Coram TURNATURI
Défaut de discretio judicii
Incapacité d’assumer les obligations du mariage
Simulation totale
Etat libre associé de Porto Rico – 15 janvier 2009
Constat de nullité
pour les deux premiers chefs
en ce qui concerne le mari
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PLAN DE L’IN JURE
PREMIÈRE PARTIE
LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
Introduction : le canon 1095
- LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII
- La triple capacité nécessaire pour le mariage
- L’absence de cette triple capacité entraîne le défaut de discretio judicii
- La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii
- La preuve du défaut de discretio judicii
- L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
- Nature de l’incapacité d’assumer
- Les éléments requis pour la capacité d’assumer
- Les contractants incapables d’assumer
- Les conditions de l’existence d’une incapacité d’assumer
- La nécessaire présence d’une anomalie psychique au moment du mariage
III. LES CAUSES QUI PEUVENT ENTRAÎNER L’INCAPACITÉ DE CONSENTEMENT
- L’immaturité affective
- Le Trouble Borderline de Personnalité
- LE RECOURS A L’EXPERT
DEUXIÈME PARTIE
LA SIMULATION
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Delia M. et Eufemio S. étaient très jeunes quand ils se sont rencontrés en 1963. Rapidement ils se fiancent et vivent ensemble à partir de 1965. Cependant, pendant cette période, Eufemio est contraint d’épouser une autre femme, pour « réparer » une faute commise avec elle. Le mariage est seulement un mariage civil, qui prend fin en 1971.
En novembre 1972, Delia et Eufemio, qui avaient déjà 3 enfants, contractent un mariage religieux à Porto Rico. Deux enfants naîtront encore. L’union des époux se dégrade peu à peu en raison de l’alcoolisme du mari, de ses innombrables infidélités et des sévices qu’il inflige à sa femme. Celle-ci tombe en dépression et, après plusieurs séparations et séjours en hôpital psychiatrique, elle demande le divorce, qu’elle obtient le 18 novembre 1987 pour faute et négligence du mari envers sa femme et ses enfants.
Désireuse de retrouver sa liberté devant l’Eglise, Delia, le 11 juillet 1991, demande au Tribunal ecclésiastique de Cliveland, aux Etats-Unis, la déclaration de nullité de son mariage en vertu du c. 1673, n. 3, mais le Tribunal de Porto Rico, en raison de l’opposition d’Eufemio, refuse la prorogation de compétence. Delia s’adresse donc à ce tribunal, compétent de par le c. 1673, n. 1 et 2, et accuse son mariage de nullité pour défaut de discretio judicii, incapacité d’assumer (c. 1095, 2° et 3°), ainsi que pour simulation totale, selon le c. 1101 § 2, sans d’ailleurs indiquer qui des deux époux était responsable du défaut ou du vice du consentement.
Aucune expertise n’est exécutée. Le 22 novembre 1996, la sentence de 1° instance est négative sur tous les chefs, envisagés par rapport à chacune des parties. La demanderesse fait appel au Tribunal de seconde instance de Porto Rico qui, sans citation des parties, sans concordance du doute, sans décret de conclusion de la cause, et sans remarques de l’avocat ou du défenseur du lien, confirme la sentence négative de la 1° instance.
L’épouse a recours à la Rote qui reconnaît la nullité de la sentence de 2° instance et, le 19 juillet 2002, détermine le doute concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii et/ou incapacité d’assumer les obligations conjugales de la part d’une des parties ou des deux, et, de façon subordonnée, pour simulation totale de la part d’une des parties ou des deux ?
L’épouse est entendue à nouveau ainsi que des témoins, une expertise psychiatrique est réalisée, et l’avocat et le défenseur du lien présentent leurs remarques. Nous répondons aujourd’hui au doute concordé, en seconde instance.
EN DROIT
PREMIÈRE PARTIE
LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII ET L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
Introduction : le canon 1095
- Le mariage, en tant qu’intime communauté de vie et d’amour, « est instauré par le consentement personnel irrévocable »[1], que peuvent exprimer seulement des personnes juridiquement capables, c’est-à-dire avec une intention droite, et une pleine liberté tant externe qu’interne.
