Recueil de bonnes pratiques des procédures matrimoniales pour les officialités francophones |
Postface de Mgr Barrigah
Recueil de bonnes pratiques des procédures matrimoniales pour les officialités francophones |
Postface de Mgr Barrigah
Coram VERGINELLI
Exclusion du bien du sacrement
Exclusion du bien des enfants
Tribunal régional de Campanie – 23 mai 2008
P.N. 19.426
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Umberto V. et Silvana B. font connaissance en 1998 et très rapidement ont des relations intimes. La jeune fille tombe enceinte et les parents des deux côtés s’efforcent de trouver une solution à ce problème. Il semble bien que le mariage célébré le 18 décembre 1999 ait eu lieu pour sauver la réputation des familles et des jeunes gens, qui venaient pour leur part de passer un doctorat.
Après la naissance de jumeaux, Umberto poursuit ses études de psychiatrie et Silvana, éprouvée par la charge de ses enfants et les absences fréquentes de son mari, soupçonnant de plus des infidélités de la part de celui-ci, finit par demander la séparation légale. D’innombrables litiges sont soulevés au pénal et au civil, par l’épouse, tant et si bien que le mari s’adresse au Tribunal ecclésiastique pour demander la déclaration de nullité de son mariage.
Il est inutile de s’attarder sur les multiples débats et querelles du procès de 1° instance. Au doute ainsi formulé le 11 février 2002 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de consentement par exclusion du bien des enfants de la part de chacune des parties, et par exclusion de l’indissolubilité du lien de la part du demandeur, ainsi que pour incapacité psychique de l’épouse partie appelée », la sentence répond affirmativement, mais uniquement pour l’exclusion de l’indissolubilité et du bien des enfants de la part du mari.
En appel à la Rote, le Tour Rotal, le 27 octobre 2005, admet la cause à l’examen ordinaire du second degré et reprend le doute tel qu’il avait été formulé en 1° instance.
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EN DROIT
De là la communauté indissoluble peut être viciée par un consentement nul de diverses façons. Toutefois le consentement est généralement considéré comme corrompu lorsque les facultés supérieures se révèlent incapables d’assumer et de remplir les obligations essentielles du mariage, selon le c. 1095 CIC, parce qu’elles souffrent d’une anomalie ou d’un désordre psychique.
Quand donc une anomalie engendre une incapacité, ou impossibilité d’assumer les obligations essentielles du mariage pour une cause de nature psychique, il apparaît tout à fait qu’au moins une faculté supérieure est atteinte et qu’en conséquent celui qui se marie ne peut pas assumer les obligations en question, sans lesquelles il ne peut pas mettre en œuvre une communion correcte entre les époux.
C’est pourquoi, à l’exclusion des défectuosités de peu d’importance, il est requis, pour atteindre en sa racine le lien conjugal, un désordre ou une anomalie psychique qui doit « entamer de manière substantielle les capacités de comprendre et/ou de vouloir de celui qui contracte »[1]. Il ne suffit donc pas, pour irriter le mariage, d’une simple difficulté, selon les paroles du Souverain Pontife : « Seule l’incapacité, et non pas la difficulté à donner le consentement […] rend nul le mariage »[2]. Ce commentaire du Législateur Suprême qui a promulgué le Code en 1983 écarte toute difficulté dans l’appréciation des mots du c. 1095 cité.
Dans cette matière difficile et complexe – selon la règle de la loi canonique – le juge recourt à l’aide d’un expert, bien qu’il ne soit pas tenu de suivre l’opinion de ce dernier.
Quand donc ces règles canoniques sont violées, le lien indissoluble et perpétuel est écarté, surtout « si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101, § 2).
De façon claire et distincte le mot « exclusion » signifie – du fait que « les noms sont la conséquence des choses »[3] – écarter la naissance d’un lien perpétuel, et pour cette raison le contractant, par un acte positif de volonté, éloigne sa volonté de la constitution du lien.
Il est certain que de tels contrats – une fois valides – tendent nécessairement à la dignité de sacrement, à moins que le pacte entre les conjoints ne soit corrompu par un acte positif de volonté excluant la perpétuité, ou indissolubilité, du lien.
Il est bien connu également que, selon la doctrine jurisprudentielle, l’intention volontaire interprétative ne suffit pas à irriter le mariage, étant donné qu’est requis un acte positif de volonté excluant l’indissolubilité, c’est-à-dire un « velle non », « vouloir que ne soit pas », pour que l’opération de la volonté entraîne la nullité du lien.
Pour la validité du lien, c’est-à-dire pour la création d’un lien sacré par l’action de l’opération de la volonté par rapport au lien valide, il suffit – indépendamment de l’intention actuelle – d’une intention virtuelle, par laquelle le propos naturellement déterminé persévère habituellement.
Ceci se conçoit aussi pour l’exclusion, c’est-à-dire qu’une fois conçue, la volonté d’exclure la perpétuité du lien persévère telle quelle jusqu’à l’acte volontaire contraire à l’acceptation de la perpétuité du lien, en connaissance et avec l’évaluation des raisons qui s’y rapportent : par exemple, si à l’époque des fiançailles une partie se trouve dans une exaltation amoureuse démesurée pour toute femme ou pour tout homme, il peut y avoir déjà l’exclusion de la perpétuité ou de l’exclusivité du lien en raison du désir de cette partie de vivre à l’avenir tranquillement et en paix.
Les preuves toutefois ne peuvent pas consister dans de simples déclarations des parties et des témoins du fait que sont à examiner attentivement les déclarations extrajudiciaires et judiciaires, qui sont étudiées à la lumière de la foi à accorder aux parties et aux témoins, c’est-à-dire qu’il s’agit de témoignages de crédibilité concernant surtout les éléments déclarés mais aussi les causes prochaines et lointaines de l’exclusion, différentes de la cause qui a poussé au mariage, et tout cela ne peut pas être disjoint des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes du mariage, et doit être considéré non pas de manière hypothétique mais de manière adaptée à chaque cas isolé ou à chaque cas particulier.
Il est vrai que la doctrine de l’Eglise, également exposée par le Concile Vatican II[4], est claire en ce qui concerne la procréation et l’éducation des enfants, et celui qui veut un mariage nul par exclusion de l’indissolubilité exclut souvent par le fait même la procréation pour que ses obligations n’aient pas d’influence majeure sur ses relations avec son conjoint.
Dans l’exclusion de la procréation celui qui se marie emploie les mêmes principes d’exclusion que dans l’exclusion de la perpétuité.
Dans le cas d’une grossesse prénuptiale, la grossesse non seulement entraîne éventuellement l’exclusion de la perpétuité, mais la plupart du temps entraîne l’exclusion d’une procréation future en raison de l’enfant conçu, et si la naissance est celle de jumeaux – comme il arrive communément à notre époque – le nombre certain d’enfants déjà envisagés, et cela surtout, est pris en compte tant par rapport à la situation sociale et économique que par rapport à un concept prudentiel relatif à la santé et à la charge des parents qui ne veulent pas, ou qui ne peuvent pas, consacrer beaucoup de temps à leurs enfants, compte tenu enfin du travail quotidien qu’ils ont à accomplir.
Ainsi l’intention corrompue de celui qui se marie entraîne la disparition des enfants, du mariage et encore plus du bien des conjoints, du fait surtout que sont pratiqués des actes sexuels sans fruits à partir des mêmes méthodes diffusées grandement par les Etats sous diverses formes persuasives qui se répandent même chez des catholiques consciencieux.
EN FAIT
C’est l’épouse cependant qui a demandé la première la séparation, mais c’est le mari qui a saisi le tribunal ecclésiastique pour une déclaration de nullité de mariage.
Tout au long du procès se sont manifestés une haine et des reproches extrêmement vifs, et les témoins ont fait preuve de partialité, ceux du mari défendant celui-ci et ceux de l’épouse accusant le mari.
Toutefois il vaut mieux s’attacher aux faits qu’aux déclarations des parties.
Giovanni VERGINELLI, ponent
Egidio TURNATURI
Maurice MONIER
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[1] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, AAS 79, 1987, p. 1457, n. 7
[2] Même endroit
[3] Just. Inst. II, 7, 3
[4] Const. GAUDIUM et SPES, n. 48 et 50 ; cf. aussi c. 1055 § 1
Coram TURNATURI
Défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage
Tribunal régional du Latium – 17 janvier 2008
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
Textes de Jurisprudence
Textes de Jurisprudence
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
A l’automne de l’année 1990, Enzo d’A. fait la connaissance d’Anna P. En janvier 1991 leur relation devient sentimentale, mais pendant les trois années qui suivent et qui aboutissent au mariage célébré le 10 juin 1993, elle connaît des difficultés dues à l’attitude de la jeune fille ainsi qu’à la personnalité perturbée du jeune homme.
La vie conjugale, qui dure 7 ans, est sereine et pacifique au début, mais elle devient difficile, en raison de l’amplification des problèmes interpersonnels et intimes déjà présents avant le mariage, le mari ne pouvant pas « instaurer une relation authentique et paritaire avec son épouse ». Les conjoints se séparent et divorcent.
Le 14 décembre 2001, Enzo, devant le Tribunal régional du Latium, accuse son mariage de nullité pour défaut de discretio judicii et incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, de sa part, ce que reprend le doute concordé le 1° février 2002. Une expertise psychiatrique est réalisée. Le 14 juillet 2004 le Tribunal rend une sentence négative, qu’infirme le 30 novembre 2006 le Tribunal d’appel du Vicariat de la Ville.
En troisième instance à la Rote, Nous avons à répondre au doute concordé le 28 mars 2007 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et/ou pour incapacité d’assumer les obligations conjugales de la part du demandeur ? ».
EN DROIT
« Le consentement matrimonial est l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage » (c. 1057 § 2).
En conséquence, et compte tenu du droit naturel, le c. 1095 tient pour incapable de contracter mariage les personnes : « 1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ; 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui, pour des causes de nature psychique, ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».
Textes de Jurisprudence
Une telle capacité « existe si les contractants, outre une connaissance intellectuelle correcte de l’objet du contrat matrimonial, peuvent estimer mûrement les droits et les devoirs conjugaux, et, par une liberté interne, jouissent de la capacité de se déterminer à réaliser le choix délibéré final »[1].
« a. Sous l’aspect intellectif, est nécessaire la connaissance de la substance du mariage, au moins comme communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation d’enfants par quelque coopération sexuelle (c. 1096 § 1) ;
En cas de déficience de ces éléments, la nécessaire discretio judicii peut faire défaut, quand :
« 1. Ou bien manque la connaissance intellectuelle suffisante sur l’objet du consentement à donner en contractant le mariage ;
Comme on le lit dans une sentence c. Funghini du 19 mars 1993, la discretio judicii embrasse trois éléments : « une connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement, une connaissance critique ou, en d’autres termes, une estimation proportionnée au mariage à célébrer, c’est-à-dire convenant à la si importante entreprise qu’est le mariage, et enfin la liberté interne, c’est-à-dire la capacité de délibérer après une évaluation suffisante des motifs et de façon autonome, c’est-à-dire sans aucune détermination interne »[4].
Le même Auditeur affirme dans une décision du 23 novembre 1988 que « l’habilité radicale à émettre un consentement matrimonial valide requiert chez les contractants, libres de tout empêchement, une discretio judicii suffisante, la capacité de poser un acte humain et de recevoir et remplir les obligations essentielles du mariage », ce qui fait qu’il doit y avoir chez eux « une plus grande discretio mentis (= discretio judicii) et une liberté plus grande de la volonté que pour n’importe quel contrat valide à conclure, compte tenu de l’importance et des conséquences de ce contrat particulier »[5].
« Par conséquent, il doit y avoir chez ceux qui se marient une maturité matrimoniale adéquate, par laquelle ils puissent suffisamment connaître, estimer, vouloir délibérément et accomplir ce qui est demandé par la nature même du mariage »[7].
Textes de Jurisprudence
Ce n’est pas en effet n’importe quel défaut de discretio judicii qui rend incapable le contractant, mais seulement celui qui est grave.
« Cette gravité, souligne bien une sentence c. Stankiewicz du 28 mai 1991, doit être appréciée tant dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits et obligations du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective du contractant doit garder une proportion nécessaire, que dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques, qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii », ou, en d’autres termes, « dans la lésion substantielle de l’activité intellective dans l’exercice de la faculté cognoscitive, critique ou estimative et dans la lésion de l’activité volitive dans l’exercice de la faculté de décision délibérée »[8].
Ainsi il est pacifiquement admis depuis longtemps que l’incapacité d’assumer et de remplir les obligations conjugales essentielles concerne les contractants qui, « même s’ils jouissent de l’usage suffisant de la raison et ne manquent pas gravement de discretio judicii, sont cependant, à cause de leur condition psychique qu’on doit tenir pour pathologique, incapables d’assumer et de remplir les obligations essentielles du mariage, même éventuellement voulues sciemment, librement, et avec l’évaluation nécessaire »[10].
Il s’agit en effet de l’impossibilité de réaliser l’objet du consentement, impossibilité dans laquelle « donc, le consentement est sans objet parce que, bien que le contractant puisse accomplir un acte psychiquement intègre de consentement et qu’il ait une véritable volonté de remplir les obligations qu’il a librement reçues, ce contractant est cependant incapable de remplir l’objet du consentement pour des causes de nature psychique et donc il est également incapable d’assumer l’obligation à laquelle il s’était sincèrement engagé »[11].
« Doit donc être déclaré incapable de contracter en vertu du c. 1095, 3° celui qui, même s’il est capable d’émettre consciemment et librement un consentement comme un acte psychologique ou, en d’autres termes, subjectif, ne peut mettre à exécution les obligations qui découlent nécessairement du mariage, bien qu’il souhaite, veuille et entende positivement les recevoir librement et de façon déterminée »[12].
« De même que personne ne peut rien édifier sans infrastructure, de même, en cas de déficience de l’habilité à instaurer et à mener une relation inter et intra-personnelle, il est vain de parler des autres obligations conjugales essentielles qui sont à remplir mutuellement entre conjoints.
Si un tel fondement fait défaut, il y a une impossibilité de remplir les obligations conjugales »[13].
Une sentence c. Sable, du 15 avril 1999, rappelle de façon exacte cette doctrine : « Le terme de ‘borderline’, employé pour la première fois par Stern, reflète l’opinion prévalente que ces personnes (de nombreux patients qui, tout en ne répondant pas aux types de diagnostic associés aux diverses psychoses reconnues, montrent néanmoins une si grave psychopathologie qu’ils ne peuvent pas non plus être traités avec succès en raison de difficultés inhabituelles) tombent dans une catégorie intermédiaire qui, suivant la rigueur de la maladie, se trouve entre les névroses plus familières et les problèmes moins aigus de caractère, d’un côté, et les troubles psychotiques de l’autre[15] ».[16]
EN FAIT (résumé)
Dans son libelle de 1° instance, le demandeur déclare que son mariage est nul pour défaut de discretio judicii et pour incapacité d’assumer les obligations du mariage, de sa part. Il attribue ces deux motifs de nullité à l’ambiance malheureuse de la famille où il a grandi et à ses relations conflictuelles avec son père, ce qui a empêché sa maturité et ne lui a pas permis d’acquérir une personnalité apte au mariage. Il écrit en particulier : « Dès l’adolescence, j’ai souffert d’une profonde insécurité, d’une fragilité affective, d’une impulsivité et d’une incapacité de nouer des relations avec les autres, surtout avec les filles ».
L’épouse partie appelée s’oppose aux déclarations d’Enzo, mais tout en suspectant celle-ci de déformer les faits, le Tribunal de 1° instance a suivi sa position.
