Si l’un des conjoints se sent victime de l’autre et s’il ne parvient pas à se faire entendre, sa tendance naturelle est d’aller chercher un tiers qui va lui donner raison contre l’autre.
Il s’adressera ainsi à un proche pour l’appeler à son secours, à un arbitre ou un juge pour qu’il lui donne raison ou, dans un premier temps, à un avocat qui va plaider sa cause auprès du juge, voire à un détective qui va recueillir des preuves contre son conjoint.
Distinguons en effet :
l’arbitre, choisi d’un commun accord par les conjoints, pour élaborer un compromis qu’ils s’engagent d’avance à respecter ;
le juge, qui impose une solution selon le droit.
L’avocat qui n’a pas de pouvoir de décision mais qui, en préparation et au cours de toute procédure judiciaire, est investi, d’une double mission d’assistance juridique et de représentation vis-à-vis de ses clients.
Ainsi, dans les sociétés dites développées, les conjoints font souvent appel à des avocats[1] ou des juges aux affaires familiales pour « mener à bien » une procédure judiciaire aboutissant à une séparation (séparation de corps, divorce pour faute, divorce pour altération définitive du lien conjugal, divorce par consentement mutuel), puis éventuellement une autre procédure pour faire respecter les obligations de pension alimentaire (CEEE), de garde alternée ou autre.
Cette manière de procéder résulte souvent d’une attitude guerrière, qui part du principe que l’on a raison, que l’autre a tort, et qu’un tiers va lui faire entendre raison. Nous verrons plus loin que cette situation ressemble fort au triangle dramatique de Karpman, ou le conflit continue longtemps sans s’apaiser véritablement. Il existe d’autres positions qui consistent à rechercher un accord, et/ou à faire un travail sur soi-même, pour mieux objectiver ce qui se passe, comprendre les parts de responsabilité respectives, et devenir moins dépendant de l’autre.
Pour comparer les deux approches, le philosophe Paul Ricoeur estime que l’intervention du juge est bien adaptée à la finalité courte de l’acte de juger, qui est de « trancher le litige » tandis que la médiation est mieux adaptée à sa finalité longue, qui est de « contribuer à la paix sociale », en traitant du conflit qui a engendré le litige.
Dans le même esprit, Béatrice Brenneur[2], présidente de GEMME France, la section française du groupement des magistrats médiateurs européens, considère que le recours au juge est souhaitable quand le rapport de forces est inégal, par exemple lors qu’une femme est battue, quitte à ce qu’une médiation ait lieu entre le dépôt de la procédure judiciaire et le jugement, sachant que la perspective d’une condamnation rétablit l’équilibre des forces, et donc un accord équilibré possible.
Si l’on ne parvient pas à s’entendre par la négociation et que l’on a choisi une autre voie que celle du procès contentieux, on fera alors appel à des professionnels de l’accompagnement, en commençant par les thérapies individuelles, qui visent principalement à aider une personne à retrouver sa pleine santé physique et morale, sans nécessairement s’intéresser à sa relation conjugale.
[1] Il y aurait, en France plus de 50 000 avocats, soient près d’un pour 1000 habitants, dont la majorité sont des femmes. Parmi eux, certains gagnent bien leur vie, tandis que d’autres ont du mal à trouver suffisamment de clients pour vivre de leur métier. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles une part croissante des avocats se forme à la médiation, pour ne pas laisser échapper à d’autres le marché correspondant.
[2] Béatrice Brenneur, La médiation pour tous, Médias et participations,
Outre la thérapie, l’accompagnement personnalisé est pratiqué depuis des temps immémoriaux, avec des grands maîtres comme Socrate, dont le questionnement aidait les membres de l’Académie à réfléchir et à se prendre en main.
L’accompagnement psycho-spirituel[1] est un espace de confiance, confidentiel et sans jugement qui s’adresse à toutes personnes, athées, agnostiques ou de différentes religions qui ressentent le besoin de considérer leur existence autrement qu’uniquement au travers ce qu’elles peuvent voir ou toucher. C’est une invitation à prendre du recul et à s’ouvrir à une autre dimension, sans rite ou dogme religieux, mais à partir de ce qui questionne, blesse, déchire ou intrigue. Dans les religions, l’accompagnement spirituel vise à accompagner un frère dans sa vie d’amitié et d’union avec Dieu lui-même.
Dans le monde « développé », l’accompagnement individuel est connu sous le nom de « coaching », qui prend la forme de séances répétées d’une à deux heures, autour d’un objectif précis comme par exemple : « comment rendre heureux mon conjoint ? », voire même « comment récupérer mon ex ?[2] ».
