Coram TURNATURI
Défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer
Tribunal régional de Trente (Italie) – 10 décembre 2009
P.N. 20.152
Constat de nullité pour l’incapacité d’assumer de la part de l’époux
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PLAN DE L’IN JURE
- L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT
- Nature de la simulation
- Le nécessaire acte positif de volonté dans la simulation
- La preuve de la simulation
- LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER LES
OBLIGATIONS CONJUGALES
- Capacité et incapacité psychique des contractants
- Le défaut de discretio judicii
- L’incapacité d’assumer
- Le narcissisme : nature et effets
- Le recours aux experts
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Paolo M., né le 29 novembre 1956, fait en septembre 1979, à l’Université de Bologne, la connaissance de Laura V., d’un an sa cadette. Leur amitié se transforme en amour et les jeunes gens se fiancent, bien que Paolo ait quelques doutes sur « la capacité de Laura à prendre la responsabilité d’une famille ». Le mariage est célébré le 30 septembre 1984. Deux enfants naissent au foyer, mais la vie conjugale connaît des difficultés, qui entraînent la séparation des époux en 1988.
Le 4 mai 1988 Paolo s’adresse au Tribunal régional de Trente, devant lequel il accuse son mariage de nullité « pour exclusion de l’indissolubilité du lien » de sa part et « pour incapacité de contracter mariage au sens du c. 1095, 2° et 3° de la part de l’épouse partie appelée ».
Au cours de l’instruction sont présentés des rapports d’experts effectués tant au for civil qu’au for ecclésiastique. La sentence du 11 novembre 2003 rejette « le chef d’exclusion de l’indissolubilité de la part du mari ainsi que celui d’incapacité d’émettre un consentement valide selon le c. 1095, 2° et 3° de la part de l’épouse ».
Le mari fait appel à la Rote. Le 31 octobre 2007 l’avocat du mari remet au Tribunal une expertise réalisée par le professeur A.J., et il demande que soit admis, selon le c. 1683, un nouveau chef de nullité portant sur l’incapacité du mari d’assumer les obligations essentielles du mariage. Ce chef est donc ici examiné « comme en première instance », tandis que les deux autres chefs le sont en seconde instance. Une nouvelle expertise est confiée au professeur M.G.
EN DROIT
- L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT
- Nature de la simulation
- Aux termes du c. 1057 § 1, « c’est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage », ce consentement ne pouvant, sous peine de nullité, s’écarter des prescriptions du Code.
Puisque « le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage » (c. 1101 § 1), celui qui décide librement et volontairement de célébrer un mariage dans l’Eglise est présumé le conclure comme il est proposé par la doctrine de l’Eglise. Mais la présomption de droit est détruite si le contractant, par une décision positive, explicite ou même implicite, pourvu qu’elle soit manifestée par des paroles ou des faits concluants et qu’elle soit soutenue par des motifs proportionnés, exclut, ou bien le mariage lui-même, ou bien un élément essentiel ou une propriété essentielle du mariage. Dans ces hypothèses il contracte invalidement en raison d’une simulation totale ou partielle du consentement (c. 1101 § 2).
- Le nécessaire acte positif de volonté dans la simulation
- Notre Jurisprudence a cent fois déclaré que pour que l’exclusion de l’indissolubilité puisse avoir un effet irritant, elle doit être accomplie par un acte positif de volonté (cf. c. 1101 § 2), c’est-à-dire par un propos délibéré et ferme, mûri dans l’esprit et intimement connexe à l’objet du consentement matrimonial, de contracter un mariage qui sera dissous au gré du contractant ou au moins qui est dissoluble.
Il faut donc que soient dépassées la volonté habituelle, une disposition de l’esprit, une intention interprétative ou générique, bien plus encore la prévision elle-même de l’abandon du conjoint, puisque toutes ces situations n’atteignent pas le volontaire et ne peuvent donc encore moins déterminer le volontaire à un objet unique.
L’acte positif de volonté, au contraire, rend présente et actuelle la disposition de l’esprit, change la volonté habituelle ou générique en volonté opérative, le désir en propos, le propos en chose voulue, c’est-à-dire en un acte réellement posé qui manifeste et implique la volonté interne.
