Coram PINTO
Exclusion du bien du sacrement
Tribunal régional des Abruzzes – 27 mars 2009
P.N. 19.934
Constat de nullité
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PLAN DE L’IN JURE
- Note sur l’incompatibilité de caractère et sur les incapacités relatives
- Le canon 1101 § 1 et 2
- L’indissolubilité : droit et exercice du droit
- Amour et consentement
- Simulation totale et simulation partielle
- Diverses causes de l’exclusion de l’indissolubilité
- La preuve de la simulation
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EXPOSÉ DES FAITS (résumé)
Bruno R., demandeur en la cause, épouse Titti G., partie appelée, le 9 octobre 1976. Une fille naît au foyer le 10 septembre 1977.
Petit à petit leur communauté de vie se dégrade et elle prend fin lorsque Bruno découvre que sa femme a une relation extraconjugale. Les époux se séparent en 1988 et le divorce est prononcé le 19 juin 1992.
Le 27 octobre 1998 Bruno adresse un libelle au Tribunal régional des Abruzzes, demandant la déclaration de nullité de son mariage pour exclusion de l’indissolubilité de sa part. L’épouse ne s’oppose pas à cette requête mais elle refuse de comparaître ensuite devant le Tribunal et elle est déclarée absente du jugement. La sentence du 18 janvier 2002 est négative. En appel toutefois, le Tribunal de seconde instance, le 28 février 2006, reconnaît la nullité du mariage.
Il Nous faut répondre aujourd’hui au doute concordé le 14 décembre 2006 : « La preuve est-elle rapportée que le mariage en cause est nul pour exclusion du bien du sacrement de la part du mari demandeur, en application du c. 1101 § 2 ? »
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EN DROIT
- Note sur l’incompatibilité de caractère et sur les incapacités relatives
Il est bien connu que face à la conception actuelle du mariage, de jour en jour plus néfaste, la Jurisprudence de Notre For, selon son important devoir, a lutté vigoureusement et lutte inébranlablement pour défendre la vision surnaturelle transcendante du mariage, que le Dieu Créateur a inscrite dans la nature humaine elle-même et que le Christ Rédempteur a élevée à une dignité plus grande. La simple différence des caractères, donc, qu’on appelle couramment « l’incompatibilité de caractère », ne pourra jamais être prise par l’Eglise comme un chef légitime de nullité : cela est hors des pouvoirs de l’Eglise. De même, des deux incapacités relatives réduites il ne résulte pas une incapacité de consentir de l’un et l’autre, ou de l’un ou l’autre des conjoints, étant donné que l’incapacité n’admet pas de degré et qu’elle ne devient pas grave par l’addition des degrés légers de chaque personne des conjoints.
- Le canon 1101 § 1 et 2
On comprend bien ensuite, si l’on considère la faveur du droit dont jouit le mariage (c. 1060), les règles du c. 1101 § 1 et 2 :
– « Le consentement intérieur est présumé conforme aux paroles et aux signes employés dans la célébration du mariage ».
– « Cependant, si l’une ou l’autre partie, ou les deux, par un acte positif de la volonté, excluent le mariage lui-même, ou un de ses éléments essentiels ou une de ses propriétés essentielles, elles contractent invalidement ».
C’est pourquoi celui qui, dans la célébration du mariage, émet un consentement externe, mais par un acte positif de la volonté exclut, en son for intérieur, une propriété essentielle du mariage, c’est-à-dire l’indissolubilité, en se réservant le droit d’user du divorce, contracte certainement de façon invalide (cf. c. 1101 § 2).
Les contractants qui simulent nient donc la mutuelle donation-acceptation entre époux, puisque leur consentement est une simulacre vide, et qu’ils méprisent la norme du Code (cf. c. 1057 § 2) et sa source doctrinale proche, c’est-à-dire la Constitution Apostolique Gaudium et Spes.[1]
- L’indissolubilité : droit et exercice du droit
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique nous enseigne très opportunément que l’indissolubilité ne souffre aucune distinction entre le droit et l’exercice du droit, puisqu’elle appartient par elle-même à l’être du mariage, c’est-à-dire de façon indivisible dans le matrimonium in fieri, le mariage-alliance, et le matrimonium in facto esse, le mariage-état de vie : « Le couple conjugal forme ‘une intime communauté de vie et d’amour, fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. Elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel et irrévocable’. Tous deux se donnent définitivement et totalement l’un à l’autre. Ils ne sont plus deux, mais forment désormais une seule chair. L’alliance contractée librement par les époux leur impose l’obligation de la maintenir une et indissoluble »[2].