Comme pour les autres professions, il existe des écoles de coaching, avec leurs spécificités mais aussi avec des points communs que nous allons nous efforcer de présenter, à partir de notre pratique personnelle, et du livre de François Delivré « Le métier de coach[3] ».
Une des définitions du coaching est « l’art d’aider une personne à trouver ses propres solutions », par rapport à un problème actuel. Il se distingue du conseil et de la formation qui donnent des points de repère, de la thérapie qui n’aborde pas de problème actuel.
Suivant sa formation et ses compétences, le coach d’une personne peut intervenir à plusieurs niveaux :
au niveau individuel, pour traiter des problèmes intrapsychiques, c’est-à-dire les problèmes intérieurs à la personne ;
au niveau relationnel, par exemple la relation avec un conjoint ;
au niveau d’une équipe ou d’une famille, pour traiter des difficultés de management dans une entreprise ou d’éducation des enfants ;
au niveau politique et social, avec le coaching de dirigeants,qui nécessite d’aborder sérieusement la structure et les règles des organisations, mais aussi au niveau de la famille élargie, par exemple à l’occasion d’un héritage.
Vis-à-vis de son client, le coach adopte une double posture :
posture basse, où il met ses compétences au service de son client, qui reste maître de ses décisions ;
posture haute sur le processus de coaching, où le coach précise au départ et rappelle en tant que de besoin les règles du coaching. Il adopte aussi une position haute quand il sort de la neutralité bienveillante, pour aider le client à dépasser ses résistances conscientes ou inconscientes.
Cette double posture est délicate car elle peut donner lieu à des dérives dont le client est en partie protégé par :
le code de déontologie du coaching[4] qui précise les obligations respectives du coach, du coaché et, le cas échéant de celui qui paye le coaching[5] ;
le contrat spécifique entre le coach et le client.
Lorsqu’il exerce son art, le coach fait appel à des compétences fondamentales que François Délivré regroupe en sept :
L’analyse de la demande : En explorant le contexte, le problème, le besoin et la demande, le coach distingue ces quatre niveaux de réalité et il permet au client de formuler plus précisément sa demande.
L’établissement d’un contrat : il fournit un cadre sécurisant au déroulement du coaching, et une référence en cas de difficultés ;
Le diagnostic initial : il permet au coach de définir une stratégie d’intervention, en cernant la personnalité de son client, en repérant les croyances enfermantes, et en prévenant les jeux psychiques qui risquent se jouer au cours du travail ;
Le cadre de référence : il permet au coach d’objectiver le mode de fonctionnement de son client et le sien, pour répondre à chaque moment à la question de l’interventionnisme ou non, c’est-à-dire savoir s’il est plus profitable au client de poursuivre dans son mode de fonctionnement ou de s’en voir proposer un autre ;
Le contenu, le processus et le sens : tout au long du travail, le coach exerce une triple écoute de ce que dit le client, de ce qu’il montre et de la manière dont cela résonne en lui. Il repère d’éventuels processus parallèles et s’efforce d’aider le client à trouver ou rétablir une harmonie interne en alignant le mieux possible ses comportements, ses capacités, ses croyances et ses valeurs et ses missions[6].
L’accompagnement au changement : le coach accompagne le client dans le deuil du passé et dans la construction du présent et du futur, en sachant distinguer si le changement désiré nécessite des évolutions successives ou une révolution profonde ;
L’invitation à l’autonomie : le coach sait repérer les jeux psychologiques qui balisent sa relation avec le client[7] et il sait lui donner les signes de reconnaissance, les permissions dont il a besoin, sans que ses propres besoins n’interfèrent dans l’évolution de son client.
