Turnaturi 16/07/2009

Turnaturi 16/07/2009

Coram  TURNATURI

 Nouvelle proposition de la cause

Défaut de discretio judicii

 Guatemala – 16 juillet 2009

P.N. 20.319

Nouvelle proposition acceptée

Constat de nullité

 __________

PLAN  DE  L’IN  JURE

 

PREMIÈRE  PARTIE

LA  NOUVELLE  PROPOSITION  DE  LA  CAUSE

 

EN  DROIT

  1. Les nouvelles preuves et les nouveaux arguments
  2. La gravité des nouvelles preuves et des nouveaux arguments

 

EN  FAIT

  1. La première sentence rotale
  2. La deuxième sentence rotale
  3. La troisième sentence rotale

 

SECONDE  PARTIE

LE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

  1. Le don-acceptation réciproque et la capacité psychique
  2. La gravité du défaut de discretio judicii
  3. Le narcissisme
  4. Nature du narcissisme
  5. Arrivée précoce du narcissisme dans l’évolution psychique
  6. Conséquences du narcissisme
  7. Le rôle des experts

__________

 

 

EXPOSÉ  DES  FAITS  (résumé)

 

Les parties en cause, Georges Z. et Carine B., enfants d’émigrés palestiniens au San Salvador, font connaissance en 1952 et se marient en 1955. Le mariage, où naissent deux enfants, connaît l’échec. Les époux divorcent en 1961 et ils se remarient chacun de leur côté.

 

En 1990, Georges, qui habitait alors au Guatemala, s’adresse au Tribunal ecclésiastique du pays pour demander la déclaration de nullité de son mariage avec Carine en raison d’un manque de maturité de chaque époux. Le Tribunal, après accord du Vicaire Judiciaire de San Francisco, en Californie, où résidait la partie appelée, concorde le doute sous le chef de manque de discretio judicii de la part des deux conjoints.

Aucune expertise n’est réalisée. Le 4 juin 1991, le Tribunal rend une sentence positive. L’épouse fait appel à la Rote qui admet la cause à l’examen ordinaire du second degré. Le Professeur Callieri effectue une expertise. Le 23 janvier 1997, la sentence du Tour Rotal est négative.

 

Georges, le mari demandeur, fait appel au Tour suivant. Le doute est concordé le 15 juin 1999. Sur demande de ce Tour une expertise est effectuée au Guatemala, avec examen du demandeur. Les Pères du Tour, le 27 novembre 2001, déclarent que la cause doit être complétée. Le Professeur Tonali est chargé d’une nouvelle expertise et le Tour Rotal, le 20 février 2007, rejette le chef de défaut de discretio judicii de la part des deux époux.

 

Le demandeur choisit une nouvelle avocate qui, le 18 janvier 2008, après avoir obtenu une expertise sur le demandeur réalisée par le Professeur Testa avec entretiens et tests psychodiagnostiques, sollicite une nouvelle proposition de la cause. Il Nous revient aujourd’hui de répondre aux doutes concordés par décret du ponent le 19 juin 2008 : « Faut-il concéder une nouvelle proposition de la cause et, si oui, la preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour défaut de discretio judicii chez l’une et l’autre partie ? »

 

 

 

PREMIÈRE  PARTIE.  LA  NOUVELLE  PROPOSITION  DE  LA  CAUSE

 

 

EN  DROIT

 

  1. Contrairement à l’opinion du Défenseur du lien, il est possible, et conforme à la pratique de la Rote, de joindre en un seul procès les deux questions de la nouvelle proposition de la cause et du chef de nullité allégué, d’autant que la cause de nullité a été présentée en 1990, il y a 20 ans, et que le mari demandeur a aujourd’hui 76 ans.

 

  1. Il y a peu de choses à dire sur les principes du droit parce que les exigences de nouveauté et de gravité des arguments et des documents (c. 1644 § 1 ; Dignitas Connubii, art. 290 § 1 et 2) sont bien connues, mais il faut noter que parfois elles sont intrinsèques, dans la mesure où elles n’ont pas été étudiées et exposées à fond et partout dans les instances précédentes par les Juges et les experts.

