Archive annuelle 27 janvier 2017

Yaacoub 10/02/2010

Coram  YAACOUB

 Incapacité  d’assumer

 Tribunal  Régional  du  Triveneto  (Italie) – 10 février 2010

P.N. 20.354

Constat de nullité

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. CAPACITÉ ET  INCAPACITÉ  D’ASSUMER  LES  OBLIGATIONS  ESSENTIELLES DU

MARIAGE

  1. La capacité psychique naturelle requise pour le mariage
  2. Les obligations essentielles et les trois biens du mariage

 

  1. L’OBLIGATION DU  BIEN  DES  ENFANTS  ET  L’OBLIGATION  DU  BIEN  DES

CONJOINTS

  1. La coopération sexuelle indispensable
  2. L’impossibilité morale de la coopération sexuelle

 

III.  LES DÉFAUTS  DE  LA  SEXUALITÉ

  1. L’anorgasmie
  2. La dyspareunie
  3. Le DSM IV-TR

 

  1. L’INFLUENCE DE  LA  SEXUALITÉ  DANS  LE  CONSENTEMENT  MATRIMONIAL
  2. Les enseignements de la doctrine
  3. Le droit au corps, ou devoir conjugal

 

  1. NOTE SUR  L’ÉGOCENTRISME

 

  1. LA PREUVE  DE  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

__________

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Roberto M. et Katia F., nés respectivement le 29 mai 1971 et le 8 août 1973, se rencontrent en 1986. Dix ans plus tard Katia demande à Roberto de l’épouser. Le mariage a lieu le 23 mai 1998. Le voyage de noces se déroule au Brésil.

 

La vie conjugale ne dure pas longtemps, l’épouse supportant mal les intimités avec son mari, qui se révèle intempérant et parfois violent. Aucun enfant ne naît au foyer. Les époux se séparent de fait en 2000 et en droit le 2 mars 2001.

 

Le 3 novembre 2001, le mari s’adresse au Tribunal régional du Triveneto, accusant son mariage de nullité pour manque de discretio judicii et/ou incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage de la part des deux époux. Une expertise est réalisée. La sentence du 29 décembre 2003 est négative sur les deux chefs.

Le mari fait appel à la Rote le 25 mai 2004, et il demande que soit ajouté un nouveau chef, à juger comme en première instance, à savoir l’exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse partie appelée, ce qui est accepté par le Tour Rotal, le 17 novembre 2006.

 

Une expertise est réalisée le 22 juin 2007. Le 1° février 2008 le Tour, coram Sciacca, rend une sentence affirmative, mais seulement pour incapacité de l’épouse partie appelée d’assumer les obligations essentielles du mariage.

 

La cause est transmise au Tour supérieur qui concorde le doute sur l’incapacité de l’épouse d’assumer les obligations essentielles du mariage pour des causes de nature psychique.

 

 

EN  DROIT

 

  1. CAPACITÉ ET  INCAPACITÉ  D’ASSUMER  LES  OBLIGATIONS  ESSENTIELLES  DU

MARIAGE

 

  1. L’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage est le défaut de l’objet du consentement parce que l’objet du consentement est le don et l’acceptation du droit du mariage. Le c. 1095, 3° statue : « Sont incapables de contracter mariage les personnes […] qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ». De droit naturel et par disposition du canon cité, sont incapables de contracter mariage les personnes qui, pour des causes de nature psychique, ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage.

 

  1. La capacité psychique naturelle requise pour le mariage

 

La capacité psychique naturelle, pour réaliser l’alliance de l’amour conjugal par une décision délibérée consciente et libre, requiert de chacun des contractants :

  1. l’usage suffisant de la raison pour émettre un consentement personnel conscient et libre ;
  2. une nécessaire discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage, afin que le consentement devienne conforme à son objet formel essentiel sous l’aspect des droits et des obligations ;
  3. la possibilité psychique d’assumer les obligations essentielles du mariage, c’est-à-dire la possibilité pour ceux qui se marient de disposer, par leur consentement libre, de l’exécution de ces obligations.[1]

 

  1. Les obligations essentielles et les trois biens du mariage

 

  1. A ce sujet, Mgr Pompedda fait les remarques suivantes : « Les obligations essentielles sont surtout contenues dans les trois biens du mariage, et parmi elles on peut énumérer :
  2. l’obligation d’accepter tant la conception d’un enfant de la part de l’autre conjoint par un acte conjugal apte à la génération, que la naissance et l’éducation de cet enfant (bien des enfants) ;
  3. l’obligation de garder la fidélité conjugale, c’est-à-dire l’exclusivité de la communauté conjugale, fondée sur un lien unique et exclusif, ainsi que la modalité humaine des actes de l’amour conjugal (bien de la fidélité) ;
  4. l’obligation de sauvegarder l’indissolubilité, c’est-à-dire la perpétuité de la communauté conjugale (bien du sacrement).

