Je me suis risquée à explorer des similitudes entre les apports de la Bible et ceux de la médiation. Voici les rapprochements que j’ai trouvés : la Bible dresse le cadre légal, dit comment cheminer vers l’accord, prône l’importance de l’altérité, du rétablissement de la confiance et, grâce à la communication non violente, donne la conduite pour aboutir à la réconciliation et au pardon. Spiritualité et médiation ne peuvent être dissociées.
I. Le cadre légal de la médiation
La médiation, prévue par la loi, est un outil supplémentaire, donné au juge, pour lui permettre de remplir au mieux sa mission qui est de contribuer à la paix sociale.
Une autorité extérieure peut trancher le litige, conformément à la loi. Mais le différend peut aussi se dénouer de l’intérieur quand les parties, après s’être écoutées, trouvent elles-mêmes une solution conforme à leurs intérêts.
On retrouve dans la Bible ces différents moyens de résoudre les conflits. Le texte sacré nous renvoie à la Loi, mais aussi, au-delà du texte de la Loi, à l’Esprit de la Loi pour trouver une solution équitable, dans l’écoute et le respect de l’autre.
1. La Loi dans la Bible
Dans les livres de l’Exode et du Deutéronome, la Bible nous enseigne que le premier médiateur entre Dieu et les hommes, c’est Moïse : Dieu lui remet les tables de la Loi sur lesquelles il a gravé, dans la pierre, le Décalogue. Les dix commandements sont des recommandations de Dieu pour permettre aux humains de construire une relation harmonieuse, tout en les laissant libres de leurs actes.
Étymologiquement, le mot « commandement » vient du latin Cum Manum Dare, donner la main. Dieu prend les hommes par la main et leur donne la direction à suivre.
Les relations humaines découlant de la Bible s’inscrivent donc dans un cadre légal, dans une communication verticale, « parent-enfant », qui n’est pas sans évoquer notre institution judiciaire où le juge, brandissant l’épée et appliquant la loi, donne la norme à suivre à nos concitoyens.
Le second médiateur dans la Bible, c’est Jésus. Il n’est pas venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir[1].
À côté de la loi, il y a une place pour l’écoute de la souffrance. Jésus n’est pas venu pour les bien-portants qui suivent la loi, mais pour ceux qui souffrent :
« Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins, mais les malades. Je ne suis pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs ».[2]
Jésus s’attache à l’équité et à l’esprit de la loi, plus qu’au texte même. Il va permettre à l’homme de devenir co-créateur de son propre destin dans une relation d’égalité. On entre dans une communication horizontale, d’adulte à adulte, que l’on retrouve en médiation.
2. L’homme créateur de son destin
Le procès peut être comparé à un iceberg : la partie visible de l’iceberg correspond au litige juridique dont est saisi le juge : une des parties a violé la loi. Mais, au-delà de l’atteinte à la loi, le conflit peut ne concerner que la relation interpersonnelle entre deux parties. Il peut naître d’une souffrance psychologique à laquelle l’application de la loi ne peut apporter de remède. Un procès naît souvent d’une souffrance habillée en termes juridiques par l’avocat, puis par le juge.
C’est pourquoi les Évangiles incitent d’abord au dialogue avant de recourir au juge :
« Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. Que s’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. » [3]
Le premier miracle accompli par Jésus est celui des noces de Cana où Jésus transforme l’eau contenue dans six jarres en vin.[4] Il signe le passage de l’Ancien au Nouveau Testament. L’eau, don de Dieu, est le symbole de l’Ancien Testament (Moïse fait jaillir l’eau du désert, les eaux de la Mer Rouge se retirent lorsque les Hébreux fuient d’Égypte.) À Cana, l’eau est changée en vin, symbole du Nouveau Testament. Le vin, c’est le fruit de la vigne « et du travail de l’homme ». L’homme est désormais associé à la création divine, comme il l’est, en médiation, dans la recherche de son accord.
Le chiffre sept est le chiffre de l’Homme et celui de Jésus. Il est composé du quatre, qui représente la matière et du trois, qui est l’esprit. Le sept, c’est l’incarnation de l’Esprit dans la matière : Dieu en chacun de nous. Dieu crée le monde en six jours et le septième, il se repose. En fait, le septième jour, Dieu laisse le soin à l’homme de poursuivre son œuvre. L’homme a la liberté de construire son avenir et de parachever la création de Dieu.
