Coram HUBER
Dol
Rottenburg (Allemagne) – 28 avril 2010
P.N. 19.483
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
- LE DOL DANS LE DROIT CIVIL
- Labéon
- Reiffenstuel
- LE DOL DANS LE DROIT CANONIQUE
- Le canon 125 § 2
- Le canon 1098
III. CE QUI EST REQUIS POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE
- L’obtention de la fin
- La finalité de la tromperie spécifique
- La qualité de l’autre personne
- LA PREUVE DU DOL
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
En 1991, Despina, âgée de 24 ans, fait la connaissance de Stefan, âgé de 23 ans. En 1993 ils décident de cohabiter et un an plus tard ils songent à se marier. Leurs relations étaient pacifiques.
Le mariage a lieu le 9 juillet 1994. La vie conjugale est heureuse, mais les époux n’ont pas d’enfant. En 1999, Stefan est soigné pour une dépression. A l’été de cette même année, il avoue à son épouse qu’il est attiré par une autre femme. Despina, voulant sauver son mariage, souhaite avoir un enfant et n’utilise plus de moyens anticonceptionnels, à l’insu de son mari. Cependant elle n’est pas enceinte.
C’est à ce moment-là qu’elle apprend la stérilité de son mari, qui avait été décelée avant son mariage mais que Stefan lui avait cachée.
En 2000 les époux se séparent et le mariage est prononcé le 16 octobre 2001.
Despina, estimant que son mariage est nul, présente le 19 mars 2003 au Tribunal ecclésiastique de Rottenburg un libelle où elle accuse son mariage de nullité pour dol accompli par son mari. Le chef de dol est repris dans le doute concordé et déclaré prouvé par la sentence du 21 février 2005.
Le défenseur du lien fait appel à la Rote. Le Tour, le 19 avril 2005, admet la cause à l’examen ordinaire du second degré. Aujourd’hui, il Nous revient de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour dol perpétré par le mari ?
EN DROIT
- LE DOL DANS LE DROIT CIVIL
- Labéon
- Labéon présente une définition du dol, qui vient d’Ulpien et qui se formule ainsi : « Le dol est toute ruse, fourberie, machination, employée pour circonvenir, duper, tromper autrui »[1]. Labéon décrit l’action dolosive en trois substantifs, auxquels correspondent trois verbes à la forme du gérondif. Le juriste romain indique ainsi la fin de l’action dolosive et le lien de causalité entre l’action de l’auteur du dol et le dommage de la victime du dol.
- Reiffenstuel
Les Romains ont considéré le dol à l’intérieur des fins de la formation du contrat. Il n’est pas facile d’interpréter leur doctrine. Reiffenstuel écrit à ce sujet : « En effet, en parlant des contrats de droit strict, les docteurs tiennent communément que le dol qui est cause d’un contrat de droit strict ne le rend pas nul par le droit lui-même, mais qu’un tel contrat doit être rescindé par le juge dès la demande de la victime du dol […]. Cependant, si le dol est cause d’un contrat de bonne foi, alors (disent la plupart des docteurs) le contrat est nul de par le droit lui-même »[2].
Selon Reiffenstuel le mariage n’est pas classé parmi les contrats de bonne foi, mais la société, elle, y est classée. Il poursuit : « Bien que cette sentence soit la plus commune, il ne manque pas de docteurs qui affirment que les contrats de bonne fois également ne sont pas invalides et nuls par le droit lui-même, même si le dol commis par une personne et portant sur des aspects accidentels a été cause du contrat, bien que ces contrats de bonne foi puissent et doivent, si la victime du dol le veut, être rescindés pour exception de dol »[3].
Il semble donc qu’à la victime du dol appartienne le droit de rescinder les contrats de bonne foi valides selon le droit civil, si trompée par un dol elle les a conclus.
- LE DOL DANS LE DROIT CANONIQUE
- Le canon 125 § 2
- Cela dit, on comprend mieux le c. 125 § 2, qui statue : « L’acte posé sous l’effet d’une crainte grave injustement infligée, ou d’un dol, est valide sauf autre disposition du droit ; mais il peut être rescindé par sentence du juge, ou à la demande de la partie lésée ou de ses ayants droit, ou d’office ».