- « La simulation du consentement par exclusion de l’indissolubilité – le dit de façon adéquate une sentence c. Defilippi – a lieu lorsque quelqu’un, en contractant mariage, le veut en réalité comme dissoluble, c’est-à-dire en se réservant la faculté de retrouver sa pleine liberté vis-à-vis de l’autre contractant […]. En d’autres termes, exclut cette propriété essentielle du mariage celui qui, de façon positive, entend son propre mariage comme dissoluble à son gré, soit de façon absolue, soit de façon hypothétique (par exemple, si les choses tournent mal ; si l’amour vient à disparaître ; si l’autre personne est infidèle etc.), indépendamment des moyens concrets auxquels il veut recourir pour trancher le lien, quel qu’il soit »[1].
- La preuve de la simulation
- La preuve de la simulation ou exclusion du bien du sacrement se fait selon les critères reçus par la jurisprudence traditionnelle, à savoir s’il y a le concours de trois éléments : la confession du simulant, judiciaire et surtout extra-judiciaire, faite à des témoins dignes de foi, à une époque non suspecte ; une cause grave et proportionnée de simulation qui, de nature bien distincte de la cause qui a poussé au mariage, prévaille de fait sur elle ; des circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes, qui rendent la simulation accomplie non seulement possible mais probable et nettement crédible.
- LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER LES
OBLIGATIONS CONJUGALES
- Capacité et incapacité psychique du contractant
- Le c. 1095 statue que « sont incapables de contracter mariage les personnes :
1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;
2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ;
3° qui, pour des causes de nature psychique, ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».
A la donation-réception personnelle dans la conjugalité qui doit être constituée par le consentement conjugal, ou, si l’on préfère, au consentement qui peut réellement réaliser la donation-acceptation de ceux qui se marient (cf. C. 1057 § 2), fait obstacle en effet l’incapacité psychique des contractants.
La véritable donation de soi, en effet, pour constituer la communion de vie dans une relation duelle, et pareillement l’acceptation de l’autre, si nécessaire pour que soit réelle une authentique communauté de vie et d’amour, peuvent d’autant plus exister qu’existe surtout, en plus de la potentialité physique, la capacité psychique chez chacun des deux contractants.
Comme nous l’avons écrit dans une sentence du 5 avril 2001 : « Dans ce contexte la capacité psychique des contractants se réfère avant tout à la conjugalité, c’est-à-dire à cette habilité à se donner et à se recevoir comme conjoint, et cette capacité postule chez les contractants, au moment où ils décident le mariage ou lorsqu’ils le célèbrent, 1° l’usage suffisant de la raison pour émettre un consentement par un acte humain conscient et libre ; 2° une obligatoire discretio judicii pour évaluer les droits et les devoirs conjugaux essentiels à donner et à recevoir mutuellement ; 3° les ressources indispensables pour assumer et remplir les obligations essentielles du mariage »[2].
Comme on le lit dans une sentence c. Defilippi du 16 novembre 2006, les éléments suivants sont requis chez celui qui se marie :
« a) sous l’aspect intellectif, est nécessaire la connaissance de la substance du mariage, au moins en tant que communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation d’enfants par une certaine coopération sexuelle (c. 1096 § 1) ;
- b) sous l’aspect estimatif, sont réclamées une prise en compte pratique de la valeur substantielle du mariage, c’est-à-dire des droits et des devoirs essentiels du mariage lui-même, et l’évaluation des motifs qui d’un côté poussent au mariage et d’un autre côté le déconseillent ;
- c) sous l’aspect de la décision, est exigé le pouvoir d’agir, c’est-à-dire la liberté interne dans la délibération et la décision relatives au mariage concret à contracter, dans une subordination suffisante des impulsions intérieures vis-à-vis de la raison »[3].
De tels éléments peuvent parfois faire défaut en raison de dysfonctions de la sphère intellective ou volitive et par suite d’une perturbation de l’émotivité affective.