Chacun a raison de son point de vue. Cette « vue d’un point » n’est pas objective. Ce n’est pas la Vérité. La médiation suppose un travail sur les représentations de chacun (croyances, valeurs, besoins) pour construire ensemble une autre réalité qui tienne compte des perceptions de l’un et de celles de l’autre.
Déjà, dans l’Ancien Testament, Justice, Vérité, Paix et Amour étaient liés :
« Amour et Vérité se rencontrent, Justice et paix s’embrassent. La Vérité germera de la terre et du ciel se penchera la Justice ».[5]
Cette phrase fait écho à ce que disait Pierre Drai, premier président de la Cour de cassation : « La Justice sans la Paix, est-ce encore la Justice ? »
L’enseignement de Jésus nous amène à associer Justice, Paix et Vérité, but de la médiation. Un médié m’a écrit un jour : « Je vous remercie de m’avoir permis de retrouver la Paix, à travers Justice et Vérité. »
Tout médiateur commence sa présentation en disant aux médiés : c’est vous qui allez créer votre accord. On ne va pas vous le souffler. On vous donne le cadre, on vous donne les moyens, et vous allez trouver votre accord. Et les médiés vont cheminer avec le médiateur qui va les guider en les prenant « par la main ».
3. Les qualités du médiateur
Quelles sont les qualités du médiateur ?
La tradition chrétienne fait naître Jésus entre un âne et un bœuf. Pourquoi, alors que, en Palestine, il n’y a pas de bœufs ?
Dans Isaïe[6] on lit : « Le bœuf connaît son maître » : il connaît la personne de son maître. Il symbolise le verbe être. « L’âne connaît la maison de son maître » : il connaît donc l’avoir. Jésus serait-il né entre l’âne et le bœuf pour permettre à tout homme de réconcilier en lui l’être et l’avoir ?
Mais il y a une deuxième symbolique de l’âne et du bœuf. Quelle est la caractéristique d’un âne ? Il a de grandes oreilles. Qu’est-ce qu’on fait avec des oreilles ? On écoute. Tiens, tiens, l’écoute active, vous n’en avez pas entendu parler en médiation ? Le sage sait écouter. Donc l’âne, qui est en Palestine un compagnon de voyage, va souffler sur Jésus la sagesse.
Le bœuf tire la charrue. Il représente ainsi le travail et la droiture. Et ses cornes sont comme des antennes reliées au Ciel : symbole de la connaissance.
C’est-à-dire que ces deux animaux, l’âne et le bœuf, vont souffler à ce nouveau-né les grandes qualités du médiateur, compagnon de voyage des médiés : sagesse, connaissance, travail et droiture, vont lui permettre de les prendre par la main pour les aider à cheminer.
II. Accepter de cheminer
Pour cheminer, l’homme doit d’abord abandonner son état d’esclave pour celui d’homme libre. Il le fait, en passant la Mer Rouge. La tradition fait des Hébreux des esclaves en Égypte.[7]
Lors du passage de la mer Rouge, les eaux qui se retirent font penser à une naissance. L’esclave va accéder à la liberté. C’est la Pâque, le passage. Mais il ne devient pas libre du jour au lendemain. Il commence par errer 40 ans dans le désert. C’est le cheminement à faire pour gagner la liberté.
« Dieu créa l’homme à son image, à sa ressemblance. »[8] L’homme a été créé pour tendre à la ressemblance de Dieu. Ève a péché, c’est-à-dire qu’elle s’est trompée de chemin. Elle n’a pas tendu à la ressemblance de Dieu, elle a voulu être Dieu.
Le livre de la Genèse nous enseigne[9] qu’au paradis terrestre, il y a l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Qui a la connaissance sinon Dieu ?
« Le serpent dit à la femme… Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal »[10]
Ève mange la pomme, fruit de la connaissance. Par ce raccourci, elle veut acquérir la connaissance de l’extérieur pour devenir aussi puissante que Dieu. Elle veut « avoir » la connaissance, alors qu’elle aurait dû « devenir » connaissance. On est encore dans l’être et l’avoir. Elle n’a pas fait son chemin.
