DE ANGELIS 16/10/2009

DE ANGELIS 16/10/2009

Coram  DE  ANGELIS

 Violence et crainte

Simulation totale ou partielle

 Tribunal régional du Triveneto (Italie)

16 octobre 2009

P.N. 18.409

Constat pour violence et crainte

Non constat pour la simulation

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PLAN  DE  L’IN  JURE

  1. LA CRAINTE
  2. Le c. 1103 CIC 1983 et le c. 1087 § 1 CIC 1917
  3. Le défaut de discretio judicii et la crainte
  4. Crainte « ab extrinseco » et crainte « ab intrinseco »
  5. La crainte révérentielle
  6. Gravité de la crainte en général et de la crainte révérentielle en particulier
  7. Contrainte et Crainte
  8. Liberté réfléchie et cependant contrainte
  9. Consentement « cum metu » et consentement « ex metu »
  10. La crainte et l’aversion pour la personne ou pour le mariage
  11. Les circonstances pour l’évaluation de la contrainte
  12. La preuve de la crainte

 

  1. LA SIMULATION TOTALE

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DE LA FIDÉLITÉ

 

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS

 

Juliette avait 13 ans lorsque sa mère la proposa comme épouse à Fahim A., âgé de 25 ans. Juliette aurait préféré terminer ses études, mais comme elle avait l’habitude d’obéir à sa mère et que son père était décédé, elle accepta de se marier, selon les coutumes locales, même si elle n’avait aucune affection pour le garçon choisi par sa famille.

 

Le mariage eut lieu le 29 avril 1979, selon le rite de l’Eglise gréco-orthodoxe, en Cis-Jordanie.

 

La vie conjugale, sans enfant en raison de la stérilité de Fahim, dura trois ans. Le tribunal patriarcal gréco-orthodoxe de Jérusalem déclara la nullité du mariage le 1° avril 1986.

 

Après sa séparation en 1983, Juliette avait gagné l’Italie pour trouver un emploi et avait été accueillie par son frère XX qui travaillait à Rovereto. Elle resta deux ans avec lui et, ayant le désir d’être plus libre, elle loua une chambre chez un certain Mauro C., dont elle devint vite la compagne. De retour en 1986 en Cis-Jordanie, à l’expiration de son titre de séjour en Italie, elle fut rejointe par Mauro. Le mariage entre Juliette et Mauro fut vite décidé avec la famille de la jeune femme, et il fut célébré le 7 septembre 1986 selon le rite de l’Eglise gréco-orthodoxe, en Cis-Jordanie. La vie conjugale, pendant laquelle naquit un garçon, Amir, ne dura que trois ans, en raison de dissensions dues, selon l’épouse, à l’infidélité du mari ou, selon l’époux, au désir de Juliette de reprendre sa liberté. Le divorce fut prononcé en 1989.

 

Le 14 novembre 1994, Juliette adressa un libelle au Tribunal régional du Triveneto, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour la contrainte et la crainte qu’elle aurait subies pour son mariage avec Mauro, ainsi que pour exclusion totale du mariage et exclusion de la fidélité de la part de son mari. Elle ajoutait qu’elle demandait également la déclaration de nullité de son premier mariage avec Fahim pour contrainte et crainte subies par elle.

 

Après différents problèmes de procédure, la cause fut admise à la Rote en 1° instance, sous plusieurs chefs :

 

  1. a) dans la cause principale, concernant le mariage Juliette-Mauro,
  2. Violence et crainte subies par l’épouse demanderesse
  3. Simulation totale de la part du mari, partie appelée
  4. Ou au moins simulation du bien de la fidélité de la part du mari
  5. b) dans la cause incidente, concernant le mariage Juliette-Fahim,

            – Violence et crainte subies par l’épouse.

 

Dans la cause incidente, Fahim refusa de comparaître. Il n’avait aucune raison d’intervenir dans un jugement devant un Tribunal de l’Eglise catholique, puisque les époux avaient obtenu une déclaration de nullité du Tribunal de Jérusalem de l’Eglise gréco-orthodoxe, dont ils étaient fidèles tous les deux.

