38_Sciacca_9janvier2009

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Coram  SCIACCA

 Violence  et  crainte

 Tribunal régional de Triveneto (Italie) – 9 janvier 2009

P.N. 19.969

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. La crainte grave dirime le mariage
  1. La mesure de la gravité de la crainte, objectivement et subjectivement

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 Francesco T., âgé de 26 ans, épouse à Vérone, le 25 septembre 1982, Ornella T., de 4 ans sa cadette, qu’il connaissait depuis l’adolescence de celle-ci. Alors que leur relation amoureuse avait duré presque 8 ans, leur mariage prend fin quinze mois après sa célébration et le divorce est prononcé le 26 novembre 1987.

 En 1996, Francesco tente d’obtenir la déclaration de nullité de son mariage pour les chefs du c. 1095, 2° et 3°, mais le Tribunal ecclésiastique rend le 11 février 1999 une sentence négative.

 Le 27 mai 2002 le mari recourt à nouveau à la Justice de l’Eglise, mais en invoquant cette fois la violence et la crainte qu’il aurait subies. En première instance le Tribunal régional de Triveneto reconnaît la nullité du mariage et Francesco, qui fait entièrement confiance à la Justice du Tribunal Apostolique, s’adresse directement à la Rote Romaine pour qu’elle statue en deuxième instance.

 Il Nous revient de répondre au doute concordé le 31 mai 2007 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour violence et crainte infligées au demandeur ? ».

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 EN  DROIT

  1. Dans le cas présent, en ce qui concerne le fond de l’affaire, il s’agit de la crainte, et précisément de la crainte révérentielle, dont traite le c. 1103, et sur lesquelles la doctrine et la jurisprudence sont surabondantes. Il suffira donc ici de rappeler quelques linéaments de droit.

L’Eglise, sachant en effet toute l’importance qu’il faut accorder au lien de l’amour dans le mariage et sachant aussi qu’il n’y a pas d’amour sans liberté, désirant que la volonté du contractant, puisqu’elle se porte sur un contrat qui comporte des obligations très graves et qui engendre un lien perpétuel, soit nécessairement exempte de toute coaction, a décrété qu’est nul un mariage contracté sans liberté du consentement.

 

  1. La crainte grave dirime le mariage

 

  1. La crainte – dont nous savons par sa définition classique qu’elle est un trouble de l’esprit en raison d’un péril instant ou futur – se révèle être dirimante chaque fois qu’elle est caractérisée par sa gravité et son extranéité, et également qu’est donné (et prouvé) un lien de causalité entre la crainte infligée et le mariage, qui doit être contracté comme un moyen nécessaire, c’est-à-dire sous contrainte, pour se libérer de cette peur grave, infligée de l’extérieur, même si ce n’est pas à dessein.

 

En d’autres termes, dans la crainte qu’on appelle « commune » le mal doit être grave, au moins relativement, tel qu’il est causé par des reproches, des coups, des menaces de coups, de rejet, de déshéritage, d’infamie, de meurtre etc. … Dans la crainte révérentielle toutefois il suffit que quelque chose d’autre s’ajoute à la révérence pour vaincre la volonté : des prières, des instances, des persuasions répétées et importunes, l’indignation, dont on prévoit qu’elle durera, ou un esprit infligeant la crainte et fermement déterminé à obtenir ce qu’il veut.

 

  1. La mesure de la gravité de la crainte, objectivement et subjectivement

 

  1. De ceci il est clair que la gravité de la crainte doit être mesurée non seulement sous l’aspect objectif, c’est-à-dire en ce qui concerne l’objet du mal, mais il faut avec soin évaluer le tempérament, l’esprit, la condition etc., de l’auteur de la crainte et de la victime de la crainte, ainsi que le genre de relation qui existe entre eux et qui les lie : l’indignation d’un parent, ses menaces, ses prières répétées, ses instances etc., peuvent en réalité produire un autre effet sur ses enfants, compte tenu de leur tempérament, leur esprit, leur constitution psychique – est-elle faible et fragile, prompte à l’obéissance et à la satisfaction de l’autre, ou s’agit-il d’un sujet qui endure la crainte, doté d’un caractère ferme, constant, bien plus, violent et hautain ?

