Coram SCIACCA
Erreur sur la qualité de la personne
Condition
Exclusion du bien des enfants
Tribunal régional du Latium (Italie)
22 janvier 2010
P.N. 19.479
Constat de nullité
uniquement pour exclusion du bien des enfants
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PLAN DE L’IN JURE
- L’ERREUR SUR UNE QUALITÉ DE LA PERSONNE
- Le principe du droit sur l’erreur sur une qualité
- L’exception à ce principe
- La preuve de la nullité du consentement pour erreur sur la personne
- LA CONDITION
- Nature de la condition
- Condition de futuro et condition de praesenti
- Ne pas confondre la condition avec…
- La condition et le doute
- La connaissance de la nullité du mariage
- La preuve de l’apposition d’une condition
III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS
- L’exclusion du bien des enfants « dans ses principes »
- Exclusion du droit et exclusion de l’exercice du droit
- L’exclusion temporaire du bien des enfants
- La preuve de l’exclusion du bien des enfants
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Giuseppe A., âgé de 30 ans, épouse le 22 juin 1996 Francesca F., de six ans sa cadette. Les jeunes gens s’étaient connus en 1990 et fiancés en 1992. La communauté conjugale n’eut pas d’enfants, d’une part parce que l’épouse faisait passer sa carrière professionnelle avant tout et repoussait toujours la perspective d’avoir un enfant, et d’autre part parce que cette situation causait de graves différents entre les conjoints. Ils se séparèrent à l’été 2000, la séparation consensuelle fut ratifiée par le Tribunal civil le 14 mars 2001, bientôt suivie de divorce. Depuis lors les époux se sont remariés civilement et ont eu chacun un enfant.
Désireux de retrouver sa liberté, Giuseppe, le 16 juillet 2001 s’adressa au Tribunal ecclésiastique régional du Latium, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour erreur sur une qualité de l’épouse et pour condition d’avoir des enfants mise par l’époux. La sentence du 17 mars 2004 fut négative.
En appel à la Rote, une nouvelle instruction fut entreprise, et le demandeur présenta un nouveau chef de nullité, à savoir l’exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse partie appelée.
Il Nous revient de répondre au doute concordé le 6 juillet 2007 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour erreur du mari demandeur sur une qualité directement et principalement visée de l’épouse partie appelée ; sinon, pour condition d’avoir des enfants apposée par le mari demandeur ; et, comme en première instance, pour exclusion du bien des enfants de la part de l’épouse partie appelée ? »
EN DROIT
Le fondement de l’alliance matrimoniale, et même – selon la terminologie de la philosophie scolastique – sa cause efficiente, est le consentement librement manifesté des contractants, qui est donc un élément si nécessaire qu’aucune puissance humaine ne peut le suppléer (cf. c. 1057 § 1).
Le consentement est en effet un acte humain par lequel les conjoints, se donnant et se recevant mutuellement, entrent dans une intime communauté de vie et d’amour, fondée par le Créateur et dotée de ses lois propres.[1]
- L’ERREUR SUR UNE QUALITÉ DE LA PERSONNE
- Dans l’esprit du c. 1072 § 2, « l’erreur sur une qualité de la personne, même si elle est cause du contrat, ne rend pas le mariage invalide, à moins que cette qualité ne soit directement et principalement visée ».
- Le principe du droit sur l’erreur sur une qualité
En effet – c’est un principe – « le droit canonique ne s’intéresse pas à la connaissance exacte ou erronée de la qualité de la personne – qui peut cependant avoir un poids psychologique efficace et souvent décisif dans le mécanisme de la décision – mais il s’intéresse seulement à la représentation de l’identité de la personne ». Cela est en accord avec les présupposés philosophiques de l’ordre canonique, particulièrement avec la doctrine thomiste, selon laquelle « il n’est pas nécessaire que l’intellect appréhende les qualités d’un être pour mouvoir la volonté vers cet être ; ce qui, dans notre problème, signifie que l’intellect, qu’il ne connaisse pas ou connaisse de façon erronée les qualités de la personne de l’autre contractant, ne détourne pas le mouvement de la volonté qui est régulièrement porté à vouloir la personne connue dans son individualité essentielle »[2].
