Caberletti 04/04/2010

Caberletti 04/04/2010

Coram  CABERLETTI

 Exclusion du bien des enfants

 Tribunal régional de Campanie (Italie)

4 mars 2010

P.N. 20.006

Constat de nullité

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. VALEUR DU BIEN DES ENFANTS
  1. L’ALLIANCE CONJUGALE EST ORDONNÉE AU BIEN DES ENFANTS

 

III. LA PERVERSION DE LA SUBSTANCE DU MARIAGE

  1. Par la société
  2. Par le contractant

 

  1. LA PROCRÉATION « DANS SES PRINCIPES »

 

  1. LE DROIT ET L’EXERCICE DU DROIT

 

  1. L’EXCLUSION TEMPORAIRE DU BIEN DES ENFANTS
  2. Elle peut avoir l’aspect d’une condition
  3. Le déni du droit du conjoint
  4. Le report de la procréation à une époque indéfinie

 

VII. LE RÔLE DE LA VOLONTÉ

 

VIII. LA POSITIVITÉ DE L’ACTE D’EXCLUSION

 

  1. LA PREUVE DE L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS
  2. Principes généraux
  3. La preuve directe
  4. La preuve indirecte

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Lucia G., née le 12 octobre 1968, et Michele A., né le 13 juillet 1963, se marient le 7 juin 1992. Les jeunes gens s’étaient rencontrés en décembre 1990 et s’étaient épris l’un de l’autre.

 

En janvier 1992 Michele avait rencontré de grandes difficultés économiques, ce qui avait créé des tensions entre les parties, mais comme leur décision de se marier était déjà prise, Lucia avait accepté le mariage.

Plusieurs fois les époux se séparent et en 1999, Lucia met fin à la vie commune. La séparation est ratifiée par le Tribunal civil le 25 février 2000 et le divorce est prononcé le 22 juillet 2003.

 

Entretemps Lucia avait présenté un libelle et le 6 novembre 2000, le doute avait été concordé sur le chef de simulation du consentement pour exclusion du bien des enfants de la part des deux conjoints. Le 19 février 2003, la sentence de 1° instance est affirmative, mais seulement pour exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse demanderesse. Le Tribunal de seconde instance admet la cause à l’examen ordinaire du second degré, concordant le doute sur l’exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse. Sa sentence du 31 mars 2006 est négative. L’épouse fait appel à la Rote, où le Tour reprend le même doute que celui de la seconde instance.

 

 

EN  DROIT

 

  1. VALEUR DU BIEN DES ENFANTS

 

  1. « Dieu lui-même est l’auteur du mariage, qui possède en propre des valeurs et des fins diverses »[1] et le rang le plus important est celui du bien des enfants : « L’enfant est la chose la plus essentielle du mariage […], de même que pour l’homme la nature humaine est plus essentielle que la grâce, bien que la grâce soit plus excellente »[2]. « La fin primaire du mariage est la procréation et l’éducation des enfants » (CIC 1917, c. 1013 § 1). « La première place parmi les biens du mariage est tenue par la procréation. Et en vérité le Créateur du genre humain lui-même […] a voulu dans sa bonté avoir recours à l’aide des hommes pour la propagation de la vie »[3].

 

Le Concile Œcuménique Vatican II a évité le langage technique, en choisissant la voie pastorale, et c’est pourquoi il n’a pas voulu reprendre explicitement la hiérarchie des fins du mariage[4], mais le Concile n’a absolument pas rejeté la supériorité du bien des enfants, puisqu’il déclare : « C’est par sa nature même que l’institution du mariage et l’amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l’éducation des enfants qui, tel un sommet, en constituent le couronnement […]. Le mariage et l’amour conjugal sont d’eux-mêmes ordonnés à la procréation et à l’éducation des enfants »[5].

 

Par ces paroles se fait entendre assurément le Magistère antérieur de l’Eglise, qui regardait déjà le mariage sous l’aspect personnaliste : « Il est profondément humain que les époux voient et trouvent dans leur enfant l’expression véritable et plénière de leur amour réciproque et de leur don mutuel »[6].

