FERREIRA PENA 27/05/2010

FERREIRA PENA 27/05/2010

Coram  FERREIRA  PENA

 Défaut de discretio judicii

Incapacité d’assumer

 Tribunal ecclésiastique du Portugal

27 mai 2010

P.N. 19.800

Constat pour le défaut

de discretio judicii

__________

PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. NATURE DE  L’ACTE  HUMAIN  DU  CONSENTEMENT
  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII
  2. Les hypothèses où se présente le défaut de discretio judicii
  3. Causes du défaut de discretio judicii
  4. Une cause spéciale du défaut de discretio judicii : l’immaturité psycho-affective
  5. L’enseignement du Professeur De Caro
  6. Les conséquences de l’immaturité psycho-affective sur la décision du

mariage

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

  1. Nature de l’incapacité d’assumer
  2. La cause de nature psychique de l’incapacité d’assumer
  3. L’incapacité concerne les obligations essentielles du mariage

 

  1. LE PROBLÈME  DE  L’HOMOSEXUALITÉ
  2. Nature de l’homosexualité
  3. Homosexualité et pratique homo-érotique
  4. L’examen nécessaire de la structure de la personne
  5. L’homosexualité idéopathique et l’homosexualité symptomatique

 

  1. RAPPEL DU  RÔLE  DES  EXPERTS

 

 

*   *   *

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Maria A., la demanderesse, et Manuel M., la partie appelée, font connaissance au collège par l’intermédiaire d’une amie de Maria, qui était la « petite amie » de Manuel. Lorsque celui-ci rompt avec sa « petite amie », Maria et Manuel se fréquentent et très vite deviennent amants.

 

Les fréquentations des jeunes gens, qui ne se voyaient pas souvent en raison de l’éloignement de leurs maisons familiales respectives, durent dix ans, interrompus par une semaine de réflexion où Manuel veut faire le point sur leurs relations. Le mariage est célébré le 17 juin 1995.

Pendant la cérémonie religieuse, Manuel fond en larmes. La demanderesse attribue cette émotion à l’absence du père de Manuel, mort quelque temps auparavant et que son fils aimait beaucoup. Ce n’est que plus tard qu’elle donnera un autre sens à ces larmes.

 

Le voyage de noces se passe au Canada. Selon Maria, Manuel a une conduite étrange, négligeant sa femme et étant surtout préoccupé au sujet de son ami Paul, à qui il téléphone après en avoir demandé l’autorisation à Maria, qui trouve curieuse l’attitude de son mari. Maria évite les disputes mais est affectée par le peu de relations conjugales qu’elle a avec Manuel, qui répond aux demandes de son épouse en invoquant sa fatigue et le fait que leur intimité n’est pas nouvelle.

 

La vie commune est en fait très limitée parce que les époux, en raison de leur lieu de travail, ne peuvent se retrouver qu’aux fins de semaine. De plus, quand Maria se déplace pour voir son mari, celui-ci a toujours de bons prétextes pour éviter les rapports conjugaux, et plus d’une fois il va chez son épouse avec son ami Paul.

 

Maria commençait à mal supporter cette vie conjugale difficile, lorsque Manuel lui révéla qu’il avait des relations sexuelles avec Paul et donc lui révéla son homosexualité. Stupéfaite, Maria resta sans voix, tandis que Manuel lui expliquait comment sa relation avec son ami Paul avait progressé. Il lui demanda aussi de garder le secret et d’un commun accord les époux décidèrent de prendre du temps pour réfléchir. Néanmoins la déception de Maria était trop forte et, vers la fin du mois d’août 1996, l’épouse signifia à son mari que leur mariage était terminé.