 

  1. Les nouvelles preuves et les nouveaux arguments

 

  1. Dans l’esprit du nouveau Code, « au sens propre, les ‘preuves’ ici requises impliquent des éléments extrinsèques de la sentence et sous-entendent d’une part les moyens de preuve eux-mêmes, c’est-à-dire, outre les déclarations des parties qui constituent plutôt ‘ce qui doit être prouvé’, les documents (c. 1539-1546), les témoignages ou attestations (c. 1547-1573), les expertises (c. 1574-1581), les présomptions qui confirment d’autres éléments probatoires (c. 1584-1586)[1], et d’autre part le caractère plus ou moins véridique de ces moyens, par exemple s’ils ont été reconnus par la suite faux et corrompus. Les ‘arguments’, eux, impliquent des éléments intrinsèques de la sentence qui se réfèrent eux-mêmes à la façon de raisonner dans la sentence, et comprennent tant l’erreur dans l’interprétation ou l’application de la loi dans le cas jugé, que la violation ou la négligence évidente de la loi non purement processuelle, ou encore que l’estimation erronée du fait ou sa perversion »[2].

 

  1. Ainsi, pour obtenir un nouvel examen de la cause, comme l’a cent fois redit la Jurisprudence Rotale, « les simples désapprobations et observations critiques concernant les décisions rendues ne sont pas suffisantes »[3], c’est-à-dire que « ne servent à rien les nouvelles déclarations ou les nouveaux mémoires, qui réitèrent les faits et circonstances déjà notés, exposés, admis ou rejetés, ou qui les remettent en mémoire, parce que ces nombreux ajouts ne peuvent pas changer la substance des éléments acquis»[4], à moins qu’éventuellement on démontre et prouve par eux que les juges, en interprétant et en appliquant les normes juridiques ou en estimant et comprenant les faits, se sont trompés[5], c’est-à-dire sont tombés « dans de substantielles erreurs juridiques » ou « sont arrivés à oublier ou déformer des faits importants »[6], ou « ont été induits en erreur ou au moins n’ont pas estimé correctement et objectivement des preuves déjà recueillies »[7], ou « s’ils ont accepté des choses fausses, rejeté des vraies, admis des éléments incongrus ou ineptes »[8].

 

  1. La gravité des nouvelles preuves et des nouveaux arguments

 

  1. En ce qui concerne la gravité des nouveaux arguments et des nouvelles preuves, « il n’est pas requis […] qu’ils soient très graves, encore moins décisifs, c’est-à-dire qu’ils exigent de façon péremptoire une décision contraire, mais il suffit qu’ils rendent probable cette décision contraire »[9], ou encore « qu’ils rendent probable la réforme des décisions précédentes »[10].

 

Bref, il suffit que ces moyens, « considérés en eux-mêmes et joints à ceux qui ont été précédemment proposés, amènent le juge, avec probabilité, à rendre une sentence contraire »[11]. Autrement le Juge agirait imprudemment en s’appuyant sur une opinion purement subjective.

 

Succinctement, les nouveaux arguments ou documents sont ceux qui n’ont pas encore été soumis à l’examen des juges, comme de nouvelles attestations ou de nouveaux rapports d’expertise, qui apportent des éléments nouveaux ou qui expliquent plus clairement des éléments déjà connus, arguments ou documents « qui établissent la possibilité de la réforme d’une sentence antérieure, soit que soient présentés de nouveaux témoins, soit que soient apportées des choses nouvelles, soit enfin qu’il soit démontré par des arguments solides que quelques faits et événements n’ont pas été soumis à l’examen qu’auraient dû faire les juges précédents »[12].