 

C’est pourquoi l’ordonnancement à la génération et à l’éducation des enfants doit être considéré comme un élément essentiel de la communauté de vie conjugale, parce que la substance du mariage et sa nature contiennent cet ordonnancement (cf. c. 1055 § 1 et c. 1096) : « L’ordonnancement du droit et de son obligation relative d’accomplir l’acte conjugal pour la génération des enfants appartient à la substance du mariage »[7].

 

 

  1. L’ALLIANCE CONJUGALE EST ORDONNÉE AU BIEN DES ENFANTS

 

L’alliance conjugale, par les actes « qui réalisent l’union intime et chaste des époux »[8], est ordonnée ontologiquement à la génération d’enfants et donc elle est, téléologiquement, portée vers elle : « Puisque l’ordonnancement au bien des enfants appartient à la structure ontologique de l’alliance matrimoniale elle-même, qui en conséquence est dite communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel à la génération et à l’éducation des enfants (c. 1055 § 1), et qu’il appartient aussi à la structure ontologique de l’acte d’amour conjugal apte par lui-même à la génération d’enfants, ‘auquel le mariage est ordonné par sa nature et par lequel les époux deviennent une seule chair’ (c. 1061 § 1), il s’ensuit nécessairement que cet ordonnancement à la transmission du don de la vie humaine constitue un élément essentiel du mariage »[9]. « Puisque donc la fécondité structurelle (fécondité de droit), mais non la fécondité effective (fécondité de fait), appartient à l’essence de l’acte conjugal et constitue sa structure ontologique, personne ne peut validement restreindre à son gré le droit conjugal »[10].

 

III. LA PERVERSION DE LA SUBSTANCE DU MARIAGE

 

  1. Par la société

 

  1. Il n’est permis ni aux dirigeants politiques ni à ceux qui se marient de pervertir la substance du mariage : « Dans le choix d’un genre de vie, il n’est pas douteux qu’il est au pouvoir et au libre arbitre de chaque personne de préférer, ou bien de suivre le conseil de Jésus-Christ au sujet de la virginité, ou bien de s’obliger par le lien matrimonial. Enlever à l’homme le droit naturel et premier au mariage, et restreindre d’une façon ou d’une autre la cause principale du mariage, constituée dès le début par l’autorité divine, aucune loi humaine ne le peut. ‘Croissez et multipliez-vous’. Voilà donc la famille, ou la société domestique, certes toute petite, mais véritable société et antérieure à toute cité »[11].

 

  1. Par le contractant

 

Cependant, bien que « la communauté sacrée du véritable mariage soit constituée en même temps par la volonté divine et la volonté humaine »[12], celui qui se marie est l’auteur du contrat conjugal, et donc il a le pouvoir de pervertir l’objet essentiel du mariage, établi par l’Auteur Divin du mariage, par l’exclusion du bien des enfants : « si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent […] un des éléments essentiels du mariage […] elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Assurément l’objet de l’exclusion est la fécondité structurelle de l’alliance conjugale (cf. c. 1055 § 1), qui doit être acceptée par le contractant en assumant le droit et l’obligation aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants.

 

  1. LA PROCRÉATION « DANS SES PRINCIPES»

 

La procréation, vue en elle-même, se rapporte au mariage in facto esse (le mariage-état de vie), c’est-à-dire « à l’usage du mariage par lequel […] la procréation s’accomplit »[13] et en aucune façon elle n’est nécessaire pour qu’il y ait mariage, « parce que l’essence d’une chose ne dépend pas de son usage »[14]. Si toutefois la procréation est considérée « dans ses principes »[15], c’est-à-dire dans l’émission du consentement conjugal, par lequel celui qui se marie doit assumer l’objet essentiel du mariage pour constituer le mariage, l’intention de la procréation doit être présente, au moins implicitement, sans laquelle « le mariage ne peut pas exister […]. Si quelque chose de contraire à cette intention était exprimé dans le consentement qui réalise le mariage, il n’y aurait pas de véritable mariage »[16].

 

  1. LE DROIT ET L’EXERCICE DU DROIT

 

La distinction entre le droit et l’exercice du droit a donc été toujours gardée dans la doctrine et la jurisprudence[17], même si un courant particulier contre cette séparation s’est fait jour récemment dans Notre Ordre[18]. Pour la validité du mariage en effet la volonté de s’obliger est nécessaire et suffisante, alors au contraire que l’exécution de l’obligation ne touche pas par elle-même la substance de l’objet du consentement conjugal, selon la sentence claire et concise de Benoît XIV : « Ne répugne pas à la substance du mariage le non-usage de celui-ci, mais le fait de ne pas pouvoir en user »[19].

