Huber 08/07/2009

Huber 08/07/2009

Coram  HUBER

 Exclusion du bien du sacrement

 Tribunal régional de Flaminie (Italie) – 8 juillet 2009

 P.N. 19.569

Constat de nullité

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. Liberté de se marier, mais acceptation du mariage institué par Dieu
  2. Irrévocabilité du consentement
  3. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage
  4. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité
  5. Les preuves de la simulation
  6. Preuves directes
  7. Preuves indirectes

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EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Mauro G., âgé de 24 ans, fait en 1989 la connaissance de Michela L., âgée de 19 ans. Un mois après leur première rencontre, ils se présentent à leurs parents respectifs et dès lors ils sont considérés comme étant fiancés.

 

La période des fiançailles n’est pas toujours pacifique, cependant les jeunes gens s’aiment. Ils ont des rapports intimes. En 1990, Mauro propose à Michela de vivre ensemble sans être mariés, mais le père de la jeune fille s’y oppose et le mariage religieux est célébré le 8 décembre 1990.

 

La vie conjugale, sans enfant, dure deux ans. Ayant découvert l’infidélité de son mari et son intention de ne pas rester dans le mariage, Michela quitte le domicile conjugal en novembre 1992. Le divorce est prononcé le 21 décembre 1996.

 

Désireux de retrouver sa liberté devant l’Eglise, Mauro s’adresse le 15 mai 1998 au Tribunal Régional de Flaminie, accusant son mariage de nullité pour exclusion du bien du sacrement de sa part. La sentence du 19 mai 2000 est négative.

 

Le demandeur s’adresse au Tribunal d’appel qui, le 24 septembre 2004, prononce la nullité du mariage pour le chef invoqué.

 

Il nous revient aujourd’hui, en troisième instance, de répondre au doute concordé : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur ?

 

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EN  DROIT

 

  1. Liberté de se marier mais acceptation du mariage institué par Dieu

 

Il relève de la liberté de chacun de contracter mariage, c’est-à-dire que le contractant ne doit subir aucune coaction ni être interdit de se marier par aucun empêchement. Il ne relève pas de la même liberté du contractant de déterminer la nature du mariage. Le mariage en effet a été fondé et doté de ses lois propres par Dieu. Il résulte de tout ceci que l’Eglise n’oblige personne à se marier, mais si quelqu’un entend le faire, il doit contracter son mariage dans le sens que Dieu lui a donné et que l’Eglise expose dans sa doctrine. Fondée sur les textes de la Sainte Ecriture et de la Tradition, l’Eglise enseigne que l’intime communauté de vie et d’amour conjugal est instaurée « par l’alliance conjugale, c’est-à-dire par le consentement personnel irrévocable », mais que le lien sacré né du consentement ne dépend pas du « bon vouloir de l’homme »[1].

 

  1. Irrévocabilité du consentement

 

On déduit de ce qu’on vient de dire que les conjoints peuvent contracter mariage par un acte de volonté de nature contractuelle. Une fois accompli, cet acte de volonté obtient son effet juridique, qui n’a plus besoin de l’influx de la volonté pour persévérer. Le mot « irrévocable » signifie que le mariage, né du consentement personnel, ne dépend plus du consentement. Une révocation postérieure faite psychologiquement ne produit aucun effet juridique. En d’autres termes, le contractant, après l’émission de son consentement, n’a plus aucun pouvoir en ce qui concerne le lien, selon Saint Augustin : « […] en effet, si le divorce intervient, la communauté conjugale n’est pas détruite, de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ; puisqu’ils commettent l’adultère avec ceux à qui ils s’uniraient après leur répudiation, la femme avec l’homme, ou l’homme avec la femme »[2]. Les conjoints ont été séparés par le divorce, néanmoins le mariage continue à exister : le consentement est psychologiquement révoqué avec l’intervention du divorce, mais l’obligation à la communauté de toute la vie demeure juridiquement, « de telle sorte que les époux sont l’un pour l’autre des conjoints, même séparés ». Le consentement a donc créé un effet indépendant de sa cause. L’indissolubilité du mariage présuppose par conséquent une distinction entre le mariage in fieri (le consentement) et le mariage in facto esse (le lien). Le consentement contractuel n’est pas la cause de l’indissolubilité, mais son présupposé. L’indissolubilité doit être prouvée par sa nature de pacte en tant que tel. L’indissolubilité comporte l’impossibilité de rescinder l’effet produit par le consentement contractuel. C’est pourquoi il n’est pas permis de contracter un mariage temporaire ou un mariage à l’essai.