 

EN  FAIT

 

  1. La première sentence rotale (2° instance de la cause. Expertise du Pr Callieri)

 

  1. Dans la cause présente du Guatemala, contre la conclusion de la première sentence, qui a déclaré que chacune des parties, et surtout le demandeur, a manqué de la nécessaire discretio judicii pour contracter validement le mariage, « lui qui souffrait d’un manque de maturité sociale, émotionnelle, morale et religieuse », et qui était affecté d’un grave défaut de discretio judicii « pour émettre validement son consentement matrimonial, avec le but de constituer un mariage valide devant l’Eglise, à cause de l’absence des éléments fondamentaux de ce consentement », la première sentence rotale a estimé « qu’il manquait l’indispensable présupposé juridique pour déclarer la nullité, en ce que, en réalité, il ne semblait pas dans la cause présente s’agir d’un grave défaut de discretio judicii de la part de l’épouse partie appelée ou du mari demandeur, mais plutôt de leur incompatibilité de caractère, de tempérament ou d’esprit, et de personnalité ».

 

La première sentence rotale redit « que dans le cas présent il n’y a pas d’argument juridiquement valide », persuadée que « les parties en cause ont toujours joui d’une bonne santé physique et psychique », que les relations prénuptiales ont été bonnes, normales, soutenues par un vif amour, que l’échec du mariage n’est pas arrivé en raison de l’incapacité psychique des conjoints, mais « en raison d’une façon différente d’agir et de se conduire des parties en cause et à cause de l’infidélité du mari ».

 

Bref, selon la première sentence rotale, on ne peut pas parler de défaut de discretio judicii de la part de l’une ou l’autre des parties, ou des deux parce qu’« il n’y a aucune allusion à une anomalie psychique grave et antécédente, et qu’aucune circonstance spéciale probante n’est remarquée ».

 

Ainsi en a déclaré et décidé la première sentence rotale, non seulement persuadée que personne parmi les témoins n’a affirmé que « les parties en cause étaient affectées ou souffraient d’un grave défaut de discretio judicii », mais qui s’oppose à la conclusion du professeur Callieri selon lequel chacune des parties, au moment de la célébration du mariage, présentait « de nombreux traits d’immaturité affective », ou « une immaturité affective marquée », qui « a influé profondément, de façon négative, sur la consistance du consentement matrimonial qui en est restée radicalement affectée ».

 

Bref, ces « traits d’immaturité », selon les Pères du premier Tour Rotal, ne pouvaient pas être mis sur le même plan qu’une grave immaturité psychique et donc prouver « l’existence d’un véritable défaut de discretio judicii chez l’une ou l’autre partie ».

 

  1. La deuxième sentence rotale (3° instance dans la cause. Expertises, en
    premier lieu, par un psychiatre du Guatemala, puis à Rome, par le
    Professeur Tonali

 

  1. Les arguments développés par la première sentence rotale ont été repris par la deuxième sentence rotale, pour laquelle, en l’occurrence, il s’agit « d’une banale impression d’immaturité, non fondée sur des critères scientifiques, et absolument pas, de toute façon, de quelque immaturité grave, psychique, ou affective. Il s’agit en fait d’un état d’irresponsabilité, qui cependant n’a rien à voir avec un état maladif ». « Et c’est pourquoi, même s’il y a certains éléments et états qui font penser à l’immaturité, ils restent de peu d’importance et de faible impact sur l’incapacité de discretio des parties ».

 

Ainsi la seconde instance rotale a estimé qu’il fallait rejeter d’une part le diagnostic « d’immaturité affective marquée » établi sur les parties par le Professeur Callieri, parce que celui-ci « n’a même pas justifié ses conclusions de façon scientifique », et d’autre part les conclusions de l’autre expert, celui du Guatemala, qui, de même, « a fondé son rapport sur l’immaturité du mari et sa dépendance vis-à-vis de sa mère », et qui, pour ces raisons, a estimé que le demandeur avait été incapable d’assumer les obligations conjugales « parce que sa maturité psychoaffective était sérieusement affectée par les facteurs déjà décrits avec antériorité ».

 

Le Professeur Tonali (qui a effectué une expertise après que l’expert du Guatemala a fait la sienne sur demande du ponent du 2° Tour rotal) pense aussi qu’il faut rejeter le diagnostic de l’expert du Guatemala, car il est persuadé que ce diagnostic « représente la tentative de fournir une explication en clé psychodynamique au présent – mais non démontré – manque de maturité psychoaffective du demandeur, relié à une dépendance pathologique, absolument pas documentée, vis-à-vis de la figure maternelle, et à un refus non démontré de la figure paternelle ».

