Coram VERGINELLI
Défaut de liberté interne
Porto-Rico – 14 décembre 2009
P.N. 16.639
Non Constat
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PLAN DE L’IN JURE
- Note sur la nature du libre arbitre
- Le consentement matrimonial et les facultés supérieures de l’homme
- Le défaut de discretio judicii
- Le défaut de liberté interne et le canon 1095, 2°
- Les juges et leur examen du consentement des contractants
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
En 1956, Gloria R., âgée de 15 ans, fait la connaissance de José V., de 3 ans son aîné. Les jeunes gens sympathisent, se fréquentent, se fiancent et ils se marient le 1° février 1964. Le mariage est heureux au début, puis rencontre des difficultés, qui aboutissent au divorce, prononcé en 1977.
Le 2 août 1990, Gloria demande au Tribunal Métropolitain de Porto-Rico de déclarer la nullité de son mariage pour manque de liberté interne de sa part. Le mari s’oppose fermement à cette cause, qui aboutit à une sentence négative le 28 août 1991.
En appel, le Tribunal Supérieur, le 10 septembre 1993, rend une sentence affirmative. Les deux sentences n’étant pas conformes, la cause est transmise à la Rote où les retards s’accumulent, faute d’intervention de la demanderesse. Finalement le Tour décide de mettre un terme à cette négligence de l’épouse et de son avocat, et prend, le 14 décembre 2009, la décision suivante sur le chef de manque de liberté interne de la part de la demanderesse. Une expertise avait été réalisée.
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EN DROIT
- Note sur la nature du libre arbitre
- La liberté d’agir pour chaque personne est un don inestimable, comme tous le reconnaissent, du fait que la contrainte interne ou externe rend nul l’acte de la volonté.
Le don du libre arbitre, ou faculté de la liberté, est quelque chose en l’homme qui le distingue des bêtes et qui l’assure pour accomplir un acte, tandis que le défaut de liberté, du fait de la contrainte, contrarie un jugement serein chez la personne en ce qui concerne ses facultés supérieures, dans la réalisation d’un acte véritablement humain.
Ceci peut se produire dans une famille, pour les enfants et pour les personnes soumises à des supérieurs légitimes.
L’homme – la personne – considéré dans ses fonctions sociales dans lesquelles il est ontologiquement imbriqué est, en raison de ses facultés psychologiques intellectives, par lesquelles il accomplit, surtout à l’âge de la maturité, des actes juridiques psycho-physiologiques comportant une certaine gravité, une créature qui, dans le monde physique actuellement connu, a la capacité maximale de prendre des engagements.
La personne, donc, manifeste les facultés supérieures de son esprit par l’exercice de l’intelligence et de la volonté.
- Le consentement matrimonial et les facultés supérieures de l’homme
- Dans l’Eglise quelqu’un devient une personne avec tous ses droits et ses devoirs par le baptême, et c’est pourquoi il peut recevoir le don du sacrement du mariage, à moins que, appartenant à une autre religion, il soit dispensé, c’est-à-dire admis à émettre un consentement, et, après avoir pris des engagements, qu’il soit apte à assumer les obligations conjugales avec la partie catholique pour contracter mariage.
Dans le cas du mariage, donc, le lien sacré est le centre de la communauté nuptiale qui dépend de l’habilité des personnes de sexe différent qui contractent.
Il reste certain que sans les personnes le lien, et donc le mariage, ne peut pas se constituer, mais au centre du mariage il y a toujours le lien qui provient, se constitue et surgit – ou non – du consentement valide émis simultanément par les contractants.
En cas de consentement invalide, en effet, le mariage ne peut pas exister.
Toutefois les facultés supérieures peuvent également être viciées chez l’homme par des anormalités entraînant des désordres, dans la mesure où celles-ci ne permettent pas aux facultés de la personne de s’acquitter de leurs missions et de remplir leurs rôles, et même de mettre en œuvre la liberté.
Ces éléments, s’ils sont sains, servent à garder l’ordre correct en ce qui concerne l’émission du consentement nuptial.
- Le défaut de discretio judicii
- C’est pourquoi il y a incapacité de consentement matrimonial chez la personne de l’un et l’autre sexe quand est insuffisant l’usage de la raison, que la discretio judicii pré-requise pour la perception des obligations essentielles du mariage est atteinte psychiquement, et aussi que la prise en charge des devoirs conjugaux essentiels ne peut être faite par la personne qui contracte (c. 1095 CIC).