Il y avait eu cependant une expertise du Professeur Callieri qui, après avoir rappelé le contexte familial du demandeur, avait caractérisé la personnalité de celui-ci comme fortement perturbée et « pleinement dans le domaine des troubles borderline de la personnalité ».
Le Professeur a confirmé en seconde instance les conclusions de sa précédente expertise : « Le sujet était affecté de personnalité borderline avec une caractéristique spécifique de narcissisme. En général le borderline est à la limite entre le narcissisme et le monde hystérique. Dans le sujet en examen c’est le sens narcissique qui prévaut de beaucoup sur l’hystérique ».
La méthode de l’expert est très intéressante en ce sens qu’elle fait appel avant tout aux faits : « L’étude des faits est beaucoup plus importante qu’une visite spécialisée de courte durée et malheureusement faite après de longues années : il faut étudier les faits ».
L’expert détaille à nouveau les résultats de son étude et conclut qu’en raison de sa constitution psychopathologique le demandeur, au moment de son mariage, n’avait pas la capacité d’émettre un consentement libre et conscient, et qu’il n’était pas en mesure d’instaurer avec sa femme une relation substantiellement personnelle.
La sentence de 2° instance regrette que la décision de 1° instance n’ait pas tenu suffisamment compte des faits et ait accordé un crédit exagéré à l’épouse partie appelée, et les juges d’appel ont infirmé cette décision.
Le demandeur reconnaît qu’avant son mariage il a rencontré à plusieurs reprises des psychologues et des psychiatres, qu’avant son mariage également ses relations avec Anna ont connu « de graves problèmes de nature relationnelle et intime ». De ses longues déclarations et de celles des témoins, il ressort qu’Enzo était affecté d’un désordre psychique grave et inguérissable.
La mère d’Enzo décrit longuement l’ambiance familiale, les problèmes posés par son fils, qui n’arrivait pas à se faire des amis et qui était mal à l’aise avec les filles, les difficultés entre Enzo et son père, ce dernier, orphelin dès l’enfance, s’étant « fait par lui-même » et désirant que son fils soit comme lui, fort et déterminé, prêt à affronter la vie.
La sœur d’Enzo confirme les déclarations de sa mère, et son mari, médecin, parle de son beau-frère comme d’un « type introverti, fermé, pessimiste dans les rapports avec les autres », et il exprime ses doutes sur « la maturité d’Enzo pour affronter le mariage ».
Les autres témoins parlent aussi de l’immaturité du demandeur, de ses difficultés à avoir des relations avec les autres. L’un d’eux souligne qu’Enzo a toujours été suivi de près par sa mère et par des psychothérapeutes.
Un certificat du 11 juin 2003 attribue à Enzo un désordre de la personnalité Borderline. Avant cette date, un certificat d’une clinique psychiatrique avait déjà relevé, en mars 2000, un Trouble de la Personnalité. Le Professeur P., le 21 février 2003, diagnostique chez Enzo un Trouble de la Personnalité Borderline, « de forme grave ». Les actes contiennent un autre certificat du 7 décembre 2004 parlant de Trouble schizo-affectif de Personnalité ; le Professeur R., en 2004 également, a la même conclusion, après une analyse sérieuse et méthodique de la situation psychologique d’Enzo.
Le Tour Rotal, suivant en cela le Tribunal d’appel, procède à un examen approfondi des déclarations de l’épouse et considère, avec les Juges de 2° instance, que « la position de la partie appelée ne s’inspire pas des critères de véracité » et que, sur des points importants, « ce qu’elle affirme, non seulement ne correspond pas à la vérité, mais encore apparaît absolument invraisemblable ».
Constat de nullité
pour défaut de discretio judicii
et incapacité d’assumer
de la part du mari demandeur
Vetitum pour le mari demandeur
Egidio TURNATURI, ponent
Maurice MONIER
Pio Vito PINTO
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[1] C. BRUNO, 30 mars 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 253, n. 3
[2] C. POMPEDDA, 19 mai 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 209, n. 3
[3] COMMUNICATIONES, 15, 1983, p. 231
[4] C. FUNGHINI, 19 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 403, n. 2
[5] C. FUNGHINI, 23 novembre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 637, n. 2
[6] C. STANKIEWICZ, 26 juin 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 532, n. 5
[7] C. BRUNO, 15 décembre 1989, SSRDec, vol. LXXXI, p. 765, n. 4
[8] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6
[9] C. FUNGHINI, 13 février 1998, SRRDec, vol. XC, p. 47, n. 2
[10] C. POMPEDDA, 1° juin 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 324, n. 5
[11] C. BOCCAFOLA, 15 mai 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 400, n. 6
[12] C. FUNGHINI, 13 février 1998, SRRDec, vol. XC, p. 47, n. 2
[13] C. TURNATURI, 11 novembre 2006, n. 6
[14] C. SERRANO, 18 février 1983, inédite, et 21 octobre 1998, SRRDec, vol. LXXX, p. 531, n. 12 ; c. EGAN, 29 mars 1984, SRRDec, vol. LXXVI, p. 206, n. 6 ; c. FIORE, 30 mai 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 348 ; c. DORAN, 6 juillet 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 496, n. 26 ; c. COLAGIOVANNI, 20 mars 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 175
[15] International Universities Press, New York 1983, p. 225
[16] C. SABLE, 15 avril 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 291, n. 14 ; cf. John GUNDERSON, La personalità borderline. Una guida clinica, Milan, Cortina 2003
Coram TURNATURI
Défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer les obligations du mariage
Simulation totale
Etat libre associé de Porto Rico – 15 janvier 2009
Constat de nullité
pour les deux premiers chefs
en ce qui concerne le mari
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PLAN DE L’IN JURE
PREMIÈRE PARTIE
LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
Introduction : le canon 1095
III. LES CAUSES QUI PEUVENT ENTRAÎNER L’INCAPACITÉ DE CONSENTEMENT
DEUXIÈME PARTIE
LA SIMULATION
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Delia M. et Eufemio S. étaient très jeunes quand ils se sont rencontrés en 1963. Rapidement ils se fiancent et vivent ensemble à partir de 1965. Cependant, pendant cette période, Eufemio est contraint d’épouser une autre femme, pour « réparer » une faute commise avec elle. Le mariage est seulement un mariage civil, qui prend fin en 1971.
En novembre 1972, Delia et Eufemio, qui avaient déjà 3 enfants, contractent un mariage religieux à Porto Rico. Deux enfants naîtront encore. L’union des époux se dégrade peu à peu en raison de l’alcoolisme du mari, de ses innombrables infidélités et des sévices qu’il inflige à sa femme. Celle-ci tombe en dépression et, après plusieurs séparations et séjours en hôpital psychiatrique, elle demande le divorce, qu’elle obtient le 18 novembre 1987 pour faute et négligence du mari envers sa femme et ses enfants.
Désireuse de retrouver sa liberté devant l’Eglise, Delia, le 11 juillet 1991, demande au Tribunal ecclésiastique de Cliveland, aux Etats-Unis, la déclaration de nullité de son mariage en vertu du c. 1673, n. 3, mais le Tribunal de Porto Rico, en raison de l’opposition d’Eufemio, refuse la prorogation de compétence. Delia s’adresse donc à ce tribunal, compétent de par le c. 1673, n. 1 et 2, et accuse son mariage de nullité pour défaut de discretio judicii, incapacité d’assumer (c. 1095, 2° et 3°), ainsi que pour simulation totale, selon le c. 1101 § 2, sans d’ailleurs indiquer qui des deux époux était responsable du défaut ou du vice du consentement.
Aucune expertise n’est exécutée. Le 22 novembre 1996, la sentence de 1° instance est négative sur tous les chefs, envisagés par rapport à chacune des parties. La demanderesse fait appel au Tribunal de seconde instance de Porto Rico qui, sans citation des parties, sans concordance du doute, sans décret de conclusion de la cause, et sans remarques de l’avocat ou du défenseur du lien, confirme la sentence négative de la 1° instance.
L’épouse a recours à la Rote qui reconnaît la nullité de la sentence de 2° instance et, le 19 juillet 2002, détermine le doute concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et/ou incapacité d’assumer les obligations conjugales de la part d’une des parties ou des deux, et, de façon subordonnée, pour simulation totale de la part d’une des parties ou des deux ?
L’épouse est entendue à nouveau ainsi que des témoins, une expertise psychiatrique est réalisée, et l’avocat et le défenseur du lien présentent leurs remarques. Nous répondons aujourd’hui au doute concordé, en seconde instance.
EN DROIT
PREMIÈRE PARTIE
LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
Introduction : le canon 1095
Comme le mariage est en réalité une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants (cf. c. 1055 § 1), les contractants doivent être dotés d’un degré de maturité physique et psychique suffisant et proportionné à une telle communauté, pour pouvoir par un acte de volonté se donner et se recevoir mutuellement pour constituer et conduire cette communauté.
En d’autres termes, il doit y avoir chez ceux qui se marient « une maturité matrimoniale adéquate, par laquelle ils puissent suffisamment connaître, estimer, vouloir délibérément et accomplir ce qui est demandé par la nature même du mariage »[2].
« a. Sous l’aspect intellectif, est nécessaire la connaissance de la substance du mariage, au moins comme communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation d’enfants par quelque coopération sexuelle (c. 1096 § 1) ; b. Sous l’aspect estimatif, est demandée l’évaluation pratique de la valeur substantielle du mariage, c’est-à-dire des droits et des devoirs essentiels de cette communauté, et l’évaluation des motifs qui, d’un côté sont en faveur du mariage à contracter et, d’un autre, déconseillent le mariage ; c. Sous l’aspect électif, est exigé le pouvoir, ou liberté, intrinsèque dans la délibération et la décision sur le mariage à contracter concrètement, les impulsions intérieures étant suffisamment subordonnées à la raison ».
Par contre, en cas de déficience de ces éléments, la nécessaire discretio judicii peut faire défaut, quand :
« 1. Ou bien manque la connaissance intellectuelle suffisante à propos de l’objet du consentement à donner en contractant le mariage ;
« Cette gravité du défaut de discretio judicii doit être appréciée tant dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits et obligations du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective du contractant doit garder une proportion nécessaire, que dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques, qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii », ou en d’autres termes, « dans la lésion substantielle de l’activité intellective dans l’exercice des facultés cognoscitive, critique ou estimative et dans la lésion de l’activité volitive dans l’exercice de la faculté de décision délibérée »[5].
« C’est pourquoi, dit de façon appropriée une sentence c. Defilippi, du 9 mars 2000, ce sont des anomalies qui sont requises, qui en tout cas ont un aspect psychopathologique, même considérée au sens commun », qui « doivent être graves, parce que les légers défauts psychiques, bien qu’ils puissent diminuer la pondération ou la liberté interne, ne provoquent pas une véritable incapacité de donner le consentement conjugal »[6].
« L’incapacité d’assumer, au sens propre, se base sur l’impossibilité originaire de la prestation des obligations matrimoniales essentielles, c’est-à-dire de leur accomplisse-ment »[7]. L’obligation qui ne peut être remplie est à considérer comme nulle.
« Assumer, en définitive, c’est s’obliger ici et maintenant à répondre dans l’avenir, par les actes, les comportements et la vie en commun, à la condition propre des époux »[9].
Comme nous l’avons dit dans une sentence du 21 novembre 1997, « le consentement matrimonial ne regarde pas seulement le moment générateur de son émission, mais il doit regarder également l’accomplissement de son objet »[10].
« Doit donc être déclaré incapable de contracter en vertu du c. 1095, 3° celui qui, même s’il est capable d’émettre consciemment et librement un consentement comme un acte psychologique ou, en d’autres termes, subjectif, ne peut mettre à exécution les obligations qui découlent nécessairement du mariage, bien qu’il souhaite, veuille et entende positivement les recevoir librement et de façon déterminée »[12].
« a. s’il y a, non pas une simple difficulté, même grave, mais une impossibilité par suite d’une anomalie psychique qui atteint la structure psychique du contractant ;
« Si la maladie en effet se déclare seulement après le mariage, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les conjoints, le mariage doit être déclaré valide, même si par la suite la vie conjugale devient impossible, puisque la validité du mariage dépend de l’habilité des parties au moment de l’émission du consentement.
Si par contre des signes clairs et certains de la maladie latente existaient déjà avant le mariage, et si de graves désordres, sans faute du conjoint ou sans intervention d’autres facteurs, ne sont apparus que pendant la vie conjugale, le mariage doit être déclaré nul, parce que la gravité de la maladie, même en germe, était déjà présente auparavant dans l’état de latence de la maladie »[14].
Comme le déclare une sentence c. Serrano du 28 février 1992, pour prouver l’incapacité psychique du contractant, « deux éléments doivent apparaître hors de tout doute raisonnable : les causes psychiques existant déjà depuis plusieurs années, et cela avant le mariage, étaient graves ; et après le mariage rien d’autre en dehors d’elles, au cours du temps, n’a pu agir sur la ruine du mariage de façon déterminante au point qu’un bouleversement de cette nature ne pouvait pas dépendre à coup sûr de ce qui existait au moment du consentement »[15].
III. LES CAUSES QUI PEUVENT ENTRAîNER L’INCAPACITÉ DE CONSENTEMENT
L’immaturité affective, en effet, au sens psychologique ou psychiatrique, se vérifie lorsqu’à l’adolescence, l’évolution psycho-affective se fige ou régresse à des phases précédentes, alors que l’intelligence reste intacte.
Le sujet affecté par l’immaturité « est un individu normalement intelligent, parfois même très doué intellectuellement, mais dont l’évolution affective, c’est-à-dire la maturation des instincts, sentiments et émotions, est restée plus ou moins incomplète »[19].
L’immaturité affective « décrit un retard dans le développement des relations affectives, avec une tendance à la défiance et à la suggestibilité évoquant l’affectivité infantile, contrastant chez l’adulte avec le niveau du développement des fonctions intellectuelles »[20].
Ceci est affirmé « compte tenu que le terme de ‘borderline’, au début, indiquait ‘une entité clinique qui était aux confins de la psychose ou plus spécifiquement de la schizophrénie’ et par la suite seulement ‘a été mis en relation surtout avec les troubles de l’affectivité’[24] ».[25]
On ne peut cependant pas nier que ce Trouble Borderline, en affectant gravement l’affectivité, peut avoir aussi une force de destruction sur la faculté de discretio ou sur la liberté interne du sujet en raison de la désorganisation de l’affectivité.
Selon l’Instruction Dignitas Connubii le juge doit pour chaque cas demander à l’expert :
« 1. Dans les causes pour défaut d’usage de la raison, […] si au moment de la célébration du mariage cette anomalie perturbait gravement l’usage de la raison ; avec quelle intensité et à quels indices elle se révélait ;
Enfin, « le juge appréciera attentivement, non seulement les conclusions, même concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause », et « en donnant les motifs de sa décision, il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts » (c. 1579 § 1 et 2). Le juge en effet ne doit pas accepter passivement les conclusions des experts, mais il doit les examiner de façon critique, c’est-à-dire : sont-elles fondées dans les actes, vont-elles plus loin que les prémisses, adhèrent-elles aux principes de l’anthropologie chrétienne, sont-elles présentées comme certaines ou probables ?
DEUXIEME PARTIE
LA SIMULATION
EN FAIT
La lecture des actes et l’étude des circonstances qui entourent l’échec de la cohabitation des parties, avant et après leur mariage, montrent bien que la solution des doutes concordés ne dépend pas directement des déclarations des parties et des témoins, mais plutôt de l’interprétation juste des faits survenus après le mariage en raison de la conduite aberrante du mari envers son épouse et ses enfants. Ces faits non seulement éclairent la situation lamentable dans laquelle s’est trouvée l’épouse, jusqu’à une grave dépression et la ruine du mariage, mais encore ils démontrent l’état psychopathologique du mari au moment de la célébration du mariage, et même avant celle-ci.