Il découle de ce canon que le dol n’irrite pas un acte juridique. Le dol en effet ne supprime pas le volontaire. La volonté est viciée, mais non au point que la volonté soit nulle.
Toutefois la Loi prescrit : « sauf autre disposition du droit ». Cette exception est admise pour les actes juridiques qui exigent un volontaire plein comme l’élection (c. 172 § 1, 1°), la renonciation (c. 188), l’admission au noviciat (c. 643,§ 1, 4°), la profession religieuse (c. 656, 4°), le vœu (c. 1191 § 3), le serment (c. 1200 § 2).
Jusqu’au nouveau Code le mariage contracté sous l’effet du dol était valide. Pour justifier cette norme, les auteurs ont fourni des raisons diverses : certains désiraient protéger la stabilité du mariage ; d’autres affirmaient que l’élément subjectif n’existait pas chez l’auteur du dol et donc qu’il y avait un bon dol ; d’autres voyaient le mariage comme une institution pour conférer la grâce sanctifiante.
- Le canon 1098
- Le mariage, puisqu’il est indissoluble de droit divin, n’admet pas l’action rescisoire, « mais pour éviter une grave injustice et également une grave atteinte à la liberté interne, qui proviendraient de la machination d’un autre causant une erreur née d’une tromperie dans le dessein d’extorquer le consentement, s’il n’y avait aucun remède contre la tromperie délibérément commise, la loi ecclésiastique fondée sur l’équité naturelle a décidé l’action en nullité d’un mariage célébré par suite d’une tromperie dolosive : ‘La personne qui contracte mariage, trompée par un dol commis en vue d’obtenir le consentement, et portant sur une qualité de l’autre partie, qui de sa nature même peut perturber gravement la communauté de vie conjugale, contracte invalidement (c. 1098)’ »[4].
III. CE QUI EST REQUIS POUR QU’ON PUISSE PARLER DE TROMPERIE DOLOSIVE
- Il y a peu à dire sur ce qui est requis pour une tromperie dolosive qui, selon le c. 1098 cité, invalide le consentement matrimonial.
- L’obtention de la fin
Tout d’abord la loi postule que la ruse employée pour circonvenir obtienne réellement son effet. Cela se déduit du texte de la loi : « Celui qui contracte mariage, trompé par un dol ». Il peut arriver que celui qui se dit trompé, soit content de cette tromperie, parce que « la qualité de l’autre partie » lui donne la possibilité d’aider l’auteur de la tromperie, par exemple si celui-ci est malade.
- La finalité de la tromperie spécifique
Il est requis la finalité de la tromperie spécifique, à savoir « pour obtenir le consentement ». On lit en effet à ce sujet : « A coup sûr, toute machination inflige un dommage à la personne. Vue ainsi, la signification de la finalité définie est parfois tenue pour superflue par les auteurs. Le législateur cependant a voulu indiquer en termes exprès la fin visée par l’auteur du dol. Et ainsi est constitué sans le moindre doute le lien de causalité entre le dol et le consentement matrimonial, de telle sorte que le mariage soit célébré sous l’effet du dol, c’est-à-dire du dol appelé direct. Donc le dol qui est utilisé pour obtenir d’autres fins n’exerce aucune influence sur le consentement matrimonial et n’a en conséquence aucune force invalidant le mariage »[5].
- La qualité de l’autre personne
Ce n’est pas n’importe quel dol qui irrite le mariage, mais seulement celui qui porte sur une qualité de l’autre personne. Il est postulé en plus que la qualité « puisse de sa nature même perturber gravement la communauté de vie conjugale ». La difficulté consiste dans la détermination de cette qualité. Par les mots « de sa nature même » le législateur semble exclure toute interprétation subjective de l’importance de la qualité.[6] Le législateur considère la stérilité comme un exemple de qualité qui, de sa nature même, perturbe gravement la communauté de vie conjugale, lorsqu’il décrète : « La stérilité n’empêche ni ne dirime le mariage, restant sauves les dispositions du c. 1098 » (c. 1084 § 3). Comme le défaut de capacité de procréation a une grande importance pour la vie conjugale, il se crée une obligation juridique de manifester à l’autre partie cette qualité « négative ». Celui qui est privé de cette capacité « ne peut pas se taire simplement, parce que ce silence serait dolosif »[7].