 

La sentence rotale c. Monier, du 26 mai 2000, déclara la nullité du premier mariage (Juliette-Fahim) pour violence et crainte, mais rejeta les trois chefs de la cause principale (Juliette-Mauro).

 

Il nous revient aujourd’hui de juger la cause incidente et la cause principale sous les chefs allégués.

 

 

EN  DROIT

 

  1. LA CRAINTE

 

  1. Le c. 1103 CIC 1983 et le c. 1087 § 1 CIC 1917

 

Le c. 1103 dispose : « Est invalide le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la crainte grave externe, même si elle n’est pas infligée à dessein, dont une personne, pour s’en libérer, est contrainte de choisir le mariage ». Etant donné que le premier mariage a été célébré en 1979, c’est le c. 1087 § 1 du Code Pio-bénédictin qui s’applique : « Est également invalide le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la crainte grave externe, et injustement infligée, dont une personne, pour s’en libérer, est contrainte de choisir le mariage ».

 

Ainsi le précepte de la loi, pour garantir la liberté requise de la volonté, statue que le mariage contracté sous l’effet de la crainte est nul, pour que la crainte soit : a. grave ; b. externe, c’est-à-dire causée par une autre personne, même si elle n’est pas infligée à dessein ; c. en vue du mariage.

 

Au c. 1103 il n’est plus dit que la crainte invalidante doit être injustement infligée.

 

Puisqu’en effet la raison de la loi invalidante se trouve dans la protection de la liberté du contractant, qu’exigent tant la nature même du mariage, qui est « une intime communauté de vie et d’amour conjugal »[1], que la dignité de la personne humaine, et pour que le contractant n’agisse pas sous l’effet d’une contrainte externe, c’est-à-dire sans décision délibérée libre, toute crainte grave provenant de l’extérieur en vue du mariage doit être estimée injustement infligée : l’injustice se trouve dans la limitation même de la liberté ; la contrainte en effet est un moyen injuste qu’aucune cause raisonnable ne peut justifier.

 

  1. Le défaut de discretio judicii et la crainte

 

  1. Le précepte du c. 1103 établit la nullité même abstraction faite du cas de défaut de discretio judicii ou de liberté interne. Dans le consentement donné sous l’effet de la crainte, en effet, le contractant, même s’il est contraint, entend se marier et par conséquent il émet un consentement : contraint il a quand même voulu.

 

La nullité du mariage pour défaut de discretio judicii est déclarée par le droit naturel. La nullité du mariage pour crainte, elle, est déterminée par le droit positif mais en même temps elle est fondée sur le droit naturel.

 

Ces deux chefs de nullité sont proposés de façon subordonnée, puisqu’ils ne peuvent pas exister ensemble, même si la différence entre l’espèce de chacun d’eux ne s’aperçoit pas facilement dans le concret. En cas d’absence de consentement valide pour défaut de discretio judicii, en effet, il n’y a pas lieu de parler d’un consentement donné par crainte puisque le consentement est nul pour le premier chef.

 

  1. Crainte « ab extrinseco » et crainte « ab intrinseco»

 

  1. Dans la doctrine et la jurisprudence de Notre tribunal Apostolique, sous la formule « crainte provenant de l’extérieur » est comprise seulement la crainte infligée par un agent libre, ou en d’autres termes une crainte infligée à autrui par une personne utilisant une violence morale, et non une crainte venant d’une cause naturelle ou nécessaire comme la maladie ou la tempête.

 

La crainte provenant de l’intérieur, de son côté, est comprise comme une crainte « dont la cause immédiate se trouve dans l’agent lui-même, c’est-à-dire une crainte qui tire son origine d’une disposition personnelle, purement subjective, ou de la réflexion de cet agent, par exemple […] de la considération d’une obligation morale ou de convenance sociale, d’une conscience timorée ou de la considération surnaturelle du salut éternel »[2].