 

A cela s’ajoute :

  1. l’obligation inscrite dans le bien des conjoints (c. 1055 § 1), à savoir d’instaurer et de soutenir la communauté de vie et d’amour conjugal par une mutuelle intégration psychosexuelle et interpersonnelle des époux »[2].

 

En ce qui concerne les obligations essentielles du mariage, la sentence en appel précise : « En un mot, elles sont celles qui se trouvent dans les biens dits ‘augustiniens’, c’est-à-dire les biens de la fidélité, du sacrement et des enfants, en tant qu’obligations qui touchent à l’essence du mariage, mais elles ne se trouvent pas dans tout ce qui se rapporte à l’espèce parfaite du mariage ou à sa pleine et harmonieuse figure ».

 

  1. L’OBLIGATION DU  BIEN  DES  ENFANTS  ET  L’OBLIGATION  DU  BIEN  DES

CONJOINTS

 

  1. La coopération sexuelle indispensable

 

Aux termes du c. 1061 § 1, le mariage est ordonné par sa nature au bien des enfants, c’est-à-dire à la génération d’enfants, ceci par « quelque coopération sexuelle » (c. 1096 § 1), qui réalise la communauté de toute la vie entre les conjoints et qui doit être accomplie de manière humaine (c. 1061 § 1). Il en résulte que si un époux ne peut faire « de manière humaine » le don total de lui-même, corps et âme, pour des causes de nature psychique qui rejaillissent également en effets sexuels, ou plus justement en défauts sexuels, il contracte invalidement.[3]

 

  1. Cette anomalie psychique n’est pas par elle-même la cause de la nullité du mariage ; par contre elle est l’origine de l’incapacité d’assumer, c’est-à-dire de l’incapacité consensuelle. C’est pourquoi, pour vérifier, dans un cas concret, la capacité du contractant, il faut porter son attention sur la gravité de l’anomalie psychique – qui serait une notion médicale dans le c. 1095, 3° autrement que dans le c. 1095, 2° où elle n’est pas prescrite – autant que sur l’impossibilité réelle de la part du contractant, en raison de cette anomalie, d’assumer les obligations essentielles du mariage, impossibilité qui, au contraire, est une notion juridique, sous le pouvoir non des experts, mais du Juge.

 

  1. L’impossibilité morale de la coopération sexuelle

 

  1. Il ne s’agit pas d’une simple difficulté, mais d’une véritable impossibilité morale. Une fois prouvée cependant l’incapacité réelle d’assumer et de remplir les obligations essentielles du mariage, et cela au moment où ce mariage est célébré, il faut prouver que l’incapacité tire son origine d’une cause de nature psychique. Les causes de cette incapacité peuvent en effet être seulement de nature psychique et sous la forme d’une véritable anomalie : « On ne peut faire l’hypothèse d’une véritable incapacité qu’en présence d’une forme sérieuse d’anomalie qui, de quelque façon qu’on la définisse, doit entamer de manière substantielle les capacités de comprendre et/ou de vouloir de celui qui contracte »[4]. En effet, la simple difficulté dans la constitution de la communauté de vie n’implique pas la nullité du mariage, c’est-à-dire ne démontre pas l’incapacité du contractant à émettre un consentement valide en raison du chef de nullité visé par le c. 1095, 3°.

 

  1. La Jurisprudence Rotale affirme qu’existe l’incapacité du c. 1095, 3° :

« a. S’il y a, non pas une simple difficulté, même grave, mais une impossibilité en raison d’une anomalie psychique, qui atteint la structure psychique du contractant ;

  1. Si cette anomalie pathologique est d’une telle importance que le contractant, bien qu’il conserve intacte sa faculté de discernement, est privé, totalement ou partiellement, de la faculté de disposer de l’objet du consentement matrimonial ;
  2. Si l’anomalie ou la perturbation de la personnalité est antérieure au mariage et présente dans sa forme grave au moment de l’émission du consentement ;
  3. Si la pathologie est si grave qu’elle rende intolérable la communauté conjugale et si elle ne peut pas s’améliorer »[5].

