Coram PINTO
Dol
Košice (Slovaquie) – 17 octobre 2008
P.N. 19.344
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
- Le dol : nature et effets
- Les éléments requis pour un dol irritant le consentement
- La preuve du dol
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Daniela R. et Maros J. font connaissance en 1994 et se marient le 26 octobre 1995. Le mari souffrait d’une maladie qui pouvait amoindrir ou même supprimer sa faculté d’engendrer. Et de fait son épouse, en dépit des soins et des traitements suivis par son mari, n’a jamais été enceinte. Maros s’est mis à boire, est devenu violent et, au mois d’avril 1999, a quitté le domicile conjugal. Le divorce a été prononcé le 7 juin 1999.
Ce même jour Daniela a adressé un libelle au Tribunal. Le doute a été concordé le 3 février 2000 sous le chef de dol commis par le mari. Celui-ci ne s’est pas présenté devant le Tribunal et seuls, la demanderesse et trois témoins ont été entendus. La sentence du 16 mai 2000 a été affirmative mais elle a été infirmée, le 7 juillet 2004, par le Tribunal d’appel.
En troisième instance devant la Rote, le doute a été concordé le 3 février 2006 sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul, selon le c. 1098, pour dol commis par le mari pour obtenir le consentement ?
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EN DROIT
- Le concile Vatican II a complété de façon heureuse le magistère de l’Eglise sur le mariage, en mettant en relief l’aspect personnaliste de l’alliance conjugale, ou, en d’autres termes, du consentement : « La communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur ; elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel irrévocable »[1].
- Le dol : nature et effets
A la construction de la communauté de vie et d’amour s’oppose le consentement émis par un dol. Le dol en effet peut corrompre l’acte juridique du consentement puisque, selon la Novella 93 de Léon le Sage (a. 896), reçue par Labon et transmise ensuite par Ulpien dans le droit romain[2], le dol qui donne la cause est défini comme « toute ruse, fourberie, machination, employée pour circonvenir, duper, tromper autrui, dans laquelle on ne voit rien de vrai ni de sincère ». De là vient une autre définition, celle d’un auteur approuvé qui énonce que le dol n’est rien d’autre qu’« une tromperie d’autrui délibérément et frauduleusement commise, par laquelle autrui est amené à accomplir un acte juridique »[3].
Cela dit, on comprend mieux le texte du c. 1098 : « La personne qui contracte mariage, trompée par un dol […], contracte invalidement ». Le Législateur de l’Eglise a institué avec sagesse un rapprochement entre les normes établies par les c. 1097 et 1098. Alors en effet que l’erreur sur une qualité de la personne est un jugement faux de l’esprit, en raison d’une appréhension fausse de la chose, lorsque quelqu’un pense et prend quelqu’un ou quelque chose pour un autre ou une autre chose, le dol est au contraire quelque chose de plus grave comme défini ci-dessus.
Le Code a préféré les termes de « (peut perturber) la communauté de vie conjugale » à ceux de « communauté de toute la vie »[4], étant donné que le dol, plus que l’erreur sur une qualité de la personne, s’oppose directement et de façon perverse à l’alliance conjugale, contre la volonté du Créateur, qui a pré-ordonné le pacte conjugal en le fondant sur la relation libre et duelle des personnes.
- Les éléments requis pour un dol irritant le consentement
- Pour qu’une personne trompée par un dol émette invalidement le consentement matrimonial, il est requis :
– que le dol commis lors du consentement soit la cause de l’erreur. Le dol en effet, comme l’erreur sur une qualité de la personne – autrement que ce qui se produit dans la condition où la volonté du contractant irrite le mariage – concerne le défaut de l’objet, c’est-à-dire une qualité du partenaire. A celui qui contracte trompé par un dol, l’objet, c’est-à-dire la qualité de la personne, est présenté à son consentement alors qu’il diffère totalement de la vérité ;
– que l’objet du dol soit une erreur de fait et non de droit, c’est-à-dire que la qualité particulière ou la propriété particulière ne soit pas une qualité ou propriété du mariage, mais de l’autre personne qui se marie ;
– qu’il y ait un lien causal entre l’action dolosive et le propos ou intention d’obtenir le consentement ;
– enfin, que la qualité désirée chez le partenaire puisse corrompre ou perturber gravement la communauté conjugale. Si, pour le choix du partenaire, une qualité devient la voie ou le moyen nécessaire pour contracter mariage, ce n’est pas la qualité considérée en elle-même mais la volonté, ou le consentement, qui est frappée de nullité par l’erreur éventuelle. Dans ce cas, l’objet immédiat du consentement est la qualité, l’objet médiat est la personne. La qualité prévaut sur la personne : ce qui est visé d’abord et principalement, c’est la qualité, et indirectement et secondairement, la personne.