Comme le mariage est en réalité une communauté de toute la vie, ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants (cf. c. 1055 § 1), les contractants doivent être dotés d’un degré de maturité physique et psychique suffisant et proportionné à une telle communauté, pour pouvoir par un acte de volonté se donner et se recevoir mutuellement pour constituer et conduire cette communauté.
- En raison de cette exigence la norme du Code, fondée sur le droit naturel et sanctionnée par le Législateur, considère comme incapables, sous l’aspect psychique et donc juridique, de donner un consentement matrimonial qui soit en mesure, en même temps, de faire naître un effet juridique ou de constituer une réalité juridique, les personnes : « 1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ; 2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ; 3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage » (c. 1095).
- LE DÉFAUT DE DISCRETIO JUDICII
- La triple capacité nécessaire pour le mariage
- Ainsi, la Jurisprudence Rotale rappelle souvent qu’en contractant mariage, c’est-à-dire en exprimant leur consentement matrimonial, ceux qui se marient doivent jouir d’une triple capacité : celle de comprendre, celle d’apprécier ou, en d’autres termes, d’estimer et d’évaluer de façon critique l’objet du consentement, et celle d’assumer les obligations essentielles du mariage.
En d’autres termes, il doit y avoir chez ceux qui se marient « une maturité matrimoniale adéquate, par laquelle ils puissent suffisamment connaître, estimer, vouloir délibérément et accomplir ce qui est demandé par la nature même du mariage »[2].
- De même, comme le dit une sentence c. Defilippi, du 16 novembre 2006, sont requis chez le contractant les éléments suivants :
« a. Sous l’aspect intellectif, est nécessaire la connaissance de la substance du mariage, au moins comme communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation d’enfants par quelque coopération sexuelle (c. 1096 § 1) ; b. Sous l’aspect estimatif, est demandée l’évaluation pratique de la valeur substantielle du mariage, c’est-à-dire des droits et des devoirs essentiels de cette communauté, et l’évaluation des motifs qui, d’un côté sont en faveur du mariage à contracter et, d’un autre, déconseillent le mariage ; c. Sous l’aspect électif, est exigé le pouvoir, ou liberté, intrinsèque dans la délibération et la décision sur le mariage à contracter concrètement, les impulsions intérieures étant suffisamment subordonnées à la raison ».
- L’absence de cette triple capacité entraîne le défaut de discretio judicii
- De la conspiration harmonieuse ou du concours adéquat de ces opérations « il se fait qu’un sujet, de droit naturel, est capable de contracter mariage »[3].
Par contre, en cas de déficience de ces éléments, la nécessaire discretio judicii peut faire défaut, quand :
« 1. Ou bien manque la connaissance intellectuelle suffisante à propos de l’objet du consentement à donner en contractant le mariage ;
- Ou bien le contractant n’a pas encore acquis l’estimation suffisante proportionnée à l’affaire conjugale, c’est-à-dire la connaissance critique adaptée à une si grande entreprise ;
- Ou bien enfin l’un ou l’autre contractant manque de liberté interne, c’est-à-dire de la capacité de délibérer avec une estimation suffisante des motifs et une autonomie suffisante de la volonté de toute impulsion interne »[4].
- La nécessaire gravité du défaut de discretio judicii
- Ce n’est toutefois pas n’importe quel défaut de discretio judicii qui entraîne l’incapacité du contractant ou la nullité du mariage, mais seulement celui qui est grave et ceci en rapport aux droits et aux devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement.
« Cette gravité du défaut de discretio judicii doit être appréciée tant dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits et obligations du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective du contractant doit garder une proportion nécessaire, que dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques, qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii », ou en d’autres termes, « dans la lésion substantielle de l’activité intellective dans l’exercice des facultés cognoscitive, critique ou estimative et dans la lésion de l’activité volitive dans l’exercice de la faculté de décision délibérée »[5].