 

Enfin l’incapacité du c. 1095, 3° « ne regarde pas la faculté intellective ou critique du contractant mais elle concerne sa capacité pratique à mener à son effet l’objet du consentement, qui pourrait manquer en raison d’une grave anomalie psychique ou d’une immaturité psycho-affective existant, bien que de façon latente, au moment où le mariage a été contracté, au point que ceux qui se marient ne peuvent pas s’obliger en ce qui concerne les obligations essentielles du mariage, ou tenir leurs promesses »[6]. Comme on l’a dit plus haut, la capacité d’assumer le devoir de communion de la vie conjugale, considérée en elle-même, se réfère à de nombreux éléments essentiels de cette communion, soit en ce qui concerne la relation sexuelle, soit en ce qui se rapporte à la relation interpersonnelle. Toute l’investigation doit se tourner vers le sujet, qui est dit incapable, c’est-à-dire vers la cause psychique.

 

  1. L’habilité à la relation interpersonnelle

 

Dans une sentence c. Stankiewicz, du 24 octobre 1985, il est affirmé : « Dans les causes d’incapacité, il faut procéder au maximum à une recherche ‘sur l’habilité à la relation interpersonnelle’ ; il faut surtout considérer très attentivement le domaine de la vie psychique où s’instaure la relation interpersonnelle et où elle se développe […] parce que si cette habilité vient à manquer, il sera inutile de discuter des droits et des devoirs conjugaux, de même qu’on insistera en vain sur la faculté ou le devoir, qui, en raison de l’impossibilité, sont privés de leur substance »[7].

 

III.  LES  DÉFAUTS  DE  LA  SEXUALITÉ

 

  1. A propos du défaut de la sexualité, en cette cause, la sentence en appel remarque justement : « En ce qui concerne les défauts de la sexualité, d’où ne découle pas nécessairement l’impuissance, il faut parmi eux placer tous ceux qui empêchent l’exercice correct, à réaliser de manière humaine, des actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants.

 

Parmi les maladies qui peuvent empêcher l’exercice normal de la sexualité, ordonné à l’obtention du bien des conjoints, c’est-à-dire à la formation de la communauté conjugale qui comprend le bien des enfants, l’aide mutuelle et la donation sexuelle (‘le remède à la concupiscence’), on trouve l’Anorgasmie et la Dyspareunie.

 

  1. L’anorgasmie

 

« L’anorgasmie – lit-on dans le ‘Dizionario medico’ – est l’incapacité de la femme à atteindre l’orgasme après une phase d’excitation normale. Elle peut être primaire (la femme n’a jamais eu d’orgasme) ou secondaire (perte de la capacité d’avoir un orgasme) […]. Dans la majeure partie des cas, l’anorgasmie est due à des problèmes de caractère psychologique, moins souvent à des causes organiques.[8]

  1. La dyspareunie

 

Par dyspareunie, on entend un rapport sexuel douloureux et difficile pour la femme. Si cet état se manifeste durant les premiers rapports sexuels, il est souvent dû au vaginisme, causé par la contraction de la musculature périnéale et par un spasme de la partie plus extérieure du canal vaginal en absence de sécrétion. Le responsable de cette situation peut être un hymen particulièrement rigide. Parfois elle se manifeste par une peur anticipatoire ou une répulsion pour la pénétration du pénis. Ce trouble peut être associé à une personnalité anxieuse, immature, ou être le symptôme d’un trouble psychologique[9] ».[10]

 

  1. Le DSM IV-TR

 

  1. Le Manuel DSM IV-TR propose « un diagnostic différentiel avec la ‘Dysfonction sexuelle due à un état médical général’ (dyspareunie due à des effets physiologiques tels que : insuffisante lubrification vaginale, pathologie pelvienne due à des infections vaginales ou urinaires, endométriosie, adhérence ou tissu cicatriciel vaginal, atrophie vaginale post-ménopausale, chute des oestrogènes durant l’alimentation, irritations ou infections des voies urinaires, troubles gastro-intestinaux) et la ‘Dysfonction sexuelle induite par des substances’ (dyspareunie causée par exemple par l’usage de flufénazine, tioridazine ou amoxapine). Si la dyspareunie est concomitante avec l’une des dysfonctions décrites et s’il arrive que concourent encore des facteurs intrapsychiques ou interpersonnels, on proposera le diagnostic de ‘dyspareunie due à des facteurs combinés’; s’il n’y a pas la présence de dysfonctions de l’état médical général ou d’inductions de substances, on regardera une espèce de ‘Dyspareunie due à des facteurs psychologiques’ ».