 

Toutefois si l’un des contractants veut restreindre l’accomplissement ou l’exercice du droit selon son bon vouloir, en privant l’autre de son droit propre, il en ressort un indice très fort de l’exclusion du droit lui-même : « Si dès la conclusion du mariage l’un au moins des conjoints avait eu l’intention de restreindre aux périodes de fertilité le droit matrimonial lui-même, et non pas seulement son usage, de sorte que les autres jours l’autre conjoint n’aurait pas même le droit de demander l’acte, cela impliquerait un défaut essentiel du consentement matrimonial »[20]. Dans ce cas celui qui se marie décide de garder en son pouvoir le droit aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants, viciant ainsi l’objet essentiel du consentement conjugal parce qu’est enlevé à la communauté conjugale l’ordonnancement qui lie toujours et pour toujours : « Tel est l’enseignement constant de l’Eglise ; elle a rejeté toute conception du mariage qui menacerait de le replier sur lui-même, d’en faire une recherche égoïste de satisfactions affectives et physiques dans l’intérêt des seuls époux […] Jamais il n’est permis […] d’exclure positivement […] l’intention procréatrice »[21].

 

  1. L’EXCLUSION TEMPORAIRE DU BIEN DES ENFANTS

 

Comme le droit et l’obligation qui se rapportent aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants sont perpétuels, non seulement l’exclusion perpétuelle du bien des enfants rend nul le consentement conjugal, mais encore son exclusion temporaire empêche la constitution du mariage, sauf s’il s’agit d’un simple report à plus tard, qui appartient seulement à la régulation de l’exercice du droit.

 

 

 

  1. Elle peut avoir l’aspect d’une condition

 

L’exclusion temporaire du bien des enfants est presque toujours faite sous l’aspect d’une condition : « Par le contrat matrimonial n’est pas donné purement et simplement un droit réel, c’est-à-dire le droit au corps, qui est le pouvoir sur le corps, mais est donné le droit à l’usage du corps pour un usage déterminé, c’est-à-dire en relation aux actes véritablement conjugaux. De même donc qu’on ne peut donner le droit à l’usage d’une chose sans le droit d’user de cette chose, de même on ne peut pas donner le droit au corps en relation aux actes conjugaux sans le droit d’user du corps lui-même en relation à ces mêmes actes. Par la condition d’exclure ces actes, c’est-à-dire l’usage du droit à ces actes, on supprime le consentement et donc le droit à ces actes. En conséquence celui qui se marie sous la condition d’exclure l’usage du droit aux actes conjugaux, donne le droit à l’usage sans le droit à l’usage, c’est-à-dire sans droit à la même chose, ce qui est contradictoire »[22].

 

  1. Le déni du droit du conjoint

 

Puisque le droit aux actes aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants est perpétuel, l’intention, même pour un temps seulement, de nier ce droit qui s’accomplit par l’usage du corps, est contraire au bien des enfants. « Si quelqu’un ose se réserver, à son gré et à son bon vouloir, si, dans quelle mesure et quand il engendrera peut-être un enfant, en oubliant et méprisant complètement les droits de son conjoint, et en se considérant lui-même comme l’unique source de droit dans le domaine conjugal, même s’il affirme qu’il n’est pas hostile à la procréation d’un enfant, il rend nul son mariage parce que cette façon de faire non seulement constitue une dénégation du droit de son conjoint, mais bien plus, une dénégation de la remise du droit à ce même conjoint »[23].

 

  1. Le report de la procréation à une époque indéfinie

 

Enfin si la procréation est reportée à une époque indéfinie, on peut conjecturer une présomption de l’exclusion du droit lui-même. « Si cependant l’acceptation d’un enfant est différée à une époque absolument indéfinie, il s’agit plutôt d’une exclusion substantielle du bien des enfants »[24].

 

VII. LE RÔLE DE LA VOLONTÉ

 

  1. Puisque le consentement est un acte de volonté (cf. c. 1057 § 2), ce n’est que par sa volonté propre que le sujet agent peut priver le consentement de son objet essentiel.