 

De là, la sentence du 2° Tour Rotal affirme, avec le Professeur Tonali, qu’il n’y a eu aucune immaturité psychique des parties.

 

  1. La troisième sentence rotale (4° inst. dans la cause. Expertise du Prof. Testa)

 

  1. Après tant d’efforts pour établir le véritable état psychique du mari demandeur au cours de sa vie, le Professeur Testa a fait une nouvelle expertise, exposée de façon très scientifique dans ses conclusions. En effet, procédant autrement que les professeurs Callieri et Tonali, le Professeur Testa a fait une évaluation critique des expertises déjà réalisées, en ajoutant des études, des faits et des arguments grâce auxquels elle a pu affirmer fermement et en toute certitude (ce qui en psychiatrie ne se fait pas souvent à la perfection !), selon les critères du célèbre DSM-IV, que le mari demandeur souffrait indubitablement d’immaturité psychoaffective et donc de défaut de discretio judicii ou, plus justement, d’un manque de liberté interne au moment où il a donné son consentement matrimonial ; et cela d’autant plus que jusqu’à aujourd’hui le mari « conserve de tels éléments caractériologiques […] à cause d’une carence de maturation de la sphère psychoaffective […] avec un trouble de type narcissique, avec des traits obsessifs compulsifs ».

 

L’expert en effet, non seulement a considéré à l’aide de son art les actions et les comportements passés du demandeur pour établir son immaturité psychoaffective, mais elle a indiqué les manifestations de cette immaturité, c’est-à-dire les conséquences malheureuses dans la constante façon de se conduire du mari.

 

Et comme cela dépasse les termes des expertises et des sentences précédentes, les Pères soussignés sont d’avis qu’il y a là un argument nouveau et grave, qui permet la concession d’une nouvelle audience, pourvu que celle-ci concerne le chef de manque de discretio judicii de la part du demandeur, et qui aide dans l’examen des données de la cause pour porter un jugement sur le fond de l’affaire.

 

Rien et aucun nouvel argument ne se trouve dans les actes pour le chef de manque de discretio judicii chez l’épouse partie appelée.

 

 

SECONDE  PARTIE.  LE  DÉFAUT  DE  DISCRETIO  JUDICII

 

 

  1. En vertu du c. 1095 « sont incapables de contracter mariage les personnes :

 

1° qui n’ont pas l’usage suffisant de la raison ;

 

2° qui souffrent d’un grave défaut de discretio judicii concernant les droits et les devoirs essentiels du mariage à donner et à recevoir mutuellement ;

 

3° qui pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage ».

 

Au don-acceptation personnel dans la constitution de la conjugalité par le consentement conjugal, ou, si l’on préfère, au consentement qui peut réaliser le don-acceptation de ceux qui se marient, fait obstacle en effet l’incapacité des contractants.

 

 

  1. Le don-acceptation réciproque et la capacité psychique

 

Dans la mesure en effet où il peut y avoir le véritable don de soi-même dans la constitution de la vie commune dans une relation duelle, et pareillement l’acceptation de l’autre si nécessaire pour que soit réellement présente la véritable communauté de vie et d’amour conjugal, dans cette mesure, outre l’aptitude physique, il y a surtout, chez chacun des contractants, la capacité psychique.

 

Comme le dit une sentence c. Turnaturi, du 10 mai 2001, « Dans ce contexte la capacité psychique de ceux qui se marient se réfère avant tout à la conjugalité, c’est-à-dire à cette habilité à se donner soi-même et à accepter l’autre comme conjoint, et cette capacité chez ceux qui se marient demande, au moment de l’établissement ou de la célébration du mariage, un usage suffisant de la raison pour émettre un consentement par un acte humain conscient et libre ; elle demande aussi la nécessaire discretio judicii pour estimer les droits et les devoirs conjugaux essentiels à donner et à recevoir mutuellement ; elle demande encore l’aptitude à assumer et à remplir les obligations essentielles du mariage »[13].