Nous verrons d’abord l’état psychique de l’épouse, puis celui du mari, avant d’étudier la simulation totale alléguée.
Delia, l’épouse demanderesse, a vécu dans une famille perturbée par l’alcoolisme du père, qui se répercutait en maltraitance de sa femme. Ceci est confirmé par tous les témoins, qui cependant excluent que Delia en ait subi des conséquences psychiques. Notre expert partage cet avis, après avoir examiné non seulement les actes de la cause mais encore les certificats médicaux émanant des hôpitaux où a été soignée l’épouse. Pour l’expert il ne peut être question chez celle-ci de défaut de discretio judicii ou d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage.
(Il est inutile ici de reprendre les longues constatations des divers médecins. Il suffira de reprendre certaines conclusions de l’expert rotal.)
« Il est très probable que Delia présente une condition psychique caractérisée par une relative fragilité, une faiblesse émotive, une attitude de dépendance et de soumission, une tendance à l’introversion et à la dépression, qui sans aucun doute la prédisposait aux développements d’états dépressifs cliniquement importants ». Toutefois, « il n’y a pas d’éléments suffisants de preuve pour affirmer que Madame Delia M., à l’époque (de son mariage), était affectée d’un Trouble de la Personnalité, en particulier de type Dépendant, ou d’un Trouble Dysthymique et/ou d’une grave immaturité ».
La sentence du Tribunal de 1° instance de Porto Rico estime qu’en ce qui concerne les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer les charges conjugales de la part du mari, il y a des indices de conduite anormale : très jaloux, abusant physiquement de sa femme, alcoolisme. Toutefois, selon cette sentence, il n’apparaît pas certain, d’après les actes, que l’anormalité de la conduite d’Eufemio, clairement établie après le mariage, ait été antérieure à celui-ci.
Il a été non seulement très opportun, mais nécessaire, de recourir à notre expert qui, malgré ‘l’absence du jugement’ pour le mari et le manque d’attestations psychologiques et/ou psychiatriques à son sujet, estime qu’il y a dans le dossier « des arguments pour exprimer un jugement sur l’état psychique de l’intéressé au moment de la célébration du mariage, et ceci avec un bon niveau de certitude scientifique et morale ».
D’une part les conséquences malheureuses pour la demanderesse du tempérament psychique de son mari et de sa conduite lamentable montrent que, dès l’adolescence, il souffrait d’une structure de personnalité psychopathologique. D’autre part les certificats médicaux qui témoignent de l’état psychique de l’épouse à la suite des fautes de son mari permettent de connaître le propre état psychique de ce dernier.
Selon l’expert les sévices encourus par l’épouse et par ses enfants de la part d’Eufemio révèlent bien la nature pathologique de celui-ci. « Nous retrouvons dans le comportement de la partie appelée, tel que le rapportent les actes, des aspects anormaux d’impulsivité, d’agressivité, une instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur, une suspicion et une méfiance du prochain […]. Son incapacité à contrôler ses instincts et l’absence de principes moraux valides sont démontrés par ses nombreuses relations avec d’autres femmes, avant et après le mariage, et également après le divorce d’avec Delia ».
Les témoins font tous état de la personnalité anormale du mari.
L’expert en conclut que Eufemio était atteint d’un Trouble Borderline de la Personnalité, « d’origine endogène-constitutionnelle », qui « compromettait certainement, par sa nature et par sa gravité, non seulement la sphère cognitive, mais aussi la sphère volitive et affective ». En conséquence, « il n’avait pas la capacité d’assumer des décisions qui comportent des engagements permanents et exclusifs et il avait encore moins la capacité de s’engager dans une relation interpersonnelle stable ».
– Il est superflu de répondre au doute portant sur la simulation totale de l’un des époux ou des deux. Aucun argument ne se trouve dans les actes pour prouver cette simulation.
– Constat de nullité
pour défaut de discretio judicii
et pour incapacité d’assumer les obligations du mariage
de la part du mari, partie appelée
Egidio TURNATURI, ponent
Maurice MONIER
Pio Vito PINTO
Cette sentence, qui déclare pour la première fois la nullité du mariage, sera transmise au Tour d’appel (c. 1682 § 1).
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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 ; cf. c. 1057 § 1
[2] C. BRUNO, 15 décembre 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 765, n. 4
[3] C. DEFILIPPI, 25 octobre 2007, n. 5
[4] C. POMPEDDA, 19 mai 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 209, n. 3
[5] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6
[6] C. DEFILIPPI, 9 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 219, n. 10
[7] A. STANKIEWICZ, L’incapacità di assumere e di adempiere gli oneri conjugali essenziali, dans L’incapacità di assumere gli oneri essenziali del matrimonio, LEV 1998, p. 62
[8] C. FUNGHINI, 13 février 1998, SRRDec, vol. XC, p. 47, n. 2
[9] P.J. VILADRICH, Il consenso matrimoniale, Rome 2001, p. 15
[10] C. TURNATURI, 21 novembre 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 827, n. 7
[11] C. POMPEDDA, 1° juin 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 324, n. 5
[12] C. FUNGHINI, 13 février 1998, SRRDec, vol. XC, p. 47, n. 2 ; cf. c. FUNGHINI, 17 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 15, n. 7
[13] C. FUNGHINI, 29 juin 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 472, n. 4
[14] C. BRUNO, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 142, n. 6
[15] C. SERRANO, 28 février 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 136, n. 4
[16] C. STANKIEWICZ, 23 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 255, n. 13
[17] Même sentence, n. 13 ; cf. c. EGAN, 22 mai 1976, SRRDec, vol. LXVIII, p. 224-227, n. 11-13 ; c. PINTO, 18 décembre 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 590-593, n. 8-11
[18] Cf. B. CALLIERI, Psicopatologia e nosologia del paziente borderline con particolare riferimento al consenso matrimoniale nel diritto canonico, dans l’ouvrage collectif Borderline, nevrosi e psicopatie in riferimento al consenso matrimoniale nel diritto canonico, Rome 1981, p. 3-37
[19] A. HESNARD, Arriération affective, dans A. Porot, Manuel alphabétique de Psychiatrie, Paris 1969
[20] J.D. GULFI – P. BOYER – S. CONSOLI – R. PLIVER-MARTIN, Psychiatrie, Paris 1987, p. 53
[21] C. PINTO, 18 décembre 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 592, n. 11
[22] C. PINTO, même sentence, p. 593, n. 11
[23] C. STANKIEWICZ, 23 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 257, n. 17
[24] G.O. GOBBARD, Psichiatria psicodinamica, Nuova edizione basata sul DSM-IV, traduction italienne, Milan 1995, p. 429
[25] C. STANKIEWICZ, sentence citée, n. 17
[26] Il paziente borderline sulla linea di confine tra mondo isterico e mondo narcisista, dans Matrimonium et Jus, Etudes en l’honneur du Prof. Sebastiano Villegiante, LEV 2006, p. 307
Coram SCIACCA
Violence et crainte
Tribunal régional de Triveneto (Italie) – 9 janvier 2009
P.N. 19.969
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Francesco T., âgé de 26 ans, épouse à Vérone, le 25 septembre 1982, Ornella T., de 4 ans sa cadette, qu’il connaissait depuis l’adolescence de celle-ci. Alors que leur relation amoureuse avait duré presque 8 ans, leur mariage prend fin quinze mois après sa célébration et le divorce est prononcé le 26 novembre 1987.
En 1996, Francesco tente d’obtenir la déclaration de nullité de son mariage pour les chefs du c. 1095, 2° et 3°, mais le Tribunal ecclésiastique rend le 11 février 1999 une sentence négative.
Le 27 mai 2002 le mari recourt à nouveau à la Justice de l’Eglise, mais en invoquant cette fois la violence et la crainte qu’il aurait subies. En première instance le Tribunal régional de Triveneto reconnaît la nullité du mariage et Francesco, qui fait entièrement confiance à la Justice du Tribunal Apostolique, s’adresse directement à la Rote Romaine pour qu’elle statue en deuxième instance.
Il Nous revient de répondre au doute concordé le 31 mai 2007 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour violence et crainte infligées au demandeur ? ».
*
* *
EN DROIT
L’Eglise, sachant en effet toute l’importance qu’il faut accorder au lien de l’amour dans le mariage et sachant aussi qu’il n’y a pas d’amour sans liberté, désirant que la volonté du contractant, puisqu’elle se porte sur un contrat qui comporte des obligations très graves et qui engendre un lien perpétuel, soit nécessairement exempte de toute coaction, a décrété qu’est nul un mariage contracté sans liberté du consentement.
En d’autres termes, dans la crainte qu’on appelle « commune » le mal doit être grave, au moins relativement, tel qu’il est causé par des reproches, des coups, des menaces de coups, de rejet, de déshéritage, d’infamie, de meurtre etc. … Dans la crainte révérentielle toutefois il suffit que quelque chose d’autre s’ajoute à la révérence pour vaincre la volonté : des prières, des instances, des persuasions répétées et importunes, l’indignation, dont on prévoit qu’elle durera, ou un esprit infligeant la crainte et fermement déterminé à obtenir ce qu’il veut.
Bref, il faudra bien percevoir la qualité des personnes pour pouvoir conclure à l’existence d’une crainte commune ou d’une crainte révérentielle.
En d’autres termes il y a des hommes dont l’esprit, pour diverses raisons, se meut facilement et qui sont enclins à l’obéissance et à la révérence, et des hommes à l’esprit rude et obstiné qui n’hésitent pas à faire peu de cas des pressions, des menaces, des prières importunes, fussent-elles de leurs parents, et même à s’en moquer.
EN FAIT (résumé)
Les Juges du Tribunal de Triveneto ont estimé qu’il « est fondamental d’établir le lien causal entre les pressions maternelles et la décision du mariage […]. La fragilité psychologique (du demandeur), son rapport de soumission à sa mère, les pressions affectives et lourdes de celle-ci sont déterminants dans le choix du mariage […]. Le Collège des Juges estime prouvés l’état de dépendance du demandeur vis-à-vis de sa mère, l’opposition du demandeur au mariage, la coaction de la mère pour pousser son fils à ne pas interrompre les préparatifs du mariage, et enfin la relation causale entre l’action de contrainte et la décision du mariage ».
Il est utile de rappeler que le demandeur avait déjà accusé son mariage de nullité en raison de sa propre incapacité consensuelle. Celle-ci n’a pas été considérée comme prouvée, mais la présentation de ce chef montre bien un degré de débilité psychique – bien que n’atteignant pas la gravité et ne dénotant pas une véritable anomalie – du mari, prompt et enclin à abdiquer devant la volonté d’autrui, celle de sa mère en l’occurrence. Le libelle présenté par Francesco au Tribunal de Triveneto le 27 mai 1992 expose longuement le caractère autoritaire de sa mère, qui voulait absolument qu’il épouse Ornella, et sa propre capitulation après un essai de retarder le mariage qu’il ne voulait plus célébrer. Le demandeur se dépeint comme « pas sûr de lui, manquant de confiance en lui-même, toujours indécis […]. Je me suis laissé guider par ma mère ».
La mère de Francesco avoue qu’elle a tout fait pour que son fils épouse Ornella et qu’elle a fait pression sur les deux fiancés pour que le mariage « se fasse et se fasse tout de suite ». La tante maternelle du demandeur confirme ce propos.
Deux expertises réalisées lors du premier procès où il était question d’incapacité consensuelle – et donc réalisées tempore non suspecto – sont importantes pour prouver la fragilité psychique du demandeur, qui a offert un terrain favorable aux pressions de sa mère en vue du mariage : « Monsieur T. a présenté des éléments majeurs de fragilité personnelle, basés sur un sentiment d’infériorité très précoce … Profonde insécurité intérieure … Au moment du mariage, Monsieur T. a un grave vécu névrotique […] et une immaturité affective ». Cet avis de la première expertise est repris par la seconde.
Nous avons suffisamment d’éléments qui montrent que la volonté du demandeur était incapable de résister à celle de sa mère, et donc ici il n’est pas question d’incapacité consensuelle – ce qu’a rejeté la sentence négative de 1999 -, mais d’un consentement blessé par une crainte révérentielle.
Un autre élément est à prendre en considération. L’amour que Francesco avait porté à Ornella s’était amoindri, comme le déclare le demandeur et comme le confirme un témoin.
Enfin un dernier témoin, entendu par le Tour Rotal, confirme à son tour le caractère faible du demandeur et ce qui était devenu pour lui une aversion envers Ornella.
En conclusion, les Pères du Tour déclarent qu’est prouvée de façon certaine la nullité du mariage pour violence et crainte infligées au mari demandeur.
Constat de nullité
pour violence et crainte
Giuseppe SCIACCA, ponent
Giovanni VERGINELLI
Agostino DE ANGELIS
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Coram SCIACCA
Défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer
Exclusion du bien des enfants
Tribunal régional de Triveneto (Italie) – 1° février 2008
Constat pour l’incapacité
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PLAN DE L’IN JURE
DES CAUSES DE NATURE PSYCHIQUE
III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Après de longues fréquentations amoureuses commencées à l’adolescence, Roberto M., âgé de 27 ans, épouse, le 23 mai 1998, Katia F., de deux ans sa cadette. La vie conjugale est malheureuse dès le voyage de noces, qui a lieu au Brésil où un oncle de Roberto est missionnaire, et pendant lequel Katia ne pense qu’à retourner chez son père. A cette époque le mariage n’est consommé qu’une fois, l’épouse se refusant aux rapports conjugaux en raison de difficultés d’ordre sexuel, qu’elle avait déjà rencontrées avant le mariage. La situation sur ce plan ne s’améliore pas, si bien que l’épouse quitte son mari en novembre 2000. Aucun enfant n’était né de son union avec Roberto. Le divorce est prononcé le 21 janvier 2001.
Le 3 novembre suivant, le mari accuse son mariage de nullité devant le Tribunal régional de Triveneto, en s’appuyant sur le c. 1095, 2° et 3°, pour chacune des parties. Une expertise ex officio est réalisée. Le 29 décembre 2003, le Tribunal rend une sentence négative.
Roberto fait appel à la Rote. Sur la demande de son avocat, un nouveau chef de nullité est ajouté et le 17 novembre 2006 le doute est concordé sous la formule suivante : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et/ou incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part de chacun des époux ou au moins de la part de l’un des deux, et, de façon subordonnée, et comme en 1° instance, pour exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse, partie appelée ? ». Une nouvelle expertise est ordonnée.
EN DROIT
Le consentement matrimonial, en tant qu’« acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage » (c. 1057 § 2), est un acte humain qui procède du concours nécessaire des facultés de l’intelligence et de la volonté.
Tandis que sous le n° 1 sont recensés comme incapables de contracter tous ceux qui « n’ont pas l’usage suffisant de la raison », le n° 2 du même canon regarde la capacité personnelle intellective de comprendre du contractant, c’est-à-dire sa capacité d’apprécier et d’évaluer l’objet auquel il consent, en jouissant d’une liberté intérieure proportionnée sans laquelle le consentement est détruit.
Le n° 3, enfin, se réfère à l’incapacité, surtout dans le domaine de la volonté, de remplir les obligations que le contractant veut et doit accepter. En d’autres termes, le contractant – même s’il peut émettre correctement et librement un consentement conjugal et s’il a une véritable volonté de remplir les obligations conjugales qu’il a librement acceptées – est totalement incapable, pour des causes de nature psychique, et des causes graves, de remplir les obligations qu’il avait assumées.
