Coram Pio Vito PINTO
Condition de futuro
Exclusion du bien du sacrement
Tribunal régional d’Insubrie (Italie) – 18 juin 2010
P.N. 20.573
Constat pour la condition
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PLAN DE L’IN JURE
- LE BIEN DU SACREMENT
- L’acte positif de volonté dans l’exclusion
- Le consentement conjugal est un acte de volonté
- L’incompatibilité de caractère n’est pas un chef de nullité
- La nature irréversible de la donation-acceptation mutuelle des époux
- LA CONDITION
- L’erreur et la condition
- L’enseignement de Mgr Charles Lefebvre sur l’erreur
sur une qualité de la personne et la condition
- Le nouveau c. 1097 § 2
- Analogie entre l’erreur sur une qualité de la personne et la condition
- Sentences rotales sur l’analogie entre la qualité et la condition
- Mori et Grazioli
- Heard
- Defilippi
- Pinto
- La nature de la condition de futuro résolutoire
- La preuve de l’apposition d’une condition
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Francesco M. et Giovanna G. se marient le 30 août 1997. Ils s’étaient connus en 1988 alors qu’ils étaient étudiants à l’Université de Milan, mais ils n’avaient eu des relations de fiancés qu’en mai 1995, et celles-ci connurent des difficultés en raison de l’éloignement de leurs domiciles propres.
Une fille, Lucia, naît le 30 mai 1998.
La vie conjugale est en permanence perturbée par la différence de caractère des époux, l’incommodité du domicile conjugal et les absences de Giovanna qui, au début de l’année 1999, retourne avec sa fille chez ses parents, Francesco retournant lui aussi chez ses parents. Le Tribunal civil ratifie leur séparation le 22 juillet 2002.
Le 5 novembre 2004, Francesco, désirant retrouver sa pleine liberté canonique, s’adresse au Tribunal ecclésiastique régional d’Insubrie, accusant son mariage de nullité pour condition apposée par lui-même. Le 14 février 2005, le doute est de nouveau concordé, précisant qu’il ne s’agit pas d’une simple condition, mais d’une condition de futuro, au sens du c. 1102 § 1. La sentence du 25 mai 2006 est négative.
Le 14 février 2007, le Tribunal d’appel concorde le doute sous la formule : « La preuve de la nullité du mariage en cause est-elle rapportée pour condition de futuro apposée par le demandeur, selon le c. 1102 § 1, et/ou, comme en première instance, pour condition résolutoire contre la substance du mariage, assimilable, de fait, à l’exclusion de l’indissolubilité du lien conjugal, selon le c. 1101 § 2, de la part du mari demandeur ? »
La sentence du 28 mars 2008 est affirmative, mais seulement pour condition de futuro apposée par le demandeur.
La cause est transmise à la Rote où le Tour concorde le doute sur la condition de futuro apposée par le demandeur, en troisième instance, et en seconde instance sur l’exclusion du bien du sacrement de la part du mari.
EN DROIT
- Les Juges de la seconde instance ont très bien repris les principes de la Doctrine et de la Jurisprudence de Notre For et nous nous permettons d’y ajouter seulement quelques remarques.
- LE BIEN DU SACREMENT
- L’acte positif de volonté dans l’exclusion
- Il est bien connu que la véritable exclusion d’une propriété essentielle du mariage n’a lieu que par un acte positif de volonté. Il est exigé pareillement que le contractant réalise l’exclusion par un acte, et non pas seulement sous l’effet d’une erreur ou encore d’une intention vague ou générique contraire à la doctrine pérenne du mariage, comme l’est l’opinion moderne en faveur du divorce. Il faut au contraire que ceux qui se marient, de façon illicite, explicitement ou au moins implicitement ou hypothétiquement, retranchent, par une décision actuelle ou au moins virtuelle, l’indissolubilité en tant qu’élément inséparable de l’objet formel du consentement.[1]
- Le consentement conjugal est un acte de volonté
La jurisprudence reçue de Notre For a toujours et fidèlement maintenu que le consentement existe si et dans la mesure où il s’agit réellement d’un pacte conjugal. Si en effet l’une ou l’autre partie exerce une tromperie, c’est-à-dire que si elle vise le mariage seulement et pas autrement que selon son propre jugement, le pacte lui-même n’est absolument pas conclu.