C’est pourquoi le médiateur ne doit pas souffler l’accord aux parties. Il doit les laisser cheminer pour « devenir » leur accord. Ils doivent accoucher d’eux-mêmes après que chacun ait compris le point de vue de l’autre.
III. L’altérité
L’altérité occupe une grande place dans la Bible : « Aime ton prochain comme toi-même. »[11]
Le prochain est mis sur un pied d’égalité avec nous-mêmes. On ne l’aime pas plus ou moins que soi-même : on doit l’aimer comme soi-même. L’enseignement de l’Évangile est basé sur le respect de l’autre avec qui nous devons cheminer, car son « point de vue » est aussi important que la vue que j’ai du point où je me situe.
Nous avons une illustration de cette solidarité avec la parabole du bon Samaritain[12]
Le Samaritain, en Palestine, à l’époque des Évangiles, est un étranger rejeté. Mais lui, au lieu de rejeter l’autre à son tour, va s’arrêter et secourir un homme laissé à demi mort sur la route. Il va l’amener dans une auberge. Il est tourné vers les besoins de l’autre.
IV. La confiance
Pour cheminer avec l’autre vers un accord, il faut avoir confiance à la fois dans le médiateur et dans la parole de l’autre et croire que l’accord est possible. Le médiateur amène les parties à cheminer dans la confiance.
Dans notre vie de tous les jours, il y a les tourments, la presse, les tourbillons, les ennuis. Et on a l’impression qu’on n’y arrivera pas et qu’on va couler.
C’est pourquoi le médiateur doit continuellement redonner confiance aux personnes en cherchant à toujours positiver :
- Il m’a traité de menteur, donc c’est fini, j’arrête la médiation.
Et le médiateur intervient, reformule :
- Je vois que vous êtes tous les deux très attachés à la notion de vérité, donc, on va y arriver. » Et on repart.
Se dire que tout est possible et qu’il doit être posé des actes de confiance se retrouve dans la Bible : « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez reçu et vous le verrez s’accomplir »[13]
Cette confiance est illustrée par Pierre qui marche sur les eaux.[14]
Il y a une grande tempête. C’est la panique à bord de la barque (c’est-à-dire en nous). Et, tout à coup, Jésus arrive vers les apôtres, en marchant sur les eaux. Alors, Pierre, dans sa candeur, lui demande de dire un mot pour qu’il le rejoigne et Jésus lui dit seulement « viens ». Ça ne pouvait pas être plus bref. À Pierre, cela suffit. Il a confiance. Il enjambe la barque et marche sur l’eau. L’évangéliste écrit : il « voit » la force du vent. On sent le vent, mais on ne le voit pas. L’emploi du mot « voir » est important. Pierre détourne son regard de son but : Jésus. Il regarde à côté et il voit la mer démontée. Il a peur, il n’a plus confiance et il coule.
V. La communication non violente (CNV)
La CNV nous enseigne que ce sont nos propres défauts qui nous font souffrir. Pour se protéger, on se les cache à soi-même. C’est pourquoi, lorsqu’on les retrouve chez les autres, on ne les supporte pas. On reproche à l’autre, par exemple, son égoïsme ou son orgueil ou d’avoir peur de tout. En fait, on se projette sur l’autre qui nous renvoie nos défauts comme un miroir. Toute la CNV est fondée sur les besoins essentiels de celui qui s’exprime et sur l’interdiction de le juger.
Je me rappelle d’une femme qui m’avait dit :
- Mon mari est égoïste.
Je lui ai demandé de me préciser en quoi il était égoïste.
Elle m’a répondu :
- J’ai froid et il ne met pas le chauffage à la maison.
Mais, les finances du couple ne permettaient pas d’améliorer le chauffage. J’ai amené la femme à réaliser qu’en réalité elle avait besoin que son mari s’occupe d’elle. Et que l’égoïste… c’était elle !