Comme l’exprime parfaitement F. Bersini, « tandis que plus haut (c’est-à-dire sous le n° 2 du c. 1095) on considérait l’acte subjectif du consentement, affecté d’une altération substantielle, ce numéro (le n° 3) considère l’incapacité de remplir l’objet du consentement et, en conséquence, de remplir l’obligation assumée. En d’autres termes, tandis que le n° 2 précédent regarde de façon prévalente le facteur intellectif en tant que tel, le n° 3 regarde la pathologie latente et l’immunité psychique qui se réfèrent avant tout à la sphère beaucoup plus complexe de l’affectivité et volonté de la personnalité »[1].
Le Pape Jean-Paul II a des phrases remarquables à ce sujet : « Pour le canoniste, le principe doit rester clair que seule l’incapacité, et non pas la difficulté, à donner le consentement et à réaliser une vraie communauté de vie et d’amour, rend nul le mariage. L’échec de l’union conjugale, par ailleurs, n’est jamais en soi une preuve pour démontrer cette incapacité des contractants : ceux-ci peuvent avoir négligé les moyens aussi bien naturels que surnaturels qui sont à leur disposition, ou en avoir mal usé, ou bien ne pas avoir accepté les limites inévitables et les pesanteurs de la vie conjugale, que ce soit par des blocages de nature inconsciente ou par des pathologies légères qui n’entament pas la liberté humaine dans son essence, ou que ce soit enfin à cause de déficiences d’ordre moral. On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en présence d’une forme sérieuse d’anomalie qui, de quelque façon qu’on la définisse, doit entamer de manière substantielle les capacités de comprendre et/ou de vouloir de celui qui contracte »[3].
Une discretio judicii suffisante est présumée exister chez ceux qui se marient, à moins que le contraire ne soit prouvé sans le moindre doute par de solides arguments.
Nous trouvons en particulier à l’article 209 § 2 de l’Instruction :
« 1°. Dans les causes pour défaut d’usage de la raison, (l’expert) doit rechercher si au moment de la célébration du mariage cette anomalie perturbait gravement l’usage de la raison ; avec quelle intensité et à quels indices elle se révélait ;
2°. dans les causes pour défaut de discretio judicii, il doit rechercher quel a été l’effet de l’anomalie sur la faculté critique et élective de prendre des décisions importantes, particulièrement pour choisir librement un état de vie ;
3°. enfin, dans les causes pour incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage, il doit rechercher quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage ».
DES CAUSES DE NATURE PSYCHIQUE
Comme nous en sommes clairement avertis dans une sentence c. Turnaturi, du 21 novembre 1997, « la prise en charge des obligations ne produit pas son effet si la volonté est privée de l’usage de la puissance exécutive pour les actions futures essentielles à la communauté conjugale ou celles qui concernent l’ordonnancement naturel à la communauté de vie matrimoniale »[4].
En un mot ce sont celles qui se trouvent dans les biens appelés « biens augustiniens », c’est-à-dire dans les biens de la fidélité, des enfants et du sacrement, en tant qu’obligations qui touchent à l’essence du mariage, mais non toutefois à tout ce qui concerne l’espèce parfaite du mariage ou sa pleine et harmonieuse figure.
Le mariage est ordonné par sa nature au bien des enfants, c’est-à-dire à la procréation d’enfants (c. 1061 § 1), et cela « par une certaine coopération sexuelle » (c. 1096 § 1) – réalisant la communauté de toute la vie entre les conjoints – qui doit être accomplie « de manière humaine » (c. 1061 § 1). En conséquence, si le contractant ne peut pas faire le don total de lui-même, corps et âme, « de manière humaine », pour des causes de nature psychique qui rejaillissent en effets sexuels, ou plus justement, en défauts sexuels, il contracte invalidement.
Parmi les maladies qui peuvent empêcher l’exercice correct de la sexualité, ordonné à l’obtention du bien des conjoints, c’est-à-dire à la formation de la communauté conjugale dans laquelle sont noués et le bien des enfants et l’aide mutuelle ainsi que la donation sexuelle (‘le remède à la concupiscence’), on trouve l’anorgasmie et la dyspareunie.
L’anorgasmie – peut-on lire dans le ‘Dizionario Medico’ – est « l’incapacité de la femme d’atteindre l’orgasme après une phase d’excitation normale ; elle peut être primaire (la femme n’a jamais eu un orgasme) ou secondaire (perte de la capacité d’avoir un orgasme) […]. Dans la majeure partie des cas, l’anorgasmie est due à des problèmes de caractère psychologique, mais souvent à des causes organiques »[5].
Par dyspareunie on entend « un rapport sexuel douloureux et difficile pour la femme. Si cet état se manifeste durant les premiers rapports sexuels, il est souvent dû au vaginisme, causé par une contraction de la musculature périnéenne et d’un spasme de la partie plus extérieure du canal vaginal en absence de sécrétion. Le responsable de cette situation peut être un hymen particulièrement rigide. Parfois elle se manifeste par une peur anticipée ou par une répulsion envers la pénétration du pénis. Ce trouble peut être associé à une personnalité anxieuse, immature, ou être le symptôme d’un trouble psychologique »[6].
C’est pourquoi nous sommes en plein et total accord avec les paroles suivantes d’Arroba Conde, que nous pensons, pour que la choses soit mieux perçue, très utile de rapporter : « Le seul élément de la liberté ne répond pas pleinement au sens que ‘humano modo’ (de manière humaine) a dans la doctrine conciliaire, c’est-à-dire au sens de favoriser la réciprocité et la joyeuse donation des conjoints »[7], puisque la loi s’interprète ‘selon le sens propre des mots’ (c. 17).
« La copulation, même si elle est libre et physiologiquement adaptée – poursuit Arroba Conde dans son ouvrage cité[8], ne peut se dire conjugale si elle est privée de la signification personnelle du rapport conjugal. Il ne faut donc pas négliger les résultats scientifiques s’ils sont en mesure de démontrer l’existence de mécanismes qui, dès le premier rapport sexuel, ont rendu l’union charnelle dans un couple privée totalement de dialogue génital fécond et gratifiant ».
Il en découle aisément qu’une sexualité incorrecte empêche d’obtenir ce bien ou devoir essentiel au mariage, c’est-à-dire le bien des conjoints et la génération-éducation des enfants auxquels le mariage est « ordonné par son caractère naturel » (c. 1055 § 1).
Cela est exposé de façon remarquable et avec une grande clarté par Viladrich, qui peut affirmer en conséquence : « L’objet de la capacité consensuelle n’est pas l’acte de copulation, mais le pouvoir de constituer un droit-devoir sur la copulation, comme expression paradygmatique de la co-appartenance réciproque de la masculinité et de la féminité entre les époux […]. Le sujet peut voir compromise sa capacité de constituer le droit-devoir sur les actes conjugaux […] par impossibilité d’assumer le devoir conjugal, comme intimité habituelle et ordinaire, fruit de l’ordonnancement permanent de la vie matrimoniale à ses fins objectives. On considère qu’ayant pour objet l’instauration d’un droit-devoir par l’intermédiaire d’un acte de libre volonté rationnelle, la capacité consensuelle regarde les actes conjugaux nécessairement dans leur totalité, comme objet continuel et permanent d’un tel droit et donc comme début d’une séquence d’intimité sexuelle ordonnée à la réalisation du bien des époux et de la procréation-éducation des enfants, cette capacité consensuelle qui a son expression juridique obligée dans la possibilité ordinaire et habituelle des actes conjugaux dans la dynamique vitale du mariage. Dans cette perspective, quand l’acte conjugal ne peut arriver dans la vie intime des époux que comme un fait exceptionnel ou extraordinaire, insolite ou inhabituel, de l’ordonnancement permanent de l’intimité sexuelle aux fins essentielles du mariage, nous ne nous trouvons pas dans un cas d’impuissance et encore moins de non-consommation, mais nous pouvons nous trouver devant un cas d’incapacité consensuelle du c. 1095, concrétisée par l’impossibilité d’assumer les devoirs essentiels du mariage pour des causes de nature psychique, toutes les fois que – clairement – la dite impossibilité est due à une cause de nature psychique existant déjà au moment de contracter le mariage »[11].
« La sexualité – comme le dit clairement Arroba Conde – dans sa fonctionnalité respective homme-femme, est présente pour permettre la rencontre et le dialogue le plus intégral et radical qu’on puisse imaginer, ce qui revient à dire le don, non de quelque chose, mais de ce qu’on est. La sexualité configure la radicale altérité individuelle et renvoie à l’intentionnalité amoureuse de la personne ; on comprend alors comment l’amour se sert de la rencontre sexuelle physique et que cela seul incarne, de façon intégrale (pourtant non exclusive), l’effort de surmonter la limitation innée et, en tant qu’expression instinctive de l’unité intrapersonnelle et extrapersonnelle désirée, rend concrète l’option de vivre avec et pour l’autre »[12].
Toujours dans la doctrine établie, « le moment initial et qui cause de façon appropriée la relation conjugale – note P.A. Bonnet – dans laquelle consiste l’état de vie matrimoniale (le mariage in facto esse) ne peut être que la mutuelle donation intégrale de la sexualité, c’est-à-dire de la fonctionnalité homme-femme. C’est seulement une telle donation qui réussira à réunir au profond de leur être un homme et une femme, en les engageant totalement dans leur complémentarité spécifique […]. A la base, en effet, de leur état de vie matrimoniale, constitué par la relation conjugale, il ne peut qu’être par eux un acte qui puisse réciproquement transformer […], modeler l’autre en un « toi ». Pour obtenir cette réalisation mutuelle, il est nécessaire de surmonter l’extranéité originale personnelle réciproque des époux avec le don mutuel d’eux-mêmes en tant qu’êtres sexués et donc, en tant que tels, capables de dialoguer entre eux »[13].
Le Magistère, sur lequel s’appuient – comme fondement nécessaire et inébranlable – la doctrine canonique ci-dessus citée ainsi que la jurisprudence, enseigne avec clarté :
« La sexualité est ordonnée à l’amour conjugal de l’homme et de la femme. Dans le mariage l’intimité corporelle des époux devient un signe et un gage de leur communion spirituelle »[14].
De même Jean-Paul II dans l’Exhortation Apostolique Familiaris Consortio : « La sexualité, par laquelle l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre par les actes propres et exclusifs des époux, n’est pas quelque chose de purement biologique, mais concerne la personne humaine dans ce qu’elle a de plus intime. Elle ne se réalise de façon véritablement humaine que si elle est partie intégrante de l’amour dans lequel l’homme et la femme s’engagent entièrement l’un vis-à-vis de l’autre jusqu’à la mort »[15].
« Les actes […] qui réalisent l’union intime et chaste des époux sont des actes honnêtes et dignes. Vécus d’une manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance »[16].
« La sexualité est source de joie et de plaisir »[17].
Dans une sentence c. Serrano, du 28 juillet 1981, on peut lire : « (Le déséquilibre de l’instinct sexuel), quel qu’il soit, doit être considéré par rapport au mariage, de telle sorte qu’on n’ait pas seulement devant les yeux le ‘caractère sérieux général’ du domaine conjugal et du trouble, mais les raisons tout à fait particulières qui font du mariage une réalité grave, à la fois en raison de sa perpétuité – à laquelle certainement il faut être attentif -, et en raison de ce qu’il est, à savoir une communauté intime et établie par une structure interpersonnelle essentielle.
Sous cet aspect, la sexualité en général […] est mise en question de deux façons : parce qu’elle peut affecter le consentement conjugal lui-même, et parce qu’elle empêche l’acceptation des droits et des devoirs conjugaux, par lesquels se construit la communauté de vie et d’amour, tout à fait propre au mariage »[19].
III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS
Il suffira de rappeler seulement que celui qui, en contractant son mariage, exclut, par un acte positif de volonté, un élément substantiel du consentement, rend nul ce consentement.
L’intention des conjoints, en effet, d’éviter la génération d’enfants pour un certain temps, en raison de causes diverses, comme l’amélioration de la situation économique, ou la preuve de la concorde par une expérience plus profonde de la vie commune, etc., ou leur intention même d’abuser du droit, ne doivent pas être tenues pour une exclusion du droit lui-même, mais seulement pour une exclusion de l’exercice correct du droit.
« Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage ».
Ceci est une présomption juridique simple, c’est-à-dire valable jusqu’à preuve du contraire. Multiple est en effet la raison d’une telle présomption : le bien commun, qui demande la certitude et la stabilité dans le mariage ; un principe du droit naturel, à savoir que « tout est présumé bon à moins qu’il ne soit prouvé mauvais » ; la faveur du droit dont jouit le mariage (c. 1060).
La preuve indirecte ressort du motif ou de la cause de la simulation, tant proche que lointaine, proportionnée à une si grave simulation, sans laquelle personne, raisonnablement, n’aurait commis une telle simulation, cette cause étant bien distincte de la cause qui a conduit au mariage ; la preuve indirecte se tire également de toutes les circonstances, antécédentes, concomitantes et subséquentes du mariage.
EN FAIT (résumé)
Le demandeur, qui s’estime incapable d’émettre un consentement matrimonial valide, en raison d’une grave carence de capacité critique-estimative envers l’objet essentiel du mariage à contracter, et qui se dit également incapable d’assumer les obligations essentielles du mariage, parle ouvertement de lui-même dans sa première déposition du 3 juin 2002 : « Je suis une personne dans la norme, avec une capacité de relation et d’amitié, ouverte pour manifester mes sensations intérieures ». Il ajoute qu’il a reçu une bonne éducation, qu’il a un métier, qu’il a toujours été croyant et pratiquant, qu’il n’a jamais eu besoin d’aller dans un hôpital.
De son côté Katia, l’épouse partie appelée, déclare, dans sa déposition du 10 février 2002, qu’elle n’a jamais constaté chez son mari Roberto une anomalie ou un trouble psychique.
Les témoins : le père de Roberto, sa mère, la mère et le père de Katia, affirment tous que le demandeur avait une personnalité normale et que le mariage a été voulu et préparé par les deux fiancés, ce que confirment d’autres témoins, dont deux prêtres.
Certes Roberto évoque des difficultés caractérielles chez Katia, mais « je la tenais pour une personne adaptée à moi-même et avec qui je voulais vivre ma vie ».
Le docteur V., expert nommé d’office en première instance, considère, après une étude du dossier et un examen direct du demandeur, que celui-ci souffrait d’un grave trouble psychique, dès avant son mariage. Toutefois d’une part le jugement de l’expert dépasse les prémisses et d’autre part la psychanalyse qu’il met en œuvre ne s’accorde pas avec les principes constitutifs de l’anthropologie chrétienne, et comme elle est marquée par le déterminisme, et donc qu’elle nie toute liberté humaine, elle ne peut pas être acceptée.
Devant la Rote a été désigné un autre expert, le docteur Z., qui n’a décelé chez le mari demandeur aucune perturbation « dans la pensée ou la perception ». Roberto, selon l’expert, a des rapports interpersonnels formellement corrects, il n’a pas de tares héréditaires, son développement physique-psychique est normal, sa capacité critique de jugement est efficace.
Bref, les Pères soussignés rejettent le chef de défaut de discretio judicii chez le mari.
Quant à l’incapacité d’assumer de Roberto, elle n’est pas acceptée non plus par les Juges, en raison des conclusions de l’expertise du docteur Z. suivant lesquelles, même si le mari demandeur avait une certaine immaturité, il était, au moment de son mariage, capable de construire une communauté matrimoniale authentique.
Pendant les 10 années de relations amoureuses de Roberto et Katia avant leur mariage, celle-ci n’a donné aucun signe d’une anomalie psychique qui aurait pu affecter sa capacité d’évaluation et de critique. Elle a décidé de se marier de façon mature, malgré les défauts qu’elle constatait chez Roberto.
