Archive annuelle 31 janvier 2017

Pinto 27/11/2009

Coram  Pio Vito  PINTO

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal régional d’Emilie (Italie) – 27 novembre 2009

P.N. 20.130

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

Introduction sur l’incapacité d’assumer

  1. L’IMMATURITÉ PSYCHO-AFFECTIVE, CAUSE  DE  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER
  1. LE PROBLÈME  DE  LA  GRAVITÉ  DE  LA  CAUSE  DE  NATURE  PSYCHIQUE  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. La thèse de P.V. Pinto
  2. L’avis opposé et contradictoire de Bruno
  3. La solution du problème
  4. Defilippi
  5. Jean-Paul II
  6. Pompedda (16 octobre 1990)
  7. Pompedda (15 juillet 1994)
  8. Les conséquences de la relation entre matrimonium in fieri et matrimonium

in facto esse

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Stefano B., demandeur, et Caterina T., épouse partie appelée, font connaissance en 1995. Stefano souffrait depuis son enfance d’une cataracte congénitale, qui le rendit pratiquement aveugle jusqu’à l’âge de 16 ans. A l’âge de 22 ans il fut opéré en Suisse où il recouvra la vue.

 

En raison de sa maladie, Stefano grandit dans le rejet des autres, privé même d’amis par ses parents. Toutefois il entretint quelque temps une relation amoureuse avec une cousine de Caterina, avant de connaître cette dernière.

 

Les relations prénuptiales entre Stefano et Caterina furent pacifiques et amoureuses. Le mariage fut célébré le 22 octobre 1995, malgré l’opposition des parents du jeune homme.

 

La vie conjugale, où naquit un enfant, fut brève et remplie de disputes, les parents de Stefano se mêlant fâcheusement des affaires du jeune ménage, qui finit par se séparer.

 

Désireux de retrouver sa pleine liberté, Stefano, le 11 septembre 2006, s’adressa au Tribunal régional d’Emilie, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour grave défaut de discretio judicii de sa part et pour incapacité, toujours de sa part, d’assumer les obligations essentielles du mariage. Une expertise privée du docteur E. fut jointe au dossier de l’instruction. La sentence du 16 mars 2007 fut affirmative sur les deux chefs.

L’épouse partie appelée, contestant cette décision, fit appel à la Rote Romaine, qui admit la cause à l’examen ordinaire du second degré. L’instruction supplétive se fit par une nouvelle expertise et par l’admission d’une expertise réalisée lors du procès civil.

 

Il Nous revient aujourd’hui de trancher cette cause.

 

 

EN  DROIT

 

Introduction sur l’incapacité d’assumer

 

  1. La jurisprudence de la Rote Romaine a toujours refusé le passage mécanique selon lequel l’échec du mariage serait dû à une grave difficulté dans la décision du mariage ou à une plus ou moins grave « incompatibilité de caractère » des conjoints, qu’on appellerait simplement défaut grave et invalidant de discretio judicii, ou bien incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage chez l’un des époux ou chacun d’eux.

 

Il n’est pas nécessaire que nous nous attachions longtemps à décrire les principes bien connus sur l’incapacité qui découlent du c. 1095, 2° et 3°, que nous avons abondamment cités dans deux sentences de nous-même.[1]

 

Il suffit ici de rappeler que le consentement matrimonial est un acte de volonté qui est validement exécuté, sauf si la délibération de la raison ou de la volonté est inhibée pour quelque cause que ce soit.[2]

 

  1. L’IMMATURITÉ PSYCHO-AFFECTIVE,  CAUSE  DE  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Parmi les causes de nature psychique qui irritent le consentement matrimonial, on compte l’immaturité psycho-affective, qu’on ne doit pas confondre cependant avec l’inexpérience de la vie ou avec un défaut de maturité parfaite. « L’immaturité dite affective – à ne pas confondre avec l’immaturité du jugement – est le signe d’une perturbation des affects, rarement grave […], et elle se réduit à un défaut de liberté interne, qui empêche une délibération suffisante, lorsque le contractant, en raison de la destruction de l’harmonie de sa personnalité, ne peut pas résister au choc d’une impulsion provenant de l’intérieur »[3].

 

Une telle immaturité, d’ailleurs, est retenue comme l’une des causes d’où naît l’incapacité d’assumer les obligations conjugales. En effet « (l’incapacité d’assumer) doit provenir d’une cause de nature psychique […]. Il n’y a aucun doute qu’une telle cause se vérifie dans l’immaturité affective, qui consiste en un blocage du processus de maturation affective à un niveau d’adolescence ou d’infantilité, ou même à une régression à ces niveaux »[4].

 

 

 

 

  1. LE PROBLÈME  DE  LA  GRAVITÈ  DE  LA  CAUSE  DE  NATURE  PSYCHIQUE  DE

L’INCAPACITÈ  D’ASSUMER

 

  1. La thèse de P.V. Pinto

 

  1. Il est tout à fait à propos de lire dans la sentence citée du 21 juillet 2006 du Ponent soussigné : « Il n’est pas requis une maladie mentale ou en réalité une psychopathie, mais il suffit d’une perturbation qui tire son origine d’une cause psychique, comme peuvent l’être l’immaturité affective, une anomalie de la personnalité, la névrose, l’hystérie, pourvu qu’elles soient marquées d’une note de véritable gravité, qui empêchent la donation d’un droit essentiel […]. Mais s’il est exigé que ces perturbations soient graves, où se situerait la différence avec la grave immaturité affective qui produirait un grave défaut de discretio judicii et la grave immaturité affective qui serait la cause de l’incapacité d’assumer ? A la Jurisprudence de Notre Ordre conviennent les caractéristiques d’accord et de cohérence »[5].

 

Il sera pareillement très utile de recourir à une autre sentence du Ponent soussigné, du 22 juillet 2001, à propos de la note de certitude et de gravité de l’anomalie psychique : « Il est donc requis que la cause psychique soit certaine, mais non pas nécessairement grave, et il faut en tout cas qu’elle se trouve dans la structure du contractant et qu’elle atteigne ses facultés, en les contraignant ou en les corrompant de telle sorte que la volonté ne puisse pas agir librement. »

 

  1. L’avis opposé et contradictoire de Bruno

 

Il ne manque pas de temps en temps des affirmations contradictoires dans la description de la note de gravité. Ainsi dans une sentence c. Bruno du 16 décembre 1994 : « Il peut arriver que quelqu’un jouisse de l’usage de la raison et d’une suffisante discretio judicii mais qu’en raison d’une anomalie psychique il ne puisse donner l’objet du consentement matrimonial »[6]. Et ici il ne semble pas que soit requise la note de gravité. Mais par la suite, dans la même décision le même ponent ajoute : « La cause de nature psychique, prouvée avec certitude, doit toujours être prématrimoniale et grave […] ».

 

  1. La solution du problème

 

  1. De Filippi

 

Mais une décision c. De Filippi, du 27 juillet de la même année 1994, se présente d’une façon absolument différente : « Sans aucun doute, pour déterminer l’incapacité du c. 1095, 3°, il n’est pas requis qu’il y ait ces graves psychoses, ou névroses, ou de toute façon ces graves perturbations mentales d’où découle le grave défaut de discretio judicii, dont parle le c. 1095, 2°, mais il faut l’état en raison duquel il est moralement impossible pour le contractant de remplir les obligations essentielles du mariage[7]»[8]. De Filippi, s’appuyant sur le magistère de M.F. Pompedda, introduit une distinction logique entre la « grave » et la « sérieuse » note de la cause psychique.

 

 

 

 

  1. Jean-Paul II

 

D’ailleurs cette opinion doctrinale se fonde entièrement sur les paroles mêmes de Jean-Paul II dans son Discours à la Rote de 1987, si abondamment cité, mais pas toujours à bon escient : « On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en face d’une forme sérieuse d’anomalie », ce à quoi le Pontife oppose « les pathologies légères qui n’entament pas la liberté humaine dans son essence »[9].

 

  1. Pompedda (16 octobre 1990)

 

Une sentence c. Pompedda du 16 octobre 1990 est en accord avec ce magistère pontifical : « Des personnes qui, même si elles jouissent d’un usage suffisant de la raison et ne manquent pas gravement de discretio judicii, sont cependant incapables, en raison de leur état psychique pathologique, d’assumer ou d’accomplir les obligations essentielles du mariage, quand bien même celles-ci seraient voulues librement et avec l’évaluation requise »[10].

 

  1. Pompedda (15 juillet 1994)

 

De façon encore plus claire, en ce qui concerne le fait que la note de gravité n’est pas exigée dans le c. 1095, 3°, Pompedda enseignait dans une sentence du 15 juillet 1994 : « C’est pourquoi on évacuerait la signification juridique dans l’incapacité d’assumer, si on attribuait ou estimait devoir attribuer à celle-ci une gravité ou non […]. Et qu’on ne dise pas que le Législateur, dans le n° 2 du c. 1095, a lui-même laissé à l’estimation du juge la définition de l’incapacité du sujet, précisément par ce qu’il a employé l’expression de grave défaut de discretio. Au contraire en effet, là même, un terme objectif à l’estimation du juge a toujours (dans l’esprit du c. 1068) été formellement déterminé par le Législateur qui a mis expressément un rapport entre ‘le grave défaut’ et ‘les droits et obligations essentielles du mariage’ »[11].

 

  1. Les conséquences de la relation entre matrimonium in fieri et matrimonium

in facto esse

 

  1. Personne ne peut nier ce qui est écrit dans la sentence déjà citée du Ponent soussigné, en date du 21 juillet 2006 : « C’est de façon très appropriée que la Jurisprudence de la Rote Romaine a institué une relation stricte entre le matrimonium in fieri (le mariage-alliance) et le matrimonium in facto esse (le mariage-état de vie), en tant que deux phases de la communauté conjugale distinctes et cependant étroitement liées. Le matrimonium in fieri serait considéré par rapport au matrimonium in facto esse comme le point de départ de l’œuvre complète, comme la pierre inaugurale de l’édifice entier »[12].

 

En cas de grave déficience de la discretio judicii dans la prise en charge des obligations essentielles du mariage (c. 1095, 2°), disparaît de la même façon toute capacité à remplir celles-ci (c. 1095, 3°), puisque ce qui ne subsiste pas dès l’origine ne s’affermit pas au cours du temps.[13]

 

C’est pourquoi la Jurisprudence rotale a franchi un pas très important ces dernières années, en mettant en lumière la relation première entre le chef de grave défaut de discretio judicii et le chef d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, aboutissant ainsi à une connaissance juridique claire et meilleure entre le matrimonium in fieri et le matrimonium in facto esse. En même temps devient plus claire la vérité de l’adage : « C’est le consentement qui fait le mariage » (cf. c. 1057), en ce sens qu’au moment même où se constitue le mariage, c’est-à-dire au moment du consentement par la mutuelle donation entre les contractants, c’est la communauté de toute la vie qui est incluse. Appartient en effet au mariage la capacité d’instaurer une communauté de toute la vie, qui s’identifie avec la capacité d’instaurer une relation vraiment interpersonnelle.

 

En effet, comme l’incapacité de consentement, réglée par le n. 3 du c. 1095, regarde le plus souvent l’impossibilité de construire une véritable communauté de vie et d’amour, le magistère de Jean-Paul II sur la véritable relation conjugale demeure à jamais. Le Pontife en effet a enseigné que l’amour conjugal est au centre, comme un ciment par lequel l’un – le bien des époux – et l’autre – la communauté de vie – sont fortifiés et sont promus l’un par l’autre. Mieux, au centre se tient la personne, « comme le noyau intime »[14], qui dotée de liberté, agit, pour que se réalise l’union des cœurs et des corps, par l’amour vraiment sponsal « par lequel l’homme et la femme s’engagent entièrement l’un vis-à-vis de l’autre jusqu’à la mort ». En effet, enseigne le Magistère cité de Jean-Paul II : « La donation physique totale serait un mensonge si elle n’était pas le signe et le fruit d’une donation personnelle totale, dans laquelle toute la personne, jusqu’en sa dimension temporelle, est présente. Si on se réserve quoi que ce soit, ou la possibilité d’en décider autrement pour l’avenir, cela cesse déjà d’être un don total ».

 

Une relation essentielle est introduire par le Pontife entre le consentement et l’amour conjugal. Cela fait que le consentement, même s’il est l’unique cause efficiente du mariage, doit cependant être considéré comme essentiellement relatif aux propriétés et aux fins, entre lesquelles sont énumérés par le Concile Vatican II et par Jean-Paul II, l’un s’accordant à l’autre, le bien des conjoints et l’amour conjugal.

 

Qu’il soit permis d’argumenter à partir de ce ministère pontifical qu’on vient de citer, et de dire que si, d’une part, est immuable, en tant que divin, le principe du consentement comme unique et exclusive cause efficiente du mariage, il est d’autre part fortement recommandé d’entrer dans le magistère du Pape, quand en outre lui-même nous invite avec autorité à recouvrer la vision plus complète du mariage qui a été celle de la Constitution Apostolique Gaudium et Spes (art. 48-49) du Concile Œcuménique Vatican II, puis de l’Exhortation Apostolique Familiaris Consortio (n. 9).

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Les Pères soussignés regrettent que les juges de 1° instance aient attribué trop d’importance à l’expertise privée du docteur E., ou plutôt n’aient pas correctement apprécié les conditions dans lesquelles cette expertise sur le demandeur a été exécutée. Le docteur E. écrit dans son rapport d’expertise que Stefano est venu le trouver (avant l’instruction canonique), que sa grave maladie des yeux avait eu des effets désastreux sur son développement psycho-émotif. Mais l’expert n’a utilisé aucun moyen pour déceler la personnalité de Stefano, il ne parle pas de l’anomalie psychique de celui-ci et conclut : « La décision du mariage n’a pas été la conséquence d’un choix raisonnablement décidé, mais elle est seulement une décision névrotique d’autovalorisation, pour se sentir l’adulte qu’en réalité il n’était pas. »

Compte tenu de cette « expertise », la cause a été admise à l’examen ordinaire du second degré.

 

Lors de l’instruction, en ce second degré, les Pères ont estimé n’avoir pas la preuve d’une anomalie psychique ayant empêché la capacité critique du mari. Toutefois, lors du procès civil où les juges avaient à décider de la garde de l’enfant du couple, le docteur O. avait été chargé d’une expertise sur le mari. Son rapport avait été accablant : « comportement paranoïaque, incohérence dans les idées et les projets, inconsistance caractérielle, faible quotient intellectuel, caractère irascible, égocentrique, incapacité de s’adapter au prochain et aux données de la réalité ». Le juge civil a d’ailleurs reconnu que Stefano était incapable de recevoir la garde de son enfant.

 

Le Tour Rotal a désigné le professeur P. comme expert en la cause. Celui-ci a reçu l’intéressé, chez qui il n’a décelé aucun critère de pathologie de la volonté et de la liberté interne, mais il estime que son évolution affective a été nettement insuffisante : « processus incomplet de maturation psycho-affective […], retard de sa capacité psychique […]. Le demandeur a commis l’erreur de se sur-évaluer comme mûr et autonome », mais le professeur note cependant un certain progrès actuel du mari dans le domaine de la maturité.

 

Toutefois l’expert du Tribunal civil avait examiné Stefano à une époque plus proche de la célébration du mariage et donc son diagnostic est plus sûr que celui du professeur B.

 

Par ailleurs les documents recueillis pendant l’instruction de seconde instance confirment l’opinion qu’avaient les Pères soussignés lorsqu’ils ont admis la cause à l’examen ordinaire du second degré. L’épouse partie appelée et les témoins parlent d’un enfant totalement soumis à ses parents, au point d’empêcher sa maturation, et leurs déclarations contribuent à surmonter les difficultés relatives à la nature de l’anomalie psychique du demandeur et à l’évolution de celle-ci dans le temps.

 

En conclusion, on peut admettre que la partie appelée et les témoins ont montré la grave immaturité du mari demandeur, car leurs dépositions concordent avec les avis des experts et avec les autres éléments de personne et de circonstances.

 

Constat de nullité

pour défaut de discretio judicii

et incapacité d’assumer

de la part du mari

 

Vetitum pour le mari

 

Pio Vito PINTO, ponent

John G. Alwan

Giordano CABERLETTI

__________

 

[1] P.V. PINTO, 21 juillet 2006, n. 7-10 ; 17 novembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 619, n. 3 ; cf. c. POMPEDDA, 14 novembre 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 731, n. 12 ; c. CABERLETTI, 25 juillet 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 489-495, n. 2-5

[2]SRRDec, vol. LXXXVI, p. 109, n. 7 ; c. WYNEN, 13 avril 1934, SRRDec, vol. XXXV, p. 273, n. 5 ; c. FUNGHINI, 19 mai 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 404, n. 2 ; c. ALWAN, 27 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 661, n. 12 ; c. DEFILIPPI, 27 novembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 792, n. 10-11 ; c. BOTTONE, 15 octobre 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 594, n. 3

[3] C. PALAZZINI, 11 janvier 1978, SRRDec, vol. LXX, p. 3

[4] I.M. PINTO GOMEZ, L’immaturità affettiva nelle giurisprudenza rotale, dans l’Immaturità psico-affettiva nella giuriprudenza della Romana Rota, LEV, Cité du Vatican, 1990, p. 48 ; cf. c. STANKIEWICZ, 17 décembre 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 745, n. 9

[5] Cf. c. MONIER, 18 juin 1998, SRRDec, vol. XC, p. 469-470, n. 6-7 ; c. TURNATURI, 14 mars 1996, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 237-242, n. 15-25

[6] C. BRUNO, 16 décembre 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 757, n. 5

[7] Cf. M.P. POMPEDDA, De incapacitate assumendi obligationes matrimonii essentiales, Periodica, 1986, p. 149 sq.

[8] C. DE FILIPPI, 27 juillet 1994, SRRDec, vol. LXXXI, p. 418, n. 11

[9] AAS, vol. LXXIX, p. 1457, n. 7

[10] C. POMPEDDA, 16 octobre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 687, n. 5

[11] C. POMPEDDA, 15 juillet 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 395, n. 9 ; cf. c. POMPEDDA, 4 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 223-224, n. 4-5

[12] C. P.V. PINTO, 21 juillet 1998, SRRDec, vol. XC, p. 724, n. 6

[13] Reg. Juris, 18, in VI°

[14] FAMILIARIS CONSORTIO, n. 11

Pinto 18/06/2010

Coram  Pio  Vito  PINTO

 Condition de futuro

Exclusion du bien du sacrement

 Tribunal régional d’Insubrie (Italie) – 18 juin 2010

P.N. 20.573

Constat pour la condition

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE BIEN  DU  SACREMENT
  2. L’acte positif de volonté dans l’exclusion
  3. Le consentement conjugal est un acte de volonté
  4. L’incompatibilité de caractère n’est pas un chef de nullité
  5. La nature irréversible de la donation-acceptation mutuelle des époux

 

  1. LA CONDITION
  2. L’erreur et la condition
  3. L’enseignement de Mgr Charles Lefebvre sur l’erreur

sur une qualité de la personne et la condition

  1. Le nouveau c. 1097 § 2
  2. Analogie entre l’erreur sur une qualité de la personne et la condition
  3. Sentences rotales sur l’analogie entre la qualité et la condition
  4. Mori et Grazioli
  5. Heard
  6. Defilippi
  7. Pinto
  8. La nature de la condition de futuro résolutoire
  9. La preuve de l’apposition d’une condition

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Francesco M. et Giovanna G. se marient le 30 août 1997. Ils s’étaient connus en 1988 alors qu’ils étaient étudiants à l’Université de Milan, mais ils n’avaient eu des relations de fiancés qu’en mai 1995, et celles-ci connurent des difficultés en raison de l’éloignement de leurs domiciles propres.

 

Une fille, Lucia, naît le 30 mai 1998.

 

La vie conjugale est en permanence perturbée par la différence de caractère des époux, l’incommodité du domicile conjugal et les absences de Giovanna qui, au début de l’année 1999, retourne avec sa fille chez ses parents, Francesco retournant lui aussi chez ses parents. Le Tribunal civil ratifie leur séparation le 22 juillet 2002.

Le 5 novembre 2004, Francesco, désirant retrouver sa pleine liberté canonique, s’adresse au Tribunal ecclésiastique régional d’Insubrie, accusant son mariage de nullité pour condition apposée par lui-même. Le 14 février 2005, le doute est de nouveau concordé, précisant qu’il ne s’agit pas d’une simple condition, mais d’une condition de futuro, au sens du c. 1102 § 1. La sentence du 25 mai 2006 est négative.

 

Le 14 février 2007, le Tribunal d’appel concorde le doute sous la formule : « La preuve de la nullité du mariage en cause est-elle rapportée pour condition de futuro apposée par le demandeur, selon le c. 1102 § 1, et/ou, comme en première instance, pour condition résolutoire contre la substance du mariage, assimilable, de fait, à l’exclusion de l’indissolubilité du lien conjugal, selon le c. 1101 § 2, de la part du mari demandeur ? »

 

La sentence du 28 mars 2008 est affirmative, mais seulement pour condition de futuro apposée par le demandeur.

 

La cause est transmise à la Rote où le Tour concorde le doute sur la condition de futuro apposée par le demandeur, en troisième instance, et en seconde instance sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari.

 

 

EN  DROIT

 

  1. Les Juges de la seconde instance ont très bien repris les principes de la Doctrine et de la Jurisprudence de Notre For et nous nous permettons d’y ajouter seulement quelques remarques.

 

  1. LE BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. L’acte positif de volonté dans l’exclusion

 

  1. Il est bien connu que la véritable exclusion d’une propriété essentielle du mariage n’a lieu que par un acte positif de volonté. Il est exigé pareillement que le contractant réalise l’exclusion par un acte, et non pas seulement sous l’effet d’une erreur ou encore d’une intention vague ou générique contraire à la doctrine pérenne du mariage, comme l’est l’opinion moderne en faveur du divorce. Il faut au contraire que ceux qui se marient, de façon illicite, explicitement ou au moins implicitement ou hypothétiquement, retranchent, par une décision actuelle ou au moins virtuelle, l’indissolubilité en tant qu’élément inséparable de l’objet formel du consentement.[1]

 

  1. Le consentement conjugal est un acte de volonté

 

La jurisprudence reçue de Notre For a toujours et fidèlement maintenu que le consentement existe si et dans la mesure où il s’agit réellement d’un pacte conjugal. Si en effet l’une ou l’autre partie exerce une tromperie, c’est-à-dire que si elle vise le mariage seulement et pas autrement que selon son propre jugement, le pacte lui-même n’est absolument pas conclu.

 

Il faut se souvenir des paroles du Pape Paul VI, d’éternelle mémoire : « Le mariage existe à ce moment même du temps où les conjoints émettent un consentement matrimonial juridiquement valide. Un tel consentement est un acte de volonté de nature contractuelle […] qui, en un instant indivisible, produit son effet juridique »[2].

 

  1. L’incompatibilité de caractère n’est pas un chef de nullité

 

La Jurisprudence de Notre For a lutté vigoureusement et entend lutter fermement pour que la simple « incompatibilité de caractère » qui, moderne peste, existe comme cause à effet dans l’usage regrettable du divorce civil, ne s’insinue pas comme chef illégitime de nullité, puisque cela est hors du pouvoir de l’Eglise. C’est avec facilité mais de façon illicite que s’institue de nos jours une équation, dans la déclaration du consentement matrimonial, entre la fin de l’amour entre les conjoints, et leur liberté de quitter la communauté de vie, en faisant du consentement et du véritable amour un simulacre vain.[3] Le mariage se fonde exclusivement sur le consentement et non sur l’amour, qui malheureusement peut finalement disparaître. D’un autre côté véritablement il reste que le consentement est au plus haut point l’épiphanie juridique de l’amour. En effet la mutuelle donation-acceptation des personnes est parfaite par un amour mutuel, pour constituer une famille chrétienne, qui sans effusion de l’amour peut difficilement être appelée fruit de l’Evangile du Christ.

 

  1. La nature irréversible de la donation-acceptation mutuelle des époux

 

La Catéchisme de l’Eglise catholique illustre très opportunément ce qu’est le sens du véritable amour et de la nature irrévocable de la saine donation-acceptation mutuelle des époux. « Le couple conjugal forme ‘une intime communauté de vie et d’amour, fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. Elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel et irrévocable’. Tous deux se donnent définitivement et totalement l’un à l’autre. Ils ne sont plus deux, mais forment désormais une seule chair. L’alliance contractée librement par les époux leur impose l’obligation de la maintenir une et indissoluble »[4].

 

De là vient précisément le fait que le bien du sacrement, même s’il est distinct du bien des conjoints, lui est inséparablement uni, puisque les deux biens se rapportent à l’être du mariage en lui-même, c’est-à-dire de façon indivisible dans le mariage in fieri et le mariage in facto esse (le mariage-alliance et le mariage-état de vie).

 

  1. LA CONDITION

 

  1. Tout le monde reconnaît que le mérite de la jurisprudence de la Rote Romaine a été de favoriser au plus haut point l’évolution des canons ordonnant l’institution matrimoniale – surtout celles des c. 1057, 1097 et 1102 qui, particulièrement, regardent directement la cause présente – selon la doctrine du mariage élaborée par le Concile Vatican II dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes.[5]

 

  1. L’erreur et la condition

 

  1. A ce caractère interpersonnel de libre décision délibérée s’opposent deux figures ou deux statuts, ou mieux, deux actes de volonté, qui sont joints entre eux par une analogie, c’est-à-dire qu’ils sont semblables mais divers. Nous voulons parler de l’erreur sur la personne ou de l’erreur sur une qualité rejaillissant en erreur sur la personne elle-même, ainsi que de la condition. Le premier de ces actes de volonté est considéré comme un vice de la volonté, et le second, comme une atteinte à la volonté.[6]

 

L’erreur se construit surtout par une action de l’intelligence, qui cependant est amenée à un résultat par une intention de la volonté visant une qualité déterminée inhérente à la personne et exigée absolument par le contractant, tandis que la condition est une conjecture à laquelle le ou les contractants subordonnent leur consentement par une intention de la volonté. On comprend par là que le consentement est un acte complexe qui naît d’un processus de connaissance, d’évaluation et de décision, qui très souvent peut être contrarié pour d’innombrables motifs. Il est opportun de citer à ce sujet Saint Thomas d’Aquin : « Entre l’intelligence et la volonté existe une dépendance mutuelle ou, en d’autres termes, une causalité réciproque : la volonté dépend de l’intelligence dans l’ordre de la causalité finale ; l’intelligence dépend de la volonté dans l’ordre de la causalité efficiente »[7].

 

  1. L’enseignement de Mgr Charles Lefebvre sur l’erreur

                sur une qualité de la personne et la condition

 

Pour comprendre correctement l’analogie entre l’erreur sur la qualité de la personne et la condition, il est utile de reprendre ce que le Maître de la doctrine et de la jurisprudence sur le mariage, Mgr Charles Lefebvre, écrivait à ce sujet en 1985 : « Aujourd’hui ce problème est encore plus présent dans le nouveau visage assumé par le pacte conjugal comme donation et acceptation interpersonnelle.