Amour et consentement
- Il est très difficile, note une sentence c. Turnaturi du 20 octobre 2005, qu’une telle donation-acceptation puisse se réaliser s’il n’y a pas entre les époux une mutuelle affection, c’est-à-dire un amour sponsal.
Certes, le mariage ne repose pas sur l’amour, mais sur le consentement. Cependant si l’amour n’est pas le consentement, le consentement est toutefois la plus grande expression de l’amour et sa véritable manifestation : aucune donation-acceptation des personnes, en effet, ne peut avoir lieu sans amour. La donation-acceptation, enfin, est ordonnée à la constitution d’une famille, qui est fondée par un amour nourri par la grâce.
Comme l’enseigne le Pape Jean-Paul II, « le Concile a vu le mariage comme un pacte d’amour […] dans lequel le consentement conjugal est un acte de volonté qui signifie et comporte un don mutuel qui unit les époux entre eux et ensemble les lie à leurs enfants éventuels avec lesquels ils constituent une seule famille, un seul foyer, une Eglise domestique ».
Sous cet aspect, c’est-à-dire dans la mutuelle donation, le consentement matrimonial « est un engagement à un lien d’amour où, dans le don lui-même, s’exprime l’accord des volontés et des cœurs pour réaliser tout ce qu’est et signifie le mariage pour le monde et pour l’Eglise ».
Dans cette donation, « celui qui se donne le fait avec la conscience d’être obligé de vivre son don à l’autre. S’il accorde un don à l’autre, c’est parce qu’il a la volonté de se donner. Il se donne avec l’intention d’être obligé à réaliser les exigences du don total qu’il a fait librement. Si sous l’angle juridique ces obligations sont plus facilement définies, si elles sont davantage exprimées comme un droit qui s’accorde que comme une obligation qui se prend, il est également vrai que le don n’est pas seulement symbolisé par les engagements d’un contrat qui exprime sur le plan humain les engagements inhérents à tout consentement conjugal vrai et sincère. C’est ainsi que l’on arrive à comprendre la doctrine conciliaire de manière à lui permettre de récupérer la doctrine traditionnelle pour la placer dans une perspective plus profonde et, en même temps, plus chrétienne »[3].
Dans un autre discours à la Rote, Jean-Paul II déclare : « Les époux sont libres de célébrer leur mariage, après s’être mutuellement choisis d’une manière également libre, mais, au moment où ils posent cet acte, ils instaurent un statut personnel où l’amour devient quelque chose qui est dû, et qui a également des conséquences de caractère juridique »[4].
C’est pourquoi, si l’amour est absent, on ne peut pratiquement pas parler de véritable consentement matrimonial.[5]
- Simulation totale et simulation partielle
- L’amour comme le consentement sont nécessairement reliés l’un à l’autre et l’un tend vers l’autre, mais dans la mesure où ils sont exprimés par les conjoints en conformité avec le dessein du divin Créateur et non avec des points de vue humains parfois corrompus. Corrompent en effet le dessein du Créateur les contractants lorsqu’il émettent un consentement matrimonial fictif, c’est-à-dire lorsqu’ils célèbrent, en simulant, une fête dérisoire. Il arrive assurément que ceux qui se marient, alors qu’ils expriment extérieurement un consentement par des paroles ou des signes équivalents, se forgent au plus profond d’eux-mêmes une volonté contraire, en excluant le mariage lui-même, ou une de ses propriétés essentielles ou un de ses éléments essentiels. C’est donc à bon droit et à juste titre que la jurisprudence reçue de Notre For a coutume de distinguer la simulation totale et la simulation partielle, restant cependant identique leur effet, à savoir la nullité du mariage.
Le contractant, qui, alors qu’il consent, joue un jeu pervers, « entend accomplir un simulacre puisqu’en réalité il exclut le mariage lui-même. Dans la simulation partielle, toutefois, il souhaite une sorte de mariage (un pseudo-mariage) accommodé à ses propres sentiments, en ignorant la plupart du temps qu’il cause une nullité »[6].
Il arrive de nos jours, de plus en plus souvent, que celui qui se marie s’estime arbitre de la permanence du lien matrimonial et qu’il décide que la dissolution de ce lien et la faculté de retrouver sa liberté dépendent de son seul pouvoir par l’usage – plus justement, par l’abus – déjà envisagé avant la célébration du mariage, de ces institutions civiles scélérates qui s’appellent séparation définitive légale et divorce. Il arrive la plupart du temps que « le contractant se compose sa propre doctrine du mariage (qu’il sache ou non que cela répugne à la pensée et à la discipline de l’Eglise), et donc qu’il y adhère pleinement d’esprit et de cœur, alors cependant qu’il y manque la notion d’indissolubilité, mais c’est ainsi et pas autrement que celui qui s’est marié a voulu célébrer le mariage »[7].