Dans son travail quotidien, le coach pratique :
le questionnement et la reformulation, permettant d’extraire du contenu communiqué le sentiment inhérent aux paroles du client et de les lui communiquer sans les lui imposer ;
la métacommunication, c’est-à-dire communiquer sur la relation de coaching, en disant par exemple : « il me semble que nous tournons en rond »
l’expression des signes de reconnaissance positifs ou négatifs, conditionnels et inconditionnels ;
les recadrages du point de vue, en montrant au client qu’il y a plusieurs façons de voir, du comportement, en soulignant ce qu’il y a d’intentions positives, et du sens, en soulignant qu’il peut y avoir plusieurs significations, suppositions et interprétations d’un comportement donné ;
Les confrontations, pour s’opposer aux contradictions du client, de façon à ce qu’il puisse choisir d’évoluer ;
Les explicitations, en donnant des points de repère au client, pour l’éclairer sur un problème évoqué ;
Les interprétations, en formulant des hypothèses sur ce qui se passe, tout en laissant le client libre d’y adhérer ou pas ;
Les permissions etprotections pour permettre au client de suivre son désir en dépassant sa peur, tout en l’avertissant des dangers à éviter ;
Le rire, qui permet de dédramatiser ;
Le silence, qui laisse le temps au client de faire son chemin pendant la séance ;
Les métaphores, qui permettent de sortir d’un problème trop douloureux ou trop sérieux en le ramenant à des proportions différentes « c’est comme si… »
La prescription du symptôme qui consiste en quelque-sorte à inoculer un vaccin au client, en l’invitant à faire consciemment ce qu’il ne peut pas s’empêcher de faire malgré lui.
Voici maintenant trois exemples d’accompagnement :
Personnellement, lorsque j’étais en formation, j’ai très souvent évoqué des situations de conflit, notamment avec mon épouse. Chaque fois, le coach- formateur m’a invité à revivre la situation, dans un cadre sécurisé. Généralement, il jouait lui-même le rôle de l’opposant, en m’invitant à aller au bout de mes émotions de peur et de colère, de honte, de dégoût ou de surprise. Parfois-même il m’a demandé s’inverser les rôles, où c’est lui qui jouait mon rôle tandis que je devais vivre le rôle de ma compagne. Je puis vous assurer que, chaque fois, cette expérience m’a permis de voir la situation autrement et d’aborder ensuite ma compagne avec un état d’esprit différent.
Hans et Josy étaient séparés et la garde de l’enfant avait été confiée à Josy car Hans était toxicomane. Quand il revient en France, il voulut revoir son fils, mais l’avocate de Josy eut une attitude très vindicative avec des propos violents contre Hans. Grâce à un accompagnement, Hans répondit posément à l’avocat et il parvint à rester calme lors de l’audience, si bien que le juge accorda la garde alternée[8].
Une femme en colocation, s’est fait violer à Paris en 1978 par les trois « amis » de sa colocataire, venus à l’improviste. Ses agresseurs ont été punis de sept ans de réclusion elle a touché 36 500 F de dommages et intérêts, mais cela n’a rien changé à sa vie qui a été détruite. Elle s’est sentie à nouveau comme violée lors des interrogatoires et de la procédure qui ont duré deux ans. Elle vivait dans la peur de rencontrer ses agresseurs à qui elle aurait voulu montrer sa vie devenue un enfer, mais elle n’a pas pu leur parler. Pendant longtemps elle a recherché sa réhabilitation mais elle ne l’a pas trouvé dans la procédure judiciaire. Elle l’a trouvé enfin en se joignant au Centre de Médiation et de Formation à la médiation (CMFM)[9], où elle a découvert la possibilité de vider son sac d’émotions, de sentiments et de ressentiments, pour s’apaiser. Après des années de souffrance, elle a découvert combien il est nécessaire pour une personne blessée de pouvoir faire part de sa peine, de sa haine, son amour ses rancœurs, ses incompréhensions ses doutes, sa souffrance à la personne directement concernée. Elle a compris qu’il est tout aussi important d’entendre cette personne justifier ses actes en répondant la question : POURQUOI ? Elle a aussi compris que la réparation matérielle donnée par la justice était importante, mais seule une médiation avec ses violeurs aurait pu apporter la réparation morale[10].
Lorsqu’une personne est en difficulté dans son couple, elle hésite généralement à demander de l’aide, sans doute par honte. Lorsqu’un d’entre eux le fait, il s’adresse en général à un parent, à ami ou à un proche, et ce dernier peut être de bon ou de mauvais conseil.
Dans le monde occidental, où les relations de famille et d’amitié se font parfois rares, les personnes en difficulté s’adressent plus volontiers à des professionnels de la relation humaine et, plus spécifiquement, à des conseils conjugaux.
Après avoir évoqué la posture de l’accompagnant, nous évoquerons différents types d’accompagnants qui ont tous une formation spécifique et qui mettent en œuvre des techniques particulières :
Pour ma part, je n’ai pas divorcé mais j’ai vécu une rupture.
Chère Sylvie,
Un des plus forts moments de ma vie a été ma rupture avec mon analyste et les associations qu’il a créées. Elle a mûri pendant plusieurs années, et je l’ai vécue comme un divorce dont je n’ai pas terminé le deuil.