 

  1. Le nouveau c. 1097 § 2

 

Le § 2 du c. 1097 cherche à prévenir les multiples difficultés que présentait le § 2 du c. 1083 du code de 1917, très ancré dans le passé et qui a dû résister dans une rédaction trop réductrice à l’énorme progrès culturel, psychologique et social qui s’est manifesté en peu d’années. De la fameuse troisième règle de saint Alphonse de Ligori a été prise une nouvelle formulation par la célèbre erreur sur une qualité de la personne rejaillissant en erreur sur la personne, en vertu de laquelle la qualité est présente à un tel point dans l’intention de celui qui se marie qu’elle est considérée comme une circonstance absolument nécessaire dans le pacte conjugal. La proximité avec la notion de condition est évidente et de fait il semble identique de dire qu’une qualité est principalement et directement voulue, et de sous-entendre qu’à cette qualité est subordonné le consentement conjugal.

 

Il est possible que la nouvelle rédaction ait encore besoin d’une interprétation jurisprudentielle, ni facile ni brève, pour centrer sa véritable portée, qui ne pourra pas négliger dans ce cas encore la véritable et profonde nature du consentement conjugal comme relation interpersonnelle réalisée à travers la mutuelle donation-acceptation des époux ; donation-acceptation qui ne peut avoir lieu qu’à travers l’image intentionnelle que chacun a de l’autre, enrichie du reste de toutes les composantes affectives ainsi qu’émotives qui marquent la communication interpersonnelle. La considération de l’autre personne, d’importance majeure, est considérée présente dans toutes les questions qui se réfèrent à l’erreur ou à l’ignorance, de quelque caractère qu’elles soient. Tout simplement, dans cette estimation se trouvent mises en relief toutes les observations de la jurisprudence récente sur la nouvelle notion et réalité de la personne humaine, à partir de la sentence c. Canals du 21 avril 1970[8] ».[9]

 

De plus, nous tirons une doctrine de la synthèse magistrale de Mgr Lefebvre, qui a participé directement aux travaux de la Commission de réforme du code et qui, éclairant le c. 1102, a écrit dans le Commentaire qui vient d’être cité : « Toute la discipline du mariage sous condition a tout de suite subi une évidente transformation qui regarde les critères de praticité et d’application spécifique au mariage. De fait ont disparu toutes les figures des diverses espèces de condition, d’aucune utilité, au-delà d’un exposé théorique du thème, dépourvu d’intérêt, en matière de mariage. D’où une constatation importante : la diminution de l’aspect contractuel du mariage.

 

D’autre part le § 3, en requérant l’autorisation écrite de l’Ordinaire – même si c’est seulement pour la licéité -, non seulement s’oppose à une possible difficulté de preuve, mais, comme mesure disciplinaire, montre clairement à quel point la condition est un élément anormal du pacte conjugal, appelé à se réaliser dans la plus grande sincérité et dans un absolu maximal, incompatible par lui-même avec la réserve de la condition »[10].

 

  1. Analogie entre l’erreur sur une qualité de la personne et la condition

 

Mgr Lefebvre poursuit en prenant le cas de l’analogie, dont nous avons parlé plus haut, entre l’erreur sur la qualité de la personne et la condition, même si l’erreur induit la figure d’un vice du consentement, et la condition, la figure d’une atteinte au consentement. Mgr Lefebvre enseigne en effet : « La condition, donc, ou bien la circonstance à laquelle est subordonné le consentement matrimonial, par un vouloir explicité de l’un des époux, au des deux, si elle n’est pas encore présente et que lui soit subordonnée l’existence du mariage (conditio de futuro), est exclue, puisque, selon les cas, ou bien elle serait contre l’indissolubilité – condition résolutoire – si elle représentait la fin du mariage ; ou bien elle repousserait le véritable consentement jusqu’à son accomplissement, et alors autant que le consentement soit émis sans incertitude : unique solution possible dans le système normatif actuel. A noter que toujours compte tenu de la volonté constitutive des parties, si celles-ci, nonobstant la norme, faisaient un mariage ainsi conditionné, elles devraient renouveler leur consentement ou avoir recours à la ‘sanatio in radice’, la sanation radicale » (cf. c. 1156-1165).

 

La condition de praeterito (portant sur le passé) ou la condition de praesenti (portant sur le présent) subordonne l’existence ou l’absence du mariage à la présence ou à l’absence de la circonstance invoquée au moment du consentement.

 

La conclusion, dans la nouvelle discipline, sera que le mariage existe dès le premier moment, comme un absolu, sans exception, et la condition affecte seulement la connaissance et la possible incertitude, uniquement, des époux. Ce qui souligne le sérieux et la sacralité du moment constitutif et de l’engagement qui y est assumé.

 

La jurisprudence a signalé la difficulté de distinguer la condition des figures qui ont une affinité avec elles – mode, postulat, cause – ; l’importance attribuée à la circonstance par celui qui dit avoir consenti de manière conditionnelle ; son comportement consécutif à la vérification de la condition ; et enfin la valeur, même si elle n’est pas déterminante, du critère du doute sur l’existence ou non du fait auquel le consentement est dit subordonné, pour prouver la condition et la subsistance de celle-ci jusqu’au consentement (cf. la célèbre cause de Versailles, par la Commission Cardinalice du 2 août 1918, AAS, 1918, p. 388 sq.).

 

Sous le profil systématique on peut attirer l’attention sur le déplacement du canon, qui, dernier dans les modalités du consentement dans le code de 1917, c. 1092, a été transféré à sa place actuelle, après la norme sur l’acte positif de volonté conditionnant le consentement (dans le cas de l’exclusion, en le censurant négativement), en tant qu’il correspond à une intervention particulière de la volonté qui modifie de façon particulière le schéma générique du consentement. Il faut rappeler que l’exclusion elle-même est, à juste titre, considérée par les commentateurs et la jurisprudence comme une conditio mente retenta, une condition sous restriction mentale »[11].

 

  1. Sentences rotales sur l’analogie entre la qualité et la condition

 

  1. Mori et Grazioli

 

Déjà au début de la réforme de la Rote était contenue en germe l’analogie citée entre la qualité et la condition. Une sentence c. Mori, du 30 novembre 1910, édictait en effet : « Puisque le consentement s’est porté directement et principalement sur une qualité déterminée, si celle-ci vient à manquer il y a une erreur substantielle qui irrite le mariage »[12]. De même on lisait dans une sentence c. Grazioli, du 11 juillet 1938, à propos de la qualité en tant que cause du mariage : « […] la qualité déterminative de la personne, c’est-à-dire qui la distingue et la désigne de façon individuelle au point que, si la qualité fait défaut, la personne n’est plus la même »[13].

 

  1. Heard

 

Plus tard une décision c. Heard, du 21 juin 1941, qui applique la doctrine des trois règles de saint Alphonse, établit une proportion nécessaire entre l’exigence de la qualité et la condition : « Il y a une grande difficulté à déterminer quand l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la substance, c’est-à-dire sur la personne. Prenons les trois règles :

– la première : la qualité rejaillit sur la substance lorsque quelqu’un, de façon actuelle, entend contracter sous la condition de telle qualité. Dans ce cas en effet, il se vérifie que si la condition n’est pas remplie, le consentement est totalement absent.

– la seconde règle : quand la qualité n’est pas commune chez les autres personnes, mais qu’elle est propre et particulière à une personne déterminée…

– la troisième règle : si le consentement se porte directement et principalement sur la qualité, et non principalement sur la personne, alors l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la substance. Il en va autrement si le consentement se porte principalement sur la personne et secondairement sur la qualité »[14].

 

  1. Defilippi

 

  1. Une sentence c. Defilippi, du 26 novembre 1998, fait la remarque suivante : « Pour que le consentement soit réellement conjugal, il est requis que chacun des contractants se forme une image adéquate de son partenaire qui corresponde à la réalité. Autrement si quelqu’un a une image de son partenaire qui en réalité diffère substantiellement de la vérité, l’objet du consentement lui-même est vicié, parce qu’il ne correspond pas à la réalité »[15].

 

  1. Pinto

 

On lit dans la sentence c. Pinto citée plus haut, en date du 19 mai 2006 : « Puisque le consentement matrimonial ne peut pas rester en suspens dans l’ambiguïté, il faut considérer les espèces de conditions parmi lesquelles la condition de futuro qui se déroule dans le temps, et dont la nature est soit potestative, soit résolutoire. La validité du mariage en effet ne peut pas rester en suspens à jamais ; c’est la raison pour laquelle le Législateur a décidé : ‘Le mariage assorti d’une condition portant sur le futur ne peut être contracté validement’ (c. 1102 § 1), en ce sens cependant que la condition en question ait été jointe au consentement matrimonial lui-même, et non à une simple intention de se marier, d’où peut naître seulement, au maximum, une espèce de condition interprétative ou habituelle, mais pas une condition qui mette en péril la validité du mariage. C’est pourquoi il faut rechercher la véritable volonté du contractant, surtout en ce qui concerne ‘le lien entre la circonstance souhaitée et le consentement lui-même’[16] ».

 

  1. La nature de la condition de futuro résolutoire

 

Quant à la nature de la condition de futuro résolutoire, Mgr Pompedda déclare : « Evidemment, pour le mariage, une condition résolutoire est inconcevable, étant donné l’indissolubilité du lien, et cette condition, si elle était posée, comporterait dans l’ancien Code une condition ‘contre la substance du mariage’ et donc rendrait nul le mariage ; tandis que dans le nouveau Code on n’a pas pris en considération une condition semblable, les Consulteurs l’ayant tenue pour n’étant pas une véritable condition, mais plutôt un acte positif de volonté excluant un élément essentiel du mariage »[17].

 

De la condition de futuro résolutoire on distingue la condition suspensive, qui produit comme effet « la suspension de la validité de l’accord jusqu’au moment où se vérifiera l’événement mis dans la condition ; […] tandis que dans l’ancien Code on admettait la condition licite de futuro suspensive, avec effet de suspendre la validité du mariage ; dans le nouveau Code en revanche […] on ne reconnaît aucune condition suspensive, toutes les conditions de futuro étant réunies en une seule espèce de condition (avec des conséquences irritantes dans l’absolu) »[18].

 

  1. La preuve de l’apposition d’une condition

 

« La preuve de l’apposition d’une condition, écrit Mgr Stankiewicz dans une sentence du 30 janvier 1992, se tire indirectement, d’une part de l’estimation que le contractant a eue, avant le mariage, de l’événement ou de la qualité, à l’existence de quoi il affirme avoir subordonné la validité du mariage, et d’autre part de la façon dont il s’est conduit dès qu’il a pris conscience que la condition apposée n’était pas vérifiée »[19].

 

EN FAIT (résumé)

 

  1. Les Pères soussignés ne trouvent dans les actes aucun indice d’une exclusion hypothétique du bien du sacrement de la part du mari demandeur. Celui-ci en effet n’a jamais songé à exclure la perpétuité de son union puisqu’il avait lié son consentement à une condition à respecter par son épouse, et ainsi il se pensait sûr de l’avenir.

 

  1. Par contre ils estiment possible et même nécessaire de reconnaître chez le demandeur une décision ferme de lier la validité de son mariage à une condition potestative de futuro. Les Juges de seconde instance préfèrent parler de condition de praesenti, en ce sens que, pour eux, le demandeur aurait lié la validité ou non de son mariage à la réalisation effective de l’objet mis sous condition, c’est-à-dire à l’acceptation de cette condition par l’épouse. Les Juges du Tour Rotal n’ont pas la même appréciation de la condition mise par le mari demandeur.

 

  1. Le demandeur, Francesco, a maintes et maintes fois déclaré qu’il voulait établir la résidence conjugale à Buccinasco, parce qu’il voulait rester près de son lieu de travail. Quant à sa future épouse, elle n’entendait pas quitter Tirano, où elle était enseignante. Les discussions entre Francesco et Giovanna avaient été rudes et finalement celle-ci avait cédé au dilemme de Francesco : ou elle s’installerait à Buccinasco ou Francesco la quitterait.

 

  1. De son côté, l’épouse, non sans faire des réserves en 2° instance sur les exigences de Francesco, avait déclaré en 1° instance que celui-ci était fermement décidé à rester à Buccinasco, au point de lui imposer un choix définitif : ou bien le suivre là où il voulait habiter, ou bien la rupture.

 

Lors du procès civil de séparation, Giovanna a exposé à son avocat que Francesco avait voulu qu’elle quitte sa maison et son emploi pour s’installer avec lui à Buccinasco.

 

  1. Les témoins, sans employer le terme technique de condition, rapportent que Francesco avait exigé de Giovanna qu’elle abandonne sa maison et son travail, que Giovanna avait promis à Francesco d’habiter avec lui à Buccinasco, que Francesco disait qu’il ne se marierait que si Giovanna acceptait de le suivre là où il voulait demeurer.

 

  1. Le témoin le plus important en cette cause est le Père M., bénédictin, à qui les futurs époux avaient demandé conseil, et qui connaît bien leur problème : « D’une part Francesco voulait que Giovanna s’installe définitivement à Buccinasco, d’autre part Giovanna ne voulait pas abandonner son poste à Tirano, elle ne voulait pas abandonner sa profession. Devant moi ils se sont affrontés durement sur ce sujet ».

 

  1. Les juges de première instance ont rendu une sentence négative parce qu’ils ont estimé que la condition posée par Francesco – habiter Buccinasco – n’était pas une condition potestative de futuro mais une condition de praesenti portant sur la sincérité de la promesse faite par Giovanna de suivre son mari là où il voulait demeurer, et que l’insincérité de la promesse de Giovanna était une interprétation de Francesco devant les difficultés de son couple après le mariage.

 

Or les actes montrent que Francesco n’a pas apposé une condition sur la sincérité de Giovanna, mais sur l’accomplissement de la promesse qu’elle avait faite avant le mariage, et ceci, à l’évidence, appartient au futur. Il s’agit, chez le demandeur, d’une véritable condition de futuro.

Constat de nullité

pour condition de futuro

apposée par le mari demandeur

Vetitum pour le mari

 

Pio Vito PINTO, ponent

John ALWAN

Giordano CABERLETTI

[1] Cf. c. FUNGHINI, 14 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXV, p. 468, n. 12 ; c. POMPEDDA, 22 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 948, n. 2 ; c. ABBO, 6 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 138, n. 2

[2] PAUL VI, Discours à la Rote, 9 février 1976, AAS, vol. LXVIII, p. 204

[3] Cf. c. 1057 § 2, GAUDIUM et SPES, art. 48 ; FAMILIARIS CONSORTIO, n. 11

[4] N. 2364

[5] N. 48 ; cf. JEAN-PAUL II, Exhortation FAMILIARIS CONSORTIO, 22 novembre 1981, AAS, vol. LXXIV, p.  92, n. 11, et Discours à la Rote du 28 janvier 1991, AAS, vol. LXXXIII, p. 950, n. 5

[6] Cf. P.V. PINTO, 19 mai 2006

[7] SOMME THEOLOGIQUE, I-II, q. 14, art. 1, ad 1

[8] SRRDec, vol. LXII, p. 371, n. 2

[9] Pio Vito PINTO, Corpus Juris Canonici, Commento al Codice di Diritto canonico, vol. I, Cité du Vatican 2001, p. 652-653

[10] Commentaire cité, p. 656

[11] Cf. p. 656-657

[12] C. MORI, 30 novembre 1910, SRRDec, vol. II, p. 337, n. 2

[13] C. GRAZIOLI, 11 juillet 1938, SRRDec, vol. XXX, p. 414, n. 17

[14] C. HEARD, 21 juin 1941, SRRDec, vol. XXXIII, p. 529-530, n. 6-9

[15] C. DEFILIPPI, 26 novembre 1998, SRRDec, vol. LXL, n. 3, p. 4

[16] C. ANNE, 2 décembre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 1108, n. 4

[17] M.F. POMPEDDA, Il matrimonio nel nuovo codice di diritto canonico, Padoue 1984, p. 84

[18] Même endroit, p. 83-84

[19] C. STANKIEWICZ, 30 janvier 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 18, n. 14

Pinto 12/03/2010

Coram   P.V.  PINTO

 Défaut de discretio judicii

 Orlando (USA) – 12 mars 2010

P.N. 19.252

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. VALEUR ET  PRÉSUPPOSÉS  DU  CONSENTEMENT
  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII
  2. Les obstacles à la discretio judicii
  3. A ne pas confondre avec le défaut de discretio judicii
  4. Le défaut de discretio judicii regarde les obligations essentielles du mariage
  5. Les obligations essentielles du mariage et les fins et propriétés essentielles du

mariage

 

__________

 

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

 

Louis V. et Jackie B., âgés tous les deux de 15 ans, font connaissance en 1971 et ils se marient en 1974. Jackie travaillait depuis l’âge de 11 ans et elle avait été reçue, adulte, dans l’Eglise catholique. Pendant ses fiançailles et après le mariage elle se drogue, comme son mari qui était un dealer. Le 15 octobre 1982 naît un petit garçon. La vie commune n’a jamais été heureuse en raison des caractères difficiles des époux et de leur addiction à la drogue. Le 31 janvier 1994 leur divorce est prononcé.

 

Louis, le 5 juin 1996, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique d’Orlando, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour « manque mutuel de discretio judicii ». Les parties et 5 témoins sont interrogés et un document présenté comme une expertise est joint au dossier. La sentence du 7 avril 2003, rendue par un juge unique, est affirmative.

 

L’épouse fait appel à la Rote, où la cause, le 10 décembre 2004, est admise à l’examen ordinaire du second degré. En raison du silence de l’avocat nommé d’office la cause prend un très grand retard jusqu’au moment où cet avocat est remplacé par un autre, lui aussi nommé d’office. Le professeur Cianconi réalise une expertise.

 

Il Nous revient aujourd’hui de répondre au doute concordé sur le manque de discretio judicii de chacun des époux.

 

*

*     *

 

EN  DROIT

 

  1. VALEUR ET  PRÉSUPPOSÉS  DU  CONSENTEMENT

 

  1. Les époux ont célébré leur mariage sous le régime du code pio-bénédictin, mais il faut bien voir que le principe connu, reçu par la tradition canonique, clairement exposé au c. 1081 CIC 1917, confirmé au n. 48 de la Constitution Gaudium et Spes et au c. 1057 § 1 du code en vigueur, souligne l’importance du consentement personnel des contractants pour constituer le mariage : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine. »

 

C’est pourquoi, même si c’est en termes différents, la loi a ordonné et ordonne la matière inchangée du consentement, et donc la capacité consensuelle chez chacun des contractants au moment de la célébration du mariage présuppose :

– a. un usage suffisant de la raison pour manifester le consentement par un acte humain libre et conscient (c. 1095, 1°) ;

– b. une nécessaire discretio judicii pour donner et recevoir mutuellement les droits et les devoirs essentiels du mariage (c. 1095, 2°) ;

– c. une capacité psychique d’assumer les obligations essentielles du mariage (c. 1095, 3°).

 

  1. LE DÉFAUT DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. La discretio judicii (c. 1095, 2°), comme chacun le sait, est un concept juridique, qui cependant exprime et inclut de très nombreuses espèces d’anomalies psychiques, qui peuvent concerner soit la connaissance intellective, soit une apte estimation critique, soit enfin la liberté de la décision délibérée de toute pulsion interne insurmontable.

 

  1. Les obstacles à la discretio judicii

 

Parmi les états mentaux qui peuvent d’une façon ou d’une autre interdire la discretio judicii se placent surtout les conditions ouvertement maladives, comme les psychoses et les névroses. Parfois aussi des perturbations de la personnalité peuvent avoir une influence invalidante, mais seulement si elles sont marquées d’une note de gravité. La simple désorganisation de la personnalité, par elle-même, n’est pas présumée comporter l’incapacité du patient. Le mariage en effet ne peut pas requérir chez le contractant une telle force de l’esprit, ou mieux, une telle faculté parfaite d’estimation ou une telle prudence du conseil, que toutes ses conséquences soient pleinement saisies.

 

  1. A ne pas confondre avec le défaut de discretio judicii

 

Une sentence c. Funghini, du 19 mai 1993, dit à ce sujet et fort à propos : « Lorsque la nullité du mariage est invoquée pour défaut de discretio judicii, le juge doit résoudre la question de savoir si le contractant a été capable d’un consentement valide, et non s’il a entrepris de célébrer son mariage prudemment et de façon parfaitement raisonnée. Pour un consentement valide, alors qu’est nécessaire la maturité psychique dans les limites dont on a parlé plus haut, il n’est pas requis qu’il y ait cette gravité et cette prudence qui rendent le mariage non seulement valide, mais plus agréable et plus fructueux pour les conjoints, les futurs enfants et la société »[1].

 

La discretio judicii en effet n’équivaut pas à la prudence, comme nous l’avons écrit dans une sentence du 17 novembre 1995 : « Très certainement on ne doit pas oublier la distinction entre la discretio et la prudence dans la décision délibérée. Toutefois la réflexion sur le mariage à contracter doit regarder la communauté à instaurer dans ses circonstances concrètes, et donc avec telle personne déterminée. Il ne s’agit pas assurément d’une pure et simple prudence dans une décision délibérée, mais plutôt d’une délibération suffisante et d’un jugement approprié à avoir pour émettre ce consentement hic et nunc »[2].

 

  1. Le défaut de discretio judicii regarde les obligations essentielles du mariage

 

  1. Pour que le défaut de discretio judicii rende véritablement le mariage nul, il faut qu’il soit en relation, non pas avec la personne choisie comme conjoint, mais – comme le fait remarquer le c. 1095, 2° lui-même – avec les obligations essentielles de l’alliance matrimoniale elle-même. En effet, selon la jurisprudence reçue de Notre For, ce n’est pas la décision délibérée « erronée » ou « imprudente » du conjoint pour le mariage qui invalide le consentement conjugal, à moins que ne soit prouvé, dans le cas concret, un grave défaut de capacité de discretio provenant de l’une des innombrables désorganisations psychiques, ressortant des actes et des faits et illustrée par un expert psychologue ou psychiatre. Certes le naufrage ou la ruine même de la communauté matrimoniale ne peuvent du fait même être convertis en un élément sur lequel serait bâtie la sentence de nullité. Les présupposés qui portent à cette argumentation fantaisiste ont toujours été rejetés avec force par la jurisprudence de Notre For.

 

Par le droit, de même, est requis une chose et une seule : la discretio ou maturitas judicii proportionnée au mariage à célébrer hic et nunc, de sorte que le contractant puisse comprendre la nature et le poids du mariage, sinon il ne pourrait pas consentir à ce mariage. Cette discretio et cette volonté dans l’acte de contracter sont présumées par le droit, sauf preuve contraire.

 

Nous estimons en conséquence nécessaire de porter son attention sur celui qui contracte hic et nunc, c’est-à-dire sur le mariage considéré dans les circonstances particulières des personnes. Il n’y a en effet aucune espèce pré-conçue a priori de grave défaut de discretio judicii, qui pourrait éventuellement s’appliquer à toutes les autres espèces de mariage, comme si elle était un exemple.[3]

 

  1. Les obligations essentielles du mariage et les fins et propriétés essentielles

               du mariage

 

  1. Enfin, parmi les obligations essentielles du mariage, seules sont recensées par Notre Jurisprudence celles qui découlent des fins et propriétés essentielles du mariage. C’est-à-dire, sont appelées obligations essentielles du mariage celles qui se rapportent à l’intégration et au progrès mutuels des conjoints, à la génération des enfants et à leur éducation humaine et chrétienne (cf. c. 1055), ainsi qu’au respect de la fidélité mutuelle et au maintien de l’indissolubilité du lien (c. 1057). En d’autres termes, nous parlons des obligations qui se rapportent aux traditionnels « biens du mariage », dont nous instruit saint Augustin – les enfants, la fidélité, le sacrement – auxquels il est permis d’ajouter le bien des conjoints comme fin essentielle du mariage.

 

 

 

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La cause a rencontré des difficultés d’ordre processuel et d’ordre substantiel. Pour l’ordre substantiel : l’expert de la 1° instance et le juge unique ont placé la cause du grave défaut de discretio judicii dans le jeune âge des contractants, comme si cela était suffisant, dans le cas précis, pour motiver la nullité du mariage.

 

Une autre difficulté réside dans le fait que chaque conjoint a décrit l’autre de façon très négative, ce qui met en doute leur crédibilité.

 

Les actes de l’instruction et surtout le rapport d’expertise du professeur Cianconi ont montré sans conteste le grave manque de discretio judicii du mari demandeur.

 

  1. LE GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  DE  L’ÉPOUSE  PARTIE  APPELÉE

 

Jackie ne se reconnaît que des qualités : « Je pense que je ne suis pas égoïste […]. J’étais capable de communiquer avec les autres […]. Je suis très sensible… ». Louis n’est pas de cet avis. Selon lui Jackie a subi des violences sexuelles de la part de son propre père, elle se droguait depuis longtemps, elle est jalouse, menteuse, boulimique etc. etc.

Certes Jackie reconnaît elle-même qu’elle s’est droguée, mais qu’elle s’est soignée sous la direction d’un psychiatre.

 

L’épouse déclare encore qu’elle a fait des efforts pour sauver sa communauté conjugale, en y montrant une certaine maturité : « J’étais une bonne épouse, j’ai essayé de dire la vérité, je déteste le mensonge ». Elle ajoute qu’elle n’a subi aucun sévice sexuel.

 

Toutefois un témoin, qui avait été son parrain à son baptême, rapporte que Jackie était une alcoolique, qu’elle se droguait et qu’elle manquait de fermeté de caractère, ce que confirment la sœur et la mère de l’intéressée.

 

Le professeur Cianconi, expert rotal, pense que la plus grande difficulté est de connaître la condition psychique de l’épouse, parce qu’également il manque dans les actes une anamnèse de sa famille : « Il en résulte qu’il est difficile d’analyser la condition psychologique de la femme […]. Jackie apparaît plus correcte que son mari ».

 

En conclusion, les Pères soussignés n’ont aucune certitude morale d’un grave défaut de discretio judicii chez l’épouse partie appelée.

 

  1. LE GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  DU  MARI  DEMANDEUR

 

Jackie accuse son mari de se droguer et de vendre de la drogue : « Il a été arrêté pour trafic de drogue […] et il recommence avec la femme avec qui il vit actuellement ». Pour Jackie, Louis est violent, jaloux, n’aimant que lui, dur avec son fils, de caractère faible etc. etc. D’ailleurs le mari reconnaît lui-même qu’il n’était pas mûr pour le mariage, car il était trop jeune.

Les témoins produits par Louis ne tarissent pas sur ses qualités. Toutefois, notent les Pères soussignés, ces qualités concernent plutôt la vie sociale que la vie conjugale avec Jackie, et d’autre part et surtout son addiction à la drogue, avant le mariage, est un indice clair de son immaturité, et il ne s’agit pas d’une chose sans importance puisqu’en plus il était dealer.

 

On doit tenir pour sans valeur le rapport de V.W. qui a été considéré imprudemment par le juge unique comme une expertise. En effet V.W. n’a pas soumis les actes de la cause à un examen critique ou scientifique et elle n’apporte qu’une vague affirmation de l’usage d’alcool et de stupéfiants de la part de Louis. Le professeur Cianconi parle de ce rapport comme d’une opinion personnelle et non d’une étude clinique.

 

Par contre sa propre expertise lève tous les doutes sur l’état psychique de Louis au moment de son mariage : abus de drogue et d’alcool, manque de maturité. Il évoque la façon dont « Louis projette sur sa femme la responsabilité de l’échec du foyer, en s’exonérant de toute responsabilité […]. Entre les lignes des actes il est évident que l’immaturité de l’individu existait avant le mariage ».

 

Tout ceci conduit les Juges à reconnaître qu’au moment de l’émission de son consentement Louis souffrait d’un désordre psychique qui l’a empêché de donner un consentement matrimonial valide. Ce désordre psychique était une immaturité grave, qui l’a privé d’une suffisante discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage.