- La preuve du défaut de discretio judicii
- Il n’échappe donc à personne qu’on ne peut parler de défaut de discretio judicii que dans la mesure où apparaissent nettement ou sont prouvées chez le contractant des dysfonctions ou, en d’autres termes, des altérations du dynamisme du processus cognitif-estimatif, ou délibératif, qui s’opposent à ce que le sujet jouisse des qualités requises ci-dessus, et qui peuvent se vérifier par diverses anomalies psychiques ou des désordres de la personnalité, qui ont une note de gravité.
« C’est pourquoi, dit de façon appropriée une sentence c. Defilippi, du 9 mars 2000, ce sont des anomalies qui sont requises, qui en tout cas ont un aspect psychopathologique, même considérée au sens commun », qui « doivent être graves, parce que les légers défauts psychiques, bien qu’ils puissent diminuer la pondération ou la liberté interne, ne provoquent pas une véritable incapacité de donner le consentement conjugal »[6].
- L’INCAPACITÉ D’ASSUMER
- Nature de l’incapacité d’assumer
- L’incapacité d’assumer les obligations matrimoniales, qu’il faut distinguer des incapacités des n. 1 et 2 du c. 1095, se vérifie non pas par un défaut de l’acte psychologique de l’intelligence et de la volonté, mais par l’impossibilité de réaliser l’objet du consentement et elle n’est constituée que lorsqu’elle provient de causes de nature psychique. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas affirmer qu’il y a une incapacité de contracter sans anomalie psychique.
« L’incapacité d’assumer, au sens propre, se base sur l’impossibilité originaire de la prestation des obligations matrimoniales essentielles, c’est-à-dire de leur accomplisse-ment »[7]. L’obligation qui ne peut être remplie est à considérer comme nulle.
- Les éléments requis pour la capacité d’assumer
- Plus encore, en ce qui concerne la capacité d’assumer les obligations conjugales, comme l’exprime une sentence c. Funghini du 13 février 1998 : « (cela) revient à dire que non seulement sont requises des contractants la disponibilité et l’aptitude à poser un acte de la volonté par lequel ces personnes se donnent et s’acceptent mutuellement par une alliance irrévocable, mais également la capacité d’établir réellement entre elles une communauté de toute la vie ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et l’éducation des enfants »[8].
« Assumer, en définitive, c’est s’obliger ici et maintenant à répondre dans l’avenir, par les actes, les comportements et la vie en commun, à la condition propre des époux »[9].
Comme nous l’avons dit dans une sentence du 21 novembre 1997, « le consentement matrimonial ne regarde pas seulement le moment générateur de son émission, mais il doit regarder également l’accomplissement de son objet »[10].
- Les contractants incapables d’assumer
- Ainsi il est pacifiquement admis depuis longtemps que l’incapacité d’assumer et de remplir les obligations conjugales essentielles concerne les contractants qui, « même s’ils jouissent de l’usage suffisant de la raison et ne manquent pas gravement de discretio judicii, sont cependant, à cause de leur condition psychique qu’on doit tenir pour pathologique, incapables d’assumer et de remplir les obligations essentielles du mariage, même éventuellement voulus sciemment, librement, et avec l’évaluation nécessaire »[11].
« Doit donc être déclaré incapable de contracter en vertu du c. 1095, 3° celui qui, même s’il est capable d’émettre consciemment et librement un consentement comme un acte psychologique ou, en d’autres termes, subjectif, ne peut mettre à exécution les obligations qui découlent nécessairement du mariage, bien qu’il souhaite, veuille et entende positivement les recevoir librement et de façon déterminée »[12].