Je te suis très reconnaissant de ton attitude envers moi pendant ce temps, même si tu as fait un choix différent du mien, en restant dans le groupe. Tu as respecté ma liberté et nous avons parlé de nos choix respectifs, en partageant nos émotions, nos sentiments, nos pensées, dans le respect de nos positions respectives.
Je te remercie également d’avoir accepté mes nombreux voyages à l’étranger, peuplés d’amis et d’amies, auprès de qui j’ai recherché le soutien que j’ai perdu dans le groupe, découvrant avec eux de nouveaux espaces, construisant des projets solides et vivant des relations émouvantes, comme si j’avais besoin d’eux pour guérir mes blessures et exercer ma fécondité.
Aujourd’hui, je poursuis mon chemin de deuil, refusant de soumettre notre couple à des forces extérieures, et acceptant ton exigence de respect par rapport à des personnes que tu continues à aimer.
A force de travailler sur la transformation constructive des conflits, j’ai reconstruit ma vie en écrivant ce livre, en devenant conciliateur de justice, médiateur international et coach. A plusieurs reprises, nous avons rencontré des gens en souffrance et, lorsque tu étais là, ils ont toujours apprécié ton attitude, fondamentalement différente de la mienne et, visiblement apaisante, à côté de mon caractère fonceur.
J’en viens à croire maintenant que nous pouvons avoir une fécondité de couple dans ce domaine.
Je t’aime, ton mari, Alain
Parmi tes poèmes récents, je préfère celui-ci :
Depuis tant de siècles et tant d’années
se maintient le rêve qui nous soutient
à cheval sur un destrier qui va plus loin que le soleil
nous avons rêvé de l’amour notre unique flamme et notre conquête
plus que d’empires et de pays
plus que de terres inconnues
d’animaux rares et d’étoiles
oubliées au fond du cosmos
nous avons rêvé de l’amour comme du seul chemin à vivre en ces aventures du monde aux quatre vents qui rient et pleurent
Mais qui pourra dire et comprendre que l’amour en sa vérité
prenant notre main pour nous emmener
vers le temps qui tremble de jour en jour
que l’amour tel qu’il se révèle après avoir ôté ses habits chamarrés
pour un partage simple en notre vie ensemble
que l’amour notre grand désir
nous amène à considérer
oubliant châteaux et trésors
notre petitesse au fond de la chambre
et par ce grand bonheur qui nous prend dans ses bras
Pour la société civile, le divorce est admis et ne pose apparemment pas de problème. Pourtant, ses conséquences sociales sont bien étudiées et connues :
souffrance des enfants engendrant souvent des difficultés psychologiques, scolaires et sociales[1] ;
conséquences financières ;
la pérennité des entreprises familiales est souvent mise en cause lorsque les dirigeants divorcent.
Nous nous étendrons plus loin sur la position de l’Eglise, où la doctrine sur l’indissolubilité du mariage n’a pas changé avec le synode des évêques sur la famille, par contre le contexte de la société a changé, et le regard de l’Eglise, tout comme son langage, ont profondément évolué, notamment à l’égard des divorcés engagés dans une nouvelle union.
en 1917 le canon 2356, abrogé en 1983, indiquait : Les bigames, c’est-à-dire ceux qui, malgré le lien conjugal, font la tentative d’un autre mariage, du moins civil, comme on dit, sont infâmes par le fait même ; de plus, si, méprisant la monition de l’Ordinaire, ils persistent dans leur concubinage adultérin, que suivant la gravité de leur faute, on les excommunie ou qu’on les frappe d’un interdit personnel.
en 1981, le pape Jean-Paul II précise : Le respect dû au Sacrement de mariage, aux conjoints eux-mêmes et à leurs proches et aussi à la communauté de fidèles interdit à tous les pasteurs, […] de célébrer en faveur des divorcés remariés des cérémonies d’aucune sorte[2]
en 1992, le catéchisme de l’Eglise catholique indique au n° 1650 : Si les divorcés sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu. Dès lors, ils ne peuvent pas accéder à la communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation. Pour la même raison, ils ne peuvent pas accéder à certaines responsabilités ecclésiales
en 2016, le pape François écrit dans Amoris Laetitia aux n° 242 et 243 : Le regard du Christ, dont la lumière éclaire tout homme, inspire la pastorale de l’Église à l’égard des fidèles qui vivent en concubinage, ou qui ont simplement contracté un mariage civil ou encore qui sont des divorcés remariés. […] Il est important de faire en sorte que les personnes divorcées engagées dans une nouvelle union sentent qu’elles font partie de l’Église, qu’elles ‘‘ne sont pas excommuniées’’ et qu’elles ne sont pas traitées comme telles, car elles sont inclues dans la communion ecclésiale. Ces situations « exigent aussi [que ces divorcés bénéficient d’un] discernement attentif et [qu’ils soient] accompagnés avec beaucoup de respect, en évitant tout langage et toute attitude qui fassent peser sur eux un sentiment de discrimination ; il faut encourager leur participation à la vie de la communauté. Prendre soin d’eux ne signifie pas pour la communauté chrétienne un affaiblissement de sa foi et de son témoignage sur l’indissolubilité du mariage, c’est plutôt précisément en cela que s’exprime sa charité.