Il est certain que, lorsque cette anomalie psychique n’est pas détectée, et que la raison de la nullité du consentement et de là celle de la nullité du contrat nuptial ne sont pas découvertes, le lien sacré demeure inchangé.
Si l’anomalie est détectée, il revient au juge d’estimer sa gravité afin de parvenir à sanctionner la validité ou la nullité du lien du mariage accusé de nullité.
D’ailleurs certaines impulsions, par elles-mêmes – comme les fausses convictions invétérées de la loi morale, les institutions, les caractères, les éléments touchant la vie de la personne individuelle et ses actions particulières – ne peuvent pas entraver la façon d’agir et de se déterminer de la personne, et donc on peut douter que ces impulsions, sans qu’on ait trouvé une anomalie psychique certaine, aient pu vicier purement et simplement l’acte du consentement.
La liberté interne, surtout, ne se laisse pas non plus vaincre facilement par des impulsions, qui la plupart du temps touchent des aspects secondaires de la décision, à moins que ne fasse obstacle une désorganisation psychique grave qui obscurcit la discretio judicii fermement requise et adéquate, en relation aux obligations essentielles du mariage.
Peut-être personne ne faisait-il attention – sauf par des indices existant parfois dans la jurisprudence rotale et qui provenaient d’une évaluation soigneuse du droit naturel – à la distinction, sauf de façon confuse, entre les fonctions de l’intelligence et de la volonté vers les années 60 du siècle dernier.
- Le défaut de liberté interne et le canon 1095, 2°
- On a longtemps débattu sur la question de savoir si les mariages ou les liens contractés avant la promulgation du nouveau code pouvaient, en ce qui concernait leur éventuelle nullité, être traités selon la norme du c. 1095 CIC. La coutume prévalut ensuite que cet examen était licite et valide sous l’aspect de ce canon, du fait qu’il s’agissait plutôt de la loi naturelle que de la loi positive, et que la loi positive du canon indiquait clairement la loi naturelle.
Le nouveau code de droit canonique a marqué une très grande distinction entre les fonctions de l’intelligence et de la volonté (c. 1095 CIC) en relation au consentement matrimonial.
En effet, le défaut de liberté interne chez le contactant est lié au c. 1095, 2° CIC, de telle sorte que quelqu’un qui, au cas où la détermination de son esprit ne s’est pas faite entre plusieurs indices lors de sa décision de célébrer ou non le mariage avec une personne déterminée, demeure indécis et choisit cette personne en raison d’une propension interne sous la pression de personnes ou de circonstances – étant admise une anomalie psychique chez la personne qui décide – peut contracter mariage invalidement.
L’intelligence en effet met en lumière dans ses qualités particulières l’autre personne qui contracte le mariage, et sauf si cette intelligence se forme un jugement synthétique, elle ne parvient jamais au choix de cette personne pour le mariage. La faculté intellective, donc, qui est privée de la fonction synthétique par une grave anomalie psychique, porte en elle-même un défaut de discretio judicii ou de liberté interne en raison d’un défaut de la faculté délibérative synthétique.
Il y a en effet des cas où les célibataires ou les nubiles ne parviennent jamais à choisir des personnes qui leur soient adaptées pour contracter mariage – certains choisissent très tard, même en dépit de leurs propres désirs – du fait que leur jugement s’attarde seulement sur l’estimation des qualités des personnes avec lesquelles ils n’ont noué aucune amitié et pour lesquelles ils n’ont ressenti aucun amour.
- La jurisprudence au cours des temps s’est efforcée de placer des bornes dans la grave lésion de la faculté intellective dans son propre exercice de pondération, lésion provenant d’une perturbation psychique au moment de la célébration du mariage.
Ce n’est dont pas le lien à contracter que lèse le consentement en raison de la charge difficile qui lui est propre – parce que le lien conjugal ne peut pas admettre une anomalie psychique, ce qui serait ridicule – mais c’est la personne qui contracte affectée d’une anomalie psychique qui lèse le consentement dirigé vers la constitution d’un lien conjugal.