- Le défaut de discretio judicii
Le défaut de discretio judicii, en effet, ne peut pas être reconnu dans ces causes s’il n’est pas prouvé que cette situation s’est produite en raison d’une anomalie psychique ou d’une véritable immaturité qui empêchent l’exercice correct des facultés de jugement ou de volonté par rapport à l’acquisition de l’état conjugal ou aux droits et devoirs essentiellement connexes par nature à celui-ci qui, de façon absolument certaine, comportent dans leur accomplissement, c’est-à-dire dans le mariage-état de vie, une auto-oblation, c’est-à-dire une donation personnelle.
- L’incapacité d’assumer
- En ce qui concerne la troisième hypothèse sanctionnée par le c. 1095 ci-dessus rappelé, c’est-à-dire l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, il suffira de remarquer qu’elle affecte les personnes qui, bien que jouissant éventuellement d’une adéquate discretio judicii, sont inaptes en raison de leur condition psychique anormale, à assumer – c’est-à-dire à accomplir – les obligations essentielles du mariage.
Il est admis pacifiquement depuis longtemps, en effet, que l’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, qu’il faut distinguer des incapacités mentionnées aux n. 1 et 2 du c. 1095 ci-dessus rapporté, se vérifie non pas par un défaut de l’acte psychologique de l’intelligence et de la volonté, mais par l’impossibilité de réaliser l’objet du consentement, et elle se vérifie seulement lorsqu’elle provient de causes de nature psychique. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas affirmer qu’il y a incapacité de contracter sans qu’il n’y ait la présence d’une anomalie psychique.
Etant donné que l’objet du consentement est le don et l’acceptation d’un droit, la capacité de contracter mariage « implique de la part des contractants non seulement la capacité de comprendre et de vouloir l’objet du contrat examiné concrètement en lui-même, mais également la capacité de donner formellement cet objet, c’est-à-dire de fournir à son partenaire tout ce qui est essentiellement exigé dans la vie commune des conjoints, pour que les trois biens du mariage puissent s’y réaliser »[4].
- Le narcissisme : nature et effets
- Parmi les causes de nature psychique qui font obstacle à la donation-acceptation conjugale des contractants, c’est-à-dire à leur capacité psychique, soit en ce qui concerne la discretio judicii, soit en ce qui regarde la capacité d’assumer les obligations conjugales, la Jurisprudence Rotale a souvent relevé l’importance de l’immaturité psychique, ou narcissisme : « A partir de ses caractéristiques propres le narcissisme montre une stagnation ou une régression de la personnalité avant la maturité, surtout affective et émotionnelle, d’autant plus qu’il a une action importante en ce qui concerne la communauté conjugale et finalement, en raison de signes particuliers dans la façon d’agir du sujet, en ce qui regarde les droits et les devoirs conjugaux, pour que la communauté et ces droits-devoirs soient correctement réalisés. Il résultera une propension pressante et invincible par laquelle la cohabitation, surtout dans les profondeurs de l’intimité, devient pesante et affecte le partenaire par une façon très dure de se comporter, le sujet ne se souciant pas des légitimes demandes de son conjoint et réclamant une attention complète à ses propres demandes, même fictives, sans le moindre égard pour l’autre »[5].
- Mgr Stankiewicz, dans une sentence du 24 février 1994, après avoir abondamment exposé la doctrine, estime que « dans la forme grave du narcissisme pathologique on peut sans aucun doute déjà reconnaître un défaut de capacité critique, ou estimative, ou de liberté interne, par rapport à la personne du partenaire ainsi que par rapport aux droits et devoirs essentiels du mariage, mais on peut surtout reconnaître une incapacité d’instaurer la relation interpersonnelle de la communauté de vie et d’amour conjugal »[6].
Assurément, « celui qui est affecté d’une perturbation narcissique de la personnalité ne peut pas comprendre ni percevoir son propre état, bien plus il exige des autres admiration, hommages et respect »[7].
- Comme l’enseignent les psychologues, le narcissisme se révèle et s’enracine généralement à l’âge juvénile.
