Coram MONIER
Impuissance relative de la femme
Gdansk (Pologne) – 22 mai 2009
P.N. 18.345
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
Introduction : Consentement et empêchement de mariage
- L’impuissance en général
- La loi
- Les conditions pour que l’impuissance soit un empêchement dirimant
- Le vaginisme
Description du vaginisme
- La nécessaire antécédence du vaginisme
- La nécessaire perpétuité du vaginisme
- La preuve de l’empêchement d’impuissance
- Les dépositions des parties
- Les certificats médicaux et les expertises
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Zbigniew B. et Barbara S. font connaissance en 1967 et se marient le 18 avril 1976.
Dès le début l’épouse éprouve de la répugnance pour son mari et la consommation du mariage est difficile. Les époux vont alors consulter un gynécologue qui diagnostique chez l’épouse un vaginisme.
La vie conjugale est malheureuse par suite de discordes entre les conjoints. Enfin l’épouse est enceinte, mais, au motif de ses études à poursuivre, elle se fait avorter. La vie commune devient intolérable et les époux se séparent. Le divorce est prononcé en 1978.
Désireux de retrouver la paix de sa conscience, le mari, le 25 novembre 1985, présente un libelle au Tribunal ecclésiastique de Gdansk, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour simulation de la part de l’épouse et incapacité sexuelle de la part de celle-ci. L’instruction se déroule, avec une expertise. Le 8 septembre 1988 le Tribunal rend une sentence négative sur les deux chefs.
Neuf ans plus tard, le demandeur fait appel auprès du Tribunal de seconde instance de Warmia qui, le 1° décembre 1998, infirme la sentence du Tribunal de Gdansk.
En troisième degré devant le Tour Rotal, le doute est concordé sous la formule suivante : La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour impuissance relative de l’épouse, partie appelée ? Un complément d’instruction est effectué, comprenant une nouvelle expertise de l’épouse.
EN DROIT
Introduction : Consentement et empêchement de mariage
Pour contracter un mariage valide, il ne suffit pas que le consentement soit légitimement manifesté, mais il est requis par le droit que celui qui se marie ne présente aucun empêchement pour satisfaire aux droits et aux devoirs du mariage à donner et à recevoir mutuellement, tant pour le bien des conjoints que pour celui de la génération et de l’éducation des enfants.
A ce sujet Saint Thomas enseignait : « C’est pourquoi, de même que dans les autres contrats il n’y a pas d’obligation qui convienne si quelqu’un s’oblige à ce qu’il ne peut pas donner ou faire, de même il n’y a pas de contrat qui convienne au mariage s’il est fait par quelqu’un qui ne peut pas remplir le devoir charnel conjugal. Cet empêchement est appelé impuissance d’union charnelle, d’un terme général »[1].
- L’impuissance en général
La loi
Le Code Pio-Bénédictin de droit canonique, au c. 1068, décrétait expressément : « § 1. L’impuissance antécédente et perpétuelle, soit de la part de l’homme, soit de la part de la femme, soit connue, soit inconnue de l’autre, soit absolue, soit relative, dirime le mariage de par le droit naturel. § 2. Si l’empêchement d’impuissance est douteux, soit d’un doute de droit soit d’un doute de fait, le mariage ne doit pas être empêché ». Le code actuellement en vigueur n’a rien défini d’autre au c. 1084.
- Les conditions pour que l’impuissance soit un empêchement dirimant
- Les conditions pour que l’impuissance soit un empêchement dirimant sont l’antécédence et la perpétuité. L’impuissance en effet doit subsister à l’époque de la célébration du mariage, même si elle avait été ignorée, tandis que l’impuissance qui survient pour de nombreux motifs, comme par exemple, un événement traumatisant ou une grave maladie, ne retient pas la note d’antécédence et par conséquent n’influe pas sur la validité du mariage.
Quant à la note de perpétuité, au sens juridique, elle se vérifie lorsque l’impuissance ne peut en aucune façon cesser, c’est-à-dire lorsqu’elle est considérée comme inguérissable.
Il y a une distinction entre l’impuissance organique et l’impuissance fonctionnelle. « Peu importe qu’elle soit absolue, c’est-à-dire par rapport à toutes les personnes de l’autre sexe, ou relative, c’est-à-dire n’existant que par rapport au partenaire »[2].
Le vaginisme
- Description du vaginisme
- Parmi les espèces d’impuissance fonctionnelle se trouve le vaginisme, qui provient souvent de l’hyperesthésie de la vulve, soit suite à une tentative de première union sexuelle, soit à partir d’autres causes, en particulier d’ordre psychique. Le vaginisme dont il s’agit est ainsi décrit par le professeur Palmieri : « Une hyperesthésie morbide de la vulve et du canal vaginal, qui à la moindre stimulation se contractent de façon spasmodique, bloquant les voies génitales. A la contraction participent les muscles du périnée, de la hanche et du dos […]. Les tentatives pour vaincre cette situation provoquent des contractions encore plus fortes […]. A l’hypersensibilité locale s’ajoute d’habitude une névrose d’angoisse, c’est pourquoi la simple représentation des souffrances auxquelles l’union charnelle (ou de simples attouchements) l’exposerait provoque parfois chez la femme des crises de convulsion. Il ne manque pas de cas où complètement terrorisées par cette idée, ces malheureuses ont été poussées à des actes désespérés de violence contre elles-mêmes ou leurs conjoints. En substance, le vaginisme est essentiellement considérée (Walthard) comme un complexe de défense, déchaîné par une phobie »[3].