 

Donc, la dyspareunie est caractérisée par « des douleurs provoquées chez la femme par des rapports sexuels. Si la dyspareunie peut être liée à des facteurs anatomiques ou infectieux, elle est le plus souvent d’origine psycho-affective. L’abord psychothérapique est alors indispensable »[11].

 

  1. L’INFLUENCE DE  LA  SEXUALITÉ  DANS  LE  CONSENTEMENT  MATRIMONIAL

 

  1. Les enseignements de la doctrine

 

  1. Sur l’influence de la sexualité en ce qui concerne le consentement matrimonial, la sentence en appel note que le Magistère, sur lequel s’appuient à juste titre – comme fondement nécessaire et inébranlable – la doctrine canonique ci-dessus rappelée et la jurisprudence, enseigne très clairement :

 

« La sexualité est ordonnée à l’amour conjugal de l’homme et de la femme. Dans le mariage l’intimité corporelle des époux devient un signe et un gage de communion spirituelle. Entre les baptisés, les liens du mariage sont sanctifiés par le sacrement »[12].

 

« La sexualité, par laquelle l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre par les actes propres et exclusifs des époux, n’est pas quelque chose de purement biologique, mais concerne la personne humaine dans ce qu’elle a de plus intime. Elle ne se réalise de façon véritablement humaine que si elle est partie intégrante de l’amour dans lequel l’homme et la femme s’engagent entièrement l’un vis-à-vis de l’autre jusqu’à la mort »[13].

 

« Les actes […] qui réalisent l’union intime et chaste des époux sont des actes honnêtes et dignes. Vécus d’une manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance »[14].

 

« La sexualité est source de joie et de plaisir »[15].

 

  1. Le droit au corps, ou devoir conjugal

 

  1. Personne en effet ne met en doute que parmi les obligations essentielles, c’est-à-dire les droits et devoirs du mariage, dont parle le c. 1095, 3°, en tant que facultés légitimes d’agir et d’exiger, il y a en vérité ce que le langage classique appelle le « droit au corps », en d’autres termes le « devoir conjugal », c’est-à-dire l’exercice de la sexualité entre conjoints, qui doit s’effectuer de manière humaine et qui est ordonné à la génération d’enfants (c. 1055).

 

Le contractant qui, en raison de graves difficultés d’ordre sexuel, provenant de causes de nature psychique, ne peut effectuer l’exercice correct (« humano modo ») de la sexualité, compte tenu de la relation très étroite entre la sphère psychique et la sphère génitale, contracte invalidement en vertu du c. 1095, 3°[16].

 

  1. La question se pose – lit-on dans la première sentence – du commerce sexuel entre époux, dont parle ouvertement le Concile Vatican II : « Cette affection a sa manière particulière de s’exprimer et de s’accomplir par l’œuvre propre du mariage. En conséquence les actes qui réalisent l’union intime et chaste des époux sont des actes honnêtes et dignes. Vécus d’une manière vraiment humaine, ils signifient et favorisent le don réciproque par lequel les époux s’enrichissent tous les deux dans la joie et la reconnaissance »[17].

 

Sous cet aspect, « cette affection appartient à l’essence même de l’alliance conjugale et elle a, comme par elle-même, une consistance et une subsistance par rapport au bien des conjoints […] même abstraction faite de ces actes aptes à la génération d’enfants […] avec lesquels cependant elle ne fait qu’un et n’est conçue que comme une unité »[18].

