La justice administrative dans l’Église catholique
Vue de la France et de l’Afrique
par Yves Alain Ducass
(2ème édition augmentée et corrigée)
+ Imprimatur
11 octobre 2017
Par S.E. Mgr. Laurent Dabiré, Evêque de Dori (Burkina Faso), Docteur en droit canonique, Président de la commission tribunaux, de la formation et des questions canoniques à la Conférence épiscopale Burkina-Niger
Préface
Depuis la création en 1967 de la seconde section du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, de nombreux ouvrages ont traité du droit administratif de l’Église, « décrivant en détail les procédures et la jurisprudence applicable » comme l’écrit l’auteur, mais, ajoute-t-il, – et l’on ne peut qu’approuver son jugement, surtout après avoir lu les très nombreuses notes et références bibliographiques des bas de page – « Il n’existe cependant pas, à notre connaissance, de livre français récent sur le sujet, qui ferait le point de la jurisprudence administrative de l’Église et qui mettrait les bases du droit canonique administratif à la portée des fidèles catholiques. »
Cet ouvrage est fait et c’est celui de M. Ducass.
Bien sûr le livre qu’il nous présente suppose une connaissance certaine du droit de l’Église et, je dirais même, du droit séculier, mais nous avons enfin, non pas un traité abstrait, mais un ouvrage-guide, reposant sur une base de données exceptionnelle, rigoureusement et clairement bâti, exposant de très nombreux exemples vécus et les soumettant à une critique toujours constructive.
Il serait malvenu de redire de façon médiocre ce que l’auteur a écrit de façon magistrale. Lisez vous-mêmes « l’Éclairage historique » (pp. 21-48), et vous découvrirez la méthode de l’auteur, avec les faits rapportés et la remarquable bibliographie qui accompagne ce chapitre. Lisez avec attention le chapitre 3 (pp. 87-97) sur les sources de la jurisprudence et découvrez une base de données qui vous donnera une idée du travail et de la maîtrise de l’auteur, et qui vous permettra d’approfondir le sujet.
Laissez-vous guider par l’ouvrage.
Il est indispensable, par ailleurs, que vous lisiez attentivement le chapitre 11 (pp. 305-330) sur les « Perspectives d’évolutions ». Alors que trop de discussions canoniques, de colloques, de congrès, pour intéressants qu’ils soient, n’aboutissent qu’à la publication d’un volume, destiné le plus souvent à un rayon de bibliothèque, l’ouvrage de M. Ducass ouvre de nombreuses perspectives, pratiques, raisonnées, souhaitables. Ce livre est là encore un guide pour l’action.
Certes ces « perspectives d’évolutions » entraîneront des critiques et des réticences. Il est si difficile en effet d’accepter les changements dans nos habitudes de penser et d’agir. Un grand connaisseur des hommes et de leurs lois écrivait à ce sujet :
Nous qui régnons, combien de choses inutiles
Nous disons, sans savoir le mal que nous faisons !
Quand la vérité vient, nous lui sommes hostiles,
Et contre la raison nous avons des raisons.
Dans le domaine de la justice administrative de l’Eglise, nous pouvons et nous devons donner tort à Victor Hugo[2]
Photo de l’abbé Jacques Gressier toujours actif à l’âge de 90 ans
avec sa collaboratrice, Mme Elisabeth Dieu
Saint Yves, tant que tu as vécu parmi nous,
tu as été l’avocat des pauvres,
le défenseur des veuves et des orphelins,
la Providence de tous les nécessiteux.
Écoute aujourd’hui notre prière.
Obtiens-nous d’aimer la justice comme tu l’as aimée.
Fais que nous sachions défendre nos droits,
sans porter préjudice aux autres,
en cherchant avant tout la réconciliation et la paix.
Suscite des défenseurs qui plaident la cause de l’opprimé
pour que justice soit rendue dans l’amour.
Introduction
Fidèle à l’exemple et à l’enseignement du Christ, l’Église, lumière des nations, lutte contre tout ce qui entrave le développement intégral de l’homme, et en particulier la culture de l’athéisme qui fait parfois obstacle au « libre exercice de la religion dans la société[4] ». C’est ainsi que l’Église, au fil des siècles, s’attache à défendre les droits de Dieu et à combattre toutes les formes d’hérésies qui peuvent couper les fidèles de la grâce et du salut des âmes. Or,
Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité[5].