 

– Constat de nullité

pour grave défaut de discretio judicii

chez le mari demandeur

 

– Non constat pour ce chef

chez l’épouse partie appelée

– Vetitum pour le mari

 

 

Pio Vito PINTO, ponent

John G. ALWAN

Giordano CABERLETTI

 

__________

 

[1] C. FUNGHINI, 19 mai 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 404,n. 2

[2] C. P.V. PINTO, 17 novembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 619, n. 3 ; cf. C. POMPEDDA, 14 novembre 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 731, n. 12 ; c. CABERLETTI, 25 juin 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 490-495, n. 3-6

[3] Cf. ALWAN, 30 janvier 1998, SRRDec, vol. XC, p. 37, n. 10

Pinto 17/12/2009

Coram  Pio Vito  PINTO

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal régional de Ligurie (Italie) – 17 décembre 2009

P.N. 19.898

Constat pour les 2 chefs

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE CONSENTEMENT  MATRIMONIAL
  2. Importance du consentement
  3. La capacité consensuelle
  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII
  2. Nature du défaut de discretio judicii
  3. La gravité du défaut de discretio judicii
  4. La preuve du grave défaut de discretio judicii

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. Nature de l’incapacité d’assumer
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. Les causes de nature psychique de l’incapacité d’assumer
  4. La preuve de l’incapacité d’assumer

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Sergio K, né le 11 mars 1963, et Sophie B., née le 1° avril 1962, se marient religieusement le 30 novembre 1985 dans une chapelle appartenant à la famille de Sergio, dans le diocèse de Lausanne. Le mariage civil avait été célébré à Paris le 6 novembre précédent.

 

La vie conjugale prend fin en février 1986, trois mois après le mariage religieux. Le divorce est prononcé par le TGI de Paris le 29 octobre 1986.

 

Le 6 décembre 1999, Sergio présente un libelle au Tribunal régional de Ligurie, en Italie, pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage avec Sophie. La Signature Apostolique accorde au Tribunal une prorogation de compétence. Le 28 juillet 2000, le doute est concordé sur les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part du mari demandeur. Une expertise est réalisée. Le 22 février 2002, le Tribunal rend une sentence affirmative pour le chef de grave défaut de discretio judicii, « répondant ainsi également au chef d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

Le Tribunal régional d’appel du Piémont admet la cause à l’examen ordinaire du second degré et, le 3 septembre 2002, concorde le doute uniquement sur le chef de grave défaut de discretio judicii de la part du mari demandeur. Une nouvelle expertise est réalisée. La sentence du 28 octobre 2004 est négative.

En 3° instance, le doute est concordé sur les deux chefs initiaux et une expertise ex officio est exécutée.

 

EN  DROIT

 

  1. LE CONSENTEMENT  MATRIMONIAL

 

  1. Importance du consentement

 

  1. Selon le principe connu reçu de la tradition canonique, clairement exprimé au c. 1081 CIC 1917 et confirmé au n. 48 de la Constitution Gaudium et Spes, le c. 1057 § 1 du Code en vigueur insiste également sur l’importance fondamentale du consentement personnel des époux pour constituer le mariage : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine ».

 

Le consentement de ceux qui se marient est toujours proclamé et exigé en tant que cause efficiente du mariage, unique, adéquate, suffisante et absolument nécessaire, le consentement étant l’acte de la volonté en vue d’une mutuelle donation-acceptation des personnes pour constituer le mariage (c. 1057 § 2), c’est-à-dire une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants (c. 1055 § 1).

 

  1. La capacité consensuelle

 

Pour que le consentement personnel de ceux qui se marient soit apte à engendrer ses effets si graves et qui durent pendant toute la vie des conjoints, il doit être manifesté « entre personnes juridiquement capables », c’est-à-dire qui soient dotées de la capacité adéquate requise par le droit naturel et le droit positif.

 

La capacité consensuelle chez chacun des contractants au moment de la célébration du mariage présuppose :

  1. un usage suffisant de la raison pour manifester le consentement par un acte humain libre et conscient (c. 1095, 1°) ;
  2. la discretio judicii requise pour les droits et devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement (c. 1095, 2°) ;
  3. la capacité psychique d’assumer les obligations essentielles du mariage (c. 1095, 3°).

 

  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. Nature du défaut de discretio judicii

 

  1. La discretio judicii (c. 1095, 2°), comme chacun le sait, est un concept large, qui inclut la connaissance intellective, une estimation critique apte, et enfin la liberté de la décision délibérée de toute impulsion interne irrésistible.

 

Parmi les états de l’esprit qui peuvent d’une certaine façon empêcher la discretio judicii, se trouvent surtout les conditions ouvertement maladives, comme les psychoses et les névroses. Parfois également des perturbations de la personnalité peuvent avoir une influence invalidante, mais seulement si elles sont revêtues d’une note de véritable gravité. Une simple désorganisation de la personnalité, par elle-même, n’est pas présumée comporter l’incapacité du patient.

 

Il suffit encore moins, bien entendu, pour réduire à néant le consentement, qu’il y ait de simples traits de personnalité qui n’atteignent pas une signification et une importance cliniques. Selon le Magistère Pontifical bien connu, seules les formes sérieuses d’anomalie peuvent engendrer l’incapacité consensuelle : « Pour le canoniste, le principe doit rester clair que seule l’incapacité, et non pas la difficulté, à donner le consentement et à réaliser une vraie communauté de vie et d’amour, rend nul le mariage […]. On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en présence d’une forme sérieuse d’anomalie qui, de quelque façon qu’on la définisse, doit entamer de façon substantielle les capacités de comprendre et/ou de vouloir de celui qui contracte »[1].

 

  1. La gravité du défaut de discretio judicii

 

  1. Le c. 1095, 2° requiert la gravité, dans le défaut de discretio judicii qui doit affecter l’estimation des droits et des devoirs essentiels qui sont à échanger dans l’alliance conjugale. Le mariage en effet entraîne avec lui d’innombrables conséquences existentielles, spirituelles et sociales, mais il ne peut pas être requis chez celui qui se marie une telle force spirituelle, ou mieux, une telle profondeur d’estimation ou une telle prudence de conseil qu’elles embrassent pleinement toutes les conséquences du mariage.

 

Une sentence coram Funghini fait très justement remarquer : « Lorsque la nullité du mariage est invoquée pour défaut de discretio judicii, la question à résoudre par le juge est celle de savoir si le contractant a été capable de donner un consentement valide, mais non pas s’il est arrivé à la célébration du mariage de façon prudente et après avoir bien réfléchi. Pour un consentement valide, alors qu’est nécessaire une maturité psychique dans les limites dont nous avons parlé plus haut, il n’est pas requis qu’il y ait cette gravité et cette prudence qui rendent le mariage non seulement valide, mais plus accommodé et plus fructueux pour les conjoints eux-mêmes, pour leurs futurs enfants et pour la société »[2].

 

En effet s’il n’y avait de mariages valides que ceux qui sont contractés avec une capacité totale ou idéale d’évaluation, il est évident que le droit au mariage – ouvert à tous en vertu du droit naturel – serait restreint à un petit groupe d’êtres humains, ce qui est ouvertement contraire aux principes de l’anthropologie chrétienne.

 

  1. Il serait de même contraire à la juste anthropologie de soutenir que celui qui jouit d’un grand sens des responsabilités, en raison de son caractère propre inné ou en vertu de son éducation familiale, soit par le fait même incapable d’une détermination réfléchie et libre au mariage.

 

  1. La preuve du grave défaut de discretio judicii

 

  1. « Pour prouver le grave défaut de discretio judicii, enseigne la jurisprudence de Notre Ordre, il est nécessaire de recourir à l’examen de la façon de se conduire du sujet et de découvrir, à partir de sa vie et du déroulement de celle-ci, les causes de perturbation qui entraînent la perte de la maîtrise de ses propres facultés. Mais à coup sûr, s’il n’y a pas de causes de perturbation, on ne peut pas, a priori, diagnostiquer un grave défaut de discretio judicii »[3].

 

Il faut porter une attention particulière aux conditions concrètes soumises au jugement, dans tous leurs aspects : « Certains modes de vie peuvent être considérés comme contraires à la preuve d’un défaut de discretio judicii, lorsque les mêmes raisons démontrent le plein usage des facultés de discretio. Ainsi par exemple : la prise en charge des responsabilités du mariage dans les premières années de la vie conjugale est une preuve contraire au défaut de discretio judicii, parce que pour remplir les obligations conjugales il est requis une ample discretio judicii »[4].

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Selon le c. 1095, 3° sont incapables de contracter mariage ceux qui sont affectés d’une incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage pour des causes de nature psychique.

 

  1. Nature de l’incapacité d’assumer

 

Alors que les chefs de nullité dont il est question dans les deux premiers numéros du canon, s’attachent au sujet sous la lumière de la capacité d’émettre le consentement matrimonial en tant qu’acte humain conscient et volontaire (n° 1), et en tant qu’acte humain délibéré de façon adéquate et doté d’une liberté intérieure convenable (n° 2), le chef du n° 3 regarde plutôt le rapport de celui qui se marie à l’objet du consentement.

 

En effet il ne suffit pas, pour contracter un mariage valide, de l’usage de la raison et d’une discretio judicii proportionnée. Il est nécessaire qu’il y ait, au moment du mariage-alliance, la capacité de celui qui se marie de mettre en pratique ce qui constitue le mariage-état de vie, c’est-à-dire la capacité de remplir dans la vie matrimoniale les obligations essentielles afférentes à la communauté de toute la vie.

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

  1. Les obligations essentielles du mariage peuvent s’individuer compte tenu des fins institutionnelles et des propriétés essentielles du mariage : de telle sorte qu’on puisse dire que les obligations essentielles des conjoints concernent la mutuelle intégration et le succès mutuel, la génération des enfants et leur éducation humaine et religieuse (cf. c. 1055), ainsi que la mutuelle fidélité à garder et le respect de l’indissolubilité de l’union (c. 1057).

 

Il s’agit, en d’autres termes, des obligations qui se rapportent aux traditionnels « biens du mariage », dont il est question dans la doctrine de Saint Augustin (les enfants, la fidélité, le sacrement), enrichis de l’aspect personnaliste qui ordonne de placer également le bien des conjoints dans les fins du mariage, et d’insérer les charges correspondantes dans le noyau vital de la capacité matrimoniale.

 

En d’autres termes, on doit discuter au for canonique de la validité du mariage, et non de sa perfection. Sinon le concept « idéalisé » du mariage serait trop fort et le droit au mariage – qui ne présuppose pas une capacité supérieure, mais seulement une capacité naturelle –subirait une restriction insupportable.

 

  1. Les causes de nature psychique de l’incapacité d’assumer

 

  1. On ne doit jamais oublier que le naufrage de la communauté matrimoniale, pour très triste qu’il soit, ne sous-entend pas par lui-même un défaut de capacité chez les conjoints.

 

Il peut arriver en effet, pour de multiples raisons, que la relation conjugale, qui comporte toujours des difficultés et requiert une longanimité et un esprit d’adaptation, soit viciée par l’impatience, ou pire, par la mauvaise volonté des parties.

 

A ce sujet la jurisprudence nous avertit que la simple constatation que les obligations conjugales ne sont pas remplies est insuffisante.

 

C’est pourquoi la loi prescrit très justement que l’incapacité d’assumer les obligations doit être rapportée à des causes de nature psychique. Ceci doit être compris correctement – car même la mauvaise volonté procède de l’intime de l’âme – : la cause de l’incapacité doit être inhérente à la constitution psychique du sujet de telle sorte qu’elle ne puisse volontairement ni être réfrénée ni contrainte ; et elle doit rendre au patient la poursuite de la vie commune, non seulement grave mais réellement intolérable.

 

  1. La preuve de l’incapacité d’assumer

 

  1. La preuve de la nullité dans ces cas-là est grandement aidée par les experts, à qui il appartient d’informer le juge sur l’état psychique du présumé incapable, c’est-à-dire : ce dernier a-t-il été affecté d’une anomalie au moment de son mariage ; quelle a été la gravité de cette anomalie ; cette anomalie a-t-elle eu un effet, et lequel, sur la capacité du sujet de nouer et d’entretenir une relation duelle et paritaire avec son conjoint, ordonnée au bien commun, ouverte à la vie, fidèle et indissoluble ?

 

Il est interdit aux experts de majorer la gravité de la maladie ou de la rétrograder à l’époque prématrimoniale sans arguments scientifiques, ou d’en venir à des conclusions qui débordent largement les prémisses.

 

Le juge doit soumettre l’expertise à un examen comportant trois critères : évaluation du fondement de l’expertise dans les actes, dans lesquels le rapport du médecin doit trouver des confirmations fermes ; mesure de la rectitude de la méthode scientifique et de la clarté logique de l’argumentation ; enfin vérification de l’inspiration philosophique du médecin qui a fait l’expertise, afin que ne soient pas acceptées les expertises qui, dans leur argumentation, sont favorables aux doctrines matérialistes ou au déterminisme, qui s’opposent à l’anthropologie chrétienne.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. Le mari demandeur

 

Le mari demandeur a subi diverses épreuves dans son évolution affective, dès l’enfance par suite de la séparation de ses parents, et durant son adolescence et sa jeunesse en raison de la mort de jeunes filles avec lesquelles il entretenait une relation amoureuse.

 

Bien qu’il se défende d’avoir souffert du divorce de ses parents, il reconnaît que ce n’est qu’avec son grand-père qu’il a trouvé la paix.

 

Quant à ses relations amoureuses, elles ont, en 15 ans, connu trois épreuves : à 17 ans, à Paris, il a eu « sa première expérience affective » avec une jeune fille qui est morte d’une maladie des reins. Puis il s’est éperdument épris d’une jeune belge, avec laquelle il a « un peu cohabité et un peu non », et qui a été assassinée. Ensuite il est parti à New-York où il a « fréquenté » une jeune Iranienne, qui l’a quitté pour son meilleur ami. Enfin en 1985 il est revenu à Paris, où il a rencontré Sophie, qu’il a fréquentée deux mois, qu’il a épousée, et qu’il a abandonnée avant son retour en Amérique.

 

Le demandeur affirme toutefois qu’il a « rempli pleinement en conscience, ses obligations conjugales » …

 

  1. Les témoins

 

Les témoins, unanimement, pensent que Sergio n’avait pas acquis la maturité suffisante pour évaluer les obligations conjugales : il était immature, il s’est marié de façon folle, il avait un caractère faible, il était gravement immature, etc.

 

  1. Les expertises

 

  1. Les expertises des première et seconde instance

 

Ces expertises sont discordantes. En première instance, le docteur B., qui a examiné le mari demandeur, pense qu’il n’avait pas acquis la maturité, parce que son tempérament n’était pas apte à un processus évolutif normal, et il estime que Sergio avait un état pathologique prouvé.

 

En deuxième instance, le docteur F., qui a examiné le mari demandeur en employant une méthode psychodiagnostique, n’a vu chez lui aucune pathologie psychique et a même estimé qu’il avait une maturité réelle. Et en même temps l’expert fait état de nombreux indices qui ne s’expliquent que par l’immaturité.

 

  1. L’expertise de troisième instance

 

En troisième instance à la Rote, le professeur Callieri a supprimé tout doute sur la gravité de l’immaturité du mari. Il accepte le diagnostic de l’expert de 1° instance, comme bien fondé scientifiquement. Il reconnaît chez l’expert de 2° instance une méthode scientifique correcte, mais il se démarque de cet expert, car il estime que l’anomalie dont souffrait le mari demandeur doit être considérée comme grave. Selon le professeur Callieri, le second expert n’a pas suffisamment prêté attention au manque de cohérence des éléments qu’il avait découverts avec sa méthode psychodiagnostique.

 

Le professeur Callieri, qui a examiné directement le mari demandeur et qui a étudié scientifiquement les actes de la cause, parle des « traits patho-caractériels de personnalité » de Sergio, bien avant son mariage et il indique comme cause de la grave immaturité du sujet son évolution psycho-affective anormale.

 

En conclusion, celui-ci souffrait d’une grave immaturité, qui l’a empêché d’avoir une suffisante discretio judicii et l’a rendu incapable d’assumer les obligations essentielles du mariage.

Constat de nullité pour

– défaut grave de discretio judicii, et

– incapacité d’assumer les obligations essentielles

du mariage, de la part du mari demandeur.

 

– Vetitum pour le mari

 

Pio Vito PINTO, ponent

John ALWAN

Giordano CABERLETTI

 

__________

 

[1] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, n. 7

[2] C. FUNGHINI, 19 mai 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 404, n. 2

[3] C. ALWAN, 30 janvier 1998, SRRDec, vol. XC, p. 37, n. 10

[4] C. ALWAN, même endroit, n. 11

Monier 27/11/2009

Coram  MONIER

 Grave défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

Simulation partielle

 Tribunal régional du Latium (Italie) – 27 novembre 2009

P.N. 19.731

Constat de nullité

pour les deux premiers chefs

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. L’INCAPACITÉ
  1. LE CONSENTEMENT
  2. Les qualités requises pour le consentement
  3. Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique
  4. La nécessaire liberté
  5. La liberté et les impulsions intérieures et extérieures
  6. La nécessaire gravité de défaut de discretio judicii

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique
  4. L’immaturité psycho-affective
  5. Le Trouble Dépendant de Personnalité

 

  1. LE RÔLE  DES  EXPERTS  ET  DES  JUGES
  2. Les experts
  3. Les juges

 

  1. LA SIMULATION  PARTIELLE

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Raffaele M. et Maria P., médecins l’un et l’autre, s’étaient rencontrés en 1975 à la Polyclinique Gemelli de Rome où ils se spécialisaient en cardiologie. Raffaele déclare que leur relation a été rompue à la fin de leurs études, ce que conteste Maria. En juillet 1979 ils décident de se marier, ce qu’ils font le 29 septembre de la même année.

 

La vie conjugale, au cours de laquelle naît un unique enfant, dure 18 ans mais en 1996 elle connaît l’échec, l’époux ayant des relations avec une autre femme et, de plus, quittant le foyer conjugal. C’est pourquoi Maria demande à la justice civile la séparation légale, prononcée le 25 juin 1999.

Le 23 mai 2000, Raffaele s’adresse au Tribunal ecclésiastique régional du Latium, accusant son mariage de nullité pour défaut du consentement matrimonial en raison de l’exclusion du bien du sacrement de sa part. Le 31 janvier 2002, à la demande de l’avocat de Raffaele, un nouveau doute est concordé sur les chefs de grave défaut de discretio judicii sur les droits et les devoirs essentiels du mariage et/ou sur l’incapacité d’assumer, pour des causes de nature psychique, les obligations essentielles du mariage, de la part du mari, et également, si ces chefs étaient rejetés, sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari.

 

Des expertises sont réalisées. Le 14 mars 2005 le Tribunal rend une sentence affirmative, mais ne retient pour la nullité du mariage que le grave défaut de discretio judicii chez le mari demandeur. L’épouse fait appel à Notre Tribunal, qui reprend les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer et, si ceux-ci sont rejetés, le chef d’exclusion du bien du sacrement de la part du mari. Une expertise est réalisée en cette seconde instance.

 

 

EN  DROIT

 

  1. L’INCAPACITÉ

 

  1. LE CONSENTEMENT

 

  1. Le concile Vatican II enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour, qui constitue l’alliance matrimoniale, doit naître d’un acte humain « par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement »[1].

 

  1. Les qualités requises pour le consentement

 

A son tour la Loi canonique établit : « C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » (c. 1057 § 1).

 

Dans cette entreprise d’un poids considérable il est requis de la part de ceux qui se marient l’interaction harmonique et nécessaire des facultés supérieures pour accomplir un acte véritablement humain.

 

La loi statue également que sont incapables de contracter mariage les personnes : « 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

  1. Le jugement spéculatif et le jugement pratico-pratique

 

  1. Le consentement matrimonial n’est pas le fruit d’un jugement purement spéculatif puisqu’une détermination consciente implique nécessairement un jugement pratico-pratique.

 

Dans le processus particulier de la formation du consentement, la faculté critique, qui se définit comme une force de jugement et de raisonnement, se porte sur l’objet de la donation réciproque et, après une délibération sérieuse où sont pesés tant les motifs favorables que les motifs contraires, celui qui se marie se forme un nouveau jugement pratico-pratique sur l’opportunité ou non de contracter.

 

Dans ce domaine, une sentence c. Huber nous donne, au sujet de la coopération de l’intelligence et de la volonté, l’enseignement suivant :

« Cette coopération de l’intelligence et de la volonté se déroule en trois phases.

 

La première est l’appréhension du vrai. L’intellect examine tous les éléments relatifs à l’acte que l’on veut accomplir. Il scrute l’objet dans l’absolu, sous la nature du vrai, mais il n’ordonne pas à l’œuvre ce qu’il appréhende. C’est pourquoi l’intellect est appelé spéculatif ou contemplatif.

 

La seconde phase est le jugement. Il s’agit du conseil, qui consiste en une comparaison ou un rapprochement entre une chose et une autre. Le conseil est l’enquête de la raison avant le jugement sur les choix à faire. Ce jugement regarde la praxis et donc il se rapporte à l’intellect pratique ou actif.

 

La troisième phase est l’electio, le choix délibéré. S. Thomas le définit ainsi : ‘L’electio est l’acceptation ultime par laquelle quelque chose est reçu pour être recherché. L’electio n’est pas un acte de la raison, mais de la volonté’[2] »[3].

 

  1. La nécessaire liberté

 

  1. D’autre part la discretio judicii comporte une liberté suffisante. Dans ce domaine, la question de l’activité inconsciente dans le processus de formation du consentement est très difficile. En tout cas, comme l’enseigne très souvent la Jurisprudence de Notre For : « Il y a une véritable liberté interne lorsque la détermination de la volonté, qu’on appelle electio, est libre de toute détermination intrinsèque à un seul objet, de telle sorte que la volonté puisse agir ou ne pas agir, faire une chose ou son contraire à partir de considérations proposées par un jugement indifférent. La liberté interne fait défaut si la volonté, sans qu’il y ait une lésion manifeste de l’intellect spéculatif, est déterminée à partir du fait que l’intellect pratique ne peut absolument pas ou au moins peut de façon insuffisante estimer les motifs de l’electio»[4].

 

Pour accomplir un acte véritablement humain dans le consentement matrimonial, la nécessité de la liberté doit toujours être reconnue parce que, si la liberté fait défaut, le mariage est nul. Les Pères du Concile Vatican II ont parfaitement enseigné : « La vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine. Car Dieu a voulu le laisser à son propre conseil pour qu’il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s’achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l’homme exige donc de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure »[5].

 

  1. La liberté et les impulsions intérieures et extérieures

 

Il faut remarquer que, si le droit naturel postule la liberté de la volonté comme une condition sine qua non dans la décision délibérée du mariage, l’absence de toute impulsion n’est cependant pas nécessaire, et en même temps, celui qui se marie doit être capable d’y résister. Comme l’enseigne la jurisprudence de Notre For : « En d’autres termes il y a liberté interne lorsque la personne, et en l’espèce celui qui se marie, a la faculté de se déterminer lui- même de l’intérieur, ce qui assurément n’exige pas l’absence générale des impulsions qui proviennent du caractère, de la vie menée, des circonstances existentielles, de l’éducation, de la façon de se conduire, ainsi que des schémas de la loi morale. La liberté peut parfaitement exister avec des impulsions internes de ce genre, mais elle requiert la capacité de leur résister »[6].

 

  1. La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii

 

Dans ce genre de causes il ne faut pas oublier la gravité du défaut de discretio judicii, comme la loi l’exige. Cette gravité « se mesure selon deux critères : le premier est la condition psychique du contractant, le second est la gravité des droits et des devoirs essentiels du mariage, avec lesquels les actions psychiques du contractant doivent garder une proportion. A moins qu’à partir des Actes n’émerge chez la personne une perturbation psychique antérieure au mariage, on peut difficilement prouver un grave défaut de discretio judicii »[7].

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

  1. La raison de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage est à trouver dans la célèbre règle du droit selon laquelle « personne ne peut être obligé à l’impossible ».

 

Dans le cas de cette incapacité il ne s’agit pas d’une simple difficulté, mais d’une véritable incapacité de disposer de l’objet du consentement puisque chez le sujet les forces psychiques dans l’ordre de l’exécution excèdent les obligations essentielles du mariage.

 

Ces obligations essentielles, comme on le déduit des c. 1055, 1056, reposent sur les trois biens traditionnels : obligation de garder la fidélité, de respecter l’indissolubilité ainsi que l’obligation d’accepter la procréation et l’éducation des enfants.

 

Aujourd’hui, et depuis de longues années, est consolidée la doctrine qui non seulement requiert la capacité d’assumer les obligations dont nous parlons, mais elle comprend également comme un élément essentiel l’habilité à faire naître et à soutenir la communauté de vie ordonnée au bien des conjoints. A ce sujet Mgr Pompedda écrit : « C’est pourquoi les parties ont droit aux moyens par lesquels les fins peuvent être atteintes. Les droits inclus dans les trois biens traditionnels ne semblent pas suffire. Il est requis en plus le droit à la communauté de vie, décrite dans les Saintes Ecritures comme une ‘aide’ et assumée par le Concile Vatican II sous l’expression ‘union intime des personnes et des activités’[8] »[9].

 

  1. L’incapacité se fonde sur des causes de nature psychique

 

La loi exige également que l’incapacité dont il s’agit ait son fondement dans des causes de nature psychique. Dans le domaine de la cause de nature psychique et de son lien avec l’incapacité en question, une sentence c. Stankiewicz fait remarquer : « L’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, selon la teneur de la loi ecclésiale, ne peut provenir que de causes de nature psychique […], mais non d’autres causes, physiques ou morales, comme par exemple un vice moral invétéré, contraire à l’un des devoirs du mariage, ou l’absence de telle vertu qui rend très difficile l’observance des obligations conjugales. Cette incapacité empêche d’assumer les obligations essentielles en raison du défaut de maîtrise ou de puissance psychique de la part du contractant sur ses actions futures et ses raisons d’agir, qui comportent l’accomplissement des obligations […]. En effet un tel défaut de la puissance volitive de gouverner les impulsions qui prévalent sur les obligations essentielles peut rendre leur observance et leur accomplissement non seulement difficile mais également impossible. Il s’agit assurément d’une structure anormale et perturbée de la vie psychique de la personne du contractant, qui empêche de par sa nature même d’assumer soit toutes les obligations essentielles du mariage ou seulement certaines d’entre elles. Et cela arrive indépendamment d’une espèce nosographique dénotant une pathologie psychique jointe, soit que celle-ci ait un caractère organique soit qu’elle ait un caractère fonctionnel »[10].

 

  1. L’immaturité psycho-affective

 

  1. Sous la formule générale « de nature psychique », la loi ne requiert pas une maladie mentale au sens strict, ou une véritable psychopathie, mais il suffit d’une désorganisation tirant son origine d’une cause psychique, comme l’immaturité psycho-affective, pourvu qu’elle empêche l’exercice correct de la faculté critique ou la capacité d’assumer les obligations essentielles du mariage. A coup sûr il ne faut pas confondre cette immaturité avec une immaturité envisagée au sens large ou connexe à l’âge.

 

Selon la discipline des auteurs reconnus dans la science psychiatrique reçue, cette immaturité « consiste dans un mode d’agir incongru et infantile de la part d’un adulte, soit en raison d’un défaut d’autonomie fonctionnelle dans la conduite personnelle, soit en raison d’un défaut d’évolution de la personnalité ou du caractère »[11].

