Le dialogue est une manière privilégiée et indispensable de vivre, d’exprimer et de faire mûrir l’amour, dans la vie matrimoniale et familiale. Mais il suppose un apprentissage long et difficile[1].
La connaissance mutuelle entre deux êtres évolue toujours de l’extérieur, c’est-à-dire ce que la personne donne à voir, (apparence physique, façon de se comporter…), vers l’intérieur (sentiments, intelligence, convictions, attentes, valeurs et finalement la volonté, fruit de la liberté). Faire connaissance nécessite à la fois de la gratuité, du temps, de l’humilité et de la patience pour maintenir l’espace nécessaire à la découverte mutuelle.
Si l’homme et la femme sont trop près, ils vivent une relation de fusion qui ne leur permet pas de se connaître vraiment, en faisant la différence entre l’un et l’autre. S’ils sont trop loin, il y a cohabitation mais pas d’intimité, au sens d’un espace pour construire une relation de couple. Parfois les deux positions coexistent ou alternent, l’un des deux s’écartant quand il se sent envahi et l’autre se rapprochant quand le premier s’éloigne. Il faut savoir que tous les êtres n’ont pas le même sens des limites et ce qui est jugé trop près par l’un pourra être jugé trop loin par l’autre. Une relation équilibrée consiste pour chacun des fiancés ou pour les personnes en couple, à vivre deux espaces complémentaires, à savoir leur espace personnel et leur espace commun.
Si chacun des fiancés exprime librement ce qu’il ressent dans telle ou telle situation, ils découvriront à quel point leurs réactions sont différentes. Ils verront qu’ils ont tendance à copier le modèle parental, et que cela peut blesser l’autre. Ils pourront alors inventer une autre manière de se comporter, qui convienne à leur couple.
75 % des couples qui se séparent le font
à cause d’un manque de communication.[2]
Le dialogue nécessite en fait d’écouter et de parler, mais, dans ce domaine, on a toujours à apprendre à progresser.
Parmi les différentes formes d’écoute, Carl Rogers a conceptualisé la notion d’« écoute active », qui nécessite de respecter trois conditions :
- créer un environnement favorable à l’écoute, en fermant par exemple la télévision, en cessant provisoirement son activité pour vraiment écouter l’autre, en félicitant l’autre pour une qualité, éveillant ainsi sa bienveillance ;
- se décentrer de soi-même, en accueillant ses propres émotions et sentiments, puis en les mettant provisoirement de côté pendant le temps d’écoute de l’autre ;
- reformuler la parole reçue : en reformulant ce que l’on a entendu « si j’ai bien compris, tu te sens … ?» pour vérifier si l’on a bien perçu la communication verbale et non-verbale de l’autre[4].
La parabole du semeur, où la semence symbolise la parole, évoque une bonne manière d’écouter et trois mauvaises. La parole tombée « dans la bonne terre » produit des fruits au centuple[5] tandis que se perd celle qui tombe au bord du chemin, sur le sol pierreux ou dans les épines.
Nous avons tous appris à parler
et pas nécessairement à communiquer[6]
Pour que l’autre puisse nous écouter, il importe aussi d’apprendre à parler sans blesser, ce qui implique le respect de quatre règles :
- Observer sans évaluer ni juger : « je vois, j’entends, je ressens, je me souviens » ;
- Dire son sentiment en disant « je »;
- Comprendre et exprimer son besoin sans parler d’action ;
- Demander sans exiger.
La plus grande partie des problèmes sont résolus dès lors qu’on les évoque[7]
Une autre particularité du dialogue est qu’il produit un échange. Selon Catherine Emmanuel[8], il comporte quatre temps, avec une manière juste et deux manières mauvaises de le vivre, le trop et le trop peu :
Figure 6 : le cycle de l’échange
- Recevoir : chacun reçoit d’ailleurs que de lui-même la vie, l’air, le boire, le manger, la santé, l’amitié, etc. Il reçoit tout cela de la nature, de Dieu, de ses parents, et ensuite de ses amis et de tant d’autres. On peut accueillir ces dons avec gratitude, mais on peut aussi les recevoir de façon négative en considérant que tout vient de nous, oubliant ce qui vient des autres. On peut aussi se plaindre de ne pas avoir reçu assez ou de ne pas avoir reçu ce qu’on aurait voulu. Si l’on accueille simplement les dons, on éprouvera de la gratitude qui va nous amener à rendre.
- Rendre : l’enfant va rendre un sourire à sa mère. De même, nous pouvons rendre l’amour que nous recevons aujourd’hui. Là encore il y a deux manières de ne pas rendre de façon appropriée. On peut rendre trop peu, en gardant pour soi le don reçu comme les avares, ou trop en rendant de manière exagérée le don fait par l’autre, en se mettant soi-même en danger comme les mères inconditionnelles et les fanatiques en tout genre.
- Demander : Du fait même de la condition humaine, on peut se retrouver démuni et avoir faim, soif, froid, être désorienté, triste, honteux ou tout simplement être malheureux. Certaines personnes refusent de demander, car on leur a appris à ne pas le faire, ou parce que ce serait se mettre en dessous de l’autre. Ainsi, certains exigent au lieu de demander, d’autres manipulent pour que l’autre donne sans qu’ils aient à demander. Le chemin de l’amour et de la paix passe par la demande qui laisse à l’autre la liberté d’accepter ou de refuser.
- Donner : Sans attendre de recevoir, il est possible de donner. Même les entreprises le font quand elles investissent. Quant au don gratuit, il n’attend pas de retour mais il est généralement fécond car il déclenche un cycle d’échanges. Il y a, là encore deux façons de mal donner : refuser de donner en gardant pour soi par peur de manquer, ou bien écraser l’autre par un don inapproprié parce qu’il est démesuré, qu’il est conditionné ou qu’il est intéressé.
Donnez, et vous recevrez : une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans votre tablier ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous[9]« .
Personnellement, mes parents m’ont transmis leur sens du travail en m’enseignant à devenir indépendant financièrement, et je leur en suis très reconnaissant. Par contre, ils m’ont enseigné à ne dépendre de personne, ce qui m’a amené pendant longtemps à refuser par culpabilité les dons qui m’étaient proposés. En refusant ainsi de recevoir, je me suis privé inutilement de ressources qui m’auraient été utiles, et j’ai souvent blessé les personnes qui se posaient en amis.
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[1] Amoris Laetitia, 136.
[2] Bénédicte de Dinechin, Le couple dont vous êtes les héros. Paris, Quasar, 2018, p. 32.
[3] https://Marketin.thus.ch + https://alternego/
[4] Juger, moraliser, expliquer, interpréter, rassurer, donner des solutions, chercher à convaincre, projeter ses propres peurs, ce n’est pas écouter.
[5] Evangile selon St Matthieu, chapitre 13.
[6] L’Abécédaire des CPM, tome 2, p.82.
[7] Etty Hillesum, Une vie bouleversée.
[8] Texte inspiré d’une conférence de Catherine Emmanuel le 3 mai 2019 à Venise, dans le cadre du GEMME et du Conseil International de la médiation.
[9] Evangile selon St Luc 6, 38