire, faite à des témoins dignes de foi à une époque non suspecte. Ensuite il faut découvrir la cause grave et proportionnée de la simulation, distincte de la cause qui a poussé au mariage. En outre il faut examiner les circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui puissent rendre plus crédible la simulation effectuée.
Il est certain que dans des causes de ce genre il ne faut pas oublier le caractère et la crédibilité du simulant présumé, son éducation, son mode de vivre et d’agir, sa situation religieuse et sociale, les circonstances de famille et de lieux.
EN FAIT (résumé)
La cause présente est difficile à juger étant donné les contradictions dans les dépositions des parties et dans celles des témoins. Il faudra porter une grande attention à ce que disent les uns et les autres, et examiner attentivement les circonstances prématrimoniales et postmatrimoniales.
- Le mari demandeur
Dans sa déposition judiciaire à la Rote, Raffaele se décrit comme quelqu’un ayant eu une enfance et une adolescence très tristes, en raison de l’attitude de son père : « Mon père était dominateur, il nous punissait corporellement […] Quand j’avais dix ans, à l’occasion de l’examen final de l’école élémentaire, mon père m’a puni très fort […] A 12 ans, j’ai fait une fugue et c’est la police qui m’a retrouvé […] J’ai cherché à m’engager à fond dans les études pour échapper à cette situation d’oppression et aussi par peur d’être privé de ces études. J’aurais voulu étudier la philosophie mais mon père a décidé que je serais médecin et j’ai obéi encore une fois à sa volonté ».
Raffaele, en première instance, avait déjà parlé de son tempérament hésitant et peu enclin à prendre des décisions, et il reconnaît comme traits saillants de son caractère l’introversion, le sens de l’indignité, l’incapacité de prendre une décision sereine et équilibrée. Il estime également qu’il a vécu ses fiançailles avec légèreté, que Maria lui assurait une sécurité avec la clarté de ses jugements, mais en même temps, comme elle avait le même caractère que son père, elle le remettait dans un état de dépendance et de soumission.
La décision de se marier a été très pénible à prendre : « je me trouvais dans une situation de grand malaise parce que je n’avais personne pour me conseiller. D’habitude c’était mon père qui le faisait, c’est lui qui avait toujours conditionné mes choix. De plus je me serais senti perdu si Maria n’avait pas pris la décision du mariage […] Je n’avais pas la liberté pour prendre une décision adéquate ».
Raffaele déclare également que la vie conjugale a toujours été tendue et impossible en raison de graves dissensions avec Maria, et il pense que sa relation avec une autre femme n’a pas été la cause de la rupture de son couple, mais plutôt l’effet de l’échec de sa vie conjugale.
- L’épouse partie appelée
Maria donne une tout autre version des faits. En ce qui concerne les rapports de Raffaele avec son père, elle parle de véritable vénération et elle nie que le fils ait été soumis à son père. Mais dans sa précédente déposition elle avait déclaré : « Raffaele avec son père avait comme un rapport d’humiliation ».
Ce terme d’humiliation est fort et Maria ajoute que Raffaele était « un garçon introverti et qui gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés ». En même temps elle le définit comme « une personne forte … il n’avait pas un caractère fragile et influençable […] Dans sa famille il était une figure de premier plan et pendant de longues années ses sœurs et sa mère se sont appuyées sur lui ».
Pour Maria, il n’y a pas eu de ruptures pendant les fiançailles, mais elle ne pouvait être constamment à Rome, où habitait Raffaele, et de plus son propre père n’aurait pas toléré qu’elle quitte Ascoli pour retrouver son fiancé. Elle ajoute qu’elle aimait Raffaele et qu’il l’aimait aussi.
Toutefois les actes du dossier contiennent quelques lettres envoyées par Raffaele à Maria et qui montrent manifestement qu’il y a eu des désaccords sérieux entre les fiancés.
Enfin Maria attribue la rupture de la vie commune à la liaison adultérine de son mari, ce qui n’est pas le point de vue de celui-ci.
- Les témoins
Les témoins présentés par l’épouse affirment en général que le mari demandeur, au moment de son mariage, avait un caractère solide. La sentence c. Monier rapporte les déclarations de neuf d’entre eux, qui sont du même avis : « personne déterminée, caractère décidé … », mais en même temps ils reconnaissent qu’ils parlent du médecin avec qui ils ont travaillé ou travaillent toujours, et non de l’époux « sur lequel (ils) ne sauraient pas juger ».
Il ne faut pas oublier à ce propos que, selon Maria, Raffaele « gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés » et donc que la plupart des témoins de l’épouse ne pouvaient pas connaître sa véritable personnalité intérieure. Il ne va de même d’ailleurs pour les témoins présentés par le mari et n’ayant pas de lien avec sa famille.