Les fidèles de ce type s’appuient plutôt sur l’amour érotique, par l’effet de la mauvaise influence des principes dissolus de l’hédonisme moderne, et non sur l’amour sponsal. C’est pourquoi ils sont catholiques de nom, mais leurs cœurs et leurs volontés ne s’attachent plus à Dieu et à la doctrine de l’Eglise.
- Diverses causes de l’exclusion de l’indissolubilité
- La perpétuité, ou indissolubilité, du lien peut être exclue de façon hypothétique pour de multiples causes, qui doivent être proportionnées à la fiction du consentement et donc à une exclusion d’un élément essentiel du mariage. Cette cause motivante peut parfois se fonder sur un doute relatif aux qualités personnelles du partenaire, à partir duquel celui qui se marie éprouve une grave crainte et une grande perplexité sur le succès de la communion interpersonnelle de la communauté conjugale. La cause motivante peut se trouver aussi dans une cause directement externe, par exemple si quelqu’un contracte parce qu’il ne veut pas s’opposer à ses parents ou qu’il ne peut conserver sa bonne réputation autrement que par le mariage, dans le cas d’une grossesse prématrimoniale, tout en gardant l’intention de se libérer du lien en cas d’échec.
La Jurisprudence de Notre For a parfois, à juste titre, trouvé cette cause motivante dans la malice de la personne. Une sentence c. Pompedda du 6 décembre 1990 fait remarquer : « Il peut en effet arriver que la construction psychologique d’une personne se trouve telle qu’elle la conduise comme nécessairement à feindre elle-même le mariage, en rejetant le caractère naturel du mariage et sa substance. Dans ce cas-là il est parfois très difficile de discerner s’il s’agit d’une véritable incapacité du contractant à assumer les éléments qui sont de l’essence du mariage, ou s’il s’agit plutôt d’une adhésion positive à un schéma ou une notion qui s’écarte de la saine doctrine sur le mariage, selon les dogmes de Dieu et de l’Eglise, et d’où résultent l’exclusion d’un élément ou d’une propriété essentielle et donc la nullité du consentement matrimonial »[8].
- La preuve de la simulation
- En ce qui concerne la preuve de la simulation présumée, il faut bien voir, étant donné la présomption de la loi (c. 1060), que cette preuve est difficile à établir. Cependant la volonté interne de nier le consentement lors de la célébration – c’est-à-dire de simuler – peut être prouvée par des arguments certains et insurmontables. Cela arrive s’il y a le concours de trois éléments : la confession du simulant, la cause proportionnée de la simulation, des indices ou circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes de la célébration du mariage, à partir desquels le consentement fictif est bien prouvé. L’homme en effet, dans les actions humaines, procède toujours en raison d’une cause motivante proportionnée. Le simulant, par conséquent, pour le consentement au mariage qu’il célèbre de façon externe, doit être poussé par une cause motivante de grande importance pour qu’il renie intérieurement, par un acte positif de volonté, ce qu’il manifeste extérieurement.
EN FAIT (résumé)
- La crédibilité des parties
Etant donné les divergences entre l’épouse partie appelée et le mari demandeur, les Pères soussignés pensent que le cœur du problème est la crédibilité des parties, avec le principe habituel de Notre Jurisprudence que les faits sont parfois plus éloquents que les paroles. Un de ces faits est la lettre envoyée par l’épouse au Tribunal, où elle menace de révéler à la presse les « violences morales inacceptables » qu’elle a subies durant le procès.
Le mari, quant à lui, est un homme qui, avant le mariage, a toujours manifesté un christianisme bien faible, surtout en ce qui concerne la doctrine de l’Eglise sur le mariage. Toutefois il a toujours été cohérent et constant dans ses nombreuses dépositions, ce qui n’a pas été le cas pour l’épouse, qui n’a pas voulu comparaître en première instance et qui a essayé sans cesse de dissimuler la vérité, par exemple sa relation avec son amant F.
Bruno s’est marié sous la pression de deux motifs contraires : d’une part des nécessités économiques importantes, et d’autre part un doute insurmontable sur l’heureuse issue de son mariage.
Cela dit, les Pères du Tour estiment que la sentence de 1° instance laisse à penser que les juges avaient des idées préconçues au sujet de l’épouse et de ses témoins. La sentence de deuxième instance, par contre, est mieux établie.
- Les époux
Bruno, on l’a dit, a toujours été constant dans ses déclarations, où il a assuré qu’il avait rejeté l’indissolubilité du lien sous la forme dite hypothétique : « Je pensais que si le mariage allait mal je le romprais … Je ne pouvais pas prévoir comment serait après le mariage mon rapport avec Titti […] et cela m’a porté avec clarté à la conviction d’exclure l’indissolubilité du mariage que j’allais contracter avec elle ».