 

Le 28 novembre 2002, Maria adressa un libelle au Tribunal ecclésiastique du Portugal, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour incapacité de son mari d’assumer et de remplir les obligations conjugales essentielles (c. 1095, 3°) et pour grave défaut de discretio judicii, toujours de la part du mari, le rendant incapable d’assumer avec liberté les responsabilités et obligations du mariage (c. 1095, 2°). Le libelle ajoutait le dol, par dissimulation par le mari de son homosexualité afin d’obtenir le consentement matrimonial de la demanderesse.

 

La sentence du 12 janvier 2005 fut négative sur tous les chefs. En appel, où fut réalisée une expertise, les Juges déclarèrent la nullité du mariage selon le c. 1095, 2° et 3°, mais rejetèrent le chef de dol.

 

En troisième instance à la Rote, le doute fut concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement, et pour incapacité d’assumer les obligations matrimoniales essentielles de la part du mari, partie appelée (c. 1095, 2° et 3°). Aucune instruction complémentaire ne fut effectuée.

 

 

 

EN  DROIT

 

  1. NATURE DE  L’ACTE  HUMAIN  DU  CONSENTEMENT

 

Le pacte conjugal par lequel se crée entre l’homme et la femme une communauté de toute la vie, ordonnée au bien des époux eux-mêmes ainsi qu’à la génération et l’éducation d’enfants, naît du seul consentement des parties, qu’aucune puissance terrestre ne peut suppléer (cf. c. 1057 § 2 ; 1055 § 1). Le consentement est un acte de volonté par lequel l’homme et la femme réalisent leur mutuelle donation (cf. c. 1057 § 2).

 

Il s’agit, en termes philosophiques, d’un acte humain, c’est-à-dire d’un acte qui procède d’une volonté délibérée, ou, en d’autres termes, qui résulte de la coopération ordonnée des facultés de l’âme humaine rationnelle, soit l’intelligence et la volonté. L’intelligence et la volonté coopèrent dans la réalisation de la décision délibérée du mariage, parce que cette décision délibérée suit un jugement qui n’est pas seulement théorique, mais pratique, c’est-à-dire qui vise non pas une pure énonciation abstraite – dans le cas, au sujet de la bonté de l’institution matrimoniale – mais une estimation concrète de l’opportunité, pour le contractant lui-même, de se marier hic et nunc avec la personne déterminée de son partenaire.

 

A propos du concours des puissances dans la libre décision délibérée de l’homme, comme est celle qui conduit à contracter mariage, nous avons un document magistral de saint Thomas d’Aquin : « Le propre du libre arbitre est l’electio (décision délibérée), du fait, en effet, que nous disons relever du libre arbitre la possibilité que nous avons de recevoir une chose en récusant une autre chose, ce qui est eligere (décider délibérément). Et donc il faut envisager la nature du libre arbitre à partir de l’electio. Pour l’electio il y a le concours de quelque chose de la part de la puissance cognoscitive, et de quelque chose de la part de la puissance appétitive. De la part de la puissance cognoscitive est requis le conseil, par lequel est jugé ce qui est préférable à autre chose ; de la part de la puissance appétitive est requis que soit accepté avec désir ce qui est jugé par le conseil »[1].

 

  1. LE DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. Celui qui est affecté de l’incapacité de jouir de la nécessaire discretio judicii dans la décision délibérée du consentement matrimonial est, de par le droit naturel, inapte à contracter un mariage valide ; ce qui est formellement établi par le c. 1095, 2° ; « Sont incapables de contracter mariage les personnes […] qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ».

 

  1. Les hypothèses où se présente le défaut de discretio judicii

 

A la lumière des enseignements cités de la philosophie scolastique, on comprend le large concept que la jurisprudence canonique accueille communément au sujet de la discretio judicii requise pour se marier validement, en affirmant que le défaut de discretio judicii ou de maturité du jugement peut se présenter « lorsque l’une des trois conditions ou hypothèses suivantes se vérifie :

1) ou bien manque la connaissance intellectuelle suffisante de l’objet du consentement à donner lorsqu’on contracte mariage ;

2) ou bien le contractant n’a pas encore atteint l’estimation suffisante proportionnée à l’affaire matrimoniale, c’est-à-dire une connaissance critique apte à ce si grand engagement qu’est le mariage ;

3) ou enfin l’un ou l’autre des contractants manque de liberté interne, c’est-à-dire de la capacité de délibérer avec une estimation suffisante des motifs et une autonomie de la volonté par rapport à toute impulsion interne »[2].

