Coram SCIACCA
Erreur déterminante sur les propriétés essentielles du mariage
Baltimore (USA) – 18 décembre 2009
P.N. 20.607
Non Constat
__________
PLAN DE L’IN JURE
- La concordance entre le c. 1084 CIC 1917 et le c. 1099 CIC 1983
- L’erreur et la volonté d’exclusion
- L’erreur qui détermine la volonté
- Le bien des conjoints
__________
EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Steve M., âgé de 21 ans, épouse le 26 juin 1978 Kimberly B., d’un an sa cadette. Le mariage dure 25 ans, trois enfants naissent au foyer, mais la vie conjugale est rompue en 2003, le mari ayant une maîtresse et quittant sa femme. Le divorce est prononcé le 22 juillet 2004 et Steve se remarie civilement.
Par un libelle du 10 février 2005, Steve demande au Tribunal ecclésiastique de Baltimore la déclaration de nullité de son mariage pour exclusion du bien de la fidélité et de celui de l’indissolubilité, de sa part ou de la part des deux conjoints, ainsi que pour une erreur de droit, que le Tribunal précise, dans le doute concordé du 27 mars 2006, sous la formule : erreur concernant les biens du mariage (c. 1099) de la part de l’une des parties ou des deux.
La sentence du 21 mai 2007 est négative. Le mari en appelle à la Rote, et le Tour Rotal répond aujourd’hui au doute concordé sous le chef d’« erreur déterminant la volonté sur les propriétés essentielles du mariage de la part de l’une des parties ou des deux, selon le c. 1099 CIC ».
* * *
EN DROIT
- La concordance entre le c. 1084 CIC 1917 et le c. 1089 CIC 1983
- Il suffit ici de rappeler le c. 1099, qui s’accorde pleinement avec le c. 1084 de l’ancien code, sous le régime duquel a été célébré le mariage en cause.
Dans le c. 1084 du Code pio-bénédictin il était question de simple erreur, tandis que dans le c. 1099 l’adjectif « simple » a été remplacé par l’expression « pourvu qu’elle ne détermine pas la volonté ». C’est pourquoi les deux canons s’accordent substantiellement.
« En vérité la même Commission (pour l’interprétation du Code) – affirme clairement Mgr Pompedda – a déclaré dès le début que la modification apportée ne devait pas ni ne voulait pas signifier autre chose que ce que l’interprétation commune donnait de l’ancien c. 1084 »[1].
- L’erreur et la volonté d’exclusion
- Nous savons bien qu’on ne peut pas confondre la volonté d’exclure un élément essentiel du mariage avec une erreur de droit sur un élément essentiel ou une propriété essentielle du mariage : par exemple, on ne peut pas confondre une opinion erronée sur la solubilité du mariage avec le consentement matrimonial lui-même.
L’erreur, donc, ne peut pas irriter la validité du mariage, à moins qu’elle ne soit liée à l’acte même de volonté d’exclusion de son propre mariage, et cela au moment même de la formation du consentement, c’est-à-dire à moins que l’erreur soit si enracinée et obstinée qu’elle détermine la volonté.
- L’erreur qui détermine la volonté
- Mais avant tout il faut démontrer qu’une telle erreur, en réalité, à savoir une erreur sur un élément essentiel ou une propriété essentielle du mariage, s’est trouvée radicalement et de façon obstinée dans l’esprit du contractant, et cela en vertu de diverses causes, qui doivent être prouvées, comme l’éducation, l’adhésion à des doctrines ou des idées hostiles à la vision chrétienne etc. Ensuite, et de façon très stricte, il faut prouver que l’erreur, profondément structurée dans l’esprit du contractant, est passée de la sphère de l’intelligence à celle de la volonté, pour la déterminer quasi nécessairement.
- Bref, que l’esprit du contractant ait été imbu d’idées erronées sur la nature du mariage ne permet pas de conclure immédiatement que le mariage a été célébré selon ces mêmes idées. Bien que l’esprit soit dans l’erreur, en effet, la volonté a pu contracter mariage selon les enseignements véritables et communs au sujet du mariage.
De soi, déclare d’Annibale, « notre estimation fausse ne change pas la vérité de la chose ».
- Le bien des conjoints
- En ce qui concerne ce qu’on appelle le bien des conjoints – au sujet duquel notre demandeur, avec témérité, tient que l’épouse partie appelée et lui-même ont commis une erreur – il faut dire brièvement – sous peine de tomber dans des élucubrations vaines, académiques, inutiles et même dommageables – qu’il enveloppe les biens qu’on appelle « augustiniens » et qu’il se réalise par ceux-ci, c’est-à-dire qu’il comprend les biens de la fidélité et de l’indissolubilité, en tant qu’éléments essentiels du mariage, ainsi que l’acceptation et la génération d’enfants, comme la fin à laquelle est ordonné le mariage, génération à accomplir par une union charnelle réalisée de façon humaine, et l’éducation des enfants.