Il faut se souvenir des paroles du Pape Paul VI, d’éternelle mémoire : « Le mariage existe à ce moment même du temps où les conjoints émettent un consentement matrimonial juridiquement valide. Un tel consentement est un acte de volonté de nature contractuelle […] qui, en un instant indivisible, produit son effet juridique »[2].
- L’incompatibilité de caractère n’est pas un chef de nullité
La Jurisprudence de Notre For a lutté vigoureusement et entend lutter fermement pour que la simple « incompatibilité de caractère » qui, moderne peste, existe comme cause à effet dans l’usage regrettable du divorce civil, ne s’insinue pas comme chef illégitime de nullité, puisque cela est hors du pouvoir de l’Eglise. C’est avec facilité mais de façon illicite que s’institue de nos jours une équation, dans la déclaration du consentement matrimonial, entre la fin de l’amour entre les conjoints, et leur liberté de quitter la communauté de vie, en faisant du consentement et du véritable amour un simulacre vain.[3] Le mariage se fonde exclusivement sur le consentement et non sur l’amour, qui malheureusement peut finalement disparaître. D’un autre côté véritablement il reste que le consentement est au plus haut point l’épiphanie juridique de l’amour. En effet la mutuelle donation-acceptation des personnes est parfaite par un amour mutuel, pour constituer une famille chrétienne, qui sans effusion de l’amour peut difficilement être appelée fruit de l’Evangile du Christ.
- La nature irréversible de la donation-acceptation mutuelle des époux
La Catéchisme de l’Eglise catholique illustre très opportunément ce qu’est le sens du véritable amour et de la nature irrévocable de la saine donation-acceptation mutuelle des époux. « Le couple conjugal forme ‘une intime communauté de vie et d’amour, fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. Elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel et irrévocable’. Tous deux se donnent définitivement et totalement l’un à l’autre. Ils ne sont plus deux, mais forment désormais une seule chair. L’alliance contractée librement par les époux leur impose l’obligation de la maintenir une et indissoluble »[4].
De là vient précisément le fait que le bien du sacrement, même s’il est distinct du bien des conjoints, lui est inséparablement uni, puisque les deux biens se rapportent à l’être du mariage en lui-même, c’est-à-dire de façon indivisible dans le mariage in fieri et le mariage in facto esse (le mariage-alliance et le mariage-état de vie).
- LA CONDITION
- Tout le monde reconnaît que le mérite de la jurisprudence de la Rote Romaine a été de favoriser au plus haut point l’évolution des canons ordonnant l’institution matrimoniale – surtout celles des c. 1057, 1097 et 1102 qui, particulièrement, regardent directement la cause présente – selon la doctrine du mariage élaborée par le Concile Vatican II dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes.[5]
- L’erreur et la condition
- A ce caractère interpersonnel de libre décision délibérée s’opposent deux figures ou deux statuts, ou mieux, deux actes de volonté, qui sont joints entre eux par une analogie, c’est-à-dire qu’ils sont semblables mais divers. Nous voulons parler de l’erreur sur la personne ou de l’erreur sur une qualité rejaillissant en erreur sur la personne elle-même, ainsi que de la condition. Le premier de ces actes de volonté est considéré comme un vice de la volonté, et le second, comme une atteinte à la volonté.[6]
L’erreur se construit surtout par une action de l’intelligence, qui cependant est amenée à un résultat par une intention de la volonté visant une qualité déterminée inhérente à la personne et exigée absolument par le contractant, tandis que la condition est une conjecture à laquelle le ou les contractants subordonnent leur consentement par une intention de la volonté. On comprend par là que le consentement est un acte complexe qui naît d’un processus de connaissance, d’évaluation et de décision, qui très souvent peut être contrarié pour d’innombrables motifs. Il est opportun de citer à ce sujet Saint Thomas d’Aquin : « Entre l’intelligence et la volonté existe une dépendance mutuelle ou, en d’autres termes, une causalité réciproque : la volonté dépend de l’intelligence dans l’ordre de la causalité finale ; l’intelligence dépend de la volonté dans l’ordre de la causalité efficiente »[7].