 

Quant aux symptômes de ce type d’immaturité, nous trouvons l’incapacité de gouverner ses désirs et ses passions, un lien très étroit avec les parents, l’égoïsme, l’irresponsabilité dans l’accomplissement des obligations du mariage. Une sentence c. Turnaturi note à ce sujet : « Dans la dimension de la pathologie psychique ou de défaut d’équilibre psychique, on compte aussi l’immaturité psycho-affective dépendant d’une personnalité désordonnée, ou la personnalité psycho-agressive, ou une structure désorganisée de la personnalité marquée ou dominée par des signes graves de comportement antisocial ou de narcissisme, en raison de l’égoïsme ou de l’égocentrisme du sujet, qui fait obstacle à la constitution de la communauté conjugale en ce qu’elle rend intolérable et bien plutôt impossible l’intégration interpersonnelle ou la complémentarité psychosexuelle pour le bien des époux et l’éducation des enfants »[12].

 

  1. Le Trouble Dépendant de Personnalité

 

De la même façon, on recense dans les désorganisations de nature psychique ce qu’on appelle le « Trouble Dépendant de Personnalité », que la science psychiatrique définit ainsi : « Une situation perverse et excessive de nécessité d’être pris en charge, qui détermine un comportement soumis et dépendant et une peur de la séparation, qui apparaissent au premier âge adulte et qui sont présents dans une variété de contextes »[13].

 

Parmi les critères qui circonscrivent cette désorganisation de la personnalité, on peut lire : « Les individus ayant un Trouble Dépendant de Personnalité ont de grandes difficultés à prendre les décisions quotidiennes […]. Ces individus tendent à être passifs et à permettre à d’autres personnes […] de prendre l’initiative et d’assumer la responsabilité dans la majeure partie des secteurs de leur vie […]. Les adultes ayant ce trouble dépendent typiquement de leur géniteur ou de leur conjoint pour décider où ils doivent vivre, quel type de travail ils devraient avoir […]. Puisqu’ils craignent de perdre leur support ou l’approbation des autres, les individus ayant ce Trouble Dépendant de Personnalité ont souvent des difficultés à exprimer leur désaccord avec les autres personnes, spécialement avec celles dont ils sont dépendants […]. Les individus ayant ce trouble on des difficultés à prendre l’initiative de projets ou à faire des choses de façon indépendante […]. Ils sont convaincus d’être incapables de fonctionner indépendamment et se présentent comme incapables et ayant besoin d’une assistance constante »[14].

 

  1. LE RÔLE  DES  EXPERTS  ET  DES  JUGES

 

  1. Dans l’examen de la cause il faut prêter attention à tous les faits et circonstances tant prématrimoniaux que postmatrimoniaux relatés par les parties et les témoins.

 

  1. Les experts

 

Est de grande valeur l’aide d’un ou plusieurs experts qui, après avoir examiné les parties, si possible, et compte tenu de tous les éléments tirés du dossier de la cause, doivent, selon les règles de leur science propre et les principes de l’anthropologie chrétienne, présenter dans leurs conclusions le diagnostic et les raisons de l’existence et de la nature de la perturbation, de son origine, de sa gravité, du moment où elle est apparue, et surtout de l’influence de cette perturbation sur les facultés du patient.

 

Une sentence c. de Lanversin, toutefois, nous avertit que l’expertise « n’est qu’une partie de l’ensemble plus vaste de l’instruction du procès canonique, et qu’il serait très dangereux que le jugement ultime dans la décision canonique soit prononcé par l’un ou l’autre des experts consultés, sans aucune évaluation du juge[15], parce que, dans ce cas, il y aurait un grave péril que la cause soit posée et définie sous un aspect tout à fait particulier et partiel, ou qu’elle soit déduite de principes étrangers à l’anthropologie chrétienne »[16].

 

Il revient uniquement au juge de passer au crible les conclusions de l’expert et « il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts » (c. 1579 § 2).

 

  1. Les juges

 

Le devoir des Juges dans le domaine de l’incapacité est difficile. Les juges en effet, « doivent d’une part porter objectivement un jugement sur l’incapacité d’une personne individuelle par rapport à l’institution du mariage, c’est-à-dire en ayant devant les yeux ce que la nature humaine apporte en dotation à tous les hommes ; d’autre part ils doivent prêter attention à la relation interpersonnelle, puisque la nature humaine peut parfois être limitée ou bloquée, ou même être exaltée par la relation à autrui chez un sujet particulier, en ce qui concerne cette relation objective à instaurer avec une autre personne, sans qu’ils ne tombent toutefois dans une appréciation subjective »[17].

 

Il faut également rappeler, puisque le juge n’est pas un expert psychiatre ou psychologue, que les rapports d’expertise sont très importants surtout s’ils sont l’œuvre d’experts qui jouissent d’un très grand crédit dans leur domaine. Mgr Serrano Ruiz fait une remarque logique et pertinente sur la force particulière des rapports d’expertise : « Il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ‘qu’il est juste de mettre à côté de nos habituelles présomptions de droit et présomptions de l’homme, des sortes de présomptions de la science, selon lesquelles on devrait inverser la charge de la preuve – ou du raisonnement du juge – et considérer comme moralement certaines les conclusions de la science si elles ne sont pas contredites par d’autres indices’[18] »[19].

 

  1. LA SIMULATION  PARTIELLE

 

  1. En raison de la présomption du droit, le consentement intérieur de l’esprit doit être considéré conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage (cf. c. 1101 § 1), mais « si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Si quelqu’un se considère comme l’arbitre de la permanence du lien conjugal, avec la faculté de retrouver sa propre liberté au cas où les choses iraient mal, il est évident qu’il n’entend pas faire un mariage chrétien.

 

Il s’agit dans ce cas non pas d’une simple velléité, ou d’une intention habituelle ou virtuelle, mais d’un véritable acte positif de volonté qui implique la limitation du consentement, de telle sorte que celui qui se marie entende contracter mariage uniquement sous la condition expresse ou intérieure d’exclure l’indissolubilité.

 

En vérité le bien du sacrement ne souffre pas de distinction entre le droit et l’exercice du droit puisque celui qui se propose de faire un mariage soluble, exclut le mariage par le fait même.

 

  1. La preuve de la simulation s’obtient selon les critères reçus par la Jurisprudence commune. Tout d’abord il faut évaluer la confession du simulant, judiciaire et surtout extrajudiciaire, faite à des témoins dignes de foi à une époque non suspecte. Ensuite il faut découvrir la cause grave et proportionnée de la simulation, distincte de la cause qui a poussé au mariage. En outre il faut examiner les circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui puissent rendre plus crédible la simulation effectuée.

 

Il est certain que dans des causes de ce genre il ne faut pas oublier le caractère et la crédibilité du simulant présumé, son éducation, son mode de vivre et d’agir, sa situation religieuse et sociale, les circonstances de famille et de lieux.

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La cause présente est difficile à juger étant donné les contradictions dans les dépositions des parties et dans celles des témoins. Il faudra porter une grande attention à ce que disent les uns et les autres, et examiner attentivement les circonstances prématrimoniales et postmatrimoniales.

 

  1. Le mari demandeur

 

Dans sa déposition judiciaire à la Rote, Raffaele se décrit comme quelqu’un ayant eu une enfance et une adolescence très tristes, en raison de l’attitude de son père : « Mon père était dominateur, il nous punissait corporellement […] Quand j’avais dix ans, à l’occasion de l’examen final de l’école élémentaire, mon père m’a puni très fort […] A 12 ans, j’ai fait une fugue et c’est la police qui m’a retrouvé […] J’ai cherché à m’engager à fond dans les études pour échapper à cette situation d’oppression et aussi par peur d’être privé de ces études. J’aurais voulu étudier la philosophie mais mon père a décidé que je serais médecin et j’ai obéi encore une fois à sa volonté ».

 

Raffaele, en première instance, avait déjà parlé de son tempérament hésitant et peu enclin à prendre des décisions, et il reconnaît comme traits saillants de son caractère l’introversion, le sens de l’indignité, l’incapacité de prendre une décision sereine et équilibrée. Il estime également qu’il a vécu ses fiançailles avec légèreté, que Maria lui assurait une sécurité avec la clarté de ses jugements, mais en même temps, comme elle avait le même caractère que son père, elle le remettait dans un état de dépendance et de soumission.

 

La décision de se marier a été très pénible à prendre : « je me trouvais dans une situation de grand malaise parce que je n’avais personne pour me conseiller. D’habitude c’était mon père qui le faisait, c’est lui qui avait toujours conditionné mes choix. De plus je me serais senti perdu si Maria n’avait pas pris la décision du mariage […] Je n’avais pas la liberté pour prendre une décision adéquate ».

 

Raffaele déclare également que la vie conjugale a toujours été tendue et impossible en raison de graves dissensions avec Maria, et il pense que sa relation avec une autre femme n’a pas été la cause de la rupture de son couple, mais plutôt l’effet de l’échec de sa vie conjugale.

 

  1. L’épouse partie appelée

 

Maria donne une tout autre version des faits. En ce qui concerne les rapports de Raffaele avec son père, elle parle de véritable vénération et elle nie que le fils ait été soumis à son père. Mais dans sa précédente déposition elle avait déclaré : « Raffaele avec son père avait comme un rapport d’humiliation ».

 

Ce terme d’humiliation est fort et Maria ajoute que Raffaele était « un garçon introverti et qui gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés ». En même temps elle le définit comme « une personne forte … il n’avait pas un caractère fragile et influençable […] Dans sa famille il était une figure de premier plan et pendant de longues années ses sœurs et sa mère se sont appuyées sur lui ».

 

Pour Maria, il n’y a pas eu de ruptures pendant les fiançailles, mais elle ne pouvait être constamment à Rome, où habitait Raffaele, et de plus son propre père n’aurait pas toléré qu’elle quitte Ascoli pour retrouver son fiancé. Elle ajoute qu’elle aimait Raffaele et qu’il l’aimait aussi.

 

Toutefois les actes du dossier contiennent quelques lettres envoyées par Raffaele à Maria et qui montrent manifestement qu’il y a eu des désaccords sérieux entre les fiancés.

 

Enfin Maria attribue la rupture de la vie commune à la liaison adultérine de son mari, ce qui n’est pas le point de vue de celui-ci.

 

  1. Les témoins

 

Les témoins présentés par l’épouse affirment en général que le mari demandeur, au moment de son mariage, avait un caractère solide. La sentence c. Monier rapporte les déclarations de neuf d’entre eux, qui sont du même avis : « personne déterminée, caractère décidé … », mais en même temps ils reconnaissent qu’ils parlent du médecin avec qui ils ont travaillé ou travaillent toujours, et non de l’époux « sur lequel (ils) ne sauraient pas juger ».

 

Il ne faut pas oublier à ce propos que, selon Maria, Raffaele « gardait pour lui ses problèmes et ses difficultés » et donc que la plupart des témoins de l’épouse ne pouvaient pas connaître sa véritable personnalité intérieure. Il ne va de même d’ailleurs pour les témoins présentés par le mari et n’ayant pas de lien avec sa famille.

 

  1. Les membres de la famille du mari

 

La mère de Raffaele confirme que son fils était très timide, qu’il ressentait fortement l’influence de son père, lequel avait un caractère fort et rigide : « Cette influence le portait à devoir renoncer à beaucoup de choses propres aux garçons de son âge […] Il a choisi la médecine en raison de l’insistance de son père, il ne se sentait pas la force de s’opposer à son père ».

 

L’oncle de Raffaele et les sœurs du demandeur confirment la domination que le père exerçait sur le fils.

 

En ce qui concerne la période prématrimoniale, la mère de Raffaele rapporte que son fils était très troublé : « il n’avait pas la force de s’opposer à ce qui était en train de se passer […] Il se mariait plus sous la pression de ses parents que pour autre chose ». Quant à Anna Maria, sœur de Raffaele, elle l’a vu « très abattu » au moment de la décision du mariage.

 

On peut ajouter qu’au moment de la mort de son père en 1978 (le mariage est du 29 septembre 1979), Raffaele, selon ses propres paroles, a subi un choc « parce qu’(il) se trouvait pour la première fois devant l’obligation de faire des choix de vie sans être guidé », mais il a trouvé « un point de référence et d’appui en Maria, qui avec sa rationalité, sa détermination et sa force de caractère, (lui) est apparue comme une sorte d’alter ego de (son) père ».

 

Comme Maria lui avait proposé le mariage, il a accepté, mais il ne l’a pas décidé de lui-même.

 

  1. Les experts

 

  1. En première instance

 

En première instance ont été effectuées trois expertises ex officio et deux autres à la demande des parties.

 

Le docteur C.T., experte sollicitée par le mari avant l’introduction des nouveaux chefs de nullité, l’a soumis au test de personnalité Rorschach, et a diagnostiqué un « Trouble Dépendant de Personnalité », qu’elle estime avoir été grave au moment du mariage.

 

Le Docteur D., nommé ex officio, parle d’un très fort et franchement pathologique sens du devoir et des règles (hypertrophie du SUR-MOI), de traits pathologiques de type dépendant, de sexualité mal intégrée, et il conclut que le demandeur manquait d’une suffisante liberté intérieure.

 

Le Docteur J. trouve chez le mari une grave immaturité psycho-affective, associée à des traits de personnalité dépendante, et il conclut que le demandeur manquait totalement, au moment du mariage, de la capacité de comprendre et de vouloir le mariage.

 

  1. En seconde instance à la Rote

 

Le ponent cite abondamment l’expertise du docteur A., réalisée à sa demande. En résumé l’expert conclut à la présence, chez le mari, d’une immaturité psycho-affective ; il estime que celui-ci souffre d’un Trouble Dépendant de Personnalité. Cette immaturité et ce trouble existaient au moment du mariage et durant la vie conjugale. Le docteur A. confirme aussi, substantiellement, les conclusions des expertises précédentes. Enfin il écrit dans son rapport que l’état psychique du demandeur demeure actuellement avec toute sa gravité dans le domaine de l’affectivité, ce qui implique un vetitum pour un autre mariage.

 

Constat de nullité

– pour le grave défaut de discretio judicii

– pour incapacité d’assumer

 

Vetitum pour le demandeur

 

Maurice MONIER, ponent

Kenneth E. BOCCAFOLA

Josef HUBER

__________

 

[1] Const. GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] De ver. 22, 15

[3] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5

[4] C. HUBER, 26 mars 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 237, n. 5

[5] GAUDIUM et SPES, n. 17

[6] C. POMPEDDA, 16 décembre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 586, n. 5

[7] C. HUBER, 26 juin 2002, sent. 72/02, n. 5

[8] GAUDIUM et SPES, n. 48

[9] C. POMPEDDA, 14 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 574, n. 9

[10] C. STANKIEWICZ, 16 mai 2003, sent. 48/03, n. 6

[11] C. BOCCAFOLA, 1° juin 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 341, n. 9 ; cf. c. STANKIEWICZ, 11 juillet 1985, SRRDec, vol. LXXXI, p. 356, n. 5

[12] C. TURNATURI, 31 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 59, n. 19

[13] DSM-IV, Manuale diagnostico e statistico dei disturbi mentali, Masson, 1996, p. 729

[14] Même endroit, p. 726

[15] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 25 janvier 1988, AAS, vol. LXXX, p. 1182, n. 6

[16] C. de LANVERSIN, 11 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 461, n. 17

[17] C. Pio Vito PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4 ; cf. c. Pio Vito PINTO, 12 avril 2002, Prot. N. 16.741, sent. 40/02, p. 4, n. 5

[18] Cf. J.M. SERRANO RUIZ, la perizia nelle cause canoniche di nullità matrimoniale, dans Perizie e periti nel processo matrimoniale canonico, Turin 1993, p. 79

[19] C. SERRANO RUIZ, 12 mai 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 284, n. 7

Monier 10/07/2009

Coram  MONIER

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Bogota (Colombie) – 10 juillet 2009

P.N. 20.280

Constat pour les 2 chefs

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

Introduction : Nécessité de la discretio judicii et de la capacité d’assumer

  1. LA DISCRETIO  JUDICII
  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
  2. Les obligations essentielles du mariage
  3. La cause de nature psychique

 

III.. LE  TROUBLE  BIPOLAIRE  I

  1. Les manifestations du Trouble Bipolaire I
  2. L’évolution du Trouble Bipolaire I

 

  1. LA PREUVE  DU  GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. L’expert
  2. Le c. 1680 et la dispense d’expertise
  3. Le juge

__________

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Carolina R. et Cristian C. se rencontrent à l’Université au début de 2001. Après un an d’amitié ils songent au mariage. Depuis l’âge de 18 ans, Cristian souffrait d’un Désordre Bipolaire et avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Leur mariage est célébré à Bogota le 31 janvier 2004.

 

Dès le début la communauté conjugale connaît des difficultés en raison de la conduite du mari qui rend intolérable la vie commune. Cristian quitte le domicile conjugal en octobre 2004 et la séparation définitive a lieu en janvier 2005.

 

Pour le bien de sa conscience, Carolina, le 19 octobre 2005, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Bogota, demandant la déclaration de nullité de son mariage avec Cristian pour grave défaut de discretio judicii et pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part du mari.

 

Le 9 novembre 2005 le doute est concordé sous ces deux chefs. Une expertise est réalisée. La sentence du 21 septembre 2006 est négative. L’épouse s’adresse le 13 avril 2007 au Tribunal d’appel de Colombie, qui se procure les dossiers médicaux du mari établis par les hôpitaux que celui-ci a fréquentés de 1999 à 2005. La sentence du 16 août 2007 est affirmative pour les deux chefs.

 

Il Nous revient aujourd’hui de répondre au doute concordé en 3° instance, le 26 septembre 2008, sous la formule : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et pour incapacité d’assumer les obligations essentielles de la part du mari partie appelée ?

 

EN  DROIT

 

Introduction : Nécessité de la discretio judicii et de la capacité d’assumer

 

  1. Puisque l’institution matrimoniale est une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants (c. 1055), celui qui se marie doit jouir d’un degré suffisant et proportionné de maturité du jugement.

 

En émettant le consentement, il ne suffit pas d’une manifestation externe par une forme légitime (c. 1057 § 1), mais il est nécessaire qu’il y ait la capacité d’évaluer les obligations essentielles du mariage ainsi que la capacité d’assumer ces mêmes obligations.

 

Ces capacités sont nécessairement exigées ensemble au moment de la prestation du consentement. C’est pourquoi s’il est prouvé que l’une, pour de multiples raisons, vient à manquer, le consentement est rendu inefficace.

 

  1. LA DISCRETIO  JUDICII

 

  1. La discretio judicii, outre la perception d’ordre intellectuel des obligations essentielles du mariage, requiert une connaissance critique et une estimation proportionnée au mariage à célébrer. Il s’agit en effet de la capacité autonome et libre de se déterminer après une pondération convenable et suffisante des motifs.

 

En effet, sur le plan de l’appréciation, « est requise une estimation des motifs qui persuadent de contracter le mariage et de ceux qui en dissuadent ; sous l’aspect du choix, il est demandé qu’il y ait le pouvoir, enraciné dans la raison et la volonté, de contracter ou de ne pas contracter et avec telle ou telle personne »[1].

 

En d’autres termes, en ce qui concerne le jugement pratico-pratique auquel parvient le contractant, cent fois exposé par la jurisprudence de Notre For, une sentence coram P.V. Pinto fait remarquer : « La relation interpersonnelle avec le conjoint suppose une connaissance pratico-pratique de celui-ci, c’est-à-dire un jugement qui est marqué par le passage de la sphère cognoscitive à la sphère délibérative. Il est nécessaire de connaître de façon spéculative le mariage en lui-même et ses propriétés essentielles, ou, en d’autres termes, d’estimer et d’évaluer par une suffisante discretio de l’intelligence l’importance qu’ont les obligations essentielles du mariage tant en elles-mêmes que pour le contractant, sous l’aspect social, juridique, éthique. Et enfin il faut qu’une délibération suffisante de la volonté porte un consentement libre »[2].

 

  1. Pour protéger les droits des fidèles, la loi statue que sont incapables de contracter mariage : « 2° les personnes qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° les personnes qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

Comme on le voit, ce n’est pas n’importe quel défaut de discretio judicii qui entraîne l’incapacité de contracter mariage, mais seulement celui qui est grave et qui atteint les obligations essentielles du mariage.

 

Une sentence c. Stankiewicz du 23 février 1990 nous instruit sur la nature de la gravité du défaut de discretio judicii : « Sous l’aspect subjectif le grave défaut de discretio judicii s’évalue en tenant compte de la gravité de l’état psychique du contractant, état où rejaillissent les dysfonctions dans la sphère de l’intelligence, de la volonté ainsi que dans celle des affections ou émotions. Ensuite, ce même défaut de discretio judicii s’évalue, sous l’aspect objectif, en tenant compte, soit de l’identité absolument unique et de la dignité de la personne du conjoint, soit de la gravité des droits et devoirs conjugaux essentiels, qui consistent essentiellement dans le bien des époux, celui des enfants, celui de la fidélité et du sacrement, avec lesquels l’activité des facultés psychiques doit garder une due proportion »[3].

 

Assurément, dans certaines circonstances l’acte du consentement peut être gravement perturbé et par conséquent empêché par un état anormal, bien que transitoire, ou un état pathologique chez le sujet au moment de son mariage. Dans cette hypothèse, le trouble est tel qu’il détruit la coopération harmonique des facultés supérieures pour accomplir la décision délibérée finale.

 

  1. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER

 

  1. L’incapacité du c. 1095, 3° « se situe dans l’impossibilité de donner l’objet du contrat matrimonial ou un élément essentiel de cet objet, à partir de quoi il ne peut y avoir, de soi, qu’une union nulle, puisque ‘à l’impossible nul n’est tenu’»[4].

 

  1. Les obligations essentielles du mariage

 

En effet, outre la capacité de comprendre et de vouloir l’objet du consentement matrimonial, la capacité de contracter mariage implique la capacité de donner l’objet, ou en d’autres termes, de remplir les obligations essentielles du mariage dans la vie commune.

 

Les obligations essentielles du mariage dérivent des propriétés essentielles du mariage (c. 1055). Ces obligations concernent non seulement les biens de la fidélité, du sacrement et des enfants, mais également l’habilité à constituer une communauté de toute la vie ordonnée au bien des conjoints. Le mariage en effet « ne peut se réduire à une simple cohabitation des conjoints, c’est-à-dire à la communauté de lit, de table et d’habitation, ni à la seule donation-acceptation du droit au corps par des actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants »[5].

 

  1. La cause de nature psychique

 

  1. Comme la loi le statue expressément, la source de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage postule un lien nécessaire avec une cause de nature psychique.

 

Il n’est pas requis dans ces causes une maladie mentale ou une véritable psychopathie, mais il suffit qu’il y ait des troubles graves qui ont leur origine dans une cause de nature psychique.

 

Il est certain que la vie commune n’est pas indemne, étant donné la fragilité de la nature humaine, de limitations qui peuvent provenir de l’inconscient, ou même de légères anomalies. Dans ce cas les limitations ne peuvent pas se confondre avec un véritable processus psychopathologique qui, chez le contractant, empêche d’assumer toutes les obligations essentielles du mariage, ou seulement quelques unes. Pour établir ce trouble qui a son origine dans une cause de nature psychique, il est très opportun de se rappeler le discours à la Rote du Pape Jean-Paul II, qui a déterminé expressément : « une forme sérieuse d’anomalie »[6].

 

L’anomalie ou le désordre de nature psychique qui pourrait contrarier la faculté de discretio ou la capacité d’assumer les obligations conjugales doit être présent au moment de la prestation du consentement.

 

Si en effet la maladie arrive dans le courant de la vie conjugale pour des circonstances diverses, elle ne touche pas la validité du consentement. « Au contraire si des signes déjà clairs et certains d’une maladie latente existaient avant le mariage, et que des troubles graves sont apparus durant la vie conjugale, le mariage doit être déclaré nul parce que la gravité de la maladie, même si elle était cachée, était déjà présente auparavant, dans l’état de latence de la maladie »[7].

 

III.  LE  TROUBLE  BIPOLAIRE  I

 

Parmi les désordres qui ont un influx dans le domaine de l’incapacité de consentement on recense le Trouble Bippolaire I, qui se décrit ainsi : « La caractéristique essentielle du Trouble Bipolaire I est une évolution clinique caractérisée par la présence d’un ou plusieurs épisodes maniaques […] ou d’épisodes mixtes […]. En outre les épisodes ne sont pas mieux expliqués par un Trouble schizoaffectif, et ne sont pas causés par une schizophrénie, un trouble de forme schizophrénique, un trouble délirant ou un trouble psychotique non autrement spécifié ».

 

  1. Les manifestations du Trouble Bipolaire I

 

Quant aux manifestations de ce type de trouble, nous savons que « 10 à 15 % des individus ayant un Trouble Bipolaire, se suicident. Durant les épisodes maniaques graves ou avec manifestations psychotiques, peuvent se présenter des violences envers les jeunes enfants ou le conjoint, ou d’autres comportements violents. Les autres problèmes associés incluent l’absentéisme à l’école, l’échec scolaire, l’échec au travail, le divorce, ou un comportement antisocial épisodique. D’autres troubles mentaux associés incluent l’anorexie nerveuse, la boulimie nerveuse, le trouble de déficit de l’attention, le trouble de panique, la phobie sociale, des troubles corrélatifs à des drogues ».

 

  1. L’évolution du Trouble Bipolaire I

 

Quant à l’évolution du trouble : « L’âge moyen de ce trouble est de 20 ans, tant pour les hommes que pour les femmes. Le Trouble Bipolaire I est un trouble récurrent : plus de 90 % des individus ayant un épisode maniaque singulier rencontreront des épisodes futurs […]. Les études sur l’évolution du Trouble Bipolaire I avant le traitement de maintenance par le lithium suggèrent qu’en moyenne il y a 4 épisodes en 10 ans. L’intervalle entre les épisodes tend à décroître avec l’augmentation de l’âge du sujet. Selon d’autres données, les altérations du rythme sommeil-éveil […] peuvent précipiter ou exacerber un épisode maniaque, mixte ou hypomaniaque. Même si la majeure partie des sujets ayant un Trouble Bipolaire I présente une réduction significative des symptômes entre les épisodes, quelques-uns (20 -30 %) continuent à montrer une faiblesse émotive et d’autres symptômes résiduels de l’humeur. Jusqu’à 60 % présentent des difficultés chroniques interpersonnelles ou au travail entre les épisodes aigus »[8].

 

  1. LA PREUVE  DU  GRAVE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII  ET  DE

L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Pour prouver tant le grave défaut de discretio judicii que l’incapacité d’assumer les obligations du mariage, sont d’une très grande importance les dépositions des parties et de témoins dignes de foi qui peuvent rapporter les circonstances pré- et post-matrimoniales en ce qui concerne la façon de penser et d’agir du sujet, ainsi que son état particulier psychopathologique au moment de la prestation du consentement.

 

Selon les principes édictés par la loi il est très utile d’avoir recours à un ou plusieurs experts.

 

  1. L’expert

 

En ce qui concerne la mission de l’expert, après une sérieuse évaluation des actes du procès et l’inspection du sujet, le cas échéant, tout cela selon les règles de sa science propre, il doit présenter ses conclusions sur la nature, sur l’origine, la gravité, l’époque de la manifestation de l’état psychique ainsi en particulier que sur l’influx de la perturbation sur les facultés supérieures du patient. Une sentence c. Lefebvre, du 25 mai 1963, déclare : « Ce n’est pas à l’expert mais aux juges qu’il appartient de rendre une sentence, car c’est à ceux-ci de soumettre leurs raisonnements à une forte critique à partir de l’ensemble du contexte de la cause. En effet, des données des documents, ou des faits, ou des témoignages peuvent surgir des éléments qui permettent de mieux définir l’état mental tel qu’il est requis par le droit canonique »[9].