 

  1. Causes du défaut de discretio judicii

 

  1. Il ressort de ce qui vient d’être dit que la discretio judicii requise chez celui qui se marie peut manquer de diverses manières et pour de multiples causes. Parmi celles-ci on compte surtout les graves maladies psychiques ou psychoses, qui affectent profondément les opérations du raisonnement et souvent les détruisent ; ensuite les névroses, ou perturbations de l’anxiété, qui, en engageant le sujet dans des difficultés démesurées, empêchent d’habitude tant la claire vision des choses que la libre détermination à agir ; sans oublier les graves espèces de psychopathie, qui dans certains cas peuvent affecter sérieusement les facultés critiques et électives. Il ne faut pas non plus diminuer le poids de ce qu’on appelle l’immaturité psycho-affective, par laquelle on marque que n’a pas été atteint un degré suffisant de maturité du jugement, en raison de la fixation ou de la régression de la personnalité, pour de multiples raisons, à l’état de l’adolescence ou de la pré-adolescence, dans lequel le sujet manque encore d’une perception objective du monde et place au centre de tout sa personne, son plaisir, son intérêt.

 

  1. Une cause spéciale du défaut de discretio judicii : l’immaturité psycho
    affective

 

  1. a. L’enseignement du Professeur De Caro

 

Le professeur De Caro, psychiatre, a présenté une lumineuse description des manifestations dans lesquelles l’immaturité de la personne est perçue principalement sous son aspect affectif-émotif. Le Maître note parmi elles :

– l’incapacité de réfréner les impulsions des affects et des passions, qui non seulement exercent une influence sur les mœurs de celui qui se marie, mais se portent sur la sphère « noétique », c’est-à-dire la sphère de la perception et du jugement, en viciant d’une certaine façon la faculté critique et estimative elle-même ;

– une trop grande sujétion aux stimulations hédonistes ou érotiques, qui poussent l’individu de façon imprévue et irrésistible, en écartant la maîtrise de la volonté et de la raison ;

– le sens de l’incertitude dans les décisions, une propension à demeurer dans les schémas affectifs propres à l’enfance – par exemple avec la nécessité prépondérante d’adhérer à l’un ou l’autre de ses parents, le plus communément à sa mère ;

– la difficulté d’instaurer des relations interpersonnelles valides et sociales, même dans le domaine du travail, auquel le sujet préfère une vie inepte et vide de sens, ou imbriquée dans des expériences érotiques dangereuses ;

– l’incapacité d’affronter les nouvelles circonstances et de s’adapter à elles, qui comportent l’effort d’une nouvelle organisation, et qui engendrent de l’anxiété et des perturbations émotives ;

– l’incapacité ou le refus d’assumer le mariage comme un lien stable et irrévocable, fondé dans une véritable communauté de vie et dans une pleine et mutuelle oblation de soi ;

– les difficultés de transférer ses forces émotives de la sphère privée-égoïste (et peut-être narcissique) à la sphère publique-sociale.[3]

 

  1. Les conséquences de l’immaturité psycho-affective sur la décision du

mariage

 

Cela dit, il n’est pas bien nécessaire de nous arrêter sur les conséquences de la personnalité immature sur la décision du mariage. En effet, « dans l’immaturité affective, dans laquelle l’intelligence reste normale, ce qui est en jeu, ce n’est pas le jugement théorique, mais le jugement pratico-pratique, dû à l’arrêt ou à la régression du développement de la personnalité, dans son rapport avec l’affectivité.