- En d’autres termes, ce complexe des biens comporte logiquement le bien des conjoints, dont parle le c. 1055 § 1, qui peut et doit être lié, enfin, aux obligations essentielles du mariage, qui permettent que s’instaure entre les époux une communauté perpétuelle de toute la vie, par le don mutuel de soi, de la part de chacun des époux, pour réaliser une seule chair.
« La mesure juridique de ces biens, qui appartiennent essentiellement à ces droits-devoirs (c’est-à-dire à ceux du bien des conjoints), est à placer dans les seuls trois biens augustiniens. Juridiquement parlant, le bien des conjoints ne crée aucun autre droit-devoir »[2].
EN FAIT (résumé)
- La sentence de première instance
La sentence de 1° instance avait noté de façon juste que l’examen des Actes n’apportait pas une preuve suffisante de l’existence d’une erreur des parties sur la loi, concernant la nature du mariage comme une communauté de toute la vie, ainsi qu’une erreur sur les biens du mariage.
- Le demandeur
En effet, pendant la période des fiançailles il n’y a jamais eu de désaccord entre les parties sur l’essentiel de leur conception du mariage. Le demandeur lui-même, dès son libelle introductoire, avait déclaré que Kimberly et lui savaient ce qu’était le mariage et connaissaient la nécessité de la maturité pour prendre la décision de se marier : « Nous pensions que le mariage est une communauté de vie et pour toute la vie […]. Pour nous, les enfants étaient importants […]. Nous souhaitions une grande famille ».
Où, demandent les Juges soussignés, y a-t-il une erreur ?
- L’épouse partie appelée
L’épouse partie appelée, de son côté, affirme : « Je me suis mariée parce que j’aimais Steve, qui avait la même religion que moi, une famille semblable à la mienne […]. Nous avions tous les deux le sens de la responsabilité et nous voulions un mariage sérieux […]. Le mariage est l’union de deux personnes pour former une unité pour la vie […]. C’est une union bénie par Dieu et sanctionnée par l’Eglise, nos familles et notre communauté ». La déposition de l’épouse est un rappel des vérités chrétiennes sur le mariage, et une adhésion sincère et pleine de maturité à celles-ci.
Il est évident qu’on doit exclure toute espèce d’erreur de la part de l’épouse, comme l’avait déjà reconnu la sentence du Tribunal de Baltimore.
Avant le mariage, de plus, les fiancés avaient participé à une session de préparation au mariage.
Que pouvons-nous ajouter ?
- Les témoins
Les témoins n’ont eu des rapports avec les parties qu’après leur mariage. L’un d’eux, interrogé par le juge sur la conception qu’avaient eue les parties, avant leur mariage, sur le bien des enfants, le bien de la fidélité, l’indissolubilité du lien, a répondu sans hésitation : « Pour eux, c’était très important ».
Un autre témoin, interrogé sur la question des enfants, a répondu lui aussi que pour eux, ceci était très important.
D’autres personnes apportent au juge le même témoignage.
- Pas d’erreur sur la nature du mariage
En conclusion, les Juges soussignés font leur la conviction du Tribunal de 1° instance : « Conformément aux preuves qui ont été présentées, les parties semblent avoir joui d’une aptitude interpersonnelle innée et de la maturité nécessaire, au moment de leur consentement, pour évaluer la nature exacte de l’intime relation interpersonnelle qu’est la communauté de toute la vie ».
- L’erreur, si elle avait existé, n’aurait pas été déterminante
De plus il est évident que, si erreur il y avait eu chez le mari, elle ne serait pas passée de la sphère de l’intelligence à celle de la volonté, ce qui serait nécessaire pour irriter le consentement : le mari a déclaré que Kimberly et lui connaissaient et acceptaient l’indissolubilité du mariage ; Steve n’a jamais parlé d’erreur déterminante ; le mariage a duré 25 ans ; tous les témoins confirment la volonté de contracter mariage qu’avaient les époux au moment où ils échangeaient leur consentement ; l’échec du mariage est dû à des difficultés survenues longtemps après la célébration de ce mariage.
Non constat de nullitate
pour erreur déterminant la volonté
sur les propriétés essentielles du mariage,
de la part de chacune des parties
Giuseppe SCIACCA, ponent
Giovanni VERGINELLI
Agostino DE ANGELIS
__________
[1] M.F. POMPEDDA, Studi di diritto matrimoniale, p. 233-234
[2] C. BURKE, 26 novembre 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 584, n. 15
À propos de l’auteur