Pourtant,
L’Église, elle, renferme des pécheurs dans son propre sein, elle est donc à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, poursuivant constamment son effort de pénitence et de renouvellement[6].
Ainsi, malgré la sainteté de l’Église, il existe encore de nos jours des situations dans lesquelles des pasteurs de l’Église se comportent en « mercenaires » (Jean 10, 12), ainsi que des légistes qui « font peser des fardeaux impossibles à porter » (Luc 11, 48) sur les épaules de certains fidèles.
Fort malheureusement, très souvent certaines Curies [diocésaines] du Sud, sont tributaires de la structure de l’Eglise préconciliaire et sont immergées dans le culte de l’autorité propre azux cultures du tiers monde et sont influencées par la manière dont les autorités civiles dirigent les Etats du Tiers-monde. Elles ont transmis l’idée que la Curie est un centre de pouvoir et de décision où l’Evêque dirige avec autoritarisme son diocèse. On n’est pas sans s’étonner d’observer, dans certains cas, l’inexistence de structures de consultations pastorales et les fidèles ignorent qu’il relève de leur droit de s’adresser à leur Evêque comme à un père de famille. De manière encore plusé tonnante, cette praxis se retrouve aussi dans les vieilles Eglises dont on dit que certains s’affranchissent à peine du cuklte du pouvoir[7].
Ce type de situation crée des dommages pour l’Eglise comme l’indique Jean-Paul Betegne :
il n’est pas rare de constater dans les Eglises des abus de droit et d’autorité du côté de la hiérarchie à qui il revient pourtant le devoir de promouvoir le droit de l’Eglise. […] On ne mesure pas assez l’étendue des dommages causés au sein de la communauté des fidèles et aux yeux du monde par de telles attitudes. C’est en effet l’image de l’Eglise qui est écornée, ce sont de nombreux fidèles qui dédaignent l’enseignement social de l’Eglise, ce sont des hommes et des femmes qui relativisent la pertinence du message évangélique, c’est la fréquentation des sacrements qui est négligée, etc[8].
Conscient de ces difficultés, le Concile Vatican II affirme les droits et obligations des fidèles et, pour les faire respecter, le bienheureux Paul VI crée le 15 août 1967 la seconde section du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique, chargée de trancher :
Les contestations nées de l’exercice du pouvoir administratif ecclésiastique, ainsi que celles qui lui sont soumises en appel contre une décision d’un dicastère compétent, lorsqu’il lui est reproché d’avoir violé la loi[9].
« Combien de fidèles ont eu le sentiment de n’être pas compris, qu’ils étaient parfois rejetés ? » interroge le cardinal Sarah[10]. Une enquête menée en 2017 à Dakar montre que de plus de la moitié des fidèles interrogés[11] se souviennent d’une situation de controverse due au pouvoir ecclésiastique, tandis qu’aucun d’entre eux ne connaît l’existence du Tribunal administratif de l’Eglise ni les procédures graduées de recours gracieux, hiérarchique et contentieux-administratif mise en place il y a 50 ans.
Au cours de ces cinquante années, des canonistes ont publié des traités de droit administratif ecclésiastique et des articles scientifiques en italien, espagnol, anglais, allemand et latin, décrivant en détail les procédures et la jurisprudence applicables. Il n’existe cependant pas, à notre connaissance, de livre français récent sur ce sujet[12], qui ferait le point de la jurisprudence administrative de l’Église et qui mettrait les bases du droit canonique administratif à la portée des fidèles catholiques.
Le présent ouvrage vise à combler ces deux lacunes, à partir du regard d’un fidèle catholique français licencié en droit canonique[13] travaillant régulièrement en Afrique, avec la révérence due aux pasteurs[14], et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes.
Dresser le bilan de cinquante années de justice administrative est cependant tâche impossible pour qui n’est pas canoniste expérimenté, plongé dans le sérail du Tribunal Suprême de la Signature apostolique.