 

  1. La crainte révérentielle

 

Dans la rédaction du Code en vigueur ont été ajoutés les mots : même si (la violence ou la crainte grave externe) n’est pas infligée à dessein ». Il n’est donc pas requis que celui qui inflige la crainte veuille ouvertement limiter la libre décision délibérée du contractant : ce qui arrive fréquemment dans le cas de crainte révérentielle, puisque les parents voient la célébration du mariage comme un bien pour leurs enfants ou comme un devoir inéluctable.

 

  1. La crainte révérentielle est dite à juste titre un trouble de l’esprit en raison d’un mal dont l’enfant estime être menacé à cause d’une grave indignation de ses parents.

 

L’objet spécifique de la crainte révérentielle n’est pas seulement l’appréhension que les parents soient affligés, mais plutôt l’indignation prolongée des parents, qui constitue un mal pour leur enfant.

 

La crainte révérentielle se distingue de la crainte commune par son origine, son objet, les moyens employés :

– origine : puisque la crainte a sa cause dans la relation d’affection envers les parents ;

– objet : puisqu’il n’y a pas d’autre mal que la cessation de la bienveillance des parents, c’est-à-dire une indignation prolongée de leur part ;

– moyens employés : puisqu’il s’agit souvent non pas d’une violence au sens strict, mais de persuasion et de prières importunes.

 

« L’Eglise en effet, bien qu’elle reconnaisse aux parents le pouvoir de diriger, d’instruire, d’avertir, et même de contraindre avec modération, leur interdit en même temps d’abuser de ce pouvoir pour imposer un mariage à leurs enfants contre leur gré […]. Dans ce cas, quels que soient les moyens dont se servent les parents : simples indications, invitations, désirs, conseils ou également prières, instances et menaces, cela a par soi-même peu d’importance, sauf si les paroles ou les actions des parents, quel que soit leur enrobage, ont la force et la capacité de briser et de surmonter la volonté de leurs enfants »[3].

 

  1. Gravité de la crainte en général et de la crainte révérentielle en particulier

 

  1. Pour évaluer la gravité de la crainte il est requis en premier lieu que le mal redouté soit en lui-même, c’est-à-dire objectivement, grave, au moins au regard de la personne victime de la crainte.

 

« Pour la gravité de la crainte, il est requis de plus que le mal grave redouté soit, par un jugement prudent et raisonnable de la victime de la crainte, de façon moralement certaine ou au moins très probable, estimé menaçant, c’est-à-dire devoir effectivement être provoqué »[4]. En d’autres termes il faut que les menaces soient sérieusement proférées, de telle sorte que la personne soit persuadée qu’elles doivent être mises à exécution.

 

Lorsqu’il s’agit de la crainte révérentielle, la gravité ne semble pas se trouver seulement dans les menaces proférées, comme celle d’être chassé hors de la maison familiale, mais dans l’indignation prolongée des parents, qui entrave la relation fondamentale de la personne avec eux.

 

Souvent la crainte n’est que révérentielle, lorsque la personne craint la colère de ses parents, mais en certains cas elle peut être mixte lorsque les parents menacent directement d’un mal grave comme l’expulsion de la maison familiale.

 

  1. Contrainte et crainte

 

  1. L’élément invalidant le consentement se trouve dans la contrainte corrélative au mariage. De là vient la crainte « dont, pour s’en libérer, la personne est contrainte de choisir le mariage ». Trois éléments sont donc à prouver au sujet de la crainte : la contrainte externe, la crainte intérieure, le lien causal entre la contrainte externe et la crainte intérieure.

 

Pour qu’un jugement correct soit porté sur la validité mise en doute d’un mariage, il faut évaluer le critère de la contrainte efficiente plutôt que celui de la réaction. En d’autres termes, la question soumise à examen est de savoir si réellement et de quelle manière la liberté du sujet a été brisée, et par quelle force on peut dire que la liberté a été enlevée.