 

  1. Comme on le lit dans une sentence c. Defilippi du 16 novembre 2006, les éléments suivants sont requis chez celui qui se marie :

« a. Sous l’aspect intellectif, il est nécessaire de connaître la substance du mariage, au moins comme communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation d’enfants par quelque coopération sexuelle (c. 1096 § 1) ;

  1. Sous l’aspect estimatif, sont postulées une évaluation pratique de la valeur substantielle du mariage, c’est-à-dire des droits-devoirs essentiels de ce mariage, et l’estimation des motifs qui d’une part poussent à contracter mariage et qui d’autre part en dissuadent ;
  2. Sous l’aspect électif est exigée la puissance ou liberté intrinsèque pour délibérer et décider au sujet du mariage à contracter concrètement, avec une subordination suffisante à la raison des pulsions intérieures »[14].

 

Ces éléments peuvent parfois faire défaut en raison de dysfonctionnements de la sphère intellective, ou volitive, ou de la sphère de l’émotivité affective du sujet.

 

  1. La gravité du défaut de discretio judicii

 

  1. Ce n’est pas cependant n’importe quel défaut de discretio judicii du contractant qui entraîne l’incapacité et la nullité du mariage, mais celui seulement qui est grave et qui se rapporte aux droits-devoirs essentiels du mariage à donner et recevoir mutuellement.

 

Cette « gravité du défaut de discretio judicii est à évaluer d’une part dans l’ordre objectif, c’est-à-dire compte tenu de la gravité des droits-devoirs essentiels du mariage avec lesquels l’activité intellective, volitive et affective de celui qui se marie doit garder une nécessaire proportion, et d’autre part dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire compte tenu de l’activité gravement perturbée des facultés psychiques, qui concourent substantiellement à la formation de la discretio judicii », c’est-à-dire que cette gravité est à évaluer « dans la lésion substantielle de l’activité intellective dans l’exercice de la faculté cognoscitive, critique ou estimative, et dans la lésion de l’activité volitive dans l’exercice de la faculté élective »[15].

 

On ne peut en effet déduire le défaut de discretio judicii, dans ce genre de cause, que s’il est prouvé que cela est arrivé en raison d’une anomalie psychique ou d’une véritable immaturité qui empêchent l’exercice correct de la faculté de discretio et de la faculté de volition sur l’état matrimonial à embrasser et sur les droits-devoirs essentiellement connexes par nature à cet état qui, à coup sûr, dans leur accomplissement, c’est-à-dire dans le mariage in facto esse, le mariage-état de vie, comportent un auto-sacrifice, c’est-à-dire une donation personnelle.

 

  1. Le narcissisme

 

  1. Nature du narcissisme

 

  1. Parmi les causes de nature psychique qui font obstacle au don-acceptation conjugal des contractants, c’est-à-dire à leur capacité psychique, en ce qui concerne soit la discretio judicii, soit la capacité d’assumer les obligations du mariage, la Jurisprudence rotale a souvent reconnu l’importance de l’immaturité psychique ou du narcissisme, étant donné que le narcissisme, « par ses caractéristiques propres, indique une rétention ou une régression de la personnalité avant la maturité, surtout affective et émotionnelle, et cette importance reconnue par la Jurisprudence vient du fait que le narcissisme a un très grand rapport avec la communauté conjugale et, en raison de signes particuliers dans la conduite du sujet, avec les droits et devoirs conjugaux, pour qu’ils soient bien remplis : il surviendra une propension pressante et invincible par laquelle la cohabitation, surtout dans le domaine intime, est mal supportée et affecte le partenaire par la façon très dure de se comporter du sujet, celui-ci ne se souciant pas des demandes légitimes de son conjoint et réclamant pour les siennes, même fictives, et sans la moindre considération pour le partenaire, une attention sans limites »[16].

