Chère Sylvie,
En comparaison à la crise du début de notre mariage, l’annonce du grave handicap de notre fils aîné Clément a été peu de chose et, aussi étonnement que cela puisse paraître, cette épreuve nous a rapprochés : malgré son manque presque total d’autonomie, il est une joie pour notre famille. Je te remercie de bien t’en occuper.
Durant notre mariage, nous avons vécu des grands moments de tension. Souvent j’étais triste de constater ou d’imaginer que tu ne m’aimais pas, quand je voyais la maison en désordre, les repas en retard ou les vêtements sales entassés. Toi-même me reprochais de consacrer trop d’énergie à mon travail ou de te presser pour faire les choses, au lieu de t’accorder de l’attention et de t’aider. Alors, je faisais la sourde oreille à tes reproches, et parfois, je restais des jours sans te parler, perdant l’espoir de communiquer avec toi, tant nos antagonismes étaient forts.
Souvent, tu retrouvais le calme en fréquentant nos amis qui t’apportaient une bouffée d’air. Moi-même, j’ai choisi un métier qui me permettait de voyager et je me suis formé à la transformation constructive des conflits. Finalement, un peu de distance entre nous a contribué à apaiser nos tensions.
J’ai peu à peu entendu ton appel au secours, quand tu me répétais que notre couple sombrait dans une sorte de cohabitation pacifique, où l’amour avait de moins en moins de place.
Alors que je travaillais à ce livre, je t’ai proposé un week-end « Vivre et Aimer » et tu as accepté. Très rapidement, les trois couples animateurs nous ont demandé de nous écrire l’un à l’autre, en commençant par nous remercier pour une qualité que l’autre a montrée dans la semaine. Je t’avoue avoir eu du mal à en trouver, tant j’avais de revendications contre toi. En deux jours, nous nous sommes écrit six ou sept lettres, un peu comme celle-ci, reconnaissant nos parts de responsabilité, exprimant notre gratitude, nos émotions, nos sentiments et nos besoins face à telle ou telle situation[1]. A la fin du week-end, j’avais oublié toutes mes revendications.
Depuis lors j’ai constaté que notre dialogue d’époux était entré dans une nouvelle phase, et j’ai l’espoir que notre meilleure entente aura un impact positif sur nos enfants.
En cette rencontre si ordinaire
en ces instants où passe entre nous le courant
quand nos mains se recherchent
quand notre sang réchauffe
le coeur qui bat plus vite à l’appel de son nom
je ne peux pas dire ce qui se passe
il semble que tout soit bien simple et limité dans le soir
où comme deux aveugles nous cherchons le corps
qui nous indique l’âme et son chant son appel
il semble que tout passe et presque rien ne bouge
en nos sentiments éloignés
et pourtant sans trop qu’on y pense
et sans le comprendre ou le calculer
tout à coup voici que la paix nous vient
et que nous nous sommes donnés
quelque chose de notre lien
est venu nous parler au coeur
en un lieu intérieur au-delà de ces mot
qui sont si rares et si pauvres
un état de grâce tout doucement
s’insinue en nous comme une eau profonde
tout à coup voilà
le coeur est touché.
poème, Sylvie Ducass
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[1] Cf. exemples de lettres au § 1.3.6. e. « Face au numérique »
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