Aucun témoin ne parle d’anomalie psychique chez Katia, et l’expert rotal, le docteur Z., qui n’a pas pu examiner directement l’épouse et donc s’est basé uniquement sur les actes, déclare « ne pas être en état de dire si la personnalité de l’épouse a compromis l’exécution de l’acte de son choix ».
Les Pères soussignés se rangent à cet avis.
Il en va tout autrement sous cet aspect. Les parties ont rencontré des difficultés d’ordre sexuel avant le mariage : cycle menstruel de Katia douloureux et irrégulier, refus de Katia d’avoir un rapport sexuel dans la nuit de noces (témoignage de la mère de l’épouse, confirmé par le père de Katia). Pour le Rev. D.S., psychologue, l’épouse a « une personnalité froide, incapable d’empathie avec les personnes et les enfants » ; le Père S. a entendu plusieurs fois Roberto se plaindre du refus de sa femme d’avoir des relations conjugales ; l’expert de 1° instance, le docteur V., que Katia n’a pas voulu rencontrer et qui s’est basé sur les actes, parle de trouble hystrionique de personnalité, de grave psychopathologie au moment du mariage.
De son côté, l’expert rotal, le docteur Z., après une longue étude du dossier, reconnaît qu’il peut y avoir chez Katia un trouble hystrionique de personnalité, ou une aversion sexuelle, ou une frigidité sexuelle. Quelle que soit l’hypothèse retenue, il est clair pour l’expert que « l’épouse était incapable d’établir une véritable intimité sexuelle, qui entre dans la substance de la vie commune conjugale », et il conclut qu’elle « n’était pas en mesure, au moment de son mariage, de construire une communauté conjugale telle que soient garantis le bien-être et l’amélioration des conjoints ».
Les Juges estiment également que les graves difficultés rencontrées par Katia dans ses relations conjugales avec son mari Roberto, quelle qu’en soit l’origine, montrent qu’elle a été incapable d’accomplir ‘de façon humaine’ son devoir conjugal par une vie sexuelle correcte. Il ne s’agit pas seulement, d’ailleurs, de difficultés mais d’une véritable impossibilité d’avoir des relations sexuelles normales, qui sont à compter parmi les droits-devoirs du mariage, dont traite le c. 1095, 3°.
III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS PAR L’ÉPOUSE
Sur ce point, le dossier ne contient ni confession judiciaire ni extrajudiciaire de l’épouse ; le motif de la simulation est obscur et les circonstances ne semblent pas en faveur de la thèse du demandeur. Ce chef n’est pas prouvé.
Constat de nullité
seulement pour incapacité de l’épouse
d’assumer les obligations essentielles du mariage
Vetitum pour l’épouse
Giuseppe SCIACCA, ponent
Josef HUBER
Giovanni Baptista DEFILIPPI
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Cette sentence, qui pour la première fois a déclaré la nullité du mariage, est transmise au Tour d’appel.
__________
[1] F. BERSINI, Il nuovo dir. can. matrimoniale, Turin 1985, p. 96
[2] Cf. c. SCIACCA, 16 juin 2005, et 17 mars 2006
[3] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, n. 7
[4] C. TURNATURI, 21 novembre 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 827, n. 7
[5] UTET, Turin 2004, vol. 1, p. 110
[6] Ouvrage cité, p. 478-479
[7] M.J. ARROBA CONDE, La coppia conjugale nella medicina canonistica : il matrimonio rato e non consumato, Barbieri, Rome 2007, p. 283
[8] P. 283
[9] GAUDIUM et SPES, n. 49 § 1
[10] C. BOTTONE, 4 mars 1999
[11] P.J. VILADRICH, Il consenso matrimoniale, Milan 2001, p. 112-113
[12] M.J. ARROBA CONDE, ouvrage cité, p. 274
[13] L’essenza del matrimonio e il bonum conjugum, ouvrage collectif ‘Il bonum conjugum nel matrimonio canonico’, SCV, 1996, p. 112
[14] Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2360
[15] Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2361
[16] GAUDIUM et SPES, n. 49, § 2
[17] Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2362
[18] C. TURNATURI, 18 avril 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 341, n. 19
[19] C. SERRANO, 28 juillet 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 428, n. 26
Coram SABLE
Défaut de discretio judicii
Tribunal régional du Latium (Italie) – 19 février 2009
P.N. 20.043
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
Introduction : le consentement matrimonial
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Maria Luigia et Elio se rencontrent durant l’été 1972. A l’époque, Maria Luigia poursuivait ses études et habitait un petit village tandis qu’Elio faisait son service militaire.
Maria Luigia avait une vie difficile, avec un père alcoolique et violent, et une mère protestante, ce qui en ce temps-là était un scandale. La jeune fille n’avait aucune relation amicale et après ses études devait garder les moutons, alors que ses sœurs, pour leur scolarité, vivaient en dehors du domicile familial. Toujours seule, Maria Luigia est victime en 1967 de violences sexuelles.
Ayant fait la connaissance d’Elio, Maria Luigia noue avec lui une relation amicale puis amoureuse. Peu de temps après leur première rencontre ils décident de se marier et, le 21 septembre 1974, ils célèbrent leur mariage. Un enfant vient au monde, mais de graves discordes se manifestent entre les époux, qui se séparent en 1984. Le divorce est prononcé en 1989.
Le 22 septembre 1999, Maria Luigia présente un libelle au Tribunal régional du Latium, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour grave défaut de discretio judicii de sa part. Lors de l’instruction du procès une expertise est réalisée. Le 12 février 2003, le Tribunal rend une sentence négative. En appel devant le Tribunal du Vicariat de Rome, après un complément d’enquête et deux nouvelles expertises, l’une ex officio, l’autre sur décision personnelle de la demanderesse, la sentence du 27 septembre 2006 infirme la décision précédente et se prononce pour la nullité du mariage.
Devant le Tour Rotal, le doute est concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour grave défaut de discretio judicii de la part de l’épouse demanderesse (c. 1095, 2°) ?
EN DROIT
Introduction : le consentement matrimonial
Bien que le mariage en cause ait été célébré avec l’entrée en vigueur du nouveau Code, l’affaire est à résoudre suivant la norme du c. 1095, 2°, car la norme du c. 1095 sur l’incapacité consensuelle explicite les principes reconnus du droit naturel qui doivent être considérés comme contenus implicitement dans l’ancien Code.
Pour que le consentement matrimonial soit un acte humain, dans une affaire d’une si grande importance qu’est l’alliance matrimoniale, il est requis que celui qui se marie soit doté non seulement de la connaissance, de la part de l’intelligence, mais également de la capacité de se déterminer librement à agir, c’est-à-dire de la capacité de décider de façon délibérée ce qu’il appréhende sous la caractéristique du bien.
Pour cela le simple usage de la raison ne peut pas suffire, il est requis par contre une discretio judicii proportionnée à cette si grave affaire. Pour que cette maturité-discretio judicii soit suffisante pour émettre un consentement valide, il faut de façon très sûre qu’il y ait le concours des éléments suivants :
La discretio judicii : « requiert par elle-même deux éléments : une connaissance critique ou estimative de l’objet du consentement et la liberté intrinsèque de décider délibérément le mariage ». Il faut que chacun de ces éléments soit proportionné aux très graves droits-devoirs essentiels du mariage. C’est-à-dire : « La formule employée par le canon assume quasi formellement un concept, pourrait-on dire, mathématique en tant qu’il établit le principe de proportionnalité entre l’acte psychologique qu’est le consentement (intelligence – volonté – affectivité) et l’objet de ce dernier, à savoir le mariage (droits-devoirs essentiels) »[1]. C’est pourquoi tant le degré de maturité du jugement que celui de la liberté interne sont à mesurer à la gravité de l’affaire matrimoniale, de telle sorte que les contractants soient considérés comme capables de contracter »[2].
« Il faut toujours faire très attention, dans chaque cas, au degré de liberté, et c’est pourquoi il faut prendre le sujet dans sa totalité indivisible avec toutes ses qualités personnelles provenant, à divers degrés et de diverses façons, de sa constitution physique, psychique, des sens et des perceptions de son esprit et de sa nature, des impulsions de sa mémoire, de celles de son éducation et de sa vie antérieure. Là où sont présents des éléments morbides et des conditions négatives, intrinsèques ou extrinsèques, cette situation affecte l’état de l’esprit d’autant plus que diminue le degré de liberté des facultés de l’intelligence et de la volonté »[3].
Le mariage, certes, ne peut pas être considéré comme le sommet de la maturité acquise, mais plutôt comme « un degré dans le processus d’acquisition d’une maturité plus pleine »[6].
Il est très certainement difficile de définir la maturité et donc il est ardu de disserter sur l’immaturité et sa gravité. « Ce qu’est la maturité – remarque une sentence c. Huot, du 18 juillet 1983 – personne ne peut le définir clairement. G.W. Allport déclare : ‘Les psychologues ne peuvent pas nous dire ce que signifient véritablement la normalité, la santé ou la maturité dans la personnalité ; pourtant toute personne engagée dans la pratique, y compris les psychologues et les psychothérapeutes, voudrait bien le savoir’. Cet auteur ne propose aucun critère pour déceler et décrire la maturité, mais il avoue candidement : ‘quelques personnes s’approchent de la maturité, mais existe-t-il quelqu’un qui l’atteigne pleinement ?’ »[7].
De toute façon, autre est la maturité psychique, au sens général et très large, autre est la maturité canonique qui est requise pour émettre un consentement valide. Si l’on va au-delà de ces deux notions et de leurs dimensions, « on finit par confondre une maturité psychique qui serait le point d’arrivée du développement humain avec la maturité canonique qui, au contraire, est le point minimum de départ pour la validité du mariage »[8].
Le sujet capable de célébrer le mariage doit percevoir et évaluer la nature du contrat qu’il veut conclure. Il doit en plus se déterminer correctement et librement à ce contrat à passer avec une personne déterminée.[9]
C’est pourquoi « la discretio judicii ou, en d’autres termes, la capacité psychique de contracter mariage, comprend et l’intégrité fondamentale de la faculté intellective, en laquelle les scolastiques distinguent l’aspect spéculatif et l’aspect pratique, et l’intégrité fondamentale de la faculté volitive. En d’autres termes, il s’agit de la dotation propre de la structure interne, qui constitue toute personnalité et lui permet d’atteindre sa maturité, au moins celle qui est commune, par le cours normal des choses »[10].
« Est affecté d’un défaut de discretio judicii, selon le c. 1095, 2°, le contractant qui est incapable de faire l’acte de libre décision déterminée concernant les droits essentiels à donner et à recevoir mutuellement, et donc celui qui n’est pas capable de vouloir le mariage comme communauté de toute la vie, dotée des propriétés de l’indissolubilité et de l’unité, et ordonnée au bien des conjoints, et bien plus à la procréation et à l’éducation des enfants »[11].
Cependant, « ce n’est pas tout défaut de discretio, ou un défaut d’une nature quelconque, qui vicie le consentement matrimonial, mais seulement un défaut grave. La gravité,pour sa part, doit être estimée en relation aux droits et aux obligations essentielles du mariage »[12].
Ce n’est pas la mission de l’expert de porter un jugement sur la nullité du mariage. Comme l’écrit en effet Mgr Charles Lefebvre, l’objet de l’expertise judiciaire doit concerner « la nature de la perturbation mentale, c’est-à-dire son diagnostic, son degré, son début et sa fin, sans oublier ses effets non juridiques. Il revient en effet aux experts de définir la condition mentale du malade au moment de la célébration du mariage, ainsi que son importance sur les actes non juridiques posés par le malade »[13].
EN FAIT
Les Pères du Tour estiment que les arguments développés par la seconde instance sont suffisamment clairs et solides pour déclarer la nullité du mariage pour défaut de discretio judicii chez l’épouse demanderesse.
Sa crédibilité n’est mise en doute par aucun des témoins, ceux-ci jouissant de plus de leur propre crédibilité.
Il faut noter tout d’abord que la vie difficile de Maria Luigia dans son enfance et son adolescence a joué un grand rôle dans le processus d’évolution de sa personnalité, comme l’a bien montré la sentence de 2° instance.
En 1° instance, Maria Luigia avait décrit son ambiance familiale : sa mère, catholique devenue par la suite protestante évangéliste, ce qui avait causé un grand et durable scandale dans son petit village ; son père, furieux des critiques des voisins, passait sa colère sur sa femme ; il était de plus alcoolique et battait parfois aussi ses enfants. Maria Luigia souffrait d’une absence de dialogue avec ses parents, d’humiliations de leur part, ce qui la rendait taciturne et repliée sur elle-même.
Pour ses études, Maria Luigia, après son passage en école élémentaire et moyenne dans son village, aurait voulu aller au lycée, mais son niveau scolaire était trop faible et ses parents, refusant qu’elle prenne des cours privés pour rattraper son retard, l’inscrivirent dans une école de couture. Maria Luigia se sentit rabaissée, dans un milieu très différent de ce qu’elle avait souhaité, tomba en dépression, ne se fit aucune amie ni relation parmi les élèves de l’école, et se referma davantage sur elle-même.
De plus, alors qu’elle avait 11 ans, elle subit des violences sexuelles. Les juges de 1° instance ont estimé que Maria Luigia et ses témoins n’avaient pas donné de renseignements adéquats sur ce point, alors que la déposition de la demanderesse avait été explicite : à l’époque elle ne savait rien de la sexualité et cet épisode douloureux l’a profondément marquée. Cependant elle n’a parlé de rien à sa mère, craignant que celle-ci ne voie la chose que comme « dégoûtante », réservée aux animaux. Quand ses parents ont finalement été informés de la situation, ils ne se sont pas préoccupés de la santé physique et mentale de leur fille.
Le moins qu’on puisse en conclure est que l’ensemble des faits évoqués démontrent que la personnalité de la demanderesse a été fortement perturbée et que son évolution affective a été fondamentalement troublée.
Les déclarations de Maria Luigia sont amplement confirmées par les témoins, dont sa mère et surtout sa sœur Giovanna, qui retrace abondamment toute la vie et les épreuves de la demanderesse. Les témoignages de nombreuses autres personnes renforcent la crédibilité des dépositions de Maria Luigia.
Lorsque Maria Luigia fit la connaissance d’Elio, pour lequel elle n’avait pas de véritable amour, elle proposa le mariage au jeune homme, mais ce mariage représentait pour elle le départ de sa famille, la libération de son ambiance sociale, et il est hors de doute qu’elle a voulu se marier sans avoir la liberté interne pour s’engager, ni la faculté d’évaluer la nature et les obligations du mariage. La sentence de 2° instance a bien reconnu que « la demanderesse a montré qu’elle n’a pas eu une perception claire et lucide de ce qu’elle voulait de son mariage. Elle voulait s’échapper et espérait, avec le mariage, surmonter et oublier le passé ».
Ces circonstances subséquentes confirment pleinement que Maria Luigia s’est mariée sans une capacité suffisante d’estimer les droits-devoirs du mariage à donner et à recevoir par le consentement.
La vie conjugale fut très difficile. Maria Luigia s’efforça de nouer une relation interper-sonnelle avec son mari, d’être une bonne épouse, mais en vain. La demanderesse parle de difficultés d’ordre sexuel, montrant par là qu’elle n’avait pas surmonté les séquelles du traumatisme subi dans son enfance et qu’elle n’était pas capable de mener une vie sexuelle calme et normale avec son mari.
Les trois expertises réalisées au cours des instructions de 1° et de 2° instance aboutissent, avec des nuances inévitables, aux mêmes conclusions : immaturité grave de Maria Luigia et, chez elle, « trouble non autrement spécifié ». (Il est inutile de retranscrire ou même de résumer les longs développements des experts.)