 

  1. L’indissolubilité, propriété essentielle du mariage

 

  1. L’indissolubilité est comptée parmi les propriétés essentielles du mariage, selon le c. 1056 : « Les propriétés essentielles du mariage sont l’unité et l’indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière ».

« Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels, ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement » (c. 1101 § 2).

 

Comme on l’a dit plus haut, l’indissolubilité appartient au mariage in fieri, au mariage-alliance, et non au mariage in facto esse, le mariage-état de vie. L’indissolubilité en effet ne consiste pas dans un droit et une obligation de faire ou d’omettre quelque chose. Les conjoints doivent viser un mariage en tant que non rescindable. C’est pourquoi, en ce qui concerne l’indissolubilité, il n’est pas permis de parler d’exclusion du droit issu du consentement, ni d’exclusion de l’exercice du droit, on ne peut parler que de l’exclusion du lien. Cette exclusion doit s’effectuer par un acte positif de volonté. Il doit donc y avoir un acte, c’est-à-dire une opération, et une opération de la volonté. L’erreur, la prévision, le désir, les doutes ne sont pas des actes de la volonté, mais de l’intelligence. Ni la volonté habituelle, ni la volonté générique, ni la volonté interprétative ne se déterminent en acte positif de volonté. Pour que la volonté opère positivement, il est requis que celle-ci passe de la puissance à l’acte, de l’inertie à la simulation active. « C’est pourquoi l’acte de volonté excluant le mariage lui-même, ou le droit à l’acte conjugal, ou une propriété essentielle du mariage ne peut pas consister dans une simple inertie, un ‘non-velle’ (ne pas vouloir). Au contraire il doit consister dans un ‘velle non’ (vouloir que ne pas)[3] ».[4]

 

  1. Exclusion absolue ou conditionnelle de l’indissolubilité

 

  1. L’indissolubilité du mariage peut être exclue de façon absolue ou de façon conditionnelle. Se propose de rescinder le lien de façon absolue celui qui décide positivement qu’il rompra le lien à l’avenir, sans qu’il fasse dépendre d’une circonstance la rupture du lien.

 

Se propose de dissoudre le lien de façon conditionnelle celui qui décide de rompre le lien à l’avenir pour une circonstance déterminée, par exemple, si le mariage n’est pas heureux. Dans ce cas le mariage est nul, même si le contractant ne sait pas ou ne prévoit pas que le lien conjugal devra être rompu réellement par la suite. Les parties, ou au moins une partie, entendent contracter un véritable mariage, mais ils font dépendre de l’expérience de la vie le fait que, compte tenu du tempérament ou du caractère du conjoint ainsi que des circonstances extérieures, ils resteront pour toujours ou non dans l’union qu’ils ont contractée. Le contractant qui, lorsqu’il émet son consentement, se réserve le droit de rompre le lien si telle circonstance se vérifie, exclut absolument l’indissolubilité. La rupture envisagée du lien est conditionnelle.