En d’autres termes, on pourrait déclarer que « la science minimale » pour la validité requise du consentement inclut l’identité de la personne, même « sans tenir compte de ses qualités, y compris de celles qui sont essentielles »[3].
- L’exception à ce principe
- L’exception à cette règle dans le nouveau Code a été introduite par la formule légale connue du c. 1097 § 2, prise des œuvres de Saint Alphonse de Ligori, selon laquelle le mariage est nul chaque fois que dans l’intention de celui qui se marie la qualité prévaut sur la personne du partenaire, puisque cette qualité n’est pas seulement un moyen pour choisir la personne, mais qu’elle donne en totalité l’objet même du consentement. C’est-à-dire que compte tenu de l’acte concret de vouloir, la qualité, avant la personne elle-même, devient l’objet du contrat. Il en résulte que le défaut de la qualité souhaitée entraîne la nullité du mariage pour défaut du consentement, plus précisément pour défaut de l’objet du consentement, qui était directement et principalement constitué par la qualité, mais indirectement seulement et secondairement par la personne.
La nullité, en conséquence, provient de ce que « la volonté du sujet, proprement parce qu’elle se porte sur la qualité, ne fait pas nécessairement référence à une personne physique déterminée, mais bien plutôt substitue la considération d’une caractéristique qualitative à la considération de la personne physique, laquelle est pour ainsi dire mise au second plan », comme le pense O. Fumagalli Carulli ci-dessus citée.[4]
Les limites de ce point de vue n’ont toutefois pas échappé à O. Giacchi : « Il est toutefois clair que si entre les deux personnes qui se sont mariées il n’y a pas eu une simple connaissance, mais une réciproque relation effective qui a permis d’apprécier le caractère, les sentiments etc. de l’autre contractant, il ne pourra pas y avoir lieu à une erreur redondante parce que la volonté des conjoints, en ce cas, ne pourrait plus être tournée vers la seule qualité abstraite mais elle se serait portée sur la personne concrète, dont on croit qu’elle est dotée de telle qualité mais qui désormais s’est identifiée également à travers des éléments divers de cette qualité et qui font pour cela converger la volonté du contractant sur l’entière personnalité de l’autre sujet »[5].
- La preuve de la nullité du consentement pour erreur sur la qualité
- Assurément il est difficile de prouver la nullité du consentement pour erreur sur la qualité: « Sans aucun doute, l’hypothèse prévue par la loi – fait remarquer la Jurisprudence rotale – peut pratiquement arriver. Elle semble cependant être une hypothèse extrême et peu vraisemblable, qui ne peut pas être facilement prouvée », comme on le lit dans une sentence c. Burke.[6]
« L’erreur sur la qualité directe et principale, remarque J. Viladrich, implique une genèse et une durée causée par l’histoire biographique réelle antécédente, et la preuve de ce substrat biographique antécédent et causal de la volonté substantivante est fondamentale, au moins pour le distinguer d’une simple volonté interprétative. Dans les limites d’une séquence biographique, il est fondamental de prouver, outre la cause, la volonté positive, permanente et non révoquée de substantivation de la qualité en objet direct et principal, au point d’éliminer de ce poste substantif l’identité personnelle du candidat, qui occupe un poste indirect et accidentel (substituable à un autre qui soit en possession de cette qualité) »[7].
Il est requis une preuve tant directe qu’indirecte. La première se prend, comme d’habitude, des dépositions des parties et des témoins. La seconde consiste surtout dans les critères traditionnels d’estimation et de réaction. C’est pourquoi il faut bien examiner :
« 1. La mentalité de la victime de l’erreur qui détermine, c’est-à-dire désigne, par telle ou telle qualité la personne du partenaire ;
- L’importance et le rôle qu’assume la qualité dans l’esprit de la victime de l’erreur, compte tenu de toutes les circonstances de personne ou de lieu ;
- La détermination de la victime de l’erreur, qui est fondée sur la qualité comme raison de contracter ;
- La façon d’agir, c’est-à-dire de réagir, de la victime de l’erreur dès sa découverte de la vérité »[8].
- LA CONDITION[9]
- Dans la présente cause est pris en considération également le c. 1102 :
« § 1. Le mariage assorti d’une condition portant sur le futur ne peut être contracté validement.