 

A l’élaboration du jugement pratico-pratique concourent les facultés cognoscitives et les facultés appétitives, avec une causalité simultanée et réciproque. La volonté fera que l’intellect pratique examine et confronte les motifs tant positifs que négatifs pour célébrer ou non ce mariage ; la couleur affective dérivée de la volonté et de l’appétit sensitif présentera le mariage en question comme désirable ou non ; après l’évaluation de la motivation de la part de l’intelligence et de la volonté viendra le choix volontaire. Dans l’évaluation des motifs, doit nécessairement entrer la pondération responsable de ce que, substantiellement, impliquent les devoirs et les droits essentiels du mariage en ce qui concerne la procréation et l’éducation des enfants, la fidélité à l’autre conjoint, la communauté de vie conjugale au moins tolérable, les devoirs à observer durant toute la vie, dans les circonstances du cas concret.

 

Le processus délibératif antérieur exige l’oblativité et la responsabilité de l’adulte […]. L’immature affectif, fixé ou retourné à un stade de développement inférieur, célèbrera le mariage avec la motivation d’un adolescent ou d’un enfant »[4].

 

On ne devra pas omettre également une possible coercition de la liberté interne dont souffre l’individu immature, en raison d’un violent conflit des instincts et des affects, qu’il ne peut absolument pas régler par ses forces psychiques.

 

III.  L’INCAPACITÉ  D’ASSUMER

 

  1. Selon la norme du c. 1095, 3° sont également incapables de contracter mariage ceux « qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

  1. Nature de l’incapacité d’assumer

 

Dans cette troisième hypothèse, l’incapacité prévue par la loi ne vient pas de ce que celui qui se marie est incapable d’exprimer le consentement matrimonial en tant qu’acte, mais de son impossibilité de donner, c’est-à-dire de mener à effet, l’objet du consentement. En d’autres termes, si l’on préfère, l’incapacité ne regarde pas directement l’acte du consentement, mais son effet ; non pas tant le matrimonium in fieri que le mariage in facto esse ; et donc elle regarde l’état conjugal plus que le mariage-acte. Dans l’état conjugal en effet sont à remplir les obligations que le contractant, pour des causes de nature psychique, ne peut absolument pas mettre en pratique.

 

  1. La cause de nature psychique de l’incapacité d’assumer

 

  1. L’origine de cette incapacité est à chercher dans une cause de nature psychique. En d’autres termes, pour prononcer la nullité du mariage, il faut reconnaître, à l’époque de l’émission du consentement, une distorsion significative des fonctions psychiques qui se répercute sur la capacité du contractant de remplir les obligations propres à l’état conjugal, en affectant radicalement cette capacité et en la réduisant à néant.

 

Ne sont pas compatibles avec la cause de nature psychique l’infirmité morale, la paresse ou la mauvaise volonté, le laxisme acquis par l’éducation et des situations semblables. En effet une véritable incapacité ne peut pas dériver de ces facteurs, parce que l’homme de bonne volonté, par l’aide divine qui apporte des moyens surnaturels, peut surmonter, certes avec un effort nécessaire, de tels obstacles. De même il est insuffisant, pour réaliser une véritable incapacité, qu’il y ait de simples déficiences du caractère ou des traits d’imperfection de la personnalité, qui assurément peuvent rendre plus difficile, mais non impossible, l’instauration d’une communauté de vie au moins tolérable.