Et c’est à bon droit qu’une sentence c. Serrano fait remarquer : « C’est pourquoi il n’y aurait pas de désordre pathologique, à moins qu’il n’y ait le signe d’une adolescence anormale du sujet et une aggravation de l’immaturité, qui se découvre facilement dans le syndrome narcissique »[8].
« Si un tel état se présente à l’âge adulte, alors le sujet est incapable d’instaurer de significatives relations interpersonnelles »[9].
« Il peut y avoir dans le narcissisme, en effet, une immaturité psychique qui empêche d’assumer les obligations essentielles du mariage et de créer et de conduire la relation interpersonnelle elle-même[10]»[11].
Dans le cas du contractant affecté de narcissisme, « la relation ne s’instaure plus entre le sujet et l’objet, mais entre une image exagérée et primitive de soi-même et la projection de cette image pathologique sur les objets, de telle sorte que la véritable relation est seulement entre soi-même et soi-même, avec la carence d’une relation interpersonnelle »[12].
- Le recours aux experts
- En raison du nombre et de la diversité des manifestations de la psychose ou parfois de la façon insolite d’agir de l’homme, il est clair qu’est non seulement utile mais nécessaire le recours aux experts, ce que la loi canonique postule expressément dans ce genre de causes (c. 1680). Les experts, à partir d’une analyse approfondie des actes ou des documents ou, le cas échéant, d’un examen médical de la partie en cause ou des deux parties, ou encore à partir de psychodiagnostics sérieux, doivent, selon les règles de leur art, renseigner le juge sur la nature, l’origine et la gravité de l’état psychique du sujet, ainsi que sur la présence de cet état à l’époque où le mariage a été conclu.
- En particulier – et cela sur la décision également de l’Instruction Dignitas Connubii – le Juge doit demander à l’expert :
« 1. dans les causes pour défaut d’usage de la raison, si au moment de la célébration du mariage cette anomalie perturbait gravement l’usage de la raison ; avec quelle intensité et à quels indices elle se révélait ;
- dans les causes pour défaut de discernement, quel a été l’effet de l’anomalie sur la faculté critique et élective de prendre des décisions importantes, particulièrement pour choisir librement un état de vie ;
- enfin dans les causes pour incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage, quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage » (art. 209 § 2).
EN FAIT (résumé)
- L’EXCLUSION DU BIEN DU SACREMENT DE LA PART DU MARI DEMANDEUR
- Le demandeur
Le demandeur affirme que, pendant les fiançailles, il avait remarqué chez Laura un comportement étrange, et même une certaine immaturité : « Laura était particulièrement effrontée avec les garçons, il fallait qu’elle soit le centre de l’attention, elle aimait le luxe et la vie facile ». En conséquence Paolo commençait à avoir des doutes sur sa future vie conjugale, mais, dit-il, « même si mes parents étaient perplexes sur mon choix de Laura, ils m’ont laissé entièrement libre ».
Toutefois Paolo a persévéré dans son propos d’épouser Laura, car il attendait beaucoup d’avantages de cette union, mais en même temps, déclare-t-il, « je me réservais le droit de divorcer si la vie conjugale n’amenait pas Laura à une maturation adéquate et profonde ». C’est pourquoi il invoque une deuxième cause de nullité de son mariage : l’incapacité psychique de son épouse.
- La partie appelée
« Lire ce qu’écrit Paolo, déclare de son côté l’épouse partie appelée, me fait vraiment souffrir » et elle ajoute : « Je n’ai jamais douté de l’amour de Paolo pour moi […]. Entre nous il n’y a eu aucune réserve pour le mariage chrétien […]. Nous n’avons, avant le mariage, jamais parlé de divorce ». Pour Laura, enfin, l’échec du mariage est dû à des personnes extérieures au foyer.
- Les témoins
Tous les témoins de l’épouse (et il est ici inutile de relater leurs propos) sont d’accord pour dire que les fiançailles ont été sereines, que les époux se sont mariés parce qu’ils s’aimaient, et ceux du mari ne savent pas si Paolo avant le mariage avait des doutes sur l’attitude de Laura et sur sa capacité à fonder une communauté de vie à l’image de celle de ses propres parents.