 

On lit dans une cause c. Mattioli : « La crainte est également grave, quand elle est infligée par un ordre éventuellement donné une seule fois, mais de façon si péremptoire que par le fait même elle peut et elle doit être tenue raisonnablement pour avoir enlevé toute force chez le sujet. En effet, pris de peur en raison de cet ordre, le sujet a dû véritablement renoncer à être maître de sa décision, et à son libre arbitre, à moins de préférer, et de pouvoir le faire, affronter l’indignation manifestement grave de l’auteur de l’ordre, c’est-à-dire affronter un mal et un dommage sans aucun doute grave et injuste »[5].

 

  1. Liberté réfléchie et cependant contrainte

 

  1. Pour répondre aux possibles objections sur la libre et raisonnable décision délibérée du mariage, de la part du demandeur en la présente cause, on doit à juste titre citer la jurisprudence rotale sur le mariage contracté avec une liberté réfléchie et cependant contrainte. On lit dans une cause c. Pinna : « La crainte est toujours présente, elle est infligée positivement par une cause libre, elle est grave et elle ne peut pas être évitée, elle persévère jusqu’au jour du mariage, mais la victime de la crainte véritablement infligée a consenti de façon réfléchie. Ce consentement serait un véritable acte de volonté (« bien que contraint, j’ai voulu ») mais il serait juridiquement inefficace pour produire le lien »[6].

 

  1. Consentement « cum metu » et consentement « ex metu»

 

  1. Il faut faire attention à la distinction entre consentement émis « cum metu », avec crainte, et le consentement émis « ex metu », sous l’impulsion de la crainte. Le mariage est censé avoir été décidé sous l’impulsion de la crainte dans le cas où la personne, sans cette crainte, n’aurait pas contracté.

 

On ne dit pas qu’a été contraint quelqu’un qui a suivi simplement la coutume de ses parents ou qui a décidé de se marier pour exaucer le désir de ses parents et leur apporter une consolation.

 

Ne peut pas être dit suivre simplement la coutume de ses parents celui qui, non pas tout de suite ou après une brève hésitation, mais seulement après une très longue résistance, dépassé par des prières importunes ou des moyens injustes et même très forts, accepte le mariage imposé par ses parents.

 

  1. La crainte et l’aversion pour la personne ou pour le mariage

 

  1. La crainte présuppose dans l’esprit du contractant l’existence d’une aversion, soit pour la personne, soit pour le mariage en lui-même, soit pour le mariage à contracter avec telle personne ; et pour que la crainte soit grave il est requis également une aversion grave pour le mariage à contracter à cette époque.

 

Concernant l’aversion il est permis de faire remarquer que l’aversion ne vise pas nécessairement la personne du conjoint, mais elle peut parfois viser le mariage à contracter avec cette personne. « Il peut arriver que la personne plaise comme une amie dont on devra prendre un plaisir charnel, mais que pour divers motifs elle soit rejetée comme épouse. C’est cette répugnance ou aversion, et non une autre, qui certainement doit être prise en compte dans ce genre de causes »[7].

 

Il résulte de cette aversion une présomption de contrainte du fait que l’agent, s’il n’avait pas été contraint, n’aurait pas contracté. Cependant, bien que soit admis le fondement d’une aversion, on ne doit pas nécessairement en conclure qu’il y a eu crainte. La présomption en effet, qui naît de l’aversion, ne s’élève pas à la certitude à moins qu’il ne soit démontré que le contractant a consenti en raison d’une grave contrainte externe à un mariage non voulu.

 

La contrainte externe est un argument direct, c’est clair, et l’aversion interne est un argument indirect.

 

Même si des actes de la cause il est prouvé qu’il y a eu contrainte en vue d’un mariage, il faut veiller à ne pas trop vite conclure à une nullité, en oubliant la question de l’aversion. En effet la crainte provenant de la menace d’un mal grave n’existe pas chez celui qui contracte mariage volontiers ou au moins qui ne le contracte pas contre son gré.

 

Toutefois, si la contrainte est prouvée, l’aversion grave du contractant peut être facilement présumée, puisque les menaces ne sont proférées que pour faire fléchir l’esprit du contractant.