La nécessaire antécédence du vaginisme
L’antécédence et la perpétuité de ce désordre sont traitées dans une sentence c. Bruno, du 3 avril 1987 : « Pour que soit établie l’antécédence du vaginisme il n’est pas exigé, au mépris de la loi morale, une preuve directe par une expérience prématrimoniale. Il suffit de connaître les causes qui provoquent l’instauration du vaginisme, et de les ramener rétroactivement, si c’est possible, à la période qui a précédé le mariage, parce que l’effet dure au moins tant que subsiste la cause. Un jugement, assez rapide pour un vaginisme secondaire, est beaucoup plus difficile lorsqu’il s’agit de vaginisme primaire. Et en effet, dans le vaginisme secondaire un examen médical peut permettre de déceler des causes anatomiques, qui entretiennent la maladie, et de leur évaluation attentive on remonte plus facilement à l’antécédence de cette maladie […]. Si cependant les causes anatomiques font défaut et qu’il s’agit de vaginisme primaire, la répulsion psychogène, qui explose dans la première tentative d’union charnelle, doit être considérée comme antécédente, puisque la cause est à chercher dans la nature psychique profonde de la femme […].
La nécessaire perpétuité du vaginisme
En ce qui concerne la perpétuité, le vaginisme secondaire doit être considéré comme étant par lui-même purement temporaire. Cela ressort de sa nature même, parce qu’en général il est guéri par des soins appropriés. En effet son insanabilité ne se vérifie seulement que lorsque la base organique ne peut en aucune façon être écartée. Le vaginisme primaire, dans lequel la cause provient d’une répulsion psychogène absolue, est présumé perpétuel, parce que la science médicale ne peut le guérir dans des circonstances ordinaires […]. En pratique toutefois il faut suivre cette règle : chaque fois que le vaginisme est certain et que sa guérison ne peut pas être obtenue par les moyens ordinaires et licites employés par la science, ou qu’on prévoit qu’elle n’arrivera pas par des moyens ordinaires, il doit être considéré comme perpétuel »[4].
- La preuve de l’empêchement d’impuissance
- Les dépositions des parties
- Dans la phase de la preuve, on doit accorder une grande importance aux dépositions des parties et à leur crédibilité. A ce sujet, la Jurisprudence de Notre For fait remarquer : « Dans les causes d’impuissance surtout, les époux sont à entendre avec une très grande attention : il s’agit en effet d’actes qui par leur nature propre s’accomplissent, ou au moins sont tentés, dans le secret du lit, et donc ne sont connus que des époux, hormis Dieu. C’est pourquoi, dans les procès pour impuissance, les dépositions des conjoints, confirmées par le poids du serment, doivent être reconnues à juste titre comme l’argument premier. Celui-ci cependant n’obtient ordinairement la force de preuve pleine que s’il est appuyé par d’autres adminicules et arguments. Le juge formera toujours sa certitude sur le complexe des actes »[5].
Il ne manque pas de causes où ce qui est affirmé par une partie est nié mordicus par l’autre qui n’agit que par vengeance ou parce qu’elle s’estime offensée dans sa dignité, étant donné cette question si personnelle. Dans tous les cas le juge doit vérifier avec soin la crédibilité des parties dans leur exposé des faits.
- Les certificats médicaux et les expertises
On regardera comme étant de grande importance « les documents cliniques et toute déclaration, surtout faite à une époque non suspecte, des médecins ou des sages-femmes qui ont soigné le contractant.[6]
Il est très nécessaire d’avoir un rapport approprié d’expertise dans le domaine de l’impuissance, comme le statue expressément le c. 1680 : « Dans les causes d’impuissance ou de défaut de consentement pour maladie mentale, le juge utilisera les services d’un ou plusieurs experts, à moins qu’en raison des circonstances, cela ne s’avère manifestement inutile ; dans les autres causes, les dispositions du c. 1574 seront observées ».
En ce qui concerne le rôle de l’expert, ce dernier doit renseigner le juge sur les anomalies gynécologiques de la femme, leur nature, leur gravité, leur antécédence, leur possibilité de guérison ou non.
Sur l’acceptation par le juge des conclusions de l’expert, une sentence c. Defilippi enseigne excellemment : « Cependant, puisque l’expert est nommé soit en raison de son autorité spécifique en gynécologie, soit pour sa totale honnêteté, soit pour son habitude de traiter des causes devant les Tribunaux ecclésiastique, il ne peut pratiquement jamais arriver que le juge rende sa sentence contre les conclusions de l’expert, si elles sont au moins moralement certaines »[7].