Or, la Bible nous enseigne que la femme a été créée, non pas avec une côte d’Adam, ce qui n’aurait aucun sens, et qui serait le résultat d’une erreur de traduction[15], mais avec l’autre côté d’Adam, son côté dans les ténèbres, pour que, détaché de lui, il puisse en prendre connaissance par un effet de miroir.
On lit, dans ce texte, que Dieu donna à l’homme des pouvoirs sur la terre, y compris celui de nommer « les animaux ».[16] Qui sont les animaux que l’homme peut nommer ? Est-ce le chien, le chat, l’éléphant, les moustiques, etc., ce qui, là encore, n’aurait aucun sens ? Ne serait-ce pas plutôt nos animaux intérieurs, nos besoins essentiels, nos défauts ?
Une fois nommés, on a un pouvoir sur eux. Quand un ami passe dans la rue et que je l’interpelle : Daniel ! Il se retourne. J’ai un pouvoir sur lui : je connais son nom.
Ainsi, l’autre est par son comportement le révélateur d’un besoin essentiel qui, en moi, n’est pas satisfait, mais que je ne veux pas connaître, précisément parce que, inconsciemment, il me fait souffrir. Une fois mis en lumière, j’ai un pouvoir sur lui.
C’est la supériorité de l’homme sur l’animal. Le chien ne sait pas que, dans telle circonstance, il va se mettre en colère. Il n’a aucun pouvoir sur « ses animaux intérieurs ». Tout au long de la médiation, le médiateur permet à chacun de mettre en évidence ses besoins et ceux de l’autre. Il est différent, mais on va respecter son point de vue. Le respect de l’autre est une valeur chrétienne. Les bases de la communication non violente se retrouvent dans la Bible !
Le « Tu ne jugeras pas » de l’Évangile prend alors toute sa dimension :
« En jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu fais les mêmes choses »[17]
De même, cet autre passage est une illustration de la CNV[18] :
« Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi retirer la paille qui est dans ton œil”, alors que tu ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Esprit faux ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour retirer la paille qui est dans l’œil de ton frère. »
VI. La réconciliation et le pardon
On ne peut pas cheminer avec quelqu’un que l’on considère comme un « adversaire ». La réconciliation passe par le pardon.
L’Évangile de Matthieu est riche en référence au pardon :
« Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va d’abord te réconcilier avec ton frère. »[19]
Qui n’a pas présent dans l’esprit la réponse de Jésus à Pierre qui lui demandait combien de fois il faudra qu’il pardonne à son frère lorsqu’il péchera contre lui. « Sera-ce sept fois ? Jésus lui dit : je ne te dis pas sept fois, mais 77 fois sept fois ».[20]
C’est un appel à la plénitude dans le pardon. Pour pouvoir cheminer sur le chemin de vie sans être entravé par les liens de la rancune et le désir de vengeance, il est nécessaire de passer par le pardon. Pour Lewis B. Smedes, « Pardonner, c’est libérer un prisonnier et découvrir que le prisonnier c’était soi-même ».
Une médiation menée à la lumière des Évangiles
Voici un exemple de médiation qui illustre l’importance et l’usage de la culture commune et partagée. Si je n’avais pas été de culture chrétienne, cette médiation, que j’ai menée, n’aurait pas abouti. J’ai mené ce cas, en co-médiation, avec mon mari, Michel.
Le juge m’avait téléphoné pour m’avertir qu’il y avait du meurtre dans l’air. Quatre frères et sœurs et leurs conjoints : huit personnes dans la salle. Dès la première réunion, tout le monde hurlait. Surtout deux femmes, deux belles-sœurs, qui s’invectivaient.
Nous avons dû interrompre la réunion. J’ai pris à part les deux femmes, pendant que Michel continuait avec les autres. Cette réunion séparée a permis de découvrir la partie invisible de l’iceberg : l’une était allée conter fleurette à son beau-frère, c’est-à-dire le mari de l’autre. C’était même plus que fleurette. Elle était devenue « une voleuse de mari ».
À partir de là, la famille se battait pour sept centimètres de mur. Ils étaient quatre maçons et avaient acheté un terrain en commun sur lequel chacun avait construit sa maison. Et voilà qu’un mur (celui du mari trompé) dépassait de sept centimètres sur le terrain voisin, celui du beau-frère coupable ! Pour sept centimètres de mur, on était en procès depuis 10 ans ! Vous réalisez ce que c’est que sept centimètres ?