 

  1. L’incapacité concerne les obligations essentielles du mariage

 

  1. Seule possède une importance juridique, en vue de la nullité du mariage, l’incapacité qui concerne les obligations essentielles du mariage. En effet de nombreuses obligations découlent de l’alliance matrimoniale, mais toutes ne touchent pas à l’essence du contrat, puisque plusieurs visent au bien-être du mariage, c’est-à-dire à sa perfection et à sa réussite. La loi évidemment ne s’occupe pas de ces obligations, puisque le droit naturel veut que celui qui se marie soit apte à célébrer un mariage valide, la question de la réussite de la communauté étant donc mise de côté. C’est pourquoi il faut examiner à fond les obligations essentielles qui, bien qu’elles ne soient pas faciles à recenser, se trouvent sans aucun doute connexes aux fins et propriétés essentielles du mariage. A ce noyau appartiennent celles qui se rapportent à la classique trilogie augustinienne : le bien du sacrement, le bien des enfants et le bien de la fidélité ; mais – sous la conduite également du récent magistère conciliaire et pontifical – il faut aussi compter celles qui ont une relation avec la fin noble et primaire elle aussi du mariage, qu’on a l’habitude d’appeler le bien des conjoints. En effet appartient à l’essence de l’alliance conjugale la donation réciproque de l’homme et de la femme pour constituer entre eux une communauté de vie et d’amour dans laquelle, par l’étroite conjonction des œuvres et des personnes, elles se procurent mutuellement aide et service.[5]

 

  1. LE PROBLÈME  PARTICULIER  DE  L’HOMOSEXUALITÉ

 

  1. Nature de l’homosexualité

 

  1. Un obstacle à l’obtention de cet éminent bien du mariage, c’est-à-dire à la constitution d’une communauté de vie et d’amour entre l’homme et la femme, peut être cette « perversion ou plus justement inversion » de l’instinct sexuel qu’on appelle homosexualité.[6] Cette condition psychique se spécifie par le mouvement exclusif ou prévalent de l’appétit affectif et érotique vers des personnes du même sexe. Il s’agit là d’un état qui comporte de multiples manifestations, sous l’aspect intrapsychique ou externe, c’est-à-dire sous l’aspect de la façon d’agir.

 

  1. Homosexualité et pratique homo-érotique

 

Il faut tout d’abord distinguer la véritable homosexualité de la simple pratique homo-érotique, qui peut être due à des circonstances variées de personnes et de lieux : « autre chose en effet est la constitution viciée, autre chose est l’action homosexuelle »[7]. C’est pourquoi on ne doit pas compter parmi les homosexuels, par exemple, les adolescents qui se livrent entre eux à des jeux érotiques, ou ceux qui tombent dans des pratiques contre nature parce qu’ils sont mis à part, par exemple en prison, ou en bateau, dans des camps etc… Il s’agit dans ce cas d’une homosexualité « de situation, c’est-à-dire d’une homosexualité consciemment et délibérément choisie en raison des circonstances, mais avec la possibilité d’un retour à des relations hétérosexuelles lorsque la situation aura changé »[8]. Il faut de même prendre en compte la pseudo-homosexualité, « qui n’est rien d’autre qu’une anxiété mentale chez des hommes hétérosexuels sur leur prétendue homosexualité à cause de la perte de leur puissance sexuelle, de leur position sociale etc. »[9].

 

  1. L’examen nécessaire de la structure de la personne

 

Pour qu’on puisse parler de véritable homosexualité, il faut examiner la constitution, mieux, la structure de la personne. En d’autres termes, ont de l’importance dans le domaine de l’incapacité « les tendances homosexuelles, qui s’enracinent dans la structure anormale de la personnalité, parce qu’elles sont opposées à l’essence même et aux propriétés du mariage. Elles empêchent en effet ceux qui en souffrent de rechercher l’amour conjugal, ordonné aux enfants, d’user du mariage de manière humaine pour atteindre cette fin, de garder la fidélité dans un lien perpétuel et exclusif et de constituer une communauté de toute la vie ordonnée au bien et à l’intérêt mutuel »[10].

 

D’ailleurs on ne peut pas dire que toute forme d’homosexualité irrite le consentement matrimonial. Il y a en effet des degrés variés de cette anomalie, et « seule une forme grave d’homosexualité, présente au moment de la célébration du mariage et inguérissable, rend le sujet incapable de contracter mariage »[11].