 

Il revient uniquement au juge de faire la critique des conclusions de l’expert et il doit exprimer pour quels motifs il a admis ou rejeté les conclusions des experts (c. 1579 § 2).

 

  1. Le c. 1680 et la dispense d’expertise

 

  1. Il faut également rappeler le c. 1680 qui invite à recourir au rôle de l’expert dans les causes de défaut du consentement, « à moins qu’en raison des circonstances cela ne s’avère manifestement inutile ».

 

Il existe en effet des causes où le sujet a été hospitalisé plusieurs fois avant et après le mariage, avec des soins appropriés. En général les médecins traitants rédigent des rapports cliniques sur l’état psychique du patient, le diagnostic et les manifestations du trouble, ainsi que sur sa gravité. Très souvent dans ces causes ces rapports cliniques surpassent largement les conclusions de l’expert nommé d’office, tant en raison de l’époque d’observation du patient que pour la profondeur de leur examen clinique. A ce sujet, une sentence c. Huber, du 26 juin 2002, fait cette remarque : « L’intervention d’un expert est manifestement inutile s’il y a dans les Actes un document qui constitue une preuve suffisante pour faire naître chez le Juge la certitude morale de la nullité du mariage. Une expertise apparaît inutile aussi si une des incapacités dont traite le c. 1095 résulte avec évidence des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes à la célébration des noces »[10].

 

  1. Le juge

 

Le devoir du Juge est difficile à accomplir dans le domaine de l’incapacité. Les juges en effet « d’une part doivent porter objectivement un jugement sur l’incapacité d’une personne donnée à l’institution du mariage, c’est-à-dire en ayant sous les yeux ce que la nature humaine apporte en dotation à tous les hommes ; d’autre part ils doivent faire attention à la relation interpersonnelle, puisque la nature humaine peut parfois être limitée ou amoindrie ou même élargie par la relation à autrui chez un sujet donné, en ce qui concerne la relation objective à instaurer avec autrui, sans qu’en réalité ces juges tombent dans une évaluation subjective »[11].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. L’épouse demanderesse

 

Selon Carolina, Cristian avait, pendant les fiançailles, manifesté de l’amour pour elle, mais en même temps elle avait remarqué sa jalousie et ses changements de caractère. Ce n’est qu’après la première sentence négative que l’épouse demanderesse a parlé de grave trouble mental ainsi que de manifestations pathologiques chez Cristian et de leurs conséquences sur leurs relations interpersonnelles, jusqu’à la rupture du couple.

 

En particulier Carolina parle de la nuit de noces où, pendant six heures, Cristian a eu une crise de colère contre sa femme : « Il s’est montré comme un fou, ses yeux étaient totalement exorbités ».

 

La vie conjugale, qui n’a duré que cinq mois, a mis en lumière la gravité de la maladie de Cristian : « Il passait de l’agressivité à la passivité, de la dépression à l’euphorie », et l’épouse ajoute que la famille de son mari lui a caché la gravité de sa maladie.

 

Un exemple est donné par Carolina de la gravité du trouble dont souffrait Cristian : « Il avait des hallucinations […]. Devant la télévision il disait que le présentateur lui parlait […]. Dans la rue il disait que les gens parlaient de lui ».

 

  1. L’époux partie appelée

 

L’époux ne parle pas de son état mental et des soins qu’il a reçus. Pour lui les fiançailles ont été normales. Quant aux difficultés de la vie conjugale, il reconnaît qu’il y a eu des problèmes d’ordre sexuel et financier, et s’il a quitté le domicile conjugal, c’est en raison de différends avec sa femme.

 

 

  1. Les témoins

 

A l’exception de la grand-mère de Cristian, les témoins confirment la présence d’un trouble psychique chez le mari : « Explosif, violent […], instable ; incapable d’assumer son rôle de mari, mais assumant celui d’enfant protégé ; d’humeur très changeante ».

 

La cousine de Carolina fait état dans sa déposition de troubles psychiques chez Cristian et de ses séjours en hôpital.

 

  1. L’expert de première instance

 

Le docteur B., psychiatre, a effectué une expertise lors de la première instance. Il a étudié les actes et examiné le mari. Il confirme chez celui-ci un Trouble Affectif Bipolaire, qui a nécessité 5 hospitalisations psychiatriques.

 

L’expert estime que le mari, à l’époque où il a émis son consentement, était dans un état de santé mentale qui lui a permis « une claire récupération de toute sa capacité psychologique, sur le plan familial, social, académique, professionnel ». Il est évident, selon l’avocate de l’épouse, que le rapport d’expertise du docteur B. est faible sous plusieurs aspects car l’expert n’a pas pu consulter les dossiers médicaux de Cristian. De plus le docteur B. se contredit lorsqu’il déclare que « la récupération est habituellement transitoire », comme le montrent les quatre rechutes postérieures au premier accès de la maladie et les événements de la vie conjugale. Enfin les juges soussignés estiment que l’expert a joué le rôle du juge en excluant le défaut de discretio judicii et l’incapacité d’assumer les obligations conjugales. Bref, les conclusions de l’expert ne s’accordent pas avec les faits certains consignés dans les Actes du procès.

 

  1. Les dossiers médicaux

 

Les dossiers médicaux ont été joints aux actes de la cause en deuxième instance, et ils montrent bien la gravité et les conséquences du trouble dont souffrait le mari.

 

De 1999 à 2006 celui-ci a été amis 9 fois en hôpital psychiatrique. Tous les dossiers médicaux parlent de Trouble Affectif Bipolaire I.

 

Il est inutile de citer ici le détail de ces dossiers qui affirment tous la présence chez le mari d’un Trouble Affectif Bipolaire I.

 

  1. La seconde instance

 

En seconde instance, étant donné les documents présentés, il n’y a pas été besoin d’une autre expertise psychiatrique. Ces documents, on l’a dit, montrent bien la nature et la gravité du trouble mental dont été affecté Cristian, dès avant son mariage.

 

Les Pères du Tour Rotal estiment que le mari a été incapable de contracter mariage, non seulement en raison d’un grave défaut de discretio judicii, mais également en raison de son incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage. Les actes du procès mettent bien en lumière, en effet, l’incapacité du mari de mener une vie conjugale convenable et normale, et spécialement son incapacité d’assumer et de remplir l’obligation au bien des conjoints, étant donné, non pas la difficulté, mais la véritable impossibilité pour lui d’instaurer des relations interpersonnelle normales avec son épouse.

 

 

Constat de nullité

– pour défaut de discretio judicii

et pour incapacité d’assumer

de la part du mari partie appelée

 

– Vetitum pour le mari partie appelée

 

Maurice MONIER, ponent

Pio Vito PINTO

John G. ALWAN

 

__________

 

[1] C. HUBER, 26 juin 2002, Sent. 72/12, n. 5

[2] C. P.V. PINTO, 4 octobre 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 592, n. 6

[3] C. STANKIEWICZ, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 154, n. 5

[4] C. LEFEBVRE, 31 janvier 1976, SRRDec, vol. LXVIII, p. 39, n. 3

[5] C. HUBER, 20 octobre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 577, n. 4

[6] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, n. 7, AAS 79, 1983, p. 1457

[7] C. BRUNO, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 142, n. 6

[8] DSM-IV, Disturbi Bipolari, Manuale diagnostico e statistico dei disturbi mentali, Masson 1996, p. 390-393

[9] C. LEFEBVRE, 25 mai 1963, SRRDec, vol. LV, p. 391, n. 3

[10] C. HUBER, 26 juin 2002, sent. 72/02, n. 9

[11] C. Pio Vito PINTO, 30 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 74, n. 4 ; cf. P.V. PINTO, 12 avril 2002, P.N. 16.741, sent. 40/02, p. 4, n. 5

Huber 28/04/2010

Coram  HUBER

Dol

 Rottenburg (Allemagne) – 28 avril 2010

P.N. 19.483

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CIVIL
  2. Labéon
  3. Reiffenstuel
  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CANONIQUE
  2. Le canon 125 § 2
  3. Le canon 1098

III.  CE QUI EST REQUIS  POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE

  1. L’obtention de la fin
  2. La finalité de la tromperie spécifique
  3. La qualité de l’autre personne

 

  1. LA PREUVE  DU  DOL

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

En 1991, Despina, âgée de 24 ans, fait la connaissance de Stefan, âgé de 23 ans. En 1993 ils décident de cohabiter et un an plus tard ils songent à se marier. Leurs relations étaient pacifiques.

 

Le mariage a lieu le 9 juillet 1994. La vie conjugale est heureuse, mais les époux n’ont pas d’enfant. En 1999, Stefan est soigné pour une dépression. A l’été de cette même année, il avoue à son épouse qu’il est attiré par une autre femme. Despina, voulant sauver son mariage, souhaite avoir un enfant et n’utilise plus de moyens anticonceptionnels, à l’insu de son mari. Cependant elle n’est pas enceinte.

 

C’est à ce moment-là qu’elle apprend la stérilité de son mari, qui avait été décelée avant son mariage mais que Stefan lui avait cachée.

 

En 2000 les époux se séparent et le mariage est prononcé le 16 octobre 2001.

 

Despina, estimant que son mariage est nul, présente le 19 mars 2003 au Tribunal ecclésiastique de Rottenburg un libelle où elle accuse son mariage de nullité pour dol accompli par son mari. Le chef de dol est repris dans le doute concordé et déclaré prouvé par la sentence du 21 février 2005.

Le défenseur du lien fait appel à la Rote. Le Tour, le 19 avril 2005, admet la cause à l’examen ordinaire du second degré. Aujourd’hui, il Nous revient de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour dol perpétré par le mari ?

 

 

EN  DROIT

 

 

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CIVIL

 

  1. Labéon

 

  1. Labéon présente une définition du dol, qui vient d’Ulpien et qui se formule ainsi : « Le dol est toute ruse, fourberie, machination, employée pour circonvenir, duper, tromper autrui »[1]. Labéon décrit l’action dolosive en trois substantifs, auxquels correspondent trois verbes à la forme du gérondif. Le juriste romain indique ainsi la fin de l’action dolosive et le lien de causalité entre l’action de l’auteur du dol et le dommage de la victime du dol.

 

  1. Reiffenstuel

 

Les Romains ont considéré le dol à l’intérieur des fins de la formation du contrat. Il n’est pas facile d’interpréter leur doctrine. Reiffenstuel écrit à ce sujet : « En effet, en parlant des contrats de droit strict, les docteurs tiennent communément que le dol qui est cause d’un contrat de droit strict ne le rend pas nul par le droit lui-même, mais qu’un tel contrat doit être rescindé par le juge dès la demande de la victime du dol […]. Cependant, si le dol est cause d’un contrat de bonne foi, alors (disent la plupart des docteurs) le contrat est nul de par le droit lui-même »[2].

 

Selon Reiffenstuel le mariage n’est pas classé parmi les contrats de bonne foi, mais la société, elle, y est classée. Il poursuit : « Bien que cette sentence soit la plus commune, il ne manque pas de docteurs qui affirment que les contrats de bonne fois également ne sont pas invalides et nuls par le droit lui-même, même si le dol commis par une personne et portant sur des aspects accidentels a été cause du contrat, bien que ces contrats de bonne foi puissent et doivent, si la victime du dol le veut, être rescindés pour exception de dol »[3].

 

Il semble donc qu’à la victime du dol appartienne le droit de rescinder les contrats de bonne foi valides selon le droit civil, si trompée par un dol elle les a conclus.

 

 

  1. LE DOL  DANS  LE  DROIT  CANONIQUE

 

  1. Le canon 125 § 2

 

  1. Cela dit, on comprend mieux le c. 125 § 2, qui statue : « L’acte posé sous l’effet d’une crainte grave injustement infligée, ou d’un dol, est valide sauf autre disposition du droit ; mais il peut être rescindé par sentence du juge, ou à la demande de la partie lésée ou de ses ayants droit, ou d’office ».

 

 

 

Il découle de ce canon que le dol n’irrite pas un acte juridique. Le dol en effet ne supprime pas le volontaire. La volonté est viciée, mais non au point que la volonté soit nulle.

 

Toutefois la Loi prescrit : « sauf autre disposition du droit ». Cette exception est admise pour les actes juridiques qui exigent un volontaire plein comme l’élection (c. 172 § 1, 1°), la renonciation (c. 188), l’admission au noviciat (c. 643,§ 1, 4°), la profession religieuse (c. 656, 4°), le vœu (c. 1191 § 3), le serment (c. 1200 § 2).

 

Jusqu’au nouveau Code le mariage contracté sous l’effet du dol était valide. Pour justifier cette norme, les auteurs ont fourni des raisons diverses : certains désiraient protéger la stabilité du mariage ; d’autres affirmaient que l’élément subjectif n’existait pas chez l’auteur du dol et donc qu’il y avait un bon dol ; d’autres voyaient le mariage comme une institution pour conférer la grâce sanctifiante.

 

  1. Le canon 1098

 

  1. Le mariage, puisqu’il est indissoluble de droit divin, n’admet pas l’action rescisoire, « mais pour éviter une grave injustice et également une grave atteinte à la liberté interne, qui proviendraient de la machination d’un autre causant une erreur née d’une tromperie dans le dessein d’extorquer le consentement, s’il n’y avait aucun remède contre la tromperie délibérément commise, la loi ecclésiastique fondée sur l’équité naturelle a décidé l’action en nullité d’un mariage célébré par suite d’une tromperie dolosive : ‘La personne qui contracte mariage, trompée par un dol commis en vue d’obtenir le consentement, et portant sur une qualité de l’autre partie, qui de sa nature même peut perturber gravement la communauté de vie conjugale, contracte invalidement (c. 1098)’ »[4].

 

 

III.  CE QUI EST REQUIS POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE

 

  1. Il y a peu à dire sur ce qui est requis pour une tromperie dolosive qui, selon le c. 1098 cité, invalide le consentement matrimonial.

 

  1. L’obtention de la fin

 

Tout d’abord la loi postule que la ruse employée pour circonvenir obtienne réellement son effet. Cela se déduit du texte de la loi : « Celui qui contracte mariage, trompé par un dol ». Il peut arriver que celui qui se dit trompé, soit content de cette tromperie, parce que « la qualité de l’autre partie » lui donne la possibilité d’aider l’auteur de la tromperie, par exemple si celui-ci est malade.

 

  1. La finalité de la tromperie spécifique

 

Il est requis la finalité de la tromperie spécifique, à savoir « pour obtenir le consentement ». On lit en effet à ce sujet : « A coup sûr, toute machination inflige un dommage à la personne. Vue ainsi, la signification de la finalité définie est parfois tenue pour superflue par les auteurs. Le législateur cependant a voulu indiquer en termes exprès la fin visée par l’auteur du dol. Et ainsi est constitué sans le moindre doute le lien de causalité entre le dol et le consentement matrimonial, de telle sorte que le mariage soit célébré sous l’effet du dol, c’est-à-dire du dol appelé direct. Donc le dol qui est utilisé pour obtenir d’autres fins n’exerce aucune influence sur le consentement matrimonial et n’a en conséquence aucune force invalidant le mariage »[5].

 

  1. La qualité de l’autre personne

 

Ce n’est pas n’importe quel dol qui irrite le mariage, mais seulement celui qui porte sur une qualité de l’autre personne. Il est postulé en plus que la qualité « puisse de sa nature même perturber gravement la communauté de vie conjugale ». La difficulté consiste dans la détermination de cette qualité. Par les mots « de sa nature même » le législateur semble exclure toute interprétation subjective de l’importance de la qualité.[6] Le législateur considère la stérilité comme un exemple de qualité qui, de sa nature même, perturbe gravement la communauté de vie conjugale, lorsqu’il décrète : « La stérilité n’empêche ni ne dirime le mariage, restant sauves les dispositions du c. 1098 » (c. 1084 § 3). Comme le défaut de capacité de procréation a une grande importance pour la vie conjugale, il se crée une obligation juridique de manifester à l’autre partie cette qualité « négative ». Celui qui est privé de cette capacité « ne peut pas se taire simplement, parce que ce silence serait dolosif »[7].

 

 

  1. LA PREUVE  DU  DOL

 

  1. En ce qui concerne la preuve, il est permis de rappeler le principe du droit romain : « Le dol ne se présume pas ». Au contraire, selon le droit canonique, il existe une présomption contraire en vertu du c. 1101 § 1.

 

  1. La preuve du dol commence par la confession de la victime du dol, qui doit expliquer au juge pourquoi elle se considère ainsi. On entendra l’auteur du dol qui doit dire s’il a utilisé une action dolosive pour obtenir le consentement ou pour atteindre d’autres fins. On interrogera les témoins qui auraient été informés de la machination soit par la victime du dol, soit par son auteur.

 

  1. A propos de la qualité, une sentence c. Erlebach fait remarquer : « Dans tous les cas il faut avoir devant les yeux le cas spécifique, surtout la façon dont a été exécutée l’action dolosive présumée, la nature de la qualité, l’objet du dol, puisque les qualités dites « morales » sont prouvées habituellement par des témoignages, tandis que les qualités d’ordre physique exigent parfois une preuve par expertise »[8].

 

  1. Le juge recherchera à quel point la partie déçue avait estimé la qualité souhaitée. En ce qui concerne la stérilité, si la partie déçue ne désirait pas avoir d’enfant, l’action dolosive n’atteint pas son effet sur le consentement et le mariage ne peut pas être déclaré nul.

 

  1. Que le juge cherche à savoir comment le conjoint trompé a réagi « dès qu’il a découvert qu’il était définitivement privé du bien ou de la qualité qu’il désirait absolument »[9]. S’il a rompu immédiatement la vie conjugale, en quittant son partenaire et en l’accusant d’une action dolosive, il y a une présomption qu’il ait été induit en erreur dolosive.

 

  1. La preuve est en réalité difficile lorsqu’il s’agit de la réticence d’une qualité. Il faut savoir que toute espèce de réticence ne constitue pas un fondement suffisant pour déclarer la nullité du mariage. Il n’est pas permis en effet d’oublier que la réticence appartient au droit de la personne.

 

Le juge doit examiner si la personne réticente était astreinte à l’obligation de se raconter elle-même. La réponse dépend du motif de nullité du mariage contracté sous l’effet du dol : ce motif est-il à attribuer à l’injustice du dol, au défaut de liberté dérivant du dol, à l’absence de la conjonction des volontés ? Quoi qu’il en soit, si une qualité essentielle est requise pour instaurer la communauté conjugale, le contractant est tenu de manifester à l’autre partie l’absence de la qualité. On doit se souvenir ici qu’un Consulteur avait proposé qu’on ajoute : « la stérilité de quelque cause qu’elle provienne », ce que les autres Consulteurs n’ont pas jugé nécessaire.[10]

 

 

EN  FAIT  (résumé

 

  1. LES DÉPOSITIONS  DES  PARTIES  ET  DES  TÉMOINS

 

  1. L’épouse demanderesse

 

Dans un mémoire remis au Tribunal, l’épouse déclare que la vie conjugale, commencée le 9 juillet 1994, a été heureuse jusqu’en 1998. A la fin de cette année, Stefan a été soigné pour dépression, sans succès. Sur les instances de son épouse qui ne comprenait pas son attitude, il lui a avoué avoir une liaison avec une autre femme. Voulant sauver son mariage, Despina a désiré fortement avoir un enfant, mais, bien qu’ayant cessé d’utiliser des moyens anticonceptionnels, cela à l’insu de son mari, elle n’est pas parvenue à être enceinte. Finalement elle a réussi, après avoir interrogé Stefan, à savoir que celui-ci ne pouvait pas avoir d’enfant, et elle a appris également qu’il le savait avant son mariage, mais qu’il n’avait rien dit à sa fiancée par « peur de la perdre ».

 

Despina a donc affirmé dans son libelle qu’elle s’était mariée trompée par Stefan, qui, avant le mariage, lui avait caché volontairement sa stérilité pour obtenir son consentement.

 

  1. Les témoins

 

La crédibilité des témoins a été vérifiée et reconnue par le tribunal de 1° instance, ce qu’accepte le Tour Rotal de seconde instance.

 

Une neurologue consultée par Despina en 1999, donc à une époque non suspecte, confirme ses dépositions : « Elle est venue me consulter et m’a confié qu’elle ignorait avant son mariage que son mari ne pouvait pas avoir d’enfant », ce qui montre que le mari partie appelée a non seulement avant le mariage caché son incapacité d’engendrer, mais qu’il l’a dissimulée positivement, en exigeant que sa femme utilise des moyens anticonceptionnels. La sœur de Stefan confirme à la fois la déposition de Despina et le témoignage de la neurologue en rapportant une réflexion que lui a faite la demanderesse après avoir appris la stérilité de son mari : « Ce n’est pas possible, il me fait prendre la pilule depuis 8 ans ! ». Le témoin ajoute : « J’ai posé des questions à Despina, elle m’a dit qu’elle n’avait jamais su (la stérilité de Stefan) ».

  1. L’époux partie appelée

 

Dans sa première déposition judiciaire, Stefan a reconnu qu’il n’a rien dit à Despina, avant son mariage, au sujet de sa stérilité, et il l’a répété au juge de seconde instance : « Despina et moi, nous étions mariés lorsque je lui ai dit que je ne pouvais pas avoir d’enfant ».

 

  1. L’ÉVALUATION DES  ÉLÉMENTS  DE  PREUVE

 

  1. L’intention de l’auteur du dol

 

Pourquoi le mari a-t-il caché une qualité perturbant gravement la communauté conjugale ?

 

Despina déclare au juge qu’ayant appris par sa belle-sœur la stérilité de Stefan, elle a demandé à celui-ci pourquoi il ne lui en avait pas parlé avant le mariage. La réponse a été nette : « Parce que je ne voulais pas te perdre ».

 

On voit donc le lien entre le silence et le consentement matrimonial. Si Stefan avait révélé sa stérilité, Despina ne l’aurait pas épousé. Ceci est d’autant plus sûr que le mari lui-même déclare : « Je savais personnellement que je ne pourrais jamais avoir d’enfant […]. J’ai eu peur que Despina ne m’épouse pas si je lui disais la vérité ». On peut conclure que le mari ne s’est pas seulement tu, mais qu’il a trompé positivement la demanderesse.

 

  1. La nullité du mariage ne vient pas de la stérilité du mari, mais du dol qu’il
    a commis

 

Quelle qu’elle soit, la cause de la stérilité – sur laquelle Stefan et les témoins divergent – n’est pas nécessaire ici. Il suffit que l’impuissance d’engendrer existe avant le mariage, ce qui est prouvé par un certificat médical et confirmé par le mari lui-même.

 

  1. L’intention de l’épouse en se mariant

 

Les actes montrent pleinement que l’épouse s’est mariée avec l’intention d’avoir des enfants : elle le dit dans ses dépositions et le mari ainsi que les témoins confirment cette intention de Despina. Celle-ci s’est mariée avec la volonté d’avoir des enfants et elle a cru que son mari était capable de procréer.

 

Ayant appris l’infidélité de son mari, Despina a tenté de sauver son union. « Suite à l’infidélité de son mari, déclare la sœur de Stefan, Despina était prête à se battre pour son couple. Elle me disait : ‘Mon couple est mis par terre, on voulait avoir des enfants’ ».

 

Et il y a eu l’aveu par Stefan de sa stérilité, et donc de son dol. Malgré la volonté de son mari, Despina a alors quitté celui-ci et l’a accusé de dol. De son attitude on peut déduire que l’épouse demanderesse avait perdu toute confiance en son mari parce qu’elle a eu la conviction qu’il avait délibérément et frauduleusement agi pour la tromper : il connaissait sa stérilité et il l’a cachée pour obtenir le consentement de la jeune fille qu’il aimait.

 

 

Constat de nullité

pour dol commis par le mari

 

 

Vetitum pour le mari

 

 

Josef HUBER, ponent

Pio Vito PINTO

Alessandro CEDILLO

 

__________

 

 

 

[1] D. 4, 3, 1, 2

[2] REIFFENSTUEL, Jus Canonicum Universum, vol. II, lib. II, tit. XIC, Paris 1865, p. 417

[3] Même endroit, p. 418

[4] C. STANKIEWICZ, 27 janvier 1994, SRRDec, vol. LXXXV, p. 63, n. 15

[5] C. CIVILI. La référence donnée par le ponent de la cause présente est inexacte.

[6] Cf. c. BURKE, 25 octobre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 725, n. 12

[7] COMMUNICATIONES, 3, 1971, 77

[8] C. ERLEBACH, 31 janvier 2002, SRRDec, vol. XCIV, p. 51, n. 9

[9] C. RAGNI, 27 avril 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 295, n. 9

[10] COMMUNICATIONES, 7, 1975, 59-60

Huber 08/07/2009

Coram  HUBER

 Exclusion du bien du sacrement

 Tribunal régional de Flaminie (Italie) – 8 juillet 2009

 P.N. 19.569

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. Liberté de se marier, mais acceptation du mariage institué par Dieu
  2. Irrévocabilité du consentement
  3. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage
  4. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité
  5. Les preuves de la simulation
  6. Preuves directes
  7. Preuves indirectes

_________

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Mauro G., âgé de 24 ans, fait en 1989 la connaissance de Michela L., âgée de 19 ans. Un mois après leur première rencontre, ils se présentent à leurs parents respectifs et dès lors ils sont considérés comme étant fiancés.

 

La période des fiançailles n’est pas toujours pacifique, cependant les jeunes gens s’aiment. Ils ont des rapports intimes. En 1990, Mauro propose à Michela de vivre ensemble sans être mariés, mais le père de la jeune fille s’y oppose et le mariage religieux est célébré le 8 décembre 1990.

 

La vie conjugale, sans enfant, dure deux ans. Ayant découvert l’infidélité de son mari et son intention de ne pas rester dans le mariage, Michela quitte le domicile conjugal en novembre 1992. Le divorce est prononcé le 21 décembre 1996.

 

Désireux de retrouver sa liberté devant l’Eglise, Mauro s’adresse le 15 mai 1998 au Tribunal Régional de Flaminie, accusant son mariage de nullité pour exclusion du bien du sacrement de sa part. La sentence du 19 mai 2000 est négative.

 

Le demandeur s’adresse au Tribunal d’appel qui, le 24 septembre 2004, prononce la nullité du mariage pour le chef invoqué.

 

Il nous revient aujourd’hui, en troisième instance, de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur ?

 

*

*     *

EN  DROIT

 

  1. Liberté de se marier mais acceptation du mariage institué par Dieu

 

Il relève de la liberté de chacun de contracter mariage, c’est-à-dire que le contractant ne doit subir aucune coaction ni être interdit de se marier par aucun empêchement. Il ne relève pas de la même liberté du contractant de déterminer la nature du mariage. Le mariage en effet a été fondé et doté de ses lois propres par Dieu. Il résulte de tout ceci que l’Eglise n’oblige personne à se marier, mais si quelqu’un entend le faire, il doit contracter son mariage dans le sens que Dieu lui a donné et que l’Eglise expose dans sa doctrine. Fondée sur les textes de la Sainte Ecriture et de la Tradition, l’Eglise enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour conjugal est instaurée « par l’alliance conjugale, c’est-à-dire par le consentement personnel irrévocable », mais que le lien sacré né du consentement ne dépend pas du « bon vouloir de l’homme »[1].