- 2. Le mariage contracté assorti d’une condition portant sur le passé ou le présent est valide ou non, selon que ce qui est l’objet de la condition existe ou non.
- 3. Cependant la condition dont il s’agit au § 2 ne peut être apposée licitement sans l’autorisation écrite de l’Ordinaire du lieu ».
- Nature de la condition
La condition se définit comme une clausule ajoutée à un pacte ou contrat (complet en lui-même quant à ses éléments essentiels), par l’effet de laquelle le début de l’efficacité du pacte est remis à plus tard (condition suspensive), ou la cessation des effets est décidée (condition résolutoire) en dépendance d’un événement, d’une qualité ou d’une circonstance objectivement ou au moins subjectivement incertains.
Typiquement l’événement mis dans la condition doit être objectivement incertain et futur : dans ce cas on parle de condition proprement dite. La condition improprement dite est celle qui concerne un événement ou une circonstance passés ou présents, incertains seulement subjectivement en raison de l’ignorance du contractant.
Si maintenant on regarde la cause efficiente de la circonstance envisagée dans la condition, la condition peut être causale si la vérification de l’événement ne dépend pas de la libre volonté humaine, autrement elle est dite potestative ; elle est mixte si le cas et la volonté de l’homme doivent concourir dans l’accomplissement de la condition.
- Condition de futuro et condition de praesenti
- Le code de 1917, à la différence de celui qui est actuellement en vigueur, reconnaissait comme valide le mariage conclu sous une condition suspensive de futuro licite, bien que son efficacité restât en suspens.
Sous l’empire de la loi ancienne, il n’y a eu, selon un auteur, même pas une seule cause traitée devant la Rote romaine sur le chef de condition suspensive de futuro.[10] En effet, par rapport aux causes qui auraient pu assez souvent être traitées sous ce chef, c’est-à-dire les causes où il était question de condition potestative, la Jurisprudence a élaboré une règle selon laquelle une telle condition – sauf à vouloir admettre l’absurde suspension du mariage jusqu’au dernier moment de la vie – doit être réduite à une condition de praesenti, c’est-à-dire à une condition ayant pour objet la sincérité de celui qui promet.
« De façon analogue, est-il écrit dans une sentence c. Defilippi du 20 février 2001, nous pouvons considérer la condition ‘qui regarde les enfants à venir’. Dans ce genre de situation en effet, si la condition a été en réalité sérieusement apposée, il peut s’agir d’une condition de praesenti, ‘si le contractant exige uniquement la capacité d’engendrer’. Elle peut cependant être apposée comme une condition de futuro suspensive, de telle sorte que la validité du mariage dépend du fait qu’elle soit ‘vérifiée ou non. On voit par là ce qu’il faut dire de la condition : Je t’épouse pourvu que tu aies des enfants’[11]. Dans ce cas ‘la vie conjugale, jusqu’à la naissance d’un enfant, se passe dans une totale fornication ; mais du jour où un enfant vient au monde, le mariage est valide entre les parties’[12].
Toutefois, comme il faut prêter attention à la réelle intention de celui qui se marie, il peut arriver également que celui-ci veuille contracter tout de suite un mariage, sous la condition cependant que le lien conjugal soit dissous si, à la suite de futures enquêtes et expériences, il arrivait à la conviction de l’impossibilité d’avoir des enfants : il s’agirait alors d’une condition de futuro résolutoire qui, substantiellement, se ramènerait à une simulation du consentement pour exclusion de l’indissolubilité »[13].
- Ne pas confondre la condition avec…
- La condition est une certaine modulation du consentement, qui selon l’expression habituelle « pénètre le consentement », dont par conséquent l’apposition doit se faire par un acte volontaire, persévérant au moins virtuellement sinon émis actuellement dans l’acte de la célébration. Il faut enfin distinguer de la véritable condition des gestes psychologiques semblables qui, cependant, ne constituent pas des actes volontaires, ou, même s’ils sont volontaires, ne pénètrent pas le consentement matrimonial, mais le précèdent ou encore y sont seulement adjoints.
Donc, il ne faut pas confondre avec la condition :
– la cause qui a poussé au mariage, qui s’exprime habituellement par la particule « parce que » (Je t’épouse parce que tu es belle, riche, diplômée) ; ainsi que la démonstration, qui s’exprime par le pronom « qui » (Je t’épouse, toi qui es belle, toi qui es riche etc.). Par là on a seulement l’indication des motifs qui incitent à contracter mariage : donc nous nous trouvons encore dans le domaine de l’intelligence.