Ceux qui vont se marier doivent, au milieu de circonstances variées, se déterminer à faire une alliance. S’ils ne peuvent pas se déterminer entre divers choix, c’est qu’ils sont réellement affectés par une anomalie psychique, la plupart du temps quand, même sous une légère pression des parents, ils devraient choisir entre plusieurs genres de pacte. En effet le concubinage des époux est un pacte entre eux, même s’il n’est pas légal, c’est-à-dire n’engendre pas un lien matrimonial.
- Les juges et leur examen du consentement des contractants
- Les Juges ecclésiastiques, en ce qui concerne le mariage, ne regardent pas la chose sacrée, sinon indirectement, du fait qu’ils considèrent le pacte en lui-même sous l’aspect du consentement en relation aux personnes des contractants.
Les personnes des contractants sont examinées sous l’aspect du lien qui naîtra et de l’existence ou validité de l’alliance matrimoniale. C’est quelque chose de central en ce qui concerne les attitudes personnelles, même si l’on pourrait prétendre que sans habilité dans les personnes le lien de l’alliance ne pourrait pas être créé.
Et le fait que les facultés supérieures chez les personnes qui contractent le lien doivent être saines se déduit objectivement, et non subjectivement, des conclusions des expertises, qui se fondent sur l’examen des personnes, même réalisé par des tests, et par des témoignages recueillis sur la jeunesse de la personne frappée par une anomalie.
EN FAIT (résumé)
Dès leur adolescence, Gloria et José se connaissaient et ils se fréquentaient sous l’œil vigilant du père de Gloria qui, selon elle, « était autoritaire et sévère, et chassait tous (mes) prétendants ». Ces fréquentations ont duré 8 ans, sans que la famille de José hâte les fiançailles.
On peut comprendre que le père de Gloria ait veillé sérieusement sur ses filles, car selon Gloria, il ne lui reconnaissait « aucun atome d’intelligence » et il la considérait comme « incapable » devant la vie. Il est certain que les parents de Gloria ne l’ont pas poussée à se marier et il est possible que cette attitude ait suscité une révolte de Gloria et donc un manque de liberté interne.
Le père de Gloria l’a mise en garde lorsque celle-ci est partie en Suisse pour ses études et cependant il ne s’est pas opposé à ses intentions relatives à José. Gloria ayant ensuite séjourné en Amérique, elle n’a pas subi de pressions de la part de son père, puis, ayant pris de l’âge, elle s’est émancipée de la volonté de celui-ci, surtout en ce qui concerne sa décision d’épouser José.
Le mari partie appelée a déclaré devant le Tribunal d’appel que les deux familles étaient d’accord pour sa relation avec Gloria, qu’ils se sont mariés religieusement parce qu’ils croyaient au mariage religieux, qu’ils se sont mariés librement, en connaissance des devoirs du mariage, avec la ferme détermination de faire une union pour toute la vie, et de fonder un foyer et une famille.
De son côté Gloria a déclaré en seconde instance : « Je me suis mariée librement, sans pression de la part de mon père », ce qui est étrange puisque son père n’a pas fait pression pour qu’elle se marie, mais plutôt pour qu’elle ne se marie pas. La sentence de la seconde instance se met alors en contradiction avec la demanderesse lorsqu’elle déclare que Gloria manquait de discretio judicii et qu’elle n’avait pas la liberté interne nécessaire pour émettre son consentement matrimonial. Certes, dit la sentence de seconde instance, il n’y avait pas de coaction externe, mais une « pression émotionnelle ».
Cette « pression émotionnelle » avait été décrite par les experts : « Gloria ne se sentait pas aimée dans sa famille et elle n’était pas acceptée parce qu’elle n’était pas un garçon […]. Elle n’avait pas confiance en elle […]. Elle n’a jamais pu se libérer de sa dépendance vis-à-vis de son père et de l’ingérence de celui-ci dans sa vie […]. Elle n’a jamais eu la possibilité d’évaluer d’autres alternatives et elle s’est libérée du problème par le mariage ».
Les experts toutefois, remarquent les Juges du Tour Rotal, n’ont pas décelé de véritables et graves anomalies ou désordres psychiques chez la demanderesse.
En conclusion on ne peut admettre un manque de liberté interne chez l’épouse ni des pressions de son père relatives au mariage qui lui auraient fait perdre sa liberté interne.
Non constat de nullité
pour défaut de liberté interne
chez l’épouse
Giovanni VERGINELLI, ponent
Josef HUBER
Jair FERREIRA PENA
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