 

On ne doit pas oublier en effet qu’il existe des homosexuels « qui ne répugnent pas absolument aux relations hétérosexuelles et qu’on classe parmi les bi-sexuels »[12]. Lorsqu’il s’agit de ces sujets, l’incapacité « ne dépend pas du degré d’exclusivité de la tendance homosexuelle, de sa cause innée ou acquise, ni non plus de la gravité de cette déviation »[13].

 

  1. L’homosexualité idéopathique et l’homosexualité symptomatique

 

  1. Une autre distinction à faire en ce domaine, et qui est d’une certaine importance, est celle entre l’homosexualité idéopathique, qui atteint la sphère strictement affectivo-sexuelle de la personne et qui vient par elle-même en considération, et l’homosexualité symptomatique, « qui est seulement un symptôme et un effet de certaines graves maladies névrotiques ou psychotiques »[14], ou même psychopathiques »[15].

 

Il résulte de cela que – si éventuellement la déviation de l’instinct sexuel n’est pas si grave, alors que par elle-même elle peut irriter le consentement – la nullité du mariage peut néanmoins être prononcée, compte tenu de la perturbation de la personnalité dont l’homosexualité ne constitue qu’un symptôme ou un indice.

 

Il peut donc se faire que chez un contractant la tendance homosexuelle prise en elle-même manque de signification autonome, c’est-à-dire qu’elle n’atteigne pas une gravité telle qu’elle le rende incapable de réaliser une communauté conjugale au moins possible à vivre, mais que cette tendance soit plutôt l’indice d’une grave immaturité, qui l’aurait privé, dans l’émission du consentement, de la décision convenablement délibérée et suffisamment libre de se marier. Il n’y a rien de remarquable si dans ces cas la nullité est prononcée pour le 2° plutôt que pour le 3° du c. 1095.

 

De façon significative, les récents documents de la Curie Romaine traitant de ce problème de l’homosexualité ont pris l’habitude de relier celle-ci à une grave immaturité[16], ou encore, dans ses formes transitoires, l’ont interprétée comme « l’expression d’un problème … comme, par exemple, celui d’une adolescence non encore terminée »[17] : manifestement, donc, la tendance homosexuelle pourrait se réduire à une forme de fixation ou de régression psycho-affective, comme cela arrive typiquement dans les cas d’une grave immaturité psycho-affective.

 

 

  1. RAPPEL DU  RÔLE  DES  EXPERTS

 

  1. Tous ces éléments, comme il convient toujours de le faire dans les causes d’incapacité[18] sont à rechercher avec l’aide d’experts psychologues ou psychiatres, qui effectueront un examen de la personne ou au moins un examen sur les actes de la cause, et qui instruiront le juge sur l’état psychique du contractant au moment de la célébration du mariage, et surtout sur la gravité des conditions anormales dont il était atteint, et sur l’influx que celles-ci ont eu sur la capacité du sujet d’estimer convenablement, de décider librement et de remplir efficacement l’objet de la promesse matrimoniale.

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

La difficulté de la cause vient de la discordance totale entre les déclarations de l’épouse demanderesse et celles du mari, partie appelée, au sujet de l’homosexualité de celui-ci. Car l’épouse, attribuant l’échec de son mariage à un aveu que lui aurait fait Manuel sur sa propre homosexualité, a négligé d’autres éléments importants, alors que le mari conteste absolument cette homosexualité.

 

Les Juges du Tour ne trouvent aucun signe ou indice qui confirmerait cette homosexualité. Il n’y a que la demanderesse qui en parle, et donc qui doit en apporter la preuve. Les témoins se contentent de rapporter ce que la demanderesse leur a dit. Ils déclarent par exemple que la petite amie de Manuel a assisté à son mariage avec Maria et qu’elle l’a souvent rencontré, mais les actes n’en contiennent aucune preuve.