A coup sûr, pour établir l’impuissance, comme le tient constamment Notre Jurisprudence, il ne suffit pas de présenter les difficultés dans l’accomplissement des actes conjugaux ; « il est requis la preuve juridique de sa perpétuité, qui n’est établie que si, par des arguments irréfutables et au jugement sûr des experts, aucun remède pour sa guérison ne peut ou ne pourra au cours du temps, dès la célébration du mariage, être utilisé pour supprimer cette impuissance[8] »[9].
EN FAIT (résumé)
La cause est difficile tant en raison des divergences entre les parties qu’en raison du manque de connaissance des témoins, qui s’explique d’ailleurs dans une cause portant sur l’intimité des conjoints.
- Les déclarations du mari
Le mari n’a pas connu les problèmes d’ordre sexuel de sa femme avant le mariage car ils n’ont pas eu de relations charnelles proprement dites à ce moment-là. Par contre, dit Zbigniew, « notre mariage n’a pas été consommé à cause des contractions et des douleurs vaginales qu’avait Barbara. Il y a eu plusieurs tentatives de consommer notre mariage, sur mon initiative, mais à un certain moment Barbara m’a menacé d’appeler la police […]. A cette occasion je me suis rendu compte pour la première fois du vaginisme de ma femme […]. J’ai constaté l’impuissance de ma femme environ deux semaines après notre mariage ».
Selon le mari, cet état a duré pendant tout le temps de la vie conjugale, et Barbara n’a pas essayé de se soigner sur ce point.
- Les déclarations de l’épouse
- L’épouse ne s’est rendu compte de son vaginisme qu’après le mariage. Elle indique qu’elle est allée consulter un médecin qui a constaté chez elle une structure anatomique normale et qui lui a dit que ses difficultés « résultaient de l’impossibilité ou, peut-être, de la peur de l’union charnelle ». Barbara déclare que ces difficultés ont disparu deux mois après son mariage et qu’elle a eu des rapports sexuels normaux et satisfaisants. Elle ajoute qu’elle a été enceinte mais qu’elle s’est fait avorter en raison de ses études.
En troisième instance à la Rote, elle a confirmé qu’elle avait eu des relations intimes normales et complètes.
Quelle est la crédibilité de l’un et de l’autre des époux ?
- En ce qui concerne la vie conjugale, Barbara déclare qu’elle n’a pas été heureuse en raison des infidélités de son mari et que celui-ci, qui est remarié civilement mais qui divorcera sûrement, « est un homme qui n’est pas fait pour vivre dans un mariage normal ».
Toutefois les Juges constatent que la conduite actuelle de Zbigniew montre qu’il est capable de mener une vie conjugale heureuse avec sa femme et ses enfants. Les allégations de Barbara à ce sujet ne sont pas conformes à la vérité.
- Les témoins
Deux témoins ont été interrogés. Ils ne savent rien sur l’intimité des conjoints et sur leur rupture.
- Le certificat médical du gynécologue et l’expertise du sexologue
- Un gynécologue a examiné l’épouse quatre jours après son mariage et il a diagnostiqué « les manifestations de vaginisme, qui rend impossible d’avoir des rapports sexuels ».
- Le docteur L., sexologue, a expertisé l’épouse. Il parle d’impuissance de la femme en raison d’un vaginisme, et il estime que cette situation peut se guérir « à condition, toutefois, que les partenaires s’acceptent affectivement ». Il évoque aussi la grossesse de l’épouse, mais « la grossesse est également possible en cas de vaginisme ». Enfin il déclare : « L’épouse affirme que, dès le début de son mariage elle a eu une aversion croissante vis-à-vis de son mari et donc que les conditions pour pouvoir se libérer du vaginisme ont disparu ».
En conclusion :
Il a manqué chez les conjoints une mutuelle acceptation et, en conséquence, a disparu la condition posée par l’expert pour surmonter l’aversion et en même temps l’impuissance de la part de la femme, conformément à ce qu’avait déjà énoncé la sentence du second degré.
Constat de nullité
pour impuissance relative de l’épouse
Maurice MONIER, ponent
Kenneth E. BOCCAFOLA
Pio Vito PINTO
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[1] SAINT THOMAS, Supplément, q. 58, a. 1, sed contra, 2
[2] C. BOTTONE, 4 juin 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 441, n. 4
[3] Medicina forense, 1965, p. 58
[4] C. BRUNO, 3 avril 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 215-216, n. 7-8
[5] C. EWERS, 16 décembre 1974, SRRDec, vol. LXVI, p. 744, n. 5
[6] C. PINTO, 27 octobre 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 591, n. 6
[7] C. DEFILIPPI, 17 février 1995, SRRDec, vol. LXXXVII, p. 141, n. 10
[8] Cf. DI FELICE, 31 octobre 1983, SRRDec, vol. LXXV, p. 566
[9] C. BOCCAFOLA, 27 février 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 153, n. 5
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