Sans prétendre y parvenir, nous proposons ces quelques pages de témoignage et de recherche qui reposent sur cinq fondements :
- un cadre universitaire, avant et après l’obtention d’une licence de droit canonique ;
- des contacts réguliers avec les fidèles catholiques sur le réseau « Canonistes sans frontières», qui permettent à l’auteur de recueillir de nombreux témoignages inédits et de dialoguer avec leurs auteurs comme le fait par ailleurs Cathy Caridi[15] dans le monde anglophone ;
- une base de données portant sur 994 causes contentieuses-administratives et 1123 sentences du Tribunal suprême, constituée par la collation de 2005 publications canoniques[16], et structurée par les techniques de l’ingénieur[17];
- une expérience professionnelle riche et variée en France et en Afrique permettant de prendre du recul par rapport à une institution ;
- les commentaires reçus et les recherches effectuées après la 1ère édition française du livre.
Ecrits en quatre années de travail à temps partiel, le livre et sa base de données en ligne sont destinés à quatre catégories de public :
- les fidèles catholiques, laïques, religieux ou prêtres, rencontrant des problèmes administratifs dans l’Église, et voulant éviter le double écueil, ou bien de cautionner par leur silence des pratiques qu’ils estiment déviantes, ou bien de mettre l’Église en difficulté, en s’adressant aux tribunaux civils ou aux moyens de communication sociale, sans faire confiance à la justice ecclésiastique ;
- les juristes et les personnes curieuses, qui veulent découvrir le droit canonique, voire entreprendre des études dans ce domaine[18];
- les canonistes qui pourront accéder à de nombreuses informations inédites sur la jurisprudence administrative canonique ;
- les responsables de l’Église, qui trouveront dans ces pages matière à réflexion pour leurs futures décisions.
La première partie de l’ouvrage présente le contexte de la justice ecclésiastique, avec un rappel de son rôle dans l’histoire de l’Église[19], l’analyse de ses fondements théologiques, une présentation simplifiée de la procédure, et la description de la base de données en ligne, le tout illustré par de nombreux schémas inédits, qui sont expliqués au fil de l’ouvrage, tels que ceux des procédures de recours rappelés ci-après.
Une deuxième partie présente la justice administrative de l’Église dans sa réalité quotidienne, avec un rappel rapide du droit, des difficultés rencontrées et des solutions apportées depuis 1967 car, selon Sergio Aumenta,
L’introduction de formes de vérification de l’action administrative (et en particulier l’institution d’un contrôle juridictionnel par le Tribunal suprême) a constitué un progrès substantiel pour la sauvegarde des droits juridiques subjectifs[20].
Cinq chapitres présentent les difficultés et les recours concernant les fidèles laïcs (chap. 4), les clercs (chap. 5), les consacrés (chap. 6), ou bien face aux charismes (chap. 7) et aux dicastères (chap. 8), le tout illustré par de nombreux cas de jurisprudence, portant notamment sur les domaines ci-après :
Laïcs | Clercs | Consacrés |
Regroupements de paroisses ; réductions d’églises à usage profane. | Mutations de curés
|
Refus d’admission
Exclaustrations Démissions |
Non-reconnaissance et/ou suppression d’associations | Révocation de curés | Suppressions de maisons religieuses |
Retrait de missions ecclésiastiques | Pertes de l’état clérical et sanctions administratives | Paiement des salaires et pensions de retraite |
Face aux charismes (révélations privées) |
Face aux dicastères | Droits de propriété |
A la lumière de cinquante années de pratique, la troisième partie du livre permet de revisiter les procédures de recours et de proposer quelques pistes d’évolutions à l’occasion du jubilé.
L’ouvrage privilégie systématiquement les sources premières que sont les documents approuvés par le Saint-Père et les sentences de la deuxième section du Tribunal suprême. Sachant que ces sources ne sont pas toujours accessibles au public, du fait notamment de leur caractère nominatif, il est fait largement appel aux travaux des canonistes proches de la Signature apostolique, dont une grande partie n’a jamais été traduite en français. L’absence de sources officielles disponibles oblige l’auteur à proposer des estimations statistiques, mais celles-ci restent incertaines tant qu’elles ne sont pas confrontées aux véritables données de la Seconde section du Tribunal suprême, à qui le présent travail est naturellement soumis.
Outre l’indisponibilité des sources, le champ très vaste du droit administratif ecclésiastique et le temps limité par l’échéance du jubilé, les limites de cet ouvrage sont principalement celles de son auteur qu’il convient de présenter.