« On comprend par là, lit-on dans une sentence du Ponent soussigné, en date du 28 avril 2008, pourquoi la célèbre sentence coram Canals, du 21 avril 1970, est considérée comme le passage entre l’ancienne Jurisprudence de Notre For et celle qui a suivi le Code de 1983, les nouveaux aspects de cette Jurisprudence démontrant qu’ils étaient déjà présents dans la Jurisprudence pré-conciliaire. Il était enseigné dans la sentence c. Canals que l’erreur sur la qualité rejaillit en erreur sur la personne, même si une partie a été bien notée par l’autre partie, pourvu que la qualité ait été visée avant la personne, ‘[…] lorsque la qualité morale, juridique et sociale est en connexion tellement intime avec la personne physique que si cette qualité fait défaut, la personne physique elle-même devient totalement différente’[5] ».[6]
- La preuve du dol
- Enfin, la preuve du dol peut être parfois extrêmement difficile et implexe. Le dol est prouvé directement par la confession de la victime de l’erreur, confirmée en jugement par des témoins dignes de foi ; il faut scruter l’esprit de la partie victime du dol et la raison pour laquelle elle a accordé une extrême importance à la personne pourvue de qualités déterminées, et sa conduite lorsqu’elle a découvert que cette personne était totalement différente de ce qu’elle voulait ou lorsqu’elle a constaté l’absence de la qualité souhaitée ou exigée. C’est pourquoi il est du seul ressort du juge ecclésiastique d’évaluer l’espèce de la qualité pour que puisse être déterminé en jugement si la qualité vantée a rendu autre la personne du partenaire qui se mariait et pour que soit statué dans chaque cas s’il y a eu un lien entre la qualité exigée de la personne et l’erreur causée par le dol.
Quant à la preuve indirecte du dol, elle apparaît à partir de la conduite de la victime de l’erreur envers son partenaire et envers le mariage, lorsqu’elle a découvert la vérité[7]. Si en effet la partie abusée, une fois la vérité découverte, a interrompu aussitôt la communauté conjugale, en renvoyant son partenaire et en l’accusant de tromperie, il résulte une présomption en faveur de la présence d’une erreur dolosive.
EN FAIT (résumé)
Deux remarques préliminaires : dans cette cause les faits sont plus éloquents que les paroles, et il s’agit ici d’un dol par omission.
- L’épouse, les témoins, le critère de réaction
L’épouse estime qu’elle a été trompée par son mari, non seulement en raison de la stérilité de celui-ci, mais surtout en raison du grave silence de Maros et de ses parents qui ont délibérément caché la maladie du jeune homme.
Les parties et les témoins parlent effectivement de stérilité, qui est nettement prouvée, tant par les déclarations contenues dans les actes que par les certificats médicaux.
En ce qui concerne le critère de réaction, il est certain que la décision de l’épouse de quitter définitivement son mari a été prise quand elle a découvert l’infertilité de son mari et surtout quand elle s’est rendu compte de l’inutilité des traitements pour guérir son mari.
- Les certificats médicaux de la période prénuptiale
Le mariage a eu lieu en 1995. En 1981 Maros, né en 1973, avait été atteint de la maladie appelée « parotite », qui peut entraîner la stérilité. En 1984 on détecte chez lui que les testicules ne sont pas descendus dans les bourses, mais cet état s’arrange en 1987, alors que Maros a 14 ans. Les certificats médicaux attestent de cette situation.
On ne peut pas prouver, à partir de là, que Maros était stérile – la science ne permet pas d’aller jusque là -, mais il y avait au moins un grave problème en raison de la faible mobilité de son sperme.