- Les membres de la famille du mari
La mère de Raffaele confirme que son fils était très timide, qu’il ressentait fortement l’influence de son père, lequel avait un caractère fort et rigide : « Cette influence le portait à devoir renoncer à beaucoup de choses propres aux garçons de son âge […] Il a choisi la médecine en raison de l’insistance de son père, il ne se sentait pas la force de s’opposer à son père ».
L’oncle de Raffaele et les sœurs du demandeur confirment la domination que le père exerçait sur le fils.
En ce qui concerne la période prématrimoniale, la mère de Raffaele rapporte que son fils était très troublé : « il n’avait pas la force de s’opposer à ce qui était en train de se passer […] Il se mariait plus sous la pression de ses parents que pour autre chose ». Quant à Anna Maria, sœur de Raffaele, elle l’a vu « très abattu » au moment de la décision du mariage.
On peut ajouter qu’au moment de la mort de son père en 1978 (le mariage est du 29 septembre 1979), Raffaele, selon ses propres paroles, a subi un choc « parce qu’(il) se trouvait pour la première fois devant l’obligation de faire des choix de vie sans être guidé », mais il a trouvé « un point de référence et d’appui en Maria, qui avec sa rationalité, sa détermination et sa force de caractère, (lui) est apparue comme une sorte d’alter ego de (son) père ».
Comme Maria lui avait proposé le mariage, il a accepté, mais il ne l’a pas décidé de lui-même.
- Les experts
- En première instance
En première instance ont été effectuées trois expertises ex officio et deux autres à la demande des parties.
Le docteur C.T., experte sollicitée par le mari avant l’introduction des nouveaux chefs de nullité, l’a soumis au test de personnalité Rorschach, et a diagnostiqué un « Trouble Dépendant de Personnalité », qu’elle estime avoir été grave au moment du mariage.
Le Docteur D., nommé ex officio, parle d’un très fort et franchement pathologique sens du devoir et des règles (hypertrophie du SUR-MOI), de traits pathologiques de type dépendant, de sexualité mal intégrée, et il conclut que le demandeur manquait d’une suffisante liberté intérieure.
Le Docteur J. trouve chez le mari une grave immaturité psycho-affective, associée à des traits de personnalité dépendante, et il conclut que le demandeur manquait totalement, au moment du mariage, de la capacité de comprendre et de vouloir le mariage.
- En seconde instance à la Rote
Le ponent cite abondamment l’expertise du docteur A., réalisée à sa demande. En résumé l’expert conclut à la présence, chez le mari, d’une immaturité psycho-affective ; il estime que celui-ci souffre d’un Trouble Dépendant de Personnalité. Cette immaturité et ce trouble existaient au moment du mariage et durant la vie conjugale. Le docteur A. confirme aussi, substantiellement, les conclusions des expertises précédentes. Enfin il écrit dans son rapport que l’état psychique du demandeur demeure actuellement avec toute sa gravité dans le domaine de l’affectivité, ce qui implique un vetitum pour un autre mariage.
Constat de nullité
– pour le grave défaut de discretio judicii
– pour incapacité d’assumer
Vetitum pour le demandeur
Maurice MONIER, ponent
Kenneth E. BOCCAFOLA
Josef HUBER
__________
[1] Const. GAUDIUM et SPES, n. 48
[2] De ver. 22, 15
[3] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5
[4] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5
[5] GAUDIUM et SPES, n. 17
[6] C. POMPEDDA, 16 décembre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 586, n. 5
[7] C. HUBER, 26 juin 2002, sent. 72/02, n. 5
[8] GAUDIUM et SPES, n. 48
[9] C. POMPEDDA, 14 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 574, n. 9
[10] C. STANKIEWICZ, 16 mai 2003, sent. 48/03, n. 6
[11] C. BOCCAFOLA, 1° juin 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 341, n. 9 ; cf. c. STANKIEWICZ, 11 juillet 1985, SRRDec, vol. LXXXI, p. 356, n. 5
[12] C. TURNATURI, 31 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 59, n. 19
[13] DSM-IV, Manuale diagnostico e statistico dei disturbi mentali, Masson, 1996, p. 729
[14] Même endroit, p. 726
[15] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 25 janvier 1988, AAS, vol. LXXX, p. 1182, n. 6
[16] C. de LANVERSIN, 11 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 461, n. 17
[17] C. Pio Vito PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4 ; cf. c. Pio Vito PINTO, 12 avril 2002, Prot. N. 16.741, sent. 40/02, p. 4, n. 5
[18] Cf. J.M. SERRANO RUIZ, la perizia nelle cause canoniche di nullità matrimoniale, dans Perizie e periti nel processo matrimoniale canonico, Turin 1993, p. 79
[19] C. SERRANO RUIZ, 12 mai 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 284, n. 7