- LA PREUVE DU DOL
- En ce qui concerne la preuve, il est permis de rappeler le principe du droit romain : « Le dol ne se présume pas ». Au contraire, selon le droit canonique, il existe une présomption contraire en vertu du c. 1101 § 1.
- La preuve du dol commence par la confession de la victime du dol, qui doit expliquer au juge pourquoi elle se considère ainsi. On entendra l’auteur du dol qui doit dire s’il a utilisé une action dolosive pour obtenir le consentement ou pour atteindre d’autres fins. On interrogera les témoins qui auraient été informés de la machination soit par la victime du dol, soit par son auteur.
- A propos de la qualité, une sentence c. Erlebach fait remarquer : « Dans tous les cas il faut avoir devant les yeux le cas spécifique, surtout la façon dont a été exécutée l’action dolosive présumée, la nature de la qualité, l’objet du dol, puisque les qualités dites « morales » sont prouvées habituellement par des témoignages, tandis que les qualités d’ordre physique exigent parfois une preuve par expertise »[8].
- Le juge recherchera à quel point la partie déçue avait estimé la qualité souhaitée. En ce qui concerne la stérilité, si la partie déçue ne désirait pas avoir d’enfant, l’action dolosive n’atteint pas son effet sur le consentement et le mariage ne peut pas être déclaré nul.
- Que le juge cherche à savoir comment le conjoint trompé a réagi « dès qu’il a découvert qu’il était définitivement privé du bien ou de la qualité qu’il désirait absolument »[9]. S’il a rompu immédiatement la vie conjugale, en quittant son partenaire et en l’accusant d’une action dolosive, il y a une présomption qu’il ait été induit en erreur dolosive.
- La preuve est en réalité difficile lorsqu’il s’agit de la réticence d’une qualité. Il faut savoir que toute espèce de réticence ne constitue pas un fondement suffisant pour déclarer la nullité du mariage. Il n’est pas permis en effet d’oublier que la réticence appartient au droit de la personne.
Le juge doit examiner si la personne réticente était astreinte à l’obligation de se raconter elle-même. La réponse dépend du motif de nullité du mariage contracté sous l’effet du dol : ce motif est-il à attribuer à l’injustice du dol, au défaut de liberté dérivant du dol, à l’absence de la conjonction des volontés ? Quoi qu’il en soit, si une qualité essentielle est requise pour instaurer la communauté conjugale, le contractant est tenu de manifester à l’autre partie l’absence de la qualité. On doit se souvenir ici qu’un Consulteur avait proposé qu’on ajoute : « la stérilité de quelque cause qu’elle provienne », ce que les autres Consulteurs n’ont pas jugé nécessaire.[10]
EN FAIT (résumé
- LES DÉPOSITIONS DES PARTIES ET DES TÉMOINS
- L’épouse demanderesse
Dans un mémoire remis au Tribunal, l’épouse déclare que la vie conjugale, commencée le 9 juillet 1994, a été heureuse jusqu’en 1998. A la fin de cette année, Stefan a été soigné pour dépression, sans succès. Sur les instances de son épouse qui ne comprenait pas son attitude, il lui a avoué avoir une liaison avec une autre femme. Voulant sauver son mariage, Despina a désiré fortement avoir un enfant, mais, bien qu’ayant cessé d’utiliser des moyens anticonceptionnels, cela à l’insu de son mari, elle n’est pas parvenue à être enceinte. Finalement elle a réussi, après avoir interrogé Stefan, à savoir que celui-ci ne pouvait pas avoir d’enfant, et elle a appris également qu’il le savait avant son mariage, mais qu’il n’avait rien dit à sa fiancée par « peur de la perdre ».
Despina a donc affirmé dans son libelle qu’elle s’était mariée trompée par Stefan, qui, avant le mariage, lui avait caché volontairement sa stérilité pour obtenir son consentement.
- Les témoins
La crédibilité des témoins a été vérifiée et reconnue par le tribunal de 1° instance, ce qu’accepte le Tour Rotal de seconde instance.