- Les conditions de l’existence d’une incapacité d’assumer
- Dans ces cas-là cependant, comme le dit à juste titre une sentence c. Funghini, du 29 juin 1993, de la teneur du canon et de par la jurisprudence rotale établie on ne peut affirmer l’existence d’une incapacité d’assumer que :
« a. s’il y a, non pas une simple difficulté, même grave, mais une impossibilité par suite d’une anomalie psychique qui atteint la structure psychique du contractant ;
- si cette anormalité pathologique est d’une telle importance que le contractant, bien que possédant une faculté de discernement intègre, est privé, totalement ou partiellement, de la faculté de disposer de l’objet du consentement matrimonial ;
- si l’anormalité ou la perturbation de la personnalité est pré-matrimoniale et qu’elle est présente sous sa forme grave au moment de l’émission du consentement ;
- si la pathologie est si grave qu’elle rende intolérable la communauté conjugale et que celui qui en est affecté ne puisse pas améliorer les choses, même s’il le souhaite et le veut »[13].
- La nécessaire présence d’une anomalie psychique au moment du mariage
- Enfin il faut que l’anomalie ou le désordre psychique qui peut faire obstacle à la faculté de discretio ou à la capacité d’assumer soit présente au moment de l’émission du consentement.
« Si la maladie en effet se déclare seulement après le mariage, en raison des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les conjoints, le mariage doit être déclaré valide, même si par la suite la vie conjugale devient impossible, puisque la validité du mariage dépend de l’habilité des parties au moment de l’émission du consentement.
Si par contre des signes clairs et certains de la maladie latente existaient déjà avant le mariage, et si de graves désordres, sans faute du conjoint ou sans intervention d’autres facteurs, ne sont apparus que pendant la vie conjugale, le mariage doit être déclaré nul, parce que la gravité de la maladie, même en germe, était déjà présente auparavant dans l’état de latence de la maladie »[14].
Comme le déclare une sentence c. Serrano du 28 février 1992, pour prouver l’incapacité psychique du contractant, « deux éléments doivent apparaître hors de tout doute raisonnable : les causes psychiques existant déjà depuis plusieurs années, et cela avant le mariage, étaient graves ; et après le mariage rien d’autre en dehors d’elles, au cours du temps, n’a pu agir sur la ruine du mariage de façon déterminante au point qu’un bouleversement de cette nature ne pouvait pas dépendre à coup sûr de ce qui existait au moment du consentement »[15].
III. LES CAUSES QUI PEUVENT ENTRAîNER L’INCAPACITÉ DE CONSENTEMENT
- La jurisprudence rotale reconnaît, parmi les causes qui peuvent réaliser l’incapacité de consentement, soit l’immaturité affective,[16] soit « la catégorie de perturbation de la personnalité qu’on appelle ‘Trouble Borderline de Personnalité’ »[17], selon les critères utilisés par les experts.[18]
- L’immaturité affective
- L’immaturité affective, en effet, est le signe d’une certaine perturbation de l’affectivité, qui, en certains cas, atteint un degré de telle gravité que l’esprit du contractant est gravement perturbé et que ce sujet est empêché de jouir d’une discretio judicii droite ou d’une liberté interne correcte.
L’immaturité affective, en effet, au sens psychologique ou psychiatrique, se vérifie lorsqu’à l’adolescence, l’évolution psycho-affective se fige ou régresse à des phases précédentes, alors que l’intelligence reste intacte.
Le sujet affecté par l’immaturité « est un individu normalement intelligent, parfois même très doué intellectuellement, mais dont l’évolution affective, c’est-à-dire la maturation des instincts, sentiments et émotions, est restée plus ou moins incomplète »[19].
L’immaturité affective « décrit un retard dans le développement des relations affectives, avec une tendance à la défiance et à la suggestibilité évoquant l’affectivité infantile, contrastant chez l’adulte avec le niveau du développement des fonctions intellectuelles »[20].
- Le Trouble Borderline de Personnalité
- Selon la sentence déjà citée c. Stankiewicz, du 23 mars 2000, le Trouble BORDERLINE de Personnalité a des conséquences sur la capacité d’assumer les obligations conjugales en raison de leur influence « sur la capacité du sujet, affecté de cette perturbation, ‘d’assumer les devoirs de la communauté de vie’[21], en raison de la force infirmant chez ce sujet la faculté psychique d’instaurer et de porter ‘l’intime et perpétuelle relation interpersonnelle matrimoniale’[22]».[23]
Ceci est affirmé « compte tenu que le terme de ‘borderline’, au début, indiquait ‘une entité clinique qui était aux confins de la psychose ou plus spécifiquement de la schizophrénie’ et par la suite seulement ‘a été mis en relation surtout avec les troubles de l’affectivité’[24] ».[25]
On ne peut cependant pas nier que ce Trouble Borderline, en affectant gravement l’affectivité, peut avoir aussi une force de destruction sur la faculté de discretio ou sur la liberté interne du sujet en raison de la désorganisation de l’affectivité.