 

  1. Les circonstances pour l’évaluation de la contrainte

 

  1. Enfin il faut faire quelques remarques sur l’importance des circonstances dans l’évaluation de la contrainte. Parfois en effet les coutumes locales et les façons d’agir habituelles déterminent chez le sujet une forme d’esprit telle que celui-ci est incapable de reconnaître les pressions, au moins en tant qu’elles invalident le mariage. Cela peut arriver pour de multiples raisons, plus ou moins liées les unes aux autres, comme les coutumes du pays ou la mentalité propre des parents. S’ajoute la remarque que, bien que le contractant soit conscient de son consentement, il a quand même voulu, tout en étant contraint, et un véritable consentement n’est déclaré inefficace que par la loi. Ce sont des raisons pour lesquelles le critère de réaction n’est pas toujours apte à mesurer la crainte. La vie conjugale menée pendant plusieurs années n’empêche pas de déclarer la nullité du mariage pour crainte.

 

  1. La preuve de la crainte

 

  1. Les éléments de preuve de la nullité du mariage pour le chef de crainte, selon la jurisprudence reconnue de Notre Tribunal Apostolique, semblent les suivants :
  2. La crédibilité du demandeur ;
  3. L’aversion du contractant pour la personne du conjoint, ou pour le mariage à contracter avec lui ;
  4. La déposition de la victime de la crainte ;
  5. La déposition de l’auteur de la crainte et son caractère ;
  6. La déposition des témoins qui ont eu connaissance du consentement donné sous l’effet de la crainte ;
  7. Les circonstances qui rendent crédible le consentement donné sous l’effet de la crainte.

 

 

 

 

 

 

  1. LA SIMULATION TOTALE

 

  1. C. 1101 § 1 : « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage.
  • 2 : Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement ».

 

La présomption du droit est donc pour la correspondance entre la déclaration externe et la disposition d’esprit interne du contractant.

 

« On parle de fiction ou de simulation du consentement lorsque le contractant prononce extérieurement, de façon sérieuse et selon le rite, les paroles qui expriment le consentement, mais qu’au fond de lui il ne consent pas »[8].

 

Celui qui simule le mariage lui-même rejette intérieurement la vie commune conjugale ; dans la simulation totale le contractant a la volonté de ne pas contracter, c’est-à-dire qu’il ne veut pas constituer une communauté de toute la vie avec son partenaire ; délibérément et sciemment il entend réaliser un simulacre et il est bien conscient qu’il accomplit un acte nul.

 

Parfois le contractant entend par le mariage poursuivre une fin secondaire, qui n’est pas intrinsèque au mariage lui-même.

 

Il est certain que par le mariage quelqu’un peut atteindre également d’autres fins extrinsèques, comme la richesse, la paix entre les familles, une éminente dignité dans sa charge etc. Ordinairement toutefois ces fins sont atteintes par un mariage célébré correctement et avec une intention droite, puisque ces fins ne s’opposent pas au mariage et ne l’excluent pas.

 

La fin de l’œuvre (finis operis) en effet, selon la jurisprudence de Notre For, ne peut pas être exclue par la fin de l’ouvrier (finis operantis). Celui qui se propose d’attendre une fin simplement différente de la fin de l’œuvre ne vicie pas son consentement et donc ne rend pas nul le mariage.

 

  1. On n’en dira pas autant si, dans l’esprit du contractant, la fin principale, bien plus la fin unique et exclusive, est extrinsèque et que le mariage, relégué à l’état de simple moyen nécessaire, est rejeté dans sa substance et ses obligations par un acte positif de volonté, comme par exemple si un étranger se propose d’acquérir quelque part le droit de cité sans aucune intention d’instaurer un lien conjugal avec ses droits et ses devoirs, ou si une jeune fille enceinte entend mettre au monde son enfant dans un apparent mariage légitime. Dans ce cas en effet il n’y a pas le véritable et obligatoire consentement matrimonial dont le c. 1057 donne la nature.