On observera le terme « divorcé engagé dans une nouvelle union » et non pas le terme populaire de divorcé-remarié, résultant du fait que l’Eglise ne reconnaît pas une nouvelle union comme un mariage, sauf à ce que la première union ait été reconnue comme sacramentellement invalide. Reste à savoir quelle attitude pastorale adopter en faveur de ces fidèles catholiques. Amoris Laetitia donne des pistes qui méritent d’être approfondies avec l’éclairage du texte entier et non seulement des extraits ci-dessous :
Les Pères synodaux ont affirmé que le discernement des Pasteurs doit toujours se faire en distinguant attentivement les situations, […] il convient donc de discerner quelles sont, parmi les diverses formes d’exclusion actuellement pratiquées dans les domaines liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel, celles qui peuvent être dépassées. […] Cette intégration est nécessaire également pour le soin et l’éducation chrétienne de leurs enfants, qui doivent être considérés comme les plus importants ; [A.L. 299]
Pour ce faire, l’Eglise a mis en place de nombreux services pastoraux dans les différents diocèses, mais surtout avec des associations comme Chrétiens Divorcés[3], Miséricorde et vérité[4] ou les équipes Reliance[5] présentées au chapitre 3.
Le travail est particulièrement délicat, comme le rappelait le pape François
Face aux situations difficiles et aux familles blessées, il faut toujours rappeler un principe général : ‘‘Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l’obligation de bien discerner les diverses situations’’ Le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas et il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision. [A.L. 79]
Il serait intéressant d’effectuer une enquête sur la manière dont le discernement proposé a été mis en œuvre dans les trois années qui ont suivi Amoris Laetitia. Dans l’attente de travaux sur le sujet, voici trois exemples tirés du livre de Guy de Lachaux : Union après un divorce.
La lettre de Mgr. Lebrun adressée aux personnes séparées, divorcées, divorcées remariées, membres de l’Église catholique le 8 septembre 2016[6], comporte une série de quatre demandes de pardon, suivis de considérations marquant sa sollicitude de pasteur :
pardon pour l’échec de votre mariage devenu l’échec d’une vie, peut-être à cause de regards portés sur vous ou d’attitudes envers vous. […] .
pardon pour l’indissolubilité de votre mariage devenue un fardeau que vous portez comme une condamnation. C’était pour vous un chemin de liberté, d’amour, de miséricorde, et cela doit le demeurer pour tous.
pardon pour le rappel de la loi qui vous atteint comme des pierres que Jésus a refusé de jeter sur la femme adultère. La loi est pourtant un chemin pour le bonheur.
pardon pour l’impossibilité de recevoir les sacrements pour les personnes divorcées engagées dans une nouvelle union. Cela doit être un appel à vous accueillir avec plus de charité.
L’expérience des groupes de parole montre à quelle point l’attente de ces personnes est grande de ne plus être isolées de la communion ecclésiale.
La cérémonie de retour à l’Eucharistie d’un couple remarié, relaté sur le blog d’un prêtre de la Mission de France[7] montre comment et dans quelles conditions, il est possible d’accompagner des divorcés dans une nouvelle union, après le temps de discernement demandé par l’Eglise.
Si le temps de la séparation provisoire ne permet pas de rétablir une relation conjugale saine, et, par exemple s’il y a des raisons de penser que le mariage était invalide, il faut alors se résoudre au divorce civil, suivi éventuellement d’un procès en reconnaissance d’invalidité de mariage.