Pour régler ce problème, il fallait passer par le pardon. J’entre dans la maison de la femme adultère et suis accueillie par la Vierge de Fatima et, dans le salon, par le Christ.
On échange :
- La femme : je suis une pécheresse. Je vais à la messe tous les jours et je ne me pardonnerai jamais ce que j’ai fait.
- Moi : Qu’est-ce que Jésus a dit à la femme adultère ?
- La femme : Ah oui, il a dit « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus ».
- Moi : Jésus ne vous condamne pas. C’est vous qui vous condamnez. On est tous pécheurs. Et, Jésus a dit « Je ne suis pas venu pour les bien-portants, je suis venu pour les pécheurs ».[21]
- La femme : Je vais à la messe tous les jours.
- Moi : Cela ne sert à rien si vous ne vous êtes pas pardonné et si vous n’avez pas demandé pardon à l’autre.
- La femme : Lui demander pardon, c’est impossible, elle n’acceptera pas.
- Moi : si vous ne le lui demandez pas, elle ne peut pas accepter.
- La femme : Je vous ai dit qu’elle n’accepterait pas
- Moi : Et si elle acceptait, vous pourriez lui demander pardon ?
- La femme : Oui, si elle acceptait de me pardonner.
- Moi : Alors, je vais lui parler.
- La femme : Bon, je veux bien. Si elle vient chez moi, je lui demanderai pardon.
Alors, me voici chez l’autre femme.
- La femme : C’est une garce, elle a fait une chose épouvantable. Je ne lui pardonnerai jamais. Mais je prie pour elle, pour qu’elle change. Je vais à la messe tous les jours, et je communie quotidiennement.
- Moi : Cela ne sert à rien si vous ne lui pardonnez pas. Rappelez-vous ce que Jésus a dit : « si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis reviens et alors présente ton offrande ».[22]
- La femme : Ce qu’elle a fait est impardonnable.
- Moi : Jésus n’a-t-il pas dit à Pierre de pardonner 77 fois sept fois ? C’est-à-dire qu’il faut pardonner en toutes circonstances. Tant que vous n’aurez pas pardonné, vous serez liées l’une à l’autre. C’est encore dans l’Évangile : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel ».[23] C’est-à-dire que c’est seulement si vous acceptez de lui pardonner, que tout pourra être délié. Connaissez-vous l’étymologie du mot « condamner » ? Il vient du latin « cum damnare », se damner avec. Si vous la jugez et que vous la condamnez, vous vous damnez avec elle. Mais vous pouvez redevenir libre, en pardonnant. Est-ce que vous seriez d’accord ?
- La femme : Non, parce qu’elle ne voudra jamais me demander pardon. Elle est bien trop fière.
- Moi : Si elle vous demande pardon, est-ce que vous accepteriez de lui donner ce pardon ?
- La femme : Oui, si elle me le demande, j’accepterais, mais elle ne le demandera pas.
- Moi : Venez chez elle. Elle va vous demander pardon.
Elles sont tombées dans les bras l’une de l’autre, en larmes. C’était bouleversant. Le pardon demandé fut accordé. Elles se sont embrassées, scellant ainsi leur réconciliation. Elles étaient rayonnantes. La médiation était bien plus qu’un accord.
Pour les maris, ce fut autre chose. On n’est pas arrivé au même stade, mais les femmes ont décidé d’œuvrer chacune dans leur foyer, pour qu’ils se reparlent et se pardonnent.
Un jeu de rôle de médiation trouvé dans les Évangiles : la femme adultère
L’Évangile de la femme adultère nous donne un magnifique exemple de médiation fondé sur le non-jugement :
« Les spécialistes de la loi et les pharisiens amenèrent une femme surprise en train de commettre un adultère. Ils la placèrent au milieu de la foule et dirent à Jésus : “Cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. Et toi, que dis-tu ? »
Ils disaient cela pour lui tendre un piège, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol.
Comme ils continuaient à l’interroger, il se redressa et leur dit :
– Que celui d’entre vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle.