L’épouse, qui n’a déposé qu’en seconde instance, affirme que son mari invente des histoires pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage et qu’elle ne l’a jamais entendu rejeter la perpétuité du lien, mais son ressentiment apparaît dans ses menaces de révéler son cas à la presse : « Je déclare pour la énième fois que je ne m’oppose pas absolument à l’annulation, mais je n’accepte pas l’éventualité que soit décrite à nouveau une réalité déformée, sinon je dénonce à la presse des violences morales inacceptables ».
- Les témoins
Les neuf témoins confirment tous la confession judiciaire du mari. D’une seule voix ils déclarent que Bruno avait des doutes sur l’avenir de son mariage : « Il m’en a parlé », « Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup d’amour entre eux », « Bruno a trouvé une lettre d’amour envoyée à Titti par son ex-fiancé, et il en a été très marqué ». De plus ils ont entendu Bruno dire qu’il divorcerait si son mariage n’allait pas bien : « Bruno m’a dit qu’il n’attribuait pas à son mariage avec Titti la valeur d’un vrai mariage » etc.
- La cause lointaine de la simulation
Elle réside dans la mentalité favorable au divorce qu’avait Bruno avant son mariage : « C’était un partisan du divorce », « dans nos discussions sur le divorce, il s’y montrait favorable » etc.
- La cause prochaine de la simulation
Elle se trouve, en pleine cohérence avec la cause lointaine de la simulation, dans les doutes qu’avait Bruno sur l’avenir de son mariage : divergences de caractère, manque de confiance envers Titti, surtout après la découverte de la lettre que lui avait envoyée son ex-fiancé. Pour sa part Titti dément catégoriquement qu’elle ait gardé un lien avec son ex-fiancé, mais en même temps elle attribue l’échec de son mariage « à la suspicion prématrimoniale de Bruno ».
Les témoins, d’une seule voix, parlent des doutes de Bruno.
- Les circonstances du mariage
Bruno déclare qu’il a songé au mariage pour des raisons économiques : l’aide précieuse du père de Titti. Certes l’épouse s’oppose à la thèse de Bruno, reconnaissant tout au plus que son fiancé et son père se sont rencontrés un mois avant le mariage, mais cette rencontre, si elle a eu lieu, aurait pu faire naître chez Bruno l’espoir que son beau-père pourrait l’aider financièrement.
Par ailleurs Titti fait état de graves difficultés survenues dans le couple après le mariage : « il n’était jamais là […], quand il était là, il s’enivrait et avait des troubles sexuels […], sa vraie famille était sa famille d’origine et non celle qu’il devait former avec moi […]. Je me suis convaincue que je n’étais rien d’important dans la vie de Bruno ».
- Conclusion
Ce qui Nous intéresse, c’est un fait incontestable qui montre que le demandeur a exclu, par une erreur et une décision radicales, l’indissolubilité de son mariage avec la partie appelée. Ce que Nous devons prouver en effet est que Bruno a émis un acte positif de volonté d’exclusion du bien du sacrement. Ayant des doutes sérieux sur la moralité du caractère de sa future épouse, Bruno est resté dans son erreur, il l’a même renforcée, pensant de façon tenace que le mariage peut être dissous ad libitum, avec une négligence totale de la doctrine catholique correcte.
Constat de nullité
pour exclusion du bien du sacrement
de la part du mari demandeur
Vetitum pour le mari
Pio Vito PINTO, ponent
John G. ALWAN
Giordano CABERLETTI
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[1] GAUDIUM et SPES, n. 48 ; cf. Exhortation Apostolique Familiaris Consortio, n. 11
[2] Cat. Egl. Cath., n. 2364
[3] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 28 janvier 1982, AAS LXXIV, 1982, p. 449
[4] JEAN-PAUL II, Discours à la Rote, 21 janvier 1999, AAS XCI, 1999, p. 622
[5] Cf. c. TURNATURI, 14 mai 2009, n. 8-12 ; cf. c. PINTO, 17 janvier 1997, SRRDec, vol. LXXXIX, p. 32, n. 5 ; cf. c. PINTO, 14 janvier 2000, SRRDec, vol. XCII, p. 14, n. 8
[6] C. STANKIEWICZ, 29 janvier 1981, SRRDec, vol. LXXIII, p. 46, n. 5
[7] C. POMPEDDA, 1° juillet 1969, SRRDec, vol. LXI, p. 691, n. 3 ; cf. c. STANKIEWICZ, 29 mai 1992, SRRDec, vol. LXXXIV, p. 308, n. 5
[8] C. POMPEDDA, 6 décembre 1990, vol. LXXXII, p. 837, n. 10
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