Le temps préalable au divorce civil est un temps sensible, qui peut être vécu de manière responsable, pour permettre à chacun de panser ses blessures et de reconstruire sa vie. Il peut être mis à profit pour permettre aux enfants de ne pas trop faire les frais de la séparation de leurs parents, en n’ayant pas le sentiment qu’ils ont perdu leur identité ou qu’ils sont responsables des disputes de leur parents. Il peut au contraire, être vécu de manière conflictuelle, avec des années de conflit et de violence, et le paiement de sommes très importantes[1].
Les conditions du divorce civil dépendent de la législation en vigueur dans le pays où a été célébré le mariage civil. En France, le droit prévoit une procédure de séparation de corps, trois types de divorces contentieux (divorce pour faute, pour altération définitive du lien conjugal) et un type de divorce par consentement mutuel, où les époux n’ont pas besoin de passer devant le Juge des Affaires Familiales sauf si un enfant des époux demande à être auditionné. Une convention est alors établie entre les époux avec l’aide éventuelle de leurs avocats respectifs et cette convention doit être déposée chez un notaire. Même en choisissant la voie du divorce par consentement mutuel, il existe plusieurs attitudes possibles :
s’efforcer de coopérer pour trouver un accord, avec l’aide éventuelle d’avocats médiateurs comme Anne Liénart, dont le slogan est « Se séparer sans conflit »
s’efforcer de régler rapidement la question, indépendamment de la relation qui sera probablement détériorée, avec un gagnant et un perdant ;
utiliser les ressources de la procédure pour se venger du conjoint, en la faisant traîner au maximum.
Actuellement, la France expérimente la mise en place systématique de « tentative de médiation familiale préalable obligatoire » (TMFPO) pour favoriser des solutions pacifiques.
S’ils sont mariés à l’Eglise, l’un des époux, ou les deux, pourront entamer une procédure en invalidité du sacrement de mariage, s’ils sont mariés à l’Eglise, spécialement s’il existe un doute sur la validité à partir des critères évoqués dans la section précédente[2]. Ils devront alors s’adresser au curé de leur paroisse, et, selon les pays et les diocèses, à la cellule diocésaine d’information, de conseil et de médiation pour l’enquête préliminaire et ensuite au tribunal diocésain ou interdiocésain appelé Officialité. Si l’Officialité estime qu’il y a des éléments qui permettent d’envisager une nullité, le demandeur sera invité à écrire un document appelé libelle, accompagné d’un mémoire relatant la vie du couple avant, pendant et après le mariage. Le procès canonique qui en résultera ne visera pas à savoir qui a raison ou tort, ni à évaluer ce qui s’est passé dans le couple depuis le mariage, mais il s’efforcera de réunir des éléments d’information et de preuve sur la nature du lien conjugal au moment du mariage. Il prononcera alors une décision sur la validité ou non du lien sacramentel, selon une procédure normale ou brève, telle qu’indiquée sur les sites internet de plusieurs diocèses, dont ceux de l’Officialité de Dijon[3] ou de Toulouse[4] ou par vidéo[5].
A la différence de la société civile qui reconnaît le divorce, l’Eglise catholique le refuse sachant qu’elle propose, non pas de faire annuler son mariage, mais d’en faire reconnaître l’invalidité dans des conditions bien précises.
Ainsi, le Code de droit canonique de 1983[1] traduit juridiquement la doctrine du mariage catholique, avec les canons 1055 à 1165 qui évoquent les propriétés essentielles du mariage chrétien ainsi que les conditions de validité du sacrement de mariage. Ce code et la jurisprudence qui a suivi exposent alors diverses causes susceptibles d’entraîner l’invalidité du sacrement de mariage au moment où il a été contracté :
Exclusion formelle de l’un des éléments essentiels du mariage (bien des époux, fidélité, indissolubilité, accueil des enfants) ;
Simulation du mariage, lorsqu’un des partenaires n’a pas l’intention de réaliser l’engagement qu’il représente ;
Absence de liberté provoquée par des pressions graves (physiques ou morales) ;
Tromperie concernant des questions importantes afin d’extorquer le consentement du futur conjoint (par exemple, on a caché un élément important de sa personnalité) ;
Incapacité de donner un consentement reposant sur un choix lucide et libre (par exemple, une grave immaturité) ;
Pathologie affectant le psychisme, qui empêche de mettre en place ou d’assumer une vie conjugale (par exemple, un complexe d’œdipe prégnant ou maladie psychique invalidante) ;
Incapacité foncière d’assumer les obligations essentielles du mariage (par exemple, un problème d’identité sexuelle) ;
Existence d’empêchements tels que l’impuissance, l’existence d’un lien antérieur, le mariage avec un non baptisé sans avoir obtenu la dispense préalable nécessaire, parenté légale ou par alliance, l’âge légal non respecté, etc.