- L’enseignement de Mgr Charles Lefebvre sur l’erreur
sur une qualité de la personne et la condition
Pour comprendre correctement l’analogie entre l’erreur sur la qualité de la personne et la condition, il est utile de reprendre ce que le Maître de la doctrine et de la jurisprudence sur le mariage, Mgr Charles Lefebvre, écrivait à ce sujet en 1985 : « Aujourd’hui ce problème est encore plus présent dans le nouveau visage assumé par le pacte conjugal comme donation et acceptation interpersonnelle.
- Le nouveau c. 1097 § 2
Le § 2 du c. 1097 cherche à prévenir les multiples difficultés que présentait le § 2 du c. 1083 du code de 1917, très ancré dans le passé et qui a dû résister dans une rédaction trop réductrice à l’énorme progrès culturel, psychologique et social qui s’est manifesté en peu d’années. De la fameuse troisième règle de saint Alphonse de Ligori a été prise une nouvelle formulation par la célèbre erreur sur une qualité de la personne rejaillissant en erreur sur la personne, en vertu de laquelle la qualité est présente à un tel point dans l’intention de celui qui se marie qu’elle est considérée comme une circonstance absolument nécessaire dans le pacte conjugal. La proximité avec la notion de condition est évidente et de fait il semble identique de dire qu’une qualité est principalement et directement voulue, et de sous-entendre qu’à cette qualité est subordonné le consentement conjugal.
Il est possible que la nouvelle rédaction ait encore besoin d’une interprétation jurisprudentielle, ni facile ni brève, pour centrer sa véritable portée, qui ne pourra pas négliger dans ce cas encore la véritable et profonde nature du consentement conjugal comme relation interpersonnelle réalisée à travers la mutuelle donation-acceptation des époux ; donation-acceptation qui ne peut avoir lieu qu’à travers l’image intentionnelle que chacun a de l’autre, enrichie du reste de toutes les composantes affectives ainsi qu’émotives qui marquent la communication interpersonnelle. La considération de l’autre personne, d’importance majeure, est considérée présente dans toutes les questions qui se réfèrent à l’erreur ou à l’ignorance, de quelque caractère qu’elles soient. Tout simplement, dans cette estimation se trouvent mises en relief toutes les observations de la jurisprudence récente sur la nouvelle notion et réalité de la personne humaine, à partir de la sentence c. Canals du 21 avril 1970[8] ».[9]
De plus, nous tirons une doctrine de la synthèse magistrale de Mgr Lefebvre, qui a participé directement aux travaux de la Commission de réforme du code et qui, éclairant le c. 1102, a écrit dans le Commentaire qui vient d’être cité : « Toute la discipline du mariage sous condition a tout de suite subi une évidente transformation qui regarde les critères de praticité et d’application spécifique au mariage. De fait ont disparu toutes les figures des diverses espèces de condition, d’aucune utilité, au-delà d’un exposé théorique du thème, dépourvu d’intérêt, en matière de mariage. D’où une constatation importante : la diminution de l’aspect contractuel du mariage.
D’autre part le § 3, en requérant l’autorisation écrite de l’Ordinaire – même si c’est seulement pour la licéité -, non seulement s’oppose à une possible difficulté de preuve, mais, comme mesure disciplinaire, montre clairement à quel point la condition est un élément anormal du pacte conjugal, appelé à se réaliser dans la plus grande sincérité et dans un absolu maximal, incompatible par lui-même avec la réserve de la condition »[10].
- Analogie entre l’erreur sur une qualité de la personne et la condition
Mgr Lefebvre poursuit en prenant le cas de l’analogie, dont nous avons parlé plus haut, entre l’erreur sur la qualité de la personne et la condition, même si l’erreur induit la figure d’un vice du consentement, et la condition, la figure d’une atteinte au consentement. Mgr Lefebvre enseigne en effet : « La condition, donc, ou bien la circonstance à laquelle est subordonné le consentement matrimonial, par un vouloir explicité de l’un des époux, au des deux, si elle n’est pas encore présente et que lui soit subordonnée l’existence du mariage (conditio de futuro), est exclue, puisque, selon les cas, ou bien elle serait contre l’indissolubilité – condition résolutoire – si elle représentait la fin du mariage ; ou bien elle repousserait le véritable consentement jusqu’à son accomplissement, et alors autant que le consentement soit émis sans incertitude : unique solution possible dans le système normatif actuel. A noter que toujours compte tenu de la volonté constitutive des parties, si celles-ci, nonobstant la norme, faisaient un mariage ainsi conditionné, elles devraient renouveler leur consentement ou avoir recours à la ‘sanatio in radice’, la sanation radicale » (cf. c. 1156-1165).