 

  1. NOTE SUR  L’ÉGOCENTRISME

 

  1. En ce qui concerne la définition de l’égocentrisme, on peut dire ceci : « Façon de tout ramener à soi. Se référer essentiellement à soi-même, considérer ses comportements, ses jugements, ses opinions comme seules références et critères valables, substituer sa propre subjectivité à l’objectivité résument l’égocentrisme. Relativement fréquente, elle est cependant irritante pour autrui mais ne devient trouble psychique que lorsqu’elle prend des proportions anormales car exagérées et systématiques », ou encore : « Intérêt que le moi porte à lui-même. La personne n’envisage les choses que par rapport à elle-même et ne connaît que son point de vue personnel. Tendance à se considérer comme le centre de l’univers. L’égocentrisme est majeur dans les paranoïas mais se rencontre également dans d’autres troubles mentaux comme l’hypochondrie, la mythomanie, la mégalomanie »[19].

 

 

 

 

  1. LA PREUVE  DE  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Dans la cause présente, la preuve de l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage pour des causes de nature psychique, de la part de la femme, est à chercher surtout dans la déclaration du demandeur et dans celle de l’épouse partie appelée, ensuite dans les dépositions des témoins dignes de foi, les unes et les autres confirmées en jugement. Par ailleurs il ne faut pas oublier des indices, des éléments et des circonstances d’avant et d’après le mariage.

 

Enfin le juge devra examiner le rapport de l’expert.

 

Il faut surtout évaluer la crédibilité des personnes qui font des déclarations et leur cohérence intrinsèque et extrinsèque. Il faut donc bien distinguer « l’objet des preuves » et les « moyens de preuve ». L’objet de la preuve, en effet, sont les faits affirmés par le demandeur pour fonder sa demande, c’est-à-dire la demande de sa cause. Les moyens de preuve sont les instruments par lesquels la vérité des faits peut être découverte par le Juge. Ces instruments, on l’a dit, sont les déclarations des parties, des documents, les dépositions des témoins, des présomptions et des expertises. Selon le précepte du c. 1680, dans les causes de défaut du consentement, « le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts, à moins qu’en raison des circonstances cela ne s’avère manifestement inutile ». Il revient au Juge de nommer les experts, « ou bien, le cas échéant, de prendre en compte les rapports déjà établis par d’autres experts » (c. 1575).

 

Le juge cependant doit apprécier attentivement « non seulement les conclusions, même concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause » (c. 1579 § 1). Toutefois le juge n’est pas tenu de suivre, contre son propre sentiment, les conclusions des experts, même concordantes. Son rôle est d’examiner de façon critique, selon le droit, les rapports d’expertise, en tenant compte des autres données de la cause. « Les experts doivent indiquer clairement […] par quelle voie et selon quelle méthode ils ont procédé dans l’exécution de la mission qui leur a été confiée, et principalement sur quels arguments ils appuient leurs conclusions » (c. 1578 § 2). Il doit examiner les présupposés anthropo-logiques selon lesquels l’expertise a été réalisée. Dans son Discours à la Rote du 5 février 1987, Jean-Paul II affirmait que le dialogue et la communication efficace entre le juge et le psychiatre ou le psychologue sont plus faciles si le point de départ de l’un et l’autre se situe dans les limites de l’anthropologie commune de telle sorte que même si la méthode, les questions et les finalités sont différentes, cependant la vision de l’un reste ouverte à l’autre.[20]

 

Il faut donc avoir présent à l’esprit le principe souligné par l’art. 209 § 2, 3° de l’Instruction Dignitas Connubii, selon lequel, dans les causes pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage il faut rechercher la gravité de la cause psychique « à cause de laquelle la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais également d’une impossibilité d’accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage ».

 

  1. A propos des preuves, la sentence en appel fait justement remarquer : « Comme nous l’avons dit plus haut, dans ces causes, il faut absolument que les experts apportent leur concours au juge (c. 1680, 1574), soit en ce qui concerne l’aspect spécifiquement physique, soit en ce qui concerne les causes de nature psychique d’où provient la difficulté sexuelle : c’est au juge uniquement qu’il revient d’évaluer et de critiquer ces rapports d’expertise, surtout avec l’ensemble du complexe de la cause, en même temps qu’avec une appréciation attentive des événements qui ont eu lieu avant et après le mariage »[21].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Les défauts de l’épouse dans le domaine de la sexualité ont eu une incidence sur sa capacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, sous un triple aspect :

– a. Incapacité du don de la sexualité.