Les Juges du Tour Rotal, convaincus de l’immaturité psycho-affective et psychosexuelle de la demanderesse, entraînant un défaut de liberté interne dans sa décision de mariage, reconnaissent chez Maria Luigia un grave défaut de discretio judicii et une réelle incapacité d’émettre un consentement valide au moment de la célébration du mariage.
Constat de nullité
pour grave défaut de discretio judicii
chez l’épouse demanderesse
Vetitum pour l’épouse
Robert M. SABLE, ponent
Egidio TURNATURI
Maurice MONIER
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[1] M.F. POMPEDDA, Annotazioni sul diritto matrimoniale nel nuovo Codice canonico, Padoue 1984, p. 49
[2] C. POMPEDDA, 21 novembre 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 649, n. 5
[3] C. SABLE, 8 avril 1997, sent. 31/97, p. 4, n. 5
[4] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 25 janvier 1988, AAS, 1988, p. 1183
[5] C. PALESTRO, 28 juin 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 448, n. 4
[6] C. POMPEDDA, 3 juillet 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 388, n. 18
[7] C. HUOT, 18 juillet 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 442, n. 7
[8] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, AAS 79, 1987, p. 1457, n. 6
[9] Cf. c. GIANNECCHINI, 13 avril 1984, SRRDec, vol. LXXVI, p. 248, n. 2
[10] C. STANKIEWICZ, 5 avril 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 169, n. 5
[11] C. PALESTRO, 28 juin 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 448, n. 4
[12] C. COLAGIOVANNI, 30 juin 1982, vo. LXXXIV, p. 386, n. 10
[13] CH. LEFEBVRE, De peritorum judicumque habitudine in causis matrimonialibus ex capita amentiae, Periodica 65, 1976, p. 116
Coram SABLE
Défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer
Birmingham (Grande-Bretagne) – 7 février 2008
P.N. 16.949
Constat de nullité
pour l’incapacité d’assumer
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PLAN DE L’IN JURE
Préliminaires
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Les deux parties, Francis et Catherine, font connaissance en novembre 1973. A Pâques 1974, leur relation devient amoureuse et ils ont des intimités sexuelles. Catherine est bientôt enceinte (il y aura par la suite une fausse couche), si bien que les jeunes gens décident de se marier, et la célébration a lieu le 5 octobre 1974. La communauté conjugale n’est pas heureuse et les époux se séparent. Une tentative de renouer la vie commune a lieu et une petite fille vient au monde, le 18 novembre 1981, mais peu de temps après le mari quitte définitivement sa femme et le divorce est prononcé.
L’épouse, le 16 juillet 1987, s’adresse au Tribunal ecclésiastique de Birmingham pour demander la déclaration de nullité de son mariage au double motif de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer les obligations conjugales de la part du mari. L’instruction se fait sans que soit ordonnée une expertise. La sentence du 18 juillet 1990 est négative sur les deux points.
L’épouse fait appel au Tribunal de seconde instance de Liverpool. L’instruction est complétée par une expertise. Le 2 juin 1993, le Tribunal rend une sentence affirmative, qui infirme celle de 1° instance.
En 3° instance à la Rote, il Nous revient de répondre au doute concordé le 25 juillet 1996 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii chez le mari, partie appelée, et pour incapacité de celui-ci d’assumer les obligations essentielles du mariage ? ». Une nouvelle instruction est effectuée et une seconde expertise est exécutée.
EN DROIT
Préliminaires
Comme chacun le sait, selon la norme du c. 1057 CIC, « c’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine ».
Pour qu’il y ait l’habilitas, la possibilité juridique de se marier, les contractants doivent avant tout jouir d’une triple capacité : celle de comprendre, celle d’estimer, et celle d’assumer et de donner l’objet du contrat matrimonial.
Selon les principes du droit, dans la loi que nous suivons, sanctionnée par le Législateur Suprême, mais qui est fondée sur le droit naturel, « sont incapables de contracter mariage les personnes :
1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;
2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ;
3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage » (c. 1095).
LE GRAVE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII
Pour que le contractant puisse comprendre la nature et la force du contrat conjugal, il doit avoir une maturité de connaissance et de liberté proportionnée au contrat, maturité dont le niveau est déterminé indirectement compte tenu de l’objet formel du consentement matrimonial.
Le contractant doit être capable de percevoir, d’estimer, d’évaluer, et de se déterminer librement à l’instauration d’une communauté conjugale, perpétuelle et exclusive, ordonnée à la génération et à l’éducation des enfants, libre qu’il doit être non seulement de coaction externe mais plutôt de coaction psychique interne, c’est-à-dire avec une pleine faculté de décider de façon délibérée en sorte que les droits et les devoirs du mariage soient donnés et assumés sciemment et librement.
Chaque numéro du c. 1095 est un chef autonome de nullité. Au n° 1 sont concernées les personnes qui ne comprennent pas la nature et les obligations du mariage en raison d’une carence de l’usage suffisant de la raison et donc ne peuvent pas vouloir le mariage tel qu’il est proposé par l’Eglise. Au n° 2 sont concernés ceux qui comprennent la nature et les obligations du mariage mais qui ne peuvent pas les évaluer et les peser de façon critique et ne peuvent pas non plus émettre un jugement pratico-pratique à leur sujet par manque de discretio judicii ou parce qu’ils ne jouissent pas de liberté interne. Au n° 3, enfin, sont concernés ceux qui jouissent de l’usage de la raison, qui jouissent également de discretio judicii (ils ont donc la capacité de comprendre, d’estimer, d’évaluer et ont une liberté interne), mais qui, en raison d’une condition psychique pathologique, sont inaptes à assumer ou à remplir les obligations essentielles du mariage.
La discretio judicii comprend trois éléments : une connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement, une connaissance critique ou estimation proportionnée au mariage à célébrer, et une liberté interne, c’est-à-dire la capacité de délibérer après une évaluation suffisante des motifs, et cela de façon autonome, c’est-à-dire sans aucune détermination d’une impulsion externe.[3]
En conséquence, les contractants doivent, de la part de l’intelligence, avoir une connaissance minimale, selon le c. 1096, de l’institution du mariage, mais il est nécessaire que chacun jouisse aussi d’une maturité de discretio. La discretio judicii, outre une perception théorique, implique également une évaluation pratique de telle façon que « […] compte tenu de la nature du mariage, c’est-à-dire d’une affaire entraînant des obligations graves et perpétuelles tant envers son conjoint qu’envers les enfants à venir et également envers la société, ainsi qu’après avoir examiné les circonstances de son mariage, (le contractant) puisse établir par un jugement pratico-pratique s’il y a intérêt pour lui à contracter mariage avec cette personne déterminée ou s’il y a dommage à le faire, s’il convient ou non d’épouser cette personne, et enfin s’il est expédient, commode et utile, de se marier maintenant ou plus tard, à un moment plus opportun »[4]. C’est pourquoi le contractant doit clairement évaluer les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement, non pas de façon purement théorique, c’est-à-dire à propos du matrimonium in fieri, du mariage-alliance, mais également de façon pratique, c’est-à-dire à propos du matrimonium in facto esse, du mariage-état de vie.
De la part de la volonté il est nécessaire que l’acte qui est posé procède d’une décision délibérée libre du contractant, c’est-à-dire sans aucune coaction psychique ou aucune impulsion irrésistible, de telle sorte que la décision du mariage soit au plein pouvoir du contractant.
On lit dans une sentence c. Pompedda du 16 décembre 1985, « il y a liberté interne lorsque le sujet, et en l’espèce celui qui se marie, a la faculté de se déterminer lui-même de façon intrinsèque, ce qui en vérité n’exige pas l’absence totale d’impulsions, qui proviennent du caractère, de la vie passée, des circonstances existentielles, de l’éducation, du mode d’agir ainsi que des schémas de la loi morale. La liberté peut parfaitement exister avec des impulsions internes de ce type, mais elle requiert la capacité de leur résister »[5].
Selon le texte de la loi, ce n’est pas n’importe quel défaut de discretio judicii qui induit l’incapacité de contracter mariage, mais seulement celui qui est grave et qui regarde les droits et devoirs essentiels du mariage. Cette gravité est à considérer sous un double aspect, selon une sentence c. Stankiewicz du 28 mai 1991 : « […] tant dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits et devoirs essentiels du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective, du contractant doit garder la proportion requise, que dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii »[6].
L’affectivité, qui constitue un élément essentiel de la personnalité humaine, est ainsi définie par les psychiatres : « Dans le concept d’affectivité nous comprenons la vie des sentiments et de l’âme, les affects, les états d’âme, les émotions et l’instinctivité. Le fait de ressentir le plaisir et la douleur, la joie, le deuil, la colère est à chaque fois un aspect de l’affectivité, de même que le sont les sentiments qui nous dominent dans le rapport avec d’autres personnes »[7].
L’immaturité psycho-affective vient d’une évolution anormale de l’esprit du sujet « qui, bien qu’il ait un âge suffisant, manque de la maturité de l’intelligence et de la volonté proportionnée au consentement »[8], de telle sorte que l’évolution de la faculté critique soit empêchée, et donc le sujet ne peut pas atteindre la conspiration harmonique de ces facultés supérieures.[9]
Dans ce domaine cependant on doit bien faire attention au fait que ce n’est pas n’importe quelle immaturité psychique qui cause la nullité du mariage, mais celle seulement où se vérifie le défaut de discretio judicii dont parle le c. 1095, 2°. La nullité du mariage ne peut être déclarée que si la preuve est faite que l’immaturité psychologique du contractant a été la cause d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement. Ceci est confirmé dans une sentence c. Stankiewicz du 18 décembre 1986 : « Cela arrive en réalité si viennent à manquer les éléments que suppose la discretio judicii, c’est-à-dire d’une part chaque fois qu’outre l’usage de la raison nécessaire pour avoir la connaissance dont parle le c. 1096, la discretio est privée de la fonction d’estimer et d’évaluer la valeur ou l’importance qu’ont les charges essentielles du mariage tant en elles-mêmes que pour le contractant, sous les aspects éthique, social, juridique et d’autres aspects substantiels, fonction qui dépend du degré d’évolution des facultés cognositive et appétitive, auquel parvient une personne normale, lorsqu’elle atteint au moins la puberté , ou d’autre part, chaque fois que cette fonction est affectée d’une perturbation qui empêche gravement la délibération ou la libre décision dans le don du consentement matrimonial »[10].
Sur la nécessité du travail des experts, la loi ecclésiastique statue : « Dans les causes d’impuissance ou de défaut de consentement pour maladie mentale, le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts » (c. 1680). Le c. 1579 déclare : « § 1. Le juge appréciera attentivement, non seulement les conclusions, même concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause. § 2. En donnant les motifs de sa décision, il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts ».
Il est nécessaire que les experts, dans leurs rapports, non seulement déterminent l’origine, la nature, la gravité, le pronostic et l’état de la pathologie, mais également son existence et son influence sur la capacité de discretio du contractant au moment de la célébration du mariage. Comme on le lit dans une sentence c. Turnaturi du 31 janvier 1997 : « Dans le diagnostic de la condition pathologique du contractant au moment de la célébration du mariage, il faut utiliser les services des experts, dont la mission est d’indiquer l’existence ou la latence de l’anomalie, sa nature, son origine, sa gravité, et surtout de mettre en lumière son influence sur l’évolution psychique du sujet »[11].
C’est pourquoi l’incapacité psychique d’assumer les obligations essentielles concerne la fin naturelle du consentement, c’est-à-dire le matrimonium in facto esse, le mariage-état de vie, et touche aussi l’intime communion de vie qui consiste dans la donation réciproque des deux personnes. Dans les cas d’incapacité d’assumer, dont il est question, c’est le critère qualitatif qui vaut, et non le critère quantitatif. Pour que soit prouvée la véritable incapacité d’assumer les charges conjugales, il faut la preuve d’un grave défaut psychique ou d’une psychopathie, alors que sont insuffisantes la mauvaise volonté, les défectuosités légères du caractère ou des désordres mineurs de la personnalité, qui rendent plus difficile la relation interpersonnelle ou la rendent moins parfaite, mais il est requis que la cause de nature psychique rende moralement impossible et intolérable la relation interpersonnelle.
Il faut faire une distinction appropriée entre la capacité d’avoir une relation interpersonnelle minimale, propre au mariage et suffisante pour contracter validement, et la capacité d’atteindre une relation interpersonnelle pleine, entière et mature.
La simple difficulté dans la constitution de la communauté de vie n’implique pas l’invalidité du mariage, c’est-à-dire qu’elle ne démontre pas l’incapacité du contractant à émettre un consentement valide en raison d’une incapacité d’assumer les obligations conjugales.
La Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a souvent affirmé cette distinction, par exemple dans une sentence c. Funghini du 23 juin 1993 : « L’incapacité est affirmée seulement :
Cette même sentence, enfin, maintient un principe que la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a tenu et tient fermement et constamment, à savoir que d’inductions psychologiques incertaines ne peut pas naître une nullité certaine du mariage, et l’Eglise ne peut pas suppléer ces inductions incertaines pour détruire ou affaiblir les principes émanant de l’institution matrimoniale, définis manifestement par la nature pour l’ensemble du genre humain.
Aux termes du c. 1680, le juge doit toujours demander le concours de l’expert pour que celui-ci fasse un diagnostic concret de la possible anomalie ou désorganisation de la personnalité, compte tenu avant tout de sa gravité et de son influence sur la formation de la décision humaine.
EN FAIT (résumé)
Le doute concordé concerne le manque de discretio judicii allégué du mari, ainsi que son incapacité éventuelle d’assumer les obligations essentielles du mariage.
Il importe tout d’abord d’examiner la crédibilité de l’épouse demanderesse. En effet notre expert rotal estime que l’attitude de l’épouse met en cause sa crédibilité, car elle manifeste de la jalousie et de la rancœur. Par contre l’expert de la seconde instance est d’un avis contraire. Il faut reconnaître que tous les témoins ont une bonne opinion de la crédibilité de la demanderesse et une mauvaise opinion de celle du mari. Certes Catherine est sans doute trop méfiante vis-à-vis de Francis, mais il y a de nombreux faits de la vie conjugale qui ont suscité les soupçons de l’épouse.
En ce qui concerne l’incapacité du mari, partie appelée, les deux sentences divergent : négative en première instance, elle est positive en deuxième instance.
En première instance les juges ont reconnu que le mari était immature en raison de sa sexualité désordonnée, qu’il a considéré sa femme comme un simple objet et qu’il ne lui a pas manifesté beaucoup d’affection, mais ils ont estimé qu’ils n’avaient pas la preuve des deux chefs de nullité allégués par la demanderesse. Par contre les juges de deuxième instance ont fait remarquer que le plus grand problème, en ce mariage, n’était pas l’infidélité du mari, mais une profonde inhabilité à communiquer dans les relations matrimoniales. Face à ces divergences d’opinion, il nous faut examiner les déclarations des parties et des témoins.
L’épouse demanderesse décrit la personnalité de son mari : tout enfant il a été victime d’abus sexuel de la part de son frère aîné ; adolescent, il a été renvoyé de son école, puis il a fait 36 métiers, il a eu des problèmes avec ses voisins et la police ; son père est mort alors qu’il avait 10 ans, un de ses frères se droguait, un autre a eu des problèmes avec Francis en faisant des avances à sa petite amie, avant que celui-ci ne fasse la connaissance de Catherine.
L’épouse parle ensuite des infidélités commises par Francis après leur mariage : « La fidélité est impossible pour lui. Il y a trop de femmes dans sa vie ». De plus, en ce qui concerne la relation interpersonnelle conjugale, elle déclare n’avoir aucun souvenir d’un bon moment dans son mariage : « Je n’étais pas heureuse, même au début […]. Il n’y avait pas de partage entre nous, pas de communication […]. Il était incapable de manifester des sentiments. Même du point de vue sexuel, il n’y avait ni véritable amour ni tendresse ».