La condition de praeterito (portant sur le passé) ou la condition de praesenti (portant sur le présent) subordonne l’existence ou l’absence du mariage à la présence ou à l’absence de la circonstance invoquée au moment du consentement.
La conclusion, dans la nouvelle discipline, sera que le mariage existe dès le premier moment, comme un absolu, sans exception, et la condition affecte seulement la connaissance et la possible incertitude, uniquement, des époux. Ce qui souligne le sérieux et la sacralité du moment constitutif et de l’engagement qui y est assumé.
La jurisprudence a signalé la difficulté de distinguer la condition des figures qui ont une affinité avec elles – mode, postulat, cause – ; l’importance attribuée à la circonstance par celui qui dit avoir consenti de manière conditionnelle ; son comportement consécutif à la vérification de la condition ; et enfin la valeur, même si elle n’est pas déterminante, du critère du doute sur l’existence ou non du fait auquel le consentement est dit subordonné, pour prouver la condition et la subsistance de celle-ci jusqu’au consentement (cf. la célèbre cause de Versailles, par la Commission Cardinalice du 2 août 1918, AAS, 1918, p. 388 sq.).
Sous le profil systématique on peut attirer l’attention sur le déplacement du canon, qui, dernier dans les modalités du consentement dans le code de 1917, c. 1092, a été transféré à sa place actuelle, après la norme sur l’acte positif de volonté conditionnant le consentement (dans le cas de l’exclusion, en le censurant négativement), en tant qu’il correspond à une intervention particulière de la volonté qui modifie de façon particulière le schéma générique du consentement. Il faut rappeler que l’exclusion elle-même est, à juste titre, considérée par les commentateurs et la jurisprudence comme une conditio mente retenta, une condition sous restriction mentale »[11].
- Sentences rotales sur l’analogie entre la qualité et la condition
- Mori et Grazioli
Déjà au début de la réforme de la Rote était contenue en germe l’analogie citée entre la qualité et la condition. Une sentence c. Mori, du 30 novembre 1910, édictait en effet : « Puisque le consentement s’est porté directement et principalement sur une qualité déterminée, si celle-ci vient à manquer il y a une erreur substantielle qui irrite le mariage »[12]. De même on lisait dans une sentence c. Grazioli, du 11 juillet 1938, à propos de la qualité en tant que cause du mariage : « […] la qualité déterminative de la personne, c’est-à-dire qui la distingue et la désigne de façon individuelle au point que, si la qualité fait défaut, la personne n’est plus la même »[13].
- Heard
Plus tard une décision c. Heard, du 21 juin 1941, qui applique la doctrine des trois règles de saint Alphonse, établit une proportion nécessaire entre l’exigence de la qualité et la condition : « Il y a une grande difficulté à déterminer quand l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la substance, c’est-à-dire sur la personne. Prenons les trois règles :
– la première : la qualité rejaillit sur la substance lorsque quelqu’un, de façon actuelle, entend contracter sous la condition de telle qualité. Dans ce cas en effet, il se vérifie que si la condition n’est pas remplie, le consentement est totalement absent.
– la seconde règle : quand la qualité n’est pas commune chez les autres personnes, mais qu’elle est propre et particulière à une personne déterminée…
– la troisième règle : si le consentement se porte directement et principalement sur la qualité, et non principalement sur la personne, alors l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la substance. Il en va autrement si le consentement se porte principalement sur la personne et secondairement sur la qualité »[14].
- Defilippi
- Une sentence c. Defilippi, du 26 novembre 1998, fait la remarque suivante : « Pour que le consentement soit réellement conjugal, il est requis que chacun des contractants se forme une image adéquate de son partenaire qui corresponde à la réalité. Autrement si quelqu’un a une image de son partenaire qui en réalité diffère substantiellement de la vérité, l’objet du consentement lui-même est vicié, parce qu’il ne correspond pas à la réalité »[15].