 

  1. Irrévocabilité du consentement

 

On déduit de ce qu’on vient de dire que les conjoints peuvent contracter mariage par un acte de volonté de nature contractuelle. Une fois accompli, cet acte de volonté obtient son effet juridique, qui n’a plus besoin de l’influx de la volonté pour persévérer. Le mot « irrévocable » signifie que le mariage, né du consentement personnel, ne dépend plus du consentement. Une révocation postérieure faite psychologiquement ne produit aucun effet juridique. En d’autres termes, le contractant, après l’émission de son consentement, n’a plus aucun pouvoir en ce qui concerne le lien, selon Saint Augustin : « […] en effet, si le divorce intervient, la communauté conjugale n’est pas détruite, de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ; puisqu’ils commettent l’adultère avec ceux à qui ils s’uniraient après leur répudiation, la femme avec l’homme, ou l’homme avec la femme »[2]. Les conjoints ont été séparés par le divorce, néanmoins le mariage continue à exister : le consentement est psychologiquement révoqué avec l’intervention du divorce, mais l’obligation à la communauté de toute la vie demeure juridiquement, « de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ». Le consentement a donc créé un effet indépendant de sa cause. L’indissolubilité du mariage présuppose par conséquent une distinction entre le mariage in fieri (le consentement) et le mariage in facto esse (le lien). Le consentement contractuel n’est pas la cause de l’indissolubilité, mais son présupposé. L’indissolubilité doit être prouvée par sa nature de pacte en tant que tel. L’indissolubilité comporte l’impossibilité de rescinder l’effet produit par le consentement contractuel. C’est pourquoi il n’est pas permis de contracter un mariage temporaire ou un mariage à l’essai.

 

  1. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage

 

  1. L’indissolubilité est comptée parmi les propriétés essentielles du mariage, selon le c. 1056 : « Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière ».

« Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels, ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Comme on l’a dit plus haut, l’indissolubilité appartient au mariage in fieri, au mariage-alliance, et non au mariage in facto esse, le mariage-état de vie. L’indissolubilité en effet ne consiste pas dans un droit et une obligation de faire ou d’omettre quelque chose. Les conjoints doivent viser un mariage en tant que non rescindable. C’est pourquoi, en ce qui concerne l’indissolubilité, il n’est pas permis de parler d’exclusion du droit issu du consentement, ni d’exclusion de l’exercice du droit, on ne peut parler que de l’exclusion du lien. Cette exclusion doit s’effectuer par un acte positif de volonté. Il doit donc y avoir un acte, c’est-à-dire une opération, et une opération de la volonté. L’erreur, la prévision, le désir, les doutes ne sont pas des actes de la volonté, mais de l’intelligence. Ni la volonté habituelle, ni la volonté générique, ni la volonté interprétative ne se déterminent en acte positif de volonté. Pour que la volonté opère positivement, il est requis que celle-ci passe de la puissance à l’acte, de l’inertie à la simulation active. « C’est pourquoi l’acte de volonté excluant le mariage lui-même, ou le droit à l’acte conjugal, ou une propriété essentielle du mariage ne peut pas consister dans une simple inertie, un ‘non-velle’ (ne pas vouloir). Au contraire il doit consister dans un ‘velle non’ (vouloir que ne pas)[3] ».[4]

 

  1. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité

 

  1. L’indissolubilité du mariage peut être exclue de façon absolue ou de façon conditionnelle. Se propose de rescinder le lien de façon absolue celui qui décide positivement qu’il rompra le lien à l’avenir, sans qu’il fasse dépendre d’une circonstance la rupture du lien.

 

Se propose de dissoudre le lien de façon conditionnelle celui qui décide de rompre le lien à l’avenir pour une circonstance déterminée, par exemple, si le mariage n’est pas heureux. Dans ce cas le mariage est nul, même si le contractant ne sait pas ou ne prévoit pas que le lien conjugal devra être rompu réellement par la suite. Les parties, ou au moins une partie, entendent contracter un véritable mariage, mais ils font dépendre de l’expérience de la vie le fait que, compte tenu du tempérament ou du caractère du conjoint ainsi que des circonstances extérieures, ils resteront pour toujours ou non dans l’union qu’ils ont contractée. Le contractant qui, lorsqu’il émet son consentement, se réserve le droit de rompre le lien si telle circonstance se vérifie, exclut absolument l’indissolubilité. La rupture envisagée du lien est conditionnelle.

 

  1. Les preuves de la simulation

 

  1. Preuves directes

 

  1. Dieu excepté, le contractant est l’unique témoin direct de sa propre volonté. De là sa confession judiciaire et surtout sa confession extrajudiciaire sont à examiner avec soin. Dans les causes matrimoniales la confession judiciaire n’est pas à comprendre dans le sens du c. 1535 : « Lorsqu’elle va à l’encontre de son propre intérêt, la reconnaissance par une des parties, devant le juge compétent, oralement ou par écrit, spontanément ou sur interrogation du juge, d’un fait en rapport avec l’objet même du procès, constitue une confession judiciaire ». Dans les causes de nullité de mariage, « […] on entend par aveu judiciaire (confessio judicialis) une déclaration par laquelle la partie, par écrit ou par oral, devant le juge compétent, […] affirme contre la validité du mariage un fait qui lui est propre »[5]. La confession judiciaire est ici définie comme la déclaration de celui qui est accusé d’avoir réellement réalisé l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle du mariage, que cette déclaration soit pour ou contre lui. L’acte de simulation est un acte caché au fond du cœur et qui, sans déclaration du simulant allégué, ne peut pratiquement pas être connu parfaitement à partir de ses seuls actes extérieurs. Si la crédibilité du simulant est prouvée, les éléments de preuve qui n’ont pas par ailleurs pleine valeur probante peuvent acquérir cette valeur probante plénière (cf. c. 1679).

 

On doit entendre des témoins crédibles, qui rapportent la confession extrajudiciaire du simulant. La confession judiciaire du simulant allégué au sujet de son exclusion et la même confession extrajuduciaire rapportée en jugement par les témoins sont considérés par la jurisprudence comme des éléments qui prouvent directement l’exclusion.

 

  1. Preuves indirectes

 

Les éléments qui prouvent indirectement l’exclusion sont la cause qui a poussé au mariage, la cause de la simulation et les circonstances du mariage controversé.

 

Si la cause du mariage se trouve dans l’amour, la qualité de cet amour doit être soigneusement recherchée. Les doutes que le mari, avant et après la célébration du mariage, a conçus tant de fois sur l’aptitude de sa femme, permettent souvent de pénétrer dans la véritable volonté du contractant. Il faut cependant savoir que l’existence de cette cause ne produit pas nécessairement un effet, mais qu’elle crée seulement une présomption d’exclusion.

 

Il faut évaluer les circonstances qui offrent un fondement de présomption. Le c. 1586 prescrit : « Le juge ne conjecturera les présomptions qui ne sont pas fixées par le droit qu’à partir de faits certains et déterminés ayant un rapport direct avec l’objet du litige ». Trois conditions doivent être vérifiées pour bâtir des présomptions : un fait, qui est le fondement, et qui soit certain et déterminé et qui ait un rapport direct avec l’objet du litige.

 

Pour rendre une sentence correcte, le Juge considérera la preuve directe et la preuve indirecte, et le lien mutuel des preuves. Qu’il sache qu’il parcourt une route pleine de dangers celui qui, à partir de circonstances se présentant communément, élaborerait un jugement dans un cas particulier à définir. Il peut arriver que parfois plusieurs éléments, qui pris séparément ne peuvent pas par eux-mêmes apporter une preuve, acquièrent, s’ils sont pris ensemble et synthétisés, la valeur d’une excellente preuve.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. La crédibilité du demandeur

 

Les témoins affirment tous la sincérité et la véracité du demandeur qui, par ailleurs, a toujours été constant et ferme dans ses trois dépositions judiciaires successives. Il y a quelques divergences de détail entre certains témoins et le demandeur, mais précisément ces divergences, en écartant le soupçon de collusion entre ces personnes et Mauro, augmentent la crédibilité de celui-ci.

 

  1. Les dépositions du demandeur

 

« Avant de me marier, je ne me sentais pas prêt pour le mariage en général et le mariage avec Michela en particulier […]. J’avais des doutes sur la réussite de mon mariage […] et j’avais décidé de rompre si la vie commune était malheureuse […]. Ma volonté était clairement résolue de recourir au divorce. Je savais que le mariage religieux est indissoluble, mais je confirme m’être marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

A plusieurs reprises et sous des formes quasi identiques, Mauro a reconnu son intention de divorcer en cas d’échec de son mariage.

 

  1. Les témoins

 

En 1° instance, la mère, le frère et un ami du demandeur confirment que Mauro avait des doutes avant de se marier mais ils déclarent n’avoir jamais parlé avec lui d’un recours au divorce en cas d’échec. En appel cependant l’oncle de Mauro, qui avait essayé de le convaincre de ne pas épouser Michela, atteste l’avoir entendu répondre : « Pas de problème. Il y a toujours le divorce ». La même remarque de Mauro a été faite à l’une de ses amies : « Ne t’inquiète pas, il y a toujours le divorce pour me libérer d’un possible échec ». L’on doit remarquer que ces deux témoins ne font pas référence à la mentalité de Mauro, mais à sa volonté. On peut conclure que le demandeur, en évoquant le divorce, n’a pas seulement pensé à une possibilité de divorcer, mais a montré sa volonté de divorcer le cas échéant. Il a dissous intentionnellement le lien, sa volonté est absolue, la rupture du lien, elle, est conditionnelle.

 

  1. La cause du mariage

 

Selon Mauro, la cause qui l’a poussé au mariage est l’attrait physique qu’il éprouvait pour Michela. L’oncle du demandeur s’avoue « cynique », mais il déclare sans prendre de précautions oratoires qu’en se mariant Mauro avait plus comme objectif de mettre Michela dans son lit que de nouer avec elle une relation d’amour. Quelques témoins déclarent que de toute façon Mauro ne semblait pas vraiment amoureux de Michela.

 

  1. La cause lointaine de la simulation

 

Elle se trouve dans le manque de sentiments religieux de Mauro. Il a eu des relations intimes avec Michela avant le mariage, il aurait préféré une union sans mariage, il baignait dans la mentalité ambiante, favorable au divorce, en contraste avec l’éducation qu’il avait reçue. Mauro avoue sans peine que « tout en connaissant l’indissolubilité du mariage, (il s’est) marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

  1. La cause prochaine de la simulation

 

Elle se trouve dans les doutes qu’avait Mauro sur le succès de son mariage : doutes dus à la personnalité de Michela, sa rigidité dans sa façon de voir, son manque de dynamisme.

 

La mère et les témoins de Mauro font état de ses hésitations, et les actes montrent que le demandeur, avant le mariage, voyait en Michela une amie et non une épouse. Il avait finalement découvert que Michela n’était pas celle qu’il aurait voulue comme épouse, et donc il a fait dépendre la durée de son mariage de l’évolution de la vie commune.

 

 

  1. Les circonstances de la vie commune

 

Selon le demandeur, Michela se désintéressait de sa maison, des tâches domestiques, si bien que c’était la mère de Mauro qui devait pallier les carences de l’épouse.

 

Michela, elle, parle de difficultés à instaurer un dialogue familial.

 

Quant aux témoins, ils confirment les déclarations de Mauro sur sa femme : indifférence aux exigences familiales, incapable de se gérer elle-même et de gérer les choses.

 

Le fait que la vie commune n’a duré que deux ans et le fait même que Mauro, selon Michela, « n’a rien fait pour sauver le mariage » montrent bien que cette hâte et ce refus de réconciliation ne peuvent procéder que d’une intention antérieure au mariage.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion du bien du sacrement

de la part du mari demandeur

 

 

Vetitum pour le mari demandeur

 

 

Josef HUBER, ponent

Giovanni Baptista DEFILIPPI

Robert M. SABLE

 

__________

 

[1] GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] SAINT AUGUSTIN, De bono conjugali, VII, 7

[3] Cf. O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan, Giuffré, 1968, p. 89-114

[4] C. DE JORIO, 18 février 1970, SRRDec, vol. LXII, p. 155, n. 3

[5] DIGNITAS CONNUBII, art. 179 § 2

FERREIRA PENA 27/05/2010

Coram  FERREIRA  PENA

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal ecclésiastique du Portugal

27 mai 2010

P.N. 19.800

Constat pour le défaut

de discretio judicii

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. NATURE DE  L’ACTE  HUMAIN  DU  CONSENTEMENT
  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII
  2. Les hypothèses où se présente le défaut de discretio judicii
  3. Causes du défaut de discretio judicii
  4. Une cause spéciale du défaut de discretio judicii : l’immaturité psycho-affective
  5. L’enseignement du Professeur De Caro
  6. Les conséquences de l’immaturité psycho-affective sur la décision du

mariage

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. Nature de l’incapacité d’assumer
  2. La cause de nature psychique de l’incapacité d’assumer
  3. L’incapacité concerne les obligations essentielles du mariage

 

  1. LE PROBLÈME  DE  L’HOMOSEXUALITÉ
  2. Nature de l’homosexualité
  3. Homosexualité et pratique homo-érotique
  4. L’examen nécessaire de la structure de la personne
  5. L’homosexualité idéopathique et l’homosexualité symptomatique

 

  1. RAPPEL DU  RÔLE  DES  EXPERTS

 

 

*   *   *

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Maria A., la demanderesse, et Manuel M., la partie appelée, font connaissance au collège par l’intermédiaire d’une amie de Maria, qui était la « petite amie » de Manuel. Lorsque celui-ci rompt avec sa « petite amie », Maria et Manuel se fréquentent et très vite deviennent amants.

 

Les fréquentations des jeunes gens, qui ne se voyaient pas souvent en raison de l’éloignement de leurs maisons familiales respectives, durent dix ans, interrompus par une semaine de réflexion où Manuel veut faire le point sur leurs relations. Le mariage est célébré le 17 juin 1995.

Pendant la cérémonie religieuse, Manuel fond en larmes. La demanderesse attribue cette émotion à l’absence du père de Manuel, mort quelque temps auparavant et que son fils aimait beaucoup. Ce n’est que plus tard qu’elle donnera un autre sens à ces larmes.

 

Le voyage de noces se passe au Canada. Selon Maria, Manuel a une conduite étrange, négligeant sa femme et étant surtout préoccupé au sujet de son ami Paul, à qui il téléphone après en avoir demandé l’autorisation à Maria, qui trouve curieuse l’attitude de son mari. Maria évite les disputes mais est affectée par le peu de relations conjugales qu’elle a avec Manuel, qui répond aux demandes de son épouse en invoquant sa fatigue et le fait que leur intimité n’est pas nouvelle.

 

La vie commune est en fait très limitée parce que les époux, en raison de leur lieu de travail, ne peuvent se retrouver qu’aux fins de semaine. De plus, quand Maria se déplace pour voir son mari, celui-ci a toujours de bons prétextes pour éviter les rapports conjugaux, et plus d’une fois il va chez son épouse avec son ami Paul.

 

Maria commençait à mal supporter cette vie conjugale difficile, lorsque Manuel lui révéla qu’il avait des relations sexuelles avec Paul et donc lui révéla son homosexualité. Stupéfaite, Maria resta sans voix, tandis que Manuel lui expliquait comment sa relation avec son ami Paul avait progressé. Il lui demanda aussi de garder le secret et d’un commun accord les époux décidèrent de prendre du temps pour réfléchir. Néanmoins la déception de Maria était trop forte et, vers la fin du mois d’août 1996, l’épouse signifia à son mari que leur mariage était terminé.

 

Le 28 novembre 2002, Maria adressa un libelle au Tribunal ecclésiastique du Portugal, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour incapacité de son mari d’assumer et de remplir les obligations conjugales essentielles (c. 1095, 3°) et pour grave défaut de discretio judicii, toujours de la part du mari, le rendant incapable d’assumer avec liberté les responsabilités et obligations du mariage (c. 1095, 2°). Le libelle ajoutait le dol, par dissimulation par le mari de son homosexualité afin d’obtenir le consentement matrimonial de la demanderesse.

 

La sentence du 12 janvier 2005 fut négative sur tous les chefs. En appel, où fut réalisée une expertise, les Juges déclarèrent la nullité du mariage selon le c. 1095, 2° et 3°, mais rejetèrent le chef de dol.

 

En troisième instance à la Rote, le doute fut concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement, et pour incapacité d’assumer les obligations matrimoniales essentielles de la part du mari, partie appelée (c. 1095, 2° et 3°). Aucune instruction complémentaire ne fut effectuée.

 

 

 

EN  DROIT

 

  1. NATURE DE  L’ACTE  HUMAIN  DU  CONSENTEMENT

 

Le pacte conjugal par lequel se crée entre l’homme et la femme une communauté de toute la vie, ordonnée au bien des époux eux-mêmes ainsi qu’à la génération et l’éducation d’enfants, naît du seul consentement des parties, qu’aucune puissance terrestre ne peut suppléer (cf. c. 1057 § 2 ; 1055 § 1). Le consentement est un acte de volonté par lequel l’homme et la femme réalisent leur mutuelle donation (cf. c. 1057 § 2).

 

Il s’agit, en termes philosophiques, d’un acte humain, c’est-à-dire d’un acte qui procède d’une volonté délibérée, ou, en d’autres termes, qui résulte de la coopération ordonnée des facultés de l’âme humaine rationnelle, soit l’intelligence et la volonté. L’intelligence et la volonté coopèrent dans la réalisation de la décision délibérée du mariage, parce que cette décision délibérée suit un jugement qui n’est pas seulement théorique, mais pratique, c’est-à-dire qui vise non pas une pure énonciation abstraite – dans le cas, au sujet de la bonté de l’institution matrimoniale – mais une estimation concrète de l’opportunité, pour le contractant lui-même, de se marier hic et nunc avec la personne déterminée de son partenaire.

 

A propos du concours des puissances dans la libre décision délibérée de l’homme, comme est celle qui conduit à contracter mariage, nous avons un document magistral de saint Thomas d’Aquin : « Le propre du libre arbitre est l’electio (décision délibérée), du fait, en effet, que nous disons relever du libre arbitre la possibilité que nous avons de recevoir une chose en récusant une autre chose, ce qui est eligere (décider délibérément). Et donc il faut envisager la nature du libre arbitre à partir de l’electio. Pour l’electio il y a le concours de quelque chose de la part de la puissance cognoscitive, et de quelque chose de la part de la puissance appétitive. De la part de la puissance cognoscitive est requis le conseil, par lequel est jugé ce qui est préférable à autre chose ; de la part de la puissance appétitive est requis que soit accepté avec désir ce qui est jugé par le conseil »[1].

 

  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. Celui qui est affecté de l’incapacité de jouir de la nécessaire discretio judicii dans la décision délibérée du consentement matrimonial est, de par le droit naturel, inapte à contracter un mariage valide ; ce qui est formellement établi par le c. 1095, 2° ; « Sont incapables de contracter mariage les personnes […] qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ».

 

  1. Les hypothèses où se présente le défaut de discretio judicii

 

A la lumière des enseignements cités de la philosophie scolastique, on comprend le large concept que la jurisprudence canonique accueille communément au sujet de la discretio judicii requise pour se marier validement, en affirmant que le défaut de discretio judicii ou de maturité du jugement peut se présenter « lorsque l’une des trois conditions ou hypothèses suivantes se vérifie :

1) ou bien manque la connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement à donner lorsqu’on contracte mariage ;

2) ou bien le contractant n’a pas encore atteint l’estimation suffisante proportionnée à l’affaire matrimoniale, c’est-à-dire une connaissance critique apte à ce si grand engagement qu’est le mariage ;

3) ou enfin l’un ou l’autre des contractants manque de liberté interne, c’est-à-dire de la capacité de délibérer avec une estimation suffisante des motifs et une autonomie de la volonté par rapport à toute impulsion interne »[2].

 

  1. Causes du défaut de discretio judicii

 

  1. Il ressort de ce qui vient d’être dit que la discretio judicii requise chez celui qui se marie peut manquer de diverses manières et pour de multiples causes. Parmi celles-ci on compte surtout les graves maladies psychiques ou psychoses, qui affectent profondément les opérations du raisonnement et souvent les détruisent ; ensuite les névroses, ou perturbations de l’anxiété, qui, en engageant le sujet dans des difficultés démesurées, empêchent d’habitude tant la claire vision des choses que la libre détermination à agir ; sans oublier les graves espèces de psychopathie, qui dans certains cas peuvent affecter sérieusement les facultés critiques et électives. Il ne faut pas non plus diminuer le poids de ce qu’on appelle l’immaturité psycho-affective, par laquelle on marque que n’a pas été atteint un degré suffisant de maturité du jugement, en raison de la fixation ou de la régression de la personnalité, pour de multiples raisons, à l’état de l’adolescence ou de la pré-adolescence, dans lequel le sujet manque encore d’une perception objective du monde et place au centre de tout sa personne, son plaisir, son intérêt.

 

  1. Une cause spéciale du défaut de discretio judicii : l’immaturité psycho
    affective

 

  1. a. L’enseignement du Professeur De Caro

 

Le professeur De Caro, psychiatre, a présenté une lumineuse description des manifestations dans lesquelles l’immaturité de la personne est perçue principalement sous son aspect affectif-émotif. Le Maître note parmi elles :

– l’incapacité de réfréner les impulsions des affects et des passions, qui non seulement exercent une influence sur les mœurs de celui qui se marie, mais se portent sur la sphère « noétique », c’est-à-dire la sphère de la perception et du jugement, en viciant d’une certaine façon la faculté critique et estimative elle-même ;

– une trop grande sujétion aux stimulations hédonistes ou érotiques, qui poussent l’individu de façon imprévue et irrésistible, en écartant la maîtrise de la volonté et de la raison ;

– le sens de l’incertitude dans les décisions, une propension à demeurer dans les schémas affectifs propres à l’enfance – par exemple avec la nécessité prépondérante d’adhérer à l’un ou l’autre de ses parents, le plus communément à sa mère ;

– la difficulté d’instaurer des relations interpersonnelles valides et sociales, même dans le domaine du travail, auquel le sujet préfère une vie inepte et vide de sens, ou imbriquée dans des expériences érotiques dangereuses ;

– l’incapacité d’affronter les nouvelles circonstances et de s’adapter à elles, qui comportent l’effort d’une nouvelle organisation, et qui engendrent de l’anxiété et des perturbations émotives ;

– l’incapacité ou le refus d’assumer le mariage comme un lien stable et irrévocable, fondé dans une véritable communauté de vie et dans une pleine et mutuelle oblation de soi ;

– les difficultés de transférer ses forces émotives de la sphère privée-égoïste (et peut-être narcissique) à la sphère publique-sociale.[3]

 

  1. Les conséquences de l’immaturité psycho-affective sur la décision du

mariage

 

Cela dit, il n’est pas bien nécessaire de nous arrêter sur les conséquences de la personnalité immature sur la décision du mariage. En effet, « dans l’immaturité affective, dans laquelle l’intelligence reste normale, ce qui est en jeu, ce n’est pas le jugement théorique, mais le jugement pratico-pratique, dû à l’arrêt ou à la régression du développement de la personnalité, dans son rapport avec l’affectivité.

 

A l’élaboration du jugement pratico-pratique concourent les facultés cognoscitives et les facultés appétitives, avec une causalité simultanée et réciproque. La volonté fera que l’intellect pratique examine et confronte les motifs tant positifs que négatifs pour célébrer ou non ce mariage ; la couleur affective dérivée de la volonté et de l’appétit sensitif présentera le mariage en question comme désirable ou non ; après l’évaluation de la motivation de la part de l’intelligence et de la volonté viendra le choix volontaire. Dans l’évaluation des motifs, doit nécessairement entrer la pondération responsable de ce que, substantiellement, impliquent les devoirs et les droits essentiels du mariage en ce qui concerne la procréation et l’éducation des enfants, la fidélité à l’autre conjoint, la communauté de vie conjugale au moins tolérable, les devoirs à observer durant toute la vie, dans les circonstances du cas concret.

 

Le processus délibératif antérieur exige l’oblativité et la responsabilité de l’adulte […]. L’immature affectif, fixé ou retourné à un stade de développement inférieur, célèbrera le mariage avec la motivation d’un adolescent ou d’un enfant »[4].

 

On ne devra pas omettre également une possible coercition de la liberté interne dont souffre l’individu immature, en raison d’un violent conflit des instincts et des affects, qu’il ne peut absolument pas régler par ses forces psychiques.

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Selon la norme du c. 1095, 3° sont également incapables de contracter mariage ceux « qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

  1. Nature de l’incapacité d’assumer

 

Dans cette troisième hypothèse, l’incapacité prévue par la loi ne vient pas de ce que celui qui se marie est incapable d’exprimer le consentement matrimonial en tant qu’acte, mais de son impossibilité de donner, c’est-à-dire de mener à effet, l’objet du consentement. En d’autres termes, si l’on préfère, l’incapacité ne regarde pas directement l’acte du consentement, mais son effet ; non pas tant le matrimonium in fieri que le mariage in facto esse ; et donc elle regarde l’état conjugal plus que le mariage-acte. Dans l’état conjugal en effet sont à remplir les obligations que le contractant, pour des causes de nature psychique, ne peut absolument pas mettre en pratique.

 

  1. La cause de nature psychique de l’incapacité d’assumer

 

  1. L’origine de cette incapacité est à chercher dans une cause de nature psychique. En d’autres termes, pour prononcer la nullité du mariage, il faut reconnaître, à l’époque de l’émission du consentement, une distorsion significative des fonctions psychiques qui se répercute sur la capacité du contractant de remplir les obligations propres à l’état conjugal, en affectant radicalement cette capacité et en la réduisant à néant.

 

Ne sont pas compatibles avec la cause de nature psychique l’infirmité morale, la paresse ou la mauvaise volonté, le laxisme acquis par l’éducation et des situations semblables. En effet une véritable incapacité ne peut pas dériver de ces facteurs, parce que l’homme de bonne volonté, par l’aide divine qui apporte des moyens surnaturels, peut surmonter, certes avec un effort nécessaire, de tels obstacles. De même il est insuffisant, pour réaliser une véritable incapacité, qu’il y ait de simples déficiences du caractère ou des traits d’imperfection de la personnalité, qui assurément peuvent rendre plus difficile, mais non impossible, l’instauration d’une communauté de vie au moins tolérable.

 

  1. L’incapacité concerne les obligations essentielles du mariage

 

  1. Seule possède une importance juridique, en vue de la nullité du mariage, l’incapacité qui concerne les obligations essentielles du mariage. En effet de nombreuses obligations découlent de l’alliance matrimoniale, mais toutes ne touchent pas à l’essence du contrat, puisque plusieurs visent au bien-être du mariage, c’est-à-dire à sa perfection et à sa réussite. La loi évidemment ne s’occupe pas de ces obligations, puisque le droit naturel veut que celui qui se marie soit apte à célébrer un mariage valide, la question de la réussite de la communauté étant donc mise de côté. C’est pourquoi il faut examiner à fond les obligations essentielles qui, bien qu’elles ne soient pas faciles à recenser, se trouvent sans aucun doute connexes aux fins et propriétés essentielles du mariage. A ce noyau appartiennent celles qui se rapportent à la classique trilogie augustinienne : le bien du sacrement, le bien des enfants et le bien de la fidélité ; mais – sous la conduite également du récent magistère conciliaire et pontifical – il faut aussi compter celles qui ont une relation avec la fin noble et primaire elle aussi du mariage, qu’on a l’habitude d’appeler le bien des conjoints. En effet appartient à l’essence de l’alliance conjugale la donation réciproque de l’homme et de la femme pour constituer entre eux une communauté de vie et d’amour dans laquelle, par l’étroite conjonction des œuvres et des personnes, elles se procurent mutuellement aide et service.[5]

 

  1. LE PROBLÈME  PARTICULIER  DE  L’HOMOSEXUALITÉ

 

  1. Nature de l’homosexualité

 

  1. Un obstacle à l’obtention de cet éminent bien du mariage, c’est-à-dire à la constitution d’une communauté de vie et d’amour entre l’homme et la femme, peut être cette « perversion ou plus justement inversion » de l’instinct sexuel qu’on appelle homosexualité.[6] Cette condition psychique se spécifie par le mouvement exclusif ou prévalent de l’appétit affectif et érotique vers des personnes du même sexe. Il s’agit là d’un état qui comporte de multiples manifestations, sous l’aspect intrapsychique ou externe, c’est-à-dire sous l’aspect de la façon d’agir.