– le postulat ou pré-requis ou présupposé, c’est-à-dire l’intention vers une qualité particulière ou une circonstance, qui « accompagne la genèse du propos de s’épouser et l’acceptation de cette célébration comme un projet concret personnel », mais « qui n’est pas le consentement qui s’exprime dans l’acte même de contracter »[14]
– dans ce domaine se trouve aussi la condition qui est apposée non pas au mariage, mais aux fiançailles (plus exactement à la poursuite des fiançailles), de telle sorte que, si elle se vérifie, la partie accède au mariage par un consentement pur et simple.
– enfin l’intention ou condition interprétative, qui n’existe pas réellement, sauf peut-être dans un état d’esprit général : « Si j’avais su que tu es infirme, je ne t’aurais pas épousée ».
Enfin est volontaire, mais ne touche pas le consentement matrimonial, le mode ou la charge dont celui qui se marie attend de son partenaire l’accomplissement, sans qu’il lui subordonne son consentement de telle sorte que, si le mode n’est pas réalisé, il décide que son mariage est détruit.
- La condition et le doute
- La condition ne peut pas exister sans un certain état de doute, au moins initial : l’apposition d’une condition en effet est le fruit de l’ambiguïté de l’esprit en ce qui concerne la circonstance fortement souhaitée par celui qui se marie ; bien plus D. Staffa n’a pas hésité à affirmer que « de même que la condition est la révélation d’un doute, de même le doute est la révélation de la condition »[15].
Le doute, donc, semble un élément au moins logiquement nécessaire, bien que non suffisant, de la situation conditionnelle. Car « personne n’est conduit à apposer une condition s’il n’est pas saisi d’un doute soit objectif, soit au moins subjectif, quoique pathologique »[16], qu’entraîne par exemple la folie du doute.[17]
- La connaissance de la nullité du mariage
- Dans une véritable condition, selon la doctrine approuvée et la jurisprudence prévalente, se trouve un autre élément typique, à savoir la connaissance de la nullité. En effet, bien que l’intention de celui qui appose une condition soit non pas de faire un mariage nul, mais un mariage heureux, l’interprétation complète de l’hypothèse contraire, qui dénote une véritable machination conditionnelle, importe nécessairement que le contractant, dans le cas où la condition ne se réalise pas, bien qu’ignorant éventuellement les effets strictement juridiques de cette situation, se rende compte, au moins moralement, qu’il est libre de tout bien.
« En vérité la partie sait confusément […] qu’il manque quelque chose en ce qui concerne le lien dans son ‘être’, mais elle peut facilement ignorer les droits et les devoirs qui en résultent. C’est pourquoi ‘elle peut penser qu’elle doit rester dans cet état jusqu’au moment où apparaîtra une voie possible de libération’[18] »[19]. « Le sujet peut ignorer le droit qu’il a de voir déclarer nul le mariage qu’il a contracté, en raison de l’existence d’un fait dont il se détournait et qui avait été caché, et même fortement nié, par son partenaire, et par conséquent il peut ne pas recourir aux tribunaux pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage. Mais à coup sûr, il ne considère pas en conscience que son partenaire et lui-même soient liés »[20].
- La preuve de l’apposition d’une condition
- La preuve de l’apposition d’une condition est surtout fondée sur la confession de la partie, soit faite au Tribunal, soit rapportée devant le juge par des témoins dignes de foi. Il faut en outre que soit présente une preuve logique que fournissent – différemment que dans le cas de l’erreur de fait – d’une part l’estimation de la qualité ou de la circonstance (qui constituent l’objet de la condition prétendue) dans la considération subjective de celui qui s’est marié et en rapport avec le mariage de fait contracté, qualité et circonstance qui prévalent sur le mariage lui-même ; et d’autre part la réaction du conjoint au moment où il a découvert que la condition n’était pas remplie.
III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS
- On sait que l’exclusion de la procréation dans l’acte d’émission du consentement rend nulle l’alliance conjugale. L’ordonnancement à la procréation, en effet, est un élément essentiel du mariage chrétien (cf. c. 1055 § 1), et par conséquent l’intention de l’exclure provoque un « pseudomariage » dont l’Eglise ne peut pas reconnaître la validité (cf. c. 1101 § 2).