Le mari réfute les accusations de sa femme : « Je ne me serais pas marié si je n’avais pas eu l’intention d’être fidèle. J’ai travaillé dur pour que mon mariage marche […]. Il n’y a pas eu d’infidélité de ma part ». Parlant de lui-même et de sa personnalité il ajoute : « Je ne montre pas mes émotions. Je suis un timide et un calme. Je n’ai jamais été un démonstratif et Kate a pu interpréter mon manque de démonstration d’affection comme un manque d’affection ». Décrivant sa famille, Francis donne une tout autre image que celle présentée par sa femme : « Nous étions pauvres mais il y avait de l’amour chez nous », et à propos de la personnalité de sa femme, il déclare que Catherine n’était pas timide, mais très catégorique et volontaire, qu’elle était de mauvaise humeur si elle ne pouvait faire ce qu’elle voulait, et surtout il insiste sur la jalousie de sa femme : « jalouse de mon ancienne petite amie … elle est possessive. Elle a commencé à m’accuser de rechercher d’autres femmes ».
En ce qui concerne la vie sexuelle des époux, Francis déclare avoir eu avec Catherine des relations sexuelles pleines d’amour, ajoutant que sa femme avait une conduite sexuelle ardente.
Pour leur part, tous les témoins apportent des éléments importants concernant le comportement de Francis : recours précoce à l’adultère, amoralité, et sévices subis de son propre frère. Les déclarations peuvent ainsi se résumer : « avances » de Francis ou relations intimes avec sa petite amie, une collègue de Catherine, des voisines, des amies, une infirmière etc. Un témoin confirme l’amoralité de Francis et ses comportements sexuels anormaux.
L’histoire de la famille du mari permet aussi de comprendre que celui-ci n’a pas pu acquérir une maturité correcte : parents désunis et ayant des aventures extra-conjugales ; tous les enfants mariés, sauf un, étant divorcés ; abus sexuel sur Francis commis par un de ses frères.
La vie matrimoniale a été malheureuse dès le début : « J’ai été tentée de quitter Francis, je ne l’ai pas fait mais notre vie n’était pas un mariage », déclare Catherine. Celle-ci a cherché un appui chez des prêtres mais leur intervention est restée sans effet, comme le confirme spécialement l’un d’eux, qui pense d’ailleurs que Francis était incapable de comprendre et d’assumer les obligations du mariage. De plus, les actes contiennent de nombreux faits qui montrent que le mari ne s’est pas préoccupé des biens du mariage : le bien de la fidélité, on l’a vu, et le bien des conjoints. On peut dire aussi que Francis a réduit la relation interpersonnelle avec son épouse à une simple relation sexuelle.
Les expertises sont à examiner. L’une a eu lieu en seconde instance (docteur C.), l’autre en troisième instance à la Rote (docteur L.).
L’une et l’autre excluent l’incapacité du mari pour défaut de discretio judicii. Pour le docteur L., il n’y a pas chez le mari, au moment du mariage, d’éléments indiquant ou faisant soupçonner des affections psycho-pathologiques, telles que psychose, dysthymie, trouble de la personnalité, dépendance de la drogue. En conséquence nous ne pouvons pas conclure à un défaut grave de discretio judicii selon le c. 1095, 2°.
Cependant le même docteur L. ne dit rien, dans son rapport d’expertise, de la capacité du mari d’assumer les obligations conjugales. Toutefois les Pères Auditeurs estiment que les juges de seconde instance ont bien interprété les actes et leurs conclusions sont en accord avec ceux-ci, qui montrent la grave immaturité psychologique du mari qui l’a rendu incapable d’assumer tant le bien de la fidélité que celui des conjoints.
– Constat de nullité
seulement pour incapacité d’assumer
les obligations essentielles du mariage
– Vetitum pour le mari
Robert M. SABLE, ponent
Egidio TURNATURI
Maurice MONIER
[1] SAINT THOMAS, Somme théologique, Ia Iae, q. 1, art. 1
[2] M. CANONICO, L’incapacità naturale al matrimonio nel diritto civile e nel diritto canonico, Naples 1994, p. 83
[3] Cf. c. FUNGHINI, 19 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXV, p. 403, n. 2
[4] C. FUNGHINI, 23 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 353, n. 2
[5] C. POMPEDDA, 16 décembre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 586, n. 5
[6] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6
[7] E. BLEULER, Trattato di psichiatria, 1960, p. 79
[8] C. RAGNI, 15 janvier 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 32, n. 3
[9] Cf. c. DI FELICE, 16 février 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 99-100, n. 2
[10] C. STANKIEWICZ, 18 décembre 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 748, n. 5
[11] C. TURNATURI, 31 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 59, n. 20
[12] C. FUNGHINI, 23 juin 1993, p. 7, n. 4
[13] M.F. POMPEDDA, Incapacity to assume the essential obligations of marriage, dans Incapacity for marriage, Jurisprudence and interpretation acts of the III Gregorian Colloquium, R.M. Sable, ed. Rome 1987, p. 197
Coram PINTO
Exclusion du bien du sacrement
Tribunal régional des Abruzzes – 27 mars 2009
P.N. 19.934
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Bruno R., demandeur en la cause, épouse Titti G., partie appelée, le 9 octobre 1976. Une fille naît au foyer le 10 septembre 1977.
Petit à petit leur communauté de vie se dégrade et elle prend fin lorsque Bruno découvre que sa femme a une relation extraconjugale. Les époux se séparent en 1988 et le divorce est prononcé le 19 juin 1992.
Le 27 octobre 1998 Bruno adresse un libelle au Tribunal régional des Abruzzes, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour exclusion de l’indissolubilité de sa part. L’épouse ne s’oppose pas à cette requête mais elle refuse de comparaître ensuite devant le Tribunal et elle est déclarée absente du jugement. La sentence du 18 janvier 2002 est négative. En appel toutefois, le Tribunal de seconde instance, le 28 février 2006, reconnaît la nullité du mariage.
Il Nous faut répondre aujourd’hui au doute concordé le 14 décembre 2006 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur, en application du c. 1101 § 2 ? »
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EN DROIT
Il est bien connu que face à la conception actuelle du mariage, de jour en jour plus néfaste, la Jurisprudence de Notre For, selon son important devoir, a lutté vigoureusement et lutte inébranlablement pour défendre la vision surnaturelle transcendante du mariage, que le Dieu Créateur a inscrite dans la nature humaine elle-même et que le Christ Rédempteur a élevée à une dignité plus grande. La simple différence des caractères, donc, qu’on appelle couramment « l’incompatibilité de caractère », ne pourra jamais être prise par l’Eglise comme un chef légitime de nullité : cela est hors des pouvoirs de l’Eglise. De même, des deux incapacités relatives réduites il ne résulte pas une incapacité de consentir de l’un et l’autre, ou de l’un ou l’autre des conjoints, étant donné que l’incapacité n’admet pas de degré et qu’elle ne devient pas grave par l’addition des degrés légers de chaque personne des conjoints.
On comprend bien ensuite, si l’on considère la faveur du droit dont jouit le mariage (c. 1060), les règles du c. 1101 § 1 et 2 :
– « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage ».
– « Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement ».
C’est pourquoi celui qui, dans la célébration du mariage, émet un consentement externe, mais par un acte positif de la volonté exclut, en son for intérieur, une propriété essentielle du mariage, c’est-à-dire l’indissolubilité, en se réservant le droit d’user du divorce, contracte certainement de façon invalide (cf. c. 1101 § 2).
Les contractants qui simulent nient donc la mutuelle donation-acceptation entre époux, puisque leur consentement est une simulacre vide, et qu’ils méprisent la norme du Code (cf. c. 1057 § 2) et sa source doctrinale proche, c’est-à-dire la Constitution Apostolique Gaudium et Spes.[1]
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique nous enseigne très opportunément que l’indissolubilité ne souffre aucune distinction entre le droit et l’exercice du droit, puisqu’elle appartient par elle-même à l’être du mariage, c’est-à-dire de façon indivisible dans le matrimonium in fieri, le mariage-alliance, et le matrimonium in facto esse, le mariage-état de vie : « Le couple conjugal forme ‘une intime communauté de vie et d’amour, fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. Elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel et irrévocable’. Tous deux se donnent définitivement et totalement l’un à l’autre. Ils ne sont plus deux, mais forment désormais une seule chair. L’alliance contractée librement par les époux leur impose l’obligation de la maintenir une et indissoluble »[2].
Amour et consentement
Certes, le mariage ne repose pas sur l’amour, mais sur le consentement. Cependant si l’amour n’est pas le consentement, le consentement est toutefois la plus grande expression de l’amour et sa véritable manifestation : aucune donation-acceptation des personnes, en effet, ne peut avoir lieu sans amour. La donation-acceptation, enfin, est ordonnée à la constitution d’une famille, qui est fondée par un amour nourri par la grâce.
Comme l’enseigne le Pape Jean-Paul II, « le Concile a vu le mariage comme un pacte d’amour […] dans lequel le consentement conjugal est un acte de volonté qui signifie et comporte un don mutuel qui unit les époux entre eux et ensemble les lie à leurs enfants éventuels avec lesquels ils constituent une seule famille, un seul foyer, une Eglise domestique ».
Sous cet aspect, c’est-à-dire dans la mutuelle donation, le consentement matrimonial « est un engagement à un lien d’amour où, dans le don lui-même, s’exprime l’accord des volontés et des cœurs pour réaliser tout ce qu’est et signifie le mariage pour le monde et pour l’Eglise ».
Dans cette donation, « celui qui se donne le fait avec la conscience d’être obligé de vivre son don à l’autre. S’il accorde un don à l’autre, c’est parce qu’il a la volonté de se donner. Il se donne avec l’intention d’être obligé à réaliser les exigences du don total qu’il a fait librement. Si sous l’angle juridique ces obligations sont plus facilement définies, si elles sont davantage exprimées comme un droit qui s’accorde que comme une obligation qui se prend, il est également vrai que le don n’est pas seulement symbolisé par les engagements d’un contrat qui exprime sur le plan humain les engagements inhérents à tout consentement conjugal vrai et sincère. C’est ainsi que l’on arrive à comprendre la doctrine conciliaire de manière à lui permettre de récupérer la doctrine traditionnelle pour la placer dans une perspective plus profonde et, en même temps, plus chrétienne »[3].
Dans un autre discours à la Rote, Jean-Paul II déclare : « Les époux sont libres de célébrer leur mariage, après s’être mutuellement choisis d’une manière également libre, mais, au moment où ils posent cet acte, ils instaurent un statut personnel où l’amour devient quelque chose qui est dû, et qui a également des conséquences de caractère juridique »[4].
C’est pourquoi, si l’amour est absent, on ne peut pratiquement pas parler de véritable consentement matrimonial.[5]
Le contractant, qui, alors qu’il consent, joue un jeu pervers, « entend accomplir un simulacre puisqu’en réalité il exclut le mariage lui-même. Dans la simulation partielle, toutefois, il souhaite une sorte de mariage (un pseudo-mariage) accommodé à ses propres sentiments, en ignorant la plupart du temps qu’il cause une nullité »[6].
Il arrive de nos jours, de plus en plus souvent, que celui qui se marie s’estime arbitre de la permanence du lien matrimonial et qu’il décide que la dissolution de ce lien et la faculté de retrouver sa liberté dépendent de son seul pouvoir par l’usage – plus justement, par l’abus – déjà envisagé avant la célébration du mariage, de ces institutions civiles scélérates qui s’appellent séparation définitive légale et divorce. Il arrive la plupart du temps que « le contractant se compose sa propre doctrine du mariage (qu’il sache ou non que cela répugne à la pensée et à la discipline de l’Eglise), et donc qu’il y adhère pleinement d’esprit et de cœur, alors cependant qu’il y manque la notion d’indissolubilité, mais c’est ainsi et pas autrement que celui qui s’est marié a voulu célébrer le mariage »[7].
Les fidèles de ce type s’appuient plutôt sur l’amour érotique, par l’effet de la mauvaise influence des principes dissolus de l’hédonisme moderne, et non sur l’amour sponsal. C’est pourquoi ils sont catholiques de nom, mais leurs cœurs et leurs volontés ne s’attachent plus à Dieu et à la doctrine de l’Eglise.
La Jurisprudence de Notre For a parfois, à juste titre, trouvé cette cause motivante dans la malice de la personne. Une sentence c. Pompedda du 6 décembre 1990 fait remarquer : « Il peut en effet arriver que la construction psychologique d’une personne se trouve telle qu’elle la conduise comme nécessairement à feindre elle-même le mariage, en rejetant le caractère naturel du mariage et sa substance. Dans ce cas-là il est parfois très difficile de discerner s’il s’agit d’une véritable incapacité du contractant à assumer les éléments qui sont de l’essence du mariage, ou s’il s’agit plutôt d’une adhésion positive à un schéma ou une notion qui s’écarte de la saine doctrine sur le mariage, selon les dogmes de Dieu et de l’Eglise, et d’où résultent l’exclusion d’un élément ou d’une propriété essentielle et donc la nullité du consentement matrimonial »[8].
EN FAIT (résumé)
Etant donné les divergences entre l’épouse partie appelée et le mari demandeur, les Pères soussignés pensent que le cœur du problème est la crédibilité des parties, avec le principe habituel de Notre Jurisprudence que les faits sont parfois plus éloquents que les paroles. Un de ces faits est la lettre envoyée par l’épouse au Tribunal, où elle menace de révéler à la presse les « violences morales inacceptables » qu’elle a subies durant le procès.
Le mari, quant à lui, est un homme qui, avant le mariage, a toujours manifesté un christianisme bien faible, surtout en ce qui concerne la doctrine de l’Eglise sur le mariage. Toutefois il a toujours été cohérent et constant dans ses nombreuses dépositions, ce qui n’a pas été le cas pour l’épouse, qui n’a pas voulu comparaître en première instance et qui a essayé sans cesse de dissimuler la vérité, par exemple sa relation avec son amant F.
Bruno s’est marié sous la pression de deux motifs contraires : d’une part des nécessités économiques importantes, et d’autre part un doute insurmontable sur l’heureuse issue de son mariage.
Cela dit, les Pères du Tour estiment que la sentence de 1° instance laisse à penser que les juges avaient des idées préconçues au sujet de l’épouse et de ses témoins. La sentence de deuxième instance, par contre, est mieux établie.
Bruno, on l’a dit, a toujours été constant dans ses déclarations, où il a assuré qu’il avait rejeté l’indissolubilité du lien sous la forme dite hypothétique : « Je pensais que si le mariage allait mal je le romprais … Je ne pouvais pas prévoir comment serait après le mariage mon rapport avec Titti […] et cela m’a porté avec clarté à la conviction d’exclure l’indissolubilité du mariage que j’allais contracter avec elle ».
L’épouse, qui n’a déposé qu’en seconde instance, affirme que son mari invente des histoires pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage et qu’elle ne l’a jamais entendu rejeter la perpétuité du lien, mais son ressentiment apparaît dans ses menaces de révéler son cas à la presse : « Je déclare pour la énième fois que je ne m’oppose pas absolument à l’annulation, mais je n’accepte pas l’éventualité que soit décrite à nouveau une réalité déformée, sinon je dénonce à la presse des violences morales inacceptables ».
Les neuf témoins confirment tous la confession judiciaire du mari. D’une seule voix ils déclarent que Bruno avait des doutes sur l’avenir de son mariage : « Il m’en a parlé », « Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup d’amour entre eux », « Bruno a trouvé une lettre d’amour envoyée à Titti par son ex-fiancé, et il en a été très marqué ». De plus ils ont entendu Bruno dire qu’il divorcerait si son mariage n’allait pas bien : « Bruno m’a dit qu’il n’attribuait pas à son mariage avec Titti la valeur d’un vrai mariage » etc.