- Pinto
On lit dans la sentence c. Pinto citée plus haut, en date du 19 mai 2006 : « Puisque le consentement matrimonial ne peut pas rester en suspens dans l’ambiguïté, il faut considérer les espèces de conditions parmi lesquelles la condition de futuro qui se déroule dans le temps, et dont la nature est soit potestative, soit résolutoire. La validité du mariage en effet ne peut pas rester en suspens à jamais ; c’est la raison pour laquelle le Législateur a décidé : ‘Le mariage assorti d’une condition portant sur le futur ne peut être contracté validement’ (c. 1102 § 1), en ce sens cependant que la condition en question ait été jointe au consentement matrimonial lui-même, et non à une simple intention de se marier, d’où peut naître seulement, au maximum, une espèce de condition interprétative ou habituelle, mais pas une condition qui mette en péril la validité du mariage. C’est pourquoi il faut rechercher la véritable volonté du contractant, surtout en ce qui concerne ‘le lien entre la circonstance souhaitée et le consentement lui-même’[16] ».
- La nature de la condition de futuro résolutoire
Quant à la nature de la condition de futuro résolutoire, Mgr Pompedda déclare : « Evidemment, pour le mariage, une condition résolutoire est inconcevable, étant donné l’indissolubilité du lien, et cette condition, si elle était posée, comporterait dans l’ancien Code une condition ‘contre la substance du mariage’ et donc rendrait nul le mariage ; tandis que dans le nouveau Code on n’a pas pris en considération une condition semblable, les Consulteurs l’ayant tenue pour n’étant pas une véritable condition, mais plutôt un acte positif de volonté excluant un élément essentiel du mariage »[17].
De la condition de futuro résolutoire on distingue la condition suspensive, qui produit comme effet « la suspension de la validité de l’accord jusqu’au moment où se vérifiera l’événement mis dans la condition ; […] tandis que dans l’ancien Code on admettait la condition licite de futuro suspensive, avec effet de suspendre la validité du mariage ; dans le nouveau Code en revanche […] on ne reconnaît aucune condition suspensive, toutes les conditions de futuro étant réunies en une seule espèce de condition (avec des conséquences irritantes dans l’absolu) »[18].
- La preuve de l’apposition d’une condition
« La preuve de l’apposition d’une condition, écrit Mgr Stankiewicz dans une sentence du 30 janvier 1992, se tire indirectement, d’une part de l’estimation que le contractant a eue, avant le mariage, de l’événement ou de la qualité, à l’existence de quoi il affirme avoir subordonné la validité du mariage, et d’autre part de la façon dont il s’est conduit dès qu’il a pris conscience que la condition apposée n’était pas vérifiée »[19].
EN FAIT (résumé)
- Les Pères soussignés ne trouvent dans les actes aucun indice d’une exclusion hypothétique du bien du sacrement de la part du mari demandeur. Celui-ci en effet n’a jamais songé à exclure la perpétuité de son union puisqu’il avait lié son consentement à une condition à respecter par son épouse, et ainsi il se pensait sûr de l’avenir.
- Par contre ils estiment possible et même nécessaire de reconnaître chez le demandeur une décision ferme de lier la validité de son mariage à une condition potestative de futuro. Les Juges de seconde instance préfèrent parler de condition de praesenti, en ce sens que, pour eux, le demandeur aurait lié la validité ou non de son mariage à la réalisation effective de l’objet mis sous condition, c’est-à-dire à l’acceptation de cette condition par l’épouse. Les Juges du Tour Rotal n’ont pas la même appréciation de la condition mise par le mari demandeur.
- Le demandeur, Francesco, a maintes et maintes fois déclaré qu’il voulait établir la résidence conjugale à Buccinasco, parce qu’il voulait rester près de son lieu de travail. Quant à sa future épouse, elle n’entendait pas quitter Tirano, où elle était enseignante. Les discussions entre Francesco et Giovanna avaient été rudes et finalement celle-ci avait cédé au dilemme de Francesco : ou elle s’installerait à Buccinasco ou Francesco la quitterait.