 

Le Législateur, pour définir la nature particulière de l’acte d’exclusion, détermine son espèce par la formule « acte positif de volonté » (c. 1101 § 2). En effet « ce qui est requis par la loi dans un acte positif de volonté lors de la simulation, selon le c. 1101 § 2, c’est une exigence fondamentale de correspondance avec la nature de l’acte positif de volonté qu’a le véritable consentement, selon le c. 1057 § 2, du fait que la volonté simulatrice est précisément son équivalent, quoique négatif »[25].

 

Bien que rien n’est voulu qui ne soit d’abord connu, il ne suffit pas, pour réaliser une exclusion, qu’il y ait des actes de l’intelligence, comme des erreurs, des jugements, des opinions, des prévisions, mais il est nécessaire que le sujet use de la faculté de la volonté. Ensuite le contractant, par sa volonté, doit agir en réalité pour rejeter le bien des enfants de l’objet de son consentement. Pour accomplir une action de ce genre la volonté dite habituelle, les mœurs, les façons de se conduire, sont sans effet.

 

Tant l’acte de l’intelligence que la volonté habituelle peuvent être seulement cause de la simulation, sans qu’ils ne deviennent un acte de volonté de simulation.

 

VIII. LA POSITIVITÉ DE L’ACTE D’EXCLUSION

 

Le troisième élément, c’est-à-dire la positivité, semble signifier comme la force et la fermeté de la volonté[26] et en vérité il s’oppose à l’inertie, c’est-à-dire au défaut du choix délibéré, ou à quelque chose de négatif, non-existant, parce que la volonté n’agit pas. La positivité réclame expressément quelque chose : « L’acte positif de volonté en effet ne peut pas tendre vers quelque chose d’indéterminé et de vide, mais il doit tendre vers quelque chose de déterminé et certain, comme l’est l’exclusion du mariage lui-même, ou d’un de ses biens ou d’une de ses propriétés essentielles »[27]. « Selon la jurisprudence établie il faut considérer comme n’ayant aucune capacité d’irriter le mariage, les seuls états de l’intelligence, comme des idées contraires au mariage, ou même les seuls états de la volonté, s’ils n’arrivent pas au niveau d’une détermination véritable et ferme de la volonté »[28].

 

Par l’acte positif de volonté se forme une rupture entre l’intention de celui qui se marie et la loi établie par le Divin Auteur du mariage, et c’est pourquoi, bien que le contractant s’imagine réaliser un mariage, l’alliance conjugale ne peut en aucune façon exister et donc la communauté de toute la vie (cf. c. 1055 § 1) ne se fonde en aucune manière : « Dans la simulation partielle […] le sujet ne donne pas existence à une fiction. Tout au contraire non seulement il n’exclut pas le contenu et les effets de la manifestation du consentement, mais il peut très bien se faire qu’il les veuille, au moins en général […]. L’objet de ‘l’acte positif de volonté’ d’exclusion est ainsi seulement un aspect du mariage […]. Quand il y a une simulation partielle […] il y a toujours un manque de correspondance entre la volonté matrimoniale du sujet et celle de l’ordonnancement juridique canonique »[29].

 

  1. LA PREUVE DE L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS

 

  1. Principes généraux

 

  1. L’exclusion du bien des enfants provient d’une faculté interne de l’homme, c’est-à-dire de la volonté, qui agit après que l’intelligence lui a fourni un moyen de délibérer grâce à des jugements construits par la raison. Et donc la preuve de la simulation se fait en cherchant les éléments qui manifestent à l’extérieur l’acte positif de volonté.

 

Dans le jugement des causes de simulation il faut bien voir deux présomptions du droit : la première est en faveur du mariage en général, selon le c. 1060. L’autre est spéciale à la simulation, puisqu’elle a été établie spécifiquement par le législateur en ces termes : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1).

 

La jurisprudence tient que le juge doit rechercher la preuve de l’acte interne de volonté par une voie directe et une voie indirecte.

 

 

  1. La preuve directe

 

La preuve commence par la confession faite devant le juge par le simulant présumé, mais elle doit être confirmée par des témoins dignes de foi qui ont eu connaissance de l’intention du simulant avant le mariage, ou au moins à une époque non suspecte.