 

Bref, il faudra bien percevoir la qualité des personnes pour pouvoir conclure à l’existence d’une crainte commune ou d’une crainte révérentielle.

 

En d’autres termes il y a des hommes dont l’esprit, pour diverses raisons, se meut facilement et qui sont enclins à l’obéissance et à la révérence, et des hommes à l’esprit rude et obstiné qui n’hésitent pas à faire peu de cas des pressions, des menaces, des prières importunes, fussent-elles de leurs parents, et même à s’en moquer.

 

  1. L’élément subjectif, donc, est essentiel dans l’évaluation de ce genre de crainte révérentielle : cette crainte, en réalité, peut exister et se vérifier comme étant grave, même s’il n’y a pas de menace d’un mal précis, ou d’un mal objectivement grave, mais compte tenu du tempérament et des façons d’agir particulières de la victime de la crainte, qui ne peut pas résister à des prières, instances et pressions prolongées.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Les Juges du Tribunal de Triveneto ont estimé qu’il « est fondamental d’établir le lien causal entre les pressions maternelles et la décision du mariage […]. La fragilité psychologique (du demandeur), son rapport de soumission à sa mère, les pressions affectives et lourdes de celle-ci sont déterminants dans le choix du mariage […]. Le Collège des Juges estime prouvés l’état de dépendance du demandeur vis-à-vis de sa mère, l’opposition du demandeur au mariage, la coaction de la mère pour pousser son fils à ne pas interrompre les préparatifs du mariage, et enfin la relation causale entre l’action de contrainte et la décision du mariage ».

 

Il est utile de rappeler que le demandeur avait déjà accusé son mariage de nullité en raison de sa propre incapacité consensuelle. Celle-ci n’a pas été considérée comme prouvée, mais la présentation de ce chef montre bien un degré de débilité psychique – bien que n’atteignant pas la gravité et ne dénotant pas une véritable anomalie – du mari, prompt et enclin à abdiquer devant la volonté d’autrui, celle de sa mère en l’occurrence. Le libelle présenté par Francesco au Tribunal de Triveneto le 27 mai 1992 expose longuement le caractère autoritaire de sa mère, qui voulait absolument qu’il épouse Ornella, et sa propre capitulation après un essai de retarder le mariage qu’il ne voulait plus célébrer. Le demandeur se dépeint comme « pas sûr de lui, manquant de confiance en lui-même, toujours indécis […]. Je me suis laissé guider par ma mère ».

 

La mère de Francesco avoue qu’elle a tout fait pour que son fils épouse Ornella et qu’elle a fait pression sur les deux fiancés pour que le mariage « se fasse et se fasse tout de suite ». La tante maternelle du demandeur confirme ce propos.

 

Deux expertises réalisées lors du premier procès où il était question d’incapacité consensuelle – et donc réalisées tempore non suspecto – sont importantes pour prouver la fragilité psychique du demandeur, qui a offert un terrain favorable aux pressions de sa mère en vue du mariage : « Monsieur T. a présenté des éléments majeurs de fragilité personnelle, basés sur un sentiment d’infériorité très précoce … Profonde insécurité intérieure … Au moment du mariage, Monsieur T. a un grave vécu névrotique […] et une immaturité affective ». Cet avis de la première expertise est repris par la seconde.

 

Nous avons suffisamment d’éléments qui montrent que la volonté du demandeur était incapable de résister à celle de sa mère, et donc ici il n’est pas question d’incapacité consensuelle – ce qu’a rejeté la sentence négative de 1999 -, mais d’un consentement blessé par une crainte révérentielle.

 

Un autre élément est à prendre en considération. L’amour que Francesco avait porté à Ornella s’était amoindri, comme le déclare le demandeur et comme le confirme un témoin.

 

Enfin un dernier témoin, entendu par le Tour Rotal, confirme à son tour le caractère faible du demandeur et ce qui était devenu pour lui une aversion envers Ornella.

En conclusion, les Pères du Tour déclarent qu’est prouvée de façon certaine la nullité du mariage pour violence et crainte infligées au mari demandeur.

 

 

Constat de nullité

pour violence et crainte

 

 

Giuseppe SCIACCA, ponent

Giovanni VERGINELLI

Agostino DE ANGELIS

 

 

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À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.