- De son côté, l’épouse, non sans faire des réserves en 2° instance sur les exigences de Francesco, avait déclaré en 1° instance que celui-ci était fermement décidé à rester à Buccinasco, au point de lui imposer un choix définitif : ou bien le suivre là où il voulait habiter, ou bien la rupture.
Lors du procès civil de séparation, Giovanna a exposé à son avocat que Francesco avait voulu qu’elle quitte sa maison et son emploi pour s’installer avec lui à Buccinasco.
- Les témoins, sans employer le terme technique de condition, rapportent que Francesco avait exigé de Giovanna qu’elle abandonne sa maison et son travail, que Giovanna avait promis à Francesco d’habiter avec lui à Buccinasco, que Francesco disait qu’il ne se marierait que si Giovanna acceptait de le suivre là où il voulait demeurer.
- Le témoin le plus important en cette cause est le Père M., bénédictin, à qui les futurs époux avaient demandé conseil, et qui connaît bien leur problème : « D’une part Francesco voulait que Giovanna s’installe définitivement à Buccinasco, d’autre part Giovanna ne voulait pas abandonner son poste à Tirano, elle ne voulait pas abandonner sa profession. Devant moi ils se sont affrontés durement sur ce sujet ».
- Les juges de première instance ont rendu une sentence négative parce qu’ils ont estimé que la condition posée par Francesco – habiter Buccinasco – n’était pas une condition potestative de futuro mais une condition de praesenti portant sur la sincérité de la promesse faite par Giovanna de suivre son mari là où il voulait demeurer, et que l’insincérité de la promesse de Giovanna était une interprétation de Francesco devant les difficultés de son couple après le mariage.
Or les actes montrent que Francesco n’a pas apposé une condition sur la sincérité de Giovanna, mais sur l’accomplissement de la promesse qu’elle avait faite avant le mariage, et ceci, à l’évidence, appartient au futur. Il s’agit, chez le demandeur, d’une véritable condition de futuro.
Constat de nullité
pour condition de futuro
apposée par le mari demandeur
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
John ALWAN
Giordano CABERLETTI
[1] Cf. c. FUNGHINI, 14 octobre 1992, SRRDec, vol. LXXXV, p. 468, n. 12 ; c. POMPEDDA, 22 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 948, n. 2 ; c. ABBO, 6 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 138, n. 2
[2] PAUL VI, Discours à la Rote, 9 février 1976, AAS, vol. LXVIII, p. 204
[3] Cf. c. 1057 § 2, GAUDIUM et SPES, art. 48 ; FAMILIARIS CONSORTIO, n. 11
[4] N. 2364
[5] N. 48 ; cf. JEAN-PAUL II, Exhortation FAMILIARIS CONSORTIO, 22 novembre 1981, AAS, vol. LXXIV, p. 92, n. 11, et Discours à la Rote du 28 janvier 1991, AAS, vol. LXXXIII, p. 950, n. 5
[6] Cf. P.V. PINTO, 19 mai 2006
[7] SOMME THEOLOGIQUE, I-II, q. 14, art. 1, ad 1
[8] SRRDec, vol. LXII, p. 371, n. 2
[9] Pio Vito PINTO, Corpus Juris Canonici, Commento al Codice di Diritto canonico, vol. I, Cité du Vatican 2001, p. 652-653
[10] Commentaire cité, p. 656
[11] Cf. p. 656-657
[12] C. MORI, 30 novembre 1910, SRRDec, vol. II, p. 337, n. 2
[13] C. GRAZIOLI, 11 juillet 1938, SRRDec, vol. XXX, p. 414, n. 17
[14] C. HEARD, 21 juin 1941, SRRDec, vol. XXXIII, p. 529-530, n. 6-9
[15] C. DEFILIPPI, 26 novembre 1998, SRRDec, vol. LXL, n. 3, p. 4
[16] C. ANNE, 2 décembre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 1108, n. 4
[17] M.F. POMPEDDA, Il matrimonio nel nuovo codice di diritto canonico, Padoue 1984, p. 84
[18] Même endroit, p. 83-84
[19] C. STANKIEWICZ, 30 janvier 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 18, n. 14
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