 

  1. La preuve indirecte

 

Le cœur de la preuve indirecte se trouve dans la cause de la simulation, tant éloignée, ayant sa source dans l’esprit ou le caractère du simulant, que prochaine, qui provient surtout de doutes, pendant les fiançailles et après la décision du mariage, sur la future communauté conjugale.

 

En ce qui concerne le poids de la cause de la simulation, qui est à comparer à la gravité de l’alliance conjugale et qui doit prévaloir sur la cause qui a poussé au mariage, une sentence c. Erlebach fait remarquer avec à propos : « Dans ce domaine on trouve une aide importante dans certains principes élaborés dans la praxis jurisprudentielle, qui exigent que dans la preuve de la simulation on n’oublie jamais la comparaison de la cause de la simulation, proche et éloignée, avec la cause qui a poussé au mariage. L’homme en effet – même s’il est très souvent incohérent dans son propre monde intérieur – est cependant par lui-même un être raisonnable, et donc on ne peut pas admettre que quelqu’un, dans une affaire d’une grande importance comme l’est le consentement matrimonial, puisse simuler d’une façon ou d’une autre sans cause adéquate et proportionnée »[30].

 

Quant aux causes d’exclusion du bien des enfants, le Pape Jean-Paul II, avec grande sagesse, nous donne cet avis : « Certains se demandent si vivre est un bien, et s’il ne serait pas préférable de ne pas être nés : ils se demandent donc s’il est permis d’appeler à la vie d’autres hommes qui pourraient en venir à maudire leur existence dans un monde cruel, dont les terreurs ne sont pas même prévisibles […]. D’autres […] emprisonnés dans une mentalité de consommation et ayant l’unique préoccupation d’accroître continuellement les biens matériels, finissent par ne plus comprendre et donc par refuser la richesse spirituelle d’une nouvelle vie humaine »[31].

 

Les déclarations des parties sont corroborées par des indices et des éléments (cf. c. 1679), que peuvent parfois réunir les circonstances prématrimoniales, concomitantes au mariage, postmatrimoniales ; et ces éléments ou ces faits, pourvu qu’ils soient univoques, purs de tout doute prudent et raisonnable, convergeant vers un point unique, c’est-à-dire vers l’acte positif de volonté contre le bien des enfants, valent mieux que les paroles exprimées en confession judiciaire et extrajudiciaire, par le simulant présumé.

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Rappel : La 1° instance a reconnu la simulation du bien des enfants de la part de l’épouse, (mais non pour l’époux).

La 2° instance a admis la cause à l’examen du second degré et a rejeté la simulation de la part de l’épouse et de l’époux.

En 3° instance, il ne s’agit donc que de la simulation de la part de l’épouse.

*

*     *

Le mari partie appelée a refusé de comparaître et a été déclaré absent du jugement.

 

  1. Les déclarations de l’épouse et des témoins

 

L’épouse a toujours été cohérente et constante dans ses confessions judiciaires, où elle a reconnu qu’elle avait exclu d’avoir des enfants de son mariage avec Michele.

 

  1. Première instance

 

Lucia déclare que ni son mari ni elle ne voulaient d’enfant : « Nous nous rendions compte que nous n’avions pas de bases solides sur lesquelles construire notre vie de couple, et ainsi nous nous promettions de ne pas avoir d’enfant car en cas d’échec de notre mariage nous aurions pu faire souffrir des innocents ».

 

Toutefois en cette première instance Lucia semble plutôt penser à un report à plus tard de la venue d’un enfant, quoiqu’elle affirme en même temps que pour Michele et elle-même « l’exclusion des enfants était radicale car nous nous rendions compte que nous n’étions pas bien ensemble ».

 

  1. Deuxième instance

 

Lucia explique qu’elle a voulu exclure à jamais une procréation, et elle déclare que, dans toute sa vie, avant et après son mariage, son frère a été son unique confident, et qu’il sait tout sur son refus absolu d’avoir des enfants.