 

  1. Les preuves de la simulation

 

  1. Preuves directes

 

  1. Dieu excepté, le contractant est l’unique témoin direct de sa propre volonté. De là sa confession judiciaire et surtout sa confession extrajudiciaire sont à examiner avec soin. Dans les causes matrimoniales la confession judiciaire n’est pas à comprendre dans le sens du c. 1535 : « Lorsqu’elle va à l’encontre de son propre intérêt, la reconnaissance par une des parties, devant le juge compétent, oralement ou par écrit, spontanément ou sur interrogation du juge, d’un fait en rapport avec l’objet même du procès, constitue une confession judiciaire ». Dans les causes de nullité de mariage, « […] on entend par aveu judiciaire (confessio judicialis) une déclaration par laquelle la partie, par écrit ou par oral, devant le juge compétent, […] affirme contre la validité du mariage un fait qui lui est propre »[5]. La confession judiciaire est ici définie comme la déclaration de celui qui est accusé d’avoir réellement réalisé l’exclusion d’un élément essentiel ou d’une propriété essentielle du mariage, que cette déclaration soit pour ou contre lui. L’acte de simulation est un acte caché au fond du cœur et qui, sans déclaration du simulant allégué, ne peut pratiquement pas être connu parfaitement à partir de ses seuls actes extérieurs. Si la crédibilité du simulant est prouvée, les éléments de preuve qui n’ont pas par ailleurs pleine valeur probante peuvent acquérir cette valeur probante plénière (cf. c. 1679).

 

On doit entendre des témoins crédibles, qui rapportent la confession extrajudiciaire du simulant. La confession judiciaire du simulant allégué au sujet de son exclusion et la même confession extrajuduciaire rapportée en jugement par les témoins sont considérés par la jurisprudence comme des éléments qui prouvent directement l’exclusion.

 

  1. Preuves indirectes

 

Les éléments qui prouvent indirectement l’exclusion sont la cause qui a poussé au mariage, la cause de la simulation et les circonstances du mariage controversé.

 

Si la cause du mariage se trouve dans l’amour, la qualité de cet amour doit être soigneusement recherchée. Les doutes que le mari, avant et après la célébration du mariage, a conçus tant de fois sur l’aptitude de sa femme, permettent souvent de pénétrer dans la véritable volonté du contractant. Il faut cependant savoir que l’existence de cette cause ne produit pas nécessairement un effet, mais qu’elle crée seulement une présomption d’exclusion.

 

Il faut évaluer les circonstances qui offrent un fondement de présomption. Le c. 1586 prescrit : « Le juge ne conjecturera les présomptions qui ne sont pas fixées par le droit qu’à partir de faits certains et déterminés ayant un rapport direct avec l’objet du litige ». Trois conditions doivent être vérifiées pour bâtir des présomptions : un fait, qui est le fondement, et qui soit certain et déterminé et qui ait un rapport direct avec l’objet du litige.

 

Pour rendre une sentence correcte, le Juge considérera la preuve directe et la preuve indirecte, et le lien mutuel des preuves. Qu’il sache qu’il parcourt une route pleine de dangers celui qui, à partir de circonstances se présentant communément, élaborerait un jugement dans un cas particulier à définir. Il peut arriver que parfois plusieurs éléments, qui pris séparément ne peuvent pas par eux-mêmes apporter une preuve, acquièrent, s’ils sont pris ensemble et synthétisés, la valeur d’une excellente preuve.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. La crédibilité du demandeur

 

Les témoins affirment tous la sincérité et la véracité du demandeur qui, par ailleurs, a toujours été constant et ferme dans ses trois dépositions judiciaires successives. Il y a quelques divergences de détail entre certains témoins et le demandeur, mais précisément ces divergences, en écartant le soupçon de collusion entre ces personnes et Mauro, augmentent la crédibilité de celui-ci.

 

  1. Les dépositions du demandeur

 

« Avant de me marier, je ne me sentais pas prêt pour le mariage en général et le mariage avec Michela en particulier […]. J’avais des doutes sur la réussite de mon mariage […] et j’avais décidé de rompre si la vie commune était malheureuse […]. Ma volonté était clairement résolue de recourir au divorce. Je savais que le mariage religieux est indissoluble, mais je confirme m’être marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

A plusieurs reprises et sous des formes quasi identiques, Mauro a reconnu son intention de divorcer en cas d’échec de son mariage.