- L’exclusion du bien des enfants « dans ses principes»
Il faut noter cependant que toute intention contraire à la procréation n’irrite pas le consentement matrimonial. La doctrine canonique constante, en effet, à la suite du Docteur Angélique[21], tient que c’est l’exclusion de la procréation « dans ses principes » qui a une importance juridique, et non par conséquent l’exclusion de fait. L’exclusion de fait est censée se rapporter seulement à l’usage du mariage et donc ne pas entrer dans le consentement au moment de son émission.
« La volonté formée contre le bien de la procréation – fait remarquer la Jurisprudence Rotale – […] n’irrite le consentement matrimonial que lorsqu’elle exclut la procréation « dans ses principes », c’est-à-dire lorsqu’elle détruit l’intention d’avoir des enfants, c’est-à-dire de procréer par des actes vraiment conjugaux. En d’autres termes, une telle exclusion, pour invalider le consentement, doit viser le bien de la procréation dans son droit et son obligation, et non pas la procréation considérée « en elle-même », c’est-à-dire la procréation effective, qui appartient seulement à l’usage du mariage »[22].
- Exclusion du droit et exclusion de l’exercice du droit
- La jurisprudence canonique exprime en termes juridiques la doctrine thomiste en distinguant « l’exclusion du droit » et « l’exclusion de l’usage ou exercice du droit ». Cette distinction, bien que certains ne la jugent pas très appropriée, semble cependant ne pas être dépourvue de valeur et de fondement.
Il est nécessaire en conséquence de rechercher si, au moment du mariage, le sujet a entendu dénier radicalement le droit aux actes féconds, ou le concéder, bien qu’en se réservant d’en abuser par des actes qui de fait suppriment la fécondité des actes conjugaux (par exemple, par des pratiques anticonceptionnelles).
Cette distinction, défendue également par le Magistère Pontifical[23], est suivie par la jurisprudence rotale constante, qui affirme qu’une chose est de refuser à son partenaire le droit lui-même, et une autre chose de violer l’obligation reçue : « Le bien de la procréation en effet, comme le bien de la fidélité, mais différemment de ce qui se passe pour le bien du sacrement, admet une distinction, approuvée par la doctrine et la jurisprudence affermie de Notre For, entre le droit et l’exercice du droit. Dans le domaine de l’exercice du droit, le consentement du contractant se restreint à l’abus ou, si l’on préfère, le droit à l’abus est donné au conjoint, mais on ne peut absolument pas concevoir un droit à l’abus. Maintenant toutefois appartiennent à l’essence du contrat matrimonial le droit à l’acte conjugal et l’obligation qui en découle, mais il n’en va pas de même pour l’abus de ce droit, selon l’enseignement de Benoît XIV : ‘A la substance du mariage ne s’oppose pas le fait de ne pas user du mariage, mais s’y oppose le fait de ne pas pouvoir en user’ »[24].
- L’exclusion temporaire du bien des enfants
- Généralement l’exclusion temporaire est présumée ne concerner que l’usage du droit : « De même que l’exclusion perpétuelle de la procréation […] présage l’exclusion du droit, de même l’exclusion temporaire de la procréation présage en général seulement l’exclusion de l’exercice du droit »[25].
En effet on recourt de plus en plus, à notre époque, au report prémédité des naissances : « Il arrive souvent que ceux qui se marient arrivent à la célébration du mariage avec le propos délibéré d’éviter toute naissance pendant un certain temps, pour diverses raisons, jusqu’à ce que les circonstances soient favorables, surtout d’ailleurs – comme cela arrive habituellement – pour garder sa liberté par rapport aux graves charges et devoirs liés à la naissance d’un enfant, au moins les premières années du mariage, ou aussi jusqu’à ce que la situation économique s’améliore ou que la concorde entre les époux soit démontrée par l’expérience de la vie commune »[26].