Elle réside dans la mentalité favorable au divorce qu’avait Bruno avant son mariage : « C’était un partisan du divorce », « dans nos discussions sur le divorce, il s’y montrait favorable » etc.
Elle se trouve, en pleine cohérence avec la cause lointaine de la simulation, dans les doutes qu’avait Bruno sur l’avenir de son mariage : divergences de caractère, manque de confiance envers Titti, surtout après la découverte de la lettre que lui avait envoyée son ex-fiancé. Pour sa part Titti dément catégoriquement qu’elle ait gardé un lien avec son ex-fiancé, mais en même temps elle attribue l’échec de son mariage « à la suspicion prématrimoniale de Bruno ».
Les témoins, d’une seule voix, parlent des doutes de Bruno.
Bruno déclare qu’il a songé au mariage pour des raisons économiques : l’aide précieuse du père de Titti. Certes l’épouse s’oppose à la thèse de Bruno, reconnaissant tout au plus que son fiancé et son père se sont rencontrés un mois avant le mariage, mais cette rencontre, si elle a eu lieu, aurait pu faire naître chez Bruno l’espoir que son beau-père pourrait l’aider financièrement.
Par ailleurs Titti fait état de graves difficultés survenues dans le couple après le mariage : « il n’était jamais là […], quand il était là, il s’enivrait et avait des troubles sexuels […], sa vraie famille était sa famille d’origine et non celle qu’il devait former avec moi […]. Je me suis convaincue que je n’étais rien d’important dans la vie de Bruno ».
Ce qui Nous intéresse, c’est un fait incontestable qui montre que le demandeur a exclu, par une erreur et une décision radicales, l’indissolubilité de son mariage avec la partie appelée. Ce que Nous devons prouver en effet est que Bruno a émis un acte positif de volonté d’exclusion du bien du sacrement. Ayant des doutes sérieux sur la moralité du caractère de sa future épouse, Bruno est resté dans son erreur, il l’a même renforcée, pensant de façon tenace que le mariage peut être dissous ad libitum, avec une négligence totale de la doctrine catholique correcte.
Constat de nullité
pour exclusion du bien du sacrement
de la part du mari demandeur
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
John G. ALWAN
Giordano CABERLETTI
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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 ; cf. Exhortation Apostolique Familiaris Consortio, n. 11
[2] Cat. Egl. Cath., n. 2364
[3] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 28 janvier 1982, AAS LXXIV, 1982, p. 449
[4] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 21 janvier 1999, AAS XCI, 1999, p. 622
[5] Cf. c. TURNATURI, 14 mai 2009, n. 8-12 ; cf. c. PINTO, 17 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 32, n. 5 ; cf. c. PINTO, 14 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 14, n. 8
[6] C. STANKIEWICZ, 29 janvier 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 46, n. 5
[7] C. POMPEDDA, 1° juillet 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 691, n. 3 ; cf. c. STANKIEWICZ, 29 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 308, n. 5
[8] C. POMPEDDA, 6 décembre 1990, vol. LXXXII, p. 837, n. 10
Coram PINTO
Incapacité d’assumer
Bogota (Colombie) – 22 février 2008
P.N. 17.063
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Silveriano P., demandeur en la cause, épouse Maria, partie appelée, le 8 janvier 1972. Ils s’étaient rencontrés en 1961. Au moment de leur mariage Silveriano a 24 ans et Maria 23.
La vie conjugale, sans enfants, connaît l’échec en raison de discordes entre les époux. Douze ans après son mariage, Maria quitte Silveriano.
Le 11 septembre 1985, Silveriano, désireux de retrouver sa liberté, présente un libelle au Tribunal Régional de Bogota, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, pour des causes de nature psychique, de la part des deux époux ou au moins de l’un d’eux. La partie appelée, convoquée, ne répond pas. Le mari demandeur est entendu, ainsi que des témoins, et une expertise portant sur le mari est effectuée. Le 3 septembre 1987, le Tribunal rend une sentence positive, reconnaissant l’incapacité d’assumer de chacun des époux. Cependant le Tribunal d’appel de Colombie, après un complément d’enquête où est entendue l’épouse partie appelée, infirme, le 28 juin 1990, la décision de la 1° instance.
Sur appel de la partie appelée, la cause est transmise à la Rote en 1995. A la demande de l’avocat de l’épouse, présentée le 2 mai 1986, deux chefs de nullité, à juger comme en première instance, sont ajoutés : dol de la part du mari pour extorquer le mariage et condition d’avoir des enfants de la part de l’épouse. Une expertise est à nouveau effectuée.
Nous devons répondre à ces chefs en troisième degré de juridiction.
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EN DROIT
C’est le consentement des parties exprimé entre personnes juridiquement habiles qui fait le mariage. Pour qu’il y ait habilité, il faut avant tout que les contractants jouissent de la capacité de comprendre, d’évaluer, ainsi que d’assumer et de donner l’objet du contrat matrimonial.
Pour que le mariage soit déclaré nul, l’incapacité doit exister au moment du consentement, peu important qu’elle demeure éventuellement dans la vie conjugale ou qu’elle disparaisse.
Cette incapacité doit concerner les obligations essentielles du mariage en l’absence desquelles le consentement ne porte sur rien.
On dit que ces obligations sont essentielles, car il faut les distinguer d’autres obligations qui sont considérées comme un complément dans l’alliance conjugale, par exemple une parfaite harmonie entre les parties, ou le succès du mariage, ou la difficulté qu’on appelle aujourd’hui incompatibilité de caractère entre les époux, si l’on regarde le bien des conjoints, étant donné la constante doctrine de Notre Ordre selon laquelle « n’appartiennent pas à ‘l’être’ d’une chose mais plutôt à son ‘bien’ être, les éléments qui rendent plus facile l’exécution des obligations »[1].
Sans aucun doute, même s’il est difficile de déterminer toutes et chacune des obligations, il faut compter celles qui proviennent des propriétés essentielles du mariage (c. 1056) ou de ses ordonnancements naturels (c. 1055), ainsi que les éléments nécessaires qui constituent l’état matrimonial. Ainsi la jurisprudence reconnaît de façon appropriée que les obligations conjugales essentielles sont contenues dans les trois biens du mariage, c’est-à-dire le bien des enfants, celui du sacrement et celui de la fidélité, auxquels il faut ajouter le bien des conjoints[2], qui requiert une nécessaire connexion entre le mariage in fieri, le mariage-alliance, et le mariage in facto esse, le mariage-état de vie.
« La vie conjugale in facto esse, a écrit Mgr Pompedda, c’est-à-dire dans son existence, consiste avant tout en un rapport interpersonnel, où entre les parties précède ou est exigée une saine, c’est-à-dire authentique, structure interpersonnelle. Si donc chez le contractant existait (et est prouvé) un grave défaut d’une telle intégration, celui-là est à considérer comme incapable de comprendre la nature de la communauté conjugale, et par conséquent de porter un jugement sur l’instauration d’une semblable communauté pérenne de vie, et cela tout en restant capable de remplir les autres devoirs qui sont étrangers à une telle intégration intrapersonnelle et interpersonnelle »[3].
Le nécessaire rapprochement entre les deux figures citées, c’est-à-dire le mariage in fieri et le mariage in facto esse, a été l’objet d’une abondante jurisprudence de Notre Ordre bien avant la célébration du Concile Vatican II. On lit par exemple dans une sentence c. Anné, du 22 juillet 1969, « Bien plus, si de l’histoire de la vie du marié, suivant l’avis des experts, il apparaît nettement que chez l’époux, dès avant le mariage, manquait gravement l’intégration intrapersonnelle et interpersonnelle, celui-ci doit être réputé inapte à saisir comme il convient la nature elle-même de la communion de vie ordonnée à la procréation et à l’éducation des enfants qu’est le mariage, et par conséquent incapable, pareillement, de juger et de raisonner correctement à propos de l’instauration de cette communauté définitive de vie avec une autre personne. C’est pourquoi, dans ce cas, fait défaut la discretio judicii qui peut conduire à une décision délibérée valide de la communauté conjugale. Sans aucun doute le sujet peut rester capable de remplir d’autres devoirs qui sont étrangers à cette intégration intrapersonnelle et interpersonnelle »[4].
Dans une autre sentence, du 25 février 1969, Mgr Anné avait insisté sur « l’intime conjonction des personnes par laquelle l’homme et la femme deviennent une seule chair, et à laquelle tend comme vers un sommet cette communauté de vie. Cela montre que le mariage est une relation avant tout personnelle et que le consentement matrimonial est un acte de volonté par lequel les époux ‘se donnent et se reçoivent mutuellement’ […]. C’est pourquoi le mariage ‘in facto esse’, c’est-à-dire le mariage-état de vie, doit – dans ses éléments essentiels – être recherché comme objet formel substantiel, au moins implicitement et médiatement, dans le mariage ‘in fieri’, c’est-à-dire le mariage-alliance […]. Certes dans le mariage-état de vie peut manquer la communauté de vie, mais ne peut jamais manquer le droit à la communauté de vie »[5].
« Sous la formule ‘de nature psychique’, écrit une sentence c. Monier, du 11 avril 2008, il faut faire remarquer qu’il n’est pas requis par la loi une maladie mentale strictement dite ou une véritable psychopathie, mais qu’il suffit d’une anomalie ou d’un désordre, tirant son origine d’une cause psychique, qui ne rend pas seulement difficile, mais véritablement impossible, la capacité d’assumer les obligations conjugales »[9].
Un maître bien connu nous enseigne : « Les psychopathies, bien qu’elles ne soient pas reconnues comme de véritables maladies mentales, peuvent tellement troubler le sujet ou concerner spécifiquement le mariage ou quelques circonstances du mariage, qu’elles rendent le contractant inhabile à donner un véritable consentement matrimonial »[10].
« La difficulté majeure […] est dans l’évaluation de la maturité-immaturité, cette maturité-immaturité qui est grave et qui est en rapport avec les obligations essentielles du mariage du fait que ces termes indiquent une relation dynamique, soit vers une évolution de la personnalité humaine jusqu’à la mort, soit parce qu’ils entrent dans la qualification du tempérament, du caractère, du substrat endothymique de la personnalité, toutes choses qui agissent de diverses façons et inter-agissent dans la même personne, et cela selon les inégalités du temps, d’espace, de culture, de société »[12].
Quelle que soit la nature psychique de la cause de l’incapacité, il faut toujours avoir devant les yeux la distinction entre l’incapacité et la simple difficulté.[13]
Cette incapacité est prouvée directement par l’œuvre des experts dans le diagnostic de la nature pathologique de l’anomalie présumée, et indirectement par les faits, circonstances et indices présentés en jugement par les parties et les témoins.
EN FAIT (résumé)
La cause présente a débuté en 1986. Elle est parvenue à la Rote en 1995, où en 2005, après le changement d’avocat et le départ pour limite d’âge du ponent, Mgr Serrano, a été nommé le ponent actuel. Les Pères trouvent ce parcours judiciaire vraiment trop long !
Quel que soit le problème de la rétroactivité de ce chef, puisque le mariage a été célébré le 8 janvier 1972, donc sous le régime du Code de 1917, le dol n’est absolument pas prouvé.
L’épouse en effet déclare avoir été trompée par son mari, qui lui a caché qu’il était stérile. Les témoins parlent vaguement de cette stérilité, qui reste donc incertaine et dont les actes ne contiennent aucun document clinique. Par contre ils montrent clairement que le mari ignorait son état et les examens médicaux que celui-ci a subis après son mariage démontrent sa bonne foi. Il faut ajouter que Maria a épousé Silveriano contre l’avis de ses parents et parce qu’elle aimait le jeune homme, et qu’après avoir découvert, après son mariage, la stérilité de son mari elle n’a pas quitté celui-ci. Enfin les témoins assurent que l’échec du mariage est dû uniquement à l’infidélité de l’épouse.
Ni Maria, ni les témoins, ne parlent de l’apposition, explicite ou implicite, d’une condition de l’épouse sur le rapport nécessaire entre la validité du mariage et la génération d’un enfant. Maria n’avait aucune raison de douter des possibilités et de l’attitude de Silveriano. La séparation définitive des époux, décidée par Maria, est plutôt à attribuer à son amour pour un autre homme.
la part des deux époux
Les Pères estiment que cette incapacité est uniquement de la part du mari.
En ce qui concerne l’épouse, le demandeur et les témoins n’ont que des déclarations générales et lorsqu’ils parlent de son immaturité, c’est de façon très vague, comme le reconnaît le défenseur du lien lui-même.
Par contre, certains sont plus explicites à propos du mari : « Il n’a aucun sens de la responsabilité qu’il doit avoir », mais c’est peu.
Deux expertises ont été faites, l’une en 1987 par le docteur V., l’autre à la Rote par le professeur Callieri.
Le docteur V. a examiné les actes et interrogé le demandeur. Il indique chez celui-ci un trouble asthénique de la personnalité et considère qu’il n’avait pas au moment du mariage la capacité suffisante d’assumer les obligations essentielles du mariage. Il a d’ailleurs le même avis pour Maria, l’épouse.
Le professeur Callieri a étudié les actes et les conclusions de l’expert de première instance et il se dit certain de la présence d’une anomalie psychique au moins chez le mari : « La structure de la personnalité du demandeur est celle d’une personne de faible niveau intellectuel, d’une faible capacité d’autoréflexion critique, avec une tendance à la carence d’autonomie du jugement et de possibilité de décision […]. Un tel état psychologique est d’origine et de nature constitutionnelle […]. Un tel trouble, de par sa nature spécifique, n’est pas transitoire mais habituel […]. Le désordre psychique du mari […] rendait très difficile, pour ne pas dire proprement impossible, de remplir l’obligation conjugale […] de la réciprocité interpersonnelle de co-appartenance mutuelle ».
Cela étant, les Pères soussignés considèrent que la preuve de l’incapacité de l’épouse n’est pas rapportée, tandis qu’à partir des expertises, des faits attestés, et de la conduite du mari, ils affirment que celui-ci était incapable d’assumer et de remplir les obligations conjugales essentielles.
Constat de nullité
pour incapacité du mari d’assumer les obligations essentielles du mariage
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
Maurice MONIER
Jair FERREIRA PENA
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[1] C. DORAN, 18 mars 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 176, n. 5
[2] Cf. c. STANKIEWICZ, 23 juin 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 417, n. 5
[3] M.F. POMPEDDA, Nevrosi e personalità psicopatiche in rapporto al consenso matrimoniale, dans Perturbazioni psichiche e consenso matrimoniale nel diritto canonico, Rome 1976, p. 55
[4] C. ANNE, 22 juillet 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 865
[5] Dans Il diritto Ecclesiastico, 1970, p. 227 ; cf. c. FERREIRA PENA, 26 mai 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 417, n. 7
[6] O. FUMAGALLI CARULLI, Il matrimonio canonico dopo il concilio. Capacità e consenso, Milan 1978, p. 36 sq.
[7] Même endroit
[8] Cf. c. FUNGHINI, 17 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 16, n. 10
[9] C. MONIER, 11 avril 2008, P.N. 19.673, n. 6
[10] M.F. POMPEDDA, Ancora sulle nevrosi e personalità psicopatiche in rapporto al consenso matrimoniale, dans Borderline, nevrosi e psicopatie in riferimento al consenso matrimoniale nel diritto canonico, Rome 1981, p. 58
[11] C. STANKIEWICZ, 17 décembre 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 746, n. 9
[12] C. COLAGIOVANNI, 30 juin 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 466-467, n. 7 et 11
[13] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, AAS, vol. LXXIX, p. 1457, n. 7 ; cf. sentence citée c. MONIER