Le demandeur et l’épouse reconnaissent avoir eu de très rares relations sexuelles, et le docteur V., à propos de cette anorgasmie, évoque l’hypothèse d’une structure névrotique, comme aussi l’expert, docteur Z.

– b. Incapacité d’assumer des relations stables.

Le premier expert affirme que l’épouse souffre d’une pathologie qui empêche le contact profond et durable avec l’autre, ce que souligne la 1° sentence rotale.

– c. Incapacité de procurer une communauté de vie tolérable, comme le reconnaît l’épouse.

 

L’incapacité de l’épouse est antérieure au mariage (expert, docteur Z.), et elle est grave (expert, docteur Z.).

 

Les témoins affirment que l’incapacité de l’épouse à remplir les obligations essentielles du mariage provient de la sexualité : ainsi la mère et le père de Katia, l’oncle de l’épouse, missionnaire au Brésil, qui a reçu des confidences de celle-ci, ainsi également plusieurs prêtres qui, eux, ont été informés par le mari demandeur.

 

Le premier expert, le docteur V., a dû faire une expertise sur dossier, l’épouse ayant refusé de le rencontrer. Il parle à son sujet de Trouble histrionique de la Personnalité, cause des difficultés sexuelles de la femme. L’expert rotal, le docteur Z., a lui aussi essuyé un refus de la part de l’épouse pour une expertise psychiatrique, et, après étude des actes, il conclut comme son confrère de 1° instance à un Trouble histrionique de la Personnalité, qui a pu comporter une répulsion des relations sexuelles, et il évoque aussi une aversion sexuelle ou encore une frigidité maladive. (Il est inutile de reproduire ici les longues remarques de l’expert reprises par la 2° sentence rotale.)

 

En conclusion, les Auditeurs soussignés estiment que l’épouse souffrait de difficultés dans les relations sexuelles. L’origine de ces difficultés est incertaine : hystérie, frigidité, mais il est sûr que l’épouse était incapable de remplir « humano modo » le devoir conjugal par une vie sexuelle correcte.

 

Il ne s’agit donc pas de simples difficultés mais d’une véritable répugnance de l’épouse pour les relations sexuelles et donc d’une incapacité d’accomplir et d’assumer les obligations essentielles du mariage.

 

 

– Constat de nullité pour incapacité d’assumer                           Abdou YAACOUB, ponent

de la part de l’épouse                                                                       Javier AROKIARAJ

– Vetitum pour l’épouse                                                                     Alessandro CEDILLO

__________

[1] Cf. c. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 344, n. 3

[2] C. POMPEDDA, 10 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 835, n. 13

[3] Cf. sentence en appel, n. 13

[4] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 5 février 1987, AAS 79, 1987, p. 1457, n. 7

[5] C. FALTIN, 7 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 587, n. 6

[6] Cf. SABLE, 15 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 857, n. 8

[7] C. STANKIEWICZ, 24 octobre 1985, SRRDec, vol. LXXVII, p. 447, n. 5

[8] UTET, Turin 2004, vol. I, p. 110

[9] Ouvrage cité, p. 478-479

[10] Sentence en appel, n. 14

[11] Dictionnaire critique des termes de psychiatrie et de santé mentale, Dion, 2005, p. 119

[12] Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2360

[13] Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2361 ; JEAN-PAUL II, Familiaris Consortio

[14] GAUDIUM et SPES, n. 49

[15] Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2362

[16] Cf. sentence en appel, n. 17-20

[17] GAUDIUM et SPES, n. 49

[18] C. de LANVERSIN, 24 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 230, n. 8

[19] Dictionnaire critique des termes de psychiatrie et de santé mentale, Dion, 2005, p. 124

[20] Cf. JEAN-PAUL II, Discours à la Rote du 5 février 1987, AAS 1987, p. 1455, n. 3

[21] Sentence en appel, n. 21

Procédures de recours administratif

Procédures de recours :

Le système de la justice ecclésiastique figure parmi les institutions les plus dynamiques rapidement introduites dans le droit ecclésiastique après le second Concile œcuménique du Vatican, c’est-à-dire la revendication des droits subjectifs qui seraient déclarés blessés par un acte de l’autorité administrative prétendument illégitime[1].