- Tout récemment le Prof. B. Callieri a écrit à ce sujet : « Dans le Borderline le chapitre le plus riche de conséquences existentielles est celui qui concerne les relations interpersonnelles, relations souvent superficielles et transitoires, avec la capacité d’un fonctionnement social adéquat, pourvu qu’il reste superficiel, également du point de vue sexuel. Une telle disparité entre le fait de nouer des relations superficielles et celui d’avoir des relations profondes peut être attribuée, selon Kohut, à un manque d’identité propre cohérente […]. Certains soutiennent au contraire que le borderline est capable d’établir des relations intenses mais éphémères (ingolfanti). Cela le distinguerait du schizophrène ou du narcissique. De toute façon reste clair le défaut de la réciprocité de relation, avec une dépendance marquée et de fortes tendances manipulatrices »[26].
- LE RECOURS A L’EXPERT
- Il est clair ainsi que le recours à l’expert est non seulement utile mais nécessaire : la loi canonique le postule expressément dans ce genre de causes (c. 1680). Les experts, à partir d’une soigneuse analyse des actes et des documents ou, le cas échéant, après avoir procédé à un examen médical de la partie, doivent informer le juge sur la nature, l’origine et la gravité de sa condition psychique ainsi que sur la présence de celle-ci au moment où le mariage a été célébré.
Selon l’Instruction Dignitas Connubii le juge doit pour chaque cas demander à l’expert :
« 1. Dans les causes pour défaut d’usage de la raison, […] si au moment de la célébration du mariage cette anomalie perturbait gravement l’usage de la raison ; avec quelle intensité et à quels indices elle se révélait ;
- Dans les causes pour défaut de discretio judicii, […] quel a été l’effet de l’anomalie sur la faculté critique et élective de prendre des décisions importantes, particulièrement pour choisir librement un état de vie ;
- Enfin dans les causes pour incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage, […] quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité d’accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage » (art. 209 § 2).
Enfin, « le juge appréciera attentivement, non seulement les conclusions, même concordantes, des experts, mais également les autres données de la cause », et « en donnant les motifs de sa décision, il doit préciser les raisons pour lesquelles il a admis ou rejeté les conclusions des experts » (c. 1579 § 1 et 2). Le juge en effet ne doit pas accepter passivement les conclusions des experts, mais il doit les examiner de façon critique, c’est-à-dire : sont-elles fondées dans les actes, vont-elles plus loin que les prémisses, adhèrent-elles aux principes de l’anthropologie chrétienne, sont-elles présentées comme certaines ou probables ?
DEUXIEME PARTIE
LA SIMULATION
- En ce qui concerne la simulation du consentement, il suffira de rappeler les prescriptions du c. 1101, selon lequel la validité juridique du consentement des parties est présumée ou, plus exactement, qu’est présumée la conformité de ce consentement aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage (c. 1101 § 1), mais il n’est pas exclu qu’il puisse y avoir parfois une divergence entre ce qui est pensé et ce qui est dit extérieurement, et donc l’invalidité de ce consentement en raison de cette difformité juridique, à savoir quand « l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles » : la volonté positive de la part du simulant, pour rejeter le mariage ou au moins un de ses éléments essentiels, est nécessaire pour que soit reconnue légitimement, ou en d’autres termes, juridiquement, une simulation totale ou toute simulation juridique alléguée, et elle doit ressortir des actes et des éléments de preuve, avec une certitude morale de la part du tribunal, selon les critères cent fois invoqués et requis dans ces hypothèses.