Défaut de forme canonique de la cérémonie de mariage.
Le code fournit également des indications sur la séparation des époux, les mariages mixtes et par disparité de culte, ainsi que les modalités de préparation au mariage, mais il ne dit rien sur l’accompagnement par l’Eglise des personnes en difficulté dans leur couple à un moment donné de leur histoire.
Il précise également les règles de procédure, auxquelles l’Eglise est tenue pour discerner de la validité d’un mariage. En 2015, ces règles sont profondément modifiées avec la lettre apostolique Mitis Iudex Dominus Iesus qui vise raccourcir et à simplifier la procédure. Sans nous étendre sur ce sujet, voici un article du code de droit canonique écrit dans le but de distinguer les cas d’invalidité les plus évidents des autres cas nécessitant un approfondissement.
Art. 14 § 1. Parmi les circonstances de faits et de personnes qui permettent le traitement des causes de nullité du mariage par le procès plus bref selon les canons 1683-1687, sont comprises par exemple : le manque de foi qui peut générer la simulation du consentement ou l’erreur qui détermine la volonté, la brièveté de la vie commune conjugale, l’avortement provoqué pour empêcher la procréation, la persistance obstinée dans une liaison extraconjugale au moment du mariage ou immédiatement après, la dissimulation dolosive de la stérilité ou d’une grave maladie contagieuse ou des enfants nés d’une relation précédente ou bien d’une incarcération, la cause du mariage tout à fait étrangère à la vie conjugale ou consistant dans la grossesse imprévue de la femme, la violence physique infligée pour extorquer le consentement, l’absence d’usage de la raison prouvé par des documents médicaux, etc.[2]
Le respect par un conjoint de la parole donnée, malgré la séparation peut avoir un impact très positif sur les enfants, comme en témoigne une maman :
Mes trois filles ont quelques difficultés à s’entendre avec le compagnon de leur mère, mais n’ont pas ce problème chez moi car, même séparée je reste fidèle à mon mariage. Cela nous permet de nous rassembler à mon domicile une ou deux fois par an.
Dans l’Eglise, le problème est encore plus délicat car le divorce n’est pas reconnu et qu’il y a parfois confusion entre personne divorcée et personne divorcée remariée.
Les personnes divorcées mais non remariées, qui sont souvent des témoins de la fidélité conjugale, doivent être encouragées à trouver dans l’Eucharistie la nourriture qui les soutienne dans leur état. La communauté locale et les Pasteurs doivent accompagner ces personnes avec sollicitude, surtout quand il y a des enfants ou qu’elles se trouvent dans de graves conditions de pauvreté[1].
Divers sites internet apportent des éléments de réponse aux questions que se posent les personnes séparées : Qui peut m’aider ?[2] Comment rester parent après la séparation ?[3] Peut-on rester fidèle même lorsque l’on est divorcé ?
Par ailleurs,
des aides financières sont parfois possibles du côté de la société civile[4]
des appuis peuvent aussi provenir de l’Eglise avec des mouvements comme Communion Notre Dame de l’Alliance[5] proposant des rencontres et des ressources en ligne[6].
Certes, l’accompagnement de tiers ou d’amis peut être utile en cas de séparation, à condition qu’il soit partage ou respecte les mêmes valeurs par rapport au mariage, en pensant, pour un chrétien, que le sacrement ne se « dessèche » pas avec le divorce. Mais en plus d’un tel accompagnement, il est bon de rencontrer des personnes qui vivent la même épreuve pour se soutenir mutuellement, et créer des liens de profonde amitié.
A la maison de la famille à Lyon[1], la conseillère conjugale et médiatrice familiale Charlotte Hulot reçoit régulièrement des personnes qui se séparent ou divorcent. Elle les entend souvent dire qu’elles se sentent complètement perdues, déboussolées. Elles sentent que leur monde s’écroule et elles ne savent pas si elles vont être capables de se relever.
Elle prend alors le temps de les accueillir, de les aider à comprendre ce qu’elles vivent et ressentent en leur expliquant que la séparation crée en général un choc psychologique qui amène chacun à ressentir des émotions fortes.
En effet, la séparation fait prendre conscience des nombreuses pertes à venir pour chacun : c’est la fin de la relation conjugale, de la vie de famille telle que les personnes l’ont connue jusque-là, c’est aussi parfois la vente du logement familial pour l’un et / ou l’autre et pour les enfants, et donc la sensation de perdre toute une partie de sa vie rattachée à ce lieu. Il en résulte souvent une perte de sens et une perte de lien.