 

  1. Troisième instance

 

Lucia reconnaît que son exclusion des enfants était conditionnelle. Elle avait, avant son mariage, des difficultés avec Michele et « l’unique possibilité que je pouvais admettre à cette époque était d’avoir la certitude absolue qu’il aurait changé, en devenant la personne que j’avais connue et dont j’étais devenue amoureuse ».

 

  1. Premières réponses du Tour Rotal aux Juges de 2° instance

 

Les juges de 2° instance ne voient pas de confession extrajudiciaire et même, ils affirment que les dépositions des témoins s’opposent aux déclarations de l’épouse. Le Tour Rotal répond à ce sujet.

 

Le frère de Lucia : « Elle m’a dit que comme elle n’était pas sûre du mariage qu’elle allait faire elle éviterait par tous les moyens de mettre au monde des enfants ».

 

Pour le père de Lucia, cette exclusion des enfants était temporaire, mais il ajoute que, pour ne pas avoir d’enfants, elle était allée voir un spécialiste, que sans doute elle ne voulait pas avoir d’enfants en raison de la situation financière de Michele, mais, précise-t-il, « je suis certain qu’entre eux il n’y avait pas d’amour […]. Le véritable motif (pour lequel elle ne voulait pas d’enfant) était le manque d’amour ».

 

D’une façon ou d’une autre les différents témoins disent la même chose que le frère et le père de Lucia ; ainsi sa mère, son cousin, la femme de ce cousin.

 

III. La cause de la simulation : réponse du Tour Rotal aux Juges de 2° instance

 

Les Juges de 2° instance estiment que la cause de la simulation est faible, qu’il n’y a pas eu de cause éloignée d’exclusion des enfants en raison de l’éducation religieuse reçue par Lucia, et qu’il n’y a pas eu non plus de cause prochaine de simulation, « à la lumière des déclarations de la demanderesse et de ses témoins, ainsi qu’à celle des circonstances antécédentes, concomitantes et postmatrimoniales ».

 

Le Tour Rotal répond.

 

Dès le début les actes montrent que de graves difficultés financières avaient mis à jour le caractère de Michele au point que Lucia avait eu la volonté de ne pas avoir d’enfant.

 

Lucia, en 3° instance, a déclaré que la ruine économique de Michele avait changé leurs relations, que par suite de cette faillite il était devenu irascible, passif, dépressif et qu’en conséquence les sentiments qu’elle avait pour son fiancé s’étaient très refroidis. « Je ne me sentais pas sûre […]. A ce moment-là je ne voulais absolument pas d’enfant de Michele ». Elle explique aussi ses deux causes d’exclusion des enfants, l’une pour son entourage, l’autre pour elle-même : « En public je disais que je ne voulais pas d’enfant en raison de la situation économique […] mais en moi-même la cause de mon refus d’avoir des enfants était que je n’avais plus confiance en Michele en raison du changement de sa personnalité. Je n’en ai parlé qu’à mon frère Antonio. »

 

Les témoins, de leur côté, confirment les difficultés économiques de Michele, ils parlent aussi du manque d’amour de Lucia pour son fiancé et enfin du changement de caractère de ce dernier, qui a suscité des doutes chez Lucia.

 

Pour le père de Lucia, qui précise son premier témoignage, « le véritable motif (de la situation) n’était pas l’argent, mais le manque d’amour », ce que redisent la mère de l’épouse demanderesse et le frère de Lucia.

 

  1. La cause de la simulation a été prévalente sur celle du mariage

 

Pour le Tour Rotal, Lucia avait accepté le mariage et tout était prêt. Comme elle le déclare, elle a eu peur du scandale, des commérages, de l’opinion des gens sur sa famille : « C’est pourquoi je considérais comme impossible de ne pas me marier ».

 

Antonio, le frère de Lucia, redit la même chose, comme le curé de la paroisse : « Une semblable décision (renoncer au mariage), dans la mentalité de notre région, aurait causé des commérages de toutes sortes ».

 

La cause qui a poussé Lucia au mariage est bien faible par rapport à la cause qui l’a conduite à exclure le bien des enfants.

 

  1. Les circonstances postmatrimoniales

 

Lucia a toujours utilisé des moyens anticonceptionnels : avant le mariage, elle a consulté un gynécologue pour se faire prescrire la pilule anticonceptionnelle ; après le mariage elle a eu peu de relations intimes avec Michele et celles-ci étaient « fermées à la vie d’un commun accord », ce que confirment de très nombreux témoins à qui Lucia a fait des confidences.