Comme on l’a dit, cela ne comporte pas l’exclusion du droit conjugal et donc la nullité du mariage. « N’ont pas la force d’irriter le consentement le simple report de la procréation à des temps plus favorables, c’est-à-dire lorsque seront surmontées certaines difficultés économiques ou familiales, même si la pratique de l’onanisme ou le refus de l’acte conjugal pendant un certain temps font l’objet d’un pacte, quand bien même celui-ci serait péniblement supporté par le conjoint. Ces façons de faire en effet ne regardent pas le droit, mais l’exercice du droit et ne s’opposent pas au mariage constitué dans son être propre »[27].
- Toutefois, lit-on dans une sentence c. Stankiewicz du 24 juillet 1997, « on doit toujours chercher, dans l’exclusion temporaire de la procréation, si le report à plus tard d’une naissance a limité le droit conjugal lui-même, ou s’il a plutôt seulement détourné de son usage, par son abus temporaire, le droit donné et accepté dans son intégrité. La récusation du droit et du devoir intégraux aux actes conjugaux aptes par eux-mêmes à la génération d’enfants, auxquels est, par sa nature, ordonné le mariage et par lesquels les époux deviennent une seule chair (c. 1601 § 1), c’est-à-dire la récusation perpétuelle de ce droit-devoir, entre en raison de la perpétuité du lien matrimonial (c. 1134) dans le consentement matrimonial et elle le limite et le rend nul »[28].
Lorsque la procréation, en effet, est exclue pour une période indéfinie, il faut penser que c’est le droit lui-même dans ses principes qui a été exclu, si réellement le contractant a décidé de subordonner cette exclusion à son bon vouloir et à son libre arbitre, et donc le consentement matrimonial est nul, puisque le droit à la génération d’enfants doit être donné et reçu non seulement mutuellement mais pour toujours. En d’autres termes, de sa propre volonté, après avoir pris la décision en se mariant de n’accomplir aucun acte conjugal apte par lui-même à la génération d’enfants, le sujet n’a pas donné le consentement matrimonial qui ne peut être suppléé par aucune puissance humaine. Le consentement étant absent, le lien matrimonial n’a pas été noué.
« Qui a différé longtemps n’a pas voulu », disait Sénèque, pénétré de l’immortelle sagesse des Anciens.[29]
- La preuve de l’exclusion du bien des enfants
- En ce qui concerne la preuve de l’exclusion, la jurisprudence de Notre For enseigne que l’exclusion doit être affirmée, expliquée, enfin confirmée.
Le commencement et le fondement de la preuve sont la confession du simulant présumé, soit faite devant le juge, soit présentée au juge par des témoins dignes de foi, qui l’ont entendue directement et à une époque assez éloignée du début du procès.
Il faut ensuite qu’il y ait une preuve indirecte : cela a lieu lorsque la simulation est expliquée par une cause valide de la simulation, au moins subjectivement grave et proportionnée, qui est démontrée comme prévalente sur la cause qui a poussé au mariage, et enfin lorsque la simulation est confirmée par le complexe des événements antérieurs au mariage, présents le jour du mariage et postérieurs au mariage.
C’est avec le plus grand soin, en outre, qu’on étudiera la persévérance du propos d’éviter les naissances, cette ténacité qui peut confirmer, avec tous les autres éléments de la cause, qu’il y a eu exclusion du droit lui-même dans son fondement.
EN FAIT (résumé)
- ERREUR SUR UNE QUALITÉ DE LA PERSONNE
A l’exception de la déclaration du demandeur, rien ne ressort des Actes pouvant démontrer l’intention de celui-ci visant une qualité prévalente sur la personne de son conjoint.
- Le demandeur
Plutôt qu’une qualité précise, c’est un amas de qualités que recherchait le demandeur chez son épouse : « En plus de mon exigence d’avoir des enfants de mon mariage, je recherchais chez ma future femme une qualité spécifique, celle de l’honnêteté et de la prédisposition à être la mère de mes futurs enfants. Francesca m’assurait qu’elle était prête à avoir des enfants et à être une épouse et surtout une mère attentive et honnête ».
Il s’agit donc de deux qualités et cette dualité exclut le caractère principal que postule la loi.
Giuseppe a redit dans sa déposition à la Rote que « l’honnêteté de l’épouse et sa prédisposition pour les enfants et la famille étaient des qualités imprescriptibles », ce qui confirme qu’il ne souhaitait pas une qualité mais un exemple de caractéristiques personnelles qui auraient contribué au bonheur de son mariage.