- L’état de Maros pendant la période matrimoniale
Maros n’a pas voulu se soigner, et donc il a conservé un état qui était préjudiciable à la fécondité. De plus il s’est mis à boire parce que sa femme cherchait sa guérison. C’est ce que déclare Daniela qui donne à ce sujet de nombreux détails, confirmés par les parents et le frère de la demanderesse.
- Y a-t-il eu dol de la part de Maros?
La mère de Maros déclare que son fils se soignait durant son enfance, mais qu’elle ne savait pas que sa maladie pouvait avoir des conséquences pour sa fécondité. Cette ignorance est suspecte : tout parent, si son enfant est malade, cherche à le faire soigner, et tout parent se préoccupe des conséquences de la maladie pour l’avenir de son enfant malade.
La demanderesse ne peut pas dire si Maros était conscient de sa stérilité. Sa mère est du même avis, tandis que son père est plus affirmatif : « Je pense que Maros a pu connaître sa stérilité ».
- La circonstance décisive pour prouver le dol par omission
Les parents de Daniela avaient informé Maros, avant le mariage, que leur fille était atteinte d’épilepsie. Daniela rapporte ce fait et ajoute : « La conversation a tourné sur mon état de santé et je pense qu’alors Maros aurait dû parler aussi des problèmes qu’il avait eus dans son enfance et son adolescence ». La mère de Daniela confirme la conversation : « Ni Maros ni ses parents, avant le mariage, n’ont parlé à nous ou à Daniela des problèmes de santé de Maros dans son enfance. Nous en avons été informés seulement après le premier examen médical qu’il a subi après son mariage ».
La mère de Maros a gardé le silence, dit celle-ci, « parce que personne ne m’a posé de question sur ce sujet ».
Cette façon d’agir doit être considérée comme un dol par omission, car la déclaration de la pathologie de Daniela de la part de ses parents était une demande implicite posée à Maros pour son propre état médical.
Mais il y a plus grave. La mère de Maros a déclaré qu’elle ne connaissait pas les effets de la maladie de son fils sur la fécondité de celui-ci. Or si Daniela et ses parents avaient été informés de cette maladie, ils auraient pu s’inquiéter de ses conséquences.
Enfin, même si Maros avait ignoré les effets de sa maladie sur sa fécondité, il aurait dû avertir Daniela et ses parents de son état de santé, mais il ne l’a pas fait, il s’est tu, ce qui constitue un dol par omission. On peut ajouter que lors de la préparation au mariage, où il a été question des enfants, Maros n’a pas dit un mot.
- Après le mariage
L’absence de maternité et la négligence de Maros pour se soigner ont gravement perturbé la communauté de vie. Daniela avait épousé Maros par amour, dans la joie. Mais elle désirait être mère et sa vie avec Maros s’est dégradée parce qu’il ne voulait pas se soigner, en dépit des visites médicales auxquelles Daniela lui demandait de se soumettre.
En conclusion :
Daniela aimait Maros et elle voulait fonder une famille. Comme son mari la frustrait dans ce désir légitime d’une épouse, l’amour de Daniela s’est refroidi, la concorde a disparu et l’épouse a fini par divorcer. Tout cela prouve le critère de réaction face à un dol commis par le mari, partie appelée, au grand dam de l’épouse demanderesse en ce qui concerne son désir légitime d’avoir des enfants.
Constat de nullité
pour dol commis par le mari
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
John G. ALWAN
Giordano CABERLETTI
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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 ; cf. c. 1055 § 1
[2] Fr. 1 § 2 D, de dolo malo, 4, 3
[3] G. MICHIELS, Principia Generalia de personis in Ecclesia, Paris-Tournai-Rome, 1955, p. 660
[4] Cf. Nuntia, 10, 1980, p. 49, c. 156 § 2, et 15, 1982, p. 77 sq., c. 156 § 2
[5] C. CANALS, 21 avril 1970, SRRDec, vol. LXII, p. 371, n. 2
[6] C. PINTO, 28 avril 2008, n. 8
[7] Cf. c. MONIER, 6 novembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 712, n. 8-9
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