 

Dans la preuve de la simulation, enfin, il faut accorder une importance très grande à la cause de la simulation, qui doit être apte et proportionnée à induire la simulation et qui, dans l’évaluation du contractant, prévaut sur la cause qui a poussé au mariage.

 

Il faut tenir compte des faits dans leur complexe, puisque les faits sont plus éloquents que les paroles : car les faits provoquent une très forte présomption de l’intention du sujet, pourvu qu’ils soient certains, constants et univoques.

 

 

 

III. L’EXCLUSION DU BIEN DE LA FIDÉLITÉ

 

  1. Celui qui, par un acte positif de volonté, exclut, en émettant le consentement matrimonial, soit l’indissolubilité du lien soit l’unité, c’est-à-dire la fidélité au conjoint, contracte invalidement (cf. c. 1101 § 2), parce qu’il restreint l’objet du consentement de telle sorte qu’il entend contracter un mariage substantiellement différent du mariage canonique.

 

La jurisprudence de Notre Tribunal Apostolique sur la simulation partielle est bien connue.

 

Il est requis pour la preuve la confession extrajudiciaire du simulant à une époque non-suspecte devant des témoins dignes de foi qui puissent faire en justice état de l’exclusion. Il est requis également une cause de simulation qui doit être grave et surtout proportionnée à la cause qui a poussé au mariage. Lorsqu’il s’agit de l’exclusion du bien de la fidélité, il y a plutôt présomption de violation du droit à la fidélité plutôt que présomption d’exclusion du droit lui-même à la fidélité.

 

Les circonstances qui peuvent concourir à la preuve de la nullité du consentement sont la très grande brièveté de la vie conjugale, le désir de contracter avec une autre personne, le départ soudain de la maison conjugale par la partie en cause.

 

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

  1. PREMIER MARIAGE

CAUSE INCIDENTE SUR LA CRAINTE SUBIE PAR L’ÉPOUSE DEMANDERESSE

 

A première vue, les circonstances de la vie de Juliette, son jeune âge – 15 ans à l’époque du mariage – et son manque d’amour pour Fahim semblent favoriser la thèse de la crainte révérentielle, causée par la mère et le frère aîné de la demanderesse.

 

  1. Les déclarations de Juliette, la demanderesse

 

Juliette a écrit à son avocate, le 19 février 1998 : « Quand je me suis mariée, j’ignorais tout du mariage, de la vie conjugale, du sexe. Alors vous pouvez imaginer le drame de ma nuit de noces ».

 

Dans sa déposition judiciaire elle donne des indications sur ce qui a précédé le mariage : « A treize ans ma mère m’a dit que j’aurais à épouser Fahim, donc que je devenais sa fiancée et que je devais être contente […]. Je n’éprouvais aucun sentiment pour lui […]. Je l’ai dit à ma mère et à ma sœur Diana […]. Je pleurais, mais en vain ».

 

D’ailleurs Juliette a fait trois tentatives de suicide pour éviter le mariage.

 

Etant donné la culture ambiante, Juliette n’a pas eu d’autre solution pour échapper au mariage : « Je n’avais personne pour m’aider […]. Ma mère me disait que personne ne voudrait plus m’épouser, que je déshonorerais ma famille et qu’en plus il faudrait rendre l’argent que Fahim avait déjà donné pour mes fiançailles ».

 

  1. Les témoins

 

Ils confirment pleinement les déclarations de Juliette.

 

La mère de Juliette : « Mes fils et moi avons pris la décision du mariage […]. J’ai réussi à la convaincre […]. Elle ne voulait pas se marier avec Fahim parce qu’elle était mineure et qu’elle ne pouvait pas être responsable d’une telle décision et comprendre la signification du mariage […]. Elle a fini par accepter ».

 

Diana, la sœur de Juliette, ajoute que les professeurs de celle-ci sont intervenus auprès de sa mère pour la convaincre de renoncer à ce mariage, mais « elle voulait voir, avant de mourir, sa fille mariée ».