- Les témoins
Donato G., Giuseppe C., Fabio B., déclarent, en termes presque identiques, que le demandeur recherchait “une mère digne et responsable, une brave femme et une brave mère”. Nous avons donc là un complexe de qualités qu’on ne peut pas considérer comme l’objet d’une intention directe et principale au sens du c. 1097 § 2.
- LA CONDITION
Les actes ne contiennent aucune confession de l’apposition d’une condition par le demandeur, et les témoins ne parlent de cette condition que de façon implicite.
- Absence d’un doute
Logiquement il faut avant tout qu’il y ait un présupposé à la condition, ce présupposé étant un doute, au moins initial, que le contractant essaie de surmonter par l’apposition d’une condition.
Or, déclare Giuseppe, « jusqu’au matin de mon mariage j’étais conscient et tranquille sur le fait que Francesca avait la qualité dont j’ai parlé, c’est-à-dire honnête et bien disposée à être mère. Elle me l’avait garanti jusqu’au jour du mariage ».
Les témoins affirment « que Giuseppe savait qu’elle avait accepté la condition concernant les enfants », qu’il « était certain que sa future femme avait la qualité qu’il souhaitait : brave femme et brave mère », qu’il « était convaincu et sûr que Francesca avait la qualité désirée ». Le père de Giuseppe déclare : « Il ne m’a jamais dit qu’il avait des doutes sur la personne de Francesca », ce que confirme la mère du demandeur.
De plus Giuseppe n’avait aucune pathologie obsessionnelle du type « folie du doute ».
Bref, l’erreur sur la qualité irritant le consentement manque de fondement à la lumière des critères logiques de preuve.
- Les critères d’estimation et de réaction
Certes Giuseppe estimait au plus haut point « la première finalité du mariage » que constituent les enfants. Mais le critère de réaction, qui est le premier critère et le plus important pour la preuve, fait défaut.
Les fiancés avaient respecté la chasteté avant le mariage. C’est donc pendant le voyage de noces que Giuseppe aurait dû avoir une réaction violente. Or les témoins sont tous d’accord pour dire que le voyage de noces avait été heureux : « Ils sont revenus de leur voyage de noces aux Maldives contents et satisfaits ».
Cependant, si le mariage a été consommé, Francesca rapporte qu’elle avait demandé à Giuseppe d’avoir des prophylactiques, et que, de mauvais gré, il avait accepté. Par ailleurs la sœur de Francesca, faisant état d’une confidence de celle-ci, déclare : « J’ai su que la vie intime dans un premier temps a été normale », en ajoutant que par la suite les époux avaient eu beaucoup de discussions sur le problème d’une naissance.
De son côté Giuseppe n’a pas quitté le domicile conjugal même s’il en a eu l’occasion. Par contre Francesca l’a quitté deux fois et à chaque fois elle a été reçue à nouveau par son mari.
De plus celui-ci déclare lui-même qu’il a tout fait pour que son mariage ne se brise pas, ce que confirment des témoins.
Tout ceci montre de façon claire que tant l’erreur du mari sur une qualité de la femme directement et principalement visée, que la condition apposée par lui manquent de tout fondement.
III. L’EXCLUSION DU BIEN DES ENFANTS PAR L’ÉPOUSE
- La confession de la simulante
« Je n’ai pas eu d’enfant parce que je n’en voulais pas […]. Je me suis refusée à être mère ». C’est déjà l’aveu d’une simulation.
Francesca explique : « Je ne voulais pas d’enfant, au moins à cette époque parce que je désirais m’affermir sur le plan professionnel. Donc, avoue-t-elle, quand je me suis mariée, j’étais opposée à une naissance […]. Je ne voulais pas perdre Giuseppe et j’étais persuadée que s’il avait vu en moi une incertitude à ce regard, il m’aurait laissée et ne m’aurait pas épousée […]. Ces trois années ont été troublées par de graves litiges causés par mon refus d’avoir des enfants et par la volonté tenace de mon mari d’en avoir ».
Nous avons là la causa contrahendi, la cause qui a poussé au mariage (un certain amour pour Giuseppe) et la causa simulandi, la cause de la simulation (volonté de Francesca de tout subordonner, y compris les enfants, à sa carrière professionnelle).