 

La décision c. Stankiewicz du 24 février 1994, après avoir cité une abondante doctrine, tient que « dans la forme grave de cette perturbation on peut dès lors sans aucun doute reconnaître un défaut de capacité critique ou estimative et un défaut de liberté interne en ce qui concerne la personne du partenaire et les droits-devoirs essentiels du mariage, et surtout une incapacité d’instaurer la relation interpersonnelle de communauté de vie et d’amour conjugal »[17].

 

  1. Arrivée précoce du narcissisme dans l’évaluation psychique

 

  1. « En ce qui concerne l’existence de cette perturbation avant le mariage il est à noter comment les auteurs caractérisent sans hésitation son arrivée précoce dans l’évolution psychique (‘âge adulte précoce’). Il ne serait sans doute pas sans raison de remarquer que l’adolescence – et de là l’immaturité – est une époque de l’âge très favorable à ce que ce désir d’affirmation de la personne éclate avec les rêves de vanité qui, se fondant en un seul mouvement, exaltent l’estimation de soi et l’enfermement psychique dans la contemplation de soi-même. C’est pourquoi rien ne serait un désordre pathologique sans le signe d’une adolescence anormale et d’un sursis de l’immaturité qui se découvre plus facilement dans le syndrome narcissique »[18].

 

  1. Conséquences du narcissisme

 

« Si un tel état se prolonge à l’âge adulte, alors le sujet devient incapable d’instaurer des relations interpersonnelles significatives »[19].

« Dans le narcissisme en effet peut se trouver une immaturité psychique, qui empêche d’assumer les obligations essentielles du mariage et de constituer et de conduire cette relation interpersonnelle[20] »[21].

 

Dans le cas de celui qui se marie en étant affecté de narcissisme, « la relation ne s’établit plus entre le sujet et l’objet, mais entre l’image exagérée et primitive de lui-même et la projection de son image pathologique sur les objets, de telle sorte que la véritable relation est seulement entre Soi et Soi, avec une carence de la relation interpersonnelle »[22].

 

  1. Comme on le lit en effet dans une sentence c. Serrano du 11 avril 1997, « ce qui est en vigueur chez les narcissiques tout comme dans des désordres d’autres genres, c’est une sorte d’orientation dans un sens unique, à savoir cet Ego exalté et recherché au-delà du normal, tout autre étant négligé et abandonné ; il y a nécessairement de ce fait une diminution de cette liberté substantielle qui donne avant tout à un être humain de se déterminer lui-même et en ce qui le concerne. Ce défaut de liberté – ce qu’on appelle habituellement un défaut de liberté interne – fait sans aucun doute obstacle à la maîtrise sur soi-même par laquelle, déjà à partir de l’émission du consentement, quelqu’un doit se donner lui-même et en vérité, dans la liberté appropriée à pareille matière, entrer dans l’alliance conjugale. Mais elle fait encore plus obstacle à cette relation de droit et de devoir, qui constitue la charge substantielle première du mariage ; si fait défaut toute cette disposition d’esprit par laquelle une personne se reconnaît et est de fait soumise à l’autre, comment cette personne peut-elle accepter les obligations ultérieures qui ne sont rien d’autre que ses déterminations originelles précises, distinctes et existentielles ? Ceci d’autant plus dans le mariage où ceux qui s’épousent font un pacte qui ne concerne que leur personne et ce qui relève de leur personne, et cela pour une communion de toute la vie »[23].

 

  1. Le rôle des experts

 

  1. Comme cependant les manifestations psychotiques et parfois l’insolite conduite de l’homme sont variées et diverses, il est clair que le recours aux experts est non seulement utile mais nécessaire, recours que la loi canonique demande expressément dans ce genre de causes (c. 1680). Les experts, à partir de leur analyse approfondie des actes et des documents, et, le cas échéant, de l’examen médical de la partie ou des parties, ainsi que d’irréprochables psychodiagnostics, doivent informer le juge sur la nature, l’origine et la gravité de l’état psychique du sujet ainsi que sur la présence de cet état au moment de la célébration du mariage.

 

Les experts, dans l’esprit du c. 1578 § 2, « doivent indiquer clairement […] par quelle voie et par quelle méthode ils ont procédé dans l’exécution de la mission qui leur a été confiée, et principalement sur quels arguments ils appuient leurs conclusions ».