 

  1. Homosexualité et pratique homo-érotique

 

Il faut tout d’abord distinguer la véritable homosexualité de la simple pratique homo-érotique, qui peut être due à des circonstances variées de personnes et de lieux : « autre chose en effet est la constitution viciée, autre chose est l’action homosexuelle »[7]. C’est pourquoi on ne doit pas compter parmi les homosexuels, par exemple, les adolescents qui se livrent entre eux à des jeux érotiques, ou ceux qui tombent dans des pratiques contre nature parce qu’ils sont mis à part, par exemple en prison, ou en bateau, dans des camps etc… Il s’agit dans ce cas d’une homosexualité « de situation, c’est-à-dire d’une homosexualité consciemment et délibérément choisie en raison des circonstances, mais avec la possibilité d’un retour à des relations hétérosexuelles lorsque la situation aura changé »[8]. Il faut de même prendre en compte la pseudo-homosexualité, « qui n’est rien d’autre qu’une anxiété mentale chez des hommes hétérosexuels sur leur prétendue homosexualité à cause de la perte de leur puissance sexuelle, de leur position sociale etc. »[9].

 

  1. L’examen nécessaire de la structure de la personne

 

Pour qu’on puisse parler de véritable homosexualité, il faut examiner la constitution, mieux, la structure de la personne. En d’autres termes, ont de l’importance dans le domaine de l’incapacité « les tendances homosexuelles, qui s’enracinent dans la structure anormale de la personnalité, parce qu’elles sont opposées à l’essence même et aux propriétés du mariage. Elles empêchent en effet ceux qui en souffrent de rechercher l’amour conjugal, ordonné aux enfants, d’user du mariage de manière humaine pour atteindre cette fin, de garder la fidélité dans un lien perpétuel et exclusif et de constituer une communauté de toute la vie ordonnée au bien et à l’intérêt mutuel »[10].

 

D’ailleurs on ne peut pas dire que toute forme d’homosexualité irrite le consentement matrimonial. Il y a en effet des degrés variés de cette anomalie, et « seule une forme grave d’homosexualité, présente au moment de la célébration du mariage et inguérissable, rend le sujet incapable de contracter mariage »[11].

 

On ne doit pas oublier en effet qu’il existe des homosexuels « qui ne répugnent pas absolument aux relations hétérosexuelles et qu’on classe parmi les bi-sexuels »[12]. Lorsqu’il s’agit de ces sujets, l’incapacité « ne dépend pas du degré d’exclusivité de la tendance homosexuelle, de sa cause innée ou acquise, ni non plus de la gravité de cette déviation »[13].

 

  1. L’homosexualité idéopathique et l’homosexualité symptomatique

 

  1. Une autre distinction à faire en ce domaine, et qui est d’une certaine importance, est celle entre l’homosexualité idéopathique, qui atteint la sphère strictement affectivo-sexuelle de la personne et qui vient par elle-même en considération, et l’homosexualité symptomatique, « qui est seulement un symptôme et un effet de certaines graves maladies névrotiques ou psychotiques »[14], ou même psychopathiques »[15].

 

Il résulte de cela que – si éventuellement la déviation de l’instinct sexuel n’est pas si grave, alors que par elle-même elle peut irriter le consentement – la nullité du mariage peut néanmoins être prononcée, compte tenu de la perturbation de la personnalité dont l’homosexualité ne constitue qu’un symptôme ou un indice.

 

Il peut donc se faire que chez un contractant la tendance homosexuelle prise en elle-même manque de signification autonome, c’est-à-dire qu’elle n’atteigne pas une gravité telle qu’elle le rende incapable de réaliser une communauté conjugale au moins possible à vivre, mais que cette tendance soit plutôt l’indice d’une grave immaturité, qui l’aurait privé, dans l’émission du consentement, de la décision convenablement délibérée et suffisamment libre de se marier. Il n’y a rien de remarquable si dans ces cas la nullité est prononcée pour le 2° plutôt que pour le 3° du c. 1095.

 

De façon significative, les récents documents de la Curie Romaine traitant de ce problème de l’homosexualité ont pris l’habitude de relier celle-ci à une grave immaturité[16], ou encore, dans ses formes transitoires, l’ont interprétée comme « l’expression d’un problème … comme, par exemple, celui d’une adolescence non encore terminée »[17] : manifestement, donc, la tendance homosexuelle pourrait se réduire à une forme de fixation ou de régression psycho-affective, comme cela arrive typiquement dans les cas d’une grave immaturité psycho-affective.

 

 

  1. RAPPEL DU  RÔLE  DES  EXPERTS

 

  1. Tous ces éléments, comme il convient toujours de le faire dans les causes d’incapacité[18] sont à rechercher avec l’aide d’experts psychologues ou psychiatres, qui effectueront un examen de la personne ou au moins un examen sur les actes de la cause, et qui instruiront le juge sur l’état psychique du contractant au moment de la célébration du mariage, et surtout sur la gravité des conditions anormales dont il était atteint, et sur l’influx que celles-ci ont eu sur la capacité du sujet d’estimer convenablement, de décider librement et de remplir efficacement l’objet de la promesse matrimoniale.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La difficulté de la cause vient de la discordance totale entre les déclarations de l’épouse demanderesse et celles du mari, partie appelée, au sujet de l’homosexualité de celui-ci. Car l’épouse, attribuant l’échec de son mariage à un aveu que lui aurait fait Manuel sur sa propre homosexualité, a négligé d’autres éléments importants, alors que le mari conteste absolument cette homosexualité.

 

Les Juges du Tour ne trouvent aucun signe ou indice qui confirmerait cette homosexualité. Il n’y a que la demanderesse qui en parle, et donc qui doit en apporter la preuve. Les témoins se contentent de rapporter ce que la demanderesse leur a dit. Ils déclarent par exemple que la petite amie de Manuel a assisté à son mariage avec Maria et qu’elle l’a souvent rencontré, mais les actes n’en contiennent aucune preuve.

 

Par contre, le mari présente une grave immaturité et donc la question à trancher tourne autour de sa liberté interne et de l’importance qu’il attribuait au mariage.

 

Les parties ont commencé leurs fréquentations très jeunes et en pleine immaturité, comme l’expose l’expert. De plus les relations entre Manuel et sa mère n’étaient pas normales du fait que le fils était trop soumis à la mère, situation qui a encore empiré à la mort du père. L’expert décrit bien les caractéristiques de la vie familiale après ce décès : Manuel, couvé par sa mère, était incapable de faire face à la vie en général et à la vie conjugale en particulier. Finalement Maria n’était pour lui qu’une « amie » parmi d’autres.

 

Manuel reconnaît qu’avant le mariage son amour pour Maria avait beaucoup diminué, et l’expert voit dans sa décision d’épouser quand même celle-ci un signe d’immaturité. Manuel reconnaît encore que ses relations charnelles avec Maria n’étaient pas l’expression d’un désir spirituel profond.

 

Après le mariage, son attitude a rendu la vie commune difficile. Manuel était resté adolescent, mal préparé à la vie, immature en ce qui concerne la sexualité, instable et léger.

 

Même si l’expert de la Rote s’arroge parfois le rôle du juge lorsqu’il déclare que la gravité de la cause psychique qui frappait Manuel empêchait la discretio judicii nécessaire au mariage, mais encore l’empêchait d’assumer et de remplir les obligations conjugales, nous reconnaissons qu’il a réalisé un travail précieux par son équilibre et son sens des choses.

 

 

Constat de nullité

seulement pour grave défaut de

discretio judicii de la part du mari

 

Vetitum pour le mari

 

Jair FERREIRA PENA, ponent

Robert M. SABLE

Maurice MONIER

 

__________

 

 

 

[1] SOMME  THEOLOGIQUE, I° pars, q. 83, a. 3, co.

[2] C. POMPEDDA, 25 novembre 1978, SRRDec, vol. LXX, p. 509-510, n. 2

[3] Cf. D. DE CARO, L’immaturità psico-affettiva nel matrimonio canonico, dans L’immaturità psico-affettiva nella giurisprudenza della Rota Romana, Vatican 1990, p. 6-7

[4] J.M. PINTO GOMEZ, L’immaturità affettiva nella giurisprudenza rotale, dans l’Immaturità psico-affettiva nella giurisprudenza della Rota Romana, citée, p. 46-47

[5] Cf. Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48

[6] Cf. c. POMPEDDA, 6 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 915-924

[7] C. ERLEBACH, 6 mai 1998, SRRDec, vol. XC, p. 361, n. 5

[8] C. STANKIEWICZ, 24 novembre 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 677, n. 7

[9] Même endroit

[10] C. FUNGHINI, 19 décembre 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 766, n. 3

[11] C. ERLEBACH, 29 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 681, n. 7

[12] C. STANKIEWICZ, 24 novembre 1983, cité, p. 678, n. 9

[13] Même endroit, p. 682, n. 16

[14] C. ANNE, 25 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 179, n. 8

[15] Cf. J.J. GARCIA FAILDE, Manual de psiquiatria forense canónica, Salamanque 1991, p. 310

[16] Cf. Congregatio pro Educatione catholica, Orientamenti per l’utilizzo delle competenze psicologiche nell’ammissione e nella formazione dei candidati al sacerdozio, 29 juin 2008, n. 10

[17] Istruzione della Congregazione per l’Educazione cattolica circa i criteri di discernimento vocazionale riguardo alle persone con tendenze omosessuali in vista della loro ammissione al Seminario e agli Ordini Sacri, 4 novembre 2005, n. 2

[18] Cf. c. 1574, 1680 ; art. 203 et suivants de DIGNITAS CONNUBII

DEFILIPPI 15/10/2009

Coram  DEFILIPPI

 Exclusion du bien du sacrement

Exclusion du bien des enfants

 

Tribunal régional de Lombardie (Italie)

15 octobre 2009

P.N. 19.694

Constat pour les deux chefs

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LE CONSENTEMENT DANS LE MARIAGE
  2. Nature et effets du consentement
  3. Qualités du consentement
  4. Rôles de l’intelligence et de la volonté
  5. Le consentement est un acte humain
  6. Le consentement est un acte libre
  7. La conformité du consentement avec la structure objective du mariage

 

  1. LA SIMULATION
  2. La simulation en général
  3. La simulation partielle

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT

  1. La pensée de l’Eglise sur l’indissolubilité
  2. L’exclusion de l’indissolubilité

 

IV L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

  1. L’ordonnancement du mariage à la procréation
  2. Il n’y a pas de droit à l’enfant
  3. Le droit-devoir à la génération et à l’éducation des enfants
  4. La distinction entre le droit-devoir et l’exercice-accomplissement
  5. La jurisprudence sur l’exclusion du droit-devoir

 

  1. LA PREUVE DE LA SIMULATION
  2. La preuve de toute simulation
  3. Le rôle du juge
  4. Règles spéciales pour les causes matrimoniales

 

__________

 

 

 

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS (résumé)

 

Barbara B., née le 27 juin 1971, et Roberto R., né le 16 mai 1970, font connaissance en 1994. Epris l’un de l’autre ils se considèrent presque comme des fiancés. Toutefois, en raison de leurs différences de caractère et de la mauvaise entente entre Barbara et la mère de Roberto, ils se disputent souvent, si bien que Barbara, à l’automne 1996, rompt avec Roberto. La séparation dure un an et, sur les instances de Roberto, les deux jeunes gens renouent leur relation, sans pour autant que cessent leurs querelles.

 

Malgré tout ils décident de se marier, mais les altercations se poursuivent et Roberto renonce au mariage au printemps 1999. Toutefois il change d’avis rapidement. Barbara, de son côté, très inquiète sur l’avenir de sa vie conjugale avec Roberto, mais n’osant pas s’opposer à la célébration du mariage, se propose intérieurement de rompre le lien conjugal si les choses tournent mal, et décide qu’elle n’aura pas d’enfants de son union avec Roberto.

 

Le mariage est célébré le 18 septembre 1999. Dès le voyage de noces les époux se querellent si bien qu’ils se séparent en avril 2000. La « séparation consensuelle » est sanctionnée le 10 novembre 2000 par le Tribunal civil de Milan, qui prononce le divorce en février 2004.

 

Entre temps, le 18 novembre 2002, Barbara s’était adressée au Tribunal ecclésiastique régional de Lombardie, accusant son mariage de nullité pour exclusion, de sa part, des biens du sacrement et des enfants. La sentence du 30 octobre 2003 est négative sur les deux chefs. En appel, le Tribunal régional de Ligurie procède à un complément d’enquête, avec une nouvelle audition de la demanderesse, le mari partie appelée refusant de comparaître. La sentence du 30 septembre 2005 infirme celle de la 1° instance, en déclarant le mariage nul pour exclusion du bien du sacrement et du bien des enfants de la part de l’épouse. En 3° instance à la Rote, il Nous revient d’examiner ces deux chefs allégués par la demanderesse.

 

EN DROIT

 

  1. LE CONSENTEMENT DANS LE MARIAGE

 

  1. Nature et effets du consentement

 

  1. Il faut tout d’abord rappeler le c. 1057 :

« § 1. C’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine.

 

  • 2. Le consentement matrimonial est l’acte de la volonté par lequel un homme et une femme se donnent et se reçoivent mutuellement par une alliance irrévocable pour constituer le mariage ».

 

C’est pourquoi, en contractant mariage, étant supposée l’adéquate capacité de ceux qui se marient, requise tant par le droit naturel que par le droit positif, il y a comme une rencontre dynamique entre le consentement subjectif des contractants et l’institution du mariage, dans son entité objective, vers la constitution de laquelle est dirigé le consentement de ceux qui se marient.

 

  1. D’une part, il faut résolument mettre en valeur l’importance, sans dérogation possible, du consentement personnel des contractants qui est l’unique, adéquate, suffisante et absolument nécessaire cause efficiente du mariage, au point que, comme on le lit dans une sentence c. Turnaturi du 16 juin 1995, « c’est tout à fait à juste titre qu’on dit que ‘tout le système matrimonial canonique a pour centre le consentement entre époux’[1]».[2]

 

  1. Qualités du consentement

 

  1. Rôles de l’intelligence et de la volonté

 

Ce consentement, bien qu’on le définisse « acte de la volonté », « présuppose nécessai-rement un acte de l’intelligence, selon le principe ‘rien n’est voulu qui ne soit d’abord connu’. Personne assurément ne peut vouloir sans vouloir quelque chose et savoir ce qu’il veut. La volonté en effet dépend de l’intelligence, elle suit l’intelligence et tend vers le bien appréhendé par l’intelligence, c’est-à-dire selon qu’il lui est présenté par la connaissance »[3].

 

  1. Le consentement est un acte humain

 

D’ailleurs, pour être valide, le consentement doit être un « acte humain », c’est-à-dire un acte dont l’homme est le maître. « L’homme est maître de ses actions par la raison et la volonté, et c’est pourquoi on dit que le libre arbitre est la faculté de la volonté et de la raison. Sont donc appelées proprement humaines les actions qui procèdent d’une volonté délibérée, en tant que la volonté suit la délibération de la raison »[4].

 

  1. Le consentement est un acte libre

 

En outre le consentement, en tant qu’« acte humain » doit être pourvu également de liberté, parce que « la dignité de l’homme exige qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure »[5].

 

  1. La conformité du consentement avec la structure objective du mariage

 

  1. D’autre part cependant le mariage, qui résulte du consentement, est une institution qui, dans sa constitution objective, « échappe à la fantaisie de l’homme, car Dieu lui-même est l’auteur du mariage, qui possède en propre des valeurs et des fins diverses »[6]. Le mariage « in facto esse », le mariage-état de vie, en effet, a une particulière structure objective, par laquelle il diffère de toute autre institution juridique. Il peut en effet être décrit comme une communauté entre deux personnes de sexe différent, « ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants » (c. 1055 § 1), revêtue des propriétés essentielles de l’unité et de l’indissolubilité (c. 1056), « élevée entre baptisés par le Christ Seigneur à la dignité de sacrement » (c. 1055 § 1), et faisant naître entre les conjoints « un lien de par sa nature perpétuel et exclusif » (c. 1134), en vertu duquel les conjoints s’obligent à des droits et devoirs particuliers et égaux, qui durent toute la vie, puisqu’il s’agit d’une mutuelle donation pleine et irrévocable.[7]

 

Par conséquent, le consentement de ceux qui se marient, pour être proprement matrimonial, doit envisager le mariage selon sa structure objective, comme le Pape Jean-Paul II l’a très opportunément déclaré dans son Discours à la Rote du 28 janvier 2002 : « Selon l’enseignement de Jésus, c’est Dieu qui a uni dans le lien conjugal l’homme et la femme. Il est certain qu’une telle union a lieu à travers le libre consentement de ces deux personnes, mais un tel consentement humain porte sur un dessein divin »[8].

 

Il s’ensuit que le consentement conjugal, pour produire ses effets, ne peut s’écarter des éléments et propriétés essentiels dont Dieu a orné le mariage, bien qu’il ne soit pas requis que celui qui se marie considère un à un et explicitement tous ces éléments et propriétés, puisqu’il suffit qu’il les rassemble tous, au moins implicitement, dans la volonté de contracter mariage avec une intention droite, sans exclure aucun élément essentiel du mariage ni aucune de ses propriétés essentielles.

 

  1. LA SIMULATION

 

  1. La simulation en général

 

  1. Puisque généralement il faut, dans les relations humaines, qu’il y ait une conformité entre ce qui est pensé et ce qui est manifesté extérieurement, surtout lorsqu’il s’agit de choses très importantes, le Législateur canonique, compte tenu de la dignité du mariage, déclare, outre les principes généraux de la présomption de validité de tout acte juridique régulièrement accompli (cf. c. 124 § 2) et de la « faveur du droit » dont jouit le mariage (c. 1060), précisément à propos de notre affaire, cette présomption du droit : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1).

 

Cependant, puisque le consentement des parties est la cause, sans aucune dérogation possible, qui constitue le mariage, il faut regarder la réelle intention de celui qui profère les paroles de ce consentement, ainsi qu’il est statué de façon adéquate dans le canon 1101 cité : « Si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2). Dans ce cas on a la simulation du consentement, c’est-à-dire « la discordance délibérée réalisée par le sujet entre la volonté interne et la déclaration externe »[9]. Et donc, en raison de cette discordance, réellement « une chose est d’agir, autre chose est de simuler qu’on agit »[10].

 

Cette simulation, comme on la déduit du c. 1101 § 2, peut être totale (si on exclut positive-ment le mariage lui-même), ou partielle, quand celui qui se marie, bien que voulant une certaine forme de mariage, vise ce mariage seulement selon ses propres idées, qui objectivement s’écartent de l’institution divine du mariage.

 

Bien que, tant dans la simulation totale que dans la simulation partielle, les conséquences juridiques soient objectivement les mêmes, à savoir que « le consentement donné souffre de nullité »[11], il faut cependant admettre une distinction entre ces deux simulations « en raison de l’objet de la simulation et de la conscience qu’on a de la simulation de l’acte »[12].

 

  1. La simulation partielle

 

  1. Selon le c. 1101 § 2 CIC, il y a simulation partielle du consentement lorsque l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle pénètre, en le restreignant efficacement, dans l’objet même du consentement matrimonial, de telle sorte qu’en réalité elle se porte sur un objet substantiellement corrompu. Comme nous l’a rappelé Jean-Paul II dans son Discours à la Rote du 21 janvier 2000, « la tradition canonique et la jurisprudence rotale, pour affirmer l’exclusion d’une propriété essentielle ou la négation d’une finalité essentielle du mariage, ont toujours requis que celles-ci se produisent avec un acte positif de volonté »[13].

 

Dans le texte du c. 1101 § 2, trois éléments sont requis : la volonté, l’acte, la positivité : « Le premier élément regarde la volonté, puisqu’elle seule est la cause efficiente, motrice, et source première de toute simulation ou exclusion […] Le second élément, c’est-à-dire l’acte, attribue à la volonté la forme d’opération, d’activité volitive, par laquelle elle se transforme en ‘acte de vouloir’ lequel, dans le domaine psychologique peut correspondre à la décision, marquée par le passage ‘du connaître à l’agir au moyen d’une délibération’, ou à la décision volontaire, conçue comme ‘un acte souverain de la volonté ou du Moi’ […] Enfin, le troisième élément, la positivité de l’acte, remplit le rôle d’un facteur qualifiant dans les aspects du même acte de volonté […] La nécessité de la positivité fait certainement exclure du phénomène de la simulation l’acte purement négatif […], et dépasse toute forme de transformation extrinsèque volitive de l’omission, qui consiste dans le comportement volontairement inerte »[14]. C’est pourquoi cet acte se présente comme un « ne pas vouloir » (velle non) et non comme un véritable « vouloir que ne pas » (nolle) [15]. En d’autres termes, pour parler plus clairement, n’accomplit pas un acte positif de volonté celui qui, inconsciemment, n’assume pas un élément essentiel du mariage, ou n’y pense même pas ; au contraire il est requis qu’il rejette réellement hors de l’objet du consentement cette propriété ou cet élément essentiel, « de telle sorte qu’il a visé un mariage uniquement comme cela et pas autrement »[16].

 

En conséquence, il n’y a pas lieu à simulation dans les formes psychologiques qui ne réalisent pas cet acte positif de volonté, comme par exemple les simples idées erronées sur le mariage, une intention seulement habituelle, une volonté purement interprétative, une certaine velléité générique, une inclination contraire etc.

 

Au contraire, « selon la Jurisprudence affermie de Notre For, non seulement l’acte positif explicite de volonté provoque un effet dirimant, mais encore l’acte positif implicite, mais exprès, qui ont comme objet direct et immédiat quelque chose qui est contenu dans l’exclusion d’une propriété ou d’un élément essentiel »[17].

 

De même il n’est pas requis que cet acte positif de volonté soit accompli au moment du mariage de façon « actuelle », mais il suffit qu’il soit « virtuel » (c’est-à-dire qu’au moment de la célébration du mariage il garde encore sa force d’acte auparavant exprès et non révoqué), de telle sorte qu’il soit efficacement connexe avec le consentement, dont il détermine substantiellement l’objet.

 

Selon la formule par laquelle sont définis les termes de la controverse présente (c’est-à-dire : la preuve est-elle rapportée que le mariage est nul pour exclusion du bien du mariage et/ou du bien des enfants de la part de l’épouse demanderesse), il faut rappeler distinctement au moins les principes essentiels et très connus du droit à propos de chacun de ces deux chefs.

 

 

 

 

 

III.  L’EXCLUSION  DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

  1. La pensée de l’Eglise sur l’indissolubilité

 

  1. En ce qui concerne proprement l’exclusion du bien du sacrement, c’est-à-dire l’indissolubilité, il faut remarquer que, dans ce cas, il s’agit d’une simulation « partielle » du consentement en raison de l’exclusion de l’une des propriétés essentielles du mariage.

 

En effet le Concile Vatican II, reprenant la doctrine immuable de l’Eglise, a déclaré dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes : « Cette union intime, don réciproque de deux personnes, non moins que le bien des enfants, exigent l’entière fidélité des époux et requièrent leur indissoluble unité » (n. 48). De même le véritable amour conjugal, « ratifié par un engagement mutuel, et par-dessus tout consacré par le sacrement du Christ […] demeure indissolublement fidèle […] et il exclut donc tout adultère et tout divorce » (n. 49).

 

Ceci a été confirmé récemment par le Catéchisme de l’Eglise catholique : « L’amour des époux exige, par sa nature même, l’unité et l’indissolubilité de leur communauté de personnes qui englobe toute leur vie : ‘Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair’ (Mt 19, 6) » (n. 1644).

 

Pour recourir également à l’autorité de Saint Thomas d’Aquin, « l’indissolubilité, à laquelle se rapporte le sacrement, convient au mariage selon lui-même, parce que du fait que par l’alliance conjugale les époux se donnent mutuellement pouvoir perpétuel sur eux-mêmes, il s’ensuit qu’ils ne peuvent pas se séparer ; dès lors il n’y a jamais de mariage sans l’inséparabilité ; mais on le trouve sans la foi conjugale et sans l’enfant parce qu’une chose ne dépend pas de son usage »[18].

 

Et donc le Code en vigueur, fondé « sur l’hérédité juridique et législative de la Révélation et de la Tradition »[19], édicte : « Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière » (c. 1056).

 

L’indissolubilité, en tant que propriété essentielle, « regarde et atteint tous les mariages, le mariage naturel n’y faisant pas exception »[20], bien que pour les chrétiens l’indissolubilité obtienne une fermeté en raison du sacrement, comme nous l’a rappelé Jean-Paul II dans son Discours à la Rote du 26 janvier 2002 : « Le renforcement ultérieur (des propriétés essentielles) dans le mariage chrétien à travers le sacrement repose sur un fondement de droit naturel, dont la suppression rendrait incompréhensibles l’œuvre salvifique même et l’élévation que le Christ a opérées une fois pour toutes dans les divers aspects de la réalité conjugale »[21].

 

  1. L’exclusion de l’indissolubilité

 

La simulation du consentement pour exclusion de l’indissolubilité a lieu quand quelqu’un, en contractant un mariage, le veut en réalité dissoluble, c’est-à-dire « en se réservant la faculté de retrouver une pleine liberté »[22]. Cela peut arriver non seulement si l’intention de rompre le lien est absolue, mais encore (comme il arrive habituellement) si l’intention de rompre le lien est « conditionnelle » ou « hypothétique », ou, en d’autres termes, « si le cas se présente », c’est-à-dire « si l’on prévoit que la vie commune avec le partenaire sera malheureuse ».

 

Dans ce cas-là, comme on le lit par exemple dans une sentence c. Palestro, du 24 mars 1993, « étant donné des raisons particulières, au moins subjectivement graves, naît la crainte que la communauté conjugale ne devienne malheureuse ou enfin impossible et donc s’installe un doute sur la future communauté de vie avec l’autre partie et de là, pour retrouver sa propre liberté, dans le cas d’un événement possible dans l’avenir et redouté, on se prémunit par une exclusion hypothétique de l’indissolubilité. En conséquence le consentement ainsi donné, c’est-à-dire révocable […] n’est pas valide pour constituer le mariage, c’est-à-dire que la volonté hypothétique ou conditionnelle de rompre le lien si certains événements se produisent, détruit radicalement le consentement donné, sans qu’on attende la vérification de l’événement prévu »[23].