 

Parmi les frères de Juliette, le plus « intéressant » est Roméo : « La femme, dans une famille, est destinée au mariage. Nos coutumes, sur le mariage des enfants, garçons ou filles, veulent que le chef de famille ait le pouvoir de décider, et s’il n’est plus là ce sont les garçons qui veillent à cela en collaboration avec leur mère ».

 

Les autres témoins affirment que Juliette s’est mariée sous l’effet de la crainte.

 

  1. Les circonstances

 

Juliette n’avait pas encore 16 ans et devait épouser un homme de 28 ans. La différence d’âge rend crédible le refus du mariage par Juliette

 

Elle faisait ses études. Elle était absolument ignorante de ce qui touche à la sexualité, elle ne pouvait pas résister à la volonté de sa mère et de ses frères majeurs.

 

Bref, les Pères ont acquis la certitude que le mariage a été célébré selon les coutumes du pays, à partir du choix fait par la mère et les frères de la demanderesse, et qu’il a été imposé par contrainte à celle-ci.

 

  1. DEUXIÈME MARIAGE

CAUSE PRINCIPALE

 

  1. La crainte subie par la demanderesse

 

La narration des faits est très différente selon la demanderesse, Juliette, et le mari partie appelée, Mauro. On notera qu’à l’époque de son second mariage, Juliette connaissait les réalités de la vie conjugale, qu’elle vivait en Italie et qu’elle y était financièrement indépendante.

 

La cause présente est proposée pour des raisons de conscience puisque le nouveau mari de Juliette souhaite mener une vie chrétienne avec sa famille.

 

Mauro, la partie appelée, aurait raisonnablement intérêt à la nullité de son mariage avec Juliette, mais il y a depuis si longtemps une telle opposition entre les deux époux qu’il faut prendre leurs dépositions avec la plus grande prudence.

 

  1. Juliette

 

« Après mon divorce d’avec Fahim (16 juin 1982), je suis venue en Italie parce que je ne pouvais plus vivre en Palestine après ce qui s’était passé et que je voulais me faire une situation grâce à mes études », raconte-t-elle. A Rome elle a vécu quelque temps chez un de ses frères, ingénieur, qui habitait Rovereto. Elle y a passé 5 ans, tout en travaillant, et a obtenu un diplôme de secrétaire administratif.

 

En 1985 elle a fait la connaissance de Mauro. Un an après ils vivaient ensemble, « y compris la vie intime ». Elle « l’aimait bien », mais elle trouvait qu’il lui prenait son argent, qu’il avait des maîtresses, et que c’était un fainéant.

 

En 1986 elle retourne en Palestine car son permis de séjour pour études était périmé. Mauro vient aussi, en touriste, mais il annonce à la mère de Juliette et à son frère aîné qu’ils sont fiancés, qu’ils vivent ensemble et qu’il voudrait l’épouser, alors, ajoutait-il, qu’elle, « elle ne le veut pas ».

 

La mère de Juliette fait une crise de nerfs et, avec ses fils, elle déclare à sa fille qu’étant donné les circonstances elle doit épouser Mauro. « De toute façon, déclare Juliette au tribunal, si je ne l’avais pas épousé en Palestine, ils ne m’auraient pas laissée repartir en Italie ».

 

  1. Mauro

 

Mauro confirme les faits concernant la période des relations avant le mariage, mais il les présente différemment : « Un mois après avoir fait connaissance, nous avons vécu ensemble, pendant un an. Nous pensions nous marier […]. Au bout d’un an Juliette m’a proposé un voyage en Palestine. J’ai accepté volontiers. Là-bas, Roméo, l’un des frères de Juliette, m’a demandé si j’étais venu pour l’épouser. Je lui ai répondu que j’étais venu comme touriste mais que je n’excluais pas de me marier avec elle […]. Elle a accepté le mariage volontiers, même si sa mère a fait une scène de circonstance ».