 

Par contre, le mari présente une grave immaturité et donc la question à trancher tourne autour de sa liberté interne et de l’importance qu’il attribuait au mariage.

 

Les parties ont commencé leurs fréquentations très jeunes et en pleine immaturité, comme l’expose l’expert. De plus les relations entre Manuel et sa mère n’étaient pas normales du fait que le fils était trop soumis à la mère, situation qui a encore empiré à la mort du père. L’expert décrit bien les caractéristiques de la vie familiale après ce décès : Manuel, couvé par sa mère, était incapable de faire face à la vie en général et à la vie conjugale en particulier. Finalement Maria n’était pour lui qu’une « amie » parmi d’autres.

 

Manuel reconnaît qu’avant le mariage son amour pour Maria avait beaucoup diminué, et l’expert voit dans sa décision d’épouser quand même celle-ci un signe d’immaturité. Manuel reconnaît encore que ses relations charnelles avec Maria n’étaient pas l’expression d’un désir spirituel profond.

 

Après le mariage, son attitude a rendu la vie commune difficile. Manuel était resté adolescent, mal préparé à la vie, immature en ce qui concerne la sexualité, instable et léger.

 

Même si l’expert de la Rote s’arroge parfois le rôle du juge lorsqu’il déclare que la gravité de la cause psychique qui frappait Manuel empêchait la discretio judicii nécessaire au mariage, mais encore l’empêchait d’assumer et de remplir les obligations conjugales, nous reconnaissons qu’il a réalisé un travail précieux par son équilibre et son sens des choses.

 

 

Constat de nullité

seulement pour grave défaut de

discretio judicii de la part du mari

 

Vetitum pour le mari

 

Jair FERREIRA PENA, ponent

Robert M. SABLE

Maurice MONIER

 

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[1] SOMME  THEOLOGIQUE, I° pars, q. 83, a. 3, co.

[2] C. POMPEDDA, 25 novembre 1978, SRRDec, vol. LXX, p. 509-510, n. 2

[3] Cf. D. DE CARO, L’immaturità psico-affettiva nel matrimonio canonico, dans L’immaturità psico-affettiva nella giurisprudenza della Rota Romana, Vatican 1990, p. 6-7

[4] J.M. PINTO GOMEZ, L’immaturità affettiva nella giurisprudenza rotale, dans l’Immaturità psico-affettiva nella giurisprudenza della Rota Romana, citée, p. 46-47

[5] Cf. Const. Past. GAUDIUM et SPES, n. 48

[6] Cf. c. POMPEDDA, 6 octobre 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 915-924

[7] C. ERLEBACH, 6 mai 1998, SRRDec, vol. XC, p. 361, n. 5

[8] C. STANKIEWICZ, 24 novembre 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 677, n. 7

[9] Même endroit

[10] C. FUNGHINI, 19 décembre 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 766, n. 3

[11] C. ERLEBACH, 29 octobre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 681, n. 7

[12] C. STANKIEWICZ, 24 novembre 1983, cité, p. 678, n. 9

[13] Même endroit, p. 682, n. 16

[14] C. ANNE, 25 février 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 179, n. 8

[15] Cf. J.J. GARCIA FAILDE, Manual de psiquiatria forense canónica, Salamanque 1991, p. 310

[16] Cf. Congregatio pro Educatione catholica, Orientamenti per l’utilizzo delle competenze psicologiche nell’ammissione e nella formazione dei candidati al sacerdozio, 29 juin 2008, n. 10

[17] Istruzione della Congregazione per l’Educazione cattolica circa i criteri di discernimento vocazionale riguardo alle persone con tendenze omosessuali in vista della loro ammissione al Seminario e agli Ordini Sacri, 4 novembre 2005, n. 2

[18] Cf. c. 1574, 1680 ; art. 203 et suivants de DIGNITAS CONNUBII

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.