Une neurologue consultée par Despina en 1999, donc à une époque non suspecte, confirme ses dépositions : « Elle est venue me consulter et m’a confié qu’elle ignorait avant son mariage que son mari ne pouvait pas avoir d’enfant », ce qui montre que le mari partie appelée a non seulement avant le mariage caché son incapacité d’engendrer, mais qu’il l’a dissimulée positivement, en exigeant que sa femme utilise des moyens anticonceptionnels. La sœur de Stefan confirme à la fois la déposition de Despina et le témoignage de la neurologue en rapportant une réflexion que lui a faite la demanderesse après avoir appris la stérilité de son mari : « Ce n’est pas possible, il me fait prendre la pilule depuis 8 ans ! ». Le témoin ajoute : « J’ai posé des questions à Despina, elle m’a dit qu’elle n’avait jamais su (la stérilité de Stefan) ».
- L’époux partie appelée
Dans sa première déposition judiciaire, Stefan a reconnu qu’il n’a rien dit à Despina, avant son mariage, au sujet de sa stérilité, et il l’a répété au juge de seconde instance : « Despina et moi, nous étions mariés lorsque je lui ai dit que je ne pouvais pas avoir d’enfant ».
- L’ÉVALUATION DES ÉLÉMENTS DE PREUVE
- L’intention de l’auteur du dol
Pourquoi le mari a-t-il caché une qualité perturbant gravement la communauté conjugale ?
Despina déclare au juge qu’ayant appris par sa belle-sœur la stérilité de Stefan, elle a demandé à celui-ci pourquoi il ne lui en avait pas parlé avant le mariage. La réponse a été nette : « Parce que je ne voulais pas te perdre ».
On voit donc le lien entre le silence et le consentement matrimonial. Si Stefan avait révélé sa stérilité, Despina ne l’aurait pas épousé. Ceci est d’autant plus sûr que le mari lui-même déclare : « Je savais personnellement que je ne pourrais jamais avoir d’enfant […]. J’ai eu peur que Despina ne m’épouse pas si je lui disais la vérité ». On peut conclure que le mari ne s’est pas seulement tu, mais qu’il a trompé positivement la demanderesse.
- La nullité du mariage ne vient pas de la stérilité du mari, mais du dol qu’il
a commis
Quelle qu’elle soit, la cause de la stérilité – sur laquelle Stefan et les témoins divergent – n’est pas nécessaire ici. Il suffit que l’impuissance d’engendrer existe avant le mariage, ce qui est prouvé par un certificat médical et confirmé par le mari lui-même.
- L’intention de l’épouse en se mariant
Les actes montrent pleinement que l’épouse s’est mariée avec l’intention d’avoir des enfants : elle le dit dans ses dépositions et le mari ainsi que les témoins confirment cette intention de Despina. Celle-ci s’est mariée avec la volonté d’avoir des enfants et elle a cru que son mari était capable de procréer.
Ayant appris l’infidélité de son mari, Despina a tenté de sauver son union. « Suite à l’infidélité de son mari, déclare la sœur de Stefan, Despina était prête à se battre pour son couple. Elle me disait : ‘Mon couple est mis par terre, on voulait avoir des enfants’ ».
Et il y a eu l’aveu par Stefan de sa stérilité, et donc de son dol. Malgré la volonté de son mari, Despina a alors quitté celui-ci et l’a accusé de dol. De son attitude on peut déduire que l’épouse demanderesse avait perdu toute confiance en son mari parce qu’elle a eu la conviction qu’il avait délibérément et frauduleusement agi pour la tromper : il connaissait sa stérilité et il l’a cachée pour obtenir le consentement de la jeune fille qu’il aimait.
Constat de nullité
pour dol commis par le mari
Vetitum pour le mari
Josef HUBER, ponent
Pio Vito PINTO
Alessandro CEDILLO
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[1] D. 4, 3, 1, 2
[2] REIFFENSTUEL, Jus Canonicum Universum, vol. II, lib. II, tit. XIC, Paris 1865, p. 417
[3] Même endroit, p. 418
[4] C. STANKIEWICZ, 27 janvier 1994, SRRDec, vol. LXXXV, p. 63, n. 15
[5] C. CIVILI. La référence donnée par le ponent de la cause présente est inexacte.
[6] Cf. c. BURKE, 25 octobre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 725, n. 12
[7] COMMUNICATIONES, 3, 1971, 77
[8] C. ERLEBACH, 31 janvier 2002, SRRDec, vol. XCIV, p. 51, n. 9
[9] C. RAGNI, 27 avril 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 295, n. 9
[10] COMMUNICATIONES, 7, 1975, 59-60
À propos de l’auteur