Il s’agit d’un fidèle catholique français d’une soixantaine d’années, marié, père et grand-père. Son métier d’ingénieur au service de l’Etat français, puis de consultant auprès des gouvernements africains lui a conféré une expérience pratique du droit administratif. Il l’a complétée par une solide formation de droit canonique[21], par trois années de recherche en bibliothèque et par une expérience de terrain avec « Canonistes sans frontières », incluant la préparation et le suivi de plusieurs recours hiérarchiques et contentieux-administratif.
Sa réussite professionnelle et l’appui de son entreprise energeTIC lui confèrent une indépendance morale et financière, conditions indispensables à la liberté de parole. Il voudrait en user avec la modération qu’apportent la crainte de Dieu, l’amour de l’Église et l’honnêteté scientifique, qui libèrent des trois esclavages inverses que sont l’égocentrisme, la pensée unique et le mensonge[22].
[1] Membre de l’association des écrivains catholiques francophones.
[2] L‘art d’être grand-père IV, 4
[3] http://droit.regiminal.free.fr/
[4] Dignitatis humanae, n° 1.
[5] Lumen Gentium, n° 32.
[6] Lumen Gentium, n° 8.
[7] Kitambala (Hilaire Iwaka) L’office de chancelier dans le Code de droit canonique de 1983, l’Harmattan, Paris 2017, p. 38-39 / 245.
[8] Betengne (Jean-Paul) Université Catholique d’Afrique Centrale / Institut Catholique de Yaoundé « Culture canonique et cultures juridiques en Afrique » conférence du 6 octobre 2017 au congrès international de la Conociatio.
[9] Regimini Ecclesiae Universae, article 106.
[10] Sarah (Cardinal Robert), Dieu ou rien, Propos recueillis par Nicolas Piat, Paris 2016, ed Pluriel, p. 223/420.
[11] L’échantillon était constitué de 25 participants d’âge mûr participant au colloque international organisé par le Centre Saint Augustin de Dakar à l’occasion de ses 30 ans.
[12] Une exception notoire est à signaler, avec la thèse de doctorat de Mgr Patrick Valdrini, pro-recteur et professeur de droit canonique de l’Université pontificale du Latran à Rome, à l’origine de deux livres publiés à Strasbourg : Conflits et recours dans l’Église, Cerdic 1978 ; Injustices et protection des droits dans l’Église, Cerdic, 1984.
[13] Ce diplôme a été décerné par l’Archevêque de Strasbourg correspond au vu du master 2 de droit canonique de l’université de Strasbourg et du diplôme de propédeutique de théologie de l’Institut catholique de Paris.
[14] Au cours de son travail en Officialités, les tribunaux (inter)diocésains de l’Église, l’auteur a pu apprécier le professionnalisme, le sérieux et la générosité des pasteurs en charge de la justice ecclésiastique pour les reconnaissances de nullité de mariage, et le dévouement des bénévoles qui les aident. Il ne saurait trop recommander à d’autres fidèles catholiques d’entreprendre des études sur le droit canonique du mariage pour travailler en Officialité ou dans leur paroisse, pour venir en aide aux personnes en souffrance qui cherchent à discerner si le mariage religieux qu’elles ont contracté est valide et indissoluble, ou bien entaché de nullité, en vue de démarrer une autre étape de leur vie.
[15] Caridi (Cathy), Canon made easy, http://canonlawmadeeasy.com/
[16] Situation de la base au 1er janvier 2017.
[17] La base de données sur laquelle repose l’ouvrage est présentée du chapitre trois du présent ouvrage
[18] L’Institut catholique de Paris (ICP) met en ligne une formation gratuite dédiée au droit canonique intitulée « la loi des hommes et la loi de Dieu » Cf. www.droitcanonique.icp.fr
[19] Lors d’un pèlerinage à pied vers Compostelle, l’auteur fut interpellé par une pèlerine allemande qui disait avoir pris ses distances avec l’Église catholique, à cause du comportement de celle-ci durant l’épisode de la chasse aux sorcières.
[20] Aumenta (Sergio Felice), La tutela dei diritti dei fedeli nel processo contenzioso amministrativo canonico, Pontifica università lateranese, Mursia, p. 173.
[21] Trois années d’études à l’Institut de droit canonique de Strasbourg, deux années de théologie à l’Institut catholique de Paris, suivie d’une expérience de notaire, avocat, et défenseur du lien dans les officialités de Paris, Versailles, Cotonou et Dakar.
[22] Je suis Yahvé ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. Dt. 5, 6.
À propos de l’auteur