EN FAIT
La lecture des actes et l’étude des circonstances qui entourent l’échec de la cohabitation des parties, avant et après leur mariage, montrent bien que la solution des doutes concordés ne dépend pas directement des déclarations des parties et des témoins, mais plutôt de l’interprétation juste des faits survenus après le mariage en raison de la conduite aberrante du mari envers son épouse et ses enfants. Ces faits non seulement éclairent la situation lamentable dans laquelle s’est trouvée l’épouse, jusqu’à une grave dépression et la ruine du mariage, mais encore ils démontrent l’état psychopathologique du mari au moment de la célébration du mariage, et même avant celle-ci.
Nous verrons d’abord l’état psychique de l’épouse, puis celui du mari, avant d’étudier la simulation totale alléguée.
- L’EPOUSE DEMANDERESSE
Delia, l’épouse demanderesse, a vécu dans une famille perturbée par l’alcoolisme du père, qui se répercutait en maltraitance de sa femme. Ceci est confirmé par tous les témoins, qui cependant excluent que Delia en ait subi des conséquences psychiques. Notre expert partage cet avis, après avoir examiné non seulement les actes de la cause mais encore les certificats médicaux émanant des hôpitaux où a été soignée l’épouse. Pour l’expert il ne peut être question chez celle-ci de défaut de discretio judicii ou d’incapacité d’assumer les obligations essentielles du mariage.
(Il est inutile ici de reprendre les longues constatations des divers médecins. Il suffira de reprendre certaines conclusions de l’expert rotal.)
« Il est très probable que Delia présente une condition psychique caractérisée par une relative fragilité, une faiblesse émotive, une attitude de dépendance et de soumission, une tendance à l’introversion et à la dépression, qui sans aucun doute la prédisposait aux développements d’états dépressifs cliniquement importants ». Toutefois, « il n’y a pas d’éléments suffisants de preuve pour affirmer que Madame Delia M., à l’époque (de son mariage), était affectée d’un Trouble de la Personnalité, en particulier de type Dépendant, ou d’un Trouble Dysthymique et/ou d’une grave immaturité ».
- LE MARI, PARTIE APPELÉE
La sentence du Tribunal de 1° instance de Porto Rico estime qu’en ce qui concerne les chefs de défaut de discretio judicii et d’incapacité d’assumer les charges conjugales de la part du mari, il y a des indices de conduite anormale : très jaloux, abusant physiquement de sa femme, alcoolisme. Toutefois, selon cette sentence, il n’apparaît pas certain, d’après les actes, que l’anormalité de la conduite d’Eufemio, clairement établie après le mariage, ait été antérieure à celui-ci.
Il a été non seulement très opportun, mais nécessaire, de recourir à notre expert qui, malgré ‘l’absence du jugement’ pour le mari et le manque d’attestations psychologiques et/ou psychiatriques à son sujet, estime qu’il y a dans le dossier « des arguments pour exprimer un jugement sur l’état psychique de l’intéressé au moment de la célébration du mariage, et ceci avec un bon niveau de certitude scientifique et morale ».
D’une part les conséquences malheureuses pour la demanderesse du tempérament psychique de son mari et de sa conduite lamentable montrent que, dès l’adolescence, il souffrait d’une structure de personnalité psychopathologique. D’autre part les certificats médicaux qui témoignent de l’état psychique de l’épouse à la suite des fautes de son mari permettent de connaître le propre état psychique de ce dernier.
Selon l’expert les sévices encourus par l’épouse et par ses enfants de la part d’Eufemio révèlent bien la nature pathologique de celui-ci. « Nous retrouvons dans le comportement de la partie appelée, tel que le rapportent les actes, des aspects anormaux d’impulsivité, d’agressivité, une instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur, une suspicion et une méfiance du prochain […]. Son incapacité à contrôler ses instincts et l’absence de principes moraux valides sont démontrés par ses nombreuses relations avec d’autres femmes, avant et après le mariage, et également après le divorce d’avec Delia ».