 

  1. Le juge doit en particulier demander aux experts, selon l’article 209 de Dignitas Connubii :

« 1° dans les causes pour défaut d’usage de la raison, […] si au moment de la célébration du mariage cette anomalie perturbait gravement l’usage de la raison ; avec quelle intensité et à quels indices elle se révélait ;

2° dans les causes pour défaut de discernement, […] quel a été l’effet de l’anomalie sur la faculté critique et élective de prendre des décisions importantes, particulièrement pour choisir librement un état de vie ;

3° enfin dans les causes pour incapacité à assumer les obligations essentielles du mariage, […] quelle est la nature et la gravité du fondement psychique à cause duquel la partie n’est pas seulement affectée d’une grave difficulté, mais aussi d’une impossibilité à accomplir les actions inhérentes aux obligations du mariage. »

 

Comme il est bien dit dans une sentence c. Defilippi, « dans les causes de ce genre, quand il n’y a pas de certificats médicaux sur la définition de la grave perturbation du sujet dont il est question, on ne peut que difficilement penser à une déclaration de nullité, en négligeant la prescription du c. 1680 cité sur la nécessité de recourir à l’aide d’un expert psychiatre ou psychologue […] »[24].

 

  1. Comme le fait justement remarquer une sentence c. Serrano du 21 octobre 1988, « L’appui des experts sert à rendre transparente à la raison et à la conscience des juges, la vérité des situations difficiles à comprendre. Mais si, démuni d’arguments solides, on en reste à la difficulté de la situation – soit sous l’aspect d’une impossibilité de parvenir à une plus grande intelligibilité, soit par le fait d’admettre des faits ou une interprétation de ceux-ci qui ne corresponde pas à la voie de la procédure -, je ne sais pas comment la sentence pourrait avoir la certitude morale qui est nécessaire pour la décision (canon 1608 § 1). Aussi, sans nier que dans ces cas, il y a plus d’un élément difficile qui reçoit une explication, c’est à ce propos précisément qu’est utile dans le jugement l’intervention des experts qui, selon leurs possibilités, vont au nœud de pareilles difficultés et cela, en vérité, dans la sainte observance des règles les plus générales de notre droit ou de la ligne canonique judiciaire »[25].

 

 

EN  FAIT  (résumé)

 

Compte tenu des conclusions de la dernière expertise, celle du Professeur Testa, il est clair que le demandeur souffrait, dès sa jeunesse, d’une immaturité psychoaffective avec des aspects narcissiques, et que les conséquences de cet état sont toujours présentes.

 

Georges, d’origine arabe, n’était pas accepté au Guatemala par les gens qu’il rencontrait et il s’est alors replié sur lui-même, sur ses propres capacités, et il s’est coupé de tout entourage, au point d’être incapable d’une relation interpersonnelle.

 

Le Professeur l’a soumis à des tests (DAP 22), qui ont montré chez lui « un trouble évident de la structure de la personnalité, consistant dans une très grave immaturité affective émotionnelle qui posait beaucoup de problèmes comportementaux et de relation interpersonnelle ».

 

Il est inutile de reproduire ici les déclarations de l’expert, qui se répètent et aboutissent toujours à une immaturité et à un narcissisme privant le sujet d’une véritable liberté intérieure.

 

L’expertise du Professeur Testa confirme les conclusions du Professeur Callieri et infirme l’argumentation des deux sentences rotales précédentes.

Quant aux témoins, il suffit de citer les déclarations de deux prêtres qui estiment tous deux que les deux parties n’avaient pas la maturité nécessaire pour se marier, et qui, à la question : « Si l’on vous avait demandé de célébrer le mariage des deux jeunes gens, auriez-vous accepté ou refusé ? », répondent à l’unisson : « J’aurais refusé ».