Actuellement, le canon 1400 §2, situé en introduction du livre VII sur les procès, distingue les trois voies de recours que sont la voie judiciaire classique, non applicable aux actes administratifs, et les deux voies administrative et judiciaire qui constituent le mode de justice administrative. La procédure à suivre dans ces recours fait l’objet des canons 1732 et suivants.

En pratique, en cas de contestations par rapport à un acte administratif de l’autorité, voici, très schématiquement les démarches à accomplir en respectant scrupuleusement les délais :

  1. d’examiner dans la prière si l’acte administratif ne traduit pas l’expression de la volonté de Dieu pour nous ;
  2. dans le cas contraire, de dialoguer pour éviter le conflit ;
  3. en cas d’échec de demander formellement à l’auteur de l’acte de le modifier ou de le retirer et ce, dans les dix jours suivant la notification de l’acte ;
  4. en cas d’échec , de déposer un recours gracieux auprès du supérieur hiérarchique, dans les 15 jours qui suivent la notification de l’acte ou un silence persistant pendant 30 jours ;
  5. en cas d’échec,  de déposer un recours gracieux auprès du dicastère compétent de la Curie romaine, dans les 15 jours qui suivent la notification de l’acte ou un silence persistant pendant 30 jours ;
  6. en cas d’échec, de déposer un recours contentieux-administratif auprès du Tribunal suprême de la Signature apostolique dans les 60 jours après la réponse du Dicastère ou son silence persistant pendant 30 jours.

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[1] Ce canon ouvre la section 1 du livre V sur les procès, consacrée aux recours contre les décrets administratifs.

[1] Daniel (William L.), “The doctrinal contribution of Zenon Grocholewski to the canonical notion of administrative justice”, Studia canonica, 46 (2012), p. 183. Traduction de l’anglais par l’auteur.

Jubilé de la justice administrative de l’Eglise catholique

Le 15 août 1967, après que le Concile a indiqué les droits et obligations des fidèles catholiques, le pape Paul VI crée la seconde section du Tribunal suprême de la Signature apostolique en vue de « trancher les contestations nées de l’exercice du pouvoir administratif ecclésiastique ».

L’année 2017 marque donc le jubilé de la justice administrative de  l’Église catholique, mais qui la connaît ?

Pour répondre à cette question, L’Harmattan vient de publier  le livre d’Yves-Alain Ducass : La justice administrative de l’Église catholique. 50 années au service du bien commun de l’Église et de la protection des droits des fidèles vues par un fidèle catholique.

Par ce livre, l’auteur vise cinq objectifs suivants

  1. Évoquer, de son point de vue, les progrès accomplis par l’Église catholique en cinquante années d’exercice de la justice administrative ;
  2. illustrer sa mise en œuvre pratique par une centaine d’exemples de conflits et de jurisprudence ;
  3. faire connaître aux différentes catégories de fidèles leurs droits et obligations vis-à-vis de la hiérarchie de l’Église catholique, ainsi que les moyens de les défendre ;
  4. apporter une contribution scientifique au monde des canonistes, à partir d’une base de données inédite sur la jurisprudence administrative ; (Cf partie professionnelle du site)
  5. contribuer à la communion ecclésiale en célébrant dans la joie le jubilé de la justice administrative de l’Église et en proposant des pistes d’améliorations.

Voici les premiers retours de ce livre :

  • Michel Dubost, évêque d’Evry Corbeil-Essonnes : Cher monsieur, merci beaucoup. Ce genre de livre est très précieux. Que Dieu vous garde !
  • + Hervé Giraud Archevêque de Sens-Auxerre, Prélat de la Mission de France : Merci pour votre message.  J’espère que tout ce grand et beau travail servira à la justice de l’Église. En vous souhaitant une bonne année. Fraternellement,
  • Carine Dequenne, Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique : Cher Yves Alain, félicitations pour la rédaction et la publication cet ouvrage ! Je serais évidemment très heureuse de pouvoir y jeter un oeil …
  • Wiktor Zamojski, Directeur de cabinet de Mgr Jean-Michel di Falco Léandri  : Monsieur, Je vous remercie pour votre courriel que j’ai porté à la connaissance de Monseigneur. Monseigneur m’a chargé de transmettre votre courriel aux personnes idoines.
  • Joël Mercier, Archevêque secrétaire de la Congrégation pour le Clergé : j’en prendrai connaissance [du livre] avec grand intérêt.