- Le père et la mère de Paolo
Le père de Paolo avait recommandé la prudence à son fils, mais celui-ci lui répondait qu’il espérait que Laura changerait, et, précise le père : « Paolo aimait Laura […]. Pour moi il est clair que le mariage à l’église a été décidé d’un commun accord. Je n’ai jamais entendu parler d’un mariage civil ».
La mère de Paolo reconnaît que ce n’est que récemment qu’elle a appris que son fils avait eu des doutes au moment de se marier.
Bref, il ne peut être question de cause éloignée de simulation, en raison de l’éducation chrétienne du mari, ni de cause prochaine, qui aurait prévalu sur la cause qui a poussé au mariage, en raison de l’amour du demandeur pour la partie appelée.
- LE DÉCRET DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER DE LA PART
DE L’ÉPOUSE
Les Juges soussignés doivent dès le début remarquer qu’il ne ressort des actes aucun élément ou argument qui puisse prouver chez la femme des anomalies psychiques ou des désordres de la personnalité qui atteindraient un niveau pathologique et donc qui leur permettraient de parler de défaut de discretio judicii ou d’incapacité d’assumer au moment du mariage.
- Le demandeur
Selon Paolo, Laura « s’est montrée absolument inadaptée à la vie de couple et à la famille, car elle était uniquement désireuse d’être le centre de l’attention et elle avait une forte attraction pour le luxe et la vie facile ».
Cela, peut-on remarquer, n’a pas découragé Paolo d’épouser Laura et d’avoir avec elle deux enfants. De plus, comme l’affirment l’épouse et de nombreux témoins, les deux naissances ont été accueillies volontiers et avec joie par les conjoints.
Certes il y a eu par la suite des difficultés entre les époux mais elles sont dues surtout à la personnalité narcissique de Paolo, comme il en sera question plus loin.
- Les témoins et les experts
Les témoins reconnaissent quelques défauts à Laura mais nient toute possibilité de problème de nature psychique chez elle : anomalies psychiques ou immaturité.
Devant le Tribunal civil, la psychologue M.C., dont la sentence rotale cite abondamment le rapport d’expertise, déclare qu’au moment du mariage il n’y avait chez l’épouse aucune trace d’une perturbation psychique, peut-être une certaine immaturité, un certain narcissisme, celui-ci n’atteignant cependant pas un niveau pathologique.
Devant le Tribunal ecclésiastique, le psychiatre C.C., qui a fait une expertise sur les actes, relève lui aussi chez l’épouse un certain narcissisme, mais pour lui, il est difficile de voir s’il s’agit d’un Trouble narcissique de la Personnalité selon les critères du DSM-IV.
En conclusion, on ne peut pas parler avec assurance d’un grave défaut de discretio judicii et d’une véritable incapacité d’assumer de la part de l’épouse partie appelée.
III. L’INCAPACITÉ D’ASSUMER LES OBLIGATIONS CONJUGALES DE LA PART
DU MARI DEMANDEUR
Ce chef de nullité a été présenté en cette seconde instance, à la Rote Romaine, par l’avocat du demandeur parce que de nombreux éléments recueillis en première instance amenaient à envisager l’incapacité psychique de ce demandeur. De nouvelles expertises ont été réalisées qui confirment la grave et profonde désorganisation narcissique de la personnalité de ce dernier, provoquant chez lui une grave immaturité au moment de son mariage.
Déjà en première instance l’enquête avait fait état du défaut d’empathie du demandeur, de son estimation immodérée de lui-même, de son manque de considération pour le jugement d’autrui, ce qui donnait déjà, en raison de la gravité de ces faits, des arguments pour son incapacité à se marier.
- Les déclarations de l’épouse partie appelée et du demandeur lui-même
En première instance, Laura avait parlé du « caractère introverti » de son mari, chez qui elle soupçonnait quelque problème psychique, mais, avoue-t-elle, « au début j’étais tellement amoureuse de lui que je ne m’en suis pas aperçue ».