Les témoins font tous état de la personnalité anormale du mari.
L’expert en conclut que Eufemio était atteint d’un Trouble Borderline de la Personnalité, « d’origine endogène-constitutionnelle », qui « compromettait certainement, par sa nature et par sa gravité, non seulement la sphère cognitive, mais aussi la sphère volitive et affective ». En conséquence, « il n’avait pas la capacité d’assumer des décisions qui comportent des engagements permanents et exclusifs et il avait encore moins la capacité de s’engager dans une relation interpersonnelle stable ».
– Il est superflu de répondre au doute portant sur la simulation totale de l’un des époux ou des deux. Aucun argument ne se trouve dans les actes pour prouver cette simulation.
– Constat de nullité
pour défaut de discretio judicii
et pour incapacité d’assumer les obligations du mariage
de la part du mari, partie appelée
Egidio TURNATURI, ponent
Maurice MONIER
Pio Vito PINTO
Cette sentence, qui déclare pour la première fois la nullité du mariage, sera transmise au Tour d’appel (c. 1682 § 1).
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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 ; cf. c. 1057 § 1
[2] C. BRUNO, 15 décembre 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 765, n. 4
[3] C. DEFILIPPI, 25 octobre 2007, n. 5
[4] C. POMPEDDA, 19 mai 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 209, n. 3
[5] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6
[6] C. DEFILIPPI, 9 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 219, n. 10
[7] A. STANKIEWICZ, L’incapacità di assumere e di adempiere gli oneri conjugali essenziali, dans L’incapacità di assumere gli oneri essenziali del matrimonio, LEV 1998, p. 62
[8] C. FUNGHINI, 13 février 1998, SRRDec, vol. XC, p. 47, n. 2
[9] P.J. VILADRICH, Il consenso matrimoniale, Rome 2001, p. 15
[10] C. TURNATURI, 21 novembre 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 827, n. 7
[11] C. POMPEDDA, 1° juin 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 324, n. 5
[12] C. FUNGHINI, 13 février 1998, SRRDec, vol. XC, p. 47, n. 2 ; cf. c. FUNGHINI, 17 janvier 1996, SRRDec, vol. LXXXVIII, p. 15, n. 7
[13] C. FUNGHINI, 29 juin 1993, SRRDec, vol. LXXXV, p. 472, n. 4
[14] C. BRUNO, 23 février 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 142, n. 6
[15] C. SERRANO, 28 février 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 136, n. 4
[16] C. STANKIEWICZ, 23 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 255, n. 13
[17] Même sentence, n. 13 ; cf. c. EGAN, 22 mai 1976, SRRDec, vol. LXVIII, p. 224-227, n. 11-13 ; c. PINTO, 18 décembre 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 590-593, n. 8-11
[18] Cf. B. CALLIERI, Psicopatologia e nosologia del paziente borderline con particolare riferimento al consenso matrimoniale nel diritto canonico, dans l’ouvrage collectif Borderline, nevrosi e psicopatie in riferimento al consenso matrimoniale nel diritto canonico, Rome 1981, p. 3-37
[19] A. HESNARD, Arriération affective, dans A. Porot, Manuel alphabétique de Psychiatrie, Paris 1969
[20] J.D. GULFI – P. BOYER – S. CONSOLI – R. PLIVER-MARTIN, Psychiatrie, Paris 1987, p. 53
[21] C. PINTO, 18 décembre 1979, SRRDec, vol. LXXI, p. 592, n. 11
[22] C. PINTO, même sentence, p. 593, n. 11
[23] C. STANKIEWICZ, 23 mars 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 257, n. 17
[24] G.O. GOBBARD, Psichiatria psicodinamica, Nuova edizione basata sul DSM-IV, traduction italienne, Milan 1995, p. 429
[25] C. STANKIEWICZ, sentence citée, n. 17
[26] Il paziente borderline sulla linea di confine tra mondo isterico e mondo narcisista, dans Matrimonium et Jus, Etudes en l’honneur du Prof. Sebastiano Villegiante, LEV 2006, p. 307
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