 

De plus la vie commune a toujours été difficile et elle a connu quatre ruptures (cf. témoins).

 

Bref, on peut dire en conclusion que l’épouse demanderesse a conservé fermement sa volonté d’exclure les enfants, puisque jamais le mari n’a changé en mieux dans sa façon de se comporter.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion du bien des enfants

de la part de l’épouse demanderesse

 

Vetitum pour l’épouse

 

 

Giordano CABERLETTI, ponent

Angelo Bruno BOTTONE

Gregor ERLEBACH

 

__________

 

[1] GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] SAINT THOMAS, S. Theol. Suppl., q. 49, a. 3, in corp.

[3] PIE XI, Encyclique Casti Connubii, 31 décembre 1930, AAS, vol. XXII, 1930, p. 543

[4] Cf. U. NAVARRETE, Structura juridica matrimonii secundum Concilium Vaticanum II, Rome 1968, p. 36, n. 26

[5] GAUDIUM et SPES, n. 48 et 50

[6] PIE XII, Discours au Congrès sur la fécondité et la stérilité humaine, AAS, vol. XLVIII, 1956, p. 469

[7] C. de LANVERSIN, 30 janvier 1985, n. 4, sent. 16/1995

[8] GAUDIUM et SPES, n. 49

[9] C. STANKIEWICZ, 24 janvier 1986, n. 6, sent. 14/1986

[10] C. STANKIEWICZ, 29 juin 1980, SRRDec, vol. LXXII, p. 561, n. 3

[11] LÉON XIII, Encyclique RERUM NOVARUM, 15 mai 1891, AAS, vol. 23, 1890-1891, p. 645

[12] PIE XI, Encyclique CASTI CONNUBII citée, p. 542

[13] SAINT THOMAS, Supplément, q. 49, a. 3, in corp.

[14] Même endroit

[15] Même endroit

[16] Même endroit

[17] Cf. P. ROSSI, De historica evolutione doctrinae distinctionis inter jus et usum juris in contractu matrimoniali, Rome 1959 ; F. CATOZZELLA, Distinzione tra jus ed exercitium juris. Evoluzione storica ed applicazione all’esclusione del Bonum prolis, Rome 2007

[18] Cf. c. CIVILI, 18 décembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 696-699, n. 7-14 ; c. BRUNO, 19 décembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 732-733 ; c. HUBER, 20 décembre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 748-750, n. 8 ; H. FRANCESCHI, L’esclusione della prole nella giurisprudenza rotale recente, dans Jus Ecclesiae, 11, 1999, p. 160-165 ; H. FRANCESCHI, La giurisprudenza di merito sull’esclusione della prole nel recente volume delle Decisioni Rotale dell’anno 1995, dans Quaderni dello Studio Rotale, 11, 2001, p. 111

[19] BENOIT XIV, De Synodo diocesana, l. XIII, c. 22, 11, Venise 1775, p. 245

[20] PIE XII, Discours aux Sages-Femmes, 29 octobre 1951, AAS, vol. XXXIII, 1951, p. 845

[21] PIE XII, Discours au Congrès sur la fécondité et la stérilité humaine, cité, p. 470

[22] C. STAFFA, 18 juillet 1958, SRRDec, vol. L, p. 472-473, n. 2

[23] C. BOTTONE, 5 décembre 2003, sent. 121/2003

[24] C. ERLEBACH, 29 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 685, n. 16

[25] P.J. VILLADRICH, El consentimiento matrimonial, Pampelune 1998, p. 202

[26] Cf. Z. GROCHOLEWSKI, De exclusione indissolubilitatis ex consensu matrimonii ejusque probatione, Naples 1973, n. 56

[27] C. BOTTONE, 15 juin 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 386, n. 6

[28] C. ERLEBACH, 15 juillet 1999, SRRDec, sentence 101/1999, n. 7

[29] O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1973, 3° édition, p. 95 et 99

[30] C. ERLEBACH, 16 décembre 1999, sent. 153/1999, n. 6

[31] JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio, 22 novembre 1981, AAS, vol. LXXIV, 1982, p. 115-116, n. 30

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.