Toutes ces pertes sont autant de deuils à effectuer pour traverser la crise et être à nouveau capable de trouver du sens à sa vie, d’avancer vers la sérénité, de retrouver une dynamique de vie meublée de relations enrichissantes.
Vivre un deuil, c’est parcourir un chemin plus ou moins long pour chacun. Il comprend plusieurs étapes qu’Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre du XXème siècle, a particulièrement étudiées dans ses différentes phases émotionnelles, notamment auprès des personnes en fin de vie. Sa théorie est applicable à tout vécu de perte avec la courbe du deuil, ou courbe du changement de Kübler-Ross[2]
Les personnes doivent comprendre et admettre que le changement s’effectue lentement, à petits pas. Faire le deuil d’un couple et d’une famille prend du temps, le temps des deuils à vivre pour chacun. La médiatrice familiale accompagne les personnes vers cette transformation en leur offrant un espace d’écoute et de dialogue, un cadre au sein duquel chacun est invité à construire avec l’autre une nouvelle manière d’être en relation.
La séparation d’un couple peut intervenir de diverses manières :
décès d’un des conjoints
séparation avant le mariage coutumier, civil ou religieux
mariage puis séparation due au conjoint, avec ou sans la charge des enfants
divorce
divorce et nouvelle union
C’est généralement une expérience douloureuse.
La séparation reste une des expériences humaines les plus douloureuses. Devenir étranger, particulièrement à quelqu’un qui a été proche, que l’on aime ou que l‘on a aimé, peut provoquer un désespoir profond et faire basculer la vie d’un individu. Quelque-chose a été touché, car la séparation provoque la solitude et l’homme n’est pas fait pour vivre seul. La communication avec ceux qui l’entourent lui est indispensable. Or dans la séparation, nous retrouvons, peut-être, une des premières expériences traumatisantes de la vie. […]. Chaque séparation réactualise le vécu de la séparation originelle (le paradis perdu)[1].
Une fois prise la décision de se séparer au moins provisoirement, ou devant le fait accompli du départ du conjoint, le chemin n’est pas terminé. Il reste à le mettre en œuvre, à vivre le deuil et à reconstruire une nouvelle vie pour soi et pour les enfants.
La situation est en effet très différente entre :
ceux qui restent en conflit, cherchant toutes les occasions de se faire la guerre par un procès contentieux qui n’en finit pas et qui coûte une fortune, une dévalorisation permanente du conjoint devant les enfants et l’utilisation de ces derniers comme arme du conflit, etc.
ceux qui souffrent de la blessure de l’amour, essayant tant bien que mal de repartir, sans tomber dans la honte ni la haine, en espérant un soutien de leurs proches, qui malheureusement s’éloignent bien souvent ;
ceux qui ont fait la paix entre eux, et qui continuent à se fréquenter pour décider ensemble un divorce civil par consentement mutuel, des gardes d’enfants alternées et des choix sur l’éducation des enfants ainsi que des multiples problèmes qui restent à résoudre.
Dans la plupart des cas, la séparation est une épreuve humaine pour chacun des conjoints séparés. Ils ont besoin d’un soutien alors que s’estompe le réseau de relations qu’ils avaient créé pendant leur vie commune et que leurs ressources financières diminuent généralement, car chaque personne séparée doit désormais assumer seule les charges qu’elle partageait auparavant avec son conjoint.
En 1990, des fidèles catholiques divorcés ont fait une exposition dans leur paroisse intitulée « Questions à notre Eglise sur le divorce[2] » et voici le témoignage du curé qui en résulte :
Je leur ai proposé de nous rencontrer ensemble. Nous étions cinq au départ, plus de trente, deux mois plus tard. La demande était très forte. Je ne pouvais que leur proposer des échanges tout simples, sans jugement, sous le regard de Dieu. Inutile de vous dire que j’ai beaucoup appris. J’ai appris la souffrance humaine car, et j’ai honte aujourd’hui de le dire, je ne pensais pas que le divorce pouvait engendrer une telle douleur je crois même avoir rarement vu des gens autant souffrir. Cela m’a obligé à écouter et à faire l’expérience de ma propre pauvreté. […] Pauvre Eglise sommes-nous, trop préoccupée par la vérité que nous avons à défendre, pour percevoir la souffrance des divorcés. […] Il nous faudrait en réponse une énorme profusion de miséricorde pour accompagner ces « blessés de l’amour »[3]