De son côté, Paolo décrit son éducation et son évolution psychique : enfant et adolescent, il a toujours été l’objet d’attentions particulières de ses parents, il a été poussé par eux à élever le niveau de sa famille, à s’affirmer, à avoir des objectifs ambitieux. Ne pouvant réaliser ses aspirations à Bologne, il a déclaré à Laura qu’il lui fallait partir à Rome dans ce but. De plus il a vu que s’il épousait Laura, elle pourrait l’aider dans son ascension sociale en raison des qualités intellectuelles et de la position qu’elle possédait.
De nombreux témoins confirment les déclarations de chaque époux : le caractère de Paolo, l’utilité qu’il voyait dans son mariage ; « Il ne parlait jamais de sentiment, d’amour, mais plutôt des perspectives d’avenir intéressantes qu’il aurait en épousant Laura ».
- Les experts
La première expertise a été faite à l’occasion du divorce civil. La psychologue M.C. trouve chez le mari « une tonalité narcissique […] qui se réfère à une façon d’être du sujet qui est prévalente quand n’interviennent pas des mécanismes de défense ».
Le professeur L.O. voit un narcissisme chez l’un et l’autre des époux.
L’expert M.C., qui elle aussi avait attribué à l’épouse « une structure profonde de personnalité de type narcissique », avait noté des éléments analogues chez le mari.
Les professeurs A.J. et M.G. ont examiné Paolo et sont arrivés à des conclusions sûres et conformes aux actes. Les très longues citations de leurs expertises qui figurent dans la sentence peuvent être résumées ainsi : « Diagnostic certain de Trouble Narcissique de Personnalité », « Comme le cas en question le démontre, la valeur pathologique du Narcissisme consiste dans l’incapacité de valorisations authentiques et d’ouverture à autrui, à cause de la prédominance égocentrique de soi par rapport à autrui, réduit à être un simple instrument de gratification du sujet lui-même ». Les experts citent de nombreux faits et attitudes de Paolo qui justifient leur conclusion. Le professeur A.J., particulièrement cité dans la sentence rotale, dresse un catalogue éloquent de ces faits et attitudes du mari.
En conclusion, il existait sûrement chez Paolo et Laura une constitution psychique narcissique, mais si, chez le mari, celle-ci s’est révélée grave et doit être tenue pour psychopathologique, il ne semble pas qu’elle ait été grave chez l’épouse.
Constat de nullité
pour incapacité d’assumer
de la part du mari
Vetitum pour le mari
Egidio TURNATURI, ponent
Maurice MONIER
Pio Vito PINTO
Cette sentence, qui a déclaré pour la première fois la nullité du mariage, est transmise au Tour d’appel.
__________
[1] C. DEFILIPPI, 28 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 676, n. 8
[2] C. TURNATURI, 5 avril 2001, SRRDec, vol. XCIII, p. 274, n. 6
[3] N. 5
[4] C. BOCCAFOLA, 11 mars 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 136, n. 7
[5] C. SERRANO, 18 février 1983, inédite ; cf. c. SERRANO, 21 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 531, n. 12 ; c. EGAN, 29 mars 1984, SRRDec, vol. LXXVI, p. 206, n. 6 ; c. FIORE, 30 mai 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 348 ; c. DORAN, 6 juillet 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 496, n. 26 ; c. COLAGIOVANNI, 20 mars 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 175
[6] C. STANKIEWICZ, 24 février 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 116, n. 20
[7] C. ALWAN, 13 décembre 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 704, n. 7
[8] C. SERRANO, 27 octobre 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 620, n. 5
[9] C. COLAGIOVANNI, 28 mai 1994, SRRDec, vol. XCI, p. 264, n. 11
[10] Cf. R.J. SANSON, Narcisistic Personality Disorder : Possible Effects on the Validity of Marital Consent, Monitor Ecclesiasticus, 112, 1988, p. 541-581
[11] C. LOPEZ-ILLANA, 17 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 890, n. 22
[12] G. VERSALDI, Via et ratio introducendi integram notionem christianam sexualitatis humanae in categorias canonicas, Periodica, 75, 1986, p. 429
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