- Le demandeur
Selon Giuseppe, la nuit de noces a été éprouvante « parce que Francesca voulait que j’utilise un préservatif. Nous nous sommes disputés furieusement toute la nuit », et le mari ajoute : « Durant notre vie commune, qui a duré 3-4 ans, nous avons eu 2 séparations […] par suite du refus de Francesca d’avoir des enfants ».
Les témoins, qui ont reçu des confidences soit du mari, soit de l’épouse, confirment les déclarations des conjoints (6 témoins dont les dépositions sont rapportées dans la présente sentence).
- En conclusion
Non seulement l’épouse a décidé de s’abstenir, pendant un temps indéterminé et pour assurer son avenir professionnel, de tout acte apte par lui-même à la génération d’enfant, mais elle a toujours maintenu sa ligne de conduite.
De plus, comme elle l’a confessé dans son témoignage à la Rote : « Un an après ma séparation, vers la fin de l’an 2000, j’ai remporté un concours à l’ENEL. J’ai eu ensuite des relations avec un jeune homme, dont j’ai eu une petite fille […]. Mon refus de toute naissance était, en fait, conditionné par la réalisation de mon projet d’avoir un emploi ».
Par cette attitude, Francesca a, en se mariant, rejeté un élément essentiel du consentement matrimonial et son mariage est donc nul de ce chef.
Constat de nullité
pour exclusion du bien des enfants
de la part de l’épouse, partie appelée ;
ceci, comme en première instance.
Giuseppe SCIACCA, ponent
Giovanni VERGINELLI
Agostino DE ANGELIS
__________
[1] Cf. Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48
[2] O. FUMAGALLI CARULLI, Intelletto e volontà nel consenso matrimoniale in diritto canonico, Milan 1974, p. 234 s.
[3] Même endroit
[4] Ouvrage cité, p. 255 sq. Voir aussi O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan 1968, p. 70 sq.
[5] O. GIACCHI, ouvrage cité, p. 74
[6] C. BURKE, 18 juillet 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 535
[7] J. VILADRICH, Il consenso matrimoniale, Milan 2001, p. 211
[8] D. GIANNECHINI, 25 avril 1986, SRRDec, vol. LXXVIII, p. 310
[9] Voir note du traducteur au début de la cause c. TURNATURI du 25 février 2010, dans le présent fascicule JU/39
[10] Cf. J. PRADER, Il consenso matrimoniale condizionato nella disciplina canonica latina e orientale, dans Justus Judex, Verlag 1990, p. 283
[11] F.M. CAPPELLO, Tractatus canonico-moralis de sacramentis, vol. V, De matrimonio, Turin 1961, 7° éd., p. 562, n. 629
[12] M. CONTE A CORONATA, Institutiones Juris Canonici, vol. III, De Sacramentis, Turin 1946, p. 727, n. 52
[13] C. DEFILIPPI, 20 février 2001, SRRDec, vol. XCII, p. 169-170, n. 11
[14] P.J. VILADRICH, ouvrage cité, p. 452
[15] D. STAFFA, De condicione e qua pendet valor matrimonii, dans Questioni attuali di diritto canonico, Rome 1955, p. 228
[16] C. FELICI, 17 janvier 1956, vol. XLVIII, p. 61
[17] C. STANKIEWICZ, 30 janvier 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 16-17
[18] C. FELICI, 9 février 1954, SRRDec, vol. XLVI, p. 105, n. 5
[19] C. ANNE, 2 décembre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 1109-1110
[20] C. DE JORIO, 12 février 1972, SRRDec, vol. LXIV, p. 78-79
[21] Cf. In IV Sententiarum, dist. 31, q. 1, a. 3, in corpore
[22] C. STANKIEWICZ, 22 février 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 123, n. 13
[23] Discours de Pie XII aux sages-femmes italiennes, 29 octobre 1951, AAS 43, 1951, p. 845
[24] C. FUNGHINI, 26 mars 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 321-322
[25] C. COLAGIOVANNI, 28 avril 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 196, n. 8
[26] C. POMPEDDA, 19 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 495, n. 5
[27] C. FUNGHINI, 26 mars 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 322
[28] C. STANKIEWICZ, 24 juillet 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 645, n. 18
[29] De beneficiis, II, v. 1
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