Puis il se baissa de nouveau et se remit à écrire sur le sol. Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu’aux derniers ; Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu. Alors il se redressa et, ne voyant plus qu’elle, il lui dit :
– Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t’a donc condamnée ?
Elle répondit :
– Personne, Seigneur.
Jésus lui dit :
– Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et désormais, ne pèche plus. »[24]
Les scribes et les pharisiens cherchent à confondre Jésus qui est face au dilemme : condamner ou refuser d’appliquer la loi. En tant que médiateur, nous avons tous connu ce genre de situation déstabilisante qui peut nous faire perdre notre impartialité :
- Et vous, monsieur le médiateur, et vous madame la médiatrice, qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ? Ce qui sous-entend que vous aussi, vous auriez fait la même chose que moi, n’est-ce pas ? Vous êtes de mon côté. On apprend à s’en tirer par une pirouette du genre :
- Je comprends, mais mettez-vous aussi à la place de l’autre. Ou bien :
- Je sais ce que je ferai à ma place, mais, à votre place, non je ne sais pas ce que je ferai.
Jésus se lève et déjoue le piège. Debout, c’est le maître qui parle :
- Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre.
Il se rassoit et continue à écrire. Une fois seul avec la femme, il se relève et lui fait reformuler la situation :
- Personne ne m’a condamnée.
C’est sa bouche qui prononce ces paroles. Vous comprenez l’importance de cette reformulation. Après qu’elle a reformulé la situation, Jésus conclut :
- Moi non plus, je ne condamne pas, je ne te juge pas.
VII. Conclusion : la prière du médiateur
La magnifique prière de Saint François d’Assise pourrait être celle du médiateur, car elle dicte la manière de faire naître réconfort, compréhension et pardon. C’est en semant l’amour que l’on contribue à éradiquer la haine pour éviter de répondre œil pour œil, dent pour dent.
Seigneur, fais de moi un instrument de Ta paix
Là où il y a la haine, que je mette l’Amour
Là où il y a l’offense, que je mette le pardon
Là où il y a la discorde, que je mette l’union
Là où il y a l’erreur, que je mette la vérité
Là où il y a le doute, que je mette la foi
Là où il y a le désespoir, que je mette l’espérance
Là où il y a les ténèbres, que je mette la lumière
Là où il y a la tristesse, que je mette la joie.
Ô, Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer… (Saint François d’Assise).
Béatrice Blohorn-Brenneur
Présidente de chambre honoraire,
présidente de GEMME, de GEMME-France et de CIM,
ancienne médiatrice du Conseil de l’Europe,
formatrice en médiation et médiatrice
[1] Matthieu 5, 17-18
[2] Mc 2,17 ; Lc 5, 31-32; Mtt 9, 12-13
[3] Mtt 18, 15-18
[4] Il est relaté dans Jean, 2, 2-11
[5] Ps 84
[6] Isaïe 1,3
[7] Selon Annick de Souzenelle, dans son livre « L’Égypte intérieure ou les dix plaies de l’âme », « l’Égypte, Mitsraïm en hébreu, est essentiellement une matrice d’eau (Maïm – les eaux et Tsr — étroit) » (Ed Albin Michel page 31).
[8] Gn 1, 26-27
[9] Gn 2, 16-17
[10] Gn 3, 5-6
[11] Matthieu 19,19 ; Marc12, 31 : Luc 10, 27-28 ; Lévitique 19,18
[12] Luc 10, 25-37
[13] Luc 10, 25-37
[14] Mtt 14,22-33
[15] Annick de Souzenelle, propose une traduction différente de la Bible, dans son livre, « La parole au cœur du corps ». Elle soutient que le même mot en hébreu veut dire « côte » ou « côté ». En réalité, la traduction la plus logique serait que la femme ait été créée avec l’autre côté d’Adam, côté qui lui demeurait caché.
[16] Gn 2, 20
[17] Lettre de St Paul aux Romains, chapitre 2
[18] Lc, 6, 39-42
[19] Mtt 5, 23
[20] Mtt 18,22
[21] Lc, 5, 32
[22] Mtt 5, 23
[23] Mtt 18 : 18
[24] Jean 8, 1-11
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