 

De plus, dans ce cas en effet, l’acte de volonté qui vicie le consentement est absolu parce que c’est le mariage en tant que dissoluble de toute façon qui est visé, tandis qu’est seulement « conditionnelle » ou « hypothétique » la rupture de la vie conjugale qui dépend d’un événement qui, s’il se vérifie, amènera de fait celui qui se marie à rompre le lien. Bien plus, il faut à ce sujet faire plusieurs remarques :

 

 

  1. « Si le cas se présente » ne signifie pas « le désir qu’arrive le cas », mais « la caution prise si ce cas se présente » : celui qui se marie veut seulement se garantir face à un échec futur, mais il ne désire pas cet échec futur ;

 

  1. Le contractant peut également désirer et vouloir qu’une pacifique et heureuse vie commune dure jusqu’à la mort, et il peut également s’engager à la rendre heureuse, mais tout cela n’enlève rien et n’ajoute rien à la réserve qui a pour objet l’exclusion de l’indissolubilité du lien, puisque ce qui compte, précisément, c’est seulement l’acte positif de volonté qui a exclu de l’objet du consentement le bien essentiel de l’indissolubilité ;

 

  1. L’objet de l’acte positif de volonté n’est pas le divorce à faire – et même celui qui se marie peut également souhaiter ne jamais avoir à le faire – mais bien la réserve du droit de le faire »[24].

 

  1. L’EXCLUSION DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

  1. L’ordonnancement du mariage à la procréation

 

  1. En ce qui concerne l’exclusion du bien des enfants, il faut remarquer que dans ce cas il y a simulation du consentement en raison de l’exclusion d’un des éléments essentiels du mariage, puisqu’est exclue une de ses fins essentielles. Dans le Code en effet, le mariage est défini comme « l’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants […] » (c. 1055 § 1, cf. aussi c. 1061 § 1, c. 1096 § 1).

 

Cependant l’ordonnancement du mariage au « bien des enfants », en tant que finalité « institutionnelle » du mariage, et donc en tant qu’un de ses éléments essentiels, dont l’exclusion par un acte positif de volonté détermine la nullité du mariage, doit être exposé, au moins brièvement.

  1. Il n’y a pas de droit à l’enfant

 

Il faut d’abord déclarer que personne ne peut se conférer un droit à avoir des enfants. Car « l’enfant n’est pas un dû mais un don. ‘Le don le plus excellent du mariage’ est une personne humaine. L’enfant ne peut être considéré comme un objet de propriété, ce à quoi conduirait la reconnaissance d’un prétendu ‘droit à l’enfant’. En ce domaine, seul l’enfant possède de véritables droits : celui ‘d’être le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents, et aussi le droit d’être respecté comme personne dès le moment de sa conception’ »[25].

 

Au contraire, « le mariage ‘donne seulement aux conjoints […] le droit à accomplir les actes conjugaux qui, par eux-mêmes, sont ordonnés à la procréation’[26]. […] Le principe cité plus haut nous fait connaître au plus haut point la position doctrinale exacte, selon laquelle la question du bien des enfants doit toujours être qualifiée et mesurée avec les actes aptes par eux-mêmes à la procréation d’enfants, c’est-à-dire avec l’acte conjugal »[27].

 

En d’autres termes, « il faut dire qu’il n’est pas nécessaire à l’essence du mariage que naissent des enfants, mais seulement que les actes conjugaux soient ordonnés à la génération d’enfants »[28].

 

  1. Le droit-devoir à la génération et à l’éducation des enfants

 

Toutefois, si l’on examine proprement, soit ce qui est édicté au c. 1061 § 1, selon lequel le mariage « est ordonné par sa nature » « à l’acte conjugal apte de soi à la génération », soit ce que dit le c. 1055 § 1 déjà cité selon lequel « l’alliance matrimoniale (est ordonnée) par son caractère naturel […] à la génération et à l’éducation des enfants », il faut affirmer aussi que « le bien des enfants contient aussi les effets qui découlent naturellement du droit aux actes conjugaux, c’est-à-dire le droit-devoir à la mise au monde et à la conservation dans la vie des enfants éventuellement engendrés »[29].

 

  1. La distinction entre le droit-devoir et l’exercice-accomplissement

 

En outre il faut très attentivement faire une distinction entre l’exclusion du « droit-devoir » aux actes conjugaux à accomplir « de façon humaine », qui par eux-mêmes sont ordonnés à la procréation, et le refus de « l’exercice-accomplissement » de ce droit-devoir. Quand le mariage est célébré en effet, il est question de droits-devoirs à donner et à accepter mutuellement, mais non de leur exercice-accomplissement. C’est pourquoi a une force irritante l’acte positif de volonté qui atteint le droit-devoir lui-même, mais non l’acte de volonté qui regarde seulement l’exercice-accomplissement du droit concédé ou du devoir reçu. En effet, « comme l’essence d’une chose ne dépend pas de son usage, le droit et le devoir aux actes conjugaux peuvent exister bien que manquent, dans le cas concret, l’usage du droit et l’accomplissement du devoir […]. Une chose en effet est de ne pas donner le droit au bien des enfants dans ses principes, et une autre chose est de donner ce droit à son partenaire avec l’intention de violer ou de ne pas exécuter l’obligation reçue soit pour une période déterminée soit pour une période indéterminée »[30]. En d’autres termes, « ce qui rend nul le mariage, ce n’est pas le simple manque de procréation mais l’exclusion de la procréation ‘dans ses principes’[31], étant donné que ‘ne répugne pas à la substance du mariage le non-usage de celui-ci, mais le fait de ne pas pouvoir en user’[32] ».[33]

 

  1. La jurisprudence sur l’exclusion du droit-devoir

 

Bien que les principes juridiques soient clairs, il n’est pas facile de voir dans chaque cas s’il s’agit de l’exclusion du droit-devoir lui-même, ou seulement de l’exclusion du simple exercice-accomplissement. Toutefois la Jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique a élaboré certains critères.

 

Tout d’abord, « l’exclusion absolue des enfants fait conjecturer l’exclusion du droit aux actes conjugaux et donc la nullité du consentement […]. Comme il est bien connu, le contractant qui ne veut pas le mariage sauf s’il y a exclusion des enfants, ne peut pas en même temps vouloir assumer les obligations essentielles du bien des enfants »[34]

 

Quand il s’agit toutefois de l’exclusion hypothétique ou temporaire des enfants, il faut apporter les distinctions adéquates, parce que ce genre d’exclusion peut irriter le mariage s’il atteint le droit lui-même, qui « doit être donné et reçu non seulement mutuellement, mais pour toujours »[35]. En effet, « le droit, une fois donné dans le consentement, ne peut admettre aucune limitation de la part du contractant, même temporaire. C’est là où ressort clairement le sens de la distinction entre le droit non donné et l’abus du droit donné »[36].

 

Assurément on voit que rejette le droit lui-même celui qui exclut la procréation pour un temps absolument indéterminé, en la liant à la survenance d’un événement futur et totalement incertain, et en se réservant le droit de déterminer quand il faudra accomplir les actes aptes par eux-mêmes à la génération. « Dans cette hypothèse, écrit Mgr de Lanversin dans une sentence du 5 avril 1995, la validité du mariage est détruite, comme le tient la Jurisprudence de Notre For, à savoir que ‘celui qui se réserve, en contractant, la donation du droit si et pour autant qu’arrivent des événements certains dans l’avenir, ne donne pas le droit dans l’acte de la célébration, ceci sans le moindre doute, et par conséquent il restreint l’objet du consentement’[37] ».[38] Dans ce genre de cas en effet, de fait « le contractant n’accepte pas l’inclination naturelle des actes vers la procréation et, dans cette matière, il prétend se conduire comme l’unique source du droit »[39].

 

Cela peut arriver lorsque celui qui se marie, en raison de graves perplexités sur le sort de la future vie conjugale, exclut le lien de l’indissolubilité. Dans ces cas en effet, il est poussé à exclure absolument toute procréation, au moins pour un temps indéterminé, soit parce que des enfants peuvent être un obstacle pour retrouver sa liberté si les choses tournent mal, soit pour éviter que ces enfants ne subissent des dommages par la rupture éventuelle de la communauté de vie des conjoints.

 

Au contraire l’exclusion temporaire de la procréation, ordinairement, si elle signifie un simple report à plus tard, à une période peut-être plus propice, à une situation économique plus adéquate, tant pour le travail que pour l’habitation, peut s’accorder avec une donation-acceptation correcte du droit conjugal. En effet, « l’exclusion temporaire, selon la jurisprudence constante de Notre Tribunal Apostolique, fait présumer que les conjoints, par le report à plus tard de la procréation, entendent seulement repousser l’exercice du droit concédé, ce qui, par lui-même, comme il apparaît également de la doctrine de la responsabilité parentale, ne peut pas vicier le consentement matrimonial »[40].

 

  1. LA PREUVE  DE  LA  SIMULATION

 

  1. La preuve de toute simulation

 

  1. La preuve de toute simulation du consentement (et donc également de l’exclusion du bien du sacrement et de celle du bien des enfants) est, par nature même, difficile. Car il s’agit d’un acte interne connu de Dieu seul et contraire à l’acte manifesté extérieurement quand le mariage a été célébré, alors que dans le Code il est plus d’une fois déclaré qu’il y a une présomption pour la validité du mariage (cf. c. 124 § 2 ; c. 1060 et 1101 § 1). Cette preuve cependant, selon les critères reçus de la Jurisprudence traditionnelle, est possible, si toutefois trois éléments se retrouvent ensemble : « la confession du simulant, judiciaire et surtout extrajudiciaire, apportée par des témoins dignes de foi ; une cause grave et proportionnée de simulation, qui, bien distincte de la cause qui a poussé au mariage, prévale de fait sur elle ; des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui rendent la simulation réalisée non seulement possible, mais probable et très crédible »[41].

 

Ce « schéma » toutefois doit être adapté au cas sur lequel doit porter le jugement, car il s’agit principalement d’une question « de fait », et chaque « fait » a sa propre histoire, sa propre dialectique, ses propres personnes et ses propres circonstances particulières. Cela veut dire que le cas est à examiner selon les conditions concrètes et existentielles dans lesquelles se trouvait au moment du mariage celui à qui est imputée en justice la simulation du consentement.

 

En outre, dans ce genre de causes, qui « généralement reposent sur des indices »,[42] il faut bien remarquer que la vérité n’est pas à découvrir à partir de tel ou tel élément pris isolément, mais à partir de tous les moyens de preuve réunis, considérés dans leur ensemble, qui ne peuvent s’expliquer logiquement que si l’on reconnaît la simulation alléguée du consentement.

 

  1. Le rôle du juge

 

Les moyens de preuve doivent conduire à ce que « à partir des actes et des preuves » naisse « chez le juge la certitude morale au sujet de l’affaire à trancher par la sentence » (c. 1608 §  1 et 2).

 

Il appartient au juge, après avoir examiné soigneusement « selon sa conscience » (c. 1608 §  3) tous les moyens de preuve, de conclure si, dans le cas, la nullité du mariage est, « avec une certitude morale », prouvée pour les chefs allégués.

 

Cette évaluation doit être réalisée avec diligence et sans a priori, également pour respecter l’esprit du Code en vigueur qui « peut être considéré comme plus humain, c’est-à-dire qu’il s’étend à un plus grand respect pour l’homme et sa dignité ». Car « les normes codifiées dans le Code de 1983 reflètent une tendance vers un plus grand respect pour la personne dans son ensemble, un plus grand respect de l’humanité profonde de la personne. Le développement représente un respect fondé sur l’authentique ‘charité’ »[43]. En conséquence, « nous sommes certainement bien loin de la règle de l’article 117 de l’Instruction Provida Mater : ‘La déposition judiciaire des époux n’est pas apte à constituer une preuve contre la validité du mariage’ »[44].

 

D’ailleurs ceux qui s’adressent à un Tribunal ecclésiastique, « mûs par des raisons exclusives de conscience, savent bien que ne leur servirait à rien un prononcé judiciaire d’un tribunal de l’Eglise basé ou fondé sur des assertions qui ne correspondent pas à la vérité »[45].

 

  1. Règles spéciales pour les causes matrimoniales

 

C’est pourquoi justement « pour que soit exclue toute différence – autant que faire se peut – entre la vérité accessible dans le procès et la vérité objective, connue par la conscience droite »[46], s’il est statué dans le Code de Droit Canonique, de façon générale pour les jugements contentieux ordinaires : « Dans les causes […] qui concernent le bien public, l’aveu judiciaire et les déclarations des parties qui ne sont pas des aveux peuvent avoir valeur de preuve ; le juge devra les apprécier en relation avec les autres éléments de la cause », mais « une valeur probante plénière ne peut leur être reconnue à moins qu’il n’y ait d’autres éléments qui les corroborent pleinement » (c. 1536 § 1), une règle suivante, en ce qui concerne en propre les causes de nullité de mariage, prescrit : « A moins que les preuves n’aient par ailleurs pleine valeur probante, le juge, pour apprécier les dépositions des parties selon le c. 1536, fera appel, si c’est possible, en plus des autres indices et éléments, à des témoins sur la crédibilité des parties elles-mêmes. » (c. 1679)

 

En conséquence les déclarations judiciaires du simulant allégué doivent être évaluées à la lumière de sa propre crédibilité. Pour examiner celle-ci on ne méprisera pas les critères « extrinsèques » de crédibilité, c’est-à-dire ceux qui sont pris des témoignages, surtout ceux de prêtres ou de témoins qui sont vraiment dignes de foi. En outre, sont d’une très grande importance les critères « intrinsèques » de crédibilité, soit en tant que ces déclarations judiciaires, regardées en elles-mêmes, apparaissent comme constantes ou inconstantes, cohérentes ou non (cf. c. 1572, n. 3), soit en tant que ce qui est affirmé s’accorde ou non avec les faits concrets ou les circonstances. Car les faits peuvent être plus éloquents que les paroles. En conséquence il faut évaluer « les circonstances précédentes, concomitantes ou subséquentes, qui confirment par des faits absolument certains et concordants les déclarations crédibles, qui les rendent persuasives et qui montrent la volonté interne de celui qui s’est marié et sa détermination de contracter un mariage selon sa mentalité erronée ou faussée, ou de contracter un mariage à l’essai.[47] » [48]. En conséquence tous les indices concrets sont à regarder, surtout en ce qui concerne la conduite du simulant allégué. C’est pourquoi il faut examiner si les déclarations judiciaires « font état de faits concrets et objectifs »[49]. C’est-à-dire : il faut porter une très grande attention à la cohérence (ou au manque de cohérence) entre les faits et les déclarations. Les faits en effet peuvent éclairer fortement les déclarations et les rendre univoques, mais ils peuvent également démentir réellement ces dernières, de telle sorte qu’elles doivent être tenues pour de simples paroles en l’air ou des bavardages.

Sans aucun doute sont à étudier avec soin, et la « cause de la simulation » (« lointaine » ou « prochaine »), et la « cause qui a poussé au mariage ». Car il faut savoir avec certitude si le contractant a envisagé cette « cause de la simulation » comme grave, et bien plus si pour lui elle prévalait sur la « cause qui a poussé au mariage ». Si en effet la « cause de la simulation » n’est pas prouvée, la simulation, qui en est l’effet, ne peut même pas se concevoir.

 

« Le salut des âmes, dont parle le c. 1752 CIC, demande à coup sûr ou, plus exactement, impose » la diligence du juge, dont nous avons parlé, et son équité. « Le principe suprême de Notre For, en effet postule que ‘le rôle du juge dans ce genre de causes est sans aucun doute très difficile. Mais il serait extrêmement grave que le juge, dont la science, la prudence et l’équité sont invoquées dans l’administration de la justice, fuie ses responsabilités de juge et, par peur de se tromper, se tourne facilement vers le c. 1060 CIC. D’ailleurs, pour prononcer une sentence, il n’est pas requis une certitude absolue ou mathématique, mais il suffit d’une certitude morale, qui, si d’une part elle se distingue de la simple probabilité, parce qu’elle n’admet pas un doute positif et prudent, d’un autre côté n’exclut pas toute crainte prudente de se tromper’[50] ».[51]

 

 

IN  FACTO  (résumé)

 

S’il y a discordance entre la sentence négative de 1° instance et la sentence positive d’appel, c’est que le Tribunal d’appel a pu obtenir des éléments que n’avait pu recueillir le Tribunal de 1° instance.

 

Le mari, partie appelée, a refusé de répondre aux convocations des Tribunaux, et donc il n’a présenté aucun témoin, contrairement à la demanderesse, que ses propres témoins avaient bien connue à l’époque de son mariage.

 

  1. CRÉDIBILITÉ DE  LA  DEMANDERESSE

 

Le principal témoignage de la crédibilité de Barbara, la demanderesse, est celui du vicaire de sa paroisse qui a écrit au Tribunal d’appel : « Barbara ne demande pas la déclaration de nullité de son mariage pour des motifs sentimentaux, mais pour des motifs de conscience. Je suis certain de sa bonne foi […]. Elle vit sa foi dans la participation à la vie chrétienne […]. Elle souhaite, par la déclaration de nullité de son mariage, une garantie spirituelle et morale toujours plus en accord avec l’Eglise et le Christ ».

 

Et il est vrai que Barbara a voulu être en paix avec sa conscience. Les problèmes matériels avaient été réglés par le divorce civil et elle savait qu’elle ne pourrait retrouver la paix intérieure que si, devant le juge ecclésiastique, elle exposait sa vie conjugale selon la vérité.

 

De plus Barbara a toujours été constante, sur l’essentiel, lors de ses quatre auditions judiciaires.

Enfin il y a un indice indirect de crédibilité dans le fait que les témoins de la demanderesse ne parlent que de ce qu’ils ont vu ou entendu, même si leurs déclarations, au moins matériellement, n’aident pas toujours Barbara.

 

  1. ÉLÉMENTS COMMUNS  AUX  DEUX  CHEFS  DE NULLITÉ  ALLÉGUÉS

 

  1. La cause lointaine de la simulation

 

Même si Barbara, en 1° instance, a affirmé avoir été bien éduquée dans sa famille et dans son école tenue par les Sœurs Ursulines, en fait, si l’on regarde les actes de la cause, on s’aperçoit qu’elle n’a pas reçu une éducation chrétienne solide : « J’ai fréquenté régulièrement l’église jusqu’à 18 ans, mais ensuite seulement de temps en temps », reconnaît-elle, et elle ajoute : « Quand j’ai fréquenté Roberto, je suis devenue plus laïque et donc superficielle, sans comprendre l’importance du sacrement ».

 

Les actes nous apprennent aussi que sa fréquentation avec Roberto ne reposait sur « aucune vraie passion » et que peu de temps avant son mariage elle a eu des rapports intimes avec un collège de bureau.

 

Bref, Barbara ne mettait pas en accord sa vie avec ses principes religieux, et quant au divorce, elle le considérait comme une issue normale si les choses allaient mal dans son couple.

 

La cause lointaine de la simulation se trouve dans la mentalité que l’épouse avait au moment du mariage.

 

  1. La cause prochaine de la simulation

 

  1. Les fiançailles

 

Très vite après leurs fiançailles Barbara et Roberto ont eu des discordes et des querelles, surtout en raison de leurs différences de caractère et de l’animosité qui existait entre Barbara et sa future belle-mère. A l’automne 1996, les fiançailles ont été rompues, pour reprendre un an après, avec de nouvelles disputes, si bien que Roberto a proposé à Barbara, au printemps 1998, de rompre définitivement.

 

Le père de Barbara est alors intervenu. Il avait dépensé beaucoup d’argent pour les préparatifs du mariage, et devant sa réaction violente Roberto se résolut à épouser Barbara, malgré les querelles qui durèrent jusqu’au jour même du mariage, pendant le voyage de noces et les mois qui suivirent, jusqu’à la séparation définitive en avril 2000.

 

En conclusion, étant donné cette situation de conflit, Barbara, avant son mariage, avait des doutes sérieux sur l’avenir de son couple, comme elle l’a déclaré dans toutes ses dépositions judiciaires, ce que de plus confirment les témoins.

 

On peut dire qu’était psychologiquement grave pour Barbara la cause prochaine de la simulation.

 

  1. La « causa contrahendi matrimonium », la cause qui a poussé au mariage

 

Vers le milieu de l’année 1998, Barbara avait accepté d’épouser Roberto, pour qui elle avait de l’affection, mais « ce n’était pas une véritable passion », dit-elle, en précisant qu’à cause de cela leurs rapports intimes étaient rares. Puis il y a la rupture des fiançailles et la reprise de celles-ci : « Quand Roberto m’a proposé le mariage comme un moyen de rétablir nos bonnes relations, je n’ai pas eu la force de m’y opposer, car je pensais que les choses pourraient s’arranger ».

 

De plus il ne faut pas sous-estimer la réaction de son père, qui avait déjà dépensé beaucoup d’argent pour les préparatifs du mariage : « J’avais des doutes sur la réussite de mon mariage, je n’ai pas eu le courage de m’opposer à Roberto et encore moins à mon père » : ceci est un résumé exact de la situation de Barbara à la veille de son mariage.

 

Les témoins confirment cet état d’esprit de la demanderesse.

 

En conséquence, la « causa contrahendi matrimonium » n’était pas assez forte pour infirmer la cause prochaine de la simulation.

 

III.  EXCLUSION  DU  BIEN  DU  SACREMENT

 

Dans ses quatre dépositions judiciaires, Barbara a fait état de ses doutes sérieux sur l’issue de sa future vie conjugale. Il est inutile ici de reproduire les longues citations de la sentence c. Defilippi.

 

En ce qui concerne la « confession extrajudiciaire », il n’y a que peu de témoins : la mère de Barbara, la cousine de celle-ci, un collègue de travail de la demanderesse, mais ils déclarent tous trois que Barbara avait des doutes sur la réussite de son mariage et, dit son collègue : « Elle n’a jamais fait mystère qu’en cas d’échec elle n’hésiterait pas à divorcer. »

 

Les circonstances, par ailleurs, militent pour la simulation : les disputes pendant les fiançailles, dont la gravité est confirmée par le fait que la vie conjugale, dès le début, a connu des affrontements ; comme on en parlera bientôt, la demanderesse a toujours refusé d’avoir des enfants en raison de ses querelles avec Roberto et de ses doutes sur l’issue du mariage ; la séparation a été sanctionnée par le Tribunal Civil sous la forme « consensuelle » sur les instances de Barbara.

 

Ce complexe d’éléments de preuve convainc le Tribunal que la demanderesse a simulé son consentement par exclusion du bien du sacrement.

 

 

  1. EXCLUSION DU  BIEN  DES  ENFANTS

 

La demanderesse a déclaré judiciairement qu’elle s’était mariée « avec la volonté précise de ne jamais avoir d’enfants de Roberto, parce qu’il aurait été absurde de mettre au monde un enfant dans les conditions où nous étions ». Elle a redit son refus à chacune de ses dépositions.

 

Là encore les témoins sont peu nombreux, mais formels. La cousine de Barbara confirme qu’avant le mariage celle-ci lui a dit qu’elle ne voulait pas avoir d’enfant de Roberto étant donné la conduite de celui-ci. Rosa Anna, le père et la mère de Barbara redisent la même chose.

 

Les circonstances, enfin, achèvent de convaincre les juges. La demanderesse a toujours usé de moyens contraceptifs, comme elle le déclare et que confirment les témoins.

 

La certitude morale nous est acquise de la simulation du consentement par exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse demanderesse.

 

 

Constat de nullité pour

– exclusion du bien du sacrement

– exclusion du bien des enfants

de la part de l’épouse demanderesse

 

Vetitum pour l’épouse

 

 

Giovanni Baptista DEFILIPPI, ponent

Robert SABLE

Egidio TURNATURI

 

__________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1950, n. 21

[2] C. TURNATURI, 16 juin 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 362, n. 8

[3] C. STANKIEWICZ, 24 février 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 108, n. 5

[4] S. THOMAS, Somme Théologique, I-II, q. 1, art. 1

[5] Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 17

[6] Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48

[7] Cf. Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48 ; Exhortation Apostolique FAMILIARIS CONSORTIO, n. 20

[8] AAS 94, 2002, p. 342, n. 3

[9] C. SABLE, 13 avril 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 340, n. 3

[10] ULPIEN, D, 14, 9

[11] C. BRUNO, 12 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 145, n. 4

[12] C. STANKIEWICZ, 23 juillet 1982, SRRDec, vol. LXXIV, p. 423, n. 3

[13] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 21 janvier 2000, AAS 92, 2000, p. 352, n. 4

[14] A. STANKIEWICZ, Simulatio per actum positivum voluntatis, Periodica 87, 1998, II-III, p. 280-282

[15] O. GIACHI, Il consenso nel Matrimonio Canonico, Milan 1968, p. 92

[16] C. POMPEDDA, 22 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 948, n. 2

[17] C. FUNGHINI, 5 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 436, n. 4

[18] Comment. in Lib. IV Sententiarum, dist. XXXI, q. 1, art. 3, in c.

[19] Const. Apost. Sacrae disciplinae leges, par laquelle, le 25 janvier 1983, a été promulgué le nouveau Code

[20] C. FUNGHINI, 5 juin 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 436, n. 2

[21] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 26 janvier 2002, AAS 94, 2002, p. 342, n. 3

[22] C. MONIER, 27 avril 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 295, n. 4

[23] C. PALESTRO, 24 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 215, n. 4

[24] S. VILLEGIANTE, L’esclusione del « bonum sacramenti », dans l’ouvrage collectif La simulazione del consenso matrimoniale canonico, Cité du Vatican 1990, p. 213 sq.

[25] Instr. Donum vitae, 2, 8, AAS 80, 1988, p. 97 ; Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2378

[26] Instr. Donum vitae, n. 1

[27] C. POMPEDDA, 3 juillet 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 583, n. 3

[28] C. SABLE, 29 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 443, n. 7

[29] C. HUBER, 1° juillet 1998, sent. 71/98, n. 5

[30] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 300, n. 19

[31] S. THOMAS, Supplément, q. 49, art. 3

[32] BENOÎT XIV, De Synodo diocesana, XIII, 22, 11

[33] C. FUNGHINI, 22 février 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 132, n. 4

[34] C. POMPEDDA, 19 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 495, n. 5-7

[35] C. FUNGHINI, 15 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 282, n. 4

[36] C. SABLE, 14 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 595, n. 8

[37] C. BRENNAN, 14 octobre 1966, SRRDec, vol. LVIII, p. 724, n. 3

[38] C. de LANVERSIN, 5 avril 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 255, n. 8

[39] C. MONIER, 18 février 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 187, n. 4

[40] C. BRUNO, 1° février 1991, SRRDec., vol. LXXXIII, p. 68, n. 5

[41] C. TURNATURI, 20 octobre 2005, sent. 104/05, n. 16

[42] C. PALESTRO, 18 mai 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 299, n. 7

[43] M.F. POMPEDDA, Decizione-sentenza nei processi matrimonali, dans Studi di diritto processuale canonico, Giuffré Editeur, Milan 1995, p. 184

[44] M.F. POMPEDDA, Verità e giustizia nella doppia sentenza conforme, dans l’ouvrage collectif La doppia conforme nel processo matrimoniale, Cité du Vatican 2003, p. 15

[45] Même ouvrage, même endroit

[46] Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, du 14 septembre 1994 sur la communion pour les divorcés remariés, AAS 86, 1994, p. 492, n. 9

[47] Cf. c. STANKIEWICZ, 25 avril 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 285, n. 10 ; c. STANKIEWICZ, 26 février 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 111, n. 23

[48] C. TURNATURI, 18 décembre 2008, 195/08, n. 13

[49] C. FALTIN, 24 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 334, n. 10

[50] C. BRUNO, 30 mai 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 356 sq., n. 9

[51] C. SABLE, 2 avril 1998, SRRDec, vol. XC, p. 315, n. 7