 

 

Une nouvelle présentation de la cause est concédée

 

 

Constat de nullité pour

défaut de discretio judicii

de la part du mari demandeur

 

 

Egidio TURNATURI, ponent

Maurice MONIER

Pio Vito PINTO

 

__________

 

 

[1] C. COLAGIOVANNI, décret du 16 juillet 1985, RRDecr, vol. III, p. 203, n. 5

[2] C. STANKIEWICZ, 26 avril 1990, RRDecr, vol. VIII, p. 82, n. 6

[3] DIGNITAS CONNUBII, art. 292 § 2

[4] C. FUNGHINI, 18 février 1987, RRDecr, vol. V, p. 25, n. 4

[5] Cf. c. EWERS, 26 juillet 1975, SRRDec, vol. LXVII, p. 527, n. 3

[6] C. POMPEDDA, 6 décembre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 837, n. 9

[7] C. BRUNO, 12 mars 1993, inédite, n. 2

[8] C. MATTIOLI, 13 mai 1953, SRRDec, vol. XLV, p. 340, n. 8 ; cf. c. POMPEDDA, 2 mars 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 127, n. 7, et 6 décembre 1990, SRRDec, vol. LXXXII, p. 836, n. 4 ; c. HUBER, 3 juin 1994, RRDecr, vol. XII, p. 130, n. 8, et 26 juillet 1994, RRDecr, vol. XII, p. 165, n. 6

[9] DIGNITAS CONNUBII, art. 292 § 1

[10] C. FUNGHINI, 6 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 247, n. 4

[11] C. JULLIEN, 16 octobre 1948, SRRDec, vol. XL, p. 354, n. 2

[12] C. FELICI, 15 décembre 1949, SRRDec, vol. XLI, p. 541, n. 2

[13] C. TURNATURI, 10 mai 2001, SRRDec, vol. XCIII, n. 9

[14] C. DEFILIPPI, 16 novembre 2006, SRRDec, vol. XCVIII, n. 5

[15] C. STANKIEWICZ, 28 mai 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 345, n. 6. Cf. c. COLAGIOVANNI, 31 mai 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 271, n. 5

[16] C. SERRANO, 18 février 1983, inédite ; cf. c. SERRANO, 21 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 531, n. 12 ; c. EGAN, 29 mars 1984, SRRDec, vol. LXXVI, p. 206, n. 6 ; c. FIORE, 30 mai 1987, SRRDec, vol. LXXIX, p. 348 ; c. DORAN, 6 juillet 1989, SRRDec, vol. LXXXI, p. 496, n. 26 ; c. COLAGIOVANNI, 20 mars 1991, SRRDec, vol. LXXXIII, p. 175

[17] C. STANKIEWICZ, 24 février 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 116, n. 2 ; c. STANKIEWICZ, 27 mars 1998, SRRDec, vol. XC, p. 289, n. 14

[18] C. SERRANO, 27 octobre 1999, SRRDec, vol. XCI, p. 620, n. 5

[19] C. COLAGIOVANNI, 28 mai 1994, SRRDec, vol. LXXXVI, p. 264, n. 11

[20] Cf. R.J. SANSON, Narcisistic Personality Disorder : Possible Effects on the Validity of Marital Consent, dans MONITOR ECCLESIASTICUS, 112, 1988, p. 541-581

[21] C. LOPEZ-ILLANA, 17 décembre 1998, SRRDec, vol. XC, p. 890, n. 22

[22] G. VERSALDI, Via et ratio introducendi integram notionem christianam sexualitatis humanae in categorias canonicas, Periodica 75, 1986, p. 429

[23] C. SERRANO, 11 avril 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 268, n. 5

[24] Décret du 12 mai 2005, n. 6

[25] C. SERRANO, 21 octobre 1988, SRRDec, vol. LXXX, p. 524, n. 14

À propos de l’auteur

Yves Alain administrator

Je suis un homme ordinaire, évoluant d'une posture de sachant à celle de sage. La vie m'a donné de nombreux privilèges : français, catholique, marié, père de six enfants, grand-père, ingénieur polytechnicien, canoniste, médiateur, coach, écrivain et chef d'entreprise (https://energeTIC.fr) Il me faut les lâcher peu à peu pour trouver l'essentiel. Dans cette quête, j'ai besoin de Dieu, de la nature et peut-être de vous.