 

  1. Les témoins

 

En 1° instance, la mère, le frère et un ami du demandeur confirment que Mauro avait des doutes avant de se marier mais ils déclarent n’avoir jamais parlé avec lui d’un recours au divorce en cas d’échec. En appel cependant l’oncle de Mauro, qui avait essayé de le convaincre de ne pas épouser Michela, atteste l’avoir entendu répondre : « Pas de problème. Il y a toujours le divorce ». La même remarque de Mauro a été faite à l’une de ses amies : « Ne t’inquiète pas, il y a toujours le divorce pour me libérer d’un possible échec ». L’on doit remarquer que ces deux témoins ne font pas référence à la mentalité de Mauro, mais à sa volonté. On peut conclure que le demandeur, en évoquant le divorce, n’a pas seulement pensé à une possibilité de divorcer, mais a montré sa volonté de divorcer le cas échéant. Il a dissous intentionnellement le lien, sa volonté est absolue, la rupture du lien, elle, est conditionnelle.

 

  1. La cause du mariage

 

Selon Mauro, la cause qui l’a poussé au mariage est l’attrait physique qu’il éprouvait pour Michela. L’oncle du demandeur s’avoue « cynique », mais il déclare sans prendre de précautions oratoires qu’en se mariant Mauro avait plus comme objectif de mettre Michela dans son lit que de nouer avec elle une relation d’amour. Quelques témoins déclarent que de toute façon Mauro ne semblait pas vraiment amoureux de Michela.

 

  1. La cause lointaine de la simulation

 

Elle se trouve dans le manque de sentiments religieux de Mauro. Il a eu des relations intimes avec Michela avant le mariage, il aurait préféré une union sans mariage, il baignait dans la mentalité ambiante, favorable au divorce, en contraste avec l’éducation qu’il avait reçue. Mauro avoue sans peine que « tout en connaissant l’indissolubilité du mariage, (il s’est) marié avec la volonté de ne pas assumer l’obligation de l’indissolubilité ».

 

  1. La cause prochaine de la simulation

 

Elle se trouve dans les doutes qu’avait Mauro sur le succès de son mariage : doutes dus à la personnalité de Michela, sa rigidité dans sa façon de voir, son manque de dynamisme.

 

La mère et les témoins de Mauro font état de ses hésitations, et les actes montrent que le demandeur, avant le mariage, voyait en Michela une amie et non une épouse. Il avait finalement découvert que Michela n’était pas celle qu’il aurait voulue comme épouse, et donc il a fait dépendre la durée de son mariage de l’évolution de la vie commune.

 

 

  1. Les circonstances de la vie commune

 

Selon le demandeur, Michela se désintéressait de sa maison, des tâches domestiques, si bien que c’était la mère de Mauro qui devait pallier les carences de l’épouse.

 

Michela, elle, parle de difficultés à instaurer un dialogue familial.

 

Quant aux témoins, ils confirment les déclarations de Mauro sur sa femme : indifférence aux exigences familiales, incapable de se gérer elle-même et de gérer les choses.

 

Le fait que la vie commune n’a duré que deux ans et le fait même que Mauro, selon Michela, « n’a rien fait pour sauver le mariage » montrent bien que cette hâte et ce refus de réconciliation ne peuvent procéder que d’une intention antérieure au mariage.

 

 

Constat de nullité

pour exclusion du bien du sacrement

de la part du mari demandeur

 

 

Vetitum pour le mari demandeur

 

 

Josef HUBER, ponent

Giovanni Baptista DEFILIPPI

Robert M. SABLE

 

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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48

[2] SAINT AUGUSTIN, De bono conjugali, VII, 7

[3] Cf. O. GIACCHI, Il consenso nel matrimonio canonico, Milan, Giuffré, 1968, p. 89-114

[4] C. DE JORIO, 18 février 1970, SRRDec, vol. LXII, p. 155, n. 3

[5] DIGNITAS CONNUBII, art. 179 § 2

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.