 

Mauro rapporte un fait important : « Avant de repartir pour la Palestine, Juliette est allée à l’évêché de Trente pour savoir s’il était possible que nous nous mariions à l’église de Rovereto, mais on lui a répondu que, parce qu’elle était divorcée, ce n’était pas possible ». On voit par là l’intention matrimoniale de Juliette. Même si elle a donné à son avocat une autre explication à sa démarche : « Je voulais savoir si l’annulation de l’Eglise orthodoxe valait aussi pour l’Eglise catholique », cela n’exclut pas mais plutôt confirme qu’elle a au moins envisagé d’épouser Mauro, au début de leur cohabitation.

 

 

  1. Les autres témoins

 

La mère de Juliette est peu cohérente dans ses dépositions, affirmant dans le même témoignage : « ma fille n’était pas libre dans sa décision de se marier. Nous eûmes beaucoup de difficultés à la convaincre […]. Elle a accepté pour ne pas rester au pays ».

 

Selon Diana, sœur de Juliette, Mauro était venu en Palestine comme touriste, mais il avait l’intention d’épouser Juliette et « il a compris que celle-ci ne pouvait pas quitter le pays sans être mariée ».

 

Les autres témoins affirment que Juliette a accepté librement d’épouser Mauro.

 

Il y a encore un autre élément à prendre en considération. Juliette a déclaré elle-même, judiciairement : « En tout cas, si je n’avais pas épousé Mauro, là, en Palestine, (ma mère et mes frères) ne m’auraient pas laissée retourner en Italie », ce que confirme sa mère : « Ma fille a accepté […] pour ne pas rester au pays ».

 

La conclusion s’impose : le mariage a été célébré d’un commun accord, d’autant que Juliette voulait avant tout séjourner en Italie et qu’il fallait pour cela qu’elle soit mariée.

 

La crainte grave qu’elle aurait subie pour son mariage n’est pas prouvée.

 

  1. La simulation totale de la part du mari

 

Alors que Juliette prétend que Mauro « n’a pas voulu contracter un véritable mariage », celui-ci répond qu’il était amoureux d’elle et qu’il lui semblait qu’elle l’était de lui. Il admet avoir eu quelques hésitations avant le mariage, mais uniquement parce qu’il pensait au tort qu’il causait à sa famille à qui il n’avait rien dit de son projet d’épouser Juliette et de plus de l’épouser si loin de ses parents.

 

Si l’on ajoute que le mariage a été célébré dans la joie, on constate qu’il n’y a pas eu de simulation totale de la part du mari.

 

  1. L’exclusion du bien de la fidélité de la part du mari

 

Même si, ce que confirment les témoins, Mauro, aux dires de Juliette, s’est montré violent et infidèle, la violation de la fidélité conjugale ne peut pas être considérée comme un acte positif de volonté contre l’obligation de la fidélité.

 

Il n’y a ni confession judiciaire ni confession extrajudiciaire du mari partie appelée, on ne trouve pas non plus dans les Actes une cause de simulation. Enfin une circonstance est importante : lorsque Juliette a acquis son indépendance économique, c’est elle qui a quitté son mari et non l’inverse.

 

L’exclusion du bien de la fidélité par le mari n’est pas prouvée.

Premier mariage :

 

Constat de nullité pour violence et crainte

subies par l’épouse

 

Second mariage :

 

Non constat pour violence et crainte

subies par l’épouse

Non constat pour la simulation totale

de la part du mari

Non constat pour l’exclusion du bien de la fidélité

de la part du mari

 

 

Agostino DE ANGELIS, ponent

Anton STANKIEWICZ

Giovanni VERGINELLI

 

__________

 

[1] Const. GAUDIUM et SPES, n. 52

[2] G. MICHIELS, Principia Generalia de personis in Ecclesia, Paris 1955, p. 621

[3] C. FIORE, 16 mai 1966, SRRDec, vol. LVIII, p. 303

[4] G. MICHIELS, ouvrage cité, p. 630

[5] C. MATTIOLI, SRRDec, vol. LIII, p. 208, n. 2

[6] C. PINNA, SRRDec, vol. IL, p. 140, n. 4

[7] C. FELICI, 28 juin 1949, SRRDec, vol. XVI, p. 329, n. 23

[8] GASPARRI, Traité du mariage, vol. 2, p. 814

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.